Hermine est née à Marbrume, quelque part dans le Labourg, à une époque où il n'y avait pas encore trop de monde derrière les remparts. Sa mère, une toute jeune femme, presque encore une gamine, s'était amourachée d'un voltigeur de cirque dont la troupe avait fait un séjour prolongé dans la cité. L'idylle avait duré quelques semaines, le temps qu'elle lui cède son cœur et son corps, qu'il consomme le tout et qu'il lui promette presque sincèrement d'être toujours près d'elle. Puis, du jour au lendemain, il était reparti sur les routes avec les siens et elle avait reprit sa vie morose qui bientôt compta une bouche en plus à nourrir. Contrairement à ce qu'aurait voulu sa mère, la jeune femme souhaita garder son enfant et lui voua une réelle affection dès sa naissance. La petite bâtarde fut donc entourée par autant d'amour maternel qu'il y avait de miasme dans les rues, ce qui est déjà beaucoup plus que ce que d'autres mômes pouvaient espérer.
Jusqu'à ses six ans la petite crapahuta dans les ruelles sordides en compagnie d'autres gosses aussi fauchés qu'elle tandis que leurs parents tentaient de gagner leur croûte en travaillant au port, dans des petits commerces ou chez quelques bourgeois en manque de main d'œuvre. Elle n'ignora jamais rien de ses origines, sa mère ne concevant aucune honte à admettre son amourette - elle n'avait de toute façon pas les moyens de se payer ce luxe - et lui racontant régulièrement comment elle avait connu son père, pourquoi il était parti et à quoi il pouvait bien ressembler. Tant et si bien qu'Hermine se jeta bille en tête dans le projet farfelu d'exercer le même métier que le paternel. Et si dans un premier temps sa mère essaya de la raisonner, lui expliquant que ce n’était pas un métier correct pour une fille et qu’il fallait appartenir à une troupe pour en vivre, elle finit par réviser son jugement. Après tout, il n’y avait rien de bon dans le Labourg pour sa gamine et à défaut de pouvoir lui offrir une vie meilleure, elle pouvait peut-être lui offrir une alternative à la prostitution ou au service dans une taverne miteuse. Il suffisait d’attendre que la troupe revienne à Marbrume, ce qu’elle ne manquerait pas de faire
L’année de ses sept ans, Hermine eut l’occasion de s’extirper du Labourg. Le cirque itinérant où travaillait son père était de retour en ville, pour un nouveau spectacle, et c’était pour elle le moment où jamais. Alors, tenant fermement la main de sa mère pour ne pas se perdre parmi la foule, elle s’était rendue près des roulottes, le cœur battant, à la recherche de l’acrobate dont on lui avait si souvent parlé.
L’univers du cirque l’émerveilla. Elle qui ne connaissait que la saleté de son quartier, les couleurs sombres et ternes des façades, des vêtements, et des visages, elle découvrit les tenues chatoyantes des artistes et de leurs roulottes. Ici il y avait un cracheur de feu, qui soufflait des flammes comme un dragon, et là un jongleur de sabres, qui semblait pouvoir faire voler le métal. Mais ce fut lorsque sa mère la hissa dans ses bras pour voir par-dessus la tête des autres spectateurs que la petite tomba amoureuse du cirque.
« Maman maman ! C’est lui ! C’est papa ! Il est là-bas, regarde ! »
Piaillant d’excitation, la gamine pointait du doigt un trio en plein numéro. La gravité ne semblait pas avoir de prise sur eux tandis qu’ils bondissaient sur la petite estrade qui leur servait de scène, se hissant en haut d’un mât sans le moindre effort, pirouettant jusqu’à atterrir sur les épaules d’un comparse, en équilibre précaire ou marchant sur les mains jusqu’au public pour sauter ensuite sur leurs pieds, le sourire aux lèvres et l’air canaille. Sa mère lui désigna le plus âgé des trois comme étant son père et immédiatement il se changea en héros aux yeux d’Hermine. Il était donc capable de tout cela ? Et elle, pourrait-elle un jour en faire autant ? La vie d’artiste lui semblait si merveilleuse en cet instant.
Dès que le spectacle fut terminé, elle entraîna sa mère, la tirant derrière elle avec force, pour rejoindre l’arrière de la roulotte où les trois acrobates avaient disparu. Mais une fois arrivée en vue des artistes, elle préféra se cacher dans les jupons maternels, intimidée par cet homme à la peau tannée par le soleil et aux yeux si noirs. Elle savait qu’il était étranger, que c’était pour cela qu’il avait les traits si saillants, la peau si bronzée et ce léger accent lorsqu’il parlait, mais après avoir tant de fois espéré le voir un jour, elle n’osait plus à présent s’approcher de cet inconnu qu’elle avait le droit d’appeler « papa ».
Agathe, sa mère, s’occupa donc de faire de premier pas. Certainement intimidée elle aussi, incertaine de la réaction de son ancien amour, elle l’aborda pourtant avec un sourire en l’appelant par son prénom. Jamais elle ne lui en avait voulu d’être parti, après tout qui voudrait s’enfermer dans le Labourg après avoir passé sa vie à voyager ? Surtout pour les beaux yeux d’une fille de rien. Mais elle avait passé sept ans à s’occuper seule d’une enfant dont il était le père et à présent, elle voulait lui demander une faveur. L’acrobate se figea en la reconnaissant, d’abord surprit puis embarrassé, ne sachant pas comment réagir face à cette femme qu’il espérait certainement ne jamais revoir pour ne pas affronter sa colère. Ils étaient si jeunes lorsqu’ils s’étaient connus… Mais elle ne lui cria pas dessus, ne lui reprocha pas d’être parti et se contenta de lui sourire en lui affirmant qu’elle était sincèrement heureuse de le revoir. Alors le saltimbanque s’autorisa à sourire en retour et à s’approcher pour parler. Son regard ne tarda pas à tomber sur la petite fille à la tignasse noire qui s’accrochait aux jupes de sa mère et qui l’observait avec une fascination craintive.
Agathe était une femme simple et sincère, ce fut donc avec des mots simples et sincères qu’elle expliqua ce qui s’était passé sept ans auparavant, après que le cirque soit parti. Elle présenta Hermine, la poussant doucement en avant, une lueur de fierté dans le regard. La ressemblance entre père et fille était étonnante sur bien des points. L’étranger, qui se faisait appeler Levif, s’accroupit pour être à hauteur de l’enfant et prit un long moment pour l’observer, essayer de retrouver ses traits et ceux d’Agathe sur ce visage juvénile, peut-être aussi se rendre compte des conséquences de son badinage de jeunesse. Peut-être regretta-t-il un instant d’être parti ou au contraire, se sentit-il soulagé de n’avoir pas enduré les premières années de la paternité. Quoi s’il en soit, il finit par sourire.
« Bonjour Hermine… Je suis content de te rencontrer. »
Il accepta l’invitation à venir les voir le lendemain chez elles et se présenta à leur porte sans retard. La gamine, d’abord intimidée, retrouva vite sa verve habituelle et se mit à lui expliquer en long en large et en travers ce qu’elle faisait de ses journées, qui étaient ses amis, ce qu’elle avait appris ou ce qu’elle savait dessiner. Elle savait même écrire « cheval », grâce à l’enseigne de l’auberge crasseuse du Cheval Fou qu’elle pouvait voir depuis sa chambre ! Cette journée spéciale resta gravée dans sa mémoire de longues années.
Le soir venu, une fois qu’elle fut couchée, sa mère s’entretint à voix basse avec son compagnon. Elle le pria de bien vouloir prendre son enfant avec lui, de lui apprendre comment gagner sa vie autrement qu’en se cassant le dos à récurer des sols ou en vendant son corps pour presque rien. Être acrobate, ce n’était pas un bon métier, mais c’était le mieux qu’ils pouvaient offrir à leur fille et Agathe était prête à renoncer à élever sa petite si cela pouvait lui assurer une vie un peu moins terne. Levif écouta, les sourcils froncés et prit le temps de choisir ses mots avant de les dire. Il ne pouvait pas accepter tout de go, il fallait qu’il en parle au dirigeant de la troupe et à ses partenaires. S’embarquer avec femme et enfant, ce n’était pas comme ça que fonctionnaient les choses dans son monde. Agathe lui assura qu’il n’aurait qu’à prendre en charge l’enfant, qu’elle resterait à Marbrume avec sa vieille mère. Sa vie a elle était entre les murs de la cité, elle l’avait accepté, mais pour Hermine il n’était pas encore trop tard.
La gamine ne fut pas mise au courant de l’affaire avant plusieurs jours. Son père s’était alors présenté, le soir venu, à la porte de leur demeure, pour annoncer que le fondateur de la troupe acceptait de la prendre avec eux si elle mettait du cœur à l’ouvrage et apprenait bien tout ce qu’on lui enseignerait.
C’est ainsi que deux semaines plus tard, lorsque les roulottes replièrent tentures colorées et estrades escamotables, Hermine se sépara de sa mère à grand renforts de larmes. Elle n’avait pas compris, du haut de ses sept ans et de ses rêves de gamine, que ce départ signifiait quitter tout ce qu’elle connaissait, y compris sa mère et sa grand-mère qui était sa seule famille. Son paquetage était bien maigre, mais il comptait un petit bracelet tressé que lui avait confectionné Agathe et un peigne que sa grand-mère avait gardé pour elle. De ces deux femmes qui l’avait élevée sans jamais se plaindre, elle ne pouvait emmener que cela et ses souvenirs.
Les premiers temps furent assez difficiles pour la petite qui était plus habituée à être livrée à elle-même en journée pour aller jouer qu’à travailler vraiment. Bien sûr, elle aidait sa grand-mère dans toutes les tâches ménagères, mais cela n’avait rien à voir avec nourrir les bêtes qui tiraient la caravane, entretenir les costumes et les équipements, aller chercher du bois pour le feu ou puiser de l’eau à la rivière. La troupe était très soudée, la cohésion était telle que se faire une place relevait d’un véritable tour de force. Hermine comprit très rapidement que le cirque avait son propre microcosme, sa façon de voir et de penser. Tout ce qui se trouvait en-dehors était potentiellement dangereux et donc, accueilli avec méfiance. Cela ressemblait aux lois des bas-fond : en-dehors de son groupe de canailles, point de salut.
Heureusement, son père l’accueilli à bras ouvert. Il était exigeant, en demandait toujours beaucoup, que ce soit pour participer à la vie de la troupe ou pour les entraînements qu’il lui dispensait chaque jour, mais en échange il se montrait encourageant et avec le temps, particulièrement fier de sa progéniture. D’abord incertain quant à l’attitude à avoir, il trouva rapidement ses marques avec cette gamine frondeuse et entêtée au sourire contagieux. Bientôt la roulotte qu’il partageait avec ses deux partenaires de scène, deux frères d’à peine onze et treize ans alors, finit par devenir un nid douillet pour la petite également.
Il s’écoula sept ans avant qu’Hermine ne remette les pieds à Marbrume. Sa bouille d’enfant avait fait place à des traits plus affiné qui la faisait ressembler à son père. Sa peau s’était brunie sous le soleil et le vent, ses cheveux avaient poussé jusqu’à devenir une crinière sauvage qu’elle dressait grâce à des tresses plaquées contre son crâne d’un côté ou d’un autre, ce qui ajoutait encore à son côté sauvage et exotique. L’air assurée et le sourire ravageur, personne ne pouvait plus douter qu’elle était la gamine de Levif et qu’elle appartenait au cirque. Elle avait même son propre numéro dans le spectacle, une touche féminine très appréciée par le public et qui rapportait pas mal.
À l’occasion de ce séjour dans sa ville natale, la jeune fille en profita pour retourner dès que possible dans son quartier et retrouver sa mère. Celle-ci s’était mariée à un autre homme, un type un peu fade mais pas bien méchant qui avait accepté sans faire d’histoire que sa dame soit mère avant lui. Hermine apprit que sa grand-mère était partie l’automne précédent, presque paisiblement et qu’elle avait désormais deux petits frères. Des gosses à la tignasse presque blonde et aux yeux clairs, comme Agathe, qui firent un raffut de tous les diables pour accueillir cette sœur dont ils avaient entendu parler sans jamais la voir. Pour une raison qui leur était propre, ils concevaient beaucoup de fierté à avoir une aînée dans le monde du spectacle, même si c’était une parfaite inconnue.
Mais la vérité, c’était que la petite Hermine était bien plus qu’une simple acrobate de cirque. Et si sa troupe vivait si bien malgré les routes difficiles et les hivers rigoureux, malgré les réparations de matériel, les tentures exotiques et les costumes chatoyants, c’était qu’elle avait une source de revenus bien différente de celle générée par les spectacles. Le jour, les artistes étaient sur scène, sous les yeux de tous, la nuit ils s’improvisaient cambrioleurs, receleurs, revendeurs au marché noir. La mécanique bien rôdée de la troupe leur permettait de passer entre toutes les mailles du filet de la milice, jamais ils ne faisaient de vagues et jamais ils ne visaient trop haut pour éviter que l’on associe une hausse des vols à leur présence.
Levif avait enseigné à sa fille ainsi qu’à ses apprentis comment se déplacer silencieusement, et comment transformer les gracieuses figures du spectacle en redoutable pouvoir de passe-muraille. Abel et Herett apportèrent leurs connaissances en matière de serrure et surtout de crochetage et Hermine se montrait toujours la plus audacieuse et inventive lorsqu’il s’agissait de se cacher ou de trouver une sortie discrète. Leur quatuor opérait si bien qu’ils n’avaient besoin que d’un regard pour se comprendre dans l’obscurité. Leurs malles avaient toutes un double fond dans lequel se cachait leur tenue de main noire, toute en cuir souple et en tissu doublé, ainsi que du matériel pour le moins atypique. Corde et grappin, évidement, mais également des gants avec de tout petits crochets le long des doigts et de la paume, pour mieux escalader, des sets de rossignols pour tous les types de serrures, une matraque chacun, en cas de soucis…
La règle la plus sacrée était que tout était bon à voler, mais qu’il ne fallait jamais tuer. Un meurtre n’était pas pardonnable et si les circonstances l’exigeaient, la solution devait toujours être de semer l’adversaire, de l’assommer ou de l’étouffer jusqu’à l’inconscience, jamais plus. Et Hermine s’y tenait avec autant de rigueur que les autres.
Suite à cette visite à Marbrume, la jeune fille s’en retourna sur les chemins après avoir embrassé sa mère en promettant de faire attention et en lui laissant comme souvenir une petite bourse contenant une partie de ce qu’elle avait gagné dans les rues de la ville côtière. Les années s’égrainèrent encore, faisant d’elle une adolescente impétueuse puis une jeune adulte téméraire.
Lorsque la Fange assailli le monde, la troupe était en route pour le Morguestanc et suivit donc les vagues de réfugiés vers les murs protecteurs de la ville. Une attaque nocturne faucha plusieurs membres du cirque et ils abandonnèrent deux roulottes derrière eux. La jeune acrobate perdit son père des suites d’une grave brûlure après l’incendie qui s’était déclenché pendant l’attaque. La caravane arriva exsangue à Marbrume où se pressait déjà trop de pauvres gens. Relégués dans les bas quartiers, ils se firent une petite place au fond d’un vieux cimetière dans le Labourg, là où on les laisserait tranquille. L’avantage d’être des gens du voyage étant que même si on vous crache à la figure, on vous craint assez pour ne pas s’approcher. Les trois roulottes restantes sont désormais à l’arrêt, les bêtes vendues depuis belle lurette pour avoir de quoi acheter un quignon de pain et les tenues chamarrées remisées au fond des malles.
Abel, désormais âgé de 25 ans et Herett, l’aîné de leur petite bande, âgé de 27 ans, vivent toujours dans la roulotte de Levif, bien que celle-ci soit officiellement l’héritage et donc la propriété d'Hermine. Cette dernière les laisse vivre avec elle sans rechigner, trop heureuse d’être entourée par ce qui est devenu sa famille.
Elle ne peut plus se produire sous les yeux fascinés et émerveillés de la foule. La famine ronge de ventre de chacun et les Pourris grattent aux murs. Alors désormais, elle sera la main noire la plus efficace de la ville, indétectable et impossible à mettre en cage. Ce frisson de l’interdit est ce qui la garde bien droite dans ses bottes.
Résumé de la progression du personnage :
Après avoir été un peu trop impliquée dans une affaire de vengeance personnelle avec un milicien, la donzelle s'est faite toute petite pour qu'on l'oublis. Elle a passé l'été dans le quartier du port à chaparder ou danser pour demander l’aumône. Avec le retour du froid le port se vide et elle a préféré revenir dans le quartier du cimetière, plus proche des siens.
Soi réel
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