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 Une soirée en toute discrétion (Alcème et William)

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Alcème de VaurontBaron
Alcème de Vauront



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MessageSujet: Une soirée en toute discrétion (Alcème et William)   Une soirée en toute discrétion (Alcème et William) EmptyJeu 10 Mar 2016 - 18:00
Alcème était de retour au manoir familial pour quelques temps.

Ses affaires l'avaient amené à s'occuper de diverses recrutements et il avait du se déplacer en personne dans des tavernes malodorantes pour trouver des gens qualifiés. La tournée de ces établissements peu fréquentables avait été longue et ennuyeuse, comme à chaque fois qu'il fallait frayer avec le bas peuple. Le jeune De Vauront cachait son identité et préférait choisir lui même les gens qu'il embauchaient : la mission confiée par son père étant trop importante et délicate pour la laisser à de vulgaires laquais.

Au cours de ses pérégrinations, Alcème entendit parler à plusieurs reprises d'un certain William Ward.

C'était un pécore assez peu rependu dans son genre puisque officiant en tant que garçon de passe. Si les femmes parlaient de lui en riant et avec beaucoup de gaieté, certains hommes détournaient les yeux à l'évocation de son nom. On lisait facilement le mépris dans les yeux de certains, mais l'expression chez d'autres était beaucoup plus nuancée... On y voyait surtout de la gène et de la dissimulation mais aussi une pointe de plaisir gourmand qui n'était pas pour déplaire au jeune homme.

La curiosité piquée au vif, Alcème fit discrètement enquêter un homme de confiance sur ce William qui revint quelques jours plus tard avec davantage de précisions. C'était bien un garçon de passe, âgé d'une vingtaine d'année, qui offrait ses services indépendamment aux hommes et aux femme. Il semblait surtout chercher le plus offrant. Il n'était pas originaire de Marbrume mais jouissait d'une certaine réputation auprès des veuves et des femmes esseulées. Les hommes s’avérèrent bien sur beaucoup moins bavards, mais ils étaient au moins aussi nombreux que les femmes à le connaitre.

Alcème décida de s'offrir ses services pour un nuit.

Après tout il retournerais bientôt en compagnie de la crasse et des Fangeux, alors il fallait en profiter et vivre chaque fois que l'on en avait l'occasion. Il rédigea une courte missive à l'attention du jeune homme :

"Monsieur Wrad,

Des amis commun m'ont dit du plus grand bien de vous et des services que vous proposez. Le porteur de cette missive vous introduira auprès de moi afin que nous passions une soirée en toute discrétion.

Votre obligé,
Alcème de Vauront"


Alcème avait signé de son véritable nom par pure provocation.

Il savait très bien que ce genre de rencontre devait se faire en toute discrétion, d'ailleurs il l'indiquait sur sa lettre. Annoncer publiquement la bisexualité d'un noble, mâle qui plus est, était très mal vu à Marbrume. Mais le jeune homme savait qu'il lui suffirait d'un claquement de doigt pour que la missive s'évaporer comme si elle n'avait jamais existé. Signer de son vrai nom était un moyen de dire au garçon de passe qu'il pouvais subir le même sort au moindre faux pas.

Tandis qu'un valet allait porter le message à la taverne où le jeune homme se trouvait habituellement, Alcème se prépara. Après un long bain dans une eau bien chaude et légèrement parfumée, le jeune homme pris le temps de brosser ses cheveux noirs et de les attacher avec une discrète étoffe de soie pourpre. Il se vêtis d'une tunique simple mais élégante, appuyant encore davantage les traits fin de sa jeunesse et la stature de sa naissance. Il fit dresser deux couverts et une table richement garnie dans l'un des nombreux salons décorés avec goût.

Le jeune noble s'assit face à la porte par laquelle entrerait son "invité" et dégusta un verre de vin en l'attendant.
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MessageSujet: Re: Une soirée en toute discrétion (Alcème et William)   Une soirée en toute discrétion (Alcème et William) EmptySam 12 Mar 2016 - 21:03
   Un grand « splouch » m’éclaboussa le visage, amenant une fraîcheur inattendue sur ma joue. Méridj éclata de rire et recommença à se laver les mains. J’essuyais l’eau qui ruisselait sur mon visage et époussetais les gouttelettes qui s’accrochaient à ma tunique. La place autour du puit était pleine de monde. C’est-à-dire, en ces temps troublés, environ une dizaine de personne. Même si les fangeux se trouvaient à l’extérieur de la ville, les gens avaient peur d’en croiser un au détour d’une ruelle. Sans compter les bandits de mauvais augure que le Fléaux avait levé en même temps que les morts…
Il faisait beau aujourd’hui, ce qui était assez rare pour être souligné. Si la chaleur du soleil était agréable, elle faisait ressortir l’odeur des bourbiers macérant autour de la ville. Mais à Marbrume, il fallait savoir accepter les avantages comme les inconvénients…
   « Tu es silencieux, William. » me lança Haydée par-dessus l’épaule de sa sœur, « On dirait que quelque chose ne va pas… »
Je haussais les épaules :
   « Non, je vais bien Haydée. Je profite juste un peu du silence, ma cliente n’arrêtait pas de hurler cette nuit… »
Les deux sœurs et moi étions sortis pour profiter de la chaleur et d’un instant de répit pour faire une rapide toilette au puit non loin de la taverne de Marthe. D’habitude, nous procédions dans les cuisines. Mais aujourd’hui, Marthe avait besoin de toute la place possible : elle nettoyait et nous ne pouvions pas trainer dans ses pattes plus que nécessaire. Haydée lavait ses longs cheveux roux, alors que sa sœur, ses bas sur les genoux, frottait ses cuisses avec insistance. Je n’avais pas encore commencé mes ablutions, profitant du calme qui régnait sur la place publique ce matin.
   « Si tu ne te laves pas, tu vas finir par perdre des clients, William ! » dit alors Méridj avec un grand sourire.
   « Et toi, si tu perdais ton accent stupide en face des clients, tu crois qu’il se passerait quoi ? » répondis-je du tac-au-tac.
Les sœurs venaient de l’Est et si elles n’en avaient gardé aucune trace, elles aimaient faire croire aux clients que leur accent était des plus naturels. Ce dernier était aussi faux que les perles qu’on voyait aux colliers des femmes de la petite bourgeoisie. Haydée haussa les épaules et balança une claque sur la cuisse de sa sœur pour la faire taire. Puis, elle se tourna vers moi avec un sourire :
   « Tu veux de l’aide peut-être ? Ça fait longtemps que tu ne t’es pas déshabillé devant nous ! »
    « Non merci, je réserve ça aux clients ! » dis-je en riant.
Puis j’enlevais ma tunique et, prenant de l’eau dans mes mains, je commençais à frotter mes bras avec vivacité. Méridj me regarda faire d’un air quelque peu déçu alors que Haydée s’en retourna s’occuper de ses cheveux.
   L’eau ruissela avec satisfaction dans mon dos, sur les sillons rouges laissés par les ongles de ma cliente de la nuit précédente. Je lâchais un soupir de bonheur et m’asseyais sur le rebord du puit, laissant le soleil faire son travail. Les sœurs firent de même et nous passâmes quelques minutes ainsi, discutant de tout et de rien, mais surtout de l’argent que nous avions pu gagner durant la semaine.
   Un bruit de course nous fit relever les yeux. La jeune cuisinière de Marthe accourait vers nous, tenant ses jupons bien haut pour ne pas se prendre les pieds dedans. Haydée et Méridj eurent un rictus moqueur en voyant la jeune empotée. La pauvre fille se planta devant moi et m’adressa un sourire que je lui rendis aussitôt. Je crus un instant qu’elle allait tomber en arrière.
   « Il y a quelqu’un pour toi à la taverne ! » dit-elle très vite, le rouge aux joues. « Il a une lettre ! »
Je passais ma tunique et la boutonnais tout en répondant :
   « Il n’a qu’à la donner à Marthe, je la lirai en rentrant… »
Elle fit « non » de la tête et continua :
   « Il refuse de la laisser à quelqu’un d’autre que toi ! Il insiste ! »
Haydée et Méridj relevèrent les yeux avec convoitise. Nous savions tous ce qu’annonçait ce genre de chose. Les seules personnes qui ne voulaient pas ébruiter leur nom dans tout Marbrume étaient les nobles. Et les nobles payaient bien.
Bondissant de ma place, je tendis galamment un bras à la jeune cuisinière ainsi qu’aux deux sœurs.
   « Très bien, ne faisons pas attendre ce monsieur alors ! Viendrez-vous avec moi mesdames ? » dis-je avec un large sourire découvrant les fossettes sur mes joues.
L’empotée rougit comme elle n’avait jamais rougit et les sœurs gloussèrent avant d’attraper mon bras.
 
 
    A peine eussé-je franchis le pas de la porte de la taverne, entouré des rires des collègues de travail à mon bras, que Marthe me foudroya du regard. La jeune cuisinière se jeta dans l’arrière salle, non sans un dernier regard à la main qu’elle venait de lâcher. Haydée et Méridj sans s’arrêter de rire allèrent se poster dans un coin de la pièce pour assister à la scène en toute discrétion, ou presque. D’un signe de tête, Marthe me désigna un homme se tenant vers les escaliers du fond, raide comme un piquet. La mauvaise humeur se lisait sur son visage et le regard qu’il lançait sur les clients de la taverne en disait long sur l’idée qu’il s’en faisait. Classique.
   Je m’approchais et il me tendit la lettre qu’il tenait à la main. Comme à chaque fois qu’un noble faisait appel à moi, le papier de qualité et le cachet en cire me confirmèrent immédiatement la classe sociale de mon nouvel employeur.
   « Vous êtes en retard ! » me lança le laquais en reniflant et en m’inspectant. Il ne dut pas voir en moi quelqu’un de meilleur que tous ceux qu’il avait jugé jusqu’à présent.
S’il n’avait été le serviteur d’un puissant, je l’aurais remis à sa place. Mais il y avait de l’argent en jeu. J’utilisais donc ma plus belle arme : mon sourire. Ce dernier sembla l’apaiser quelque peu. Mes yeux brillèrent alors que je répondais :
   « Veuillez m’excuser, je m’étais absenté. »
Il releva un sourcil, comme pour dire « ça je le vois bien » avant de continuer :
   « Je préfère vous prévenir que mon maître n’aime pas attendre, soyez à l’heure ! Je vous conduirai !»
   Je hochais la tête doucement et il partit visiblement satisfait de quitter cet endroit pour un temps. Marthe, suivie des deux sœurs, m’empoigna alors par le bras et m’emmena de force avec elle dans ses cuisines, devenues à force de temps notre salle de discussion.
      Je rentrais et m’asseyais face à la table où trainaient quelques haricots. Je regardais l’enveloppe entre mes mains. Le messager n’avait pas attendu de savoir si j’acceptais le travail ou non avant de partir. Cela ne me disait rien de bon.
    « Il ne te laisse pas le choix on dirait… » fit Haydée, sur la même longueur d’onde.
    « On a toujours le choix ! » lança Marthe de sa voix bourrue qui trahissait pourtant son inquiétude.
Ce sentiment la rongeait à chaque fois qu’un client fortuné faisait appel à moi.
    « Pas toujours malheureusement… » soufflais-je doucement en ouvrant la lettre.
Je la parcourus rapidement, et lus :
 
« Monsieur Ward,
 
Des amis communs m'ont dit du plus grand bien de vous et des services que vous proposez. Le porteur de cette missive vous introduira auprès de moi afin que nous passions une soirée en toute discrétion.
 
Votre obligé,
Alcème de Vauront »
 
    Pendant quelques secondes, je me demandais si le type ne se fichait pas moi. Je crois bien que jamais personne ne m’avait appelé « Monsieur Ward », cela avait toujours été « William » aussi loin que je me souvienne. Seul mon père avait eu droit à ce privilège. Mais ce ne fut pas ce qui retint mon attention. Je m’attardais sur le nom de l’expéditeur : « Alcème de Vauront ». J’avais entendu parler de lui et de sa famille… pas en bien. Les rumeurs allaient bon train à Marbrume, et encore plus chez les filles et garçons de joie. Il fallait bien qu’on se tienne un minimum informé pour pouvoir survivre. Les rares rumeurs que j’avais entendu sur la famille de Vauront, une des plus influentes de la ville, n’avaient rien de rassurant. Les cadavres s’empilaient dans leur sillage et, bien évidemment, rien ne permettait de les accuser directement.
       Derrière moi, j’entendis Marthe retenir un juron. Puis, bousculant les deux sœurs, elle me prit dans ses bras en gémissant :
     « Ho non, William, pas toi, pas toi ! »
Je me dégageais d’un mouvement d’épaule et lançais :
    « Tu as encore lu, hein ?! Je t’ai déjà dit de ne pas faire ça ! C’est dangereux Marthe ! Les nobles n’aiment pas qu’on sache des choses sur eux ! »
La tavernière ne répondit rien, mais ses yeux semblaient dire « qu’ils viennent me chercher pour voir ».
   « Sans vouloir être mauvaise, je préfère que cela t’arrive à toi, plutôt qu’à moi… » lâcha Haydée de sa voix grave alors que sa sœur hochait la tête pour approuver.
Sans me retourner, continuant de fixer la lettre, je répondis :
   « Ta sollicitude me touche beaucoup, merci… »
Marthe se tordit les mains, avant de commencer à faire les cents pas autour de la table.
  « Refuse ! » dit-elle dans un grondement sourd.  « Refuse, n’y va pas ! Il se dit des choses horribles sur cette famille ! Sais-tu ce qu’il pourrait t’arriv… Par la Sainte Trinité ! Je ne veux pas y penser ! »
   Elles commencèrent à toutes aller de leurs rumeurs entendues sur le compte de la famille de Vauront dans mon dos. Sans dire un mot, je relisais la lettre. Ce type ne craignait pas de m’humilier alors même que je ne l’avais pas encore rencontré. « Votre obligé », voilà qui était charmant… mais totalement cynique. Alcème de Vauront savait très bien qu’il n’était en rien « mon obligé ». Sa position lui assurait tout pouvoir sur moi, garçon des couches sociales les plus miséreuses de Marbrume. Je sentais que sa puissance cachait quelque chose de beaucoup sordide, comme j’avais pu le voir si souvent chez les nobles. Si je me rendais chez lui, les sillons rouges dans mon dos de la nuit dernière se transformeraient vite en promenade de santé.
    Rapidement, je pesais le « pour » et le « contre ». Je pouvais toujours refuser de me présenter au rendez-vous. Mais après ? Je serais sauf pour la nuit, évitant une longue torture. La suivante, je serais sans doute mort… ou pire. Alcème de Vauront m’avait révélé son nom, chose que les nobles préfèrent éviter, et il m’avait convoqué… Que les nobles fassent appel aux services des filles de joie n’était un secret pour personne. Mais qu’un homme de la noblesse engage un garçon… Cela ne pouvait se dire, même derrière les portes les plus cloisonnées. L’aristocratie n’aimait pas que les gens du peuple connaissent trop de choses sur son compte.
     Alcème de Vauront m’avait donné un nom et un secret aussi puissant que dangereux. Je ne me serais même pas risqué à le faire chanter. Que je refuse de venir le voir et je disparaissais aussi sûrement que le soleil derrière les nuages sur les landes où j’avais passé mon enfance. Il ne laisserait jamais quelqu’un comme moi se balader dans tout Marbrume avec un secret pareil en poche. Pas même si je jurais de ne rien dire. Pire, il pourrait même se débarrasser de Marthe et des filles pour plus de sécurité…
    Je levais les yeux. Marthe et les deux sœurs déblatéraient toujours leurs rumeurs. En face de moi, la jeune cuisinière me regardait, des larmes aux coins des yeux. Je lui adressais un grand sourire, ainsi qu’un clin d’œil avant de me relever et de me diriger vers le broc d’eau à côté du four. Marthe sembla comme frappée par la foudre.
    « Mais qu’est-ce que tu fais ?! » me demanda-t-elle d’une voix brusque.
Je pris le broc et, posant mon pantalon sur une chaise proche, j’entrepris de me frotter les jambes vivement.
     « Il faut bien que je sois présentable devant un client ! » répondis-je d’une voix neutre.
     « Tu ne vas pas y aller ?! » hurla la tavernière avec colère.
Frottant une tâche de boue sur ma cheville, je lui répondis :
      « Les nobles payent bien, voilà tout ! »
      « William… »
Je ne répondis pas. Cela ne servait à rien. Le reste de ma toilette se passa dans le silence le plus complet. Quand la peau laiteuse de mes jambes fut assez blanche, je repris mes vêtements et sortis des cuisines. Les filles me suivirent brusquement, comme si elles pouvaient me retenir.
 
           Le valet était déjà là. Son regard n’avait pas changé. Quand il me vit arriver, il renifla de nouveau.
           « Cette fois, vous êtes à l’heure ! »
          « Je ne fais jamais attendre mes clients, monsieur ! » dis-je d’une voix polie avec un léger sourire.
Il ne fit aucun commentaire :
           « Suivez-moi. » déclara-t-il simplement en se détournant.
Je lançais un sourire à Marthe et aux filles avant de refermer la porte. Si l’inquiétude de la tavernière m’arrachait le cœur, les larmes de mon empotée préférée me transperçaient.
 
     Je me doutais de la richesse de la famille de Vauront, mais la vue de leur demeure me certifia de leur position ! Le moindre centimètre carré était constitué des matières les plus nobles que l’on put trouver dans les contrés de notre terre. Si je ne m’étais pas déjà trouvé dans ce genre de situation, j’aurais eu à rougir de mes vêtements. A côté des plus simples rideaux du manoir, ils donnaient l’impression d’être des loques bonnes à jeter.
     Le serviteur me fit traverser un dédale de couloir où je pus admirer toute la magnificence des lieux et les innombrables portraits des ancêtres, tous aussi illustres les uns que les autres si l’on en croyait les descriptions. Les nobles aimaient montrer leurs richesses. Pendant longtemps, je m’étais interrogé sur cette pratique. Au fil du temps, j’avais finis par comprendre que ces richesses étaient devenues leur seule identité. Ils ne se définissaient que par elles, leurs valeurs dont on avait eu coutume de vanter les mérites s’étant rapidement taries. Le message était clair : « comprends ta place et tout ira bien… ou presque ». De plus en plus, il m’apparaissait que cette nuit allait être difficile.
      L’homme qui me conduisait s’arrêta brusquement devant une immense porte en bois richement ouvragée et je manquais de lui rentrer dedans sans y faire attention. Sans se retourner, il dit :
      « Veuillez attendre. »
J’eus envie de lui signaler que je ne faisais que cela, mais préférant rester encore un peu en vie, je ne dis rien. Il toqua à la porte et passa discrètement la tête pour annoncer ma présence. Il finit par se retourner vers moi, et me fit rapidement signe d’entrer, avant de partir, non sans une certaine raideur. Je déboutonnais le haut de ma tunique, dévoilant ma clavicule avant d’arranger mes cheveux. Respirant le plus lentement possible, je franchis la porte ouvragée.
       Pour la première fois depuis longtemps, l’appréhension me dévorait le cœur.
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MessageSujet: Re: Une soirée en toute discrétion (Alcème et William)   Une soirée en toute discrétion (Alcème et William) EmptyMar 15 Mar 2016 - 14:54
La tête du valet apparue dans l’encablure de la porte, informant le jeune noble que son invité était arrivé.

Alcème hocha simplement la tête et quelques seconde plus tard le garçon de passe faisait son entrée. Son évidente beauté et ses longs cheveux emplirent la pièce instantanément. Ses traits fins et juvéniles appuyaient son regard pétillant et joyeux.Sa clavicule offerte au regard gourmand du jeune noble était la promesse d'une nuit chaude et délicieuse...

Alcème perçu également une pointe d'inquiétude dans son attitude. Il se sentait probablement mal à l'aise prés d'un noble qui n'avait pas peur de cacher son nom aux yeux d'un homme tel que lui. Cela excitait follement Alcème qui goûtait le plaisir d'avoir l'ascendant complet sur un être humain, que ce soit par sa naissance, son rang ou le pouvoir de le faire disparaître d'un claquement de doigts.

Alcème se leva et l'accueillit avec toute théâtralité qui allait de pair avec la situation.

Monsieur Ward ! Ravi que vous ayez trouvé le temps pour vous libérer et répondre si vite à mon invitation ! Je vous souhaite la bienvenue dans la Maison des De Vauront. Je vous en prie prenez place autour de cette belle table et faisons connaissance dans les règles de l'art...

Le jeune noble se rassit, attrapant sa coupe de vin et continuant son discours.

Comme je vous l'ai indiqué dans ma lettre, j'ai entendu le plus grand bien de vous. La bienséance m'interdit de vous révéler l'identité de nos amis communs, mais sachez que vous avez fait forte impression. Je suis d'un naturel curieux, voyez-vous ; et je vous ai fait venir pour vérifier les rumeurs qui courent sur vous.

Alcème se pencha en avant et chassa d'une main distraite la contrariété dont il entretint le garçon de passe.

Évitons les grossièretés en matière d'argent et de sécurité, voulez-vous ? Votre prix sera le mien pour passer une nuit ici et vous avez ma parole de ressortir au petit matin en un seul morceau. Je n'ai pas besoin de vous dire qu'il vous faudra être discret sur notre entrevue, j’imagine que cela fait partie de votre métier...

Le jeune noble se tut quelques instants afin de laisser se graver ses mots dans l'esprit de William. Il repris d'un voix posée et enjouée, ouvrant officiellement la soirée.

Comme je l'ai évoqué plus tôt, j'aime faire connaissance avec mes hôtes. Alors Monsieur Ward, pouvez vous m'en dire plus sur vous ?

En même temps qu'il posait sa question, Alcème désigna la table d'un geste ample.

Et n'hésitez pas à vous servir en même temps en nourriture et en vin tandis que nous parlons ! Les arts de la table éveillent aussi bien le corps que l'esprit et je gage que nous aurons besoin de l'un et l'autre pour notre soirée...
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MessageSujet: Re: Une soirée en toute discrétion (Alcème et William)   Une soirée en toute discrétion (Alcème et William) EmptyDim 20 Mar 2016 - 22:08
« Faire connaissance dans les règles de l’art… »
 
Le seul art que je maîtrisais parfaitement m’indiquait de laisser mon hôte avoir une connaissance approfondie de ma personne. Mais ce n’était sans doute pas ce qu’il souhaitait laisser entendre… du moins, pas tout de suite.
             J’avançais en prenant soin de faire rouler mes hanches, comme à chaque fois. Je mordis légèrement mes lèvres pour les laisser se teinter de rouge. L’appréhension devait se lire sur mon visage, malgré tous mes efforts pour la dissimuler. Alcème de Vauront l’avait très bien vu. Son sourire en disait long… J’étais sûr qu’il devait apprécier de voir que j’avais parfaitement conscience de son pouvoir et de tout ce que cela impliquait pour moi.
Mon hôte était assis à l’autre bout de la table qu’il avait fait richement dresser, un verre de vin à la main. J’avançais en le regardant et je pus voir à quoi il ressemblait. Si les rumeurs qui circulaient sur lui n’étaient pas des plus reluisantes, elles ne manquaient jamais de mentionner un homme bien fait de sa personne. Beauté fatale, coqueluche de ses dames. Beaucoup de filles de la noblesse devaient rêver de l’épouser. A première vue, il avait l’air du gendre idéal…
        Une de mes collègues de travail, « Charlotte la zozote » comme on l’appelait à cause de son défaut d’élocution, était toujours en train de fouiner à droite à gauche pour trouver quelques rumeurs sur lui et quelques autres nobles. Elle venait nous les raconter le soir, quand nos derniers clients étaient partis depuis longtemps, ne comprenant pas que nous ne voulions pas être mêlé à cela. A Marbrume, c’était bien de connaître les rumeurs qui tournaient, c’était mieux de les garder pour soi. Un petit matin Charlotte la zozote était venu me trouver au saut du lit pour me dire de sa voix stridente :
       « Ze l’ai vu près des faubourgs ! »
       « Qui ? » avais-je demandé en retenant un bâillement et en manquant de la ficher à la porte.
       « Alzème de Vauront pardi ! »
J’avais instantanément arrêté de l’écouter. Je ne voulais pas plus d’ennuis que nécessaire ! Déjà à l’époque, j’en avais entendu assez sur cette famille. Mars Charlotte la zozote n’avait pas manqué de me parler sans discontinuer de la beauté du fils de l’influente famille sans que je n’y prête vraiment attention. Je n’ai jamais su si c’était à cause de qu’elle avait pu apprendre sur lui ou sur un autre noble de Marbrume, mais autant dire que Charlotte la zozote n’avait pas zozoté longtemps sur le compte d’Alcème de Vauront…
        Pourtant, je ne pouvais que lui donner raison, c’était un beau garçon. Et il devait très bien le savoir. Il se tenait comme se tiennent la plupart des nobles : le dos droit, le port altier. Il était la parfaite représentation de sa condition. Ses vêtements, plus belles soieries qu’on pouvait certainement trouver à des lieux à la ronde, le sublimaient parfaitement.

       Alors que je le détaillais, il en faisait de même. Cela amena rapidement nos yeux à se croiser. Si nos pupilles présentaient la même couleur, elles ne brillaient pas du même éclat. Ma mère croyait fermement que les yeux étaient le miroir de l’âme. « Regarde quelqu’un dans les yeux…» disait-elle «… et tu sauras si tu peux te fier à lui ou pas ! ». Mon père n’ajoutait rien, mais je savais qu’il pensait de même. Le conseil de ma mère n’était pas tombé dans l’oreille d’un sourd, le seul problème était qu’à Marbrume, on avait rarement l’occasion de croiser le regard de quelqu’un… Pour une fois, je regardais un noble directement dans les yeux. C’était assez rare, et si j’avais fait ça dans la rue, j’aurais été récompensé d’un bon coup de pied. Mais Alcème de Vauront n’avait pas l’air de s’en soucier pour l’instant. Il savait très bien que son simple regard me faisait passer un message important. « Ce soir, tu es à moi et je ferais ce que je voudrais ». J’étais prévenu. Il avait l’âme aussi noire que les ailes des corbeaux sur les remparts de la ville.
 
      D’un geste théâtral, il m’invita à m’assoir à ses côtés. J’avais rarement dîné avec mes clients. J’arrivais généralement après le repas et j’avais droit à un tout autre traitement. Les seules personnes qui appréciaient ma compagnie à leur table étaient les petites veuves de la ville. Je m’assis le plus calmement possible, alors que ses yeux restaient fixés sur moi.
      Une coupe de vin était déjà remplie devant moi et je l’en remerciais d’un sourire. Je n’avais jamais aimé le vin. Peut-être parce que je n’avais jamais été habitué à son goût ? Peut-être parce que la plupart des clients que j’avais eu possédaient une haleine abominable à cause de lui pendant les passes ? Les deux certainement. Alors que j’allais tout de même tendre la main pour saisir mon verre, celle de mon hôte entra dans mon champ de vision. Ses doigts fins ramenèrent mon regard vers le sien alors qu’il dit :
     « Évitons les grossièretés en matière d'argent et de sécurité, voulez-vous ? Votre prix sera le mien pour passer une nuit ici et vous avez ma parole de ressortir au petit matin en un seul morceau. Je n'ai pas besoin de vous dire qu'il vous faudra être discret sur notre entrevue, j’imagine que cela fait partie de votre métier... »
      Sans hésitation, j’eus un sourire enfantin alors que je lui répondis d’une voix que je voulais joyeuse :
      « Je suis toujours discret avec mes clients, monseigneur, c’est le propre de mon métier. »
Bien évidemment, il était certaines prostituées qui avaient la langue bien pendue, mais elles ne faisaient pas carrière longtemps avant de se retrouver égorgées dans leur lit. Il se contenta de garder le silence et de me regarder. Sans doute pour que ses paroles ne puissent m’échapper le reste de la soirée. Cela n’était pas sans installer une certaine tension dans la pièce.
     Essayant de la briser, d’un geste leste, je passais doucement une main dans mes cheveux et jouais avec une longue mèche que j’entortillais autour d’un de mes doigts, sans lâcher son regard. Je laissais mes cils papillonner, comme le ferait une jeune fille en plein épanouissement. Pendant quelques instants, nous restâmes ainsi. A nous regarder, lui m’évaluant, moi jouant les séducteurs. Peut-être s’estima-t-il satisfait, puisqu’il poursuivit :
     « Comme je l'ai évoqué plus tôt, j'aime faire connaissance avec mes hôtes. Alors Monsieur Ward, pouvez-vous m'en dire plus sur vous ? »
D’une voix enjouée, il ajouta, tout en me montrant la table :
      « Et n'hésitez pas à vous servir en même temps en nourriture et en vin tandis que nous parlons! Les arts de la table éveillent aussi bien le corps que l'esprit et je gage que nous aurons besoin de l'un et l'autre pour notre soirée... »
Le repas présentait des mets raffinés, du genre de ceux que je ne pouvais m’offrir même en un an de salaire. J’avais faim. Ces derniers temps, la soupe de Marthe n’avait pas eu d’autres choix que de s’éclaircir de plus en plus. Personne ne s’en plaignait, c’était déjà bien de l’avoir. Mais si elle avait pu être un peu plus opaque… J’hésitais, peut-être que les plats comportaient un poison quelconque ? Cela n’aurait pas été la première fois. Je ne souvenais d’un client noble qui m’avait servi un verre de vin, mon premier, comportant une très légère dose de poison. J’avais passé la nuit à geindre et à pleurer de douleur alors que le vieux sadique prenait son pied. Fort heureusement pour moi, il était mort la semaine d’après, foudroyé par son propre poison qu’un serviteur avait versé par inadvertance dans son verre. Je me reprenais et mordis ma lèvre à nouveau. Mon hôte n’avait-il pas dit que je sortirai de chez lui vivant ? Certes, cela n’excluait pas une action vicieuse de sa part, mais c’était déjà un bon début. Et puis, il consommait lui-même ces plats. Cela me rassura quelque peu. Toutefois, il me sembla impoli de commencer à manger alors que mon client m’avait posé une question : «  pouvez-vous m'en dire plus sur vous ? »
               J’hésitais. La vérité était qu’il n’y avait pas grand-chose à dire sur moi. J’étais un garçon de passe, point. Et puis, cet homme devait déjà savoir bon nombre de choses sur moi. Les nobles ne faisaient pas entrer quelqu'un chez eux sans connaître les moindres parcelles de sa vie. Quand au reste… non, il n’y avait même pas de reste à vrai dire. Je préférais une certaine sincérité avec mes clients, exception faîte d’une demande d’avis sur leurs performances au lit. Dans ce cas-là, je n’avais souvent pas d’autre choix que de mentir. D’une voix douce, je déclarais alors :
         « Vous pouvez m’appeler William, Monseigneur. Je crois bien que personne ne m’a jamais appelé « Monsieur Ward ». Je ne suis pas une personne fort intéressante. J’ai bien peur que ma vie n’ait rien de merveilleux, je ne vis pas grands choses d’intrépide. Je quelqu’un de banal, Monseigneur, contrairement à ce que nos amis ont pu dire sur moi. »
J’entrouvris alors légèrement mes lèvres et posais élégamment une main sur ma poitrine avant d’ajouter :
 
         « Je ne suis qu’un simple garçon de passe, Monseigneur. Et, ce soir, je suis à vous. »
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MessageSujet: Re: Une soirée en toute discrétion (Alcème et William)   Une soirée en toute discrétion (Alcème et William) EmptyMar 22 Mar 2016 - 15:10
Le garçon de passe minaudait comme jamais.

Alcème appréciait le spectacle de sa beauté qu'il mettait parfaitement en scène. Comment résister à ce doigt entortillé dans ses superbes cheveux, ce papillonnement exagéré de cils ou ce sourire enfantin qui illuminait son visage ? Le garçon avait tout pour plaire, tout pour exciter les plus bas instincts des hommes les plus dominateurs de Marbrume.

Alcème se targuait d'être de ceux là mais il mettait un point d'honneur à ne pas l'étaler sur la voie publique. Même si il savait que des histoires couraient sur son compte et celle de sa famille, il ne voulait attirer aucun ennui sur sa Maison. Seule la Trinité savait combien il mourrait d'envie de se jeter sur le jeune William pour lui arracher sauvagement ses habits et commencer immédiatement à prendre son pied.

Mais Alcème aimait aussi prendre son temps et trouvait une certaine excitation à se contraindre à attendre alors qu'il au pu prendre le garçon dans la seconde. Il but une rasade de vin pour se contenir tandis que William lui disait qu'il n'était personne.

Comment pouvait-on être personne ? C'était une notion qui était étrangère à Alcème. Parfois il se déguisait pour être quelqu'un d'autre, parfois il dissimulait ses véritables intentions ; mais jamais il n'était personne. Il restait Alcème de Vauront en toute circonstance, seul ce qu'il laissait transparaître changeait. Les derniers mots de William donnèrent l'explication au noble : il était personne car il serait celui qu'Alcème voulait qu'il soit.

Cependant le jeune noble n'aimait pas que les gens se griment et préférait savoir à qui il avait à faire. Il pris le temps de déguster une autre rasade de vin et répondit au garçon de passe.

J'apprécie votre franchise William. Les gens qui ont conscience de leur rang et savent le garder sont une bénédiction en ces temps troubles. Les héros pourfendeurs de Fangeux deviennent de plus en plus nombreux, ils en oublient souvent leur naissance et qui devrait être à la tête de cette ville.

Mais il ne faut pas non plus nier votre identité. Vous venez bien que quelque part, n'est-ce pas ? Vous allez probablement quelque part également ? Et bien tout ce qu'il y à entre ces deux points constitue votre identité. Les rencontres, les joies, les peines, les doutes... Bref tout ce qui se présente à vous et suscite une réaction, c'est ça votre identité.


Alcème marqua une courte pause et repris en faisant briller ses yeux d'une lueur inquiétante.

Comme vous l'avez si bien dit mon cher William, vous êtes à moi ce soir. Et pour l'instant ce que je veux de vous, c'est savoir c'est qui vous êtes...
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MessageSujet: Re: Une soirée en toute discrétion (Alcème et William)   Une soirée en toute discrétion (Alcème et William) EmptyMer 23 Mar 2016 - 18:08
       « Les gens qui ont conscience de leur rang… »


   Ce n’était pas comme si nous avions le choix. Rien que l’architecture de la ville parlait d’elle-même ! Les nobles sur les hauteurs, dominant la plèbe des quartiers boueux et populaires. Les gens du peuple ne souhaitaient pas garder leur rang, ils le faisaient parce qu’ils n’avaient pas le choix. Ce n’était pas par plaisir que je disais n’être personne, c’était avant tout parce que je n’étais précisément personne dans cette ville. Je pouvais disparaître sans que cela ne perturbe l’activité de la cité. J’étais un peu tout le monde à la fois. Cela dépendait du client. A tour de rôle, je devenais amant, esclave, ami, confident… Et quand je n’étais pas tous ceux-là, j’étais simplement William.
               J’attrapai la coupe de vin devant moi pour cacher ce dont j’étais en train de penser. Quelque chose me disait que mon hôte ne serait pas ravi d’entendre mes réflexions personnelles. Sans me départir de mon sourire, j’observais l’homme devant moi. Il ne semblait pas véritablement apprécier la réponse que je venais de fournir. Son visage s’était quelque peu fermé, comme s’il réfléchissait à quelque chose.
               Finalement, il reposa ses yeux sur moi. Je ne perdis pas mon sourire, mais c’était simplement l’habitude du métier qui parlait. Si j’avais été William, j’aurais sans doute détalé sans demander mon reste. Alcème de Vauront n’appréciait sans doute pas qu’un simple garçon de passe refuse de répondre à ses questions. Après tout, le peuple n’avait qu’à connaître sa place, non ? D’une voix sourde, il me demanda de lui révéler qui j’étais… pour de vrai cette fois.
 
« Vous venez bien que quelque part, n'est-ce pas ? Vous allez probablement quelque part également…»
« … Les rencontres, les joies, les peines, les doutes... Bref tout ce qui se présente à vous et suscite une réaction, c'est ça votre identité. »
 
Je mordis ma lèvre d’un air embarrassé. Bien sûr, si j’avais laissé transparaitre toutes mes émotions, j’aurais perdu mon sang froid. Ce petit air d’enfant pris sur le fait était une de mes seules échappatoires. Mais Alcème de Vauront n’en avait pas fini avec moi. Il se pencha vers moi, ses yeux brillants d’une lueur mauvaise. De la même voix sourde, tout en me fixant, il déclara :
 
      « Comme vous l'avez si bien dit mon cher William, vous êtes à moi ce soir. Et pour l'instant ce que je veux de vous, c'est savoir c'est qui vous êtes... »
 
      Je me serais donné des gifles. Moi qui avait juste voulu faire mon travail correctement, voilà que je me retrouvais pris à mon propre jeu. Cela m’énervait au plus haut point. Mais j’étais là pour jouer un rôle après tout…
      Pour autant, je n’avais aucune envie de confier toute ma vie à Alcème de Vauront. Je n’avais jamais rien confié sur moi à un client d’ailleurs… La seule qui connaissait mon passé et mon histoire était Marthe. Je venais d’avoir dix-sept ans et un soir, après un client difficile, j’avais craqué. Nous avions fini par nous retrouver tous les deux dans sa cuisine, devant un bol de soupe et j’avais déballé tout ce que j’avais sur le cœur. A quel point mon chez moi me manquait. A quel point tout était plus simple quand j’étais un enfant. A quel point je haïssais Marbrume et ses habitants. Et surtout, à quel point j’en voulais à mes parents d’être morts et de me laisser seul dans un monde proche du chaos. Ce passé, cette histoire-là était encore un autre William. Je ne souhaitais pas qu’il soit en possession de qui que ce soit. Je ne souhaitais pas qu’on connaisse ma mère, comme je ne voulais pas qu’on sache comment était mon père. Tout cela était au plus profond de moi, bien enfoui, comme une sorte de refuge. Un refuge dans lequel je ne m’étais pas rendu depuis longtemps maintenant, mais qui était toujours là.
        Mais ce soir, les choses étaient différentes. C’était ce que me disaient les yeux du jeune noble plantés dans les miens. Il n’était pas seulement question de moi. Marthe et les filles entraient en jeu aussi. Je ne voulais pas qu’il leur arrive quelque chose. J’avais une certaine affection pour elles… et puis, si je ressortais vivant d’ici, sans elles, je me retrouvais à la rue. Il allait falloir que je laisse mon hôte assiéger ce refuge… Je ne pouvais pas me détourner plus longtemps…
      Doucement, j’ouvris les lèvres, mes cils papillonnant. Mon air d’enfant coupable sur le visage, je déclarai :
    « Vous avez raison, Monseigneur. Veuillez excuser ma méprise. »
J’enroulais à nouveau mes cheveux autour de mon index et jouais avec d’un air distrait alors que je faisais semblant de chercher mes mots.
    « Vous l’avez sans doute remarqué, Monseigneur, mais je ne viens pas de Marbrume. Je suis originaire des contrées à côté de celle-ci. Il n’y a pas de villes aussi grandes là-bas… juste des petits villages. »
Je bus une gorgée de vin pour me donner du courage. Il était sans doute très bon, mais il avait un goût amer dans ma bouche. Vraiment… ce n’était pas une boisson faîte pour moi.
      « Je ne vais nulle part non plus… Il n’y a plus vraiment d’endroits où aller en ce moment. Vous l’avez sans doute vu, Monseigneur. »
      « Mon père était de là-bas… le petit village. Mais parfois, il venait travailler à Marbrume quand il était jeune. Il était marin, sur les vaisseaux de commerce… Il a rencontré ma mère dans un pays étranger. »
Je laissais un instant de silence s’installer, avant de reprendre dans la langue que ma mère m’avait léguée :
      « Ελλάδα… C’est le nom du pays. D’après ma mère, c’est un pays où on aime les histoires. Il y en a tout un tas. »
      Je repensais à toutes celles qu’elle m’avait raconté quand, enfant, je trainais trop dans ses pieds. Toujours pleines de héros allant tuer des monstres, réclamant leur trône à leur famille. Les héros venaient tous d’une famille haut placée, mais ils ne prouvaient leur valeur que par leurs actions. Ma mère m’avait dit qu’un des plus célèbres héros avait gagné un trône en trouvant la réponse à l’énigme d’un monstre féroce, alors qu’il ne se considérait que comme un simple paysan. Plus tard, j’avais appris que ce fameux héros avait, sans le savoir, fini par épouser sa propre mère. J’avais trouvé cela dégoutant, mais j’admirais toujours ce personnage pour avoir gagné son trône, non pas grâce à sa lignée, mais grâce à sa valeur. J’aurais pu raconter cette histoire à mon hôte, mais il aurait sans doute pris la mouche.
       « Ils sont morts tous les deux, Monseigneur. » ajoutais-je d’une voix légèrement plus triste que précédemment.
Sinon je ne serais pas ici, en train de me vendre à toi comme un esclave… Voilà ce que je pensais au fond de moi, mais je ne pouvais pas l’énoncer. A la place, je repris de ma voix enfantine, un sourire parfaitement accordé collé sur le visage :
        « Mais, n’est-il pas inutile de ressasser ce genre de choses ? Je ne tiens pas à vous rendre triste, Monseigneur ! »
Alcème de Vauront n’aurait jamais pu être ému par la mort de deux paysans dont il ignorait l’existence quelques secondes plus tôt.
         « J’ai bien peur qu’une fois arrivé à Marbrume, vous ne connaissiez déjà la suite de l’histoire ! Pour tout vous dire, elle est assez répétitive et ennuyeuse, elle ne vous amuserait pas du tout, Monseigneur ! »
       Je ponctuais la fin de ma phrase d’un sourire tendre. Mon hôte du soir avait eu ce qu’il voulait. Rien de bien existant en somme. Cette histoire était commune à beaucoup de personne. Toutes n’avaient pas finies comme moi, mais quelque soient les destins, nous ne devions pas être dans des situations terriblement différentes.
     Reprenant mon air enfantin, je me tournais à nouveau vers mon inquiétant client.

       « Comme je vous l’avais dit, Monseigneur, je ne suis pas grand-chose d’intéressant dans ce vaste monde… »
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MessageSujet: Re: Une soirée en toute discrétion (Alcème et William)   Une soirée en toute discrétion (Alcème et William) EmptyVen 25 Mar 2016 - 13:47
Lorsque William eut terminé Alcème bu une gorgée de vin, parfaitement satisfait.

Le garçon avait raconté son histoire, probablement pas entièrement et de façon très vague, mais il l'avait racontée. Le jeune noble n'était pas vraiment intéressé par son histoire, il se doutait bien qu'elle devait être de la même teneur que toutes celles de miséreux de Marbrume. Ce qu'il voulait voir, c'était comment le garçon de passe réagissait lorsqu'on le mettais au pied du mur.

La réponse était simple : il pliait tout en se ménageant une porte de sortie. Voila qui était malin, très malin. Alcème était content de voir qu'il avait a faire à quelqu'un de docile mais suffisamment intelligent pour ne pas tomber dans le premier piège venu.

Le jeune noble repris son rôle et poursuivi la conversation.

Merci d'avoir partagé une partie de votre histoire avec moi, William. Vous êtes loin d'être aussi inintéressant que vous le pensez, mais vous avez raison sur un point : ne laissons pas tourner notre belle soirée au lugubre à cause des histoires tristes et scabreuses.

Nous sommes ici pour nous amuser, n'est-ce pas ?


Alcème se pencha en avant et baissa la voix comme on le ferait pour s’adresser à un confident.

Vous savez ce que nous allons faire maintenant ? Nous allons jouer un peu...

Nous allons nous lever et nous poser mutuellement des questions. Nous allons écouter la réponse de l'autre et si nous pensons qu'il ment, nous avancerons d'un pas. N'hésitez pas à poser plusieurs questions, nous avancerons d'autant de pas que de réponses estimées mensongères...

Nul besoin de se justifier si l'on pense que l'autre ment, on se contentera juste d'avancer d'un pas sans dire un mot...


Sans attendre sa réponse, Alcème se leva. Il estimait la distance qui le séparait de William d'environ 5 mètres, soit presque 10 questions. Avec ce jeu, Alcème continuer à tester le garçon de passe à la fois dans ses questions, ses réponses et sa réaction. Il n'avait pas encore décidé ce qu'il se passerais lorsqu'ils seraient face à face mais quelques idées particulièrement lubriques germaient dans son esprit.

Il tendis la main vers son hôte, la paume vers le ciel.

Vous êtes mon invité mon cher William, à vous l'honneur de poser la première question...

Alcème posa son verre en le claquant sur la table pour signifier au garçon que la soirée allait véritablement commencer.
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MessageSujet: Re: Une soirée en toute discrétion (Alcème et William)   Une soirée en toute discrétion (Alcème et William) EmptyDim 27 Mar 2016 - 23:08
       Nous amuser… Voilà quelque chose que je connaissais. Que je maîtrisais. Ça faisait partie intégrante de mon travail, bien que je n’étais que rarement celui qui « s’amusait ». Je battis des cils d’un air interrogateur, même si je savais très bien ce que mon hôte entendait par là. Je me penchai en avant, le col ouvert de ma chemise dévoilant alors une partie de mon buste. Alcème de Vauront entrait dans le vif du sujet.
      L’ordre qu’il m’avait donné plutôt semblait avoir trouvé une réponse acceptable à ses yeux, mais il n’était qu’une ébauche de ce que souhaitait le jeune noble. Je me doutais que le fils de la famille aimait qu’on se plie à ses demandes. Pour lui, le peuple n’était sans doute bon qu’à cela. Et encore plus les garçons de passe comme moi… C’était mon rôle après tout, n’est-ce pas ? Ses dernières paroles me revinrent en mémoire. « Des histoires tristes et scabreuses », hein ? Voilà à quoi se résumait ma vie dans la bouche d’Alcème de Vauront. J’en aurait craché de dépit si cela ne pouvait me coûter la vie. J’aurais aimé lui dire que ces histoires-là n’avaient lieux qu’à cause de types comme lui. A la place, je mordis ma lèvre d’un air impatient et demandais d’une voix enfantine :
      « A quoi pouvons-nous jouer, Monseigneur ? »
Je me doutais bien du fin mot de tout cela. Quel que soit le jeu qu’allait choisir mon hôte, il allait se terminer comme tous les autres. Le noble sembla prendre son temps avant de me répondre. Finalement, il dit :
 
« Nous allons nous lever et nous poser mutuellement des questions. Nous allons écouter la réponse de l'autre et si nous pensons qu'il ment, nous avancerons d'un pas. N'hésitez pas à poser plusieurs questions, nous avancerons d'autant de pas que de réponses estimées mensongères... »
 
       Je restais coi. Peut-être n’avait-il pas fini et je ne coupais jamais la parole à un client. Il y avait trop d’enjeux à perdre. Il ajouta simplement qu’aucune justification n’était demandée pour s’avancer. Je gardais le silence, le temps d’analyser ce qu’il voulait vraiment de moi. Je me doutais bien de ce qu’il allait arriver quand nous nous retrouverions face à face… mais avant ça ? Rapidement, sans me départir de mon expression d’enfant un peu trop sage, je calculais et tentais de trouver une solution à cette nouvelle énigme.
     Alcème de Vauront aimait dominer. Ce n’était pas dur de le comprendre. Après tout, il m’avait, sans pour autant le dire de vive voix, ordonné de raconter ma vie et m’avait fait comprendre que je n’avais pas intérêt à refuser. Ce nouveau jeu n’était qu’une façon de plus de montrer son pouvoir. Un test pour voir jusqu’où j’étais capable de le suivre. C’est-à-dire, si je tenais à la vie, jusqu’aux dernières limites qu’un corps et un esprit puissent endurer.  Cette nuit allait être difficile… comme plusieurs autres l’avaient déjà été. Je pressentais que le jeune noble allait vouloir me mettre sous pression par tous les moyens possibles. J’étais son jouet pour la nuit, l’animal de compagnie qu’on aime épuiser et tourmenter.
      Cependant, j’avais la certitude que si Alcème de Vauront aimait dominer, il aimait aussi être surpris. Pas défié, mais simplement surpris. Je ne pouvais que me conformer aux ordres qu’il me donnerait, mais je pouvais toujours flirter avec l’impertinence enfantine que les clients aimaient tant.
    J’allais ouvrir la bouche à nouveau pour lui signifier quelle idée merveilleuse il venait d’avoir, bien que je n’en pensais pas un mot, mais il me devança :
    « Vous êtes mon invité mon cher William, à vous l'honneur de poser la première question... »
 
     Cette simple phrase eut le don de me donner des sueurs froides. Poser une question à un noble et attendre de lui qu’il vous réponde. Voilà bien une chose que les hommes d’une condition aussi basse que la mienne ne pouvaient se permettre. Poser une question à un noble, c’était lui faire remarquer notre présence crasseuse et indigne. Faire remarquer notre présence, l’imposer ainsi, c’était être bon à recevoir un châtiment en conséquence. Il était hors de question pour la noblesse de considérer, ne serait-ce qu’un seul instant, l’existence des miséreux dans notre genre. Cela faisait mauvais genre de lier sa vie avec des gens aussi peu recommandable.
     Bien entendu, durant tous les jeux que je pouvais avoir avec mes clients, il m’arrivait de poser une ou plusieurs questions. Mais elles tournaient toutes autours du plaisir que je pouvais leur offrir et de la soumission qu’ils attendaient de moi.
     Je ne pensais pas une seule seconde que mon hôte puisse être sincère, bien évidement. Si une de mes questions lui semblait trop indiscrètes, il pouvait toujours l’évincer. Alcème de Vauront n’attendait que de pouvoir mentir pour me voir me rapprocher de lui. Pour autant, je ne pouvais pas me permettre d’aller trop loin. Nul doute que le jeu s’arrêterait aussitôt. Et pour moi, ce serait la promesse d’une nuit douloureuse, dans tous les sens du terme. Il allait falloir que je sois prudent, très prudent.
 
    La paume de la main tendue vers moi, mon hôte m’invitait à me lever. Alors que je repoussais ma chaise doucement, il posa brusquement son verre sur la table. Le bruit qu’il fit sembla résonner dans la pièce comme un glas. Il annonçait que les choses sérieuses commençaient. Le plus rapidement possible, je cherchais une question à poser. Plusieurs me vinrent en tête, dont une sur le sort de Charlotte la zozote, mais aucune ne me semblait adaptée. Je ne pouvais pas me permettre une question sur la vie privée de mon hôte. Avais-je seulement envie d’avoir des précisions sur la façon dont Alcème de Vauront gérait sa vie ?... Probablement pas. Je sentais les yeux de mon client posés sur moi, me fixant, attendant une réponse… ou plutôt une question. Si je tardais trop, il allait perdre patience. Et je ne souhaitais cela pour rien au monde.
    Me décidant enfin, je rejetais mes cheveux en arrière d’un geste souple, portais ma main droite à ma clavicule et la caressait du bout des doigts. Ma seule solution était de faire ce que je savais encore le mieux faire. Je n'avais pas d'autre choix. Doucement, je relevais les yeux vers ceux de mon hôte et demandais :
 
     « Pensez-vous que je suis un mauvais garçon, Monseigneur ? »


Dernière édition par William Ward le Dim 3 Avr 2016 - 23:48, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Une soirée en toute discrétion (Alcème et William)   Une soirée en toute discrétion (Alcème et William) EmptyMar 29 Mar 2016 - 17:10
Un mauvais garçon ? Cela ne faisait aucun doute.

Mais Alcème n'allait pas faire une réponse aussi claire et facile à William sinon le jeu n'aurait aucun intérêt. Il préférait mitiger sa première impression, la mélanger à autre chose... Une pointe de compassion pourquoi pas ? Ce n'était pas dans ses habitudes, mais ce serait parfait pour déguiser la vérité en demi-mensonge...

Vous êtes certainement un mauvais garçon aux yeux de Marbrume cela ne laisse aucun doute... Mais selon moi la réalité est bien différente : vous n'êtes ni bon, ni mauvais ; vous cherchez juste à survivre en vous faufilant dans un monde qui n'est pas le votre.

Le jeune noble se fendit d'un sourire mauvais.

Je ne vais pas être mauvais joueur dés le début et tenter de noyer le poisson. Je vous réponds simplement que non, je ne crois pas que vous soyez un mauvais garçon...

Alcème pris quelque instants avant d’attraper un couteau posé sur la table. Il se mit à jouer avec, le faisant osciller entre ses doigts devant son visage.

Tic, tac, tic, tac... Est-ce que je mens ou est-ce que je suis sincère selon vous ? Un petit pas ou un grand immobilisme nous le diras...
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MessageSujet: Re: Une soirée en toute discrétion (Alcème et William)   Une soirée en toute discrétion (Alcème et William) EmptyDim 3 Avr 2016 - 19:37
      Mensonge ou vérité ?
 Je regardais mon hôte pendant quelques secondes en silence. Je ne savais que faire. J’avais posé une question à laquelle mes clients avaient l’habitude de répondre de manière claire. Quand on voulait coucher avec un garçon de passe, les réponses étaient toujours franches et conduisaient inlassablement vers la même fin.
       Mais, évidemment, Alcème de Vauront n’allait pas se contenter d’être clair avec moi. En l’écoutant, je commençais à me demander si cet homme voulait vraiment coucher avec moi. Oui, certainement… Sinon, il n’aurait pas fait appel à moi. Mais plus la soirée avançait, plus je me disais que ce n’était pas la finalité de tout cela. Elle était à un tout autre niveau, que je n’arrivais pas à cerner pour le moment. Je relevais les yeux vers mon hôte à nouveau. Ses paroles me revinrent en mémoire :
        « Vous êtes certainement un mauvais garçon aux yeux de Marbrume cela ne laisse aucun doute... Mais selon moi la réalité est bien différente : vous n'êtes ni bon, ni mauvais ; vous cherchez juste à survivre en vous faufilant dans un monde qui n'est pas le votre… »
 
      Savait-il à quel point j’avais envie de hurler combien il avait raison ? Combien je me reconnaissais dans ses paroles ? J’aurais voulu croire à ce discours. Me dire, qu’enfin, quelqu’un avait compris qui j’étais et pourquoi je faisais tout cela. Qu’enfin, quelqu’un allait être différent des autres habitants de cette ville dont je connaissais quelques-uns des plus noirs secrets. Qu’au moins un de mes clients n’aurait pas ce mépris que je sentais chez chacun d’entre eux, même les moins toxiques. Un vague soupçon d’espoir me fendit le cœur.
Mais le sourire d’Alcème de Vauront me détrompa immédiatement. Un sourire mauvais qui ne laissait aucun doute sur le fond de sa pensée. Bravo William, un vrai sentimentalisme dans l’âme ! Dire que tu étais si fier de clamer sur tous les toits que tu connaissais par cœur la nature humaine et son côté sombre
       Je me sentais totalement stupide, écrasé par cette soudaine emprise que l’homme avait eue sur moi. Ce maigre sursaut d’espoir qui m’avait rappelé que, moi aussi, j’appartenais à cette humanité condamnée et pourtant en quête d’espérance. Une bile âcre emplit ma bouche quand je pris conscience qu’Alcème de Vauront n’avait même pas eue besoin de recourir à sa position ni à son autorité pour assoir son pouvoir sur moi. De simples mots, voilà tout ce qui lui avait suffi pour qu’il me vienne l’envie de croire au poison qu’il venait de déverser en moi. Sans m’en rendre compte, je croisais les bras contre ma poitrine dans un signe de protection dérisoire.
Je fermais les yeux. Il fallait que je me reprenne. Je refusais de laisser le jeune noble m’attaquer plus que cela. Il aurait bien le temps de le faire plus tard… Si je cédais maintenant à son jeu, j’étais perdu pour le reste de la nuit. Mes bras retombèrent doucement le long de mon corps, alors que je reprenais quelque peu le contrôle de moi-même. Je rouvrais les yeux alors que mon hôte poursuivait :
       «… je ne crois pas que vous soyez un mauvais garçon… »
 
     Menteur… Cet homme aurait tout fait pour que je me crois en confiance avec lui. Je combattis l’envie de lui donner raison à nouveau. Cette sale envie qui était toujours tapie au fond de moi et qui grattait à la porte pour que je la laisse entrer. Si je la laissais faire, j’allais devenir le chien de ce type, je le savais. Plus jeune, quand je n’étais pas encore dans cette situation, j’accordais bien trop facilement ma confiance et ma loyauté aux gens. Je finissais par tout donner à des gens qui n’en méritaient pas le tiers. C’était Marbrume qui m’avait fait réviser mon jugement. « Chasser le naturel, il revient au galop » disait mon père. Quelle ironie…
    Du coin de l’œil, je vis le jeune homme attraper un couteau qui traînait sur la table et jouer avec. Je le regardais alors qu’il s’amusait à le faire tourner entre ses doigts. Une légère sueur froide descendit le long de mon dos. Je n’aimais pas quand les clients, surtout ceux du genre d’Alcème de Vauront, se prenaient d’envie d’inclure ce genre d’accessoires dans la soirée. Il me fallait toujours quelques jours pour m’en remettre parfaitement. Et cela coûtait cher à Marthe, qui était toujours prête à sacrifier quelques une de ses herbes rares et couteuses pour que la plaie ne s’infecte pas. Bien sûr, je la remboursais dès que je le pouvais. Mais je préférais me passer d’une cicatrice en plus.
 
     Je posais une main sur la table, alors que mon hôte me regardait, attendant un geste de ma part. Lui donner raison ou non ? Cet homme se fichait bien que je sois un mauvais garçon ou quelqu’un de bien. Il lui importait seulement de jouer avec moi le plus possible avant de me jeter dehors. Que je décide qu’il mentait et je me rapprochais de lui. Plus vite je me rapprochais de lui, plus vite j’en finirai avec cette histoire, même si elle n’allait pas être une partie de plaisir. Mais l’enfant prodige de la prestigieuse famille allait-il apprécier que je lui énonce aussi fermement son mensonge ?
      Je pouvais lui donner raison et lui faire croire qu’il m’avait habilement trompé. La nuit n’en serait pas plus agréable, au contraire. J’imaginais déjà mon hôte jouir un peu plus de l’emprise qu’il avait commencé à installer sur moi. Je détestais l’idée de me soumettre aussi facilement, bien que j’y sois si souvent obligé. Les gens pensaient souvent que les filles de joie et les garçons de passe ne possédaient aucune fierté. Ce n’était pas forcément faux, mais pas forcément vrai non plus. Notre fierté était juste un peu plus variable que celle des autres… en fonction de la faim qui nous taraudait.
      Ou bien, je pouvais jouer le même jeu que lui. M’abaisser à entrer parfaitement dans son plan et en accepter toutes les règles. C’était une idée comme une autre. Elle pouvait très bien ne pas marcher, mais je ne perdais pas grand-chose à essayer.
 
      Je m’adossais alors à la table, m’asseyant à moitié, et me penchais en arrière, de manière à garder un contact visuel avec lui. Cela jeta mes cheveux en arrière, dans une cascade aux couleurs d’automne, dégageant ma nuque et mon coup. Dans un grand sourire, je déclarais :
     « Vous êtes si bon envers moi, Monseigneur ! Il est donc vrai que seules les valeurs de la noblesse permettent aux hommes de connaître parfaitement la nature de leur prochain. Votre cœur est bien pur pour faire advenir la vérité… »
     Pendant un instant, je crus que j’allais éclater de rire, tant mon mensonge me semblait grossier. Il l’était certainement. Mais pour autant qu’Alcème de Vauront était intelligent, il restait noble. Et la noblesse aimait être flattée. Je descendis de mon perchoir dans un petit bon. Cela me fit avancer vers lui de quelques centimètres, sans pour autant que j’eue à faire un pas. Disons que je ne lui donnais pas totalement tord… Je posais mes mains sur la table à nouveau, mais face à lui cette fois. Je me penchais en avant, alors que mes yeux se mettaient à briller et dis :
      « … Je ne suis pas aussi bon que vous, Monseigneur. Voilà qui est certain… »
Intérieurement, je me disais qu’il n’avait qu’à se débrouiller avec ça. Comme lui, je ne souhaitais pas donner de réponse claire. J’allais payer mon impertinence, je le savais, mais je ne pouvais pas m’en empêcher. D’autant plus que j’imaginais que cela devait ravir mon hôte. Me voir me débattre ainsi et résister à sa pression constante avant d’être obligé d’y céder. Ce ne devait être que plus jouissif pour lui…
     Toujours avec mon sourire faussement joyeux accroché aux lèvres, je me penchais un peu plus en avant, ma chemise dévoilant le haut de mon torse. Je tapotais des pieds sur le sol, comme un enfant surexcité à qui on aurait annoncé que sa date d’anniversaire venait d’être avancée et déclarais :
 
      « A vous, Monseigneur ! Posez-moi une question ! »
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MessageSujet: Re: Une soirée en toute discrétion (Alcème et William)   Une soirée en toute discrétion (Alcème et William) EmptyLun 18 Avr 2016 - 10:25
Alcème se délecta de la lueur d'espoir tuée dans l’œuf qu'il perçut chez William.

Son mensonge teinté de vérité avant eut beaucoup plus d'impact qu'il s'y attendait. Ce garçon devait probablement se faufiler d'un monde à l'autre simplement pour survivre et le jeune noble avait énoncé cette vérité sans détour. C'était dur et froid, mais ça ressemblait beaucoup à une vérité dans son plus simple appareil. Alcème ne doutait pas qu'aucun noble ne lui avait jamais parlé aussi franchement de sa condition et cela semblait avoir touché profondément William.

Mais Alcème ne l'avait pas fait pour des raisons nobles ou pures, il l'avait fait uniquement pour duper le jeune garçon de passe et jouer à son jeu de devinettes. Dans le fonds, il ne se préoccupait pas vraiment de ses motivations ou son passé et William l'avait immédiatement perçu dans son sourire mauvais. Alcème avait vu dans les yeux du jeune homme la détresse de tomber sur quelqu'un qui vous comprends qui s'en servira uniquement à ses propres fins.

Et cela avait procuré un plaisir immense au jeune De Vauront.

Il regarda William minauder en lui répondant de façon assez évasive. En d'autres circonstances Alcème aurait explosé qu'un pécore du bas peuple refuse de jouer clairement pour son bon plaisir. Mais le plaisir malsain suscité par le désespoir du jeune garçon de passe l'avait mis dans une humeur plutôt joyeuse. Alcème laissa donc passer le fait que William ne lui répondait qu'en demi teinte pour réfléchir rapidement à une question. Une idée germa dans son cerveau alors qu'il posait le couteau sur la table...

Vous êtes très fort mon cher William, alors je ne vais pas vous ménager et me lancer dans une question assez ardue et plutôt personnelle...

Alcème ménagea le suspense en buvant une rasade et déboutonna le haut de sa tunique, les sens s’éveillant grâce au vin et à la tournure que prenait la soirée. Il sentait d'immobrables envies monter en lui alors qu'il posait enfin sa question.

Pensez-vous que vous resterez un garçon de passe jusqu’à la fin de vos jours ?
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MessageSujet: Re: Une soirée en toute discrétion (Alcème et William)   Une soirée en toute discrétion (Alcème et William) EmptySam 21 Mai 2016 - 20:50
Je regardais le couteau reposé et je retenais un soupir de soulagement. Une nouvelle cicatrice n’était pas la bienvenue pour moi. Je jetais un coup d’œil rapide à l’objet qui ne trouverait donc pas son utilité…pour l’instant. Après tout, rien ne m’indiquait que mon hôte n’aurait le désir de l’utiliser plus tard. Je préférais qu’il n’en fasse rien.
    Je ne savais pas si mon petit jeu lui avait tant plu que ça. Certainement qu’en temps normal, je n’aurais pas survécu à une telle effronterie. Mais les conditions ce soir étaient toutes autres… Alcème de Vauront pris son temps avant de me poser une question à son tour. Je l’imaginais bien prendre son pied en me voyant attendre, alors que je ne savais pas ce qu’il me réservait. Mon métier m’avait fait prendre l’habitude de détester ignorer les choses. Ignorer, c’était plus que dangereux, c’était bien souvent mortels pour ceux de ma profession. Nous devions toujours en savoir un minimum sur les clients que nous acceptions, ne serait-ce que pour savoir ce que nous leur permettions ou non. Plus que du bon sens, c’était de la survie.
    Mais je dues attendre et patienter. Ce n’était pas le jeu de presser mon hôte et s’il avait passé sur mon impertinence précédente, il ne le ferait sans doute pas une seconde fois. Alors, je regardais Alcème de Vauront prendre son temps, mes yeux observant chacun de ses mouvements. Je le vis ouvrir le col de sa tunique précieuse, comme je l’avais fait plus tôt, avec ma chemise miteuse. Le message était subtil, mais facilement interprétable, ne laissant aucun doute sur la fin de toute cette entrevue. J’eu un petit sourire taquin, en me mordant la lèvre, comme pour lui signaler que j’avais parfaitement compris ce dont il était question.
  Il se tourna finalement vers moi, non sans avoir bu une gorgée de vin et dit d’une voix calme :

    « Pensez-vous que vous resterez un garçon de passe jusqu’à la fin de vos jours ? »

Je le fixais pendant quelques secondes, alors que je réfléchissais à la formulation de ma réponse. Pas à la réponse en elle-même, je la connaissais trop bien. Cela faisait déjà bien longtemps que j’y réfléchissais… depuis que j’avais commencé le métier en fait. D’un certain point de vue, il était difficile de rester fille de joie ou garçon de passe toute sa vie.

     Premièrement, parce que les clients cherchaient avant tout une certaine forme de beauté qu’ils pensaient trouver dans la jeunesse. Passée ses fraîches années, une fille de joie perdaient petit à petit ses réguliers, jusqu’à finir complètement seule et oubliée de tous. Mais ça, c’était si on était chanceux ! Car, on pouvait aussi rester dans le milieu toute notre vie, tout simplement parce qu’elle risquait de se révéler plus courte que prévue ! Entre les pervers et les maladies, on s’estimait chanceux d’atteindre la vingtaine sans problèmes… Les fins de vie étaient assez limitées : tué dans la nuit ou agonisant dans la rue en crachant ses poumons. De bien peu glorieuses perspectives… Mais il ne fallait pas s’attendre autre chose dans cette profession.
J’ouvris la bouche une première fois, avant de la refermer doucement. Allais-je mourir rapidement ou finir seul et oublié ? Voilà bien une question que je me posais souvent. Je savais que c’était les seules voies que m’offrait l’avenir, mais j’ignorais encore laquelle j’allais prendre. Mes yeux se posèrent sur le couteau trônant sur la table et dont la lame brillait d’une étrange lueur à cause des flammes de la cheminé.
     Je choisis de regarder mon hôte dans les yeux, mais avec moins de fioritures cette-ci, il y avait une certaine franchise dans mes paroles, même si mes yeux brillaient toujours de tout leur éclat :

     « J’ai bien peur de ne pas avoir de réponse claire à votre question, Monseigneur… Voyez-vous, il ne me reste que peu de solution d’avenir, dans la voie qui est la mienne. Les reconversions se font rares par le temps qui courent et j’ai bien peur d’être déjà trop âgé pour trouver un travail autre que le mien… Il se peut donc effectivement que je reste ce que je suis jusqu’au bout… »

   Même en laissant planer un doute, au fond de moi, je devinais que j’allais succomber à ce métier. Il aurait fallu une chance impertinente pour que je puisse espérer finir mes jours tranquillement, avec de l’argent de côté et en gardant mes vêtements chaque nuit qui passait.      
    Je passais une main dans mes cheveux, dégageant quelques mèches folles de mon catogan en regardant Alcème de Vauront.

    « Que pensez-vous de ma réponse, Monseigneur ? » demandais-je avec un sourire sérieux.
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MessageSujet: Re: Une soirée en toute discrétion (Alcème et William)   Une soirée en toute discrétion (Alcème et William) EmptyJeu 26 Mai 2016 - 17:10
Le garçon de passe était décidément très lucide sur l'avenir qui l'attendait.

Sa réponse était un peu évasive mais ne laissait planer aucun doute sur la fin de sa "carrière" et de sa vie. Rester garçon de passe jusqu'au bout semblait être une évidence pour William qui ne devait probablement pas être éloigné de la réalité... La question de son age faisait bien sur débat mais seul le "jusqu'au bout" était incertain dans la vie de ce pauvre hère. Alcème sentait que le vin adoucissait ses sentiments pour ce garçon. Il était si désespéramment réaliste et lucide sur son état que cela finissait par émouvoir le jeune noble, pour autant que l'on puisse émouvoir un De Vauront.

Mais Alcème avait lancé un jeu et seul comptait sa décision de croire ou non le garçon de passe. Ferait-il un pas en avant ou resterait-il immobile tel une statue de sel ?

Alcème n'eut pas le loisir de choisir la posture à tenir quand un messager fit violemment irruption dans la pièce sans s’annoncer. Le messager se rua vers Alcème en hannonnant son nom : le jeune noble l'accueilli avec violent soufflet au visage. L'hériter De Vauront ne pouvait laisser passer l'affront commis par ce jeune homme probablement ignorant du protocole : l'honneur et la réputation de sa Famille s'étaient déjà trouvé mis en cause pour bien moins que cela. Alcème se saisit du couteau posé sur la table quelques instants auparavant et le glissa sur le cou du messager, parlant d'un voix glaciale et autoritaire.

Je ne te le dirais qu'une seule fois : n'entre plus jamais dans notre demeure sans t'annoncer convenablement auparavant. Je me fiche que tu porte la nouvelle de la fin du monde ou que tu sois simplement trop stupide pour connaitre ta place, mais la prochaine fois je te tranche la gorge avant même que tu n'ouvre la bouche.

Alcème relâcha son emprise sur le jeune messager, le repoussant violemment en arrière et manquant de le faire tomber.

Maintenant donne moi ce message et disparaît de ma vue avant de venir à bout de ma patience.

Le messager resta interdit, bredouillant des excuses inaudibles et confuses. Alcème planta ses yeux dans les siens, lui intimant silencieusement l'ordre de se taire. Le jeune messager se tut et entreprit de quitter la pièce. Mais, ébranlé par la réaction d'Alcème, le malheureux trébucha dans le superbe tapis qui ornait la belle salle de réception, manquant à nouveau de tomber.

Alcème bondit en direction du messager et planta son couteau dans la jugulaire du jeune homme.

Ce dernier n'eut pas le temps de se protéger ou esquiver l'attaque et le poignard mordit cruellement sa chair dans un flash de douleur. Alcème planta son regard dans celui de sa victime durant quelques secondes et arracha violemment le couteau. De gros bouillons de sang jaillirent de la plaie, éclaboussant le visage d'Alcème et du messager qui porta instinctivement les mains à son cou. Mais il était déjà trop tard et il s’effondra au sol tandis que la vie le quittait lentement dans un gargouillis étouffé.

Comme si de rien n'était Alcème se plongea dans la lecture de la missive, le visage ensanglanté. Elle était estampillé du sceau de sa propre Maison et signée de la main de son père. Ce dernier chargeait son fils d'une mission à exécuter sans attendre. Alcème prit le temps de lire en détail les instructions du Patriarche puis ré-enroula le parchemin sur lui-même.

Il se tourna alors vers William qu'il n'avait pas oublié.

Mon cher William, je n'ai pas besoin de vous préciser que ce qui viens de ce passer sera inclus dans votre discrétion professionnelle... J'ai bien peur de devoir écourter notre rencontre et nos jeux pourtant si plaisant mon bon ami... Ne doutez pas que j'aurais adoré en connaitre et consommer l'issue, mais le devoir m'appelle comme vous vous en doutez.

Alcème se figea soudainement, une idée jaillissant dans son esprit.

Mais j'y pense, peut être serez-vous intéressé par modifier quelque peu la nature de votre prestation ce soir ? Vous pourriez m'être fort utile pour mener à bien l'objet de cette missive et je vous dédommagerais en conséquence cela va de soi.

Alcème tendit la lettre en direction de William.

Qu'en dites-vous très cher ami ?
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MessageSujet: Re: Une soirée en toute discrétion (Alcème et William)   Une soirée en toute discrétion (Alcème et William) EmptySam 11 Juin 2016 - 19:54
    Mon hôte se resservit du vin alors qu’il réfléchissait probablement à ce qu’il allait faire. Cette fois-ci, je ne craignais pas d’attiser sa colère, j’avais été plus qu’honnête en lui répondant. Je n’avais plus qu’à attendre sa décision, avant qu’il ne cherche encore à tester mes limites…
Mais il n’eut cependant pas le loisir de s’y adonner puisqu’il fut coupé dans son élan par une jeune messager se précipitant avec maladresse dans la pièce. Je suivais des yeux ce maladroit : il ne devait pas avoir loin de mon âge, peut-être même plus jeune. Je tiquais immédiatement, ce garçon venait d’entrer sans s’annoncer, ni même attendre qu’on l’y autorise… Je reportais mon regard sur mon hôte, guettant sa réaction.
     Elle ne se fit pas attendre. La gifle qu’il envoya au garçon claqua dans toute la pièce. Je posais mon regard sur le verre de vin que je n’avais pas terminé plus tôt. J’avais soif. J’aurais préféré de l’eau ou même une bière, comme celle que proposait Marthe, mais ce n’était sans doute pas ce que l’on pouvait attendre à la table d’un noble, même en ces temps de crise. Je pris le verre et but une gorgée, grimaçant légèrement à l’amertume qui envahit ma bouche. Derrière moi j’entendis le jeune noble lancer une menace au messager, sans y faire plus attention.
    Je n’avais aucune pitié pour ce garçon. La pitié était la pire des faiblesses à Marbrume. Elle tuait aussi bien que n’importe quelle maladie. Avoir pitié de quelqu’un, c’était souvent prendre de gros risques, voire signer son arrêt de mort. En temps de crise, il fallait avant tout penser à soi. C’était malheureux mais c’était ainsi que le monde tournait désormais. Ho bien sûr, on pouvait éprouver quelque pitié parfois, quand on ne pouvait pas faire autrement, mais pas dans ce cas précis. Nous avions chacun un métier, et il était attendu de nous que nous le réalisions bien, sinon, à quoi bon rester dans cette ville ? Si ce garçon était messager, il convenait qu’il ne fasse pas une erreur aussi grossière que celle qu’il avait commise.  Une leçon, aussi rude soit-elle ne pouvait pas lui faire de mal. Celles que j’avais endurées c’était révélées être bien pire que cela.
     La voix d’Alcème de Vauront résonna encore une fois dans la pièce :
 
  « …Maintenant donne-moi ce message et disparaît de ma vue avant de venir à bout de ma patience… »
 
     Je posais mon verre et reportais mon attention sur la scène qui se déroulait devant moi. Le jeune messager était mort de peur. On ne voyait que cela dans ses yeux. Il ressemblait davantage à un rongeur apeuré qu’à un être humain. Il recula de quelque pas, avant de se précipiter vers la porte en courant.
    J’allais ouvrir la bouche quand je le vis manquer de tomber dans un grand fracas. Je faillis pousser un soupir devant une telle maladresse. La jeunesse n’excusait pas tout et, à mes yeux, il fallait vraiment que ce garçon change de métier. Cependant, on ne lui en laissa pas le temps.
    D’un geste vif, mon hôte fondit sur lui et lui planta le couteau en argent qu’il tenait dans la gorge.
    J’avais déjà vu des morts. Plus d’une fois même. Souvent des filles, qui avaient manqué de chance et étaient tombées sur des clients tordus. On les retrouvait égorgées au matin, les draps de leur lit pleins de sang. L’odeur du sang séché faisait tourner la tête et après, il était impossible de s’en défaire pendant plusieurs jours. On avait l’impression qu’elle nous suivait, où que l’on aille.
    J’avais déjà vu des morts, mais encore jamais de meurtre. On aurait pu s’attendre, en quatre ans de métier, que cela vienne plus rapidement, mais non. Les yeux écarquillés d’horreur, je vis le sang gicler hors de la blessure à gros bouillon, d’un rouge vif comme celui des rideaux de la pièce. L’odeur me pris à la gorge immédiatement. Elle était cent fois pire que celle du sang séché ! Je me demandais bêtement combien de temps celle-ci allait me poursuivre, si je ressortais vivant d’ici. Je venais d’être témoin d’un meurtre ! Le garçon s’effondra au sol, étouffé par son propre sang. Je n’arrivais pas à savoir si le bruit qu’il faisait était pire que l’odeur qu’il dégageait. Intérieurement, je me félicitais d’avoir posé mon verre quelques secondes plus tôt. Sinon, il aurait rejoint le cadavre à terre, son contenu se mélangeant au sang qui se répandait de plus en plus vite sur le tapis.
 
    Sans s’émouvoir de son acte, le noble se plongea dans la lecture de la lettre lui étant parvenue, le visage maculé de sang. Je le regardais sans bouger, tétanisé par la violence soudaine de cette mort. J’avais envie de vomir, mais, fort heureusement pour moi, je me retins de justesse. J’aurai voulu disparaître sans laisser de traces, me faire oublier du noble et de sa famille. Avais-je une chance d’être épargné après ce que j’avais vu, je n’en savais rien. Marthe avait peut-être raison, j’aurais dû refuser cette nuit…
    Mon hôte se tourna vers moi, sa lecture finie. Je ne sais pas encore comment j’ai pu soutenir son regard, avec le sang qui luisait sur son visage. Etait-ce ma fin ? Je devais bien l’avouer, la peur me tordait le ventre. Je perdais pied dans tout ce qui était en train de se dérouler. J’entendis la voix d’Alcème de Vauront, comme si ce dernier avait parlé derrière une porte fermée, si lointaine et si vive pourtant. Quelque chose comme être discret sur cette histoire… Cela voulait-il dire que j’allais avoir la vie sauve ? J’étais prêt à ne plus ouvrir la bouche une seule fois si je pouvais partir d’ici à cette minute et ne jamais remettre les pieds devant un seul membre de cette maudite famille ! La voix du noble se fit de plus en plus présente, ma concentration revenant peu à peu.
 
 « …adoré en connaitre et consommer l'issue, mais le devoir m'appelle comme vous vous en doutez… »
 
   Je retenais un soupir de soulagement du bout des lèvres. J’avais l’impression qu’un poids venait d’être retiré de mes épaules. Si je n’avais pas eu peur de me faire poignarder à mon tour, j’aurais couru à toutes jambes hors de la pièce.
    Mais le sourire soudain qui apparut sur le visage de mon hôte me dissuada de tenter quoi que ce soit. Je n’allais pas en avoir fini avec lui pour cette nuit, je pouvais en être certain. La mort dans l’âme, je l’entendis prononcer :
 
« Mais j'y pense, peut être serez-vous intéressé par modifier quelque peu la nature de votre prestation ce soir ? Vous pourriez m'être fort utile pour mener à bien l'objet de cette missive et je vous dédommagerais en conséquence cela va de soi… »
 
    Et d’un geste vif, il me tendit la lettre avec un grand sourire. Je n’arrivais pas à détacher mon regard de ce bout de papier, ses dernières paroles tournant en boucle dans mon esprit. Je n’avais aucune envie d’être mêlé aux affaires de la famille de Vauront. J’avais l’impression d’avoir assez vu de cadavres pour ma vie entière. Mais je ne pouvais pas non plus me permettre de l’envoyer paître, sous peine d’être tué très certainement. C’était comme si un gouffre sans fond venait de s’ouvrir sous mes pieds. Ma tête tournait et bourdonnait. L’odeur du sang me piquait les yeux et m’enserrait la gorge, j’avais du mal à respirer.
   Je déglutis quelques secondes avant de trouver assez force pour déclarer :
 
« J’ai peur de vous décevoir, Monseigneur. Je suis un bien piètre exécuteur, et ne possède aucune qualification dans quelque domaine que ce soit… Vous vous doutez bien que sinon, je ne me trouverai pas en face de vous pour cette nuit… »
 
    Je ne savais pas quoi dire d’autre. La peur me tordait l’estomac comme jamais. Mais je prenais tout de même la peine d’ajouter, avec une voix presque timide :
 
 
« Je ne tiens pas à troubler vos affaires, Monseigneur… »
 
Et j’attendis la sentence.
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MessageSujet: Re: Une soirée en toute discrétion (Alcème et William)   Une soirée en toute discrétion (Alcème et William) EmptyJeu 23 Juin 2016 - 14:09
William ne semblait absolument pas emballé par la proposition d'Alcème.

Cependant seul un fou aurait accepté avec le cœur joyeux en voyant une saine occasion de s'en mettre plein les poches. Il ne fallait pas plus de cinq minutes pour constater qu'Alcème n'était pas digne de confiance et que seuls ses intérêts comptaient. Parfois il est intéressant de faire converger les intérêts pour augmenter le bénéfice, mais avec la Famille de Vauront c'est toujours l'occasion de risquer de se brûler les ailes.

Quant à un simple garçon de passe, il aurait risqué davantage encore...

Alcème le savait et une autre pointe de compassion lui piqua le cœur. Il jouait avec cet enfant comme il avait ôté la vie du messager, avec froideur et détachement. Et le malheureux n'avait d'autre solution que d'accepter ce jeu en tentant de tirer au mieux son épingle du jeu. William était complément paniqué à l'idée de dire non car il savait que le fils de Vauront ne le laisserait pas s'en tirer à si bon compte.

Et il avait mille fois raison.

Alcème baissa la main qui tenait le message lorsque William lui répondit qu'il ne voulait pas troubler ses affaires. Il resta silencieux et immobile, laissant planer un doute poisseux sur la suite des événements. Au bout de quelques instants, il fit un pas vers le jeune garçon de passe. Puis un autre. Puis encore un autre. Il se tint à quelques centimètres de son visage, laissant son regard se perdre dans le vert de yeux de sa malheureuse victime. Le jeune noble approcha lentement sa main de William et lui caressa doucement la joue. Le jeune garçon de passe frissonna. Alcème glissa sa main sur sa nuque qu'il empoigna fermement. Il embrassa alors le garçon la pleine bouche.

C'était un baiser fougueux et passionné, on aurait pu les croire amants depuis toujours. Alcème laissa aller totalement ses émotions dans un maelstrom de sensations. Il était à la fois le jeune hériter de Vauront, le chasseur de Fangeux, l'implacable défenseur de sa Maison, le jeune homme couvert d'un sang frais à l'odeur fade... A cet instant toutes les facettes de sa personnalité se fondaient dans la bouche de William.

Alcème finit par desserrer son étreinte et s'adressa à William dans un murmure voluptueux.

Mon cher ami, je crains de ne pas vous laisser le choix.

Il posa sa phrase comme un couperet. Sa voix était chaude et emprunte de la douceur de leur baiser échangé quelques instants auparavant, mais elle ne souffrait d'aucune discussion possible. Il reprit toujours à voix basse.

Nos amis communs n'ont informé que vous œuvriez aussi bien avec le sexe fort que le beau sexe. Je gage sans trop prendre le risque de me tromper que vos baisers n'en sont pas moins ardents avec les demoiselles...

Alcème tapota sur la missive reçue quelques minutes plus tôt.

Cette lettre m'impose de me rendre au Manoir de Vauquiéras dés ce soir et vous allez m'y accompagner. Je parlerais affaire avec la Maîtresse de Maison, Hélène de Vauquiéras et une nuit avec vous sera le présent que je lui offrirais. Vous n'aurez rien d'autre à vos préoccuper que de satisfaire ses moindres désirs, cela devrait être dans vos cordes je pense ?

Alcème se retourna vers la porte en faisant claquer ses bottes sombres sur le parquet du salon.

En route mon cher ami ! Il ne faut pas faire attendre la demoiselle De Vauquiéras !
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