[Terminé](Re) trouvailles en campagne {Pv Rowan & Aeryn}

Codes couleurs pour ne pas se perdre:

Par sa taille somme toute familiale, la compagnie Monclar n’était en rien imposante, contrairement aux grandes entités mercenariales qui représentaient à elles seules de véritables armées privées. Rodrick, le géant paternel, se satisfaisait parfaitement de cette situation qui, en temps d’accalmie, leur permettaient de vivre de petits contrats sans prétention sans avoir à céder à la facilité que les routiers semblaient affectionner. Pour la petite compagnie, point de pillages ou de meurtres inutiles. Les Monclar se voulaient honnêtes avant tout bien que Rodrick se montrait également tout à fait réaliste. Les connaissances qu’il avait acquises, les liens qu’il avait su tisser au fil des années, lui permettait parfois, d’assembler nombre de petites compagnies ensembles lorsque le temps était à la guerre ou qu’un contrat exigeait plus d’hommes qu’il n’avait à offrir. Le géant étranger était donc connu dans le milieu du mercenariat, de même que ses rejetons à la taille toute aussi imposante que la sienne, à une exception près, puisque le petit dernier de la fratrie ne semblait pas vouloir égaler la carrure de ses ainés.

Comme il ne parlait que très peu et qu’il se voyait bien souvent isolé des autres, on le disait simplet. Puisque personne ne voyait jamais son visage, on l’imaginait lait, défiguré voir difforme… Ce qui en soit, pouvait parfaitement justifier cette manie qu’avait Rodrick de tenir son petit dernier bien à l’écart des autres. Personne n’avait jamais envisagé qu’il pouvait s’agir, en réalité, d’une jeune femme plus âgée que ce que leur disait le géant. Aeryn venait d’avoir dix-neuf ans, bien que son père affirmait que le “garçon” avait à peine treize ans… Histoire d’expliquer pourquoi son fils ne frôlait même pas les cinq pieds contrairement à ses frères qui le dépassaient largement... En tous points. Ainsi, sa carrure mêlée à un tempérament des plus discret, faisait qu'on oubliait facilement le gringalet de la famille. Il faisait simplement parti du décor lorsqu'il s'agissait de combattre pour mieux disparaître ensuite. Voilà tout.

Ce jour-là, Rodrick venait d'accepter un contrat qui, à première vue, paraissait fort peu original. Après tout, il était plutôt commun de voir quelques caravanes marchandes se faire piller sans ménagement par divers groupes de bandits dits "de grand chemin". La victime proposait donc son contrat dans plusieurs tavernes, des mercenaires intervenaient lorsque l'armée refusait de s'en mêler pour diverses raisons et la situation se réglait rapidement. Sauf que cette fois, il ne s'agissait pas d'un commerçant isolé, mais de toute une guilde déplorant la perte de nombres de marchandises coûteuses…

Les attaques se déroulaient toujours sur la même route, celle sur laquelle ils se trouvaient alors. Les bandits agissaient vite, versant le moins de sang possible avant de s'évanouir simplement dans la nature. Certains témoins parlaient d'une trentaine d'hommes, d'autres n’en évoquaient qu'une petite dizaine, mais dotés de pouvoirs magiques leur permettant de disparaître comme par enchantement... La petite compagnie décida donc d'enquêter pendant plusieurs jours, parcourant sans cesse le même trajet entre Sarrant et Conques sans jamais rien trouver d'exceptionnel… Pas une seule trace des fameux bandits jusqu'au jour où une autre caravane se fit attaquer à la sortie de Conques tandis que les Monclar se trouvaient à l'opposé. Impossible pour eux de se séparer sans être certains du nombre d'ennemis.

Aussi, Rodrick décida de faire appel à une autre compagnie bien connue du paternel pour avoir longtemps travaillé avec leur Capitaine. C'était des alliés de longues dates, habitués à travailler de concert avec la famille de mercenaire depuis bien des années. Le message était donc passé, ils les attendraient dans l'une des auberge de Conques afin d'établir un plan efficace tout en se partageant le montant de la récompense.

-Ah ! Godhroy, vieux frère ! Si tu savais comme je suis heureux de te voir ! s'exclama le géant en apercevant le fameux capitaine.
-Rodrick ! Espèce de troll de montagne, ça faisait bien trop longtemps !

S'en suivit une accolade fraternelle qui eut le don d'étonner la fratrie restée à l'écart.

-Tu te souviens de mes fils ?
-Évidemment ! Comment les oublier avec une taille pareille ?

Le regard du capitaine se posa naturellement sur le seul rejeton portant encore son armure intégrale, heaume compris… Il ne dit rien, puisque peu d'hommes osaient souligner la différence du petit dernier en présence du paternel. Si chacun d'eux se saluaient en imitant les deux chefs, Ryn se contenta d'adresser un signe de tête à l'ensemble tandis que son regard empreint de curiosité se posa sur un homme arborant une chevelure aussi rousse que la sienne. Une telle couleur était rare, en particulier chez un homme et celui-ci devait être le premier que la jeune femme rencontrait.

Tous s'instalèrent ensuite autour d'une grande table afin de partager un repas… Repas qui viendrait uniquement après qu'ils se soient décidés sur le déroulement du plan… Après quoi, Aeryn regagnerait sa chambre où elle mangerait seule, comme d'habitude. Heureusement pour le petit groupe affamé, les chefs choisirent de se répartir en deux groupes tout en équilibrant leurs forces. Liées, les deux compagnies se voyaient composées de douze hommes aux aptitudes et capacités disparates qui méritaient d'être équilibrées. Ainsi, Kaël, Loghart, Elwin et Aeryn rejoindraient trois hommes de l'autre groupe, dont le roux. Ceux-là, se rendraient à Sarrant, dés l'aube, tandis que l'autre groupe resterait à Conques, puisque la dernière attaque avait eut lieu non loin du village. Il était prévu qu'une nouvelle caravane passe par là trois jours plus tard, ce qui leur laisserait le temps de s'organiser de chaque côté. Le groupe de Conques la suivrait donc à distance raisonnable, tandis que celui de Sarrant marcherait vers l'est pour essayer de prendre les bandits en tenaille. S'ils ne réussissaient pas à capturer les malfrats, peut-être trouveraient-ils quelques indices susceptibles de les mener à leur cachette…


Les modalités ainsi décidées, Aeryn s'éclipsa comme à son habitude, laissant les autres se repaître d'un bon repas en vidant quelques coupes de vin. L'aube viendrait bien assez tôt et, heureusement pour eux, en ce temps-là, il n'était pas bien difficile de trouver des chevaux ce qui leur ferait gagner un temps considérable dans leur trajet.



Avec la fange, beaucoup de choses avaient certes changé, mais pas les paysages, du moins très peu. La route qu'ils avaient, jadis, maintes fois emprunté au cours de cette fameuse mission, restait sensiblement la même qu'autrefois, bien que celle-ci n'était plus aussi fréquentée qu'alors. Pour preuve, jusque-là, la fratrie avait eut la chance de ne croiser personne si ce ne sont quelques patrouilles de miliciens chargés de la protection de la route menant au garde-manger de la cité… Néanmoins, par la grâce des Trois, les mercenaires n'avaient rencontré aucun bandit, aucune goule, pas même un convoi de marchandises étroitement gardé par des confrères ou autres gens d'armes bien souvent agressifs… Enfin, il fallait les comprendre, si une telle escorte aurait été exagérée dans d'autres temps, ce n'était plus le cas maintenant que l'Homme venait de trouver son prédateur direct… Un bien redoutable ennemi qui pourrait décemment leur faire oublier, ou du moins sous-estimer, ceux qu'ils avaient toujours connus et qui sévissaient toujours malgré le danger…

Un danger omniprésent, dont la présence probable rendait l'atmosphère si pesante qu'elle en deviendrait palpable… Une menace grouillante qui les forçait à se montrer particulièrement prudents, peut-être même à l'excès rendant ainsi leur progression bien trop lente. Ils savaient pertinemment qu'ils ne pourraient pas regagner Conques avant la nuit… Pas en marchant, en tous cas. Bivouaquer n'étant, dès lors, plus envisageable, puisque cela reviendrait à s'exposer inutilement aux dangers nocturnes, les mercenaires se voyaient forcés de chercher un abri sur fond de bâtisse abandonnée. À moins de devoir s'harnacher aux plus hautes branches d'un arbre en attendant que le soleil, si peu salutaire, ne se lève.

Ils avançaient lentement, en formation rapprochée comme lors d'une mission d'infiltration… Arme à la main, chacun d'eux guettait le moindre mouvement suspect, le moindre bruit étrange pour mieux se préparer à courir ou bien combattre. Kaël et Elwin, les meilleurs archers du groupe, se tenaient de chaque côté, arc en main déjà prêts à viser tandis qu'Ivaad et Aeryn tenaient fermement leur épée.

-Je déteste ce coin,marmona Elwin, en passant près de sa soeur.Pourquoi ne pas construire des abris entre les deux villages alors que cette route est la plus empruntée du duché ?
-Cela coûterait bien trop cher à protéger, autant en hommes qu'en écus. Sans compter que les miliciens ont probablement mieux à faire que de rester en faction devant une cabane miteuse. Ce serait même bien plus dangereux pour eux.
-Navré, mais je trouve cela stupide et déraisonnable...
-Peut-être, mais ceci n'est pas de notre ressort, Elwin. Contentons-nous de regagner la ville en un seul morceau, c'est le plus important, pour l'heure.

Le soleil commençait à décliner dangereusement à l'horizon, apportant avec lui la lueur orangée que chacun apparentait à présent à l'urgence de se mettre rapidement à couvert. L'idée même de voir le crépuscule approcher entraîna alors un silence des plus pesant, celui naturellement chargé d'inquiétude commune à toutes les proies potentielles. Mais le silence total n'existe jamais en pleine nature, celui-ci se voit régulièrement rompu par le passage bruyant d'un lapin sautant dans les hautes herbes, par le son du vent frôlant les branches fines et nues des arbres privés de leur robe par l'hiver. Chacun de ces bruits, aussi insignifiant fut-il, attirait inexorablement l'attention des mercenaires aux aguets, jusqu'à ce que le son caractéristique d'une brindille que l'on brise ne résonne à leurs oreilles.

Un mouvement fut alors perçu par l'aîné qui brandit son arc dans sa direction attendant, avec inquiétude, le moment où la cible se révélerait à lui. Mais au lieu de cela, c'est vers l'arrière de la petite formation qu'apparurent leurs agresseurs qui, heureusement pour eux, étaient bien humains, malgré leurs mines peu avenante. Il ne s'agissait alors que de trois hommes au visage couverts de tatouages et de crasse… Leurs armes de fortune tenaient plus de l'outils agricoles usé et rouillé que de la lame affûtée d'un soldat soigneux… Simples bandits trop téméraires ou bannis qui n'avaient plus rien à perdre, impossible pour eux de le déterminer… Néanmoins, leur petit nombre n'inquiétait en rien la fratrie entraînée et habituée au combat… En comptant celui qui se cachait dans les arbres, ils ne devaient pas être plus de quatre, du moins, en théorie… Théorie rapidement balayée par l'apparition d'autres hommes et de femmes qui ne tardèrent pas à les encercler les privant ainsi de toutes tentatives de fuite.

Ce fut un homme de taille bien plus imposante que les autres qui attaqua le premier, forçant ainsi Kaël à jeter son arc pour dégainer son épée. Tous l'imitèrent promptement, non pas dans le but de tous les éliminer, puisqu'ils restaient bien trop nombreux pour eux, mais seulement pour leur permettre de percer à travers la mêlée pour fuir au plus vite. Kaël et Ivaad cognaient donc devant eux tandis que les deux benjamins se chargeaient de couvrir leurs arrières autant que possible.

jet de dés:

Difficile pour eux de se soustraire à cette masse humaine armée jusqu'aux dents. Il devint de plus en plus évident que même la grâce des trois ne pourraient rien pour eux… Chacun d'eux frappaient de toutes leurs forces, essayant, parfois vainement d'esquiver les coups des bandits. Par chance, la plupart n'avaient heureusement qu'un bâton pour seule arme… Néanmoins, tout affrontement, quel qu'il soit, est forcément bruyant… Et le bruit attire forcément l'attention des plus curieuse voir des plus affamée des créatures peuplant les lieux…

- Fangeux ! hurla l'un des bandits faisant ainsi cesser tout échange de fer pour mieux se concentrer sur l'unique assaillant bien plus redoutable que toutes les âmes présentent sur cette route.

-Fuyez ! gronda l'aîné des Monclar entraînant sa sœur avec lui alors qu'Ivaad en profitait pour frapper l'un des bandits à la jambe avant de le jeter en pâture à la goule affamée.
-La voilà ton ouverture, on bouge !

Bandits et mercenaires coururent désespérément dans la même direction, perçant à travers les bois tandis qu'un second fangeux se jeta sur l'une des femmes restée à l'arrière. Poussés par leur désir de survie, Ivaad et Kaël ne se privaient nullement d'offrir leur repas aux créatures en veillant à ce que leurs voisins de fuite tombent, par n'importe quel moyen. Pendant ce temps, Aeryn essayait tant bien que mal de soutenir Elwin lui-même blessé à la jambe ce qui les ralentissait tous… Heureusement pour eux, aucun autre monstre ne se dressa sur leur route, probablement trop occupés à se repaître de la chair de leurs victimes. Et, par là grâce des Trois, voilà que se dressait devant eux l'abri qu'ils n'espéraient plus… Il s'agissait d'une vieille cabane de berger entièrement composée de pierres sèches et dont la porte tenait encore, probablement par miracle. Après s'être assuré de ne plus être suivit ou au moins d'avoir suffisamment d'avance sur leur poursuivant, Kaël fit le tour de la petite bâtisse afin de vérifier qu'aucun bruit suspect ne perçait depuis l'intérieur. Il serait bien dommage d'échapper aux fangeux pour se jeter ensuite dans la gueule du loup, n'est-ce pas ?

Une fois tout danger passablement écarté, Ivaad entreprit d'ouvrir la porte…

- P'tain, elle coince la saloperie,grogna le chien fou avant d'enfoncer la porte à coup de pied.

Celle-ci céda en allant cogner contre la paroi de pierre… Mais, contrairement à ce que les mercenaires avaient pu croire, ils n'y étaient certainement pas seuls… Leurs yeux pouvaient aisément décrire la présence d'un couchage de fortune, ainsi que divers autres objets de premières nécessités… Néanmoins, ce fut la silhouette tapie dans l'ombre qui le poussa à diriger leurs armes dans sa direction.

-Montrez-vous sans crainte, nous ne cherchons pas querelle, seulement un abri… La fange est proche et trois d'entre nous sont blessés...

Mars 1162

Voilà des mois qu'ils ne s'étaient pas retrouvé au même endroit et certainement pas dans une ambiance aussi festive et détendue. Le temps était clément. Point de conflits à l'horizon nécessitant de rejoindre une armée contre une bourse bien remplie. Ils se contentaient de parcourir le royaume, allant de contrées en contrats, offrant leurs bras armés à qui le désiraient. Mercenaires baroudeurs, mais certainement pas routiers, ils gagnaient leur pitance honnêtement avant de regagner ce "chez eux" qu'il leur arrivait si souvent d'oublier. Ce soir-là, le temps était visiblement à la fête, pour chacun d'eux, pourtant Rowan portait les marques de la mélancolie sur ses traits. C'est sans doute cela qui le poussa à le rejoindre au comptoir, l'interrogeant sur la bague qu'il portait au cou tout en veillant à agir avec nonchalance.

-Nah, elle est partie d’puis longtemps et crois-moi… on est mieux sans.
-Bof, tu m'diras... ce n'est pas une vie pour les gens comme nous. À la tienne, vieux frère.

Il leva sa chope en dans la direction de son ami. Peu de mercenaires pouvaient se permettre de prendre une épouse, aucun d'eux n'avait cherché à le faire, probablement à cause du souvenir de leur mère. Ils se permettaient quelques aventures çà et là, quelques catins pour certains, mais jamais rien de bien sérieux. Et voyant la réaction du mercenaire aux cheveux de feu, Kaël se garda bien de l'interroger sur les raisons qui le poussaient à soupirer tout en continuant de porter un anneau lourd de sens autour de son cou.

- L’nain est pas là ?

Il cherchait à changer de sujet, cela se voyait comme le nez au milieu de la figure. Le Monclar allié se serait contenté de sourire avant de l'interroger sur ses derniers contrats, sur sa vie depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vus. Mais c'était sans compter sur l'aîné des frères qui titubait déjà vers eux, se retenant à Rowan pour ne pas tomber.

- C'pas un endroit pour lui, hoqueta Rohan qui avait depuis longtemps bu bien plus que de raison. Faut l'protéger l'nabot. Il est aussi faiblard et fragile que… Qu'une demoiselle, tient. Une vraie bonne femme. T'façons, on n'est pas assez bien pour lui nous autres.

Kaël savait que l'aîné des Monclar nourrissait une haine viscérale envers leur jeune sœur. Et pour cause, il lui reprochait la mort de sa mère bien-aimée et veillait à la lui faire payer à chaque fois que l'occasion se présentait. Si Rodrick la battait, Rohan prenait sa suite en ajoutant toujours plus de virulence laissant sa colère guider ses poings… Mais il savait aussi que si Ryn ne répliquait pas, ce n'était que pour lui prouver que ses coups ne l'atteignaient pas. Elle l'insultait, en silence, en encaissant simplement sans jamais rien montrer d'autre que son regard aussi dur que froid. "Elle te tuera un jour, tu le sais, n'est-ce pas ?" Lui avait-il mainte fois répété, pourtant l'aîné de la fratrie faisait fi de tous ces avertissements.

-Ryn n'aime pas vraiment se mêler aux autres, répondit Kaël bien plus calmement en ignorant volontairement son aîné. Il est encore jeune après tout, il doit même déjà être en train de dormir.

Rohan, ivre mort, ne trouva rien à ajouter, au lieu de quoi, il s'écroula misérablement sur le comptoir en un bruit sourd qui ne manqua pas de faire rire l'assistance.

-Voilà des années que je me tue à répéter que cet idiot est une vraie tête de pioche et voilà qu'il me fait mentir… Aren, aide donc notre frère à regagner sa couche, je crois bien qu'il a eut son compte, s'esclaffa l'archer qui s'était levé pour grimper sur le banc qu'il occupait afin de capter l'attention de la clientèle. Discrètement, il échangea un regard entendu avec Kaël, signe que ce dernier suivait discrètement la conversation dans son coin.

Utiliser l'humour comme méthode diplomatique, voilà une technique qu'Elwin maîtrisait à merveille. En quelques mots truculents à souhait, le jeune homme savait retourner la situation à son avantage… Et surtout détourner l'attention qui se portait déjà un peu trop sur leur sœur.

-Tu en prendras bien une autre ? demanda-t-il en désignant la chope vide de son camarade.C'est moi qui offre.

Juin 1162

-Mais crevez bordel ! Sales raclures, gronda Ivaad en tentant de parer les coups d'un homme tout aussi gigantesque que son père.

La hache de l'ennemi percuta violemment la lame de l'espadon du jeune géant. Le choc fut si intense que le son résonna partout autour d'eux durant quelques secondes. Une montagne, cet homme était une montagne sans nul doute, mais il n'était pas seul…

À nouveau, les deux compagnies s'étaient liées pour les besoins d'une mission assez particulière. On leur avait demandé d'enquêter sur un réseau de trafiquants d'armes sans donner plus d'informations utilisables, souvent erronées d'ailleurs. On leur avait dit que le fort, devant servir de lieu de stockage de marchandises, était abandonné, ce qui semblait visiblement faux s'ils devaient compter le nombre d'hommes présents dans ces sous-sols humides.

Ils n'étaient plus que cinq mercenaires face à cette bande d'ours mal léchés, les autres continuaient de chercher les fameuses armes à travers les ruines. Pour gagner du temps, ils avaient choisis de se séparer, mais aucun d'eux n'avait envisagé pareil cas de figure… Ils s'étaient bien doutés que personne ne volerait d'armes pour les laisser sans surveillance par la suite. Il s'agissait de leur gagne-pain, après tout. Or, ils n'avaient certainement pas prévu de se retrouver devant un aussi grand nombre de voleurs. Leur indicateur n'en avait évoqué qu'une petite dizaine, bien qu'il fut évident de constater qu'ils étaient bien plus nombreux que cela face à eux. Les voilà faits comme des rats.

Aeryn , repoussée plus loin par son assaillant bien plus imposant qu'elle, avait troqué son épée contre ses dagues affûtées. Les lieux, trop étriqués, ne lui permettaient pas d'user de son agilité comme à son habitude. Son heaume l'empêchait de voir ce qui se tramait autour d'elle, aussi, la mercenaire ne tarda pas à se trouver en difficultés. La rouquine engoncée dans cette armure qu'elle méprisait tant esquivait les coups comme elle le pouvait. Il lui arrivait de toucher son adversaire, mais pas suffisamment… Il avait beau être doté d'une carrure impressionnante, l'homme était vif et suffisamment malin pour deviner où la jeune femme allait frapper.

À force de porter des coups qui n'avaient pour but que de la faire reculer, la montagne de poils hirsutes et gras avait réussi à l'isoler de ses compagnons d'armes. À présent presque acculée contre une paroi humide, la mercenaire glissa lamentablement sur une flaque visqueuse recouvrant la pierre du sol avant de simplement s'écrouler.

-Ryn !

La voix de son frère n'était qu'à peine audible derrière les rires de l'assassin face à elle et le son des lames d'acier qui ripent s'entrechoquent. Si la jeune femme recula, ce ne fut que pour se placer dos au mur… Ne lui restait donc qu'à adresser une toute dernière prière aux dieux dans l'espoir que son âme torturée ne trouve le salut… Elle ferma les yeux, ne voulant affronter sa mort de front… Mais aucun coup ne vint, au lieu de quoi elle n'entendit que le son de bien lugubres borborygmes avant qu'une lame tombe lourdement sur la pierre… Lorsque Aeryn ouvrit les yeux, ce fut que pour voir son agresseur à l'agonie tomber à genoux, une lame plantée dans sa gorge… Puis une main lui fut tendue, celle de Rowan qui venait de lui sauver la vie… L'heure n'était plus au combat, mais à la fuite…


- Alors c’est comme ça qu’on rend visite à de vieux amis ? lança l'homme en se plaçant en pleine lumière…

Contrairement à tout ce qu'ils avaient pu envisager, il ne s'agissait là nullement d'un inconnu. Ce visage-là, cette expression taquine, ces cheveux roux, les Monclar ne les connaissaient que trop bien pour les avoir si souvent rencontrés dans une autre vie… Le rouquin les observait, sourire aux lèvres comme jadis, même si celui-ci leur parut quelque peu différents que celui qu'ils avaient toujours connu.

- Vous auriez pu m'inviter à la fête.
-Par les Trois, Rowan, vile crapule ! s'exclama l'aîné en allant l'enlacer…

Pour Kaël, le rouquin était comme un frère de cœur, sinon de sang. Un homme pour lequel il aurait donné sa vie sans sourciller comme il le ferait pour toutes les personnes présentes dans cette pièce minuscule.

-Que fais-tu ici, si loin de la cité ? demanda-t-il en s'écartant. Ne t'y ayant jamais croisé, je t'ai cru mort… Et tu ne me feras pas croire que tu ais pu avoir l'idée de rejoindre la milice.
-Pouah, depuis que Log s'est engagé, plus rien ne m'étonne.

Aeryn observait la scène en silence, comme à son habitude. Elle aurait très bien pu se placer dans un coin pour mieux se faire oublier, mais certaines choses semblaient bien plus pressantes et importantes. Ses frères étaient tous les trois blessés, même si ses deux aînés ne laissaient rien paraître…

-Vos retrouvailles sont certes émouvantes lança la rouquine qui soutenait toujours le pauvre Elwin qui souffrait assez pour perdre l'envie de sourire. Mais vous saignez tous les trois, il serait peut-être bon de s'occuper de vos blessures avant tout autre chose, non ?… Les siennes en priorité.

Son regard froid et distant se posa sur leur vieux compagnon d'armes. Elle se doutait bien que malgré tout ce qu'ils avaient pu traverser ensemble, malgré la dette exorbitante qu'elle lui devait, Aeryn ne pouvait être qu'une inconnue à ses yeux…

-Ouais les gars, ça urge un peu, là. Manquerait plus que l'odeur attire les goules dehors… Occupons-nous de ça et parlons après, ajouta Elwin en gémissant légèrement tandis que sa sœur l'aider à s'asseoir pour qu'il puisse se reposer. T'aurais pas un truc à boire frangin ? C'te saloperie fait un mal de chien.

Pour une fois, il était bien difficile, même pour lui, de savoir si son sourire était un imposteur ou non. Il faut dire que les retrouvailles n’avaient jamais été sa tasse de thé. La nostalgie était quelque chose qu’il évitait comme la peste et cela depuis bien longtemps. Malgré tout, il serait mentir de dire que son cœur assombrit ne ressentait aucune joie à revoir ces têtes ô combien singulières des Monclar.

C’était plutôt même instinctivement que son corps s’était aussitôt rapproché de son plus vieil ami, pour lui infliger une accolade digne de ce nom. Main fermement placée à son épaule, comme pour affirmer sa présence sous ses yeux, son sourire s’effaça néanmoins brièvement de son visage à la question légitime de son comparse.

« La milice ? Tu veux rire ! »

Fit-il dans un rire un brin nerveux avant de tapoter l’épaule de ce dernier et relâcher après une longue expiration.

« Nah, j’me suis tiré de là quand j’ai vu tous ces bourgeois péter plus haut qu’leur cul. J’préfère rendre service aux bonnes femmes du coin, maintenant. Ça ne paie pas d’mine, mais ça a ses avantages. »

Si tu vois, ce que je veux dire lui lança alors son petit clin d’œil espiègle avant que son regard ne se pose sur l’étrange présence féminine à la chevelure flamboyante. Tout d’abord surpris, le banni la contempla en long et en large sans trop comprendre ce qu’elle faisait ici. Ce n’était pas dans les habitudes des frères Monclar de se trimballer une femme, aussi compétente soit-elle. Puis, ses yeux allèrent se poser sur Elwin et sa blessure inquiétante.

« Fermez la porte derrière vous. »

Sans plus attendre, l’ancien frère d’armes fit volte-face afin de rejoindre ses affaires et y sortir deux gourdes dont l’une à moitié vide. Il jeta alors la première en direction de l’aîné afin qu’il puisse la partager avec ses coéquipiers.

« Désolé, j’avais pas prévu d’recevoir des invités. »

La seconde resta précieusement entre ses mains avant de réduire rapidement la distance entre eux deux. Traduisant le regard froid et distant de l’étrangère comme un avertissement silencieux, il décida finalement d’ouvrir la bouteille et la lui tendre pour qu’elle constate elle-même son contenu. Oui, la liqueur devait être aisément reconnaissable.

« Qu’est-ce qui vous est arrivé ? »

Désormais agenouillé devant son ancien frère d’armes, Rowan chercha instinctivement à dégager ses plaies. Loin d’être guérisseur, il avait tout de même appris quelques astuces de base à travers ses années de survie et de combat.

« Les cendres sont encore chaudes. »

Lança-t-il à l’encontre des deux autres frangins afin de les inviter à rallumer les flammes. Tous devaient avoir deviné ce que le rouquin avait en tête. Ce n’était certes pas la méthode la plus agréable, mais la plus rapide et efficace qu’il connaisse pour traiter les plaies. Sourire compatissant aux lèvres, bien qu’un peu forcé, il tendit finalement la liqueur à ce dernier.

« Tiens bois un coup. »

Un coup seulement, le reste servirait à faire passer la douleur. Mais tandis qu’il le laissa rassembler tout son courage, ses yeux dérivèrent à nouveau sur l’étrangère. Méfiant, prudent, il la scruta une nouvelle fois de ses yeux sombres avant de lancer sur le ton de la plaisanterie à l’encontre du plus gravement blessé.

« Et c’est qui elle ? Vas pas m’dire qu’t'es trouvé une bonne femme ? »




« Ryn ! »

Le cri retentit à travers les coups d’épée jusqu’à parvenir aux oreilles du mercenaire à la chevelure de feu. Tournoyant sur lui-même après avoir achevé l’un de ses ennemis, ses yeux suivirent ceux de Kael jusqu’à finalement tomber sur le cadet de la famille Monclar, clairement en difficulté. La dernière chose dont il se souvenait était la sensation de sa dague mesquine dans la gorge de l’orc qui eut le malheur de lui tourner trop longtemps le dos.

Comment était parvenu à le rejoindre si rapidement ? Il ne le savait plus. Ce n’était plus son esprit qui était aux commandes, mais bien ses instincts. Sa survie en dépendait. Ainsi, c’était couvert de sang et relativement essoufflé, que le rouquin adressa son regard sur le plus jeune de la bande. À travers son casque d’argent, impossible pour lui de savoir s’il avait regagné ses esprits. Il lui tendit alors rapidement la main, pressé par le temps.

« Tu me remercieras plus tard ! ON BOUGE ! »

Sans plus attendre, sa main agrippa la sienne avec force, le hissant avec une étrange facilité sur ses deux pattes. De là, plus aucune hésitation il y avait à avoir. Chacun devait fuir de son côté, quitte à s’éparpiller. Les risques du métier comme disait si souvent l’ancien. Le tout était de savoir où se retrouver. Et ça, heureusement tout le monde l’avait bien compris.

C’était donc avec le gamin à sa suite que le rouquin traversait les fourrés sans s’arrêter. Les flèches, les coups de hache, plus rien n’avait d’importance. Il fallait les dévier, les parer, mais surtout pas les rendre. Non, il n’y avait plus le temps de se battre, le risque de se faire encerclé était bien trop important.

Combien de temps, quelle distance furent nécessaire pour s’échapper à l’étrange duo, personne ne le savait vraiment. Toujours est-il que ce fut finalement dans une crevasse, aux bordures d’un point d’eau, qu’ils purent se réfugier. Le lourd et long silence qui s’en suivit démontra leur succès.

Un profond soulagement traduit, par un lent soupire, s’empara alors de lui. C’était vivant et surtout entier qu’ils avaient réussi à s’en tirer. Restait à savoir si les autres avaient également connu le même exploit. En attendant, c’était à bout de souffle que celui-ci se pencha sur le ruisseau, profitant de l’occasion pour remplir sa gourde et rafraîchir son visage. À peine prit-il le temps de boire à sa soif que sa main s’était naturellement tendue dans la direction du plus jeune.

« Tiens ! »

Au cœur du chaos, le doute ne trouve aucunement sa place. Il faut savoir reconnaître une défaite lorsque celle ci se présente, sans même chercher à combattre l'invincible. Ils étaient trop peu nombreux pour affronter pareils ennemis et les échos de voix résonnant çà et là, laissaient supposer que la retraite restait la seule et unique possibilité. Les morts sont inutiles, seulement un tas de nourriture offert aux charognards et autres nécrophages, alors autant éviter de leur ressembler. Encouragée par ses frères, occupés à leur garantir une chance de survie, Aeryn ne put donc que suivre le mercenaire qui venait de lui sauver la vie. Elle courait en regardant droit devant elle, mais ses pensées allaient toutes à sa famille restée en arrière. Ils fuiraient, eux aussi, la rouquine n’en doutait pas, mais probablement pas dans la même direction qu’eux. Il faudrait donc les retrouver plus tard… Avant de compter leurs pertes…

Elle le suivit donc, jusqu’à une sorte de crevasse traversée par un mince filet d’eau. Haletante, la mercenaire se laissa tomber à terre afin de reprendre son souffle tout en observant son compagnon d’infortune se rafraîchir à même le ruisseau… Elle l’enviait, rêvant de pouvoir faire de même en se débarrassant de cette prison d’acier qui l’empêchait presque de respirer… La jeune femme rêvait de faire disparaître la sueur ruisselant sur son visage pâle, de pouvoir savourer la fraîcheur de l’eau, autant sur sa peau blafarde que dans sa gorge serrée et assoiffée… Néanmoins, une telle chose lui était tout bonnement interdite, et c’est avec difficulté qu’elle s'efforça de refuser la gourde que Rowan lui tendait si naturellement.

-Non merci, je n'ai pas soif, mentit-elle en se relevant pour mieux lui tourner le dos et résister à l'envie de se désaltérer.

Elle aurait très bien pu accepter et lui demander ensuite de se retourner en prétextant une difformité quelconque, mais cela reviendrait à courir le risque de le voir affirmer qu’une telle chose ne le dérangeait pas. La laideur n’effrayait, hélas, que les demoiselles et les prostituées. Les hommes, eux, se fichaient bien de se retrouver face à un visage décharné ou totalement défiguré. Le refus et le mensonge restaient donc sa meilleure option, quand bien même crevait-elle d’envie de boire elle aussi...Au lieu de quoi, alla-t-elle frapper dans un caillou ayant eut le malheur de se trouver sur sa route.

-Puisque nous sommes "plus tard"... Je te remercie également pour tout à l'heure.

Elle ne le regardait pas en disant cela, préférant se perdre dans la contemplation des bois alentours, guettant la venue d’une toute autre présence humaine… Des membres de sa famille, de préférence, elle ne se souciait guère des autres, après tout. On ne lui laissait aucune possibilité de pouvoir se lier d'amitié avec qui que ce soit, pas même une simple camaraderie que l'on alloue généralement aux frères d'armes… Même en lui étant redevable pour lui avoir permis de fuir ces ruines maudites et surtout de rester en vie, Rowan ne ferait pourtant nullement exception. Leur relation n'irait jamais plus loin que l'ouverture d'une dette dont elle devrait s'acquitter un jour ou l'autre… Une simple question d'honneur et de respect, ni plus, ni moins…

Les minutes passèrent sans que le petit dernier des Monclar ne dise un seul mot. Il n'était pas connu pour être bavard et encore moins démonstratif, à supposer qu'une tête dissimulée sous un heaume puisse exprimer quoi que ce soit. Un bruit attira son attention. Sa main se porta machinalement à sa ceinture pour y chercher l'épée qui n'était plus à sa place… Des dagues non plus… Dans la précipitation, Aeryn avait oublié de récupérer ses armes et se voyait donc dépourvu de toute protection autre que son armure… Mais les lames s'avéreraient cependant tout à fait inutile, puisque l'intru approchant ne fut en réalité que son frère.

-Ah! Vous voilà, lança Kaël en s'approchant du duo avant de crier : Ils sont là !

D'instinct il alla placer une main lourde sur l'épaule de sa jeune sœur, avant de s'assurer que celle-ci allait bien. Son regard chargé de reconnaissance se posa ensuite sur son ami, avant de lui offrir un sourire sincère… Au total, leur expédition ratée coûta la vie à cinq de leurs hommes. Trois autres furent gravement blessés, la plupart ne s'en sortaient qu'avec quelques plaies plus ou moins importantes… Un bilan qui s'avérera finalement plus lourd qu'escompté, mais qui leur servira également de leçon pour la suite...



Garder ses distances était comme une sorte de seconde nature pour la mercenaire constamment sur ses gardes. On l'avait élevé ainsi, suffisamment loin des autres pour qu'elle apprenne à s'en méfier, qu'importe le nombre de fois où ils s'étaient croisés jadis. Ses attaches allaient toutes vers sa famille, même si depuis l'arrivée de la fange, elle avait appris à accepter quelques personnes dans son sillage... Enfin, une seule, pour être exacte, la vieille propriétaire de l'auberge qui lui servait de logeuse comme d'employeur quand les temps étaient trop peu cléments pour les mercenaires.

-Une drôle d'histoire. Nous étions sur la route de Conques lorsque des bandits trop bruyants nous ont attaqués… Avant que la fange ne s'en mêle. Nous avons donc été contraints de fuir… Et nous voilà.
-N'aie crainte, ajouta Elwin en serrant les dents. Nous devons nos plaies à des armes humaines, pas aux crocs et aux griffes de ces saloperies.

L'on dit que les morts meurtries par la fange finissent par se relever en prenant les traits des créatures. Aucun d'eux ne voulait éveiller les doutes de leur vieil ami… Qui pouvait être certains que ce dernier ne chercherait pas à les tuer ensuite simplement par peur de se retrouver pris au piège avec l'un de ses monstres ? Personne ne pouvait évidemment affirmer que ce Rowan là était sensiblement le même que celui qu'ils avaient connus jadis. Les années avaient passé, le monde était de plus en plus hostiles… La méfiance ne pouvait être que de mise.

Néanmoins, ce ne fut nullement le cas. Rowan ne montra qu'une certaine sollicitude des plus amicale, partageant avec eux sa boisson et son feu aux braises encore suffisamment chaudes pour être aisément ravivées. Ce fut Ivaad qui se chargea de le rallumer en ajoutant le nécessaire pour faire apparaître de nouvelles flammes.

Durant ce temps, Elwin s'agrippait à la bouteille, trouvant un certain réconfort en son contenu…

-Hé, vas-y doucement… Ce n'est pas le bon endroit pour être ivre.

-Tu sais ce qui m'attend, non ? rétorqua-t-il en désignant le poignard que Kaël venait de placer au cœur du brasier.Je peux bien être ivre pour endurer ça...
-Tu en as vu d'autres, ce ne sera pas une première.

Le sourire qu'elle affichait se voulait rassurant bien que sincèrement amusée par la réaction son frère. La blessure n'était guère engageante, mais au moins Elwin réussissait encore à plaisanter… La question de leur ancien compagnon d'armes lui arracha même quelques éclats de rire sitôt effacés par une toux presque maladive, expressément provoquée par le coup que sa benjamine vint lui porter.

- Une bonne femme, elle? pouffa-t-il une nouvelle fois avant que Kael ne prenne la parole.
- Il est vrai que tu n'as jamais eut l'occasion de voir Ryn sans son heaume et son armure.
- Aeryn...J'aime mieux que l'on m'appelle par mon prénom entier maintenant que je n'ai plus à me cacher. Après aujourd'hui, j'aurai donc deux dettes envers toi, lança-t-elle en lui tendant la main.
- Allez, l'rouquin, avoue que tu ne t'y attendais pas à celle-là, s'exclaffa le géant avant d'attraper la bouteille que tenait Elwin.

La gêne, tout à fait justifiée, de leur ami leur apparut avec évidence, même si celui-ci veillait à la dissimuler au mieux en plaçant une main sur son visage pâle. Les frères Monclar n'en avaient donc pas fini de rire. Et cette hilarité, toute aussi inattendue que la nouvelle que le jeune homme venait d'entendre, leur fit le plus grand bien. L'espace d'un instant, ils oublièrent leur situation des plus précaire. La fange n'existait plus. Personne dans cette bâtisse n'était blessé… Le monde ne courrait plus vers sa perte… Tout allait bien.

Cette situation presque irréelle, dans un contexte comme celui-ci, les ramenait bien des années en arrière, à une époque plus simple, plus joyeuse aussi… Ils riaient souvent ainsi, dans une autre vie, assis dans une taverne, autour d'un verre, après la réussite d'une mission périlleuse, une fois que le stress de la bataille était retombé. Du moins, c'était ainsi pour tous les hommes ici présent. Aeryn, pour qui la scène était bien peu commune, se renferma quelque peu. De tous temps, la jeune femme fut toujours exclue de ces petits moments de joies et d'humanité afin de toujours préserver le secret du paternel. Ainsi, la rouquine ne se joignit nullement aux rires, se contentant de les observer, les lèvres légèrement étirées par un rictus quelque peu contrit.

- Enchantée... lui répondit-elle en serrant brièvement sa main, avant de s'éloigner.

Il est vrai que ces retrouvailles ressemblaient en tout point à des présentations. Au fond, ces deux-là ne se connaissaient pas. Ils ne s'étaient jamais réellement parlés, quand bien même se montrait-il proche de ses frères. Lui ne représentait rien d'autre qu'un visage plus ou moins familier, tandis qu'elle restait une inconnue. Leur amitié, Aeryn avait été contrainte de l'observer de loin, sans jamais se mêler à eux.

- Allons, allons, tu n'as pas à te sentir si mal, mon frère. Tu te retrouves seulement en face du secret le mieux gardé de notre père.
- T'es pas l'premier à t'être fait berner par l'vieux, va. Et encore moins l'dernier.
- C'est bon, je pense qu'il a compris…
- Difficile… Regarde sa tête. Il a le visage presque aussi roux que sa tignasse… et la tienne.
- Il faut encore s'occuper de la blessure d'Elwin… Vous pourrez vous rappeler le bon vieux temps plus tard… Il me semble que lui aussi a de nombreuses raisons de rire de vous trois...

À ces mots, la mercenaire alla s'emparer de la lame reposant sur le brasier avant de se tourner vers son frère…

- Prêt ?
- J'ai le droit de dire non ?
- Tu peux dire non… Mais cela ne changera pas grand-chose… Mords dans ton ceinturons, ce n'est pas le moment d'attirer ces bestioles ici...

L'archer au visage couvert de sueur se contenta de hocher la tête avant d'écouter les recommandations de sa sœur. La lanière de cuir lui permettrait de retenir les hurlements qui ne tardèrent pas à vouloir sortir de ses entrailles. La morsure du feu fut vive, ardente… Mais nécessaire… Cela lui permettrait de tenir jusqu'au prochain village avant de se rendre au Temple pour parfaire les soins d'une manière beaucoup barbare et pressante que celle-ci.

Une fois la plaie cautérisée, la lame regagna les flammes tandis qu'Aeryn alla s'asseoir près d'Elwin qui avait finit par perdre connaissance.

- Par les Trois, quelle petite nature, celui-là...
- Ton tour vient après, à ta place, je ne ferai pas le malin.
- Ahah, pouffa Kaël dans son coin. Ça me rappelle la fois où Rowan à essayé de séduire la fille du forgeron d'Estang et qu'Ivaad à fini assit dans le foyer de la forge… Vous vous souvenez de ça?
- Tu parles si je m'en souviens… Je n'ai pas pu m'asseoir durant trois mois après cela et, heureusement pour moi, le vieux était trop fauché pour entretenir son four… Sans quoi, mon gracieux séant ne s'en serait pas remis… Tu m'en dois une pour cette histoire, Rowan, j'te l'dis. Sans moi, il t'aurait embroché pendant que tu fouraillais sa fille sur son établis.

Il lui était bien difficile de s'émouvoir de ces quelques souvenirs auxquels Aeryn n'avait, finalement, jamais assisté. Ses frères se contentaient généralement de leur rapporter les faits, juste histoire de lui offrir une bien maigre distraction dans son existence solitaire. Ce récit, la rouquine l'avait bien évidemment déjà entendu. Après tout, il fallait bien expliquer l'état du séant de son aîné tout en lui donnant des raisons de rire de lui tout en se chargeant de changer ses cataplasmes… L'histoire, n'était-elle pas si cocasse et passablement humiliante pour se permettre d'en rire ?

Néanmoins, une fois encore, comme maintes fois auparavant, la mercenaire se sentait exclue de la conversation. Alors, tout naturellement elle alla se placer face au brasier, trouvant dans la vue des flammes dansante un spectacle presque féerique tant il en était envoûtant.

- Il est vrai, il vrai… Toutefois, on aurait quand même dû se douter que le vieux ne nous ferait aucun prix. Il était déjà ruiné le bougre.
- Tout cela pour rien... soupira Kaël, de manière bien trop théâtrale pour paraître sérieuse.
- Mon postérieur a bien failli perdre la face...
- Ou la fesse, plutôt, murmura l'archer qui venait de se réveiller en gémissant quelque peu. Bordel, c'te saloperie fait un mal de chien...
-Souffrir pour guérir, frangin. Mieux vaut cela que de crever bêtement en te vidant de ton sang.
- Si tu as déjà assez de force pour faire de l'humour, c'est que tu es en bonne voie.

Avant la fange, à l'époque où leur famille était encore composée de huit âmes, l'ambiance fraternelle était bien différente. En ce temps, même si ces trois-là paraissaient bien plus soudés qu'ils ne l'étaient avec leurs deux aînés détestables, leur relation n'avait pourtant rien de comparable avec celle qu'ils entretenaient à présent. L'ombre de leur paternel toujours plus exigeant ne leur imposait plus aucune rivalité déplacée. Les pertes, les blessures, le besoin de survie constamment ressentis les avaient indéniablement rapprochés. Aeryn ne put s'empêcher de sourire en les observant, les taquineries, bien que quotidiennes, n'étaient jamais blessantes. Tous riaient de leurs propres bêtises et la mercenaire savait apprécier ces petits instants chargés de l'insouciance dont elle fut privée autrefois.

Un léger frisson lui parcourut la nuque… Rien de particulièrement plaisant ici, ce fut au contraire une sensation des plus désagréable qui la força à tourner la tête vers le responsable. À son expression, la mercenaire compris, malgré sa gêne évidente, que le jeune homme se montrait curieux face à ses cheveux aussi roux que les siens…

- Des tordus ? En avait-elle réellement croisé ? Oui et non... Surtout des ignares et des superstitieux... Je ne pense pas attirer ce genre de curiosité pour ma part. Mes cheveux inspirent le délicat sobriquet de sorcière… Ma tenue et mes armes attirent plutôt les railleries chargées de mépris ou les insultes.
- Et puis, tu peux compter sur elle pour tenir les hommes à l'écart. Son regard suffit à repousser les plus téméraires.
- Nous n'avons pas encore eut de soucis à nous faire, de ce côté-là.
- Cela ne m'intéresse en aucune manières... soupira-t-elle avant de se saisir de nouveau de la lame chauffée à blanc tout en se relevant. Allez, à toi, le géant junior.
- Elwin, observe comment un homme doit endurer la douleur.

La montagne se délesta de ses pièces d'armures, de la chemise, avant d'exposer son dos tailladé à sa jeune sœur. Celle-ci ne prit nullement la peine de se débarrasser du sang séché et appliqua directement la lame brûlante sur la plaie. Il serra les dents, grognant légèrement tandis que des perles de sueurs coulaient le long de son front… S'il tenait bon le mercenaire, ce n'était que par pure fierté… Ceci fait, la lame regagna les flammes.

- Ne te fie pas à son joli minois, Ryn a son caractère...
- Mis à part son apparence, et encore… Elle n'a rien d'une femme.

Son regard se perdit de nouveau dans la danse du brasier… Même si elle n'en montrait rien, là rouquine traversait une véritable crise identitaire. Elle n'était pas un homme, c'était un fait indéniable… Mais elle ne se sentait pas femme pour autant… Aussi, ce genre de remarque, même si celles-ci ne la blessaient en aucune manière, provoquaient toujours quelques interrogations chez elle…

- Pourtant c'en est une.
- Ne serais-je pas plutôt un mensonge voir, je ne sais pas... Une… chimère ? lança-t-elle à Rowan en affichant un sourire qui n'avait strictement rien de sincère.
-Raaaah, arrête, Ryn, tu sais bien que je plaisante. Je souligne juste le fait que nous n'avons aucun souci à nous faire quant aux attitudes cavalières des hommes. Entre ton apparence et ton caractère, tu te débrouilles très bien toute seule pour les dissuader de se montrer familier envers toi.

Elle leva les yeux au ciel avant de se tourner vers lui.

- La douleur ne t'a certes pas assommé, mais moi, je peux encore le faire. Essaie donc de te faire quelques minutes, Ivaad.
- Voilà des paroles pleines de féminité, petite sœur...
- La ferme, grogna-t-elle avec bien plus d'agressivité.
- Ça suffit, vous deux… Ce n'est pas le moment de vous disputer...
- Ça va…
- Comme tu le vois… Elle a son caractère.
- Ouais, avec un tempérament comme le sien, elle ne trouvera jamais de mari.
- Ivaad ! gronda l'aîné. J'ai dit "Ça suffit"
- C'est bon… Dans tous les cas, je n'ai pas ce genre de préoccupation et contrairement à lui, je n'ai point le feu au derrière, retorqua-t-elle en faisant volontairement référence à l'épisode évoqué plus tôt, ce qui eut au moins le mérite de détendre quelque peu l'atmosphère. Ivaad éclata de rire, sitôt imité par les deux autres. La crise était passée.

- Ahah, bien renvoyé, p'tite soeur.
- Sinon, mon frère, raconte-nous. Comment vont les affaires à l'extérieur. Il n'est pas temps à errer seul dans les marais. Comment fais-tu pour survivre ?
- C'est vrai ça ! Je dois dire que je suis plutôt admiratif surtout après ce que nous venons de vivre.

Toute l'attention de la fratrie se porta alors vers leur vieil ami. Chacun d'eux avait parfaitement conscience de la difficulté de survivre à l'extérieur des murs. La fange était imprévisible… Agressive… Sans les bandits qui leur ont finalement servi d'échappatoire de chair, aucun d'eux n'aurait survécu à l'attaque, même en étant quatre faces à deux assaillants… La fange changeait la donne… Ils le savaient, alors comment Rowan avait-il réussi à survivre seul aussi longtemps dans ce monde hostile ?

Malgré leur situation et la présence de la fange à l’extérieur, l’ambiance n’en restait pas moins bonne enfant. Evidemment, aucun d’eux n’oubliaient que mieux valait ne pas de se montrer trop bruyant, au risque d’attirer les créatures qui ne manqueraient certainement pas d’anéantir leur abri de fortune avant de se repaître de leurs chairs. Dans un contexte pareil, les réjouissances des retrouvailles prenaient un côté plus réservé que toutes celles qu’ils avaient connu auparavant, lorsque leurs chemins contraires trouvaient néanmoins le moyen de se croiser de nouveau.

La plus réservée de tous ne pouvait être que la seule femme du groupe. Celle ci, même si elle réagissait de temps à autre, restait tout de même distante, faute de se sentir concernée par tous ces souvenirs évoqués. Pour autant, chacun d’eux veillait à l’intégrer à la conversation usant, comme souvent, de railleries enfantines pour la faire réagir, si bien que même l’autre rouquin de la bande se laissa prendre au jeu des Monclar, en venant ébouriffer la tignasse de la mercenaire.

-Mouais, pas sûr que ce soit une bonne chose, ça, marmona-t-elle dans sa barbe avant de bougonner.

Sa réaction, peu habituelle, ne manqua pas d’attirer l’attention de l’ainé qui observait la scène en souriant. Jamais Aeryn ne se serait laissée toucher de la sorte par quiconque. Le dernier homme qui avait essayé de plaisanter ainsi avec elle avait vu ses bijoux de famille gratifiées d’un coup de coude qu’il n’oublierait probablement pas de sitôt.

- Un peu de respect, gamine, gronda gentiment la montagne. Tu parles tout de même de tes aînés.
- Je le sais bien, justement, railla-t-elle avant de tirer la langue à son frère qui ne pu retenir un éclat de rire.
- La voilà qui réagit comme une enfant à présent, s’esclaffa l’archer. On aura tout vu. Estime-toi chanceux, Rowan, Ryn ne t’as pas mordu...
- C’est c’que j’disais, c’est pasune femme.
- Je t’emmerde, Ivaad, lui répondit la rouquine tout en lui offrant un geste qui allait de paire avec ses paroles. Geste qui fut de nouveau suivi par de nouveaux éclats de rires. Je dois dire que je ne sais pas comment tu fais pour les apprécier… Moi je n’ai pas trop le choix… Mais toi… Non, vraiment ça m’échappe...
La discussion perdit peu à peu de son côté joyeux pour se focaliser sur la réalité et surtout, sur les moyens de survivre de leur vieil ami. Tous se turent pour écouter le mercenaire tandis que celui vint finalement s’asseoir près du feu, non loin de la jeune femme qui semblait se focaliser sur les expressions de son visage. Pour elle, même si son récit avait tout de vraisemblable, puisqu’une seule personne restait moins détectable qu’un groupe entier, le jeune homme semblait néanmoins avoir perdu de son “naturel” sans qu’elle n’en comprenne la raison pour autant….

Mentait-il ? Non… Pour quelle raison le ferait-il ? Cela n’aurait aucun sens, n’est-ce pas ?

- Un homme seul face à une meute ? Des loups, je suppose ? l’interrogea Kaël visiblement perplexe. Serait-ce raisonnable, mon frère ?
- Si ce n’est que ça, on peut très bien lui prêter main forte. Ca nous changera de tous ces contrats minables qu’on nous refile ces derniers temps...
-Ouais, depuis la fange, nous sommes passés de l’état de mercenaires, de soldats à prix d’or, à “hommes” à tout faire. On a l’impression de ressembler à ces foutus routiers qui jonglaient entres contrats et putains.
- Questions putains, tu sais de quoi tu parles et t’es bien le seul, mon vieux, plaisanta le plus jeune avant de prendre une mine plus sérieuse. On passe de petit contrat à petit contrat. Difficile de faire mieux lorsque l’on est que quatre...
- Nous avons pour projet d’intégrer la Compagnie des Lames. Certes, ils n’ont pas autant d’hommes que les compagnies que nous avons contoyés autrefois, mais cela augmenterait nos chances… Ryn pourrait peut-être arrêter de travailler dans cette auberge ...

En guise de réponse, la rouquine ne lui offrit qu’un sourire pincé, chargé de sarcasme. Non, elle n’avait nullement l’intention de quitter l’auberge, même après avoir intégré les lames. Ce travail là, bien que diamétralement différent de celui de mercenaire, lui permettait de préserver une certaine indépendance à laquelle la jeune femme avait largement eu le temps de prendre goût. Et cela, ses frères le savaient parfaitement, même si cela leur déplaisait.

Lorsque le sujet de conversation se tourna vers Loghart, Aeryn se braqua aussitôt, se murant dans le silence… Ses yeux se posèrent sur les flammes et ne les quittèrent plus.

- Le choix de Log’ est un sujet… Tabou.
- Cet abruti pensait que Rodrick , Rohan et Aren étaient encore en vie, quelque part. Il a préféré rejoindre ces foutus miliciens plutôt que de rester avec nous… C’est une décision que nous avons du mal à digérer… Surtout Ryn.

“La ferme”, pensa-t-elle sans pour autant détourner le regard du brasier. Pour elle, son frère milicien n’était qu’un traître qui n’avait fait d’autre choix que celui de l’abandonner elle pour poursuivre une chimère. Si Rodrick était encore debout, celui-ci ne pouvait qu’avoir perdu son humanité pour se muer en l’un de ces monstres à la peau verdâtre et lisse… Son épée, gigantesque, gisait probablement quelque part dans les marais, à moins qu’elle ne soit restée dans leur vieille maison oubliée… Qu’importe, les créatures ne se servaient plus que de leurs griffes et de leurs crocs…

- Toi qui passe ton temps dehors, cela m’étonne que tu ne l’ai pas croisé depuis le temps.
- Boaf, il est p’têtre mort, après tout...
- Mouais… T’as probablement raison.
-Dites, vous ne voudriez pas parler d’autre chose ? On se fiche de ce qu’est devenu cet idiot... grogna la rouquine avant de leur tourner brusquement le dos.
- Tiens ! Puisqu’on s’est retrouvé, pourquoi tu ne rejoindrais pas les Lames avec nous ? On pourrait travailler ensemble, comme au bon vieux temps ! T’en dis quoi ?

« Nahh…. Ça s’ra sans moi, mes frères ! »

Aucun de ses frères ne sembla s'étonner de la réponse étrangement brutale de leur compagnon. Ne venait-il pourtant pas d'éluder la question des loups avant de refuser sans détour de se joindre à eux pour intégrer une compagnie ? N'était-ce pas une aubaine pour lui ou pour n'importe quel autre mercenaire isolé ? Était-elle réellement la seule à être surprise par un comportement qui lui ressemblait pourtant si peu ? Non… Une petite lueur passa dans le regard de l'aîné, légère et fugace qui malgré tout, en disait long sur ses propres doutes. Néanmoins, la rouquine ne dit rien, comme tous les autres, se contentant de détourner le regard, une fois encore, pour mieux réfléchir tout en observant les flammes.

« J’vous dis. J’ai appris à vivre seul, les gars… La compagnie….C'est plus pour moi. Mais…faudra qu’m’invitiez à boire un verre à l’occasion ! »

Mensonge ? Tout ce que le rouquin pouvait dire sonnait faux aux oreilles de la jeune femme à présent. Jusque-là, la mercenaire crue sentir une certaine retenue dans sa jovialité qui pourtant, semblait sincère. Peut-être était-ce le cas, peut-être était-il réellement heureux de les revoir après tout ce temps, mais que quelque chose ternissait ces retrouvailles… Mais dans ce cas, d'où venait ce malaise ?

La réponse ne lui apparaîtrait pas dans l'immédiat puisque le jeune homme coupa court à la conversation de manière toute aussi brutale. Cette fois, la surprise se lisait aisément dans le regard de ses aînés, mais aucun d'eux ne protesta. Au fond, ils étaient tous épuisés et la route vers Marbrume encore longue… Trop longue pour espérer la traverser sans rencontrer d'autres embûches. Ainsi, les mercenaires se trouvèrent une place pour dormir tandis que le rouquin proposait, étrangement, de prendre le premier tour de garde… Mais Aeryn, déjà bien trop soupçonneuse et peu encline à dormir avec autant de compagnie, se contenta de s'adosser contre un mur, gardant son épée à portée de main.

C'est assise à même le sol, les yeux mi-clos pour simuler un sommeil profond et paisible, que la mercenaire passa la nuit à observer le rouquin. C'est ainsi qu'elle le regarda se lever sans bruit, s'apprêtant visiblement à leur fausser compagnie sans mot dire... Comptait-il réellement partir ainsi ? À l'évidence, oui. À pas de loup, Rowan ouvrit la porte avant de sortir de leur abri sans même se retourner. Contrariée, Aeryn l'imita, veillant à ne pas réveiller ses aînés afin de ne pas être dérangés.

« Matinal à ce que je vois. » lança-t-il en se retournant vers elle.

Prit sur le fait. Voilà ce que son sourire laissait entendre. Rowan comptait bel et bien s'en aller sans même leur dire au revoir avant l'éveil de la petite troupe. La rouquine le sentait, il n'était pas désolé pour un sou, ni même réellement surprit de la trouver là, seulement navré que son plan ne se soit pas déroulé comme prévu.

- Pas autant que toi, apparemment, déclara-t-elle en croisant les bras d'un air parfaitement détaché.

Malgré sa méfiance à son égard, Aeryn n'en laissa rien paraître. Après tout, leur vieil ami avait bien le droit au bénéfice du doute, comme tout un chacun… Néanmoins, nulle hésitation sur le fait qu'il ne pouvait partir sans bonne raison, pas de cette façon si étrange qui ne ressemblait en rien aux manières de l'homme qu'ils avaient connu jadis.

- Depuis quand pars-tu sans dire au revoir, Rowan ? Je pensais que nous étions amis...

Aucune tristesse, aucune déception dans son regard, seulement le froid glacial qui la caractérisait depuis toujours. Ses yeux , perçant, fixaient le regard de l'ancien mercenaire devenu solitaire y cherchant une réponse… La vérité, quelle qu'elle soit...

- Que nous caches-tu ?

La question fut prononcée sans aucune hésitation. Elle ne doutait pas, elle savait qu'il ne se montrait pas franc envers eux. Des secrets, il en avait forcément, comme tout le monde. Mais sa manière de partir rappelait bien trop une fuite pour paraître anodine.

- Tu te penses en danger avec nous, n'est-ce pas ? Pourquoi ?

Ses questions perdaient peu à peu de leur côté interrogatif. Tout en le dévisageant, la mercenaire se mit à lui tourner autour tout réfléchissant aux raisons qui le pousseraient à agir de la sorte. Peur de se faire voler ses provisions ? Non, il les avait lui-même partagé. Quand bien même en aurait-il caché, il devait bien se douter que les Monclar étaient des "hommes" d'honneur. Le vol ne faisait aucunement parti de leur activité… Honneur… Loyauté… Ce n'était pas pour ses possessions que le jeune homme s'inquiétait, mais pour sa vie… Pourquoi ? Une seule raison lui vint à l'esprit, une seule raison logique et imparable qui lui fit immédiatement baisser les bras.

- Tu es marqué, c'est ça ? murmura-t-elle d'une voix plus douce qu'à son habitude…

Elle le connaissait assez pour savoir que le rouquin n'avait rien du hors-la-loi dangereux qui méritait une punition pire que la mort… "Les gens changent", songea-t-elle… L'adversité, la misère, la peur, étaient autant d'ingrédients pouvant changer la mentalité de tout un chacun transformant ainsi, le plus doux des agneaux en loup redoutable, dangereux. Mais pour autant, elle savait aussi que la justice comprenait nombre de failles plus ou moins importantes. Le bannissement n'existait plus, néanmoins, en son temps le trouble précipitait les décisions souvent arbitraires et erronées. C'était peut-être son cas… Aucune certitude cela dit, mieux valait s'en assurer… Après tout ce temps, les moments qu'ils avaient partagés, les batailles qu'ils avaient menées côte-à-côte, la rouquine voulait encore croire en lui car elle savait, qu'autrefois, Rowan était un homme bien. Digne de confiance… Même si rien ne pouvait lui garantir que c'était toujours le cas.

-Qu'as-tu fait, Rowan ?

Impossible pour elle se savoir si ce vieil ami de la famille plaisantait ou non en énonçant une liste de crimes menant jadis au bannissement… En cela, il lui en apportait néanmoins la preuve… Rowan avait été banni. Il avait raison, qu’importe le crime, s’il en existe bel et bien un, la marque le prive de retour en arrière. On l’avait jeté dehors, à la merci des pires ennemis que l’humanité puisse connaitre, la fange et l’Homme lui-même. Sa vie ne valait plus rien pour ses semblables, pire, ils le voulaient mort… Point de question, non, juste la mort…

« Tu n’es même pas censée me poser la question, tu sais... » lança-t-il visiblement amusé malgré le côté dramatique de la situation.

La loi, qu’elle s’évertuait à respecter, l’obligeait à le tuer… Il le fallait, simplement parce que les bannis se devaient être aussi dangereux que les créatures qui peuplaient les marais. Il devait mourir parce qu’aux yeux de la loi ducale, il n’était rien d’autre qu’un criminel… Néanmoins, il restait Rowan, le garçon souriant qui n’avait pas réfléchi une seule seconde avant de lui sauver la vie autrefois alors que la sienne était toute aussi en danger. Il restait l’idiot qui plaisantait sans cesses et qui arrachait tant de sourires sincères à Kaël… Celui qui partageait son pain et son vin sans compter… Ce n’était donc pas seulement un banni… Que sa marque soit justifiée ou non, sa dette à elle perdurerait.

« Je sais, » murmura-t-elle en effleurant le pommeau de sa dague sans pourtant songer à s’en emparer.

Un soupir s’échappa alors qu’elle se refusait à céder à ce bien cruel dilemme. La peau de son avant-bras pouvait bien être marquée, elle n’avait aucune preuve qu’il fut un criminel pour autant. Il ne l’avait pas attaqué, la mercenaire ne se sentait nullement menacée… Pour preuve, lorsqu’il releva la main, Aeryn ne bougea pas d’un pouce, elle ne ferma pas les yeux non plus quand la main vint de nouveau ébouriffer sa tignasse.

« Ry….Aeryn, hu… ? Dommage qu’on se soit pas connu plus tôt, » déclara-t-il en désignant ses propres cheveux tout aussi roux que les siens. « « On aurait fait fureur.» »

« Idiot, » lâcha-t-elle sur le même ton plaisantin que le jeune homme avant de repousser sa main d’une petite tape qui manquait de conviction. « On aurait fini sur le bûcher pour sorcellerie, ouais ! »

Pour cela, elle ne plaisantait qu’à moitié ne comprenant pas réellement ce que Rowan voulait dire par là. Aeryn ne le prenait pas au sérieux, pas toujours, du moins. Cette fois, elle hésitait bel et bien à cause de l’expression qu’il affichait alors. Ses lèvres souriaient, mais ses yeux exprimaient tout autre chose qui lui parut bien plus mélancolique… Il lui disait adieu avant de lui tourner le dos tout en prononçant quelques paroles destinées à la tenir à l’écart.

Bonnes ou mauvaises, il avait ses raisons pour se montrer aussi dur, même si celles-ci échappaient à la rouquine. Si elle ne l’avait pas tué en apprenant pour son bannissement, il devait bien réaliser qu’aucun de ses frères ne le ferait. Pourtant, il choisit tout de même de partir sans rien dire à ses anciens amis… C’est donc là qu’elle comprit que Rowan avait changé. Il n’était plus du tout l’homme qu’ils avaient connus autrefois, voilà ce qu’il voulait dire en affirmant qu’il était mort… Ainsi, les crimes qu’il avait exposé, un peu plus tôt, pouvaient bien être les siens après tout… Pourtant, cette prétendue mort était bel et bien une chose qu’elle refusait d’accepter.

« Ce n’est pas parce que l’on fait de mauvaises choses que l’on est forcément mauvais. Seule compte la raison qui justifie le crime, sans quoi autant me qualifier de meurtrière et m’imposer la même marque toi. » grogna-t-elle sans aucune agressivité dans la voix. « Tu n’es pas encore mort, ton âme est toujours logée dans ta chair… A quoi bon leur donner raison s’ils ont tort, hein ? C’est ce que tu veux être, toi, un simple mort en sursis ? »

Tuer un homme sur un champ de bataille n’était pas jugé comme un assassinat car il s’agissait là de la tâche propre au soldat. Pourtant, une vie était bien ôtée, la guerre remplissait les temples d’orphelin, faisait naître des veuves par centaine. Le bourreau lui-même n’était pas un meurtrier aux yeux du monde alors que sa lame avait probablement pris plus de vie que l’homme dépourvu de tête, gisant sur le sol après qu’il ait accompli son œuvre. Voler un morceau de pain pour ne pas crever de faim valait tout aussi cher qu’apporter la mort… Alors, pouvait-on réellement se fier à une telle vision de la justice ? Non, certainement pas pour la jeune femme qui n’avait toujours pas bougé.

« Ce n’est pas ce que tu fais qui compte, Rowan, mais plutôt pourquoi tu le fais. Alors dis-moi seulement, si ton âme est plus lourde aujourd’hui qu’elle ne l’était hier, à partir de là, je te dirai si mon ami est vraiment mort ou s’il est toujours là à essayer de survivre avec les seules armes qu’on lui a laissé. »

L’on dit que les péchés alourdissent l’âme, c’était effectivement ce qu’Aeryn croyait dur comme fer. Elle se servait de son propre ressenti comme preuve jugeant ses propres actes comme des péchés mais seulement, parce qu’elle acceptait de les voir comme tel. Parce que sa raison et sa foi lui dictaient pareilles pensées comme pour éprouver sa conscience et la rendre ainsi meilleure. Elle porterait son fardeau jusqu’au bout… Elle le voulait… Comme toutes les âmes refusant d’être pervertis… Un assassin, un vrai… Ceux qui aimait donner la mort par pur plaisir, ceux-là, n’avaient point d’âme à alourdir, à porter parce que celle-ci avait déjà été dévorée par la perversion. Ceux-là, n’éprouvaient ni regrets, ni remords… Alors, qu’en était-il de lui ?