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| En quête de secours [Mathilde]: | |
| Alphonse de SarosseVagabond
| Sujet: En quête de secours [Mathilde]: Jeu 7 Mai 2020 - 0:12 | | | ◈En quête de secours◈ 3 septembre 1166. Je n'aurais jamais cru que mon existence puisse être plus difficile qu'elle ne l'était déjà. Pourtant, moi qui avais été sacrifié avec la lignée de Sarosse, moi qui avais vécu de peine et de misère dans les Faubourgs en hiver, moi qui avais participé contre mon gré à la reconquête du Labret au nom de mon pire ennemi, cet exécrable despote de Sigroif de Silvur, je n'avais encore rien vu. En cette période, j'avais déjà pensé être au plus bas, survivant péniblement et me sentant aux prises avec un océan de tourment, incapable de faire face à ces flots du destin aussi capricieux que pernicieux. Aujourd'hui, avec du recul, je peux dire que je m'étais trompé. La perfidie des Trois n'avait pas encore fini de me meurtrir. Elle ne faisait que commencer. Mon malheur s'accentuait tandis que j'étais devenu complice d'une tentative de meurtre sur le duc, désormais roi. Dès lors, les tourments étaient devenus tempête. Je me sentais tel un naufragé. Esseulé et isolé, j'avais perdu mes compagnons d'infortune, mon repère, qui avait été plus taudis que demeure, et je redevenais ce fugitif ayant un rendez-vous manqué avec la mort. Puis, au moment où je m'y attendais le moins, prêt à abandonner et renoncer à ma vie, pensant que la mort serait une délivrance et non plus une condamnation, une infime lueur d'espoir perça au travers de la bruine et de la brume du désespoir. Une accalmie se présentait à moi. Durant une année, je vécus caché sur le plateau, dans la maison d'un petit bourgeois d'Usson nommé Thomas. J'aurais tout donné pour que cela se poursuive et me préserve du tumulte. Avec le temps, peut-être aurais-je réussi à panser mon passé et penser mon futur. Or, tout cela n'était plus que chimère, oblitéré par le retour de la traque des miliciens à mon encontre. Comment avait-il retrouvé ma trace ? Qu'importe. Je ne pouvais que dire au revoir à l'indolence de la maisonnée de mon protecteur pour renouer avec l'urgence de la fuite. Dès lors, je m'étais effacé, m'enfonçant à partir de la lisère dans les bois. Me cachant durant deux jours, j'avais trouvé refuge dans les combles d'une ancienne demeure aux alentours d'Usson. J'avais espéré que mon nouveau repère me préserverait des prédateurs de l'humanité et que mes chasseurs abandonneraient leur chasse. Bien que j'eus la chance de ne pas voir les fangeux encercler ma tanière, j'entendis non loin le passage des hommes d'armes. Encore une fois, je fus obligé de partir au pas de course pour éviter de me faire capturer. J'avais envie d'éclater en sanglots, de hurler de hargne et de faire entendre mon désespoir. Les monstres me forçaient à trouver refuge dans une habitation, alors que les hommes d'armes me cherchaient précisément dans ce genre de lieu abandonné, sachant pertinemment que c'était mon unique solution pour ne pas mourir sous les crocs et les griffes de nos ennemis communs. Traqué par l'esprit retors de l'humain et chassé par la morbide bestialité de la fange, que pouvais-je faire pour m'en sortir ? Je ne le savais guère... Je cheminai aux abords d'Usson sans jamais avoir le courage de m'enfoncer plus profondément dans la forêt ou les marais. Mes sens, irrités par la frayeur d'être attrapé, n'arrêtaient pas de me tromper. Le bruissement du vent dans les feuilles de la canopée ou le craquement d'une brindille me faisait regarder craintivement autour de moi, alors que le moindre bruit m'alertait et m'alarmait. Avançant, posant un pied devant l'autre, je découvrais un nouvel ennemi, ou plutôt une ancienne amante, qui revenait dans ma vie. Aussi meurtrière que la fange et dérangeante que la milice, la faim me dévorait cruellement, avançant inexorablement et minant mes maigres forces. J'avais mal à la tête et j'avais envie de vomir même si je n'avais rien dans l'estomac. Je ne pensais plus clairement. Et puis, à quoi bon pouvoir réfléchir ? Même en faisant fonctionner mon esprit alanguit par l'inanition, je ne pourrais faire fléchir le destin, la malveillante volonté de la Trinité qui semblait être de me voir mourir. Relevant la tête vers la voûte céleste qui se teintait d'une couleur mordorée, j'ouvris les bras en grand, crachant le fiel qui m'habitaient à l'encontre des déités. "Qu'attendez-vous pour me tuer, là, maintenant ? N'avez-vous pas suffisamment joué avec moi ? Ne m'avez-vous pas assez torturé ? Qu'attendez-vous, hein ?! QU'ATTENDEZ-VOUS ?!" Devenais-je fou à parler de la sorte ? Peut-être. Toutefois, je n'étais pas réellement en quête d'un signe ou d'une réponse, mais plutôt d'une forme d'exutoire à ma haine et mes peines. Or, je ne saurais dire si c'est ma stupidité qui amena les miliciens à entendre mes paroles, ou bien si c'est la Trinité qui porta mes mots à leurs oreilles. En un sens, cela ne m'étonnait guère que les divinités m'envoient leur limier suite à mes médisances... -"Par là, j'ai entendu quelque chose !" -"Vite, vite !"Durant un infime instant, je restais immobile. Puis, mon instinct de survie reprit le dessus, me faisant détaler ventre à terre. J'avais été stupide. Trop stupide. Je n'entendais pas encore mes poursuivants sur mes talons, mais je savais qu'ils n'allaient pas tarder à me rattraper. Je n'étais aucunement rapide, trop malade pour pouvoir réellement accélérer efficacement ou pour avoir la forme physique adéquate pour le faire, trop affamé pour cavaler plus longtemps qu'un petit instant. J'étais en bien fâcheuse posture. La nuit arrivait et les hommes d'armes se rapprochaient. Je devais rapidement trouver une solution. Sinon, je finirais découpé par l'épée ou déchiqueté par les griffes. Débouchant de la lisère des bois, délaissant derrière moi leur protection, je continuais à avancer, ralentissant le rythme, non pas par choix, mais par nécessité alors que mon souffle se faisait rare. L'espace dégagé dans lequel je me déplaçais dorénavant me permettrait de voir approcher la fange, mais guère de me cacher des miliciens. Par l'impie Trinité, je n'arrivais pas à dire si je préférais ce nouveau terrain ou non... au bout de quelques enjambées, je réalisais que je marchais dans un champ. Suspendant mon avancée, tournant la tête à droite et à gauche, je cherchais une information qui se dessinait peu à peu comme ma planche de salut. Je vis enfin la chaumière. Mais à qui appartenait-elle ? À une âme charitable ou à un être exécrable ? Bien que je n'étais pas sorti à l'extérieur durant une année complète, Ophélie, la fille du petit bourgeois m'ayant caché, passait le plus clair de son temps à me parler de la vie du village, de ses habitants et de leurs histoires. En quelque sorte, c'était une façon de me faire voyager loin des murs de la demeure, qui était à la fois protection et prison. Ainsi, je connaissais la plupart des habitants d'Usson par leur nom et leur fonction, sans jamais les avoir vus. Certes, il était difficile de se souvenir de ces histoires sans pouvoir mettre des visages sur les noms, mais je me devais de faire un effort. En cette heure, en dépendait peut-être ma survie. J'étais approximativement à une trentaine de minutes du village. D'où j'étais, je pouvais voir les lumières de l'endroit. Qui possédait ce lopin de terre ? Je me rappelais que la jeune fille m'avait parlé du propriétaire et de sa femme... pourquoi déjà ? Pour saluer leur gentillesse ? Non, ce n'était pas ça. C'était une histoire plus triste, plus sombre. Mais laquelle ? Puis, l'illumination vint subitement. Ou du moins, en partie. Le propriétaire s'appelait Philibert. Il s'appelait Philibert ! Reprenant ma course, semblant avoir retrouvé une certaine vigueur avec le possible et potentiel espoir d'en réchapper, j'allai me jeter devant la porte de la chaumière, tambourinant du poing sur le battant. "Par pitié, ouvrez-moi !" J'avais conscience que mon souhait ne serait peut-être pas exaucé. Après tout, qui ouvrirait à un homme apparaissant au crépuscule ? Certes, si mon homologue regardait dehors, il verrait que je ne possédais aucune arme. Toutefois, comment être certain que ce n'était pas un piège ? "Pitié, ils sont sur mes talons !" Mon élocution soignée et civilisée, moi l'ancien mondain, devait jouer en ma faveur, non ? Un misérable bandit ou un infâme banni ne parlerait pas de la sorte ! "Philibert, je vous en prie, aidez-moi ! Philibert Duvas, ouvrez, je vous en prie, ils arrivent !" Jetant un regard par-dessus mon épaule, je voyais les torches des miliciens sortir de la forêt. Si jamais il devait y avoir une aide envers ma personne, celle-ci devrait arriver rapidement, sinon j'étais condamné... ◈◈◈ Quelques instants plus tard, la milice avait fini par apparaître à leur tour devant la porte de la chaumière de Mathilde Dumas. Cognant tranquillement au battant, l'homme d'armes qui parlait pour ses deux compères attendit patiemment que quelqu'un vienne lui ouvrir. Le trio ne pourrait s'attarder encore trop longtemps à l'extérieur. Après tout, ce ne serait que pure folie de traquer un fugitif la nuit avec la fange qui risquait de roder. Toutefois, ils escomptaient questionner la veuve avant de rentrer vers le village. "Milice, ouvrez ! Nous avons quelques questions à vous poser à propos d'un fugitif !"- Option::
Si Mathilde n'a pas ouvert à Alphonse, ce dernier sera allé se réfugier dans l'écurie.
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| | | Mathilde VortigernFermière
| Sujet: Re: En quête de secours [Mathilde]: Sam 9 Mai 2020 - 0:07 | | | Lorsque les champs se parent de leurs reflets dorés et que les épis, au loin, se balancent paresseusement au gré du vent, lorsque le corps n'en peut plus de crier ses douleurs dans le silence assourdissant de la résignation, lorsque l'estomac creux de celui qui a travaillé la terre pour en récolter les fruits durant toute la journée devient une telle obsession qu'il en perd la vigilance nécessaire à sa survie, la cloche sonne la fin de la journée de labeur et marque le début du rituel du soir. Avant le coucher du soleil, les trois travailleurs de la ferme Dumas regagnent la cour pour y faire leurs ablutions avant de prendre place à la grande table de la chaumière où ils prendront une rapide collation servie par la fermière. Un air de pipeau marquera la fin du repas et le départ des hommes pour leurs quartiers, aménagés dans le grenier de la vieille grange. Là, fourbus, ils deviseront gaiement jusqu'à ce que l'astre solaire embrase l'horizon. Alors, comme tous les habitants de la ferme, êtres humains ou animaux, ils s'endormiront du sommeil du juste pour ne se réveiller que le lendemain, au chant du coq, et reprendre là où ils l'ont laissé le dur labeur des récoltes. Ainsi va la vie, à la ferme Dumas, bercée dans une douce routine que seul le fléau semble être en mesure de troubler. Le fléau ou les voleurs, dont l'audace est décuplée par l'appât du gain et de la nourriture, stockée dans la vieille grange en attendant le convoi prochain. A la lueur du petit feu crépitant dans l'âtre et des chandelles dont les flammes vacillent au moindre déplacement d'air, Mathilde elle aussi termine sa journée de la même façon qu'elle le fait chaque soir. Les hommes sécurisent les animaux et ramassent les derniers outils tandis que la femme veille à l'ordre de l'intérieur. A chacun sa place, son rôle, ses tâches dans une famille artificielle à l'équilibre aussi fragile que complexe, où les hommes protègent la femme qui prend soin d'eux, tout en suivant ses directives puisqu'elle est la maîtresse des lieux. Quelques minutes avant l'embrasement du plateau, la fermière s'assoit face à un volet ouvert pour admirer le spectacle. Son petit luxe de la journée, sa prise de risque futile, son pied-de-nez à la mort qui guette sans relâche. Pour la première fois depuis le chant du coq, la chaumière est parfaitement calme. Mathilde ferme les yeux dans sa chaise berçante et soupire profondément. Le silence. Elle rouvre les yeux. A-t-elle entendu un pas de course provenant de la cour? Oui. Nouveau soupir. Elle s'extirpe de la chaise en remettant à plus tard ce moment tant apprécié de la journée. Alors que la chaise continue son mouvement machinal sans celle qui l'occupait l'instant d'avant, Mathilde traverse la pièce de vie en se demandant lequel des gars a la cruauté d'interrompre cet instant de détente devant un spectacle qu'elle ne manque jamais. Elle jette un oeil à la longue table de bois, sur laquelle Gauthier n'a pourtant pas oublié son instrument de musique. Un problème à la grange? Les pas s'approchent à toute allure, trahissant une urgence. Prise d'une inquiétude, elle repousse une chaise pour libérer son chemin et arrive à la porte qui se met à trembler alors qu'elle s'apprête à la déverrouiller. Surprise, la fermière se fige. Une voix inconnue implore qu'on lui ouvre. Par pitié, ouvrez-moi !Invoquer la pitié de Mathilde, c'est une première. Pourtant, la fermière ne bouge pas d'un pouce. Le regard fixé sur la porte, comme si elle espérait distinguer le visage de l'intrus à travers l'épaisse pièce de bois. Pitié, ils sont sur mes talons ! Que faire? Entrouvrir la porte et tomber sottement dans un piège? Faire la sourde oreille et porter le poids d'une mort qu'elle aurait pu éviter? En une fraction de seconde, un sentiment un peu trop familier se fraie un chemin au creux du ventre de la fermière. La peur, qui fige celui qui devrait fuir pour sauver sa vie, qui embrume les pensées en les plongeant dans un océan de possibles, qui envoie valdinguer les certitudes pour noyer sa victime sous les doutes. Philibert! Les yeux noisette de la fermière s'ouvrent un peu plus sous la surprise. Qui donc invoque le nom de son défunt mari comme s'il le connaissait? Qui vient chercher l'aide d'un mort et non pas celle de sa veuve, toujours en vie? Mathilde n'entend même pas la voix buter sur le nom de famille tant elle est déconcertée par ce prénom qu'elle est la seule à prononcer depuis des mois. - La grange. La nouvelle. Ne montez à l'étage que si ce sont des fangeux qui sont après vous, sinon cachez-vous en bas.Les pas s'éloignent dans la seconde. Le coeur battant, Mathilde se dirige vers l'unique volet ouvert et le ferme avant de grimper à l'échelle qui mène à sa chambre. Les questions se bousculent dans son esprit. Qui est l'homme qui a imploré la pitié de Philibert, et par qui est-il poursuivi? L'envoyer dans la grange est la meilleure chose à faire. Il y trouvera un abri contre les fangeux, et si ce sont des hommes qui sont à ses trousses, alors elle sera au-dessus de tout soupçons. Les minutes s'écoulent, dans un silence maintenant effrayant. À genoux sur le plancher du grenier, les mains moites, les sens aux aguets, Mathilde se tient prête à relever l'échelle qui tiendra les fangeux à distance, s'ils défoncent la porte. La peur cède doucement le pas à l'angoisse, qui distille les pires scénarios dans l'imaginaire d'une femme qui a vu beaucoup d'horreurs dans sa vie que pour ne pas songer au pire. La fin est peut-être pour ce soir. Elle n'a même pas vu le soleil se coucher une dernière fois.Trois coups. Ni trop forts, ni trop doux, et qui pourtant lui font pousser un petit cri d'effroi. Trois coups contre la porte avant qu'une voix claire et franche n'annonce la fin de l'angoisse. Trois coups, suivis d'un mot apaisant. Milice. Des hommes et non des fangeux, des mortels et non des morts. Mathilde expire profondément. Le spectre de la mort semble lui faire un clin d'oeil avant de s'évaporer dans le néant. Il lui faut maintenant retrouver son calme et couvrir autant que faire se peut le fuyard pour ensuite découvrir de qui il s'agit. - Un instant... Mathilde descend l'échelle, se persuadant que jusqu'ici, elle n'a rien fait de mal. S'il est bien parti se cacher dans la grange, s'il ne s'est pas trompé et n'est pas allé dans la vieille grange où dorment les gars, s'il n'est pas découvert et qu'elle réussit à le protéger sans être découverte, alors elle saura qui il est. Et si on le trouve, s'il l'accuse de complicité, elle n'aura qu'à crier son innocence face à un homme qui promet de ne pas incendier sa ferme si elle accepte de l'héberger. Ça serait un gros mensonge, mais c'est lui ou elle. Elle qui déverrouille la porte et l'entrouvre avec précaution, sa dague à la main, glissant un regard sur les trois hommes en armes qui ont fait un pas en arrière, en signe de paix. La fermière reconnaît l'un d'entre eux, le jeune Émilien. - Pardonnez-moi, j'allais me coucher. Bonsoir Émilien. Il est tard, vous devriez être à Usson. Mathilde baisse sa lame et ouvre un peu plus la porte. Se composant une mine entre l'étonnement et l'inquiétude, elle fronce légèrement les sourcils. Un fugitif avez-vous dit?- Madame Dumas. Le jeune Émilien gonfle le torse, dans une vaine tentative de paraître un peu plus important qu'il ne l'est au sein du trio. Son supérieur lui coupe l'herbe sous le pied en faisant un demi pas en avant pour prendre la parole. Nous sommes à la poursuite d'un homme reconnu coupable de haute trahison. Grand, mince, cheveux noirs, pas de barbe d'après les témoins, très pâle et probablement affamé. Belle prestance, belles manières, mais dangereux. Très dangereux. Derrière, le troisième milicien ricane à l'idée de mettre la main sur ce régicide épuisé, tant par la course folle dans laquelle il s'est engagée depuis deux jours que par la faim qui doit le tenailler. Le regard de la fermière se perd dans le vide, cherchant à se faire une idée de l'homme qui se cache probablement dans sa grange. Haute trahison, c'est politique. Un assassin? Un comploteur? Un homme qui détourne des biens essentiels à la survie du peuple, ou un haut gradé déchu de son poste suite à une manoeuvre qui s'est mal terminée lors d'une bataille quelque part dans les marécages? Les possibilités restent infinies, mais demander des précisions éveillerait sans doute les soupçons, aussi Mathilde ne pose pas de question et se contente de hausser les épaules. Je n'ai vu personne qui puisse ressembler à votre description dans les derniers jours. Est-ce que... est-ce que je dois craindre pour ma vie ou celle de mes hommes? Dans un geste visant à confirmer tacitement son innocence la plus totale, Mathilde ouvre complètement la porte, laissant la possibilité à un homme de s'engouffrer dans la chaumière pour y chercher toute trace du passage d'un homme que l'on dissimule. - Qui sait ce dont un homme désespéré est capable, dame. Permettez qu'on fasse un tour des bâtiments? Mathilde se sent pâlir, mais ne se démonte pas. Jusqu'à preuve du contraire, elle n'a rien à se reprocher, elle. Je serais rassurée de savoir que seuls les occupants de la ferme sont ici. Émilien connaît mes gars, peut-être pourrait-il accompagner votre collègue dans la vieille grange pendant que vous regardez ici? La proposition n'a rien d'innocent : Émilien est un fouineur, elle le sait. Le genre d'homme qui se fait des idées si on lui laisse le moindrement l'impression qu'il a une chance de courtiser la donzelle. Arrivé quelques semaines auparavant à la caserne d'Usson, il est l'objet de bien des discussions féminines autour du four commun et la fermière s'est promis qu'il ne mettrait jamais un pied dans sa chaumière. De toute évidence, cela semble contrarier le jeune imberbe qui, au hochement de tête approbateur de son supérieur tourne les talons en cachant mal sa contrariété pour filer vers la vieille grange au pas de course. Mathilde remercie d'un regard le milicien qui entre dans sa chaumière pour en faire le tour. Quelques minutes plus tard, la porte de la grange neuve, bâtie par l'Ordre de l'Astre d'Azur pour y stocker les récoltes prometteuses de la ferme dans laquelle il a investi s'ouvre. Le ciel orangé pousse les miliciens à faire vite. Ils le savent, ils n'auront pas le temps de regagner Usson avant la sortie des fangeux. Mathilde en est consciente et sait que son devoir est de leur offrir un abri. Tendue, elle sent son coeur prêt à exploser dans sa poitrine alors que du regard elle cherche, à travers la pénombre dans laquelle est plongée le bâtiment, l'endroit où s'est caché le fuyard. Sans le voir, elle s'approche instinctivement de l'autre issue, dans le fond, là où le tas de foin sèche en prévision de l'hiver. C'est exactement là qu'elle se planquerait si elle avait à le faire. Pas dans le tas, plutôt en arrière pour ne pas faire bruisser les brins de paille au moindre changement de position. Rien par ici... lance-t-elle en faisant mine de fouiller mollement la paille avec une fourche alors qu'Émilien monte explorer le grenier, où les paillasses accueillant habituellement ceux qui ont besoin d'un abri sont soigneusement roulées le long de la paroi de bois. S'il était ici, nous le verrions. Il n'y a pas grand chose, le gros des récoltes est de l'autre côté. Les fermiers amènent leurs propres récoltes demain en vue du convoi. Et à bien y penser, messire... dit-elle en revenant vers celui qui semble être le plus haut-gradé des trois miliciens, ...vous devriez profiter du grenier cette nuit. Montez, tirez l'échelle et demain au lever du soleil je vous offrirai un repas avant votre départ. Peut-être a-t-il été vu du côté de chez de Terresang, c'est à quelques minutes d'ici au sud... et c'est la ferme la plus proche de la mienne.- Besoin d'options? :):
Les miliciens peuvent accepter l'offre et monter au grenier, laissant le champ libre à Alphonse pour sortir de la grange et retenter sa chance à la chaumière ; Ils peuvent également opter pour un saut chez de Terresang, tout proche, en espérant ne pas laisser trop d'avance à leur fuyard.
Dans tous les cas, si Alphonse ne se lance pas dans une prise d'otage, Mathilde sortira de la grange et enverra une main à l'un de ses travailleurs qui guette un peu plus loin, avant de retrouver sa chaumière. Si Alphonse s'y présente, elle l'accueillera avec son arc. Parce que la charité a ses limites quand même :)
En espérant que tout soit beau pour toi, n'hésite pas s'il y a de quoi!
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| | | Alphonse de SarosseVagabond
| Sujet: Re: En quête de secours [Mathilde]: Sam 9 Mai 2020 - 19:17 | | | C'était la première fois que je sollicitais la pitié, moi qui de par ma noble ascendance avais plus eu l'habitude d'ordonner que de demander. Toutefois, je m'étais fait une raison. Ce passé à exiger était dorénavant révolu. Tout était et serait différent pour celui que j'étais devenu. Au mieux un paria, au pire un criminel. Miséreux et misérable, la miséricorde était désormais mon unique recours ou secours. Ainsi, en cet instant, c'est ce que je faisais; j'implorais pour que l'on me vienne en aide. Mon sort n'était plus entre mes mains, mais dans celle d'un inconnu. Dans celles de ce dénommé Philibert que je pensais maître de la chaumière, des terres avoisinantes et dorénavant de ma survie. Un individu que je ne connaissais que de nom et qui ne semblait pas le moins du monde pressé d'ouvrir, tandis que la porte restait résolument close. Bien vite, mon timbre de voix se fit chevrotant, finissant par se casser sous les contrecoups de la peur. J'allais être capturé et jugé pour un crime que je n'avais pas commis. J'allais être tué à cause d'un nom qui ne signifiait plus rien. Mes supplications devinrent implorations. Tout ne pouvait pas réellement se terminer ainsi. Ne pouvait-on pas m'offrir la moindre chance ? Était-ce la fin de mon existence ? Sur le point d'abandonner, prêt à accepter le dénouement macabre qui m'attendait alors que mes poursuivants se rapprochaient, j'entendis une voix me répondre. Tout de suite, mes yeux se remplirent de larmes. Peut-être était-ce une preuve de ma faiblesse, un signe démontrant à quel point j'étais lamentable. Toutefois, il fallait comprendre que cela faisait deux jours que je n'avais parlé à quiconque. Dans ce laps de temps, les seules personnes que j'avais entendues étaient les hommes d'armes qui se rapprochaient et qui désiraient ma mort, ou les borborygmes gutturaux des fangeux rôdant pour se repaître de ma chaire. Ainsi, cette simple phrase sembla me sauver par deux fois. La première, en m'offrant des mots anodins, mais point assassins. La seconde, en m'offrant l'infime chance d'espérer m'en sortir, une planche de salut en mentionnant la grange. Esseulé et isolé, tel un naufragé avide de survie au milieu de la houle et du ressac, je m'en emparai, m'y agrippant de toute mon âme. Ma voix qui avait été déchirée par le désarroi était désormais gorgée d'espoir. " Oui, d'accord ! Merci. Merci mille fois !" Me retournant, j'étais sur le point de partir en quête d'une cachette lorsque je suspendis ma manœuvre, me figeant et réalisant potentiellement un problème en devenir. Mon homologue ne savait pas ce que je fuyais. Croyait-il que c'était les prédateurs de l'humanité qui était sur mes talons ? Si oui, lorsqu'il découvrirait que c'était la milice, me livrerait-il à mes tortionnaires, à ces êtres remplis de colère qui voulaient me vouer aux supplices pour un vice que je n'avais pas commis ? Je devais tenter de dire quelque chose. Mais quoi ? Comment expliquer l'histoire d'une vie en quelques instants seulement ? Par l'odieuse Trinité, je n'avais pas tout ce temps devant moi ! La lumière frissonnante des torches de mes poursuivants éclairait maintenant leurs silhouettes, projetant leurs ombres distordues au loin. Ils semblaient plus grands que nature, prêts à m'écraser de leur masse ténébreuse. Au milieu de cette noirceur, l'unique éclat était celui du feu se reflétant sur leurs casques et sur l'acier dont ils étaient harnachés. Loin de me rasséréner, ce reflet sanguin était plutôt à même de m'oppresser. Pourtant, je restais là, à moitié hypnotisé par ce morbide spectacle et par la nécessité de m'expliquer à ma sauveuse. Il ne fallait pas que cette dernière m'abandonne aussitôt que les miliciens se présenteraient à elle. Mais que dire ou que faire ? À trop tergiverser, le temps s'écoulait, tandis que je restais enfermé dans mon mutisme. J'étais écartelé par une indécision qui allait croissante. Devais-je taire mes pensées et mon passé ou en parler pour espérer en réchapper ? Finalement, je pris ma décision alors qu'il ne me restait que d'infimes secondes. Je me devais d'essayer de les mettre à profit. " Ne les écoutez pas ! Ma seule culpabilité réside dans ma naissance." Proférais-je pour me dédouaner des fautes que les hommes d'armes auraient tôt fait de lui narrer. Puis, sans plus attendre, je disparus en direction du bâtiment mentionné. J'espérais voir venir et avoir la chance de rencontrer ma bienfaitrice et non pas mes bourreaux. Accélérant le pas, jetant des regards par-dessus mon épaule, je me rongeais la lèvre inférieure. Prendrait-elle mon discours pour des propos d'un innocent ou comme des palabres d'un coupable ? Secouant la tête pour éviter d'alourdir ma peine avec ces pensées, je me concentrai plutôt sur la suite des choses. En l'occurrence, entrer dans le bâtiment et trouver une cachette. Poussant la porte, je me glissais à l'intérieur au moment ou la milice débarquait à l'endroit que je venais de quitter. Sachant pertinemment qu'ils iraient probablement fouiller la chaumière et les deux granges, je me concentrai sur les cachettes qui étaient à ma disposition. Avisant quelques possibilités, telles que le grenier, j'écartais tout de suite ce genre d'endroit, repensant aux paroles de ma sauveuse. Elle m'avait potentiellement mis en garde contre le grenier sachant qu'il serait fouillé de fond en comble. Tergiversant et hésitant, je n'eus guère d'autre choix que de me jeter dans le foin lorsque j'entendis des gens approcher. Non pas derrière ce dernier, mais bien à l'intérieur de celui-ci. Ce n'était pas à proprement parler la meilleure décision que j'avais prise dans ma vie. Toutefois, en cet instant ou l'épouvante se partageait ma conscience avec la crainte, cette idée avait le mérite d'être la seule qui m'était venue à l'esprit. J'espérais dorénavant que mon abri serait à même de berner les hommes d'armes et de leur faire croire que personne ne se trouvait ici. Si j'avais eu confiance en la Trinité, en sa miséricorde et en sa justesse, j'aurais probablement prié silencieusement pour être aussi difficile à trouver qu'une aiguille dans une botte de foin. Chose dont je doutais amèrement, réalisant avec amertume la stupidité dont je venais de faire preuve. N'était-ce pas dans les contes pour enfants que les personnages trouvaient refuge dans ce genre de cachette quelque peu stupide ? Qu'en bien même cela était le cas, moi, je ne vivais aucunement dans ce genre de récit. Ici, la mort m'attendait au tournant. Ici, je n'étais pas certain de m'en sortir contrairement aux héros des histoires. Ici, il n'y avait pas de preux chevalier pour venir me sauver. À moins que la fermière me cachant représente ledit brave guerrier ? Si tel était le cas, nous étions loin d'un conte héroïque, mais plutôt engoncé dans une fable satirique. "Le noble miséreux et la fière gueuse". Ce n'était guère charmant et ça ne ferait probablement pas une bien belle histoire, mais si cela me permettait de vivre, je m'en satisferais amplement. Mon cœur battait vite. Trop rapidement. Allait-il me trahir, faisant entendre son tambourinement qui sonnait à mes oreilles aussi clairement que le brouhaha d'un tambour ? Je ne voyais rien, ne pouvant que me fier à mon ouïe pour approximativement savoir où se trouvaient les miliciens. Puis, j'en eus la conviction et la confirmation; le pire survenait. Quelqu'un approchait. Recroquevillé en dessous de la paille, je ne pouvais esquisser le moindre mouvement par peur de me faire entendre. Quel idiot j'avais été de plongée dans la paille ! Plissant les yeux pour tenter de discerner qui était au plus proche de moi, je crus voir une robe. Était-ce celle qui m'avait sauvé ? Rapidement, je dus retenir un glapissement de peur, tandis que je voyais les dents d'une fourche transpercer le foin et éventrer ma cachette. Est-ce qu'elle tentait de me tuer pour me faire taire ? Non, j'en doutais. Sa fouille était trop nonchalante pour que ça soit une tentative de meurtre. Ce pouvait-il qu'elle ne sache pas que je me trouvais là ? Par l'impie Trinité, cela serait logique. Après tout, qui serait assez stupide pour se camoufler là ? Alphonse de Sarosse, à tout le moins. Ne pouvant bouger, j'entendis la fermière proférer qu'il n'y avait personne dans sa zone de recherche. Si seulement... Au-dessus de moi, j'entendais les pas d'un individu fouillant le grenier. J'avais bien fait de ne pas me rendre là. Toutefois, étais-je réellement en meilleure posture en cet instant ? Puis, soudain, l'outil agricole me meurtrit le visage. Grognant, mais tentant de ne pas bouger, je fermais les yeux et serrais la mâchoire à m'en faire grincer les dents, pour ne pas crier. Dans mon malheur, j'avais été chanceux. Celle qui devait être la femme de Philibert n'avait point fait preuve de zèle dans sa fouille de la paille. Ainsi, l'attaque m'avait plus effleuré que lacéré. Ouvrant un œil, je crus croiser le regard de ma protectrice. Elle était grande et ne semblait point avoir l'allure d'une tueuse. Je dirais même qu'elle me semblait bienveillante, même si elle me surplombait avec une fourche... ◈◈◈ -"Mmmh. Vous avez raison." Soupira le milicien qui avait espéré capturer le scélérat qui les fuyait. Se passant une main sur le front, se dirigeant vers l'extérieur, il regarda les derniers rayons du soleil à l'horizon, alors que le groupe le suivait. "Merci. En temps normal, je n'aurais pas dit non à votre hospitalité. Mais nous nous devons de le capturer. Ce n'est pas un simple voleur, mais un assassin." Tenter d'attenter à la vie du roi était après tout un crime plus que condamnable. " Il ne peut pas être loin et doit être affaibli. Nous le trouverons ce soir chez de Terresang ou demain dévoré par la fange. Si jamais vous repérez son cadavre, venez nous en informer. Merci pour votre coopération." Termina-t-il en hochant la tête en direction de la fermière. "Allez, les gars. On se dépêche !" Ni une ni deux, le trio reprit sa cavalcade, partant vers le sud en direction de la ferme appartenant au noble personnage. Émilien ne devait pas avoir manqué de lancer un dernier regard à la veuve. Cette fois-ci, les hommes d'armes courraient encore plus rapidement que précédemment, bien trop conscients du soir arrivant et de la journée déclinante. C'était un gros risque qu'ils prenaient. Toutefois, le chef de la bande était suffisamment zélé pour effectuer son métier sans tergiverser. En outre, il espérait se couvrir d'honneur et revenir triomphant avec la tête de ce vil de Sarosse. Pour un simple voleur ou un anodin malandrin, il n'aurait jamais agi ainsi. Pour un félon ayant fomenté un régicide, sa capture en valait le risque.
◈◈◈ J'avais en parti entendu leur conversation. Je n'arrivais pas à croire que pour une fois, le crime dont j'étais accusé venait de me sauver la vie. Si les hommes d'armes avaient accepté l'hospitalité de mon hôte, je n'aurais pas eu la possibilité de sortir de la paille sans faire de bruit et me faire remarquer. Par chance, ceux-ci désiraient ardemment me mettre la main au collet. Je ne sais pas trop si je devais me réjouir de ce zèle ou m'en inquiéter. M'extirpant de ma cachette, je touchais mon front, sentant du bout des doigts l'égratignure du passage de la fourche. L'une des piques de "l'arme" m'avait modérément balafré au-dessus de l'arcade sourcilière, tandis que la seconde avait déchiré mon cuir chevelu. Par chance, la troisième dent de l'outil avait mordu le foin et non ma chaire. Bien que légère comme blessures, sachant que la fermière n'avait point fait preuve de hardiesse en fouillant le fourrage, je pouvais sentir le sang s'échapper des coupures. Pour autant, je n'arrivais pas à dire si je saignais beaucoup. Était-ce le sang qui maculait mon front et mon visage, ou bien la sueur froide qui m'avait agrippé alors que je pensais ma dernière heure venue ? Probablement un peu des deux. Pris d'un petit rire nerveux, je secouai la tête en me laissant retomber assis au sol. Mes jambes ne semblaient plus à même de me porter. Mes nerfs me lâchèrent. Mon amusement dicté par ma nervosité se transforma en quelques larmes silencieuse, éparse et anodine. Elle creusait probablement des sillons dans la crasse qui marquait mon visage, rejoignant l'écoulement de la sueur ou du sang. Soufflant pour expulser ce trop-plein d'émotion contradictoire, je repris le contrôle de mes sens. Me relevant lentement, me sentant comme une personne d'un âge vénérable, courbé et ployé sous le passage des années, je me dirigeai lentement vers l'extérieur. Ma bienfaitrice devait avoir regagné sa chaumière je devais aller la remercier et voir ce que nous réservais la suite des choses. Avançant rapidement, jetant des regards nerveux autour de moi, je fus forcé de suspendre ma démarche lorsque la fermière sortie de chez elle, arc en main. "Wow !" Clamais-je en dressant les bras pour me protéger vainement. J'en avais conscience. Il suffirait d'un mot de travers pour que tout bascule. Nous passerions d'inconnus à ennemis. Ce serait une lutte terrible, mais unilatérale, à laquelle je n'en réchapperais probablement pas, moi qui étais menacé par la pointe acérée d'une flèche. Décroisant les bras et présentant lentement mes mains, les relevant en l'air, je tentai de sourire. "Je ne vous veux aucun mal. Je ne suis pas armé et comme vous le voyez, je ne suis pas en position de fomenter quoi que ce soit. Je ne suis même pas un banni !" Je faisais preuve d'un plus grand calme que ce que j'aurais cru être en mesure d'afficher au-devant de ma mort. C'était peut-être à cause du fait, qu'en définitive, je trouvais que la situation se dessinait plutôt sous de bons auspices. Précédemment, j'avais été chassé par la milice, puis par la fange et de nouveau par la milice. J'avais été presque attrapé, puis caché et enfin attaqué à coup de fourche et quasiment décapité par ma protectrice. Maintenant, me retrouver de nouveau devant ma sauveuse, qui était cette fois-ci armée d'un arc, me semblait être un moindre mal. Pourquoi ? Parce qu'il me semblait que cette situation était mieux démarrée que tout ce que j'avais déjà vécut aujourd'hui. Certes, ça en disait long sur ma journée. Mais cela en disait aussi long sur ma vis-à-vis. C'était la première personne qui n'essayait pas de me tuer sans sommation. En outre, sachant qu'elle m'avait aussi aidé sans me dénoncer, je voulais croire en mes chances. Avais-je tort ? Potentiellement... -"Je voulais vous remercier pour votre aide à vous et votre époux." Je ne savais pas encore que celui-ci n'était plus vivant. " Je vous assure que je ne suis pas ce qu'ils disent." Pinçant les lèvres, je poursuivis. "Me permettez-vous de regagner votre grange pour la nuit ?" Je n'allais tout de même pas demander plus, moi qui n’étais guère en position de quémander. En outre, elle avait suffisamment pris de risque pour moi. " Je disparaîtrais au lever du jour." Cette idée me fit perdre de ma superbe, alors que je blêmissais. Par ces mots, je réalisais qu'en ce jour je n'avais pas assuré ma survie, mais gagné un sursis. Je restais un fugitif traqué, un individu qui se déplaçait avec une simple cape et sans la moindre nourriture ou arme. "...Puis-je ?" Terminais-je en attendant son accord pour bouger et me retirer sans plus la déranger. Je n'esquissais pas le moindre mouvement ou geste, espérant ne pas exciter sa haine ou éveiller sa hargne. Je devais être lamentable et pitoyable... Déglutissant, j'attendais mon jugement. Avais-je été sauvé pour finalement être tué ? Dur à dire... |
| | | Mathilde VortigernFermière
| Sujet: Re: En quête de secours [Mathilde]: Mar 12 Mai 2020 - 18:39 | | | Ne les écoutez pas ! Ma seule culpabilité réside dans ma naissance ! Quelques mots lancés à travers une porte restée close, quelques mots que la fermière n'a pas saisi immédiatement alors que tout son être vivait la peur de faire face, une fois encore, aux bêtes annonçant la mort. Quelques mots qui s'étaient imposés à son esprit alors que des voix humaines se heurtaient au battant de bois et que la menace de voir surgir un fangeux s'était évaporée. Quelques mots qui avaient attisé sa curiosité, tout en l'obligeant à garder le silence et à ne poser aucune question qui puisse mettre la puce à l'oreille des miliciens. Un fuyard était venu quérir sa protection, elle faisait de son mieux pour la lui offrir en adoptant l'attitude d'une honnête citoyenne qui n'a rien à cacher, jusqu'à offrir l'asile aux hommes d'armes en souhaitant de toute son âme qu'ils le refusent.
C'était l'une de ses ruses. La fermière avait remarqué que plus elle cherchait à se débarrasser de quelqu'un, plus cette personne avait tendance à insister pour rester. Ainsi, à chaque fois qu'elle prétextait avoir quelque chose sur le feu, le visiteur mettait le pied dans la porte pour s'assurer qu'elle ne la refermerait pas. Si elle faisait mine de travailler dans le champ ou dans la grange, l'importun offrait de l'aider. Si elle disait non, l'indésirable répondait toujours quelque chose qui lui rappelait son rang inférieur et la nécessité pour elle d'accepter le désagrément. Mais lorsque la porte s'ouvrait, lorsqu'elle faisait preuve de plus d'hospitalité que nécessaire, lorsqu'elle insistait pour que le visiteur reste, arguant le danger de la fange ou le devoir qu'elle se devait de remplir, alors l'étranger, se sentant peut-être inconfortable à l'idée de profiter un peu trop de la générosité de la veuve préférait quitter les lieux. Et puis parfois, il suffisait d'une phrase anodine. Ce soir-là, dans la grange, c'est la ferme la plus proche de la mienne avait été cette phrase qui avait convaincu les miliciens de continuer leur course-poursuite pour quelques minutes encore.
Lorsque le trio quitte enfin la ferme, Mathilde se demande si elle n'a pas commis une grossière erreur. Ce n'est pas un simple voleur, mais un assassin. Mais que peut-elle dire, si elle se ravise alors que les miliciens s'éloignent à pas pressés? Attendez, finalement il y avait une légère résistance quand je fouillais le foin, peut-être ai-je mal regardé? Impossible si elle ne veut pas être suspectée de complicité. Quel sort réserve-t-on aux complices? Le même qu'à celui des condamnés. La justice ne fait pas dans la demi-mesure. La fermière se rassure comme elle peut : un cri de terreur suffira à attirer l'attention des gars restés dans l'autre grange, relativement proche de la chaumière. Elle n'est pas tout à fait seule, et des assassins, elle en a déjà croisés. Il suffira de lui indiquer les quelques règles de la maison et avec un peu de chance, il s'y pliera de bonne grâce. Sinon... elle sera la première à tirer, elle s'en fait la promesse en saisissant son arc et en y encochant une flèche.
Derrière la porte entrouverte, Mathilde attend, le regard posé sur le rai de lumière qui gagne en intensité sur le sol de terre battue à mesure que le soleil décroît. Une invitation silencieuse à être rejointe, malgré la crainte grandissante de voir la mort lui répondre. Le coeur battant, elle guette le bruit caractéristique d'un pas discret qui indiquerait que son invité a compris qu'elle se veut bienveillante et qu'il peut la rejoindre. Mais rien. Rien d'autre que le silence et le chant d'un rapace nocturne qui s'élève dans le ciel maintenant presque noir. Qu'attend-t-il pour sortir de sa cachette et tenter de lui soutirer un repas, un peu de répit et une nuit en sécurité? C'est ce qu'ils font tous... mais pas lui. Il tarde, se laisse désirer durant un interlude qui paraît beaucoup trop long à Mathilde. Elle crève d'impatience. Elle crève de curiosité. Qui est cet homme dont la capture est si importante que pour que des miliciens prennent le risque de se faire happer par la nuit? Qui a-t-il tué? Comment a-t-il connu Philibert, et depuis quand se cache-t-il? Il n'est même pas au fait de la mort de son ami...
Elle n'y tient plus. Si l'homme ne sort pas de sa cachette, elle va aller le chercher dans la grange, derrière ce tas de foin d'où il n'ose peut-être pas sortir. Elle ouvre la porte et... se fige une fraction de seconde. Les pas approchent, rapides et presque silencieux. Il est prudent, peut-être veut-il la surprendre. Mathilde bande son arc et sort. La lumière de la chaumière dessine les contours de sa silhouette et en allonge certaines ombres, la rendant sans doute plus menaçante qu'elle ne l'est réellement, au point que l'homme s'arrête et lève les mains en l'air pour se protéger le visage. Elle retient son souffle et réprime un léger tremblement. Son coeur est sur le point de lâcher. Tout en elle lui hurle de relâcher la corde et de regarder le trait se planter quelque part dans la chair... et après? Après, il faudrait qu'elle recule pour se donner le temps d'encocher une autre flèche sans laisser à l'homme la possibilité de l'attaquer, s'il en a encore la capacité. Reculer et se mettre un peu plus à découvert.
Lentement, l'homme décroise les bras pour les garder en l'air, geste qu'il appuie par une phrase pacifique. Je ne vous veux aucun mal. Contrairement à Mathilde, dont le visage trahit la peur qu'elle ressent, il est d'un calme presque effrayant. La fermière se dit qu'elle se trouve soit face à un bon comédien, soit face à quelqu'un qui n'a plus peur de la mort. Elle regarde cet inconnu et découvre pour la première fois son visage émacié, son regard brillant et ses traits si délicats malgré la crasse qui tend à les rendre plus durs. Il semble à bout de forces. Pendant quelques secondes, elle a envie de croire que sa cavale dure depuis trop longtemps et que son calme n'est en fait que la résignation du condamné qu'il est. Tôt ou tard, la mort viendra le cueillir, et si ça peut être tôt, elle aura le mérite d'abréger ses souffrances. Elle le sait, elle a été dans cette situation, face à un banni devant lequel elle a ri au lieu de pleurer, après avoir trompé la mort face aux fangeux. Calmement, il la remercie et demande s'il peut rejoindre la grange. Avec un parler qui n'a rien de celui des petites gens, il promet qu'il disparaîtra au petit matin, sans doute pour ne jamais revenir.
A-t-elle tort de ne pas voir en lui une menace? Potentiellement, et si c'est le cas, elle le paiera de sa vie. Pourtant, Mathilde baisse son arc. Elle ne l'a jamais vu auparavant et se demande comment il a pu connaître Philibert, lui qui ne s'était jamais éloigné d'Usson. Mais plus important... alors que l'étranger semble décidé à faire demi-tour pour regagner la grange, elle fait un pas en arrière pour rejoindre le seuil de la porte sans le quitter des yeux. D'une voix peu assurée, elle murmure. Je dois vous dire qu'au moindre cri de ma part, vous êtes un homme mort. Je ne suis pas seule sur cette ferme. Accueillir avec une menace à peine voilée n'est jamais une bonne entrée en matière, mais elle n'en a pas le choix. Ils sont trois à dormir dans la grange voisine, trois à pouvoir la défendre si l'étranger au teint blafard s'avère finalement être une danger pour elle. Mais vous saignez et vous devez mourir de faim. Entrez. Je suis Mathilde, la veuve Dumas, depuis près d'un an maintenant.
Mathilde recule dans la lumière chaude et enveloppante de la chaumière. La chaleur du feu qui brûle dans l'âtre, un peu plus loin, provoque chez elle un frisson qui la surprend. Elle n'avait pas réalisé qu'il faisait si frais, dehors. Sans doute les émotions de la soirée ont-elles joué sur sa perception. Déposant son arc contre le mur, elle ne quitte pas le jeune homme du regard, même lorsque son carquois glisse pour tomber par terre dans un bruit sec de flèches qui s'entrechoquent. Un instant immobile face à lui, elle fait un pas en arrière, puis un autre, et disparaît de la vue de son invité.
Mathilde souffle sur quelques bougies pour atténuer la lumière dans la pièce principale, aménagée avec le plus strict nécessaire. Elle contourne la table à laquelle, autrefois, toute la famille réussissait à s'asseoir en se serrant les uns contre les autres lors des repas de fête, et saisit un broc d'eau fraîche sur le comptoir pour en remplir deux gobelets et une petite bassine dans laquelle elle trempe un linge propre. Elle dépose le tout sur la table, du côté le plus proche du feu, pour que l'étranger se réchauffe. Verrouillez la porte derrière vous, s'il vous plait. Est-il entré? Probablement. Alors verra-t-il une femme qui n'a plus rien de menaçant et qui suspend une marmite à la crémaillère pour en réchauffer le contenu. Il entendra le craquement de la croûte du pain qu'elle rompt avant d'en déposer un morceau à côté de ce qui sera la place à laquelle elle l'invitera à s'installer. Elle jettera un coup d'oeil rapide à cet homme qui, malgré la fatigue, la peur et la faim, retrouvera peut-être un peu foi en l'humanité, le temps d'un repas, le temps d'un repos quelque part dans cette chaumière qui, une fois porte et volets fermés, protège les secrets de quiconque a besoin d'un répit. Nulle trace de pitié dans son regard, seulement une profonde empathie.
Dans l'esprit de la fermière, chaque être humain porte quelque chose de bon en lui et mérite d'être sauvé. Encore faut-il être capable de le voir. Vous connaissiez mon époux? |
| | | Alphonse de SarosseVagabond
| Sujet: Re: En quête de secours [Mathilde]: Mer 13 Mai 2020 - 18:43 | | | En ces heures où les ombres s'allongeaient et où le soleil déclinait, jusqu'à péricliter et pérenniser la nuit, j'étais sur le bord du gouffre, écartelé par deux sentiments contradictoires. De fait, le goût amer de la défaite se mélangeait étrangement avec la saveur doucereuse de la victoire. L'idée d'être vivant, d'avoir échappé aux griffes de la fange, aux lames des miliciens et à la fourche de ma protectrice me comblait. Or, cet instant de félicité ne dura guère longtemps, rapidement dissipé par le nouvel écueil se présentant à moi. Cette impasse dans laquelle je venais de plonger me semblait insurmontable. Ainsi, l'allégresse laissa place au doute alors que mon regard fixait la pointe acérée d'une flèche. Un trait dirigé à mon encontre, non pas par un vilipendant miliciens, mais bien par ma sauveuse, celle qui avait précédemment tout risqué pour me protéger. Mon triomphe était avorté, tandis que ma vie ne tenait de nouveau plus qu'à un fil et que mon existence se retrouvait de nouveau en jeu. Avais-je survécu aux pires moments pour succomber, là, maintenant ? M'avait-on bercé d'espoir pour me percer de désespoir ?
Est-ce que ma sauveuse serait finalement ma tueuse ?
Les mains en l'air, j'étais à la fois sur le point de m'en sortir que de mourir. Je ne savais plus trop si je devais en rire ou en pleurer. À tort, j'avais cru ma survie actée. Or, m'étais-je réellement leurré sur la femme qui désormais me menaçait ? Elle ne m'avait aucunement semblé être une tueuse avide de sang. Aussi étonnant que cela puisse paraître, j'avais même trouvé qu'elle présentait un regard empreint d'empathie lorsqu'elle me surplombait la fourche en main. Toutefois, en connaissais-je réellement beaucoup sur le genre de malandrins se complaisant dans la violence pour différencier une honnête fermière d'une malveillante personne ? Pas le moins du monde. Dès lors, je m'étais peut-être fourvoyé concernant ma vis-à-vis. Peut-être avait-elle décidé de me sacrifier pour expier son péché d'avoir aidé un criminel aux prises avec les sbires de Silvur et non pas avec les prédateurs de l'humanité.
Bien que je ne pouvais le dire ou me décider sur les tenants et aboutissants de cette menace armée, je ne restai pas longtemps désarmé par le désarroi et le doute. Cette femme était la meilleure chose qui me soit arrivée depuis le début de ma fuite, et ce, qu'elle ait un arc en main ou non. Le plus important, n'était pas le danger de son arme, mais plutôt le fait qu'elle ne m'avait pas encore tué. Sans l'ombre d'un doute, cela était un bon signe. Dès lors, je pris la décision de continuer à la voir comme une amie plutôt qu'une ennemie. Pour autant, je n'étais pas stupide pour croire que tout était joué. Je devais forcer ma chance et aller à l'encontre de mon destin dicté par cette impie Trinité qui semblait vouloir ma mort plus que de raison. Pour me protéger de ses traits, je n'avais que ma parole. Je tentai donc d'en faire bon usage, de lui prouver que je n'étais pas que ce que les hommes d'armes lui avaient décrit. Avant d'être un fugitif ou un forban, j'étais un être humain. À moi de le lui faire comprendre ou de le lui rappeler pour qu'elle ne fasse pas de moi sa malheureuse victime.
En tentant de ne pas m'imposer et de prendre congé pour me protéger, je crus remarquer que c'était une certaine forme de peur plutôt que d'agressivité qui dictait sa venue arc en main. Quoi de plus normal, alors que les agents du despote m'avaient décrit comme un assassin ? Pour autant, si c'était réellement la crainte qui lui faisait prendre les armes, je ne pouvais que saluer son courage. Faire face à un soi-disant meurtrier, et ne pas le tuer sans sommation était une preuve de force de caractère qui était plus que la bienvenue en cette heure. Je pouvais que la remercier silencieusement de faire preuve de pareille retenue, étant celui qui se trouverait menacé d'une réaction trop vive ou zélé. Mes yeux finirent par s'habituer à la clarté qui s'échappait de l'intérieur de la chaumière et qui égratignait mes rétines. La silhouette de mon homologue était désormais plus définissable, moins floue et impressionnante qu'elle ne l'avait été. Puis, la fermière battit en retraite vers l'intérieur. De prime abord, cela me sembla encourageant. Lorsqu'enfin elle proféra des mots plutôt que des menaces silencieuses, je ne pus retenir un soupir de soulagement.
Je m'étais attendu à une pléthore de refus, voire de rebuffade, et non pas à son hospitalité. Au mieux, j'avais cru avoir le droit de regagner la grange. Au pire, la possibilité de m'éclipser dans la nuit sans recevoir une flèche. Ce qui aurait probablement signifié ma mort. Dès lors, devant pareil acte de bonté et de charité, je restais muet de stupeur durant quelques instants. "Votre mari, j'imagine ?" Commençai-je, me leurrant en ce qui concernait ses dires vis-à-vis de la présence d'autrui sur la ferme. Je parlais vite. Trop vite. J'étais plus qu'heureux de pouvoir échanger avec une personne ne désirant pas me voir pousser mon dernier souffle. Enfin, pour le moment. Ainsi, je commettais des erreurs et des impairs de discours, mentionnant encore ce Philibert pourtant décédé. "Ne vous inquiétez pas, je ne cherche rien de plus qu'un refuge et un peu de repos." Mentis-je, désirant ardemment me sustenter par la même occasion. Or, trop fier pour le dire, ou plutôt trop idiot pour quémander plus que ce qu'elle m'avait déjà offert, je restais muet sur le sujet.
Bien qu'elle m'invitait chez elle, je pense que plusieurs personnes n'auraient guère apprécié l'idée de l'être sous le couvert de menace. Or, plusieurs personnes n'avaient aucunement vécu la vie d'un paria, d'un être qui croisait et croiserait plus souvent des opposants que des gens aidants. Dès lors, pour moi, ces mots suspicieux ne m'alarmèrent aucunement. Je ne voyais que le bon, que l'entraide qui m'était proposée et non pas le doute et les menaces voilées qui se dressaient à mon égard. La fermière aurait pu m'insulter vertement, je lui aurais offert un sourire et une réponse courtoise, alors qu'à mes yeux et à mon sens, elle avait déjà fait la preuve de la plus grande des civilités en me permettant non pas de vivre, mais au moins de survivre une journée supplémentaire.
Cependant, alors que je commençais à m'avancer pour rentrer à l'intérieur de la chaumière, je suspendis ma démarche en entendant la suite des paroles de celle qui se nommait Mathilde et qui se présentait comme veuve. "Oh..." Réalisant ma méprise et l'erreur que j'avais faite à de nombreuses reprises en mentionnant la présence de ce Philibert, malheureux époux décédés, je me morigénai intérieurement. En un sens, comment aurais-je pu savoir que j'implorais et que j'appelais à l'aide un être désormais trépassé ? C'était impossible. Toutefois, cela ne m'empêchait pas de me sentir coupable d'avoir peut-être ouvert une plaie qui n'était pas encore cicatrisée dans le cœur de ma sauveuse. Je n'eus aucun temps pour formuler la moindre excuse, tandis que la fermière s'esquivait à l'intérieur, me laissant le champ libre pour la rejoindre. Secouant la tête, je finis par me mouvoir, restant quelques secondes hésitant avant de franchir le chambranle. C'est ainsi que je traversai cette frontière invisible entre extérieur et intérieur, mettant les pieds dans la demeure de Mathilde Dumas et dans ce qui serait mon refuge l'espace d'un bref moment.
À mes yeux, cette chaumière semblait était plus qu'une simple maison. C'était un foyer. Certes, bien qu'elle était loin du faste onéreux des grandes demeures de l'Esplanade, l'endroit dégageait un certain quelque chose de plus humain que ces imposants manoirs sans âme et bien souvent vide. Oui, elle était meublée du strict nécessaire. Pourtant, l'endroit était plus qu'accueillant, semblait vivant et chaleureux. Au final, je n'étais probablement pas très objectif sachant que j'étais devenu un renégat dormant dans des ruines et des gîtes abandonnés. Toujours est-il que l'endroit renvoyait un sentiment de calme et de sérénité s'inscrivant à l'exact opposé du ressenti de l'extérieur. Ici, la mort semblait bien loin. Certes, ce n'était que chimère et mirage, alors que la Fange était un risque omnipotent même derrière les murs de la maison. Pour autant, l'espace d'un infime instant, me bercer d'illusions me permit de calmer mes nerfs et mes sens encore à vif de mes pérégrinations devenues fuite, puis presque mortes.
Regardant les flammes de l'âtre pourlécher voracement et avidement les bûches, écoutant le craquement caractéristique du feu déchirant le bois, sentant aussi bien la chaleur du foyer sur ma peau que l'odeur que dégageait la flambée, je soupirais de contentement de me trouver là et non pas dans la grange. Là-bas, l'attente aurait été longue avec pour seule compagne le froid et la peur. Fermant les yeux quelques instants, appréciant simplement la chaleur qui se diffusait dans la pièce, je finis par les ouvrir pour faire face à Mathilde.
-" Toutes mes excuses pour avoir appelé à l'aide votre défunt époux. Sans le savoir, j'ai fait preuve d'indélicatesse." Réellement contrit, je me lançais dans une petite courbette, inclinant le buste, pour m'excuser. Simagrée que j'arrêtai rapidement à mi-parcours, réalisant que ça ne devait guère être un geste souvent acté au sein de la populace. "Je ne cherchais aucunement à vous blesser en vous ramenant à l'esprit son trépas, mademoiselle." Je m'excusais en refermant la porte et en la verrouillant comme elle venait de me le demander.
Puis, il fut venu le temps des présentations. Enfin, plutôt de la mienne, alors que Mathilde m'avait déjà gratifié de son nom. Interdit et indécis quant à la marche à suivre, je me mis à ronger ma lèvre inférieure. Devais-je taire mon identité ? Tergiversant, faisant potentiellement et possiblement ressentir ce malaise et cette hésitation à la jeune femme, je finis par prendre une décision qui allait de pair avec mon avis mitigé sur la question. "Je me nomme Alphonse. Heureux de vous rencontrer, mademoiselle Dumas." Peut-être que mon diminutif lui suffirait pour me reconnaître. Après tout, elle devait avoir entendu parler du rejeton de Sarosse qui un an plus tôt à Usson avait tenté d'attenter à la vie de Sigfroi de Silvur lui-même. Se rappelait-elle du prénom de ce soi-disant mécréant que j'étais ? Je ne sais pas. Toujours est-il que j'avais pris la décision non pas de mentir, mais plutôt de taire une partie de la vérité. À elle d'en tirer ce qu'elle voudrait -ou pourrait- de ces simagrées de véracités.
La regardant œuvrer, obnubilé par ce pain et cette marmite rejoignant le feu, je n'en manquais pas moins de la regarder elle, cette fermière qui avait failli être mon bourreau avant de redevenir ma protectrice. La veuve était loin d'être une femme inquiétante. Sa fourche et puis son arc avaient quelque peu modifié la perception que je m'en étais faite, trompant mon observation en l'arrimant à une vision de danger qui ne lui sciait guère en l'instant. Est-ce que cela voulait dire que je la pensais démunie ou faible ? Pas le moins du monde. Vivre au Labret et survivre aux prédateurs de l'humanité forgeait un caractère et la capacité à assurer un moindrement sa sécurité. Dès lors, ici et en cet instant, la princesse en détresse n'était point la veuve, mais bien ma personne. M'attablant à la place qui me fut décernée, je tentai de ne pas me jeter sur le pain. " Puis-je ?" Demandais-je poliment en direction de la nourriture, alors que mon corps criait famine et que mon ton se devait d'être plus implorant qu'interrogateur. J'avais l'eau à la bouche devant un quignon que je n'aurais aucunement daigné regarder quelques années plus tôt. Décidément, j'étais tombé bien bas...
Le sang semblait encore couler de mes coupures, sans pour que je m'en inquiète outre mesure. L'élancement de mon estomac était pire que la douleur de ces maigres balafres qui deviendraient peut-être cicatrice. Lorsqu'elle me donna son autorisation, je ne me fis pas plus prier, me jetant sur la pitance en oblitérant le peu de dignité qui me restait encore. Dévorant le pain, m'étouffant quasiment sous les contrecoups de mon empressement, toussant puis buvant pour faire descendre l'aliment, je pris finalement le temps de mastiquer et de retrouver une certaine convenance. Rougissant pour la peine devant pareil enthousiasme à dévorer ce qu'elle m'avait offert, j'évitais son regard en tentant de me justifier un moindrement. "Je n'ai pas mangé depuis plusieurs jours." J'étais le plus inutile et futile des fugitifs. Incapable de voler avec talent ou de trouver ma pitance dans les bois, je ne pouvais que dépendre de la charité d'autrui pour survivre. Cela devrait changer drastiquement et rapidement si je désirais rester vivant.
Luttant contre ma volonté en déposant le pain, préférant manger lentement maintenant que j'avais retrouvé une certaine lucidité, je me permis de me concentrer sur la suite des propos de Mathilde. Ce faisant, j'attrapai le linge qu'elle avait apporté pour appuyer sur ma plaie se situant au-dessus de mon arcade sourcilière. Je ne pus retenir une grimace lorsque le sujet de conversation revint s'arrimer autour de son défunt époux. Que pouvais-je dire sans incriminer Thomas et sa famille ? Me rongeant -encore- la lèvre inférieure, dans un signe de culpabilité ou d'indécision, je finis par soupirer et hausser les épaules. "Vous m'avez fait confiance alors que vous n'aviez aucune raison de le faire. Je vais en faire de même." Dis-je en hochant la tête avec conviction. Certes, je jouais beaucoup moins gros que ce que la fermière avait risqué. Elle, elle avait mis sa vie en jeu pour venir en aide à un inconnu présenté comme un assassin. Moi ? J'allais mettre en danger la famille du petit bourgeois sans que ma situation ne se détériore un moindrement si ma vis-à-vis décidait finalement d'aller trouver la milice. Après, il était aussi difficile de concevoir que ma vie puisse être plus ardue...
-"Connaissez-vous Thomas ? Il vit avec sa famille sur la route d'Usson, un peu plus au nord. Il aide à la formation des convois." Dis-je rapidement, ayant conscience que la veuve devait au moins en avoir entendu parlé." Ce dernier m'a caché durant une longue période chez lui." Un an à dire vrai, mais ça, ce n'était guère important. "Je ne sortais jamais à l'extérieur pour éviter d'être repéré ou remarqué. Sa fille, Ophélie, elle me racontait les histoires du village et des habitants avoisinants. Je pense qu'à ça manière, elle tentait de me faire voyager loin de sa demeure qui était à la fois mon repère et ma prison. Enfin, passons..." Prenant une rasade d'eau pour parler plus clairement, et non plus de ma voix enrouée que je ne reconnaissais pas moi-même, je me raclai la gorge doucement avant de continuer. "Elle m'a parlé de vous. Enfin, de vous et de votre défunt époux. Je n'arrivais plus à me rappeler l'histoire complète. Vous savez, il est difficile de se souvenir des péripéties de parfait inconnu. Toujours est-il que je me suis souvenu du nom de Philibert, alors je suis venu demander de l'aide à l'individu que je croyais maître de la chaumière."
Restant silencieux à la suite de ma tirade, lui donnant le temps de me questionner, d'aviser ou de réfléchir à mes propos, je me sentis forcé d'en quelque sorte m'excuser encore une fois. "Je ne voulais pas user du décès de votre époux pour arracher une quelconque aide. J'étais désespéré et je ne savais aucunement qu'il avait succombé. Toutes mes condoléances. Vous m'en voyez navré." Étais-je trop maniéré ? Ophélie me rabrouait gentiment pour mon habitude à faire preuve d'une trop grande pondération et d'une dose de civilité frisant l'insolence. J'essayais d'en faire un peu moins qu'à mon habitude, mais de là à savoir si ça serait trop ou trop peu..."Merci aussi pour votre aide avec la milice. Sans vous, je serais un homme mort." Réalisant que cela m'amènerait potentiellement sur la cause de cette chasse, je préférai changer rapidement de sujet. Peut-être serait-ce en vain, mais je me devais de le tenter.
-"Vous avez mon entière gratitude. Si jamais je peux faire quelque chose pour vous remercier, j'en serais fort heureux." Puis grimaçant, réalisant que je n'étais plus rien et que je n'avais que ce que je portais, je soupirais. "Enfin, je pense ne pas pouvoir vous êtes d'un très grand secours pour quoi que ce soit..." Inutile, rendu superflus dans cette vie qui ne s'inscrivait que dans la fuite de la mort, j'étais aussi misérable que méprisable. Mon futur ne me promettait rien et mon passé n'était que regret. Pour chasser les amères émotions qui pointaient à l'horizon de ma conscience, je continuai à parler, tentant de justifier mon incompétence. "C'est tout nouveau pour moi cette existence. Je n'ai jamais été élevé ou préparé à ce genre de chose." À survivre par moi-même. À me nourrir à l'extérieur. À fuir les hommes, mais aussi les monstres. Me redressant sur mon assise, je croisai le regard de la fermière avant de détourner les yeux.
-" Je suis désolé d'avoir traversé vos champs. Je suis aussi contrit aussi d'avoir amené les hommes d'armes sur mes talons à travers ceux-ci. J'espère que nous n'avons rien écrasé ou détruit de vos récoltes. Navré aussi pour mon apparition impromptue et pour avoir bouleversé votre soirée. J'espère que cela ne vous impactera pas trop. Désolé aussi pour la frayeur occasionnée, pour la nourriture que vous m'offrez et pour..." Réalisant enfin que je m'enfonçais et que je pourrais continuer perpétuellement, je décidai de m'arrêter. Pour autant, je ne pus m'empêcher de proférer un dernier mot, s'inscrivant dans la continuité de ma tirade; "Désolé..." |
| | | Mathilde VortigernFermière
| Sujet: Re: En quête de secours [Mathilde]: Sam 16 Mai 2020 - 20:58 | | | Les secondes s'égrainent sur le chapelet du temps avec une lenteur affolante. De longues, très longues secondes d'hésitation qui pourraient leur être fatales à tous les deux, tandis que le fuyard ne sait que choisir de la chaleur invitante de la petite chaumière ou d'une nuit en solitaire dans un grenier toujours prêt à recevoir un être dans le besoin. Officiellement, et ils le savent à la caserne d'Usson, les paillasses roulées dans la grange neuve sont pour les hommes d'armes qui, mal pris, auraient besoin d'un abri. Naturellement, la ferme Dumas est si proche de leur lieu d'assignation que jamais ils n'usent de son hospitalité, préférant presser le pas vers la caserne où leur sera servi un repas chaud. La grange, elle, ne protège ni du froid ni de la faim, mais elle offre une forme de sécurité, le temps que la tempête s'apaise, à condition de ne pas être découvert par l'un des travailleurs qui, par la grâce des Trois, n'a pas trouvé bon de sortir de son refuge pour s'enquérir de l'état de la maîtresse des lieux.
Dos à la porte, Mathilde ravive les braises rougeoyantes dans l'âtre. Une position qui la met en danger, si l'étranger décide de l'attaquer, mais elle a aussi le mérite de lui témoigner silencieusement une forme de confiance. Si elle est la première à tendre la main, peut-être la saisira-t-il non pas pour la tuer mais bien pour la saisir et la remercier. Ainsi l'ennemi devient ami, et toute menace est écartée par un simple geste de confiance. Elle dépose quelques morceaux de bois et les surmonte d'une bûche qui s'embrase dans la minute, avec un simple souffle pour invoquer les flammes. Quelques gestes, simples et mécaniques tant elle les a faits et répétés dans sa vie, quelques gestes rapides mais qui pourtant semblent lui prendre une éternité. Enfin, alors qu'elle se redresse pour suspendre la marmite à la crémaillère, le raclement d'un pied sur le seuil en pierre trahit le mouvement tant attendu qui pourtant semble manquer cruellement d'énergie. Depuis quand le traquent-ils, et combien de temps sa fuite durera-t-elle? La fermière songe à quel point il est dommage que cet homme soit si activement recherché. S'il n'avait été qu'un mordu renvoyé de la ville si frileuse à l'égard des malheureux, elle lui aurait probablement proposé de s'user les mains et le dos dans les champs, durant les récoltes et les plantations d'hiver, en échange du gîte et du couvert. Elle a tant besoin de bras pour l'aider, en ce moment. Le passage fréquent des miliciens l'empêche pourtant d'imaginer ce scénario.
Mathilde se retourne pour regarder, un instant seulement, l'homme qui se tient au bout de la table. L'image de cet homme frêle, dont le visage est marqué par une angoisse silencieuse et une profonde lassitude, est frappante. Quelle vie menait-il, avant? Au vu de sa carrure peu développée par rapport aux hommes habitués aux travaux les plus difficiles, la fermière peine à l'imaginer au milieu des champs ou dans une forge. S'il parle bien et a la chance d'être instruit, peut-être était-il un écrivain publique ou travaillait-il avait le beau monde des bourgeois ou des nobles, à moins de faire partie de l'une de ces classes. Un aveugle verrait qu'il est affamé, aussi achève-t-elle le mouvement interrompu pour suspendre les restants du soir et les réchauffer. Il faudra qu'elle bricole un petit quelque chose demain, pour que ses gars puissent grignoter quelque chose entre deux tâches éreintantes. J'ai fait preuve d'indélicatesse. Mathilde se tourne à nouveau, lentement, pour faire face à l'étranger qui semble réellement désolé d'avoir évoqué la mémoire de Philibert. De son regard grave, elle l'observe interrompre une courbette pour lui présenter ses excuses face à ce qui pourrait être un impair si elle avait été une épouse modèle et une veuve éplorée, rôle de composition que la société attendait qu'elle tienne et qu'elle peinait à jouer. La fermière n'est pas blessée, seulement curieuse de savoir qui est cet ancien ami aux belles manières de feu son époux, et pourquoi elle ne l'a jamais rencontré auparavant. La simple évocation du prénom d'un mort suffit à susciter une avalanche de questions qu'elle se garde bien de poser. Il y a un temps pour chaque chose, peut-être cela viendra-t-il mais pas avant que la porte ne se verrouille pour les condamner au secret. Étrangement, bien qu'il ne représente pas une menace, le voir fermer la dernière issue ravive en elle une tension qui doit égaler celle qu'il ressent.
Mathilde détourne le regard pour saisir le pain sur le comptoir et le rompre. Le silence d'ordinaire rassurant de la chaumière lui est pesant. Bien qu'il lui ai assuré qu'il ne lui ferait aucun mal, elle ne peut s'empêcher de se méfier de lui, ne serait-ce qu'à cause de l'attitude qu'il adopte. Totalement dans la retenue, il a l'air de réfléchir à ce qu'il va dire ou faire. Tu prends des risques inconsidérés, Mathilde. Comme cette fois où elle n'avait pas pu empêcher un banni de se faufiler chez elle, dans cette demeure dont elle n'ouvre jamais la porte une fois la nuit tombée pour éviter les mauvaises rencontres. Sans doute l'aurait-il brûlée, et elle à l'intérieur, si elle n'avait pas obtempéré. Celui-ci est différent. Fidèle à la description de la milice, il parle bien, très bien, à la manière des gens aisés qui ont eu la chance d'avoir une certaine éducation afin de pouvoir évoluer dans un monde éloigné de celui des champs... mais il parle peu et mesure ses propos. Elle le voit mordiller sa lèvre alors qu'elle dépose le quignon de pain sur la table, à côté d'un gobelet d'eau sur lequel elle baisse les yeux. Un vrai repas de condamné. Elle en rirait s'il n'était pas là, mais elle sait se tenir. Plus ou moins.
- Bonsoir, Alphonse. Venez, asseyez-vous. La nuit terrorise ceux qui sont dehors, nous devrions être tranquille pour un bon moment. Elle esquisse un demi sourire en songeant que la Fange, d'une certaine manière, a le don de protéger ses petits secrets. Au moindre bruit, dehors, vous trouverez une échelle dans la pièce d'à côté. Montez, relevez-la et tenez-vous loin de la trappe. Et priez. La porte a beau être épaisse, rares sont les maisons qui peuvent résister à l'attaque d'un fangeux affamé. A priori, rien dans la demeure ne laisse penser que la mort s'est déjà invitée là. Pourtant, les fermetures des volets et le verrou de la porte ainsi que certaines chaises manquantes ou réparées témoignent d'au moins une intrusion. Cette nuit-là, Mathilde avait étouffé ses sanglots dans un oreiller en priant de toute son âme pour que le soleil se lève et chasse les ombres. Un souvenir qui disparaît aussitôt que le dénommé Alphonse se met en mouvement pour s'asseoir à la place désignée.
Puis-je? Dans la retenue, encore. Capable de ne pas se ruer sur le malheureux quignon de pain -ce qu'elle aurait fait, à sa place- tant qu'il n'en a pas la permission de l'hôtesse. Mathilde ne peut s'empêcher d'être impressionnée par la volonté de cet homme dont le corps doit lui hurler de faire tout ce qu'il peut pour survivre un peu plus longtemps : manger et se reposer. Elle hoche de la tête silencieusement, comme si l'économie de mots dont il fait preuve lui était contagieuse. On pourrait croire qu'ils sont en train de s'étudier, l'un l'autre, à la recherche de failles, mais dans cette rencontre aussi incongrue qu'inattendue, les deux protagonistes s'apprivoisent lentement. La fermière fait preuve de bienveillance, son invité se montre aussi courtois que possible... avant de se jeter sur le malheureux bout de pain au point de presque s'étouffer. Mathilde assiste à la scène avec une gêne certaine. Tentée de se détourner pour ne pas assister à un spectacle qu'il ne veut probablement pas offrir -après tout, qui a envie de se montrer dans cet état misérable auquel la faim et la terreur d'être pris peuvent mener?- elle ne peut s'empêcher, dans un geste complètement inutile face à quelqu'un qui s'étouffe, de remplir à nouveau son gobelet d'eau. Finalement, la quinte de toux s'arrête et Alphonse se justifie en indiquant qu'il n'a pas mangé depuis plusieurs jours.
- Je sais ce que c'est. La suite arrive, ça ne sera pas bien long. Mathilde sourit, se voulant rassurante. La faim, elle l'a connue alors qu'à Usson, cachée dans un grenier avec Philibert, privés de leurs ressources, elle attendait qu'un miracle chasse les fangeux du Labret. Finalement, le miracle était arrivé en chair, en os et en armes, et les monstres avaient été repoussés non sans mal, permettant aux honnêtes gens encore en vie de tenter l'impossible : réparer les dégâts dans les fermes et relancer les cultures et élevages.
Maintenant qu'elle est plus proche de lui, elle peut voir l'entaille de son front qui ressemble fort à la trace qu'aurait laissé une pointe de fourche dans la chair. Ainsi, affamé, épuisé, aux abois, Alphonse se cachait dans le foin et Mathilde réalise qu'elle aurait très bien pu l'empaler ou lui crever un oeil si elle s'était montrée plus insistante. Donnez, je vais le faire dit-elle en prenant le linge de ses mains pour le plonger dans l'eau. Je suis désolée, je ne pensais pas... Je ne pensais pas que vous iriez vous cacher là où les miliciens fouillent généralement en priorité. ... vous blesser. Doucement, elle tamponne les pourtours de la plaie alors que son regard est attiré par un reflet luisant un peu plus haut, dans ses cheveux d'un noir absolu. Deux entailles, elle ne l'a pas raté. Mais quelle idée de se cacher dans un tas de paille qui sera nécessairement fouillé à grands coups de fourche? Vous connaissiez mon époux? Voilà une façon habile de changer de sujet, de masquer sa gêne de l'avoir ainsi blessé et d'obtenir une réponse à l'une de ses mille questions.
Une fois encore, Alphonse marque un temps d'hésitation avant de desserrer les lèvres. Qui est cet homme qui a si peur de parler? Quel secret cache-t-il, lui qui n'a probablement plus rien à perdre d'autre que sa vie, pour laquelle il lutte malgré tout? Plutôt que de le presser à répondre, Mathilde retourne à la marmite pour y plonger une longue cuillère en bois afin d'en mélanger le contenu. Elle ne revient auprès d'Alphonse que lorsqu'il se résout à lui confier que Thomas, notable bien connu par les natifs d'Usson, a été son bienfaiteur pendant un an. Son geôlier aussi, puisqu'il ne sortait pas sous peine d'être repéré et dénoncé. C'est à la belle Ophélie qu'elle doit donc cette visite et l'allusion à son mari. Mathilde garde le silence, ne voulant pas interrompre une éventuelle confession. Un an, que s'est-il passé il y a un an pour que cet homme finisse par se cacher chez Thomas au point de ne pas oser en sortir? De quoi est-il accusé pour que, longtemps après son crime, il soit encore poursuivi comme s'il venait de voler le remède contre la Fange?
A nouveau la fermière s'empare du linge, laissé dans la bassine, le rince dans une eau qui se teinte à peine du carmin des blessures et entreprend d'éponger la fine traînée qui s'est à nouveau formée le long de la tempe. Machinalement, dans un geste qu'elle a répété des dizaines de fois avec ses frères, la fermière saisit doucement le menton du fuyard et dévie de la plaie pour en éponger le front, couvert de sueur mêlée à la poussière du chemin, passer sur ses grands yeux clairs qu'il ferme, dessiner les contours de son visage fin, aux pommettes hautes et fières et aux joues creusées qu'une barbe aux poils éparses de quelques jours encadre vaguement. Les gestes sont doux, précis, méthodiques, à la manière d'une mère dont l'enfant a oublié de se débarbouiller avant de passer à table. Mieux se dit-elle, alors qu'elle réalise que sa bienveillance pourrait porter à confusion. Mathilde ne laisse rien paraître d'une éventuelle gêne et termine le travail avec la même douceur en essuyant la plaie située sur son crâne, alors qu'Alphonse se confond à nouveau en excuses avant de la remercier pour son accueil. Que pourrait-il faire pour lui rendre la pareil? Elle n'a aucune idée de la contrepartie qu'il pourrait lui offrir, parce qu'elle n'en veut pas. Elle ouvre sa porte aux nécessiteux parce qu'elle aimerait qu'on le fasse pour elle si un jour elle se trouvait dans cette situation.
Les épaules d'Alphonse semblent s'affaisser devant l'évidence qu'il n'est utile en rien en ce moment. C'est tout nouveau pour moi cette existence. La fermière ne bronche pas, recueillant les indices qui lui permettront peut-être de deviner l'identité d'Alphonse, dont le prénom doit être porté par bien des hommes au Labret. L'inconnu se redresse et se répand une fois encore en excuses, au sujet des champs, de la milice, des légumes, de la peur... Mathilde écarquille les yeux devant le flot continu des excuses qu'elle cherche à interrompre en posant la main sur son épaule.
- Hey... murmure-t-elle, vous n'êtes ni le premier ni le dernier à arriver ici. Ça va, vous faites moins peur qu'un fangeux croyez-moi. Mathilde se veut rassurante. Rien ni personne n'égalera la terreur qu'elle a ressenti à Marbrume le jour du couronnement. Bien sûr, elle a eu peur et la tension ne s'est pas dissipée, mais elle est toujours en vie. Elle dépose le linge sur le rebord de la petite bassine d'eau désormais sale et s'éloigne un instant pour attraper un petit pot de baume dont elle prélève une noisette. La consoude fait du bon travail sur les petits bobos. Bougez pas ordonne-t-elle avant d'enduire les deux blessures d'un baume gras et épais, à l'odeur légère mais caractéristique de plantes macérées.
- Si Thomas se montre bienveillant envers les gens qui sont dans le besoin, je garderai son secret, n'ayez crainte. Ils sont nombreux, ceux qui ont tout perdu à cause d'une erreur de jugement, d'une morsure dont ils sont victime ou d'une attaque qui les laisse sans famille ni biens. Rares sont ceux qui les aident. Mathilde étend le surplus sur ses mains, toujours parsemées de petites coupures ou de craquelures à cette époque de l'année. Elle s'éloigne pour prendre un bol en bois et plonge la cuillère dans la marmite dont le contenu embaume maintenant toute la pièce d'une odeur particulièrement réconfortante. Philibert est mort il y a bientôt un an, emporté par un fangeux. C'était un bon ami, mais sa mort ne m'attriste plus depuis longtemps. Y a pas de mal. Ceci dit, le connaissant, il serait sans doute très heureux de vous avoir sauvé. Mathilde dépose le bol sur la table et y joint une cuillère. Si Alphonse a certaines manières, elle songe qu'il appréciera sans doute avec un linge pour essuyer sa bouche et ses mains à la fin du repas. J'étais très curieuse de savoir qui était ce mystérieux ami dont mon époux ne m'avait pas parlé. C'était un homme simple, qui fréquentait de simples gens. Vous avez de trop belles manières que pour faire partie de ses relations. La fermière sourit et dépose un linge propre à côté du bol avant d'adopter un air faussement menaçant. Mangez avant que ça refroidisse.
Les belles manières, elle commence à les connaître à force de côtoyer du beau monde avec lequel elle ne cesse de commettre des impairs. Ils ont le don de la faire se sentir complètement gourde, elle qui est d'habitude si fière de son rang de fermière. Mathilde dépose un gobelet de lait de chèvre, celui qu'elle se réservait en guise de dessert pour terminer la journée, à côté d'Alphonse et s'assoit en face de lui. Si vous voulez survivre dehors, commencez par ne pas vous répandre en excuses. J'ai rarement entendu quelqu'un du dehors être si consterné d'apprendre qu'une fermière a perdu son mari. Ensuite, remplumez-vous avant l'hiver, parce que là on est dans les récoltes mais d'ici quelques semaines il va faire froid, plus rien ne poussera et les gens vont tomber en mode économie pour éviter de gaspiller des ressources. Ça veut dire que voler va être un peu plus compliqué, jusqu'en avril à peu près, et que vous ne pourrez compter que sur le petit gibier, les racines et quelques vivres bien cachés pour tenir jusqu'au printemps. Avez-vous une arme? Depuis que le roi a banni les mordus de Marbrume, il y a plus de monde pour se disputer des places à l'abri, dans les maisons abandonnées. Il parait que c'est difficile de se faire une place.
Mathilde se tait un instant. A-t-il seulement une chance de survivre plus d'une semaine dehors? Elle ne miserait pas sur lui. Épuisé, nerveux, affamé, désolé, il est loin d'être aussi impressionnant que les brutes épaisses et les rats dénués de sentiments qui pullulent dans les rangs des bannis. Pourtant, elle se dit que les apparences peuvent être trompeuses. Le beau Darius n'a-t-il pas laissé éclater toute sa violence pour tuer quelqu'un devant elle? Le jeune Jocelyn ne fait-il pas partie des influents parmi les bannis? Qui sait ce qui se cache derrière l'apparence inoffensive d'Alphonse? Pour être tout à fait honnête, je meurs d'envie de savoir pourquoi trois miliciens vous coursent à travers champs à la tombée de la nuit alors que les fangeux sortent généralement à cette heure. Mais je ne vous en voudrai pas de ne pas partager votre secret, ça vous appartient. |
| | | Alphonse de SarosseVagabond
| Sujet: Re: En quête de secours [Mathilde]: Mar 19 Mai 2020 - 21:53 | | | J'avais toujours cru que la terreur était le pire des maux. Or, cela était avant de connaître la faim. Lancinant et dévorant, ce mal rongeait ma conscience, jusqu'à non pas oblitérer le fracas de la peur, mais à tout le moins l'amoindrir. Sous les contrecoups de cette perfide opposante, mon esprit était devenu tel un fardeau supplémentaire que je me devais de porter. Alanguie dans une torpeur maladive, ma conscience était enfermée à l'intérieur d'une gangue de brume dont je n'arrivais à m'extirper. Inaptes à la moindre réflexion sensée, mes forces étaient sapées par l'inanition. Aussi terrible et mortelle que la fange, la famine avait faite de mois le pâle reflet de celui que j'étais. Ma voix n'était plus que le souvenir d'une tonalité, jadis profonde, et mes paroles n'étaient plus que des murmures, réminiscence d'un passé aux discours, certes rare, mais somme tout éloquent. Ma posture était pliée, ployant jusqu'à quasiment se briser. Je tentais vainement de supporter le siège que la faim imposait à mon corps et à ma conscience. Au moment où j'étais sur le point de renoncer, à m'abandonner à ce mal aussi perfide et terrible que l'humanité ou ses prédateurs, j'avais réussi à tirer un dernier effort de mon corps déjà malingre et malade. J'avais traversé forêts et champs pour rejoindre la chaumière Dumas. Puis, soutirant de mon noble passé des résidus de ma dignité, j'avais réussi à me montrer en quelque sorte civilisé. Jusqu'au dernier instant, alors que mon estomac criait sa douleur avec véhémence et que ma voix se brisait sous les assauts de l'imploration. Toujours est-il que pour ce pain, j'aurais tout fait, prêt à ramper misérablement tel le miséreux que j'étais devenu.
Lorsque j'en reçus enfin l'autorisation, sans plus réfléchir, je me jetais tel un animal sur l'aliment. Dévorant plus que mangeant, j'en oubliais toutes bienséances ou tout digne comportement. En cet instant, je me rapprochais plus du limier à qui son maître aurait donné un os à ronger que d'un ancien noble, ou ne serait-ce que d'un homme. Au bout d'un moment, je fus rappelé à l'ordre par une quinte de toux tandis que je m'étais presque étouffé à cause de mon empressement. Réalisant le piètre tableau que je devais offrir, m'étant couvert d'opprobre, je baissai la tête pour éviter un regard que je n'avais pas tenté par une fois de croiser, ayant peur d'y lire un quelconque jugement. Bien que contrit, les mots de Mathilde m'arrachèrent à mon marasme. Elle aussi avait déjà connu l'âpre belligérante qu'était la faim. Je n'eus pas le courage de lui demander en quelle circonstance. "Merci..." Pourquoi la remerciais-je ? Probablement pour tout ce qu'elle m'offrait et symbolisait. Pour ce pain, pour cette aide et pour cette écoute.
Puis, la veuve récupéra le tissu que je lui laissais pour qu'elle puisse s'occuper des entailles qu'elle m'avait certes faites, mais dont le mérite ne revenait qu'à mon idiotie. Évitant toujours de la regarder, je tentai de la dédouaner de toutes fautes. Elle n'avait pas à s'excuser pour mon manque de réflexion. Une cruelle erreur que je voulais mettre sur le dos de la faim, sans réellement savoir si c'était elle ou mon inconscience qui était réellement fautive. Dans tout les cas, ce n'était aucunement Mathilde Dumas. "Ne vous excusez pas, c'est de ma faute à moi seul d'avoir choisi la pire cachette. J'ai été idiot." Tentant un bref sourire qui peina à se former, j'haussai les épaules. "J'ai paniqué." Puis, repensant à mon imprudence, je poussais un petit rire amer qui resta bloqué au fond de ma gorge. Je secouais la tête de gauche à droite à la mesure de mes paroles. "Cela aurait été le comble de mourir de la fourche de celle qui a pris les pires risques pour me sauver." Finalement, le sujet dévia sur son défunt époux, plutôt que de s'arrimer et de continuer autour de ma stupidité et de sa potentielle culpabilité. Hésitant et tergiversant, je finis par lui offrir la réponse à son questionnement. Ce faisant, je mis peut-être en péril Thomas et sa famille. Toutefois, je doutais que cela soit fâcheux, alors que la fermière avait fait preuve de plus de bonté que j'aurais pu espérer.
Lorsque Mathilde revint s'emparer du linge pour revenir s'occuper de mes meurtrissures, je croisai son regard noisette pour la première fois. Aussi proche, je pouvais le voir. Elle était belle, elle qui revêtait la beauté de la bonté. Telle une mère, elle officiait à guérir les balafres que j'avais reçues de sa fourche. Empathique, elle amenuisait les blessures qui déchiraient mon âme et conscience, écartelées par la chasse et la traque des hommes d'armes. Depuis combien de temps personne ne m'avait-il offert un contact physique doucereux ? Certes éphémère, cette bonté désintéressée me remplit d'espoir aussi certainement que le pain comblait ma faim. Bien que n'ayant jamais fait partie des petites gens, j'étais désormais un indigent. À force d'avoir été misérable, j'étais devenu miséreux. Puis, il vint le temps ou je devins fugitif. De tout cela, de toutes ces étapes, une chose n'avait pas changé; la charité et la compassion ne m'avaient jamais été offertes, supplantées par l'exécration de mes semblables aux sangs bleus, puis par celle de mes chasseurs en voit de devenir mes bourreaux. Dès lors, comment rester impavide face à l'entraide de la veuve Dumas ? Devant la première main qu'on me tendait depuis de longues années ?
Tout d'abord, mû par un réflexe, je reculais pour éviter le contact du tissu sur mes blessures. Je finis par accepter cette aide, luttant contre ma propre volonté qui me dictait de fuir ce secours qui était inhabituel pour moi. Toutes les fibres de mon corps étaient tendues, prêtes à se rompre à tout moment. Je l'observais, alors que mes yeux épiaient le moindre de ses faits et gestes. Telle une bête habituée à être rossée, je rentrais la tête dans les épaules, m'attendant à recevoir un coup qui arriverait sous le couvert de cette main aidante. Je voulais la croire, lui redonner cette confiance qu'elle m'avait offerte en me laissant rentrer chez elle sans rien savoir de moi. Or, une part de moi n'arrivait pas à se départir de cette méfiance inscrite dans ma conscience. Que ce soit ma famille ou ma défunte épouse, ceux-ci n'avaient jamais eu ce genre de geste à mon égard, plus avare qu'avide de cette bonté. Dès lors, comment croire qu'une fermière, qui jusque là m'était complètement inconnue, puisse se montrer aussi généreuse de ses bienfaits ?
Devant ce constat déchirant, je m'évertuais à taire mes pensées et mon passé. À ne plus réfléchir à ce dernier. Tel un idiot, j'attendais patiemment que le soin soit terminé, profitant de ce silence pour m'abreuver non pas de ces paroles, mais simplement de ce geste d'entraide désintéressé. Décidément, en cette nuit, Mathilde était en mesure de faire comme elle lui plaisait le calme et la tempête sur mon existence. M'aidant au milieu des tourments, puis me menaçant inconsciemment de sa fourche et enfin consciemment de son arc, la jeune femme avait aussi bien été en mesure d'éloigner les intempéries que de les souffler avec ardeur sur ma vie. À force d'avoir été telle une mule faisant tourner la meule, à me mouvoir sans réfléchir selon les codes de ma condition et les ordres de ma maison, je ne savais comment agir ou comment réagir. Toujours est-il que je ne cherchai rien de plus que ce qu'elle consentait à m'offrir. C'est-à-dire sa gentillesse et son aide. Toutefois, je m'en abreuvais de tout mon soûl. J'avais peut-être perdu foi en la Trinité, mais la fermière me faisait croire de nouveau en la bonté de l'humanité.
Ou du moins, d'une partie de cette dernière.
Pour m'extirper de cette ambivalence s'inscrivant dans mon inaptitude à savoir comment réagir, je me mis à me morfondre et me confondre en excuse. Réelles et sincères, celles-ci s'amassèrent et s'empilèrent à mesure que je comprenais l'étendue des fautes que j'avais commises et des risques que j'avais apportés à Mathilde. N'arrivant plus à m'arrêter, mes paroles cascadaient tel un cours d'eau après des pluies diluviennes ou la crue. Ce fut au bout d'un certain moment que je terminais mon élucubration qui s'apparentait plus à un plaidoyer. Les derniers mots que je proférais furent une énième excuse. Cette dernière n'avait pas pour objectif de m'acquitter d'une quelconque faute, mais simplement pour m'excuser de mon affligeant discours alambiqué. Décidément, j'avais beau avoir un passé de mondain, je restais plus une brebis galeuse qu'un loup vorace...
Puis, Mathilde répondit à mon flot interrompu de palabres en m'offrant encore une fois sa bonté et une compréhension qui semblait à toute épreuve. Malgré mes torts et mon tortueux passé présenté avec fausseté par ceux faisant de moi un fuyard, la fermière semblait voir que le bon -ou le moins pire- chez moi. Était-elle ainsi avec l'ensemble de ses visiteurs d'infortune ? Elle-même avoua que je n'étais pas le premier à venir implorer au pied de sa chaumière. Dès lors, était-ce une constante ? Une habitude ? J'étais plus qu'heureux qu'elle ne se soit pas détournée de moi. Je lui devais la vie. Pour autant, à force de jouer ce dangereux jeu de venir en aide à des êtres comme moi, ne risquait-elle pas de tomber sur un mécréant prêt aux pires atrocités ? Ne risquait-elle pas sa propre vie ? Ce n'était pas à moi de remettre en cause sa façon d'agir. Je n'était rien et je ne me voyais pas me placer en porte-à-faux avec ses idéaux et son idéal de vertu. Si elle estimait que c'était le mieux de vivre ainsi, qui étais-je pour lui dire le contraire ? Non. Je me devais de rester silencieux. Je ne voulais pas la froisser. Oui, voilà. C'était pour le mieux.
-" Je suis heureux de ne pas encore être au même niveau que les prédateurs de l'humanité." Tentais-je de présenter sur un ton humoristique qui ne prenait décidément pas sur mes traits qui restaient crispés. "Vous avez déjà eu affaire avec ces monstres ? De très proche, j'entends." Dans notre monde sur le déclin, qui n'avait pas eu à faire face à la fange ? Presque personnes. Toutefois, certains l'avaient rencontré de très près, sentant quasiment l'haleine fétide de ces bêtes sur leur échine, leurs griffes et leurs crocs sur leur chaire. Était-ce le cas de la jeune femme ? Continuant à s'activer autour de mes balafres, la veuve Dumas enduisit ces dernières d'un baume sentant fort les herbes. Elle me mentionna que cela était de la consoude. J'aurais aimé connaître cette plante, moi qui risquais d'avoir besoin de ce genre de connaissance dans ma nouvelle vie. "Je serais aussi immobile que possible." Lui promis-je. "Merci."
Lorsqu'elle revint à la charge vis-à-vis de Thomas, je me crispais et rompais ma promesse de rester statique, me reculant en m'enfonçant au fond de mon assise, avant de revenir à la portée de ses mains, contrit. Ce n'était aucunement à cause de ce qu'elle avait dit sur l'honnête homme que j'avais réagi de la sorte. C'était plutôt par rapport à la suite de ses dires, lorsqu'elle mentionna la perte des biens et de la famille. Avait-elle découvert mon identité simplement avec mon prénom ? Si oui, est-ce que cela changerait quelque chose ? devais-je m'inquiéter ? Par l'impie Trinité, je ne faisais que voguer de doute en hésitation. Toujours est-il que je restais muet, sans m'épancher sur le sujet, ne lui offrant qu'un hochement de tête. J'étais devenu plus blême, penchant la tête vers le sol dans une allure qui concordait l'ensemble de ses dires. Aucun mot n'était nécessaire pour le comprendre. Lorsque la nourriture arriva devant moi, la conversation revint sur Philibert. Un bon ami. Ainsi, même dans la populace, les mariages n'étaient pas toujours de grandes histoires d'amour, hein ? "Au moins, c'était un bon compagnon. Un partenaire." Je ne pouvais en dire de même de ma propre épouse. Une femme que je ne rappelais jamais réellement à ma mémoire tellement notre relation avait été terne, fade et sans saveur. Tout ce que je revoyais d'elle était son regard à l'instant fatidique aux pieds des murailles de Marbrume. " Ainsi, vous partagiez la même bonté envers votre prochain ?" Demandais-je lorsque Mathilde mentionna qu'il aurait été heureux lui aussi de me venir en aide.
Restant silencieux, j'agrippais la cuillère tel un naufragé se retenant à un morceau épars de son frêle esquif devenu épave. L'odeur de la nourriture embaumait la chaumière et me donnait l'eau à la bouche. Avisant ce qui se trouvait désormais devant moi, n'arrivant pas réellement à y croire, je fus submergé par une vague d'émotion que je chassai en clignant des yeux. J'avais suffisamment été pitoyable pour ne pas en plus éclater en sanglot. Hochant la tête à plusieurs reprises, je proférais mes sempiternels remerciements. L'entendant revenir à la charge concernant cette fois-ci mes manières, je me regardais tenir délicatement la cuillère et me tenir droit, même si je ployais sous la faim. Me rongeant la lèvre, je m'avachis par-dessus la table, enfermant l'ustensile dans ma broigne et déposant les coudes sur la surface de bois. Plissant le nez, je ne pus m'empêcher de la questionner. " Est-ce si visible ? Je veux dire, mes manières me trahissent si facilement ?" Ce questionnement n'était pas dénué de sens. Je devais faire profil bas, ne pas me démarquer pour éviter d'être rattrapé dès que je rencontrerais un autre individu. Si je me déplaçais ou parlais comme un nanti, il serait facile pour tout le monde de me voir comme une victime idéal, ou tout simplement me reconnaître.
Hochant la tête lorsqu'elle m'invita à manger en mimant une mine menaçante, je ne me fis pas plus prier. J'avais hésité à lui redemander la permission, mais cela aurait été probablement de trop. En plus, elle venait de souligner mon trop-plein de manière, alors... Lorsque je portai la cuillère à ma bouche, je fermai les yeux durant quelques instants, goûtant simplement la nourriture. "C'est délicieux." Je ne mentais pas le moins du monde. Peut-être que ma faim me déchirait suffisamment pour me faire apprécier n'importe lequel des repas qu'il m'aurait été offert. Cependant, à mes yeux et en cet instant, c'était le meilleur plat de mon existence. La regardant prendre place devant moi, j'écoutais la suite de ses dires tout en continuant à manger, sans pour autant renouer avec l'empressement qui m'avait amené à l'étouffement. Ses mots me désarmèrent de désarroi, me plongeant dans une morosité. J'étais mal parti et ma survie s'annonçait quasiment impossible. À dire vrai, je préférais ne pas y penser, ne pas me pencher sur la suite de mes pérégrinations, sachant pertinemment que rien ne me souriait et que le dénouement serait probablement macabre. Or, ce n'était pas moi qui avais amené le sujet, mais bien Mathilde. Dès lors, je ne pouvais plus me voiler la face, obligé d'une certaine manière à penser à tout cela en l'écoutant.
-" Je comprends tout ça, je ne suis pas complètement idiot." Dis-je en tentant un maigre sourire qui tirait plus sur la grimace. Je ne cherchais aucunement à être vilipendant dans mes propos. Je proférais mes mots d'une faible voix, fatigué, mais non pas hargneux contre ce qu'elle me présentait. Fataliste, j'avais conscience de ce que je devrais faire, sachant pertinemment que j'en serais incapable. " Je ne sais pas chasser ou tendre le moindre collet. Les racines, je ne pourrais même pas dire lesquelles sont comestibles ou non." Je laissais ma tête tomber dans mes mains, tandis que mes doigts enserraient ma chevelure et que je cachais mes yeux de mes paumes, les coudes toujours appuyés sur la table. "Je ne pourrais même pas dire quelle est la sorte d'arbre pousse autour de chez vous." Puis, la suite eut le mérite de me décontenancer, moi qui n'avais pas réellement pensé aux bandits et autres forbans qui chercheraient les mêmes abris que moi. Je redressais vivement la tête, une lueur d'inquiétude dans le regard "Je... je n'y avais pas pensé. Je n'ai même pas la moindre arme ! Ce que je possède, c'est ce que je porte." Une cape brune et terne et des vêtements de bonne facture, mais déjà usés par ma fuite. D'ailleurs, la cape était trop courte pour moi. Cette dernière en était une de femme, celle d'Ophélie que j'avais attrapée avant d'être poussé vers la sortie. " Que dois-je faire alors ? Les maisons abandonnées regorgent maintenant de bannis ou de bandits et c'est l'endroit que les miliciens fouillent en premier pour me débusquer. L'extérieur n'est pas plus sûr, alors que le froid deviendra aussi mortel que la fange. Et même si j'arrive à survivre à tout cela, je risque de mourir de faim." Me laissant retomber dans le fond de mon assise, ma tête partit vers l'arrière, mes bras tombèrent le long de mon corps. "Je ne suis pas fait pour cette vie. Je ne suis même pas équipé pour tenter de survivre. La fin s'annonce toute trouvée..." Restant silencieux durant quelques instants, écoutant le bois éclater sous les attaques du feu, je finis par répéter, le ton implorant. "Que dois-je faire, Mathilde?" Je ne sais pas si elle pouvait réellement me répondre, mais j'étais complément perdu, éperdument convaincu que je n'en réchapperais pas.
Me redressant, je me levai rapidement. Tournant le dos à ma partenaire, je croisai les bras pour me préserver d'un froid qui m'étreignait à bras le corps. Inapte à me réchauffer, je m'approchais de la flambée, espérant que le feu oblitérerait cette morsure de la peur. Tremblant, restant tourné, je perdis mon regard dans la danse des flammes. Je me mis à parler, aussi bien à moi-même qu'à la fermière. "Je ne suis et je n'ai personne. Qui voudrait de mon inutilité ?" Secouant la tête, je redressais ma manche droite, regardant mon bras vierge de toute marque. "Il aurait mieux valu que je sois un banni qu'un criminel...". Laissant retomber ce bras le long de mon corps sans descendre la manche pour le recouvrir, je ne bougeais plus durant quelques instants. Finalement, il vint l'heure de me présenter, tandis que Mathilde faisait preuve d'une curiosité compréhensible quant à mon égard. Alors que j'avais été précédemment hésitant à lui dire qui j'étais, notre discussion m'avait en quelque sorte rasséréné sur son compte. Par ailleurs, j'avais dévoilé l'aide de Thomas, lui faisant encourir des risques inconsidérés. Si j'étais apte à faire subir cela à un ami, je me devais de pouvoir subit les mêmes périls. Me retournant, m'appuyant contre le mur le plus proche, je me mordis la lèvre inférieure, gardant les bras croisés.
-" Ce que l'on dit d'un homme tient autant de place dans sa vie ou sa destinée que ses actions." Il est vrai que cela était un drôle de préambule pour commencer mes palabres. Toutefois, à mes yeux et mon sens, cela était on ne peut plus vrai et me définissait, moi, le fils devenu parjure et l'homme dorénavant paria. "On est construit dans la perception et le regard de l'autre. Les propos et les bruits forgent notre vie au détriment de ce que l'on est ou de ce que l'on fait. Alors, qui suis-je, moi, le fuyard et fugitif ?" Je secouais la tête, amère et hargneux contre, non pas ma vie, mais plutôt vis-à-vis de la vision d'autrui." À les écouter, je suis un assassin. Un tueur. Un félon ou un parjure. Un être infâme et indigne." Si la fermière se bornait et se bernait à écouter les ragots et racontars, voilà le portrait qu'elle aurait d'Alphonse de Sarosse. En penserait-elle autrement ? "Or, je ne suis pas ça. À mes yeux, je suis un innocent pourtant déjà prisonnier. Prisonnier de mon nom." Puis riant avec amertume, je hochais la tête en sa direction, mimant une nouvelle salutation alors que je me présentais pour de bon. "Je m'appelle Alphonse de Sarosse. Je suis soi-disant le criminel ayant tenté d'attenter à la vie du roi, tandis que c'est plutôt ce despote qui a assassiné l'ensemble de ma maisonnée, et ses alliés, aux pieds de ses murs." Serrant des poings jusqu'à m'en faire blanchir les jointures, je poursuivis. "Je ne suis plus un noble. Je ne fais pas partie des petites gens et même pas des indigents. Je n'ai pas connu le bannissement, mais je suis banni de toute communauté. Je ne suis pas un criminel, pourtant je suis jugé coupable."
Levant la tête au ciel, je terminai la tirade bien simplement. "Je voudrais être quelqu'un d'autre." Puis, me rendant compte que je ne faisais que m'apitoyer sur mon sort, livrant mes états d'âme je me mis à secouer la tête, écœuré par ma propre lâcheté et faiblesse. Mathilde m'avait déjà sauvé en m'offrant son secours. Elle n'avait pas non plus à me guérir de mes tourments intérieurs et de mes peurs du lendemain. Ce n'était pas sa tâche. Ce n'était pas son fardeau. Pour cela, je ne pouvais l'implorer comme je l'avais fait quelques instants plus tôt, là, devant la porte close de sa demeure. "Je voudrais être un fermier." Dis-je en souriant doucement pour lui montrer que je ne voulais pas me montrer insultant. Retournant m'asseoir face à elle, j'enserrais le verre de mes deux mains. "Être votre voisin pour pouvoir abuser de votre cuisine me semble être une bonne idée." Voilà. Je me devais de dresser un discours quelconque plutôt que de présenter mes tourments. Je n'avais pas à l'incomber de mes propres soucis qui m'amènerait sans l'ombre d'un doute vers mon dernier repos. "Comment est la vie ici ? J'imagine que ce n'est pas tous les jours facile." Bien qu'anodine, mon questionnement avait le mérite d'être réellement intéressé. "Êtes-vous toujours resté au Labret ? Sur vos terres ?" Si tel était le cas, je l'enviais, elle qui avait un lieu d'attache. Certes, j'avais eu la chance de voyager dans ma jeunesse, d'aller vers Marbrume, la capitale ou dans les duchés avoisinants. Toujours est-il qu'aujourd'hui, je rêvais d'une demeure. Non pas d'une grandiloquente maison, mais simplement d'un foyer chaleureux. "À mon tour." Dis-je comme si nous échangions des banalités au détour d'une rencontre impromptue. " Pour être tout à fait honnête, je meurs d'envie de savoir pourquoi vous venez en aide à un individu coursé par trois miliciens à travers champs à la tombée de la nuit alors que les fangeux sortent généralement à cette heure." Souriant avec malice, tandis que je reprenais ses propres mots, je ne me rendais pas compte que cela était la première marque d'amusement que je ne forçais pas et qui semblait réelle. " Je ne vous en voudrais évidemment pas non plus de ne pas partager vos raisons. Après tout, cela vous appartient. Toutefois..." Me penchant vers l'avant et penchant la tête sur le côté, je me rongeais la lèvre inférieure quelques secondes avant de plonger mon regard dans le sien, pour la seconde fois seulement, et de présenter mon questionnement. "J'aimerais vraiment savoir qui vous êtes pour agir ainsi, Mathilde Dumas." |
| | | Mathilde VortigernFermière
| Sujet: Re: En quête de secours [Mathilde]: Mer 27 Mai 2020 - 22:02 | | | Il est des silences qui valent leur pesant d'or, surtout lorsque derrière un sourire bienveillant d'une fermière en apparence honnête se cache une âme charitable qui ne fait pas la différence entre ceux que la loi ou la société condamne et les autres. Cette charité n'est pas toujours désintéressée et permet, parfois, d'améliorer substantiellement son existence en étant protégée par ceux qui, normalement, devraient l'attaquer. Pour Mathilde, l'important est de survivre même si la mort prochaine semble inéluctable. Pourquoi ne pas abandonner, elle ne le sait pas encore. Elle sait que ça dépasse la ferme et son ambition de la porter aussi loin que possible. Loin d'être la biche aux abois, elle sent que ce n'est pas une question de survie, cet instinct ancré dans tout être vivant et qui fait que celui qui s'est assis à sa table a fui pour sauver sa vie plutôt que d'affronter ses poursuivants au risque de mourir. Peut-être est-ce simplement la confiance qu'elle a placée dans les mains des Trois qui, elle l'espère, mettront fin au fléau. Qui serait assez fou que pour ne pas vouloir voir ce jour arriver de son vivant? Repousser la mort pour voir la victoire de l'Humanité est une raison suffisante, et pour repousser la mort, quand on est une fermière isolée, il faut faire preuve d'ingéniosité sans être trop regardante sur le statut de ses alliés. Aussi, survivre dépend parfois de sa capacité à garder le silence.
Les silences qu'elle sert en guise de réponses, Mathilde les ponctue de sourires plus ou moins discrets et de regards qui se perdent parfois dans le vide, trahissant une pensée tournée vers le passé. A la tentative d'humour d'Alphonse au sujet des fangeux, Mathilde ne répond donc que par un sourire, qui s'évapore au moment où il lui demande si elle en a déjà croisés. Comme bien trop de gens, au premier jour du mois de mai, elle avait vu la mort de près et lui avait échappé miraculeusement, mue par un instinct de survie qu'elle ne se connaissait pas et portée par la chance que les Trois lui avaient accordée. Un souvenir traumatisant dont elle n'est pas tout à fait remise, à en juger par les cauchemars qui la réveillent encore de temps à autres et la facilité déconcertante avec laquelle la moindre angoisse pèse sur sa poitrine au point de lui couper le souffle. L'image du fangeux qui se lance sur elle toutes griffes dehors est encore trop nette dans son esprit, tout comme l'odeur fétide de son haleine et ses yeux sans âme injectés de sang. Une image affolante qui n'est pourtant rien au regard de tout ce qui l'entourait à ce moment-là : des morts par dizaines, dont les cadavres décapités et parfois démembrés gisaient dans une mare de sang mêlé à l'urine de ceux qui avaient eu si peur qu'ils s'étaient fait dessus ; les cris déchirant des mères berçant une dernière fois leurs enfants répondaient à la terreur de ceux qui fuyaient les bêtes ; et au milieu de l'apocalypse, ce rire bestial appartenant à une femme, debout sur un toit, qui contemplait son oeuvre macabre. Comment raconter cela sans une fois encore ressentir une fraction du désarroi qui s'était emparée d'elle, ce jour-là et ceux qui avaient suivi? Elle s'abstiendrait, continuant ses soins si légers soient-ils en changeant de sujet pour revenir à un vivant : Thomas.
Thomas qui cache bien son jeu et qui protège, pendant un an, un fugitif recherché tout en faisant régulièrement affaire avec la milice. Elle ne peut s'empêcher de penser qu'elle n'est pas seule à le faire, et qu'ils pourraient constituer un petit réseau d'entraide pour secourir ceux qui sont dans le besoin. Les coutilliers apprécieraient fort peu de découvrir le pot-aux-roses. Et alors que l'idée la fait sourire, Alphonse, lui, recule dans sa chaise et se referme. Qu'a-t-elle dit? Qu'a-t-elle fait? Mathilde fronce légèrement les sourcils et comprend que le sujet n'est peut-être pas le bon. Après tout, son invité a hésité avant de parler de son bienfaiteur. Peut-être préfère-t-il maintenant ne pas l'enfoncer plus dans sa complicité, aussi la fermière revient-elle avec une chose qui met tout le monde d'accord : de la nourriture... et quelques mots au sujet de feu son mari, pour dissiper le malaise une bonne fois pour toute. Pourtant, elle ne s'éternise pas sur Philibert et ne répond même pas lorsqu'Alphonse conclut qu'ils partageaient la même bonté. A dire vrai, bien qu'aider son prochain était l'une de ses grandes qualités, il n'aurait pas ouvert sa porte à un fugitif, surtout en sachant la milice à ses trousses et prête à débarquer. En bon et honnête homme, il aurait tenté de le neutraliser pour le jeter ensuite dans les bras de la justice, sans même songer aux conséquences de ses actes... on ne sait jamais quand un fuyard a des complices qui pourraient un jour vouloir venger une trahison. Il semble à Mathilde que le moment est plutôt mal choisi pour avoir ce débat. Mangez avant que ça refroidisse.
Mathilde s'assoit et le regarde un instant. Il mange de bon appétit entre deux excuses ou remerciements. Mes manières me trahissent si facilement? Elle a un petit soupire amus. S'il savait... il se tient comme dans les belles maisons qu'elle a fréquentées cet été, à l'Esplanade et à Usson, à l'image de ceux qui ont reçu une bonne éducation de par leur condition ou parce qu'ils ont à côtoyer le gratin de la populace. Le dos droit, les avant-bras posés sur le bord de la table, les doigts saisissant délicatement la cuillère qu'il porte à sa bouche. Il n'a pas les manières d'un paysan, pas plus qu'il n'en a les mots. Cesser de se répandre en excuses, se remplumer avant l'hiver, prévoir des provisions, trouver une arme et un abri... autant de choses qu'elle ferait si elle était bannie. Elle y a songé longuement après que les mordus aient été pour la plupart chassés de la ville. De pauvres gens qui avaient tout perdu du jour au lendemain, avec pour seul espoir de survie la bienveillance du peuple du Labret qui, finalement, avait eu ce fâcheux réflexe, fasse à sa propre peur, de fermer les yeux et d'ignorer superbement les malheureux. Rares étaient ceux qui acceptaient d'offrir de l'aide ou un travail. En aidant l'un d'entre eux, Mathilde s'était interrogée sur son propre destin. Que ferait-elle si, demain, elle perdait tout? Durant ses longues nuits de garde, elle avait ainsi échafaudé des plans basés uniquement sur une réalité fantasmée du quotidien des bannis. Des provisions, un abri, une arme. C'était, selon elle et dans cet ordre les priorités à avoir.
Alphonse n'est pas un homme d'extérieur. Il ne connait pas les plantes ou les racines comestibles. Il n'a pas appris à poser des collets avec son père. Il ne connait pas les arbres dont les fruits pourraient l'alimenter ou au contraire le rendre sérieusement malade. A-t-il seulement appris à manier une arme quelconque? Mathilde ne peut s'empêcher de faire une petite moue : une semaine de survie, c'est très optimiste... et Alphonse le comprend, en réalisant à quel point il est complètement désarmé face à cette situation. Comment n'y a-t-il pas réfléchi, lui qui a passé du temps dans une prison dorée, bien à l'abri du besoin -elle l'imagine- chez Thomas? Tout ce temps durant lequel il aurait pu lire, questionner, apprendre... quel gâchis aux yeux de la fermière. Durant un instant, il semble baisser les bras. Lui qui a tant couru pour sauver sa vie paraît maintenant prêt à la remettre au premier venu. Que dois-je faire, Mathilde? Elle garde le silence. Parfaitement immobile depuis qu'elle s'est assise, elle le voit se décomposer, petit à petit, s'enfoncer progressivement sous la surface de l'eau dans laquelle il se débattait, sombrer lentement après avoir pris une dernière bouffé d'air et disparaître dans les eaux glaciales du lac le plus sombre qu'on n'ait jamais vu. Plus d'espoir.
Alphonse se lève. Avant qu'elle n'ait pu répondre quoi que ce soit, il se rapproche du feu crépitant joyeusement pour se réchauffer. Elle n'a pas froid, mais à l'inverse de lui, elle ne craint pas pour sa vie. Il n'a personne, il n'est rien. Un mort en sursit. Un autre.
Le silence est pesant et pourtant elle ne le trouble pas. S'il veut parler, il le fera de son propre chef. Mathilde ne compte pas le presser de questions, elle lui a avoué sa curiosité dévorante et cela est bien assez. S'il choisit de mentir, il se peut qu'elle ne s'en rende même pas compte. S'il part sans rien ajouter, elle ne cherchera pas plus loin. Elle l'abrite parce qu'il lui a demandé de l'aide, contrairement à d'autres elle n'attend rien en retour, pas même une explication. La silhouette qui lui fait dos paraît si frêle et si terne face à un foyer lumineux dont les flammes ne sont pourtant pas impressionnantes. La cape est courte, trop courte que pour faire une couverture acceptable durant l'hiver. Peut-être a-t-elle encore une cape ayant appartenu à son père pour proposer un échange. Finalement Alphonse se retourne, s'adosse au mur et desserre les dents.
Ce que l'on dit d'un homme tient autant de place dans sa vie ou sa destinée que ses actions. Elle ne peut que hocher de la tête, après avoir tourné la phrase trois fois dans son esprit. La réputation, cette vertu qu'elle tente d'entretenir afin que ses semblables continuent de lui être favorable. Mathilde l'écoute sans bien comprendre où il veut en venir avec ces drôles de considérations. Elle ne l'interrompt pas, mais remarque une fois encore à quel point il s'exprime bien. Prisonnier de mon nom. Elle fronce les sourcils. Sa famille a donc mauvaise réputation, comme bien d'autres au Labret, et cette réputation lui vaudrait ses ennuis? Intriguée, elle penche légèrement la tête sur le côté. Alphonse de Sarosse.
Si la mâchoire de Mathilde avait pu tomber au point de toucher le sol, elle l'aurait fait. Si les yeux de la fermière avaient pu s'ouvrir aussi grands que les portes de sa grange, ils l'auraient fait aussi. Complètement abasourdie par le nom qu'il vient de prononcer, elle reste figée un moment, la bouche ouverte, les yeux écarquillés, avant de réaliser qu'elle lui offre un spectacle tout à fait navrant et probablement loin d'être la réaction qu'il recherche. Les Sarosse. Qui n'a pas entendu cette sordide et terrifiante histoire témoignant de l'égo du Roi? Qui ne connait pas les chansons contant comment, après une longue bataille silencieuse, il a soumis son rival avant de lui refuser l'asile à lui et aux siens qui se faisaient dévorer par les bêtes, juste sous les murailles de Marbrume? A chaque fois que Mathilde avait fréquenté une auberge dont les clients avaient abusé de l'alcool, elle avait entendu des chants tantôt fredonnés par des voix graves et ricanantes, tantôt beuglées par des voix éraillées et révoltées. A grands renforts de détails beaucoup trop réels, beaucoup trop précis, les saoulards et les troubadours racontaient les morts atroces de Cyras, rampant dans la boue, ou de son neveu, happé après avoir contemplé la fange fondre sur lui sans pouvoir y résister. CEtte pensée suffit à faire monter les larmes dans les yeux de Mathilde qui, pourtant, n'en laisse aucune s'échapper de ses cils. Elle déglutit.
J'accueille un homme accusé d'avoir intenté à la vie du Roi. Bon sang. Qu'il ait ou non réussi son coup ne change rien à la gravité de son acte ni à la sentence qui l'accompagne. Si la milice revient... Elle secoue la tête. Elle ne reviendra pas, il fait nuit, ils ne sortiront qu'au lever du jour et reviendront probablement au pas de course vers la ferme Dumas. Mathilde soupire. Quel merdier. Je voudrais être quelqu'un d'autre. Elle ne peut qu'approuver ce souhait d'un hochement de tête.
Alphonse a-t-il conscience de son trouble, ou est-il tout simplement désireux de passer à un autre sujet pour alléger l'atmosphère aussi lourde que si un troupeau de vaches les avait piétinés? Elle ne le saura pas, mais tant est-il qu'il sourit en évoquant son rêve d'être fermier. Elle ne peut que rire doucement à cette drôle d'idée qui a pour seul but de la détendre, et ça fonctionne. Il y a un champ à cultiver chez de Terresang, c'est juste à côté, répond-t-elle comme si cette éventualité était du domaine du possible. Elle baisse les yeux sur la table, peinant à digérer la nouvelle qui explique pourtant toute la complexité de la situation dans laquelle il se trouve. Comment est la vie ici? Elle sourit. Il n'en sait pas grand chose et elle risque de faire partie des premiers à lui donner quelques clés de survie. Elle connait les plantes qu'elle cultive, quelques unes sont médicinales. Elle sait les conserver, les cuisiner, tout comme les fruits et les noix. Elle connait les dangers, la façon de courir le moins de risques possibles, les bons réflexes à avoir pour espérer échapper aux catastrophes. Elle peut lui apprendre quelques trucs avant qu'il ne parte au chant du coq.
Pour être tout à fait honnête... Mathilde relève les yeux sur Alphonse qui sourit avec malice et lui renvoie la question qui l'a mené à confesser son identité. Il n'est pas dénué d'humour, elle ne peut que sourire cette fois franchement, sans chercher à dissimuler ses pensées.
- Je lui ouvre la porte dans l'espoir qu'il soit un riche marchand ayant cousu des pièces en or dans sa cape avant de fuir. Et je dérobe tous ses effets durant son sommeil, évidemment. Le ton est léger, et se veut amusant. Pour éviter toute méprise, pourtant, elle poursuit plus sérieusement. Je ne savais pas que c'était des miliciens jusqu'à ce qu'ils frappent à ma porte. Vous n'êtes pas le premier à avoir besoin d'un abri, et... Mathilde fait une petite moue. Doit-elle vraiment avouer qu'elle héberge volontairement des bannis, occasionnellement? ...eh bien je me dis que qui que l'on soit, et quel que soit ce qu'on a fait dans la vie, il y a une part de nous qui mérite un peu de bienveillance. Mathilde hausse les épaules. Il n'y en a qu'un qui ne mérite pas cette bienveillance, et la cicatrice qui barre la paume de sa main le lui rappelle chaque jour. [color=#ffffcc]Quand je me suis retrouvée seule ici, ma seule chance a été de demander de l'aide autour du moi... pour les cultures, pour la maison, pour ma sécurité. On m'a aidée à survivre, puis à vivre. L'entraide est quelque chose de naturel entre paysans, on l'a toujours pratiqué pour les moissons, pour les mises bas, pour les relevailles des mères de famille... La Fange n'a pas vraiment changé cet esprit, même si certains sont plus prudents et rechignent à se rendre aux grandes corvées. Mathilde baisse légèrement les yeux et fronce les sourcils, réfléchit un instant à la façon d'exprimer ses pensées sans que celles-ci puissent heurter Alphonse. Depuis le couronnement, je pense que... chaque être vivant mérite de vivre. Parce que chaque mort rapproche la Fange de la victoire. Et je ne veux pas qu'elle gagne. J'y étais, je les ai vus d'aussi près que je vous vois, et je ne veux pas que ces choses l'emportent. L'explication lui parait suffisamment simple et reflète sa façon de penser.
Par mimétisme, et sans doute dans un élan de fierté, Mathilde se redresse sur sa chaise. Cette ferme est exploitée par ma famille depuis cinq générations. Mon père et moi avons choisi de ne plus cultiver les céréales pour passer aux légumes, c'est ce qui me permet de faire fasse aux caprices du temps. Là où une tempête couche les céréales, ici elle ne touche qu'une partie des cultures et me permet de ne pas tout perdre. Ça implique d'autres choses à gérer comme des insectes ou des maladies sur les plants mais je m'en sors. J'aime vraiment ça. Je ne voudrais pas faire autre chose que ça, et ça résume à peu près toute mon existence. Hormis quelques aventures et quelques frayeurs, évidemment. Mathilde tend la main pour saisir son gobelet d'eau et le contemple un moment sans prendre une seule gorgée avant d'émettre une étrange hypothèse.
- Tantôt vous avez dit Prisonnier de mon nom. Pardonnez-moi si mon idée vous choque, ce n'est pas du tout le but, mais n'avez-vous pas pensé à changer de nom? Devenir quelqu'un d'autre, pas trop loin de ce que vous êtes, mais suffisamment que pour passer plus ou moins inaperçu. Si j'avais à changer de vie, je m'appellerais Madeleine et je serais cuisinière quelque part à l'Esplanade, par exemple. J'ai appris des choses qui peuvent me rendre indispensable pour quelqu'un qui accepterait de combler mes lacunes parce que moi je comble les siennes. Vous pourriez être Albert, ancien riche ayant tout perdu comme bien du monde ici, écrivain pour un petit groupe de mordus organisés quelque part dans les marais? Au lieu de penser à ce que vous ne savez pas faire, pensez à ce à quoi vous êtes bon et voyons à qui cela pourrait être utile. Avec une bonne barbe et des cheveux un peu plus longs vous pourriez être méconnaissable. Mathilde le regarde. Ça ne serait pas compliqué de changer d'apparence, encore faut-il qu'il le veuille et qu'il en ait le temps. Par les Trois je ne peux pas croire que vous êtes qui vous êtes. Je croyais que vous aviez tous péri... je suis tellement désolée pour les vôtres, Alphonse. Personne ne devrait mourir de cette façon.
Si Alphonse avait été un fermier, sans doute l'aurait-elle pris dans ses bras pour l'étreindre un instant et lui témoigner ainsi sa réelle compassion. Mais Alphonse est un noble, déchu certes, mais un noble avec lequel elle ne commettra plus jamais ce genre de bourde, aussi reste-t-elle sagement assise, les mains sur son gobelet qu'elle fait tourner légèrement sans renverser la moindre goutte d'eau qu'i contient. Vous avez survécu à bien pire que le Labret. Vous tiendrez ici. Un abri, une bonne couverture et quelques vivres, c'est tout ce dont vous avez besoin pour l'hiver. Je peux essayer de vous aider un peu. Je ne sais pas comment, mais je peux essayer. |
| | | Alphonse de SarosseVagabond
| Sujet: Re: En quête de secours [Mathilde]: Dim 31 Mai 2020 - 7:33 | | | De Sarosse. Un nom calomnié, exécré et dorénavant bafoué par tous. Réminiscence d'un passé glorieux, d'un temps jadis heureux, ce dernier n'était plus rien. Ne signifiait plus rien. Jadis, il avait été synonyme de prestige et de renommée. Aujourd'hui, il n'était plus que synonyme de déchéance et de disgrâce. Rapidement, mon nom finirait par tomber dans l'oubli. Je n'étais pas le dernier représentant d'une lignée en voie d'extinction, mais plutôt le représentant d'une famille déjà disparu. C'était un fait qui me semblait acté. Une évidence. Après tout, ma mort allait être imminente, non ? Mathilde elle-même ne me contredisait pas sur ce fait. Elle qui avait eu assez de bonté pour me sauver semblait ne plus en trouver suffisamment pour me mentir ouvertement et vertement. Cela devait être trop gros, trop immense pour qu'elle ne s'y risque. Je ne sais pas si je devais m'en réjouir ou pleurer. Je ne sais pas si je voulais la remercier pour ne pas me mentir ou la maudire pour ne pas me contredire. Qu'importe. Ce n'était pas elle la fautive de mon malheur. De Sarosse était mon fardeau, ma pénitence. Tel un naufragé, je coulerais avec le morceau disloqué de mon embarcation. Tel un macchabée, je brûlerais ou serait dévoré avec l'unique chose qu'il me restait, et pourtant, que je ne voulais point endosser; mon nom. Mon maudit stupide et insipide nom de famille.
Un nom que j'aurais voulu calomnier, exécrer et dorénavant bafouer avec tous. Un nom qui ne me lâcherait pas jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Ainsi, ce dernier qui avait été omis et en quelque sorte oublié de l'échange fut présenté à ma sauveuse. Comme prévu, il me supplanta, me dépassa et m'écrasa. Je n'avais jamais été quelqu'un, toujours présenté comme un énième fils de la lignée. Bien que je ne voulais pas le montrer ou me l'avouer, c'était tout de même blessant de découvrir que même à la nuit de mes jours, rien de tout cela n'avait changé. De fait, lorsque ma sauveuse apprit mon nom, à mes yeux, je me vis disparaître. Elle ne devait plus voir Alphonse le fugitif, mais désormais de Sarosse le fuyard. Je m'aveuglais peut-être -et probablement- avec ce constat. Toutefois, en l'instant, je ne pensais plus clairement, trop impacté par le début de ma vie de vagabond et les prémices de mes pérégrinations. Dès lors, voyant la réaction de la fermière, je ne pus retenir une moue fataliste de poindre sur mon visage. Sa mâchoire tombait sous la surprise. Ses yeux s'agrandirent sous la stupeur. Le silence perdurait, alors que l'ahurissement la rendait muette. Je le savais. J'aurais dû rester silencieux sur mon identité. J'avais voulu lui rendre la confiance qu'elle m'avait offerte et stupidement, aveuglé par sa bonté désintéressée, j'avais cru que sa réaction serait différente de celle de toutes les autres en entendant l'évocation de mon nom. J'aurais voulu qu'elle soit moins expressive et moins impactée par ma noblesse déchue. J'avais désiré que l'important ne soit pas celui que j'avais été, ou ce que j'avais affronté, mais plutôt ce que j'allais vivre et celui que je devenais. Haussant les épaules avec fatalité, le regard morne et un peu déçu, je les laissais retomber rapidement.
Lâche, couard et peureux, je fuyais le sujet et le silence qu'il avait apporté. Renouant avec des banalités, lançant des mots anodins pour éloigner ce malaise qui m'étreignit, je tenta de faire bonne figure. De toute façon, ce n'était pas à ma sauveuse de venir soulager ma conscience. Ce n'est pas sa tâche ou son rôle. Ce fardeau était à moi seul uniquement. Ainsi, je retrouvai mon assise en face de Mathilde. Parlant de la vie à la ferme et de ce que je voudrais être, je ne peux m'empêcher de sentir que quelque chose est différent maintenant que je me suis complètement dévoilé à elle. Évidemment, même si elle ne dit rien par rapport à mon identité, il est facile de voir que cette dernière a surprise ma vis-à-vis. Bien que sa perception de ma personne soit dorénavant différente, est-ce que cela sera au point de changer sa façon d'agir avec moi ? J'allais le savoir sous peu, alors que la veuve Dumas sortait de son mutisme et renouait avec notre échange.
Il y a un champ à cultiver chez de Terresang, c'est juste à côté. Ce fut à mon tour d'ouvrir la bouche sous les contrecoups de la surprise. Cette réponse était aussi inattendue qu'une fourche m'attaquant dans un tas de foin. Et pourtant, les deux m'avaient mordu à tour de rôle en cette nuit. Preuve s'il en est qu'il fallait être prêt à tout sur les terres appartenant à la fermière... Dans tous les cas, je ne m'étais aucunement attendu à ça. Qui aurait pu croire que les premiers mots de Mathilde seraient aussi légers, ainsi que bien loin de ce que je venais de lui apprendre ? Je savais qu'elle avait conscience d'héberger un être coupable d'avoir tenté un régicide. Et maintenant, elle réagissait avec amusement en déblatérant de Terresang et de ses terres ? Elle me suivait au détour des platitudes de mes dires ? "...Je." Que pouvais-je bien prononcer ? La remercier pour faire preuve d'un détachement vis-à-vis de ce que je venais de lui apprendre ? M'excuser pour m'être fourvoyé en pensant à tort que mon nom deviendrait un frein, un arrête inexpugnable à notre dialogue ? Probablement les deux. Or, le faire ne reviendrait-il pas à oblitérer les efforts qu'elle faisait pour ne pas relever ce que je venais de lui apprendre ? Secouant la tête en souriant doucement, je plongeai mes yeux dans ses iris. L'abattement causé par les prémices de sa réaction était évanoui, supplanté par des remerciements silencieux. "Vous entendez-vous bien avec votre voisin ? C'est un homme bien ? Je ne voudrais pas travailler pour un mécréant !" Lui demandais-je rapidement, voulant plonger et prolonger cette conversation peu importante pour nous éloigner de mes dernières révélations. J'étais tel un ivrogne cherchant à s'assommer avec l'alcool. Or, au lieu de trouver mon ivresse dans la bouteille, je la cherchais dans la banalité.
Évidemment, au détour de mon discours, j'avais ma propre opinion et perception de Terresang. Je ne connaissais pas suffisamment le personnage en lui-même pour proférer un quelconque jugement expéditif. Toutefois, je savais que ce dernier avait eu des relations, disons tendues, avec l'infâme Sigfroi de Silvrur. Or, difficile de savoir où ce dernier se situait dans la relation avec son suzerain, désormais. S'il était encore vivant, cela devait signifier que leurs liens s'inscrivaient dans une certaine cordialité. Après tout, le roi ne faisait pas de quartier en ce qui concernait ses opposants. J'étais bien placé pour le savoir... Toujours est-il que ces questionnements n'étaient que des palabres plutôt vides de sens. Je savais, comme Mathilde, que je ne trouverais jamais refuge chez son voisin. Toutefois, l'imaginer avait quelque chose d'apaisant.
La suite eut le mérite de me faire rire doucement. Décidément, ma sauveuse avait une répartie bien avisée. Nullement décontenancée par ma plaisanterie, elle avait suivi mes propos en s'arrimant au même registre grotesque. "Vous venez malheureusement de faire mauvaise pioche." Lui dis-je en écartant les bras pour qu'elle ait un meilleur aperçu de ma personne. J'étais loin d'un riche marchand, que ce soit par mes vêtements ou mon allure. Tous deux, nous le savions parfaitement. " Pour ce qui est de mes effets, vous ne pourriez que dérober les vêtements que je porte. Toutefois, je doute que vous soyez en mesure de les enlever sans me réveiller, alors je devrais être en sécurité. À moins que vous escomptiez de nouveau me menacer avec votre fourche ou votre arc ?" Lui dis-je en souriant à mon tour. Ce n'était que des plaisanteries et je ne voulais aucunement me montrer odieux. Les réactions armées que Mathilde avait eues à mon égard étaient facilement compréhensibles. Je n'avais aucune aigreur en ce qui concernait mes blessures ou la flèche acérée qu'elle avait pointée à mon encontre. Ainsi, mes mots amusés ne cherchaient aucunement à véhiculer un quelconque ressenti passé. Ce n'était que pitrerie et boutade.
La suite me donna matière à réflexion. Bien que je ne voulais pas chercher plus que ce qu'elle m'offrait au travers de ses mots, je ne pus m'empêcher de la regarder avec circonspection. Était-ce mon habitude à tenter de déceler et discerner les choses cachées dans le discours des mondains et nantis qui me faisait croire que la veuve Dumas avait plus à dire sur le sujet de l'entraide qu'elle offrait à autrui ? Qu'importe. Certes, tel un limier j'avais cru flairer une piste voilée. Or, ce n'était pas réellement important et je l'abandonnais aussitôt. Finalement, hochant la tête doucement, je ne fis que rebondir sur ce qu'elle m'avait mentionné plutôt que sur ce qu'elle ne m'avait pas parlé. "Je suis le premier à pouvoir juger de votre si grande bonté. Mais je ne peux m'empêcher de me questionner; auriez-vous agi différemment si vous aviez su que c'était la milice qui était sur mes talons et non la fange ?" M'enfonçant dans le fond de mon assise, je continuais à l'écouter en hochant la tête. "L'entraide entre paysans, hein ?" Moi je n'étais pas un fermier, même si nous nous étions amusés à l'imaginer en m'envoyant hypothétiquement labourer les champs de Terresang. Dès lors, ma question prenait à mes yeux tout son sens. Mathilde aurait-elle caché le criminel que j'étais ?
Lorsqu'elle mentionna le couronnement, je me redressai vivement en fronçant les sourcils, le regard ardent. Ouvrant la bouche, je la fermai aussitôt, préférant ronger ma lèvre inférieure et retenir mes propos acrimonieux. J'aurais voulu déblatérer sur l'idiotie de faire pareille festivité alors que l'humanité était sur le déclin. J'aurais désiré présenter le fait que c'était une honte qu'un aussi odieux personnage soit devenu roi, alors qu'il était un despote omnipotent, prêt à sacrifier pléthore de gens pour asseoir sa domination et assouvir sa soif de pouvoir. Toutefois, je gardai le silence. Il n'était pas le temps de se répandre en calomnie sur Sigroi de Silvrur. Après tout, je ne savais pas trop la position de ma vis-à-vis sur cet odieux monstre aussi terrible et dangereux que la fange. En outre, là n'était pas l'intérêt de ses mots, elle qui mentionnait plutôt le risque des prédateurs de l'humanité et l'entraide nécessaire que les vivants devaient partager. " Personne de sensé ne voudrait voir la fange gagner. Personne d'un moindrement avisé et droit n'abandonnerait son prochain face aux griffes et aux crocs de ces abominations. Personne ne les regarderait mourir du haut de ses murailles, ordonnant à ses archers de tirer aussi bien sur les monstres que les hommes en contre bas. Personne..." À chaque phrase, mon ton gagnant en acrimonie, accélérant et écorchant le moindre mot que j'égrenais. Me rendant compte que la haine et le ressentiment avaient pris le contrôle de mon discours, je suspendis sèchement ma prise de parole. Mes yeux s'étaient assombris sous la colère viscérale qui m'avait étreint. Je n'avais pas voulu discourir sur le sujet, mais bien malgré moi, le comparatif entre le roi et les propos de Mathilde avait été trop simple à promulguer. " Je ne voulais pas discourir de la sorte. Par..." Encore une fois, je suspendis mes dires, préférant ne pas continuer à m'enfoncer dans une suite de remerciements et d'excuses sans fin. Soupirant pour évacuer le trop-plein d'aigreur s'agrippant encore à moi, je fermai les yeux un instant pour reprendre le contrôle de mes sens, ainsi que de ma conscience.
La suite vint de Mathilde et non de ma personne. Avait-elle choisi sciemment de changer de sujet de conversation pour m'éviter de me couvrir plus que nécessaire d'embarras ? Qu'importe que cela soit volontaire ou non, je lui en savais gré, l'écoutant parler de la ferme, de sa famille et de ses plantations. Je voyais bien que le sujet lui était cher à son cœur et qu'en parler la comblait de fierté. D'ailleurs, cela en était avec raison par les temps qui courent. Ainsi, souriant à la mesure que ses propos gagnaient en longueur, l'écoutant déblatérer sur ce sujet qui la passionnait, je hochais la tête peut-être un peu stupidement pour l'inviter à continuer. C'était comme si un Nouveau Monde s'offrait et s'ouvrait à moi par ses mots, moi qui ne connaissais rien de cette profession et de ce genre de vie. Probablement que par le passé je n'aurais guère été intéressé. Or, je ne côtoyais plus les sommets de la société, mais bien ses caniveaux. Ainsi, étant encore plus indigent que la paysannerie qui représentait les petites gens, je ne pouvais que m'émerveiller de cette vie certes difficile, mais tout de même plus calme que ce que j'allais côtoyer à l'avenir. J'aurais voulu parler de la pluie et du beau temps, des récoltes et des secousses qu'apportait le vent sur ces dernières. J'aurais aimé continuer à déblatérer inutilement de ce qui faisait sa fierté et qui l'intéressait au plus haut point, mais la suite de ses dires me rappela à la réalité.
L'écoutant jusqu'à la fin, je souris doucement en ayant conscience que cela m'était impossible. Je n'étais pas un simple vagabond ou un déserteur. Je n'étais pas simplement le rejeton de Sarosse. Enfin, plus seulement. Si tel avait été le cas, peut-être aurais-je pu changer d'identité. Or, désormais, j'étais aussi un homme ayant tenté d'attenter à la vie du félon qui trônait sur l'Esplanade, sur Marbrume et ce qui restait du Morguestanc. J'étais traqué et chassé parce que j'étais perçu comme un parjure et une menace pour le roi. Non pas à cause que mon nom symbolisait quelque chose. Ou du moins, pas seulement. Allez savoir ce qui agite réellement la conscience de ses sous-fifres concernant mon existence...
Toujours est-il que la milice n'aurait pas de répit avant de m'avoir attrapé pour de bon tandis que j'étais associé à ceux ayant tenté d'attenter à la vie du roi lorsqu'il était venu au Labret. Évidemment, la traque à mon encontre ne serait pas continuelle et perpétuelle. À partir d'un moment, il me croirait sans doute mort entre les griffes de la fange ou la lame des bannis et bandits. Toutefois, à m'établir dans une communauté, je risquais d'éveiller de nouveau les soupçons plus ou moins rapidement. Après tout, je doutais qu'un homme d'un certain milieu, arrivant inopinément quelque part, sans le sou et sans attache familiale d'aucune sorte, n'attire pas l'attention sur sa personne. Non, cette idée d'endosser un faux nom ne m'était pas possible bien que je l'aurais voulu plausible.
-" J'ai appris qu'il ne fallait pas se répandre en excuse. Dès lors, ne vous excusez pas pour si peu, Mathilde." Lui dis-je tout d'abord dans un maigre sourire. "Peut-être que cela pourrait être possible au bout d'un certain temps, lorsqu'ils me croiront de nouveau mort." Proférais-je en m'efforçant d'essayer d'y croire bien que ma moue laisser voir que j'en doutais. "Or pour le moment, ce n'est pas le cas. La piste jusqu'à moi est trop fraîche." Ça aussi c'était un réel problème. Il m'avait retrouvé, j'ignorais encore comment, chez Thomas il y avait de cela deux jours. Ainsi, ils continueraient à être à l'affût et me chercher pendant quelque temps. Je devais donc plutôt me tenir loin de toutes communautés et laisser retomber la poussière. "Je dois donc continuer à fuir pour un temps." Mais d'ici là, serais-je encore en vie pour peut-être tenter l'idée de Mathilde ? Pour essayer de prendre une identité d'emprunt à mes risques et périls ? En aurais-je le courage ? Rien n'était moins sûr. En outre, jamais je ne pourrais m'implanter sur le long terme quelques parts. Quelqu'un finirait bien par me reconnaître...
Préférant renouer avec des propos moins difficiles, je souris en enchaînant; "J'aimerais bien pouvoir faire pousser une barbe, mais c'est le mieux que je peux faire." Dis-je en pointant mon menton quasiment imberbe. Ma pilosité faciale avait toujours été bien maigre. "Pour mes cheveux, je pense que cela peut se faire. Je suis encore loin de la calvitie, je pense. Enfin, je l'espère." Tentais-je de proférer avec amusement bien que le cœur n'y était pas. Je n'avais jamais été bien bon pour m'épancher dans les plaisanteries et les pitreries. La suite me fit hausser les épaules. Si ma sauveuse m'avait présenté ses condoléances à partir du moment qu'elle aurait appris qui j'étais, je l'aurais mal vécu. Toutefois, maintenant que le temps s'était écoulé sans qu'elle ne me traite différemment, je ne pouvais m'en offusquer, sachant pertinemment qu'elle prenait le temps de présenter cela à cause de la même bonté désintéressée qui l'avait amené à me sauver. "Merci, cela me touche." Regrettais-je ma famille ? Un peu, mais aucunement autant que j'aurais du. Cela étant, je ne cautionnais pas le moins du monde le sort qu'ils avaient connu. Personne ne méritait pareil dénouement. "C'est de l'histoire ancienne. Une simple "affaire"." Dis-je avec amertume, sachant pertinemment qu'on parlait de leurs meurtres quasiment comme un fait divers en la présentant comme "l'affaire de Sarosse". " Je regrette leur sort. Je ne souhaiterais pas ça à mon pire ennemi. Bien que ce dernier n'ait eu aucun scrupule à le faire, lui." Je ne voulais pas y penser. Je ne désirais pas en parler. Or, les propos de la veuve Dumas me ramenaient en arrière, devant Marbrume. Je me rappelais trop bien les cris, les hurlements et la mort. Je sentais encore l'odeur de la chair calcinée et la vision d'horreur des cadavres brûlés le lendemain.
Frissonnant, je me levais encore et repartis auprès du foyer et de sa flambée. En quelque sorte, cet endroit dans la chaumière de Mathilde était devenu ma zone de replis. C'était déjà la seconde fois que je fuyais ainsi, mais je n'arrivais pas à prétendre rester statique et fixe devant la jeune femme. " J'ai survécu à bien pire..." Répétais-je dos à elle. Était-ce vrai ? En quelque sorte. Il y avait eu la mort de ma famille, l'hiver dans les Faubourgs et la reconquête du Labret. Mais... "...mais je n'ai jamais été aussi seul." Voilà. Je venais de le dire. Me retournant, je gardai tout de même les yeux rivés sur mes pieds. " Jamais je n'ai été esseulé. Que ce soit dans les Faubourgs ou lors de la reconquête du Labret. Je me reposais toujours sur les autres. Aujourd'hui aussi, c'est un peu le cas." Dis-je en levant le visage et en la pointant du menton. "Demain, je serais seul de nouveau et pour de bon. Je devrais... m'en sortir grâce à moi uniquement." Chose que je doutais amèrement de réussir. Étais-je trop critique parce que j'avais une mauvaise perception de ma personne ? J'en doutais tout autant. "Vous en avez déjà suffisamment fait pour moi, Mathilde. Vous avez pris assez de risque comme cela. Je n'en demanderais pas plus venant de vous. Je sais que je ne dois plus me répandre en excuse, et je me doute qu'il en va possiblement de même pour les remerciements. Mais laissez-moi la chance de vous dire une dernière fois à quel point votre aide m'a été précieuse. Merci. Merci infiniment." Ce n'était que des paroles. Cela pouvait sembler ô combien creux et vain. Cependant, je croyais réellement en mes remerciements. C'était triste de savoir que c'était tout ce que je pouvais lui offrir. Mais au moins cela avait le mérite d'être dit avec le plus grand sérieux du monde.
M'avançant d'un pas, je restais debout, me passant une main sur la nuque. "Je ne veux pas déranger plus longuement votre quotidien que nécessaire." Dis-je tout d'abord, dansant d'un pied sur l'autre. "J'imagine que demain vous allez devoir vous lever aux aurores pour commencer votre labeur. Vous devez avoir besoin d'une bonne nuit de sommeil et moi je vous retiens debout avec mes histoires et mes problèmes..." Non, je ne m'excusais pas. Toutefois, mon ton laissait entendre que je m'en voulais pour cela. Que voulez-vous, certaines habitudes ont la vie dure... "Cela dit, je vais tenter de mettre en œuvre vos conseils. Une couverture, un abri et de la nourriture." Proférais-je en levant un doigt à chaque fois. Je faillis lui demander si elle n'avait pas non plus une recommandation pour combattre la solitude. Or, malgré toute sa sollicitude, je doutais qu'elle soit en mesure de me proposer une parade contre ce phénomène. Je devrais simplement m'habituer à être aussi esseulé qu'isolé.
-" Je serais parti à votre réveil." Lui affirmais-je par après. Était-ce normal que cette idée me torde l'estomac de la sorte ? Par l'impie Trinité, je n'allais tout de même pas faiblir après quelques heures de repos dans la chaumière et auprès de la fermière l'habitant ! Toujours est-il que j'avais aussi conscience que je ne trouverais pas un autre refuge de la sorte avant quelque temps. Peut-être même que cela ne se reproduirait jamais, alors..." si vous me le permettez, pourrais-je dormir devant le feu ?" Réalisant que mes propos pouvaient être cavaliers, je levai les mains pour tenter de m'expliquer. "Je comprendrais si vous ne voulez pas, évidemment ! Je peux très bien rejoindre la grange, et le tas de foin que j'ai quitté." Le choix appartenait à Mathilde Dumas.
Qu'importe l'endroit, ma nuit ne serait pas de tout repos. J'aurais certes aimé pouvoir profiter de cet instant plus calme et serein dans mes pérégrinations à venir pour repartir en forme. Or, je savais très bien ce qui me guettait; les cauchemars. Ces vils et fidèles compagnons peuplant mes nuits et allant jusqu'à me faire crier et me réveiller en sursaut. Je devenais tel un enfant lorsque cela arrivait et je me maudissais de cette énième faiblesse. Déjà que mon corps était malingre, mon esprit venait en plus me nuire la nuit venue. Que ce soit à cause de mon passé, ou simplement à cause de la peur inhérente de me réveiller pour mourir déchiqueté par les griffes d'un fangeux, le sommeil ne me happait jamais complètement, déchirant mes nuits de ses tourments. Souvent, je me réveillais avant l'aurore en ayant l'impression d'être plus fatigué que lorsque je m'étais couché...
Quels repos ou tourment m'offriraient donc cette nuit ?
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| | | Mathilde VortigernFermière
| Sujet: Re: En quête de secours [Mathilde]: Lun 13 Juil 2020 - 22:21 | | | A l'évocation du couronnement, Alphonse s'était crispé. La mâchoire serrée, les quelques mots qu'il avait prononcés avaient suffit à convaincre Mathilde qu'il nourrissait une haine sans mesure à l'égard de celui qui avait causé sa perte et la mort des siens. Elle avait senti l'atmosphère s'appesantir malgré les boutades qui avaient réussi, jusqu'alors, à détourner l'attention, pour quelques minutes seulement, de la situation précaire dans laquelle son invité se trouvait. Au creux de son estomac, elle avait partagé cette tension propre à ceux dont la colère n'attendait qu'un prétexte pour s'éveiller et pousser le malheureux à fomenter de nouveaux complots pour assouvir une vengeance qui ne mènerait à rien, si ce n'est un profond sentiment de vide avant la mort. Les mots gagnaient en force, le ton de la voix se faisait acrimonieuse, le regard se durcissait à mesure que le flot de reproches coulait pour brusquement s'interrompre. La fermière avait serré le poing, réalisant qu'Alphonse et elle partageaient ce besoin viscéral de se faire justice, tout en étant conscients que cela ne leur était permis ni par la loi ni par leur vie. Comment ce fugitif hors-la-loi pourrait-il atteindre le roi? Comment la fermière d'apparence honnête pourrait-elle atteindre le banni? En fermant les yeux pour se ressaisir, Alphonse ne vit pas le regard plein de compassion qui se posait alors sur lui. La compassion, ce sentiment qu'elle ne connaissait que trop bien, finissait toujours par prendre le dessus sur la raison. Tout être sensé aurait renvoyé le malotrus qui osait proférer des accusations injustifiées envers le roi. Toute personne dotée d'un semblant de bon-sens se serait étranglée en entendant de tels propos et aurait couru derrière la milice pour lui livrer le régicide. Mais Mathilde, elle, se laissait bien volontiers envahir par cette empathie trop souvent exagérée, au point de ressentir la détresse de l'autre et de se mettre à sa place. Au point, parfois, de lui inventer des excuses en croyant voir au-delà des apparences. Ainsi, Alphonse n'était qu'un homme profondément malheureux d'avoir perdu famille, amis et situation enviable, en plus d'être maintenant une proie sans défense lâchée parmi les hommes et les fangeux. Tout cela balayait, aux yeux de la fermière, les erreurs qu'il avait pu commettre par le passé. Tout cela justifiait qu'elle l'aide dans la mesure de ses moyens. Tout cela la conduisait aussi à tenter de l'apaiser en changeant de sujet pour revenir à des considérations plus légères : son humble petite vie insignifiante dont elle était pourtant si fière. Parler de la ferme, et de tout ce que cette activité lui enseigne au quotidien, est sans aucun doute la discussion la plus facile et la plus évidente pour Mathilde qui, d'ordinaire, parle le moins possible. Pourtant, lorsqu'on s'intéresse à son exploitation, elle se fait volubile. Elle s'étendrait volontiers des heures durant sur le sujet si une idée un peu saugrenue ne lui traversait pas l'esprit : suggérer à Alphonse de changer d'identité pour commencer une nouvelle vie. Une fois encore, la vision un peu naïve digne des chansons de geste les plus épiques prend le dessus sur la réalité. Se refaire une vie demande du temps, des contacts de confiance, et un sang-froid à toute épreuve. Certains y parviennent sans difficulté, au point d'oublier leur véritable nom et d'anticiper la moindre rencontre avec le passé. D'autres finissent par devenir suspects à force de s'empêtrer dans les mensonges qu'ils n'ont pas eu le temps de parfaire. Or, Alphonse n'a que très peu de temps devant lui et il le sait, bien qu'il ne formule pas clairement. Son plan à lui est de faire profil bas, à l'écart de la société, pendant un moment suffisamment long que pour être considéré comme mort. Cette idée a le mérite de le protéger tout en épargnant ses bienfaiteurs de représailles. L'espace d'un instant, Mathilde songe à Thomas et aux ennuis qu'il pourrait bien avoir si la poursuite a commencé chez lui. Si Alphonse a quitté précipitamment, qu'a-t-il laissé là-bas qui lui ait appartenu? Quelles preuves de sa présence a-t-il offertes à des miliciens le traquant? Si la question lui brûle les lèvres, elle ne la pose pas de peur de voir les épaules de son invité s'affaisser à nouveau sous le poids de la culpabilité. Durant un instant, la fermière le regarde en silence et se demande s'il pourra réellement espérer être considéré comme mort dans un avenir plus ou moins lointain. Après tout, la milice lui court après à la tombée du jour, faisant fi des règles de prudence les plus élémentaires. Même en changeant d'identité, il ne pourra probablement jamais mener une vie tranquille de fermier. ou de charpentier en se faisant passer pour un noble désargenté. Au mieux peut-il espérer être accueilli par les bannis auprès desquels il trouverait sa place au sein de ce dangereux microcosme où chacun tient un rôle qui le rend indispensable pour justifier sa survie. Le menton à peine garni de quelques poils ne peut que la faire sourire. Bien des efforts pour de maigres résultats. Reste que la calvitie peut être une option intéressante. Je peux vous raser le crâne si vous voulez glisse-t-elle, affichant un air presque moqueur qu'il semble ne pas relever, alors que dans un même souffle, cette fois empli de sérieux, elle lui partage sa surprise et sa compassion pour la perte de sa famille. Une simple affaire répond-t-il, faisant écho à cette drôle d'expression qui était devenue courante dans les racontars du quotidien. Mathilde ne peut s'empêcher de se demander si les regrets sont une expression de noble indiquant pudiquement une peine infinie ou si, comme pour elle, c'est une façon polie de dire qu'on est attristé sans pour autant que le vide laissé par un mort ne soit insurmontable. Une fois encore, Mathilde tempère sa curiosité. A quoi bon ressasser le passé quand c'est l'avenir qui est le véritable problème? Sans doute fait-elle bien de ne pas aborder le sujet de la famille, parce qu'Alphonse se lève malgré ses encouragements pour trouver refuge près de l'âtre une fois encore. Intriguée par cette attitude, la fermière se demande si elle a fait preuve d'un peu trop d'optimisme, ou si le passé est encore bien trop présent dans l'esprit du fuyard. Elle baisse les yeux sur son gobelet d'eau, à court de solutions. Malgré toutes les rencontres qu'elle a faites, malgré tous ceux qu'elle n'a pas pu aider au-delà d'une nuit à l'abri de la fange et en dépit des histoires qu'on lui a racontées, toutes différentes, toutes désastreuses, Mathilde ne parvient pas à garder une distance raisonnable face à la détresse humaine. Aider est devenu une vocation, un besoin, et lorsque les solutions sont épuisées, elle ressent toujours cette profonde lassitude qui s'abat sur elle. Chaque invité, inconsciemment, met à l'épreuve ses espoirs en des jours meilleurs et sa foi en l'humanité. Pourtant, elle ne s'avoue pas vaincue alors qu'Alphonse met le doigt sur sa véritable crainte : la solitude. Mathilde relève les yeux au moment où il se retourne pour un dernier aveu, un dernier constat, celui qu'il ne peut désormais compter que sur lui-même pour survivre. Elle repense alors à ses connaissances si limitées de la nature et de ce que la forêt peut lui offrir pour traverser l'hiver et comprend qu'il n'a même pas foi en lui-même. Contre cela, elle ne peut rien faire. Après la mort de son mari, dernier survivant de sa famille, elle avait bâti sa confiance dans la solitude la plus totale avant de s'entourer des bonnes personnes pour assurer sa survie. Alors seulement avait-elle cru en un avenir plutôt serein malgré le danger omniprésent. Alphonse ferait peut-être la même chose, en apprenant à travers les succès et les erreurs, à survivre au pire pour en arriver à une situation un peu moins pire, un peu moins dramatique. Avec le temps qu'il réussirait à gagner sur l'inéluctable, il prendrait en assurance et se ferait confiance. - Je prends vos remerciements comme un cadeau, Alphonse. Et j'espère sincèrement vous revoir. Pas parce que je meurs d'envie de vous voir chauve, mais seulement parce que je crois en vous. Peut-être est-ce un peu naïf de ma part mais vous avez traversé des épreuves terribles et êtes toujours là. Vous avez couru pour votre vie, et vous le ferez encore, même si raisonnablement tout indique que c'est perdu d'avance. Mathilde sourit doucement. Devant l'instinct de survie évident de cet homme traqué, elle ne peut que retrouver cet espoir un peu naïf en des jours plus cléments pour l'humanité, un espoir dont elle a besoin pour continuer à vivre en attendant que les dieux répondent enfin à ses prières. Alors qu'Alphonse aborde la question du sommeil, elle songe que des deux, c'est lui qui en a le plus besoin. Elle ne dormira, elle le sait, ne serait-ce que parce qu'héberger un inconnu, si aimable soit-il, la pousse à imaginer mille histoires dans lesquelles il devient une bête féroce ou un individu imprévisible qui s'en prend à elle alors qu'elle dort paisiblement... A force d'imaginer le pire, elle garde les yeux grands ouverts durant toute la nuit, le poing serré sur sa dague et passe la journée qui suit à se maudire de ne pas avoir cru en la bonté du monde. Troquer une nuit peuplée de cauchemars contre une nuit d'angoisse est peu enviable... autant ne pas dormir du tout et s'occuper. - Il est hors de question que vous retourniez dans la grange. Il fait nuit et rien ne nous dit que les bêtes n'ont pas suivi votre trace jusqu'ici. Sortir serait de la folie. Montez plutôt au grenier par l'échelle et approchez la paillasse de la cheminée. Le feu a brûlé toute la soirée, la pierre est chaude mais assez que pour vous brûler. Son réconfort lors des nuits glaciales en hiver est de pouvoir s'adosser à ce mur de pierre qui traverse la chaumière en laissant la chaleur se répandre à travers les interstices, pour détendre ses muscles endoloris par une longue journée de travail et la tenir au chaud. Je risque de faire un peu de bruit, mais c'est plutôt bon signe. J'insiste. Vous avez besoin d'une vraie nuit dans une bonne paillasse épaisse, ce n'est pas la peine d'essayer de protester. Pour appuyer son propos, Mathilde se lève et pose ses poings sur les hanches, à la manière d'une mère donnant un ordre sans appel à ses enfants. Elle dormira plus tard, après le départ d'Alphonse, elle l'a déjà décidé. Laissez-moi votre cape, vous la récupérerez au petit matin. Je viendrai vous réveiller un peu avant le lever du soleil pour que vous puissiez partir sans rencontrer les travailleurs.Si les gars voient un homme sortir discrètement de sa chaumière, Mathilde sera dans une position fort peu enviable vis-à-vis de ceux qui travaillent au quotidien avec elle et auxquels elle ne cache pratiquement rien. Qu'un visiteur s'arrête, le soir à la ferme, est une chose. Qu'il y passe la nuit reste du domaine du correct, puisqu'on a déjà vu la fermière sortir de la grange au petit matin pour rejoindre le visiteur et lui préparer, comme il se doit, un petit déjeuner. Mais que l'étranger arrive après le coucher du soleil et passe la nuit sous le même toit que la veuve deviendrait problématique pour sa réputation. Et si l'on découvrait que l'étranger est en plus le régicide recherché... elle perdrait tout. - Venez souffle-t-elle en contournant la table pour entraîner Alphonse à sa suite dans la pièce voisine, encombrée de coffres au milieu desquels trônent une petite table envahie par les sacs de semences et un bac d'eau dans lequel on lave probablement les légumes extirpés de la terre. Une échelle mène à un petit grenier qui fait office de seconde chambre où le paria pourra passer une nuit qu'elle lui souhaite reposante. Tirez l'échelle derrière vous et fermez la trappe. Je n'ai eu de la visite qu'une seule fois mais mieux vaut être prudent. Elle sourit doucement, réalisant que cette dernière recommandation n'a rien d'encourageant, bien qu'elle soit indispensable. Dormez bien Alphonse. Et revenez, même en secret. Dans la grange neuve, il y a toujours une paillasse et quelques galettes qui traînent pour les visiteurs dans le besoin. Personne ne sera en péril si vous optez pour cet abri, d'accord? Sans rien ajouter, la fermière tourne les talons pour quitter la pièce, espérant qu'il saisira cette aide dès qu'il en aura besoin. La nuit s'annonce courte, bien que le soleil se lève un peu plus tard chaque matin. Combien de temps ont-ils parlé alors que l'astre, lui, s'est sagement couché pour mieux renaître avec le chant du coq? Dans la pièce principale, Mathilde prend un instant pour respirer et mettre ses idées en ordre. Avec le peu de temps qu'elle a devant elle, elle veut préparer un petit paquetage au fuyard afin de lui donner une chance de survivre. Mentalement, elle dresse la liste des choses qu'elle emporterait si elle avait à quitter la ferme, à commencer par quelques vivres qu'elle pourrait économiser le temps de trouver de la nourriture. Jocelyn, le fauconnier des bannis, lui avait demandé des choses légères et faciles à emporter. Il avait aimé les galettes d'avoine, elle allait en cuire pour Alphonse. Tout en mélangeant les ingrédients dans un grand bol, Mathilde ne peut s'empêcher de songer au roi et à l'injustice apparente dont il a fait preuve. Elle ne connait de l'affaire de Sarrosse que les racontars de taverne et certains détails probablement importants lui manquent, mais elle peine à imaginer ce qui a pu faire en sorte qu'un homme décide de regarder froidement son ennemi mourir avec les siens dans les bras de la Fange. Alphonse a-t-il seulement pris part à la guerre entre les deux nobles, ou bien ne fait-il que subir les contrecoups de la défaite de son père? Les galettes sont rapidement façonnées alors qu'elle chantonne pour éloigner les trop nombreuses questions qui conduiraient si facilement Mathilde à dresser un portrait finalement fort peu flatteur de son invité et de sa famille. Tout ça, ce sont des histoires de nobles qui ne me regardent pas. Les petits ronds de pâtes rejoignent la pierre chaude de l'âtre pour y cuire, tandis que la fermière passe dans l'autre pièce avec une petite lampe dont la flamme vacillante suffit à peine à éclairer autour d'elle. Sans cesser de chantonner doucement, elle dépose la lampe et entreprend de fouiller les coffres emplis de souvenirs ou de bricoles ramassées ça et là en échange de services ou trouvées par hasard en fouinant dans une maison abandonnée. Si certains se sont servis chez elle, alors que la Fange avait envahi le Labret et qu'elle avait trouvé refuge avec son époux à Usson, elle n'avait pas hésité à faire pareil en visitant l'une ou l'autre demeures qu'elle savait abandonnées dès son retour dans la campagne qui l'avait vue naître. Ainsi avaient-ils, Philibert et elle, rassemblé de quoi constituer un trousseau dépareillé, composé de draps qu'elle avait recousus, de couvertures tricotées à partir de restants de laine grappillés ça et là, de vaisselle aux formes et aux couleurs diverses, de meubles parfois rafistolés. Tout ce qui était récupérable l'avait été, pour être utilisé à la ferme ou servir de monnaie d'échange, au besoin. Un seul coffre contenait les derniers effets de Marius, le père Dumas, par-dessus lesquels quelques pièces de linge de Philibert avaient été entassées. C'est de ce coffre que Mathilde prélève une grande cape d'hiver, celle de feu son époux, cape qui sera sans aucun doute à la taille d'Alphonse. D'un autre coffre, elle prélève un couteau échangé quelques mois plus tôt contre deux casseroles, et une ficelle roulée en une petite bobine. Alors qu'elle se redresse pour attraper, en hauteur, un allume-feu, elle bouscule un petit chaudron de métal qu'elle rattrape après que celui-ci ait heurté le manche d'un balais qui tombe bruyamment sur le sol. - Oups... Désolée, tout va bien! lance-t-elle sans savoir si Alphonse a été réveillé par le bruit. Les bras chargés de ses trouvailles, Mathilde regagne la pièce principale en chantonnant. Parce qu'elle a laissé la lampe en hauteur, elle ne voit pas le manche du balais sur lequel elle marche et souffle un Aïe! entre deux notes d'une mélodie plutôt joyeuse. Avec précaution, cette fois, elle dépose le tout sur la table et entreprend de composer un petit paquetage facile à emporter, en glissant le fil, qu'elle a pris soin de nouer pour en faire un collet, le couteau et l'allume-feu dans une petite sacoche de cuir dans un état tout à fait discutable. Elle plie soigneusement la cape et la dépose à côté de la sacoche, avant de s'installer devant la cheminée où les galettes dorent tranquillement. Alors, Mathilde se saisit de ses aiguilles et entreprend de réaliser une paires de mitaines qui tiendront les mains de son invité bien au chaud durant l'hiver, toujours en chantonnant pour s'occuper l'esprit et brider son imagination galopante. Elle ne s'interrompt que pour ôter les petites gourmandises de l'âtre et les déposer avec soin sur le comptoir, le temps qu'elles refroidissent. Le cliquetis des aiguilles de bois s'entrechoquant reprend, rythmant les chansons traditionnelles apprises tout au long de son enfance. Tantôt, la complainte d'une fiancée éplorée s'élève dans la chaumière, avant de céder la place aux prouesses d'un fier guerrier combattant une créature fantastique. Parfois, une ode aux Trois franchit ses lèvres, alors qu'elle prie désormais si peu au Temple. La nuit passe, calme et sereine. Peut-être perçoit-elle des bruits depuis l'étage, le pas d'un homme tourmenté ou la voix de celui qui cauchemarde. Peut-être au contraire n'entend-t-elle rien, mais quoi qu'il se passe, là-haut, jamais elle ne va s'enquérir de l'état de son invité. Si elle a apprivoisé la solitude en s'inventant des compagnons imaginaires et en parlant à sa jument comme si elle était sa meilleure amie, lui aussi doit commencer à apprivoiser cette vie qui l'attend. Ce n'est que lorsqu'elle sent la fatigue s'emparer de son corps que la fermière se lève pour aller ouvrir le volet donnant sur le levant. Si le ciel est noir, l'horizon, lui, semble vouloir s'illuminer doucement. Mathilde hoche de la tête et se dirige vers la pièce voisine où elle ramasse le balais, toujours sur le sol. Levant le manche, elle soulève légèrement la trappe. Bon matin. Le soleil va bientôt se lever. Elle n'ajoute rien, laissant la trappe se refermer. Elle est presque certaine qu'il ne dort pas, angoissé par la fin trop hâtive de cette nuit de répit. Reposant le balais contre le mur, Mathilde rejoint la pièce principale où elle ajoute une gourde sur le paquetage d'Alphonse. Lorsque celui-ci descendra -s'il est bel et bien réveillé et qu'il descend-, elle proposera d'échanger son élégante cape de dame contre le modeste paquetage... quitte à exagérer quelque peu la valeur de la cape. - :
Je sais, tu n'y croyais plus et je suis réellement navrée d'avoir mis si longtemps à écrire cette réponse que j'ai en tête depuis le début! Comme d'habitude, si quelque chose ne va pas, fais-moi signe, d'autant que j'ai pris pour acquis que ton personnage acceptait de monter à l'étage
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| | | Alphonse de SarosseVagabond
| Sujet: Re: En quête de secours [Mathilde]: Jeu 10 Sep 2020 - 20:52 | | | -"Cessez tout de suite avec cette idée. Si je suis bien certain d'une chose, c'est que je garderais mes cheveux sur mon crâne !" Dis-je en tentant une quelconque plaisanterie pour dédramatiser la situation. Toutefois, rien n'y faisait. Le cœur n'y était pas, tandis que l'esprit était déjà en proie au cauchemar de la nuit et aux défis du lendemain. Ainsi, à mes oreilles, ma prise de parole sonnait plus comme une fadaise qu'une facétie. J'étais navré de ne pas pouvoir être plus positif, de ne pas pouvoir suivre l'entrain de la jeune femme qui m'avait sauvé et qui m'hébergerait pour la nuit. Or, la morosité était tout simplement trop forte pour me permettre de m'éclipser de son emprise. Amère, je me savais prisonnier de mon état, en proie à la déliquescence funeste que m'annonçait le futur. Toujours est-il que pour le moment, mieux valait être la proie de cela que de la milice, ou pire, des prédateurs de l'humanité... -" J'espère aussi vous revoir, Mathilde. En espérant que cela soit en de meilleures circonstances ! " lui répondis-je avec beaucoup plus d'assurance. De fait, sa générosité m'avait profondément touché et aidé, tandis que j'étais au plus mal. Pour moi, la fermière du Labret resterait toujours l'idéal de bonté que je me devais de rechercher. Souriant pour moi-même, je secouais la tête. Le vieux Cyras de Sarosse se retournerait probablement dans sa tombe -s'il avait eu une sépulture décente- à entendre que son rejeton voyait en une femme du peuple un modèle. "Je...je ferais mon possible." Pour la suite, j'étais nettement moins confiant qu'elle. La chance avait guidé ma survie et non pas un quelconque instinct. En outre, elle avait parlé de courir. Chose que j'avais du mal à accomplir sans tomber au sol en quête d'un air qui quittait et fuyait mes poumons. Maladif, faible et inapte, je ne me leurrais guère. Or, il y avait un monde entre l'avouer inutilement et le garder pour moi. -"Merci..." Soufflais-je doucement en apprenant que je pourrais dormir ici et non pas dans le froid de la grange. En outre, je n'étais pas idiot, je savais pertinemment qu'à tenter l'expédition pour rallier ledit bâtiment de sa ferme, je me risquais au-devant d'un grand danger fait de griffes et de crocs. Ainsi, je lui en étais doublement reconnaissant de me préserver du froid et d'une mort potentiellement douloureuse. "Je... ne devriez-vous pas dormir aussi ?" J'étais faible, oui, mais aucunement idiot. De par ses mots je comprenais qu'elle comptait encore travailler ou s'échiner à une quelconque tâche alors que je me reposerais. "Je ne voulais pas vous dire quoi faire, évidemment !" Me corrigeais-je rapidement en levant les deux mains, paume vers elle pour me dédouaner. "Je veux simplement éviter de vous voir vous fatiguer à la tâche pour moi." Puis, passant une main hésitante sur ma nuque; "Vous savez, demain je ne serais plus là, alors que vos champs, oui. Alors, vous devriez vous concentrer sur eux." Terminais-je dans un petit sourire, croyant réellement ce que je disais. Demain je ne serais plus là, oui. Mais parlais-je de ma présence sur la propriété Dumas ou sur terre ? Allez savoir. Moi même je ne pouvais savoir ce que me réservait le futur. Mais une chose était certaine; à y penser, j'avais peur d'y passer. Tout de même, je lui remis docilement ma cape, hochant la tête devant la suite de ses paroles. Tel un bon enfant, j'obtempérais sans broncher ou rechigner plus que je ne l'avais déjà fait. Je voulais croire que j'acceptais sa gentillesse pour éviter à Mathilde de devoir se montrer insistante à mon égard. Toutefois, au fond de moi, je savais que j'étais simplement trop faible pour laisser passer cette chance de ne pas me retrouver esseulé et isolé de nouveau. La suivant jusqu'à l'échelle je l'écoutais jusqu'à la toute fin avant de reprendre la parole après avoir hoché la tête à ses dires. " N'en faites pas trop ce soir, Mathilde." Puis gauchement, ne sachant guère comment formuler des remerciements, alors que je l'avais déjà fait et qu'elle m'avait mentionné de devoir arrêter avec ces innombrables marques de politesse; "Bonne nuit à vous aussi.".Montant au grenier, refermant derrière moi, je m'allongeais sur la paillasse, le regard rivé vers le plafond et les bras derrière la tête. Gardant les yeux ouverts, je pensais à ce qu'elle venait de me dire. C'est-à-dire avec l'idée d'un potentiel retour. Certes, on ne sait jamais de quoi le futur sera fait. Toutefois, je doutais d'avoir cette opportunité dans un avenir rapproché. Recherché, aussi bien chassé que traqué, je devais m'éloigner du plateau pour survivre. Il était venu le temps pour moi de plonger dans la boue de la lande, de trouver un point de chute là où mes opposants ne me retrouveraient pas de sitôt; les marais où les lieux avoisinants. Or, que ferais-je pour me prémunir contre la fange ? Dur à dire et ô combien difficile à savoir... Secouant la tête de gauche à droite, préférant ne pas me focaliser sur la suite qui s'annonçait plus qu'ardue et âpre, je voulais me concentrer sur l'instant présent, là dans ce grenier où il faisait bon de dormir. La chaleur diffuse du foyer en bas arrivait jusqu'à moi, réchauffant mon corps et me faisant glisser lentement vers une torpeur tout indolente. Calme et serein, je finis par m'enfoncer dans le sommeil , sans être dérangé par le moindre bruit en contrebas ou par le moindre cauchemar. Était-ce quelque chose d'extraordinaire ? Pas vraiment. Certes, il m'arrivait souvent de passer des nuits difficiles à cause de mes rêves. Notamment lorsque la faim me tiraillait. Or, cela faisait déjà plus d'un an que j'avais vécu les pires étapes de ma vie. En l'occurrence, la mort de ma famille et la reconquête du Labret. Dès lors, j'avais gagné une sorte de renoncement face aux démons de mes nuits. Renoncement qui les avaient plus ou moins repoussés. Certes, je me doutais que ma nouvelle vie m'offrirait d'autres cauchemars. Or, néophyte dans cette existence, j'étais encore suffisamment frais pour ne pas souffrir de ce mal rampant et rongeant que j'avais déjà vécu et qui allait revenir au galop dans les mois à venir. Ainsi, je dormis sans cauchemar. Mais guère longtemps, alors que l'angoisse du lendemain vint me happer sans s'annoncer au milieu de ma nuit. Me réveillant en sursaut, en nage et en proie à une inquiétude que je n'arrivais pas à restreindre, je ne pus fermer l'œil du restant de la nuit. Écoutant d'une oreille attentive les bruits en contrebas, me calmant en écoutant Mathilde travailler, je restais étendu pour ne pas la déranger, sachant pertinemment que j'aurais dû en profiter pour me reposer. Or, c'était vain. Complètement vain. Je n'y arriverais point. Au bout d'un certain temps, devant un brouhaha plus important que les autres, je me redressais vivement, inquiet. Ma précipitation m'amena à me cogner la tête sur une poutre juste au-dessus de moi. Ainsi, je répondis au bruit qu'elle avait fait en étant moi-même bruyant. Grognant de douleur, les larmes aux yeux et le visage rouge de honte de mon idiotie, je me permis à mon tour de répondre. "Tout va bien ici aussi !" Disais-je une main sur le front, serrant les lèvres à cause de la douleur et en espérant ne pas me retrouver avec un quelconque hématome le lendemain. Retrouvant ma position initiale, c'est-à-dire sur le dos, j'attendis patiemment que vienne le temps de se lever. Je savais que je ne pouvais lutter contre l'avancée du temps, mais je craignais de voir la trappe s'ouvrir sur la veuve Dumas qui m'annoncerait venu l'heure de partir pour de bon. Finalement, ce que je ne voulais point survint. L'heure du départ. La trappe s'ouvrit grâce à un balai, laissant passer les mots de Mathilde avant de se refermer. Si je n'esquissais pas le moindre geste, si je restais silencieux m'oublierait-elle, là ? Me laisserait-elle rester dans ce grenier ? Me sentant aussi honteux que stupide, je grognais et me levais. Lentement. Très lentement. Puis, ouvrant la trappe, laissant tomber l'échelle. Je déposais mes pieds sur le premier barreau, sans pour autant commencer ma descente, comme si j'étais hésitant à l'idée. En contrebas, si la fermière du Labret regardait, elle verrait mes pieds immobile, figé entre ciel et terre. Comprendrait-elle mon indécision ? Déduirait-elle que j'étais désarmé face à mon désarroi ? Réussissant enfin au bout de quelques minutes à rassembler mon courage, je descendis pour rejoindre Mathilde. -"Bon matin à vous aussi." Dis-je d'une voix qui se voulait joyeuse, mais qui ne l'était aucunement. Faisant semblant de m'étirer pour pouvoir l'inspecter du coin de l'œil, je hochais la tête pour moi-même, ayant eu réponse à ce que je savais déjà; elle n'avait pas dormi de la nuit. " Vous n'avez pas dormi le moindre instant ! " Commençais-je en fronçant avec exagération des sourcils, avant de réaliser que c'était sûrement de ma faute. "Navré." Puis réalisant que je ne devais pas renouer avec cette habitude de m'avachir sous une tonne de remerciement ou d'excuse, je pinçais les lèvres. Avisant le paquetage qu'elle avait préparé pour moi, ma bouche s'ouvrit en grand, forme un "o" surpris. "Vous...vous avez fait ça pour moi ?" Interdit et indécis, heureux et imaginant le futur avec un peu plus de confiance, je finis par comprendre. "Attendez une minute, vous avez préparé ça toute la nuit durant ? Mathilde, voyons !" Je ne méritais pas ça. Pas autant... Gauche, ne sachant pas trop comment réagir, mais ne pouvant me permettre de faire la fine bouche, je fis ce que je savais faire le mieux; la remercier. "Merci." Puis, lorsqu'il vint le temps de l'échange, de ma cape contre la sienne, je rechignais durant quelque temps avant d'accepter devant des arguments pas nécessairement puissants, mais plutôt face à une fermière plus qu'insistante. Sachant que j'étais défait avant même d'avoir mené la lutte pour le troc de ces morceaux de tissus, j'acceptais ma défaite de bonne grâce, sachant pertinemment que j'étais gagnant. Récupérant le barda, me dirigeant vers la porte, fixant le battant encore fermé et qui allait s'ouvrir pour me laisser partir, je la regardais une dernière fois, prenant la parole non pas pour m'appesantir de propos vide de sens, mais plutôt pour lui faire une promesse que je ne serais peut-être pas en mesure de tenir. "Si jamais un jour nos routes se recroisent et que je peux être utile en quoi que ce soit, il ne faudra pas hésiter après tout ce que vous avez fait pour moi." Dis-je en serrant ce qu'elle m'avait offert. " Et je ne parle pas seulement des biens matériels." Poursuivais-je me tapant la tempe de l'index en souriant. "Je ne sais pas ce que cela peut valoir pour vous et c'est probablement moins intéressant que tout ce que vous m'avez offert, mais sachez que vous avez l'amitié d'un vagabond, Mathilde." Sautillant d'un pied sur l'autre, quelque peu gêné par mes propos, je me passais une main sur la nuque. " J'espère avoir la chance de vous revoir un jour. Vraiment."Finalement, je m'en allais sans me retourner. Non pas parce que j'étais concentré sur l'avenir, mais plutôt parce que je ne voulais pas qu'elle voie les larmes silencieuses qui s'écoulaient sur mon visage. Je regrettais déjà cette étape dans ma vie d'errance, inapte à concevoir ce que la suite allait me réserver. Et pour tout vous dire, je n'aurais pas pu espérer pire. Mais ça, c'est une autre histoire... - Spoiler:
Bien que nettement plus tard, voilà -enfin- ma réponse ! Comme vu, voilà ma fermeture. Libre à toi de répondre si tu le désires, évidemment ! Merci encore pour ce rp, ce fut excessivement cool. Navré encore pour mon absence et au plaisir de se croiser pour une hypothétique suite !
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| Sujet: Re: En quête de secours [Mathilde]: | | | |
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