10 mars 1167 - Destination Salers : qui part à la chasse perd sa place [PV Desmond]

Il y a des zones où il faisait bon vivre : Marbrume avant la fange par exemple. Une délicieuse ville protégée par une enceinte qui permettait théoriquement de repousser dehors tous ennemis. Des quartiers équilibrés et variés : celui du port qui donnait un accès à la mer (bénie soit Anür), celui du temple (bénie soit la Trinité), celui de la milice, bien sûr la Hanse - où la vie était paisible et agréable – moins qu’au Bourg-levant cependant il fallait bien un quartier pour les commerçants. Malheureusement il existait aussi le labourg, le goulot et le charbon… Quand au reste il était réservé exclusivement à l’élite.
Néanmoins tout n’était pas aussi agréable qu’à Marbrume. Prenons par exemple le Labret, certes les terres arables y sont légion et elles permettaient aux habitants de la région de manger. Néanmoins ils avaient été touchés de plein fouet lors de l’arrivée des fangeux, la population avait dû fuir pour tenter de trouver refuge entre les murs protecteur de Marbrume et les pauvres habitants y avaient tout perdu… Heureusement depuis une partie de ces territoires avaient été repeuplés. Opération dangereuse mais forcée par la famine qui s’accentuait, cependant à quel prix ?
Et si Marbrume comptait tout un quartier pour la milice, le Labret survivait uniquement grâce à la présence constante d’un nombre important de miliciens qui risquaient leurs vies à protéger la barricade qui protégeait les trois milles âmes qui y vivaient et y travaillaient.

Usson était une ville importante pour Alban, pas pour un quelconque attachement sentimental, simplement car c’était la ville la plus proche où se trouvait une carrière de fer qui lui permettait de continuer ses activités en étant approvisionné en ressources premières. Tout comme le village de Salers qui possédait aussi une mine de fer et un forgeron acharné qui se devait d’entretenir toutes les armes des miliciens qui logeaient sur place. On les y envoyait souvent comme punition et pour les remettre dans le bon chemin. Personne n’avait envie de s’attarder dans ce village perdu du bout du monde, soumis constamment au danger et à la crainte.
Pourtant ce fut une rumeur transmise par Elphège Lamora qui décida Alban à s’intéresser à Salers. Le colporteur négocia son information contre les récits des aventures du forgeron qui était allé jusqu’à Sombrebois. Elphège lui raconta qu’un vendeur aurait un lot de fer important à transmettre pour un prix plus que raisonnable. En effet l’homme cherchait à récupérer rapidement des épées déjà terminées et était prêt en échange à marchander le double de leur poids en fer. Une affaire en or ! Cependant Alban ne pouvait pas se permettre de laisser un commerçant s’occuper d’une telle transaction car il fallait vérifier que le fer en question était de bonne qualité, et qu’il n’y avait aucune arnaque sous-jacente. Or le revendeur ne désirait pas se déplacer… Alban hésita longtemps avant de se laisser convaincre par Elphège que le jeu en valait la chandelle.
Cependant restait un problème de poids, comment rejoindre sain et sauf la destination finale ? Il pouvait assez facilement rejoindre Usson en partant avec un convoi de plusieurs miliciens et marchants. Par contre le dernier bout de route était le plus dangereux et celui qui pourrait poser un problème… à moins qu’il ne sollicite l’aide de Desmond de Rochemont ? Le chevalier serait-il prêt à partir à nouveau à l’aventure avec Alban ?

L’aventure à Sombrebois avait ouvert l’univers de Laforge, il ne souhaitait plus se contenter de rester à Marbrume jusqu’à la fin de sa vie. Certes il s’y plaisait, n’empêche qu’un peu de danger mettait du piment dans la vie ! Peu de jours après son retour à la forge, Alban préparait une nouvelle fois ses affaires pour s’aventurer hors de la ville. Il prépara surtout les épées qu’il échangerait contre le mystérieux vendeur de Salers et alla louer une carriole pour transporter le tout. Dès que ce fut possible il se joignit à un convoi qui avait pour destination Usson. Trois petits jours de voyage qui passèrent assez facilement et sans difficultés majeures.
Arrivé dans la ville Alban se renseigna sur le chevalier Desmond de Rochemont et n’eut pas beaucoup de difficultés à ce qu’on lui indique le chemin vers une grande ferme de plusieurs bâtiments. La demeure bien entretenue était entourée de nombreux champs. Alban se présenta à la porte et cogna timidement sans savoir exactement comment il serait reçu.

J’entends toquer à la porte alors que j’étais, comme à mon habitude à cette heure-là, en train de nettoyer et de graisser mon épée. Cela ne fait que quelques jours que j’étais revenu de Sombrebois après avoir ramené au Temple, Rosen et à Marbrume, le forgeron qui nous a bien aidé.

J’ai passé ce temps à me reposer, et à accomplir quelques missions d’escorte, j’ai d’ailleurs l’impression de me transformer de plus en plus en mercenaire. Cela ne me plaît guère de travailler, mais je n’ai pas vraiment le choix, et comme j’ai le toit et couvert gratuit grâce à la générosité des trois sœurs, je peux mettre un peu d’argent de côté.

C’est donc curieux que je descends du premier étage mais je suis précédé par Jasmine, une jolie brune avec des cheveux magnifique qui ouvre la porte et demande :

Bien le bonjour, je peux vous aider ?

Je vois ainsi qui est à la porte et j’indique à la jeune femme :

C’est un de mes proches, il se nomme Alban et c’est un forgeron.

Je la vois lui sourire et lui indiquer :

Cela me fait plaisir de recevoir un ami de Desmond, si vous voulez bien entrer.

Je guide mon invité jusqu’à la salle à manger qui sert également de salon et je m’assois sur un des tabourets, faisant signe à l’artisan de faire de même. Florence, la seconde sœur, une belle blonde avec une imposante poitrine, arrive et nous sert un verre d'eau, mais au lieu de partir une fois sa tâche effectué, elle nous écoute, ne voulons pas perdre une miette de notre conversation.

Je hausse les épaules devant ce comportement typiquement féminin et je demande à Alban, ce qu’il fait ici. Je l’écoute m’expliquer son rôle dans cette affaire de fer contre épée, que je ne comprends qu’à moitié, n’étant pas intéresser par son histoire de marchand. L’important pour moi, c’est que j’ai une dette envers lui et que c’est l’occasion de la rembourser, je peux donc lui dire :

Je vais vous aider, Salers n’est vraiment pas loin et je connais la route. Comme il n’est pas encore midi, je peux me préparer avant le repas et partir dès que nous aurons mangé, cela vous convient ?

J’attends la réponse de mon interlocuteur et je quitte la pièce pour tout préparer. Pendant tout le temps passé à la ferme, j’entends les trois sœurs harcelé mon compagnon d’aventure de question sur moi, et plus particulièrement sur ma vie amoureuse, mais je fais comme d’habitude et je me contente de faire mes affaires, sans m’en mêler.

Finalement, nous sommes prêts à nous en aller, et après un dernier au revoir aux maîtresses des lieux, nous prenons la route. Après un voyage sans incident, nous arrivons dans la soirée aux alentours de Salers et j’indique au forgeron :

Il vaut mieux se hâter, nous allons devoir dormir chez l’habitant, il n’y a pas d’auberge.

Lorsque la porte s’ouvrit c’était une très jolie brune qui apparut, sa voix était douce et ses propos accueillants. Le forgeron retira son couvre-feu pour répondre.

« Bonjour madame. »

Il ne savait pas quoi ajouter de plus. Heureusement Desmond qui le sortit de l’embarras en descendant de l’escalier. Un proche ? Un nouveau compliment dans la bouche du chevalier. Alban n’était donc pas le seul à avoir de l’estime pour son compagnon de route ? C’est vrai qu’ils avaient passé beaucoup de temps ensemble dernièrement mais le forgeron n’aurait pas imaginé être qualifié de proche par un noble tel que de Rochemont. Cela alluma un sourire sur le visage de la belle brune. Le forgeron acquiesça poliment à l’invitation à entrer avant de suivre Desmond jusqu’à une salle à manger. Après un signe de tête à son encontre de la part du chevalier, Alban s’assit sur le siège qu’on lui avait désigné. Peu de temps après une nouvelle jeune femme se présenta, blonde cette fois-ci et tout aussi agréable à l’œil que la première. Elle servit deux verres d’eau avant de s’attarder dans la pièce.

« Merci madame. »

Alban vida le verre d’eau d’un trait, le voyage a été éprouvant et il était agréable de pouvoir se rincer le gosier avec de l’eau fraîche. Vint ensuite pour Alban le moment d’expliquer son grand projet. Il raconta tout : la rumeur d’Elphège, le vendeur qui possèdait du fer et réclamait des épées, le lieu dangereux où ils seraient supposés se rendre : Salers. Une fois toute l’affaire exposée, le forgeron n’eut pas à attendre très longtemps avant que le verdict tombe : il avait trouvé en Desmond l’homme qui l’aiderait à réussir son échange commercial, mieux le chevalier connaîssait la route et il était prêt à partir dès aujourd’hui.

« Et bien ce serait parfait monseigneur ! »

Desmond était un homme d’action, toujours prêt à relever les défis et il n’hésita pas un instant avant d’aller préparer ses affaires pour ne manquer de rien sur le chemin. Pour Alban c’est une autre histoire car il vouait se manifester une nouvelle créature divine. Par Anür, Serus et Rikni qui avaient bénis cette maison, une flopée de questions lui tombèrent dessus sans qu’il ne sache vraiment y répondre autrement que par des bégaiements approximatifs. Le forgeron finit par avancer qu’il ne pouvait décemment rompre l’alliance du secret qui entourait deux compagnons de voyage et qu’il ne pouvait donc pas révéler aux sœurs ce qu’il savait concernant Desmond. Finalement les questions de la famille avaient offert bien plus de questionnements à Alban que de réponses. Pourquoi Desmond logeait-il chez les trois sœurs ? N’était-il pas tombé sous le charme de l’une d’elle ? Etaient-elles célibataires et Alban avait-il sa chance avec l’une d’elles ? Tant de questions sans réponse.
Cependant une chose qu’il avait apprise en compagnie du chevalier c’est qu’il n’était pas particulièrement friand de confidences, en tout cas pas sur le chemin où chacun se devait d’être attentif aux bruits alentours, aux mouvements ainsi qu’au moindre signe de danger. Les questions viendraient plus tard… peut-être au coin d’une bière ? En tout cas pas pour le moment.

Le voyage se passa sans encombre mais une fois arrivés aux alentours de Salers, lorsque la palissade fut presque en vue que le noble indiqua à son compagnon qu’il allait falloir trouver un logement car aucune auberge n’existait dans ce petit village perdu. C’était une indication que le forgeron n’avait pas prit en compte, ayant peu l’habitude de voyager. Malheureusement ils ne croisèrent personne sur le chemin restant à qui il auraient pu demander le gîte. Une fois l’enceinte de la ville atteinte, la milice les fit stopper pour contrôler leur venue et vérifier qu’ils n’étaient pas contaminés. Le sergent André, qui était responsable de la ville, sortit même pour aviser les nouveaux venus. On voyait tout de suite que c’est lui qui dirigeait Salers d’une main de fer. Il semblait rude et sévère. Visiblement quelque chose avait dû le contrarier pendant un certain temps car ses sourcils semblaient perpétuellement froncés.

« Tiens vous tombez bien.
Vous allez avoir besoin qu’on vous laisse entrer et d’un logement. Or, moi, j’ai besoin d’un service concernant deux paysans. Je n’ai pas le temps de m’occuper de broutilles. »

Sûr de son pouvoir, le sergent laissa le silence s’imposer un instant, comme pour consentir la possibilité aux deux voyageurs de protester alors qu’ils n’avaient en réalité aucun moyen de pression leur permettant de négocier.

« Voilà ce que vous allez faire. Ce soir, vous allez vous rendre à la ferme de Simon Tuemouches qui n’est pas loin, vous allez lui dire que c’est moi, le sergent André, qui vous envoie. Il vous logera gratuitement car demain ce sera à vous de départager Tuemouches et Mangefeuille de leur différent. Ne vous inquiétez pas, Simon vous expliquera tout cette nuit et moi je préviens Mangefeuille qui se présentera demain matin. Ça vous laissera quelques heures pour réfléchir à l’affaire. »

Un petit sourire sardonique se dessinait sous la moustache du sergent.

« Et comme on est généreux ici, si vous y arriver vous aurez le droit à une consommation gratuite à l’auberge de la ville… »

Que répliquer à cela ? Le milicien qui s’occupait de garder la porte était déjà en train de leur expliquer la route jusqu’à la ferme. Alban n’osait pas répliquer et lança un regard de côté à Desmond qui questionnait « est ce que ça se passe toujours ainsi dans les petits villages du Labret ? ». Dire qu'Alban venait livrer des armes qui seraient sûrement utile pour la milice et qu'il n'avait même pas osé le mentionner pour tenter d'entrer plus rapidement en ville. Le forgeron espérait que cette nouvelle épreuve ne viendrait pas signer un terme définitif à leur but et qu'ils ne seraient pas obligés de repartir bredouilles.

Le milicien de garde nous bloque à l’entrée du bourg et je comprends rapidement pourquoi quand le sergent qui gère la milice par ici, et que j’avais déjà rencontré quelques fois, arrive. Alors que je pensais qu’il venait juste vérifier que nous ne venions pas vendre des articles de contrebande, il nous demande un service !

Est-ce que j’ai la tête d’une personne qui rend des services aux gens du bas-peuple ? Apparemment, oui, car il enchaîne sur sa demande, que je ne comprends d’ailleurs pas et que de toute façon, ne m’intéresse pas davantage, si des fermiers veulent régler un différend, qu’ils le fassent eux-mêmes !

La seule chose intéressante dans tout cela, c’est le logement gratuit, ce qui me permettra d’économiser les peaux de lapins que j’ai dans mon sac et qui servent pour mes échanges, le troc étant la norme ici, encore plus que dans la capitale. Mais le meilleur reste à venir, nous aurons droit à des bières gratuites ! Il aurait dû commencer par-là !

J’écoute donc avec attention les instructions du gradé pour rejoindre rapidement la ferme où nous allons passer la nuit, n’ayant guère envie de me perdre dans l’obscurité, puis une fois que je suis sûr de moi, je peux indiquer à Alban :

En avant, demain on finit cette petite affaire, on livre ta marchandise et on va boire un coup, j’ai déjà soif !

Nous passons donc entre le maréchal-ferrant et les écuries où nous pouvons déposer nos montures et une fois arrivé sur la place du village, où se trouve le puits, j’ai la surprise d’apercevoir une auberge, qui n’était pas là lors de ma dernière visite, signe que le coin commence à se civiliser, plus qu’une maison de passe et ce sera parfais !

La ferme se trouve à côté et je frappe à la porte, un homme assez âgé vient m’ouvrir et me demande d’un ton peu amène :

C’est pour quoi ? Si vous chercher un refuge pour la nuit, l’auberge est faite pour cela !

Alors qu’il allait refermer la porte, je la bloque avec ma main, sûr de ma force, mais le petit vieux ne se laisse pas compter et la ferme d’un coup sec, avec mes doigts encore à l’intérieur ! La douleur est très forte et je retiens à grand-peine un juron ! Je tire donc pour la maintenir entrouverte et cette fois-ci, je lui dis très vite :

Le sergent nous a demandé de venir !

À mon grand soulagement, il arrête de tirer comme un âne sur l’ouvrant et je peux récupérer ma main qui a doublé de volume. Il nous regarde avec ses petits yeux inquisiteurs et nous demande :

Vous êtes là pour remettre cet idiot de Mangefeuille à sa place ?

Notre vaillant chevalier ne fut pas découragé par cette déconvenue. Certes leur programme était chamboulé, cependant c’était un mal pour un bien puisque gîte et boissons seront très certainement offert. Que demander de plus ?
Alban qui découvrait la ville suivit Desmond et ses conseils. Il en profita pour jeter des regards à gauche et à droit et noter le maréchal-ferrant, les écuries qui acceptèrent leurs montures, le temple qui était certainement le plus grand bâtiment de la ville, ainsi qu’une maisonnette indiquant « auberge ». Certainement un coupe-gorge ou une arnaque puisque Desmond n’avait même pas considéré la possibilité de s’y arrêter. A cette heure-ci il y a peu de monde dans les rues, Salers était bien plus calme que Marbrume, qui grouillait de vie presque à toute heure. C’était donc ça la campagne ?
En suivant les instructions du sergent, ils n’eurent pas de mal à localiser la maison du paysan qui serait leur hôte. L’homme se montra bourru et grossier envers de Rochemont sans leur laisser le temps de se présenter ou de s’expliquer. Ici plus qu’ailleurs la fange avait marqué les esprits et rendu les gens xénophobes. A Salers mieux valait claquer sa porte que de risquer d’être contaminé par un fangeux. Comme ni Desmond, ni Alban ne portait l’uniforme de la milice, l’autorité la plus haute, ils ne valaient pas le péril. Ce fut le mot "sergent" qui évita au chevalier la douleur de se voir à nouveau claquer la porte sur les doigts. Le forgeron tenta de venir en aide à son compagnon de voyage.

« Le sergent André a délégué à monseigneur le chevalier de Rochemont son pouvoir de décision concernant votre dispute avec Mangefeuille. Il semblait croire que vous seriez ravis de nous loger cette nuit pour nous expliquer toute l’histoire. »

Le forgeron n’allait pas laisser plus longtemps un simple paysan oser manquer de respect à celui qui lui avait déjà rendu tant service. Les quelques paroles semblèrent faire rapidement changer d’avis Tuemouches qui ouvrit sa porte avec un sourire où de nombreuses dents manquaient. Il semblait beaucoup plus coopératif et avide de se faire bien voir.

« Bien sûr entrez… ‘scusez moi, vous tombez mal. Je n’attendais pas de visites et ma femme n’a pas préparé grand-chose mais on va s’arranger. Vous devez être fatigué du voyage. Je vais voir pour qu’on vous prépare une chambre. »

Le paysan se tourna vers ce qui devait être la cuisine et beugla un bon coup.

« Marie ! Marie ! »

Avant de se décider à se déplacer de lui-même vers celle qu’il appelait. Restés seuls dans une pièce commune qui servait d’entrée, de salon et de lieu de vie le chevalier et Alban pouvaient contempler la table où trônait une bouteille déjà bien entamée et accompagnée d’un verre. Visiblement l’homme avait terminée sa journée depuis déjà quelques temps et les deux voyageurs n’allaient peut-être pas à attendre le lendemain pour boire un peu. En tendant l’oreille ils auraient pu entendre le paysan chuchoter-crier à sa femme des instructions. Cela rendait à peu près cela :

« … va préparer une chambre… Non ! … par le Sergent… pouvoir … Mangefange ! Finir cet'histoire ! Dépêche-toi… bon repas »

L’homme finit par réapparaitre avec deux verres poussiéreux qu’il déposa sur la table.

« Et si on trinquait à la résolution de ce problème ? »

Alban accepta le verre et de se faire servir, cependant une fois qu’il eut prit une gorgée il tenta d’en savoir plus pour comprendre dans quel traquenard ils avaient été entraînés par sa faute.

« Qu’est ce qui s’est passé exactement ? »
« Ne parlons pas des affaires qui fâche en buvant… »
« Vous n’êtes pas obligé de boire mais le sergent André voudra des comptes dès demain matin et votre accueil n’était pas le plus… chaleureux. »

Il n’en fallu pas plus pour que Tuemouche se mette à table tandis que sa femme revenait s’occuper du diner. Le paysan s’adressait surtout à Desmond quêtant son avis et son approbation.

« Bah vous vous souvenez, y’a deux ans on a finit par récupérer quelques territoires du Labret en dehors de Marbrume. Ma Marie et moi on a fini par en avoir marre de la ville et d’avoir faim, donc on a décidé de v’nir ici malgré l’danger. On s’était dit qu’se s’rait une vie plus facile pour les marmots toussa… Quant on est arrivé ici, à Salers, il y avait encore pas mal de barraques vides et on a vu avec la milice. Ils nous ont dit que si on exploitait les terres, on pouvait rester. On n’est pas des voleurs ! On a travaillé dur pour remettre à neuf. Et v’la qu’on veut nous en chasser ? Moi je dis non ! »

Une petite frimousse venait s’apparaître dans l’encadrure de la porte, en vint une deuxième puis une troisième. Deux filles et un garçon, âgés respectivement d’environs 7, 5 et 2 ans. Le fils était le cadet et il serrait bien fort la main de sa sœur.

« Qu’êtes-vous foutez encore debout vous ? Allez, dégagez ! »
« Mais papa… maman nous a dit de dormir dans votre lit et on a peur du monstre sous le lit… »
« Rha les gosses ! Un p’tit changement et ça sait plus quoi inventer. Marie ! Marie ! Va t’occuper des mioches ! »

La dite paysanne vint poser un grand plat au milieu de la table avec trois assiettes, salua les deux invités puis partie s’occuper de ses enfants.

« Bon, on mange ? »

La nourriture ne promettait pas d’être formidable, Alban trouva qu’au moins les légumes semblaient plus frais que ce qu’ils avaient en ville, cependant les quantités n’étaient pas bien plus importantes comme si la femme plutôt que d'adapter les quantités au nombre d'invités avait simplement ajouté deux portions d'eau pour diluer le tout. Heureusement que l’alcool aidait à faire passer la bouillasse qui était servie. La pauvre femme avait bien dû faire cramer une ou deux fois la préparation puisqu’elle s’occupait de la cuisine, des chambres mais aussi des enfants.

« Vous ne nous avez toujours pas dit ce qui pose problème avec Mangefeuille… »
« Ah bah, c’est simple, le gars dit qu’il était là avant. Que c’était sa ferme à lui. Mais il était pas là lui quand on est arrivé, il y avait personne. On pouvait pas savoir qu’il était vivant. Nous on s’est installé, c’est trop tard maintenant ! »

Cela sembla conclure l’argumentaire du paysan qui se tut pour profiter autant de la nourriture que de sa piquette.

Heureusement qu’Alban explique les choses, pendant que je souffle sur ma main, tellement elle est devenue chaude. Je verse même un peu d’eau de ma gourde dessus pour la faire dégonfler. Pourtant, je suis plutôt résistant à la douleur, mais là, je ne m’y attendais pas et je me suis laissé surprendre.

Grâce au sens de la diplomatie de mon compagnon de voyage, nous pouvons entrer dans la ferme de Tuemouches. Nous avons droit à un repas très moyen accompagné d’une piquette effroyable, je ne peux en avaler qu’une seule gorgée avant de tousser et de demander à notre hôte :

Ils le vendent ça ?

J’espère que non, sinon, c’est un véritable empoisonnement ! Il me répond d’ailleurs, très fier de lui :

Pas du tout, c’est ma production personnelle !

Je suis donc tombé sur le pire vigneron du monde, il a dû utiliser du raisin rassis, ce n’est pas possible autrement ! Il nous explique ensuite les raisons de son différent avec Mangefeuille et je l’écoute d’une oreille distraite pendant que je pioche dans mon pauvre bouillon. Je me retiens pour ne pas bâiller tellement de son histoire n’est que peu intéressante, comme si je pouvais me soucier d’un problème entre paysans.
D’ailleurs, quand il finit son histoire et qu’il me demande :

Alors j’ai raison ou j’ai raison ?

Je lui réponds calmement :

Je vais réfléchir et je prendrai ma décision demain.

En vérité, je compte juste dormir et jouer çà à pile ou face, indiquant que les Trois ont choisis, comme ça, pas de problème. L’autre possibilité est un jugement des Dieux avec un combat à mort entre les deux hommes, mais je doute que cela plaise à la Milice. Curieusement, ma réponse ne semble pas le satisfaire, car il se rapproche de moi, comme s’il allait me faire une confidence et me dit à voix basse de manière à être entend, que par moi et le forgeron qui m’accompagne :

Écoutez, je n’ai aucune envie de me retrouver à la rue avec les gosses et la Marie, alors s’il y a un moyen de s’arranger.

Je suis brusquement intéressé par ses paroles et je lui demande donc :

Que proposes-tu ?

Bien sûr, je le tutoie, c’est une personne du peuple, je ne fais donc aucun effort. Il réfléchit quelques secondes avant de m’indiquer, toujours en jouant les comploteurs :

J’ai fait ma petite réserve d’alcool et…

Le regard que je lui lance est éloquent, car il s’interrompt d’un coup, puis reprend :

Pardon, j’ai ma petite Iris, elle est actuellement en apprentissage auprès d’une famille aisé pour devenir femme de ménage, elle a seize ans, mais elle est déjà dure à la peine et intelligente, elle comprend tout très vite, ma parole. Un puisant chevalier comme vu a sûrement besoin d’une bonniche ! Je peux vous la prêter pendant un an pour presque rien !

Le gars est prêt à me louer les services de son enfant pour gagner ce pari, il n’est vraiment pas idiot. Mais si je lui donne raison, il va falloir trouver des arguments en sa faveur, ce qui risque d’être difficile. Je baille carrément pour bien montrer que je suis fatigué et j’indique au paysan :

Je vais y réfléchir.

Notre hôte n’insiste pas et nous montre notre chambre, ce n’est qu’une fois à l’abri des regards et des oreilles indiscrets que je demande à Alban :

Alors, qu’est-ce que vous en pensez ?

Visiblement le chevalier avait l’habitude d’une qualité de vin bien supérieur à celle présentée, d’ailleurs même Alban n’était pas si enclin à finir son verre. Seul le paysan semblait vraiment réellement apprécier le breuvage, ce qui n’est pas étonnant puisqu’il révéla que c’est sa production personnelle.
Desmond semblait écouter le discours de Tuemouche sans être particulièrement convaincu par son histoire, et c’était avec beaucoup de contenance qu’il affirma que la décision serait prise le lendemain matin et pas avant. Le paysan sembla dépité d’apprendre cette nouvelle, et le doute s’insinua dans son regard. Avait-il une chance de perdre face à son rival ? Les propositions de pot de vin ne tardèrent pas : alcool ? servante pendant un an ? Autant la première offre semblait raisonnable au forgeron autant la seconde… Le paysan en étant donc arrivé à l’extrémité d’abandonner sa fille aux mains d’un parfait inconnu juste pour gagner sur ce désaccord ? Certes l’idée de se retrouver à la rue et sans activité professionnelle pouvait être inquiétante, surtout avec trois marmots en bas âge, cependant si la querelle durait déjà depuis un bout de temps, il aurait dû pouvoir y réfléchir et trouver des solutions. C’est ce que faisait un chef de famille responsable ! Jehan n’aurait jamais agi de la sorte. Desmond quant à lui resta stoïque et campa sur ses positions. Le paysan ne dormirait peut-être pas sur ses deux oreilles cette nuit, il avait intérêt à se faire du mouron et à tenter de se montrer plus convainquant que ça ! Notant que les deux voyageurs semblaient fatigués du trajet, le paysan les conduisit jusqu’à leur chambre : une pièce simple avec un lit et une couverture jetée par terre sur un tapis comme second matelas. Rien de mieux pour une vie à la dure, le forgeron ne se plaindrait pas, le plus important c’était d’avoir un toit sur la tête et surtout d’être à l’abris de la fange. Le chevalier interrogea Alban sur son opinion.

« Hum… j’avoue que ce n’est pas évident.
Avant de donner la moindre opinion j’aimerais connaître l’histoire de son opposant et son point de vue. J’imagine que si la milice n’a pas déjà tranché c’est que l’affaire n’est pas si simple.
En tout cas j’espère surtout que ce que sert l’auberge sera meilleur que ce dont on a eu le droit ce soir… »

Sur ces mots, Alban s’endormit rapidement, épuisé. Cependant ce ne fut pas une nuit tranquille et quand il eu suffisamment de repos, il se réveilla dans la nuit et à partir de ce moment-là ce fut l’insomnie : qui fallait-il choisir entre Tuemouche et Mangefeuille ? Et si les situations étaient similaires comment les départager ? Il lui semblait entendre un ronflement sonore, mais était-ce Desmond, Simon ou sa femme Marie ? Alban n’arrivait pas à déterminer qui parvenait à dormir si paisiblement.
Lorsque le soleil commença à poindre son nez, le forgeron se leva en se faisant le plus discret possible. Lorsqu’il s’avança jusqu’à la salle à manger qui servait d’entrée, il entendit du bruit dans la cuisine, Marie était déjà levée. Il alla la saluer et la remercier pour l’hébergement. En échange elle lui donna un petit bout de pain. Le forgeron lui expliqua qu’il souhaitait se rendre au temple et qu’il comptait revenir rapidement. Puis il sortit et profita de l’air frais du matin pour s’éclaircir les idées. Lorsqu’il poussa la porte du temple pour aller prier, il constata avec joie que celui-ci était bien ouvert. Il aurait bien besoin de l’aide de Rikni pour prendre une décision sage et astucieuse.

Le pauvre Alban semble prendre cette question de propriété paysanne très au sérieux, contrairement à moi, qui est prêt à tout jouer à pile ou face. Mais son analyse sur la nourriture est pleine de pertinence, car un repas comme celui que l’on vient de manger devrait être très loin de ce que l’on peut attendre d’une auberge digne de ce nom.

Finalement, je devrais peut-être faire un concours de cuisine entre les deux et celui qui fais le mieux à manger gagne. On appellera cela « Top Paysan », avec un jury composé des autres membres du village, c’est une très bonne idée et je m’endors donc, le sourire aux lèvres. Je pense que je ronfle pas mal durant la nuit, car je me réveille en grande forme, signe d’un sommeil profond. Je suis seul dans ce qui nous sert de lit, le forgeron ayant décidé, de toute évidence, d’être matinal.

Pour ma part, je fais ma toilette dans la bassine prévue à cet effet, puis je vais voir la maîtresse des lieux, enfin pour le moment, pour lui demander où se trouve mon compagnon d’aventure. Elle me répond qu’il est parti au Temple et me tend un bon de pain. Je le regarde avec méfiance, me souvenant du repas d’hier soir et je mords un peu dedans. J’ai bien fait d’être prudent, car celui-ci est très mauvais et quand je lui demande qui l’a fait, elle me répond en baissant les yeux, qu’il s’agit de son mari !

Il faut vraiment que je me barre d’ici mon estomac ne supportera pas une seconde collation ! C’est donc le ventre vide que je prends la direction du Temple, mais très vite, je me sens suivit, et je vois du coin de l’œil, un homme qui se cache derrière une charrette. Je fais comme si de rien n’était et arrive juste à la fin de l’office avec les gens qui sortent, créant une certaine confusion, j’en profite donc pour faire le tour et j’attrape par le col l’espion en lui demandant d’une voix très sèche :

Qui es-tu ?

Il s’agit d’un homme relativement jeune, très maigre et qui semble complètement terrifié par mon arrivée, ce qui ne m’étonne guère, car je suis toujours en armure et mon fourreau, contenant mon épée à deux mains, est toujours à mes côtés, comme il ne semble pas vouloir me répondre, je le secoue à nouveau et je répète ma question :

Alors, qu’est-ce que tu me veux ?

Cette fois-ci, il reprend un peu de courage et m’indique d’une toute petite voix :

Je suis désolé, Seigneur, je ne voulais pas vous énerver, je suis Mangefeuille, le paysan à qui appartient la maison où vous avez dormi, je voulais juste vous parler.

J’ai donc en face le premier propriétaire de la bâtisse, il n’est guère impressionnant et je comprends pourquoi il n’a pas réussi à récupérer son bien par la force et qu’il a fait appel à la Milice. Je le repose donc à terre et cherche des yeux Alban, espérant qu’il n’est pas trop loin, afin qu’il puisse écouter l’histoire du second acteur de cette affaire.

Alban était arrivé pour les Laudes et bon nombre d’habitants de Salers se pressaient déjà pour la cérémonie. Il ne fut pas aisé de trouver une place pour s’installer tant l’ambiance semblait particulière. Le forgeron qui avait toujours vécu à Marbrume n’avait pas l’habitude d’être considéré comme l’étranger. On murmurait sur son passage, et il voyait bien quelques-uns des salersiens les moins discrets qui le pointaient du doigt. Enfants ou adultes, tous semblaient le dévisager tandis qu’il cherchait une place. Il finit par s'installer seul au bout d’un banc dans le fond du temple.
En comparaison avec le bâtiment présent à Marbrume ce temple était minuscule, cependant on voyait l’effort qu’avait fait la population pour la fondation du lieu de culte, le cœur de Salers. Les plafonds étaient hauts et les murs restaient décorés généreusement. Ici on comptait autant sur la milice que sur les Trois pour être protégé de la fange. La barricade était une première défense en cas d’attaque, néanmoins les épais murs du temple était le dernier refuge en cas d’attaque pour défendre leurs vies.
La cérémonie fut classique, et Laforge en oublia pour un peu qu’il n’était pas dans sa ville. Lorsque le culte prit fin, Alban préféra rester assit encore quelques minutes pour prier silencieusement.
Quand il rouvrit les yeux et se releva pour quitter les lieux, le prêtre lui fit signe de l’attendre et s’approcha. C’était un homme d’un certain âge qui semblait serein et qui dont la fonction était reconnaissable par la robe qui l’habillait.

« Bonjour voyageur, que nous vaut le plaisir de votre visite, ici à Salers et au temple ? »
« Bonjour mon père, je viens pour échanger mon travail contre les biens d’un de vos croyants qui possède du fer. »

Le prêtre hocha la tête paisiblement en attendant la suite, il devait avoir l’habitude que les aveux arrivent petit à petit.

« Et le Sergent André nous a demandé d’essayer de résoudre un problème local lors de notre arrivée. »

L’homme sourit doucement comme s’il était déjà au courant de ces détails et qu’il n’attendait qu’un mot pour pouvoir s’exprimer.

« Depuis son retour Mangefeuille vit au temple. Ce qui fait que nous n’avons plus vu Tuemouche depuis un moment… Leur querelle n’a fait que s’envenimer avec le temps et il faut désormais y mettre un terme. »

Voilà que même le clergé mettait son grain de sel pour les pousser à un choix rapide ? Est-ce que toute la ville était impliquée dans l’histoire ? Le sergent André avait-il refusé de trancher le conflit car il avait reçu trop de menaces ou de pots de vin pour favoriser l’un ou l’autre des parties ? Un peu inquiet Alban hocha la tête avant de se lever pour quitter les lieux. Dans cette petite ville il serait impossible d’échapper aux habitants qui se connaissaient tous, les visiteurs étaient facilement repérables.

« Merci mon père, bonne journée à vous. »

En sortant, Alban tenta d’échapper à la foule et accéléra le pas pour ne pas être arrêté. Il reçu un regard noir d’un homme a la carrure imposante : était-ce le forgeron de Salers craignant un concurrent ou juste un salersien qui soutenait Mangefeuille ? Pensaient-ils que la nuit qu’ils avaient passé chez Tuemouche allait les influencer ? Ou au contraire espéraient-ils tous que Mangefeuille fut exclu de la ville et que ses problèmes disparaissent avec lui ?
Alban identifia Desmond de loin, c’était assez simple puisqu’il faisait une ou deux têtes de plus que le reste de la population. Il semblait désormais accompagné.

« Bonjour monseigneur, vous avez bien dormi ?
Qui est-ce ? »

L’homme qui se tient à côté de Desmond n’est ni très vieux, ni très épais et il semble trembler sur place. Le chevalier en armure fait souvent cet effet-là, car il est grand et charismatique.

Finalement, Alban nous rejoint, et je peux voir qu’il est suivi par un homme à la mine patibulaire et en plus armé d’une épée, ce qui fait de lui soit un noble, mais il n’en a pas la prestance, soit un milicien, mais il n’a pas l’uniforme, soit un mercenaire, et je pense pour cette dernière option. En tout cas, il ne semble pas content et je continue à le surveiller du coin de l’œil tout en répondant aux questions de mon acolyte :

Oui, j’ai bien dormi, et je vous présente le second paysan de cette affaire, Mangefeuille.

Je vois le gueux regardé d’un air absent mon compagnon de voyage, puis il l’ignore totalement, ne se focalisant que sur ma personne :

Je vous en prie seigneur, écoutez-moi, je sais que vous avez dormi dans mon ancienne maison et parlé à ce menteur de Tuemouche, quoi qu’il ai dit sur moi, ne le croyez pas.

Il semble désespéré et me montre ses deux mains, abîmées par le travail manuel de toute une vie :

C’est grâce à elles que j’ai pu bâtir ma demeure, le travail de toute une vie et aujourd’hui, on cherche à me la voler.

Je le sens au bord des larmes, mais il arrive à se reprendre avant de pleurnicher comme un bébé, évitant ainsi de m’énerver et il reprend avec des trémolos dans la voix :

Mon frère à du devenir mercenaire et ma sœur se prostituer pour que nous puissions survivre à Marbrume, maintenant, nous avons une chance unique de pouvoir reprendre notre vie d’avant.

Il baisse la voix, de manière entendu que de moi et du forgeron :

Ma sœur est prête à faire tout ce qu’il faut, je dis bien tout, pour que vous nous choisissez.

Puis il regarde Alban et lui dit :

Vous méritez un meilleur garde du corps, mon frère est un grand guerrier et il vous obéira aussi longtemps que vous le désirez, un mot de vous et il tuera sans aucune hésitation, ni remord.

Voilà vraiment une famille intéressante ! Quand je pense qu’ils viennent tous les trois de ce petit village, ils ont bien évolués les péquenots ! Ils sont passés du statut de plouc de la campagne profonde à rats des villes en l’espace de quelques années ! Comme quoi l’être humain survit à tout, ce qui est une bonne chose pour l’avenir. Maintenant, j’ai envie de le faire poireauter un peu et je lui indique :

Tu te trompe paysan, cet homme n’est pas mon garde du corps mais mon conseiller, alors tu ferais mieux de le considérer davantage.

Je vous mon interlocuteur devenir tout blanc et il se retourne vers l’artisan pour lui dire :

Mille pardons, messire, vous devez nous aidé, nous en avons tellement besoin.

J’enchaîne ensuite en parlant directement à Alban :

Je vais rendre ma décision cette après-midi, sur la place centrale du village, est-ce que tu as des questions à lui poser avant que je choisisse ?

Desmond avait réussi à mettre la main sur le second protagoniste de cette sombre affaire. Pas étonnant, il était doué, et il savait pister que ce soient les animaux ou les humains. Et en plus il avait réussi à bien dormir. Cela dit comparé à une nuit passée sur une branche avec pour compagnie la peur d’être attaqué par la fange, un bon lit n’avait aucune comparaison même sans dormir dans des draps de soie.
Mangefeuille était un travailleur, un vrai, un dur, ses mains le prouvaient sans hésitation. Quant au reste de sa famille, elle ne lésine pas non plus sur les métiers difficiles, c’est ce qui a dû retenir la fratrie à Marbrume. Cependant le paysan n’est pas très observateur, car il croit deviner qu’Alban est un garde du corps. Comment Laforge pourrait-il protéger quelqu’un qui est pourtant visiblement plus costaud et plus armé ? Néanmoins ses propos sont discutables. Si vraiment son frangin était prêt à tuer n’importe qui… Pourquoi Tuemouche était-il encore en vie ? Ce n’était sûrement pas du fait de ses compétences martiales, car le paysan d’hier avait semblé plus porté sur la bouteille que sur les armes. Heureusement Desmond est magnanime et corrige l’erreur du paysan en complimentant Alban. Toutefois le paysan interpelle directement Laforge en implorant son aide.
Que ce soit Tuemouche ou Mangefeuille chacun s’est beaucoup investit dans cette maison et a énormément à perdre s’il n’obtient pas gain de cause. Or, il va falloir trancher.

« Oui, j’aimerais savoir… Tuemouche a entretenu votre maison depuis son arrivée, il a dû y faire des réparations et la remettre en état. Si l’on vous rendait votre bien, quelles compensations lui seriez-vous prêt à lui accorder ? »

« Quoi ?! Rien, c’est un voleur ! »

« Très bien. Ce sera prit en considération dans notre choix. »

« Hein ?! Mais… euh… attendez ! J’vais trouver qu’chose. »

Clairement aucun des deux ne souhaitait faire de compromis. Pourquoi ne pouvaient-ils pas tout simplement marier le frère de l’un à la sœur de l’autre et s’en tenir là pour joindre leurs biens et vivre ensemble ? Certes, c’était maintenant trop tard car la haine était trop ancrée. Cela rappelait à Alban un conflit auquel il avait assisté lorsqu’il était adolescent. Deux jeunes hommes amoureux de la même femme. Insultes, bagarres dans la rue, mauvais tours, dégradations… Finalement la jeune demoiselle avait fini par choisir un troisième parti et avait abandonné le bec dans l’eau les deux idiots qui n’avaient cessés de se quereller plutôt que de s’occuper d’elle.
Un chien qui devait avoir pris peur, passa en courant entre les jambes de Mangefeuille puis d’Alban les faisant trébucher tous deux. Le forgeron recula d’un pas pour retrouver son équilibre et marcha violement sur le pied de l’homme dont la ceinture était équipée d’une épée.

« Oh, excusez-moi »

Mais la mine patibulaire de l’inconnu ne s’était pas éclairée de cet incident involontaire.

Mon compagnon tente de creuser la question en posant quelques questions à l’ancien paysan, mais il abandonne très vite en voyant l’état d’esprit de son interlocuteur. Finalement, je décide de faire comme le chien et de partir d’ici en indiquant simplement à Mangefeuille :

Soyez présent cette après-midi sur la place du village, je rendrais ma décision.

Sans rien ajouter, je quitte les lieux, faisant signe à Alban de me suivre s’il le souhaite et je me rends au bâtiment de la Milice où je dis simplement au garde présent dans l’édifice :

Prévenez le sergent André que je rends ma décision un peu avant la prière de l’après-midi, devant l’église.

Voilà, les dés sont à présent jetés et je vais jusqu’au puits, pour être à l’abri des oreilles indiscrètes, attendant que le forgeron me rejoigne, me reposant sur la maçonnerie, puis une fois qu’il est arrivé à ma hauteur, je lui dis :

Pour moi, il s’agit d’une affaire relativement simple et la Milice aurait pu le régler en quelques secondes. Et vous, quel est votre avis ?

J’aimerais bien savoir ce que l’artisan en pense, en tant que représentant du petit peuple, il sait comment fonctionne les gueux. Je peux voir aussi du coin de l’œil, Tuemouche avec sa femme et ses enfants sortir de chez eux, du moins de ce qui est actuellement le lieu où ils vivent. Ils me font tous de grands signes en souriant comme si la décision était déjà prise en leur faveur, mais je peux voir dans leurs regards, une grande appréhension.

Presque en même temps, c’est Mangefeuille avec son frère, toujours taciturne, qui arrivent, l'ainé ne semble pas allé bien, il est clairement au bout du rouleau. Il a même l’air désespéré et un homme comme lui est prêt à tout, ce qui le rend d’autant plus dangereux. Alors que je me demande comment pouvait être physiquement sa sœur, je vois une très belle jeune femme arrivée, des yeux couleurs du ciel, des cheveux noirs comme la nuit flottant librement au vent, quelques bijoux pour mettre en valeur la finesse de ses traits, je comprends comment ils ont pu survivre à Marbrume.



Je ne suis pas le seul à l’avoir remarqué, car la plupart des paysans n’arrivent pas à la quitter des yeux et il faut toute l’attention de leurs femmes, c’est-à-dire de nombreux coups de pied dans les tibias, pour les ramener à leurs problèmes actuels. En tout cas, je comprends pourquoi la Milice nous a demandé de venir, cette jeune fille est un véritable danger ambulant, capable de mettre en ébullition tout un village, rien qu’en pleurant !

Desmond reprit la parole, ce qui permit à Alban de s’échapper rapidement en le suivant. Tous deux se dirigent vers la caserne où Desmond annonça qu’il prendrait sa décision dans la journée. Intelligemment il prévint que le jugement serait rendu sur la place principale du village, devant le temple. Le forgeron suivit le chevalier de Rochemont jusqu’au puit.

« Simple monseigneur ?
Je dois l’avouer, pas pour moi… mais je connais assez peu les lois et je n’ai habituellement jamais à prendre de décisions qui impactent la vie d’autres personnes que moi. »

Tout en réfléchissant intensément à tous les éléments qu'ils avaient obtenu, le forgeron plongea les yeux vers le fond du puit en tentant d’y distinguer l’eau qui clapotait au fonds.

« Je dirais que la maison appartient à celui qui l’a construite. Vous avez vu ses mains ? On voit que c’est un travailleur acharné. Il a tout perdu à cause de la Fange… S’il veut pouvoir fonder une famille, il ne peut pas repartir de zéro, c’est donc à lui que l’on doit laisser la propriété. Même s’il devrait compenser Tuemouche. D’ailleurs c’est la faute de la milice qui a attribué la maison sans chercher à contacter Mangefeuille. A l’époque ils avaient besoin de nouveaux habitants mais… Oui c’est à Mangefeuille que doit revenir la maison, je pense. »

En relevant la tête, Alban pouvait contempler la joyeuse petite famille Tuemouche, qu’allaient ils devenir ? Il faudrait qu’ils trouvent un nouveau logement, ce qui ne serait pas aisé surtout avec autant de bouches à nourrir… Et le voyage était dangereux jusqu’à Marbrume, ils prendraient donc un risque.
De l’autre côté, c’était le second paysan qui arrivait. Il était accompagné de son frère qui était aussi sombre que le fonds d’un sac. Quant à sa sœur… oh sa sœur était Anür incarnée ! Une véritable déesse. D'une main gracieuse, elle déplaça une mèche de ses cheveux derrière son oreille pour dégager son visage. Elle avait une jolie peau pâle comme la lune et une chevelure couleur de nuit d’hiver orageuse s’étalait sur ses fines épaules. Ses yeux ourlés de cils délicats abritaient deux joyaux bleutés. Lorsqu’elle clignait des yeux, le monde semblait clignoter un instant et disparaissait. Elle flottait délicatement en se déplaçant comme portée par les flots. Parmi les saleriens tout le monde s’écartait et admirait tant de beauté.

« Je… On peut laisser la maison à Tuemouche! Je peux loger la famille Mangefeuille chez moi, à Marbrume, j’ai la place.
Ce serait mieux, vous comprenez monseigneur… les enfants… on ne peut pas leur faire ça ! Les déménager de force, toute une famille… On ne peut pas être aussi cruel avec eux. »

Le forgeron implorait des yeux Desmond. Certes il avait peu de chance de réussir à le convaincre ainsi mais il avait perdu toute pensée cohérente. Pourquoi était-il à Salers d’ailleurs ? Échanger ses épées contre du fer ? Pas du tout, son objectif était de partir avec cette merveille et de ne surtout pas la laisser s’installer ici au bout du monde où il aurait peu de chance de la revoir.

Je voulais avoir l’avis d’une personne du peuple et on peut dire que je l’ai eu, très sensible aux besoins des autres, essayant de satisfaire tout le monde et bien sûr en y impliquant des sentiments. Toutefois, en voyant la jeune femme, il change d’avis et est prêt à tous les héberger chez lui ! Il doit sûrement s’imaginer se marier et avoir des enfants avec elle, alors que c’est une prostituée, je le vois bien essayer de m’attendrir avec son petit air de gars désespéré et je réponds gentiment à sa supplique muette :

Tout le monde ici semble oublier un point important et je vais m’empresser de le leur rappeler.

Joignant le geste à la parole, je monte sur une charrette et les gens du village concerné se rapprochent de moi. Je vois beaucoup de monde, signe que les distractions ici sont rares et une fois que tous les habitants, y compris la famille Mangefeuille dont la sœur n’arrête pas de me sourire et me fait même un clin d’œil. Je reste bien sûr de marbre, à Marbrume j’ai été confronté à nombre de joli minois qui ne désirais qu’une seule chose, me vider ma bourse et je suis donc blindé contre ce genre de manipulation. Je prends la parole d'une voix forte pour tous ici m'entendent :

Je suis Desmond de Rochemont et le sergent André m’a confié la tâche de départager Mangefeuille et Tuemouche. J’ai entendu les arguments des deux parties et je vais maintenant rendre ma décision.

Je laisse passer quelques secondes, pour que toute la populace soit bien attentive et j’enchaîne :

Tout d’abord une petite question, est-ce que vous savez à qui appartient le village ?

Je vois les gens rassemblés autour de moi se regarder avec incompréhension et je lève les yeux au ciel devant tant de bêtise, j’ai vraiment envie de les insulter, mais je me retiens et leur dit simplement :

Ils appartiennent au Roi ! C’est lui qui vous permet d’y vivre ! C’est ce dernier qui par décret royal vous à confié à chacun une bâtisse à condition que vous veniez coloniser ses terres. Le paysan Tuemouche est donc dans son bon droit et gardera sa maison. Pour Mangefeuille, il aurait pu la récupérer s’il avait été aussi courageux que vous. Il vient une fois que vous avez fait tout le travail et maintenant, il veut récupérer le fruit de vos labeurs, est-ce que vous trouvez cela juste ?

Je vois les gens jetés des regards en coin aux intrus et je vois que si je n’interviens pas immédiatement, ils risquent d’être lynché, c’est pourquoi je lève les mains pour capter à nouveau leur attention et je conclus :

À Usson, une ferme manque de main-d’œuvre, je vais donc les emmener là-bas et ils y travailleront. Ainsi, ils pourront à nouveau vivre au Labret, mais ils devront le mériter.

Je vois de nombreux habitants hocher la tête pour manifester leur accord et la tension redescend d’un seul coup. Je n’ai plus qu’à descendre de la charrette et aller parler aux deux parties et bien sûr, je demande à Alban :

Alors, est-ce que j’ai eu raison ?

Alban était sceptique concernant le point décisif que Desmond mentionnait. A côté de quoi était-il passé ? Le noble prit place sur une charrette pour s’exprimer. Le silence se fit parmi la petite foule venue pour l’écouter annoncer la grande décision. Desmond prend le temps de se présenter et d’expliquer la situation. Pourtant son discours commence par une simple question « à qui appartient ce village » ? Des murmures s’élèvent dans la foule où chacun propose sa réponse à son voisin ou exprime sa surprise en se regardant avec incompréhension.
Et puis la réponse s’abattit avec fracas : au roi. Bien entendu c’était au roi qu’appartenait ces terres. Cependant pour le petit peuple c’était une figure tellement lointaine. Presque plus que la Trinité. Après tout on communiquait quotidiennement avec les Trois, on pouvait leur demander des faveurs, déposer une offrande et obtenir de l’aide des prêtres du temple en leur nom. Tandis que le roi… Peu étaient ceux qui avaient eu la chance de pouvoir poser leurs yeux sur lui, il appartenait à un autre monde totalement inconnu et à peine imaginable. Tout comme le mot décret. Alban connaissait son lien avec le droit et la justice, néanmoins il aurait eu bien du mal à définir réellement ce mot et ce qu’il signifiait réellement. C’était simplement un bout de papier sur lequel était inscrit à l’encre des signes incompréhensibles et illisibles. Et cette suite de signes avait une importance pour la vie concrète des gens jusque dans des villages reculés.
Cependant Alban avait finalement choisi la bonne solution au mystère, il fallait donc bien laisser la maison à Tuemouche et essayer de reloger les Mangefeuille autre part. Desmond en profitait pour convaincre la population, leur rappelant que leurs maisons étaient le fruit de leurs efforts pour la reconquête du Labret et qu’ils méritaient donc leurs biens. Toutefois cela entraîne une vague de mépris à l’égard des trois intrus qui espéraient récupérer la maison. Heureusement le chevalier sauve à nouveau la situation en indiquant qu’il a déjà réfléchit à une solution viable pour les trois personnes. Alban soupira de soulagement et un sourire se dessina sur ses lèvres. Desmond était un orateur né, en plus d’être un combattant hors pair.

« Vous avez été formidable monseigneur, c’était parfait ! »

Un coup d’œil vers le sergent André confirma que celui-ci aussi était soulagé d’en avoir terminé avec cette histoire. Et cela signifiait une chose très importante : la taverne leur était désormais ouverte et ils pourraient fêter cette victoire autour d’une bonne pinte d’alcool ! Peut-être même à la table de la belle femme qu’ils devraient raccompagner à Usson ?

« Qu’avez-vous prévu pour les prochaines heures ?
Puis-je aller négocier mon chargement ? Souhaitez-vous aller vous reposer à l’auberge et partir dès demain ? »