Marbrume


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 Euryale Montecler de Malefreux[Validée]

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MessageSujet: Euryale Montecler de Malefreux[Validée]   Euryale Montecler de Malefreux[Validée] EmptyDim 5 Juin 2022 - 16:06



Euryale,
J’ai tendance à croire que l’impossible n’est pas une fatalité, mais un défi.


Identité



Nom : Montecler de Malefreux

Prénom : Euryale, Calliste

Age : 31 ans

Sexe : Féminin

Situation : Veuve

Rang : [Baronnie] Cette vieille Maison native du Duché possédait une importante scierie sur la côte est, aujourd’hui envahie par les Fangeux.

Armoiries :
Euryale Montecler de Malefreux[Validée] 6s7XNb-marbrume-fiche-euryale-armoiries
Héraldique : D'or, à l'épée haute d'azur accostée de deux corbeaux affrontés de sable.
Devise : A qui est dépouillé, il reste les armes.

Lieu de vie : Ouest de l’Esplanade - Hôtel de la Maison Malefreux. Euryale y réside désormais seule, son père Sance Montecler de Malefreux et sa mère Sibylle de Rocvieil ayant perdu la vie dans une vaine tentative d’échapper aux Fangeux avec leurs gens.

Carrière envisagée & tableau de départ avec les 4 PCs :
(voir topic Système Rp & Xp - Carrières)
CHA +1 | INT +2 | HAB +1

Compétences et objets choisis :
(voir topic Système Rp & Xp - Compétences)

Compétences :

- Alphabétisation - Niveau 1
- Anticipation – Niveau 1
- Musique (Guiterne) - Niveau 1
- Sang-froid - Niveau 1
- Sens du détail - Niveau 1

Objets :

- Une épée, ayant appartenu à son père, et qui demeure pour l'instant au domicile;
- Un poignard, qui est un présent de feu son époux lorsqu’ils vivaient au sein du Duché d’Hendoire, à Allange.


Apparence


Avec ses airs de poupée de porcelaine, Euryale laisse souvent dans son sillage la vision d’une femme à la beauté éthérée, fragile, vulnérable. Que dément alors l’éclat acéré de ses prunelles d’un gris d’opale chamarrées d’éclats d’obsidienne. Ses cheveux de jais, aux ondulations serpentines, indomptées, s’ils ne sont étroitement maîtrisés par une coiffure aussi artistique que rigide, forment un buisson informe autour de son visage et retombent sur des épaules étroites, ainsi que les mains griffues de quelque entité invisible la soutenant. La femme est plutôt grande, mince, et son corps est souvent incarcéré dans des robes à l’étoffe ténébreuse, aux effluves endeuillés, au col haut, et dont les coupes travaillées annihilent toute œillade impertinente de la part de la gent masculine, et masquent son allure qu’elle a gracieuse et digne.


Personnalité


Euryale est telle la houle permanente au sein de laquelle deux courants contraires triomphent et battent en retraite tour à tour. Un combat que renvoie son regard dont la teinte cendrée emprunte, selon ses humeurs, toute la palette des gris, de l'obsidienne tempétueuse à l'acier froid, en passant par l’opale troublante. Elle s'enlise, parfois, dans les méandres de ses humeurs, utile échappatoire pour s'empêcher de réfléchir sur elle-même et sur ses propres sentiments. Car elle redoute et craint ces heures lugubres, tout en les sachant tôt ou tard nécessaires. Elle manque de tendresse, souvent, faute de savoir l'exprimer et d'avoir eu l'entourage adéquat pour lui apprendre, et quand elle en fait montre, cette douceur et cette cordialité semblent n'être qu'une façade: il faut savoir déchiffrer ses silences, les ondoiements de ses pupilles, les subtilités de son langage, les prosodies de sa voix, pour vraiment la comprendre. Sinon l'appréhender. Elle sait être ferme, et d'une force de caractère peu commune quand les circonstances se présentent. Cependant, une certaine lâcheté affleure quand il s'agit de choses plus personnelles et de fait, Euryale aura tendance à s'isoler, faute d'avoir su comment s'exprimer, et s'ouvrir à ceux qui auraient pu l'écouter.

De l'extérieur, rien ne paraît de tout cela: le visage encadré d'une chevelure charbonneuse, aux vagues impertinentes rudement maîtrisées, elle a l'abord neutre, bienveillant, tel un rempart d'amabilités circonstancielles, ponctuelles. Elle ne se lie pas, ou peu, demeurant modérée, prudente, dans ses élans, et empruntant un masque des plus convenable. Avec de la patience, et un réel intérêt, quelques personnes sauront contourner cet orgueil qui lui colle à la peau et qui lui fait refuser de lâcher la bride à ses fêlures et ses faiblesses. D'autres ne se contenteront que des apparences qu'elle paraphe et que peu remettront en doute, de surcroît. Pour d'autres encore, elle paraîtra solide, brillante, aussi troublante que froide.


Son Histoire en quelques Dates


Euryale Montecler de Malefreux[Validée] SN6XNb-marbrume-fiche-euryale-ch1

CHAPITRE UN
La Proposition


Ambiance musicale

Marbrume.
L’Esplanade - Hôtel de la Maison Malefreux.
An 1152 - Un lointain automne, douze ans avant les événements de la Fange.
Euryale a dix-neuf ans.

Une pluie fine, empressée, martelait les terres du Duché depuis les balbutiements de l'Aube. Inlassable et entêtante musique dont les notes s'écrasaient, mutines, sur les vitres des hautes fenêtres à ogive du vaste bureau du Maître des lieux. Le large âtre de l'imposante cheminée dispensait sa chaleur bienveillante, offrant en écho aux éléments aqueux qui menaçaient la campagne un cantique de défis crépitants et sifflants. En cette heure de fin d'après-midi, le baron Sance Montecler de Malefreux lisait à voix haute une lettre, pour les seules oreilles de son unique enfant: Euryale. Il était question d'une demande en mariage formulée par un proche ami de cette vieille et noble famille; proche qui, cinq ans plus tôt, avait participé à une expédition visant à explorer les terres septentrionales du Royaume de Langres. Et plus particulièrement le Duché d’Hendoire.

Ladite promise, demeurée debout face à l'une des baies vitrées, mains croisées devant elle, écoutait patiemment. Sa conscience en alerte agrippait chaque mot lâché par son père; analysait chaque inflexion de sa voix grave; décortiquait chaque fluctuation et soupir. Son regard pâle scrutait le paysage moutonné d'écumes brumeuses que l'approche du crépuscule extirpait de la terre, tels des souffles rejetés par quelque fée, korrigan et autres créatures sylvestres. La Forêt et son marécage n'étaient qu'à quelques lieues, après tout. Un bref battement de cils. La jeune noble esquissa un rictus en coin, imaginant l'expression choquée fardant le visage sévère de sa mère si cette dernière avait été capable de lire ces pensées impies. Son esprit se détacha de ces envolées oniriques, de ces scènes fantastiques et blasphématoires qu'elle se plaisait à inventer dans le secret de ses réflexions méditatives, pour se raccrocher derechef au fil tangible que laissait sur son âpre sillage la voix de son père. Car ce dernier poursuivait sa lecture, avec un sérieux inébranlable.

- … 3000 écus pour l'achat de parures, d'étoffes, de parfums ou pour toute autre dépense que votre fille jugera nécessaire avant son départ, ainsi qu'un fond d'héritage de 15000 écus assuré après le mariage. déchiffrait-il par-delà les verres de sa monture qu'il tenait d'une main au derme rugueux, le front penché sillonné de plis concentrés. Si après son départ pour le Duché d’Hendoire, un épisode regrettable empêchait le mariage, elle retournerait auprès de vous, ses chers parents, mes amis, avec l'intégralité des présents déjà reçus ainsi qu'une somme de 9000 écus pour les désagréments, souffrances et fatigues d'un si long périple. Après les noces, en cas d'un malheur que je n'oserais imaginer, je m'engage à ce que deux servantes et un laquai lui soient aussi assurés, ainsi que la moitié des biens acquis durant le mariage. Votre fille ne sera en aucun cas responsable des dettes de son époux, et aura la garde des éventuels enfants dont les besoins seront pourvus.

Un raclement de gorge. L'homme se tut, ses pouces calleux effleurant le vélin froissé, rudoyé par la longue traversée qu'il avait subie malgré la protection de cuir de la custode. Euryale détacha son attention hypnotisée par les cordelières de pluie pour observer son géniteur du coin de l’œil. Elle n'attendit pas qu'il l'invite à s'exprimer, et s'engagea à livrer son ressenti. Sa voix lente, au timbre chaud et éraflé, retentit dans le silence pesant de la pièce.

- Au contenu de cette lettre, j'entends que Monsieur de Beaumont cherche à s'attirer les inclinations obligeantes d'une femme de qualité dans un pays encore fortement inhospitalier. Elle éleva une main fine et gracieuse, appuyant son propos. En sont la preuve, toutes ces garanties qu'il soumet et valide avant même que ne soit scellé un contrat de mariage.
- Est-ce là votre seul commentaire, mon enfant?
s'étonna Sance avec une certaine sécheresse glaciale dans le ton, qui se manifestait lorsque l'inquiétude taraudait son sang.
- Si cette lettre avait été rédigée par la main d'un inconnu cherchant à attirer l'attention de notre Maison sur lui, j'aurais pu croire qu'à la place de chercher une honorable épouse, il revendiquait la meilleure jument à monter.
- Euryale...
murmura le Maître des lieux, le prénom de sa fille roulant sur sa langue comme un tonnerre lointain.

Un frisson le long de son échine. Euryale détourna le regard, ses lèvres fermées en une esquisse butée, ses iris pâles louchant sur les gouttes d'eau qui larmoyaient sur le carreau cerclé de plomb. Qu'aurait-elle pu ajouter qui n'aurait été que palabres inutiles et mensonges au goût de fiel dans sa bouche? Sance de Malefreux, tout aussi pétri et engoncé qu'il pouvait l'être dans son rôle de père, n'oserait la soumettre à sa volonté, bien qu'une expression satisfaite, saupoudrée d'orgueil, brouilla les traits anguleux, rugueux, de son faciès anobli des caresses cruelles du Temps. Il était de ces blessures du passé qui changeaient le caractère buté d'un homme; ainsi que sa vision primitive du rôle de la femme, et de l'autorité patriarcale sur elle. La jeune noble passa la langue sur ses lèvres à la pulpe gourmande, d'un rose délicat.

- Je vous serai toujours reconnaissante, père, de ne m'avoir jamais forcé la main en m'imposant un mariage dont je n'aurais guère voulu. Et je sais ô combien vous avez pris sur vous, d'éloigner certaines opportunités qui auraient pu servir vos propres intérêts. Dans le seul but de m'épargner. De me protéger.

Euryale inspira, croisant et décroisant les doigts contre le tissu de brocard de sa robe aux diaprures ténébreuses. En cet instant, engoncée dans la coupe étroite de cette robe à l'aspect endeuillé, le front laiteux auréolé de la masse noire d'une coiffure au dessin strict, elle ressemblait à un fantôme extirpé de quelque corridor déserté de la vieille demeure. Au-delà de cette apparence marmoréenne, son sang bouillait, se ruait, vibrait en ses veines d'un chant inédit. Au fond de son cœur, elle pressentait que le moment était venu pour elle de déployer ses ailes et s'envoler. De déchirer cette toile de solitude qu'elle avait patiemment tissée autour d'elle depuis...

Ses mains se refermèrent sur elle, frictionnant ses bras en un lent va-et-vient. Qu'importait l'issue du voyage. Elle en ressentait le besoin, presque viscéral, de quitter les murs protecteurs du vieux château familial, de s'exonérer de la bienveillance de ses parents. Un ailleurs, elle ne savait lequel, l'attendait. Et les Terres nordiques d’Hendoire semblaient un compromis acceptable à son mal être.

- Cependant, il est temps pour votre fille de prendre ses responsabilités et d'embrasser cette opportunité offerte par notre ami et généreux bienfaiteur, Monsieur de Beaumont.
- Euryale, vous...
- Père, j'accepte.
- Vous n'êtes pas obligée de vous prononcer maintenant. Donnez-vous un temps de réflexion.
- Père, nul besoin de piétiner. J'accepte.
conclut-elle, un sourire étrange, grimé des teintes du non-dit obscurcissant sa délicate esquisse.

Dans un soupir résigné, Sance abandonna la lettre sur le plan de travail du secrétaire et quitta son fauteuil, pour rejoindre sa fille devant la baie vitrée. L'attitude mesurée, il pressa de sa poigne franche le proche coude en un geste d'entendement muet. L’œil glacé rivé sur l'horizon embué, Euryale ne s'émut d'aucune réaction.

Et la pluie, de poursuivre sa litanie de pleureuse inconsolable contre les carreaux sertis de plomb.


◈◈◈◈◈


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CHAPITRE DEUX
L'Attaque


Ambiance musicale

Royaume de Langres – Duché d’Hendoire.
Poste de traite au Nord de la Baie d’Allange.
An 1163 - Un an avant les événements de la Fange.
Euryale a vingt-huit ans.

- Ariste, ne vous éloignez pas trop, nous n’allons pas tarder à reprendre la route.
- Oui, mère!


Euryale esquissa un fin sourire, observant le garçonnet qui s’éloignait mi-trottinant mi-trébuchant au-delà du bivouac provisoire, ses bottes en peau croquant la neige avant de s'y enfoncer en un chuintement caractéristique. Frissonnant dans une longue expiration qui se heurta au froid ambiant pour prendre la forme d'un cône vaporeux, elle releva l’épais col fourré contre ses joues. Malgré la température qui n’avait cessé de décroître depuis leur départ du fort d’Allange, la dame de Malefreux était ravie de cette échappée que son époux autorisait en de rares occasions hors les murs gris et monotones de l’enceinte. Elle appréciait cette liberté retrouvée, ainsi que la sérénité feutrée des lieux propre à la saison hivernale… qui était interminable, en cette région. Huit ans s’étaient écoulés depuis ce lointain matin pluvieux où, sur les quais du port de Marbrume, elle avait reçu de ses parents une dernière bénédiction. Le sceau de leurs lèvres sur son front penché. Huit ans…

- Ton esprit n'est pas ici, fille aux Corbeaux. retentit une voix au timbre rauque par-dessus son épaule.

Extirpée de la danse nostalgique de ses pensées, Euryale détourna son regard des berges cotonneuses de la rivière pour le crocheter à celui de la vénérable nordique qui s’était approchée, sans bruit, et la considérait de ses yeux bruns, profonds, ourlés de rides et de la dentelle fatiguée de ses cils. Creidne, la vieille Sage, était l'une des rares représentantes de son peuple à apprécier sa compagnie. Depuis leur première rencontre, deux ans plus tôt, la vieille femme se plaisait à l'affubler de cette étiquette. Bien que le bruyant corvidé fut l'emblème des armoiries du domaine de Malefreux, était-elle aussi sombre et bavarde que ce volatile qui affolait les consciences les plus superstitieuses, par sa seule vision ténébreuse et ses croassements moqueurs? Une moue perplexe plissa ses lèvres. L’attitude réservée, elle lui répondit d’un hochement de tête courtois. Puis son regard d’orage s’échappa vers les contreforts discrets des tentes des nomades autochtones, en quête d'une silhouette familière.

Entre les structures de toiles bigarrées, Euryale entrevit la haute et mince stature de son époux qui, à grands renforts de gestes, conversait avec le chef d'un des villages reculé de ce peuple du nord. Ses larges mains gantées s’agitaient au rythme de ses paroles, traçant dans l’air des figures aussi élégantes qu'étranges à la manière de ces orateurs orientaux au verbe fort et au geste généreux. Le sujet de cet entretien à ciel ouvert visait à établir un contrat entre la Compagnie commerciale d’Allange et les bourgs septentrionaux. Depuis que Josse de Beaumont avait mis de côté son rôle de chevalier sédentaire pour intégrer les rangs de cette riche guilde marchande du Duché d’Hendoire, il s’était vu confier la mission de traiter directement avec les chefs les plus frileux du territoire. Le Duc lui avait donné un permis et les moyens financiers nécessaires pour s’en acquitter. Escorté d’hommes armés et d’un éclaireur du cru, l’ancien chevalier prenait à cœur les missions qui lui étaient confiées, parcourant sans relâche les vastes étendues de ces terres sauvages afin d'échanger des produits du Royaume de Langres contre les fourrures les plus prisées.

Soudain, claquant dans l’atmosphère telle une mise en garde lugubre, un hurlement retentit. Quelque part, au-dessus des ramées dénudées alourdies de neige, une envolée affolée d’oiseaux barbouilla la toile morose du ciel. Le campement entier cessa toute activité autour du Chef nordique et du négociateur d’Allange. Josse de Beaumont pivota sur ses talons, la contrariété froissant son front penché zébré d'une mèche blonde échappée de sa coiffe en castor. A l’instar de ses hommes, il marcha vers sa monture pour y décrocher une longue et large épée fixée à la selle.

Abrupte, comme échappée de nulle part, la rumeur d’une cavalcade trancha le silence pesant. Un cri aigu – un cri d’enfant – succéda à ce brouhaha inapproprié qu’un second hurlement occulta. Ses échos ricochèrent autour du poste de traite, déchirant davantage la toile sereine du paysage hivernal. Le cœur d’Euryale se comprima avec virulence entre les barreaux de sa cage thoracique tandis qu’elle pivotait en direction des lisières de la proche rivière, le regard angoissé fouillant ses abords gelés.

- Ariste! appela-t-elle, tirant un long poignard au clair pour entamer une foulée maladroite à travers l’épais manteau de neige fraîche qui drapait la terre. Ariste, ARISTE!

Derrière elle, la confusion. Une dizaine de cavaliers fit irruption à l’entrée du campement, escortant leur assaut de hurlements discordants, leurs épées et leurs haches fouettant l’air de leurs tranchants létaux. Autochtones et gens d’Allange ripostèrent, les uns offrant la danse efficace du sifflement assuré de leurs arcs en soutien aux lames des autres. Des appels impérieux, des cris de douleur, des injures se mêlaient aux hennissements paniqués des chevaux, aux grondements sauvages dans un combat que seuls l’appât du gain, la soif de profit, avaient provoqué. Touché au flanc par un traître coup de dague, Josse de Beaumont poursuivait le combat, la rage au ventre et le sang bouillonnant d’une colère aveugle; car il l'avait compris, ils avaient affaire à des contrebandiers. Et en son for intérieur, il n'était pas question de céder le moindre ballot de peaux à ces hors-la-loi.

La Quatoria, dans Sa grande clémence, entendit-Elle ses prières ou la débandade soudaine des bandits ne fut-elle la conséquence que de leur inexpérience? Car leur nombre fortement réduit à un trio de lâches individus s’égaillait dans les bois, poursuivis par les guerriers nordiques. Quoi qu’il en soit, le souffle court, le chevalier se satisfit de cette humble victoire. La main pressée contre son flanc meurtri, la démarche malaisée, la souffrance crispant son faciès, il entreprit de faire le tour du campement afin de juger de l'état de ses hommes et de leurs complices nordiques... avant qu'un lugubre pressentiment ne lui fasse appréhender l'absence de son épouse et de leur fils.

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Les poumons en feu, le cœur battant à tout rompre, Euryale aperçut l'homme isolé qui semblait rebrousser chemin pour rejoindre ses acolytes dont la brise renvoyait, par à-coups, l'écho de leurs cris belliqueux. Elle força l'allure. Son souffle expiré par sa bouche sous l'effort attira l'attention du contrebandier qui se tourna vivement dans sa direction. Un bref étonnement anima sa face rougeaude d'un haussement de sourcils broussailleux avant qu'un rictus malsain n'étire sa bouche charnue et barbue. Il n'eut pas l'air d'hésiter lorsque cette créature, surgie de nulle part, brandit son poignard, le menaçant de sa lame fébrile dirigée vers lui.

- Ariste! ARISTE! appela-t-elle derechef, l’œil virant de tous côtés pour tenter d'apercevoir l'enfant.
- C'ton chiard qu'tu cherches, ma belle? J'crois bien qu'i' fait un 'tit somme.
- Où est-il?
cria-t-elle, s'impatientant, fusillant l'homme de ses prunelles glacées, malgré la peur évidente qui lacérait son estomac.

L'angoisse corsetait son cœur. Ce cœur qui saccadait à ses tempes; pulsait contre ses cordes vocales. L'homme approchait, un sourire tout en dents, carnassier. Bras écartés, genoux à peine fléchis, il avait l'air d'une bête ramassée sur ses pattes et s'apprêtant à bondir. Menton levé dans une attitude de défi, Euryale le menaçait toujours, agitant le poignard vers lui.

Et tout alla très vite. Tel un taureau écumant, il se rua vers la femme qu'il désarma avec une assurance aussi impatiente qu'acharnée. Le poignard sauta des verrous vulnérables de ses doigts crispés, dont l'envol accrocha des escarbilles métalliques sous les lances timides, voilées, de l'astre solaire. La paluche du bandit s'éleva alors pour assener à l'audacieuse une gifle retentissante qui la désorienta et lui fit mettre un genou à terre. A peine le temps de reprendre ses esprits qu'Euryale se sentit soulever puis basculer sur le ventre tandis que son bourreau, bestial et entreprenant, soufflait une forte haleine alcoolisée au creux de son cou et de son oreille. Ahanant, il tentait de remonter ses jupes avec l'empressement d'un affamé. La jeune femme se débattit, se déhanchant dans tous les sens, secouant les poings et les pieds pour déséquilibrer son redoutable adversaire qui l'écrasait de tout son poids; mais à chaque embardée vigoureuse qu'elle exécutait pour le déstabiliser dans ses tentatives éloquentes de nuire à sa pudeur, son prédateur empoignait son épais chignon sur lequel il exerçait une traction virulente avant de repousser son visage, l'écrasant dans la neige.

- Pourquoi qu't'cries pas?! J'veux t'entend'crier, sal'chienne!

Yeux clos, respirant fortement entre ses mâchoires contractées, Euryale n'en fit rien, continuant de se débattre en silence. Agacé, frustré dans ses élans de débauché, l'homme la fit chavirer sur le dos, tout en la dépouillant de l'épais manteau de fourrure qui la protégeait du froid. S'ensuivit un jeu de mains et de poings violent. D'une secousse rude, il mit fin à cet échange et bloqua d'une main ses poignets au-dessus de sa tête, tandis que l'autre poursuivait ses errances contrariées et tentait de retrousser derechef ses jupes, toujours en quête de cette intimité qu'il ne pouvait atteindre tant sa victime se tordait en tous sens. Excédé, il jura et la frappa encore, lui explosant les lèvres qui se colorèrent d'un filet vermillon. L'attaque désarçonna la jeune femme qui, sous le choc et l'aiguillon de la douleur, s'amollit sous le corps du contrebandier. Profitant de cette accalmie, il se vautra alors sur elle dans un rire gras et satisfait, écrasant sa bouche sur la sienne, dents contre dents, goûtant ce sang qui perlait ses lippes avec une fébrilité maladive.

Et alors que ses babines au poil dru malmenaient toujours sa proie, que le forcené insatiable dénouait son ceinturon, qu'il déboutonnait ses chausses pour délivrer sa virilité, ce dernier se figea dans un spasme foudroyant. Ses paupières chassieuses s'écarquillèrent sous l'impulsion d'un affolement soudain, décalé, et ses yeux rencontrèrent les mires étoilées d'argent de sa victime. Un hoquet de souffrance souleva son buste, libérant ainsi la jeune femme de ce baiser souillé, au goût de fer. Au goût de cendres. La fixant, l'air incrédule, il crocheta sa senestre à l'endroit où cognait son cœur soudain pris d'arythmie. Le faciès crispé s'émaciant d'une teinte grisâtre, sclérosée, le contrebandier ne la lâchait pas de son regard terrifié. Une autre convulsion l'ébranla. Enfin, un borborygme incompréhensible retentit, figé sur la note d'un râle qui ne franchirait pas la barrière de ses lèvres entrouvertes.

Un dernier spasme. Un dernier souffle.

Son corps s'affaissa et glissa sur le côté, libérant une Euryale désorientée, le visage tuméfié et barbouillé de sang. Une Euryale au regard épouvanté, hanté par les vestiges d'une autre scène, lointaine, se jouant sur l'estrade de souvenirs inhumés, piétinant sa mémoire en cet instant malmenée. Les mèches charbonneuses, hirsutes, de son chignon défait dévorant son visage blafard en stries désordonnées, elle fit face à ces ombres voraces... surgies du passé. Se reprenant, elle déglutit, la respiration saccadée. Puis dans un sursaut guidé par un sentiment d'urgence, elle s'écarta du cadavre, s'éloignant à quatre pattes, trébuchant, rampant.

C'est alors qu'elle aperçut, dans son échappée, la silhouette de Creidne qui, arc en main pointé vers elle, la dévisageait, des lueurs de colère, d'appréhension… et d’une profonde tristesse, harcelant la surface miroitante, sans âge, de ses iris bistre. Euryale se figea, ainsi étendue dans la neige, à quelques pas d'elle. Le Temps sembla se suspendre entre les deux femmes. La noble redouta ce regard. Les secondes défilèrent, semblant une éternité. Puis, comme s'extirpant d'une pensée parasite, la vieille nordique abaissa son arme, se détourna et fixa un autre point au-delà des contreforts puants du moribond.

- Ton fils. souffla cette dernière, une expression fermée brouillant son teint fripé.

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Josse de Beaumont en était là de ses réflexions inquiètes lorsqu’un chapelet de hurlements à glacer les sangs le statufia dans ses atermoiements, tout comme son entourage se figea. L'on aurait dit qu'un redoutable sortilège les avait changés en statues de sel.

La réalité de l’instant le rattrapa et l’horreur d’une vision cruelle s’imposa sous le front pâle de Josse qui s’engagea dans la direction empruntée par son épouse. Il suivit le sillon que ses bottes avaient laissé dans la neige et qu’une météorologie encore clémente n’avait pas effacé. Bientôt apparut dans son champ de vision la forme agenouillée d’Euryale dont le corps tanguait au-dessus de celui de leur fils.

- Non… souffla Josse, tout en se précipitant vers son épouse pour se laisser choir à son côté, l’œil rivé, brouillé par des luisances humides, sur le petit garçon au visage éteint, aux paupières fermées. Non… pas ça, Anür… pas lui…

Une fleur écarlate s’épanouissait sur sa poitrine, ses pétales couvrant son pourpoint autour de la région du cœur. Un cœur qui ne battrait plus. Prostrée, son faciès de porcelaine moiré de sang et lacéré de larmes silencieuses, Euryale le berçait, sa main libérée de son gant s’incarcérant dans les noires boucles de la délicate toison de l’enfant. Blessé dans sa chair et dans son âme, brisé de douleur, l’homme hoqueta un violent sanglot. Puis il entoura ces deux êtres qu’il chérissait plus que tout au monde contre lui. Combien de temps restèrent-ils ainsi, à veiller sur ce petit ange…?

Le Crépuscule grignotait la Sylve lorsqu’ils durent s’ébrouer de leur veille funèbre et penser à retourner à Allange.


◈◈◈◈◈


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CHAPITRE TROIS
La Tempête


Ambiance musicale

Le Firmament.
Quelque part, sur l'Océan.
En ce fameux 13 septembre de l’an 1166.

- Euryale... EURYALE! Réveillez-vous, par la Quatoria!

Le lit s’ébroua rudement sur ses fixations, son sommier protestant sous la brutale pression. Dans un tressaillement amorphe, Euryale sortit de sa profonde léthargie pour découvrir le chaos qui régnait au sein des quartiers qu'elle occupait avec son époux. Quelqu'un la secouait. Elle grimaça, paupières battantes, et porta sa dextre à son front douloureux; sous ses doigts sentit-elle la boursouflure sensible dilatant son derme. Elle leva ses prunelles aux pupilles encore dilatées par le choc pour découvrir la silhouette floutée, penchée au-dessus d'elle. Josse la tenait fermement aux épaules. Une lueur inquiète brouillait les eaux céruléennes de ses iris braqués sur elle.

- Qu...!? Que s'est-il... passé!? ânonna-t-elle, la bouche pâteuse.

La migraine susurrait à ses tempes de désagréables promesses, et la nausée révulsait son estomac. Elle ferma les yeux, tanguant au rythme endiablé du… Firmament en perdition. Un frisson glacial ondula le long de sa colonne vertébrale. Un éclair de compréhension lacéra sa conscience amollie. Elle se rappela. La Fange. L'Empyrée enténébré. La fuite. Le Vent indomptable. L'Océan grondant. Les Vagues furieuses. Une main chaude, ferme, s'affirma contre sa nuque, la soutenant et la forçant à préserver son équilibre; la ramenant à la réalité de l'instant.

- Je vous ai trouvée allongée sur le sol. Vous avez sans doute perdu l'équilibre... et vous cogner la tête! expliqua-t-il tout haut, afin de couvrir la cacophonie des éléments déchaînés qui vrombissaient autour d'eux. Levez-vous, Euryale, nous ne pouvons pas rester ici! L'eau monte!

D’une violente embardée du navire, les fixations du lit se rompirent. La couche aux draps défaits s'arracha de ses supports et bascula. Tous deux furent projetés sur le sol détrempé. Sous le heurt abrupt, la femme en éructa une plainte rauque qui déchira ses cordes vocales déjà égratignées. Chaque muscle, chaque tendon, la faisaient souffrir. Elle avait l’impression d’avoir été piétinée par un troupeau de chevaux affolés. Encouragée par la voix de Josse qui repoussait l'armature du lit à grands coups de pied rageurs, Euryale fit l'effort de se redresser, toute empêtrée dans les plis épais, alourdis d'humidité salée, de sa robe. Enfin libérés, tous deux entamèrent un difficile exode vers la coursive qui déambulait vers le pont. Là, remarqua-t-elle que Josse boitait. Du sang s'enhardissait en tâches sombres sur le tissu de son pantalon. Mais ce dernier ne lui laissa guère le temps de s'en alarmer, tout occupé à l'entraîner sur son sillage et à les sortir de cet Enfer.

Escortée par les appels des marins qui s’activaient dans tous les sens, toute la structure du navire gémissait, craquait; à chaque plongée du Firmament en souffrance, des trombes d’eau s’engouffraient par les lèvres béantes qui balafraient un côté de la coque. Au-dessus de leur tête, une seconde trouée formait un cratère de planches désossées et filandreuses, leur rapportant d’autres clameurs où la colère et la détresse se mêlaient.

Crachant un juron inaudible, un passager à la démarche impatiente, nerveuse, bouscula Euryale sans ménagement, l'éloignant de l'aura protectrice de son époux; elle trébucha et tomba à genoux. Un autre homme empruntant le même passage se plaignit qu'elle bloqua le passage, vociféra, tenta de l'enjamber malgré les avertissements emportés de Josse. Fulgurant, un coup de poing partit, aussitôt suivi d'un crochet efficace qui envoya danser le malotru contre une des portes bordant l'étroit couloir. Dans sa volte, l'une des bottes du rustre écrabouilla la dextre d'Euryale. Elle gémit, croquant de ses dents la pulpe de sa lèvre inférieure, et se recroquevilla contre une caisse isolée, instable, dont la base frottait en un ballet erratique sur les lattes gonflées d’eau. Son prénom ronfla derechef entre les parois lambrissées de la coursive, une autre embardée furieuse du navire lui faisant écho.

En deux enjambées maladroites, Josse la rejoignit et, attrapant ses poignets, l'attira à lui. Une brève étreinte, quelques piètres secondes d'un tendre relâchement volé à cette scène de cauchemar; une brève étreinte pour lui insuffler le courage de poursuivre. Une ombre de sourire, grave, déformant ses traits, Euryale pressa les flancs de son époux, en un geste d'entendement muet. Un échange de regard et ils repartirent à l'assaut des éléments. La nuque lourdement ployée en avant, les épaules voûtées, elle évoluait tant bien que mal dans ce couloir instable. Sa main s'agrippait, crispée, à la taille de son époux. Ils parvinrent enfin à s’échapper du dortoir soumis à l’invasion écumeuse, et à s’échouer sur le pont pour découvrir l’affligeant spectacle qui s’offrait à leurs yeux écarquillés d’une stupeur morbide.

Dangereusement couchée sur son franc-bord, le Firmament avait l’air d’un animal blessé, acculé face à un prédateur invisible. La confusion régnait dans l’atmosphère nocturne, secouée par les gifles violentes d’un vent hargneux, insatiable. Les marins, sous le commandement de leur capitaine, s’évertuaient à maintenir le cap, malgré les fâcheuses avaries qui avaient gravement amoindri le navire.

Un soubresaut du pont démantela l’équilibre précaire du couple, et fut suivi du gémissement insoutenable de la carcasse hérissée de ses mâts abîmés fouettant l’air. Un appel électrisa son ouïe avant que sa puissante résonance ne soit noyée sous les vociférations tenaces de la furieuse tourmente. Avec une violence inouïe, Euryale se sentit soulevée, projetée, son estomac se révulsant sous l’impulsion. S’égosillant d’un cri terrifié, elle se sentit glisser vers le cœur du territoire aquatique. Ses mains frappèrent le bois dans son inexorable perte de terrain, ses doigts griffèrent les lattes infiltrées d'eau en quête d'un défaut, d'une saillie providentielle. Son corps, pantin dégingandé, percuta alors le bastingage dangereusement incliné et sur lequel elle roula, avant qu'un bras vigoureux ne la retienne. Sous son regard d'argent poli, les vagues bouillonnantes encerclaient le bâtiment, tels des loups se disputant une précieuse dépouille. Elle en eut le souffle coupé.

- Euryale! Le canot, là! cria Josse contre l'oreille de son épouse.

Sur ces entrefaites, Josse l'entraîna dans sa lente et laborieuse reptation vers le dérisoire îlot solitaire qui s'affolait au-dessus du maelström aqueux. Le vent les harcelait, les malmenait, vociférant sa hargne à leurs ouïes saturées de bruit. Les vagues les étreignaient, les étouffaient de leurs mains glacées et capricieuses, pour les repousser aussitôt, telles des amantes mécontentes. Les mâchoires serrées, Josse soufflait comme forge, blême sous les nuées colériques. Dans un dernier effort qui sembla gangrener toute son énergie vitale, le chevalier guida Euryale vers les contreforts de la barque. Comme une protestation face à leur fuite, une supplication éplorée, les plaintes du Firmament augmentaient en intensité.

- Montez!

Battant des jambes dans les drapés de sa robe qui, à l'instar de sangsues, collaient à sa peau, Euryale se jeta au fond de l'embarcation folle et s'écrasa contre son flanc. Un coup d’œil par-dessus son épaule l'assura que Josse suivait de près. Plusieurs chocs violents, le hurlement poussif d'une poulie, et dans une embardée chaotique, la barque fut libérée. Le frêle esquif tournoya, se braqua plusieurs fois contre la carcasse en péril, avant de s'échapper du giron possessif du Firmament qui pleurait la fugue du couple, comme l'on pleure le départ d'enfants indomptés.


◈◈◈◈◈


Euryale Montecler de Malefreux[Validée] RN6XNb-marbrume-fiche-euryale-ch4

CHAPITRE QUATRE
Nous ne vieillirons pas Ensemble


Ambiance musicale

Une barque.
Quelque part, sur l'Océan, à quelques milles du Port de Marbrume.
16 septembre de l’an 1166.

- Euryale, je… j’ai froid…
- Josse, essayez de garder les yeux ouverts.


Le silence s’imposa entre les époux. Ils étaient tous deux conscients que la Mort rôdait, accablante, à mesure que les secondes se muaient en minutes, les minutes en heures; tel un métronome invisible, silencieux, impossible à arrêter, sinon à ralentir. Un silence lourd de sens, qui attestait de la conclusion funeste de leur mariage de façon cruelle. Non, il n’y avait pas de mots pour en façonner la terreur. Aucune parole pour traduire ce qu’ils ressentaient, tous deux, sur ce canot esseulé, perdu au milieu d’un océan hostile.

- N-... nous… pouvons prier. hasarda Josse, dans les élans fiévreux de sa souffrance.
- Priez, si votre âme le désire. Votre Quatoria est si souvent restée sourde à mes prières que je refuse désormais de Lui céder la moindre louange.
- Euryale, v-...
- Non. Les Dieux ont tout vu, et Ils ont ri de ce spectacle. Peut-être rient-Il encore.


Euryale ferma les yeux, refoulant le traître sanglot qui resta emmuré entre les parois de sa gorge sèche, irritée; un hoquet nauséeux qui lui alourdit le cœur. De chaque côté de son visage émacié, ses cheveux de jais pendaient en cordelières informes, rigidifiées par le sel. Elle avait faim. Elle avait soif. Elle avait froid. Depuis combien de temps gisaient-ils tous deux, au fond de cette barque démunie de rames, unique relief visible sur cette étendue d’eau? Leur échappée inespérée tenait du miracle; mais elle rejetait l'idée d'en attribuer les seuls mérites aux Dieux. Peut-être le Hasard, le Sort. Le Destin? Cependant, Josse les avait sauvés. Sa force mentale, sa détermination farouche, son audace téméraire, les avaient sortis de la tourmente. Cet ami, cet époux, avait toujours été présent pour elle. Or en cette heure, gravement blessé, amoindri par la fièvre, il n'était que l'ombre de lui-même.

« Pour le meilleur et pour le pire ».

Elle avait perdu le décompte des heures, des jours. Et la clepsydre du Temps poursuivait son compte à rebours. Elle n’était sûre que d’un seul écho qui résonnait en son âme, en un tic-tac angoissant. Concret. Inévitable. Que son époux s’approchait inexorablement du trépas. Elle aurait pu lui être favorable, s'incliner, se perdre dans un chapelet de prières, dresser un bouclier de Foi entre elle et la redoutable évidence. Elle aurait pu étendre un mouchoir sur sa conscience pour dissimuler à ses yeux harcelés par la vue du sang, un autre tourment. Une autre douleur. Elle aurait pu. Or elle n’en fit rien.

Un rictus grave égratignant le dessin de ses lèvres, Euryale rouvrit les yeux et se pencha vers Josse. Elle réajusta la vieille toile de sac humide sur le corps de ce dernier. C'était là l'unique et précieux bien rescapé de la violente débâcle du Firmament. Elle en profita pour couler un œil discret à la plaie qui avait rongé sa cuisse. Il lui avait confié que, pendant la tempête, il avait été heurté par un madrier brisé en deux. D’épaisses esquilles s’étaient infiltrées, qu’elle aurait été incapable d’extraire sans les instruments adéquats, et sans risquer de provoquer une nouvelle hémorragie. Car le saignement semblait s’être tari, et elle n’osait pas le toucher. Hélas, cela ne serait pas suffisant. Les lèvres putrescentes de la blessure étaient boursouflées et une odeur désagréable s'en dégageait. De plus, il s’était vidé de son sang; l’absence de chaleur et les privations contraintes excluaient toute possibilité de reprendre des forces. Son état ne présageait aucun espoir.

- Votre regard… en dit long, Euryale, même… si vous… n’avez point sourcillé.

Elle demeura empêtrée dans un silence obstiné tandis qu’elle s’adossait de nouveau contre la bordée. Ses iris d’argent vieilli, hantés par la fatigue, se laissèrent happer par le spectacle des vaguelettes aux chevelures irisées, et par la beauté céleste de l’étendue d’encre qui surplombait l'immensité aqueuse, désormais si sereine après avoir tant fulminé et semé la Mort. L'empyrée scintillait de milliers d'étoiles. L’astre lunaire avait, cette nuit-là, l’aspect d’un sourire franc. Lugubrement cordial. Enfin apercevait-elle un éclat de joie dans ces insondables Ténèbres.

- Je… je me souviens d-... de ce premier jour, au domaine de Malefreux… la scierie…
- Josse...
- J'étais... venu visiter votre père. Vous souvenez-vous? Vous... aviez à peine quinze ans.
poursuivit-il, la sueur perlant son front, ses lèvres gercées s'abîmant dans un sourire nostalgique. Ses yeux bleus, embués, scrutaient la voûte céleste. Vous étiez entrée... tel un ouragan dans la pièce, si impatiente... et si fière…
- Je vous en prie, Josse.
- Euryale, je… cela me plaît de songer à ces tableaux insouciants, à ces balbutiements candides, à ces premiers élans d'amitié entre nous sous les cieux de Malefreux… cela me donne l'impression de m’éloigner du trépas et de la triste conclusion de mon existence… d'avoir encore un peu de ce... Temps qui me fait défaut...
- Vous n’allez pas succomber.
- Vous êtes... aussi belle que… mauvaise menteuse.
protesta-t-il mollement, soufflant un rire, et ses doigts cherchèrent les siens.

Comme alarmée par quelque pressentiment reclus en sa mémoire, Euryale eut un mouvement de recul. Sa main se déroba, mais Josse, d'un regard implorant, l'arrêta dans sa discrète rebuffade. Elle céda alors à cette geôle de chair et de sang qui, dure et glacée, emprisonna ses doigts. Leurs regards s'entrelacèrent sous les soubresauts lumineux de cette nuit claire. Le dôme enténébré était déserté de nuées, à peine de subtiles effilochées, vestiges paresseux de la tempête qui poursuivait son œuvre ailleurs. Sur cette arène désormais libérée de l'envahisseur, étoiles et Lune rieuse effleuraient de leur chatoyante froideur ces contrées aqueuses. Josse était si pâle; la jeune femme se doutait que le halo blafard, mousseux, de l’astre lunaire n'en était pas l'unique interprétation.

Et maintenant se perdait-il, dans son délire fébrile, à quelque confession intime. Mâchoires crispées sur une sensation nauséeuse, Euryale baissa le visage. Un soupir mourut sur ses lèvres crevassées. Elle n’aimait guère se livrer à ces petits jeux. Son passé, ses souvenirs et ses pensées lui appartenaient. Tous ces discrets tiroirs, enfouis en sa mémoire, qu’ils fussent remplis d’événements chaleureux ou amers, elle les conservait dans l’écrin avare de son cœur. Moins elle se confiait, plus forte et intouchable elle se sentait. Un des premiers enseignements que lui avait inculqué son père. Et il était depuis lors gravé en lettres de feu sous son crâne torturé. En cette minute manquait-elle de courage pour affronter les spectres du passé.

Euryale se sentait si abattue, si impuissante. La faim grignotait son mental. La fatigue consumait son âme, le deuil l’enracinait dans la douleur. Insupportable. Vive. Cruelle. Elle qui se targuait d'avoir un tempérament d'acier, elle n’était plus qu'un vulgaire brouillon d’elle-même, l'esquisse ratée d'un peintre colérique, désabusé; une triste palette de teintes fades, délavées, à jeter au caniveau. Et le froid, l’humidité, achevaient son œuvre allègrement, sans aucun scrupule, fissurant tout optimisme, et l’étouffant dans les vagues de cet océan glacial et suffocant.

- Je me suis toujours... interrogé sur vos motivations... continua-t-il, la tête penchée sur le côté, observant son épouse entre ses paupières fendues, bordées de cils blonds.
- Mes motivations?
- Celles qui vous ont poussée à... à prendre la mer pour le Duché d’Hendoire, à... abandonner un confort, une protection que... que je n'ai su honorer en retour, comme il se devait.


Il grimaça, resserrant plus étroitement son étreinte autour des doigts de son épouse. La voix au timbre éraflé de cette dernière retentit, étrangement douce.

- Personne ne m’a forcé la main.

Une fois encore, leurs regards se mêlèrent. Cette réponse n'en était pas une, du moins, elle n'était pas celle qu'il escomptait. Mais ni la fatigue ni la souffrance ne lui insufflait la force, ou le courage, de tenir tête à celle qui était son épouse depuis huit ans. Sa voix faiblissait à mesure que le temps s'écoulait, implacable. Euryale, gênée par son propre manque de coopération, fixait sa main libre, tremblante et froide. Incapable de satisfaire les dernières volontés d'un homme. D'un ami. D'un époux. Josse poursuivait son examen, l'observant avec une intensité peu commune. Il cherchait. Dans l'éclat éthéré de ses yeux gris, dans la commissure rigide de ses lèvres, dans les doigts graciles de cette main tiède qu'il tenait dans la sienne. Il cherchait. Un signe, une réponse, un geste parjure. Sans pouvoir l'expliquer, il devinait que les dires de sa femme manquaient d'un soupçon de vérité.

- Je n'ai été ni malheureuse ni frustrée. fit-elle soudain, brisant le silence dans un murmure ténu, son pouce effleurant le dos de la main de Josse. A vos côtés, j'ai réussi à forger les armes nécessaires pour... apprivoiser les ombres du passé, appréhender de vieux démons. Un peu comme je l'ai fait, par l'apprentissage de l’épée. Dans cette discipline, tout semble si évident. Limpide. Toutes les décisions se résument à avancer ou reculer. Tout est rythmé par l'attaque, la parade et la riposte. On y acquiert une forme d'intuition qui fait défaut à bien des individus. Elle eut un sourire sombre, vaguement fier, qui souleva un coin de sa bouche. Une forme d'intuition, oui... de perspicacité qui m'a permis de discerner le monde sous un autre angle. Elle tourna sa face vers lui, ses sourcils froncés jetant l'ombre de leur flamme ténébreuse, implacable, sur la surface froide de ses iris d'orage. Tranchant contraste. Et de ne plus trembler face à la menace.
- De quelle… menace parlez-vous? Celle de la Fange?
- Celle que vous m'inspiriez. Autrefois. En qualité d'homme.


La détentrice de ces cheveux de jais, encroûtés de sel, et de ces prunelles de granite délavé avait prononcé cette sentence sans aucune hésitation. Un secret celé. Une vérité honnie. Une souffrance palpable. Son époux observa ses iris à l'éclat déroutant et ses traits avec attention, pressentant qu'il touchait du doigt quelque arcane sinistre et sournoise. Une initiative misérable qu'elle gardait au plus profond de son être, étroitement, lâchement.

Euryale Montecler de Malefreux[Validée] 1601140705262517013894305

- Eur-... yale...

Un spasme violent l'extirpa de ses errances méditatives. Les mires délavées, harcelées de luisances humides, se posèrent sur le corps raidi qui n'était qu'à quelques pouces d'elle. Josse avait encore les yeux ouverts, mais la lueur de l'existence s'était murée dans le silence et avait fui vers d'autres contrées. Sa mâchoire semblait s'être décrochée, et les muscles de son corps n'étaient plus stimulés par sa volonté ou son Sang. Il n'était plus qu'une enveloppe charnelle, une coquille vide. Un corps dépourvu d'âme. Des membres dénués de vie. Et ce faciès aux joues abruptement érodées, comme les murs d'un temple en ruines lacérés par les étreintes du Temps. Ce teint bleui, ces yeux enfoncés dans leurs orbites creusées. Euryale eut un hoquet horrifié. Comme au ralenti, elle lâcha la main du moribond, cette dernière chutant et rebondissant mollement sur le fond détrempé de la barque.

- Non. Non-non-non-non-non. Non...

Dans un misérable couinement de bête blessée, elle se mordit la lèvre inférieure pour empêcher que le cri douloureux qui arpentait sa gorge ne s’échappe. Elle enfouit alors son visage entre ses mains et éclata en sanglots. Des larmes brûlantes jaillirent, roulèrent lourdement sur ses joues, inondèrent ses doigts, ses lèvres dans le flot acharné, salé de leurs rivières. Elle tomba sur le flanc, se recroquevillant contre la dépouille de Josse, attrapant fébrilement cette main inerte et la pressant contre son sein. Calant sa bouche contre le tissu de son pourpoint que nul souffle n'animerait plus, elle étouffa le hurlement désemparé qui lui déchira les cordes vocales. Le frêle esquif devint le siège d’un ouragan d’émotions contradictoires, d’un maelström de colère, de haine, de tristesse et de désespoir.

Elle pleura, pleura… longtemps, son visage enfoui contre le cou froid de Josse qui oscillait contre son front brûlant, sous le rythme saccadé de ses spasmes nerveux. Jusqu’à ce que sa voix ne soit plus qu’un filet ténu de gémissements douloureux. Lorsque le calme revint dans son esprit révolté, elle osa lui céder pour seule offrande posthume le calice de ses lèvres baignées de larmes salées; baiser d'adieu à la ferveur douloureuse. Avant de reprendre sa place, contre lui, et de sombrer d'épuisement.

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Le canot solitaire divagua sur les flots tranquilles, emportant en son sein les silhouettes étendues du couple enlacé. Ce fut dans ces conditions, sous un soleil de plomb que des débardeurs du Port de Marbrume découvrirent la jeune femme, encore vivante, mais inconsciente.


Résumé de la progression du personnage :


Sans objet.


Derrière l'écran


Certifiez-vous avoir au moins 18 ans ? Je certifie.

Comment avez-vous trouvé le forum ? Cela fait quelques mois que je suis en quête de ce type d’interactions roleplay sur forum. J’avais repéré le site de Marbrume, entre autre fora. Puis, le hasard m’a replacée dans le sillage de mon Colosse basané préféré. Je n’ai eu d’autre choix que de céder.

Vos premières impressions ? Elles sont très positives.

Des questions ou des suggestions ? Pour l’instant, aucune. Si j’en ai, je n’hésiterai pas à harceler qui de droit.

Souhaitez-vous avoir accès à la zone 18+ ? Oui, pourquoi pas.




Dernière édition par Euryale de Malefreux le Lun 6 Juin 2022 - 7:32, édité 5 fois
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Lazare de MalemortComte
Lazare de Malemort



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MessageSujet: Re: Euryale Montecler de Malefreux[Validée]   Euryale Montecler de Malefreux[Validée] EmptyDim 5 Juin 2022 - 16:24
La Trinité soit louée, bienvenue.
Tu sais l'étendue de mon admiration pour ta plume, mais je vais me répéter : merveilleuse.
Vivement ta validation.
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Sixtine DeConquesPrêtresse apprentie
Sixtine DeConques



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MessageSujet: Re: Euryale Montecler de Malefreux[Validée]   Euryale Montecler de Malefreux[Validée] EmptyDim 5 Juin 2022 - 16:39
Quelle fiche sublime, un vrai plaisir à lire ! Euryale Montecler de Malefreux[Validée] 2494957974

Serais-je trop pressée si je demande déjà s'il sera possible de réserver un petit RP ? Euryale Montecler de Malefreux[Validée] 263a

Vivement la validation ! Omg
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Dame CorbeauMaître du jeu
Dame Corbeau



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MessageSujet: Re: Euryale Montecler de Malefreux[Validée]   Euryale Montecler de Malefreux[Validée] EmptyLun 6 Juin 2022 - 12:57
Et salut, avec les modif effectuée, c'est tout bon pour moi ! Je te donne donc ta jolie couleur bleue, tu peux retrouver ta carrière au bout de ce chemin. Chercher des rp sur le discord ou bien dans cette zone. Et te créer un beau journal dans ce coin.

Soit la bienvenue parmi nous !
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MessageSujet: Re: Euryale Montecler de Malefreux[Validée]   Euryale Montecler de Malefreux[Validée] Empty
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