Un instant de doute [Finn Gallagher]

Le soleil vint caresser le visage meurtri de la mercenaire dans son sommeil. Ses yeux s'ouvrirent légèrement puis, une fois qu'ils furent accommodés par la luminosité, elle put discerner et reconnaître le lieu où elle avait dormi : l'hôtel-dieu personnel ou du moins ce qui semblait l'être de la compagnie de mercenaire. La douleur était encore bien présente et son reflet dans le miroir montrait que les coups avaient formé des gonflements, des bosses qui la marqueront durant un long moment. Pour autant, elle avait moins mal que la nuit précédente, sans doute que les Dieux avaient gracié la jeune femme de tant de souffrance pour la journée. Elle se leva avec une lenteur mesurée, les courbatures et son estomac ne semblaient pas s'être totalement remis de leurs émotions. En se levant, elle attrapa un tissus usé, sa chemise un peu ample qui lui permettrait de couvrir ses seins nus et son corps couverts de bleu. Que faisait-elle là ? La jeune femme prenait sur elle, de toute manières elle ne pouvait pas se permettre de rester alitée trop longtemps, les entraînements et la restauration du bâtiment n'attendront pas, eux.

Dans un premier temps, elle se maintint au rebord du mur, sa main posé contre son estomac mais par la suite, sentant son corps parvenir à retrouver une posture plus ou moins convenable tant qu'on ne lui redonna pas de coups, Cywel entreprit de descendre les marches de l'étage pour rejoindre le rez-de-chaussée. Que faisait-elle là ? De là, elle vit une partie des mercenaires en train de retaper à droite, à gauche le bâtiment. Le travail de certains permettaient de deviner l'allure qu'aurait l'endroit après quelques jours de travail et à cela, la jeune femme eut un léger rictus ravi. Elle voulait faire quelque chose également, elle n'était pas empotée et la réparation ça la connaissait, la ferme était bien vieille et il fallait bien souvent mettre la main à la patte si l'on ne souhaitait pas mourir de froid l'hiver.

Peu d'entre eux firent attention à elle, la plupart étaient bien trop occupés dans leur besogne pour prêter un regard sur la jeune femme. D'autres en revanche avait bel et bien remarqué la présence de la femme ainsi que ses atours. Sans doute se demandaient-ils comment une femme pouvait bien vouloir porter armures et armes plutôt que d'attendre ces derniers dans une couche, totalement nue et le corps brûlant. Un mélange de honte et de colère la traversa, elle aurait aimé se montrer fière et forte comme un homme, à exhiber ses blessures et son œil au beurre noire comme d'un trophée. Au lieu de cela, son regard fut évitant, égaré sur le sol tel une femme battue. Que faisait-elle là ? Elle n'avait pas su se montrer sous son plus beau jour la fois précédente et elle se demandait encore si elle parviendrait à obtenir le respect de chacun. Peut être finira-t-elle après tout comme une catin enfermée dans une demeure d'homme, incapable de se faire respecter elle devint celle qui soulageait les maux des hommes. Cywel se mordillait la lèvre inférieure à cette pensée. Non, elle ne voulait pas finir comme ça.

Elle fit un pas après l'autre, titubant légèrement sous la douleur. Que faisait-elle là ? Elle attrapa un marteau posé par là. Aujourd'hui, elle participera de son côté à la restauration, il ne restait plus qu'à savoir ce qui pourrait être fait. Pour la énième fois, son esprit se demandait : Que faisait-elle là ? Elle n'avait pas encore trouvé la réponse. Elle le savait, elle l'a oublié depuis ce matin. Il valait mieux s'adapter, la motivation reviendra, l'envie et l'espoir sera là. Prenant une grande inspiration, elle se décida à interpeller l'individu se situant non-loin.

« Eh... De quoi z'avez b'soin pour la restauration du lieu ? »

Sa voix était légèrement rocailleuse, les cris de douleurs qu'elle avait produit lui avait légèrement abîmé les cordes vocales.

Cela faisait déjà deux jours que Cywel s'était présentée à la Compagnie des Lames avec la ferme intention de les rejoindre, acceptant le rite de passage instauré par le Capitaine en encaissant plus que ce qu'une femme ne devrait avoir à endurer, tout du moins aux yeux de nombre d'entre eux. Depuis elle était alitée et, bien que le Capitaine ait affirmé qu'à présent elle savait ce qui l'attendait pour la suite et qu'elle saurait y faire face, Finn ne pouvait s'empêcher de s'en vouloir depuis lors. Il avait cogné si fort qu'il avait craint l'avoir défigurée à jamais, le craquement sonore avait résonné dans l'arrière-cour et même ce bon vieux Strakhov avait grimacé, preuve que ça n'avait pas été du joli-joli. En deux jours, il y avait eu deux entrainements conséquents et, à présent en cette nouvelle matinée ensoleillée, nombreux étaient ceux qui mettaient la main à la pâte pour retaper le quartier général et faire de cet endroit un lieu plus reluisant. Hélas, tous ne savaient pas manier un outil ou même planter des clous et c'est ainsi que, si certains s'occupaient de nettoyer les vieilles pierres en prenant garde à ne pas les effriter, la plupart se chargeaient d'un entretien standard, Finn et une huitaine d'autres se chargeant de la toiture, des portes et des poutres de la bâtisse. Il était justement occupé au rez-de-chaussée à rénover une solide porte en bois dont les gonds n'étaient plus ajustés depuis des années et qui nécessitait d'être taillée et poncée avec précision, ses gonds changés et son revêtement retravaillé. Aucun ne manquait de travail et ils en auraient encore pour un sacré moment, cependant il s'agissait d'une des dernières ouvertures du lieu, puisque le Mercenaire avait commencé par celles-ci après avoir consolidé les bases en bois. Ils auraient terminés avant l'automne et seraient donc parés pour l'hiver, en attendant la fraicheur du lieu les protégeaient du début de chaleur à l'extérieur annonçant par avance l'arrivée de l'été. Partout autour de lui, il y avait du mouvement et, il fallait bien le reconnaitre, au sein du QG, hors entrainement, ce n'était pas le jeune homme qui allait se méfier de percevoir quelqu'un passant dans son dos, tout du moins jusqu'à-ce qu'une voix vaguement familière ne l'interpelle.

« Eh... De quoi z'avez b'soin pour la restauration du lieu ? »

Suspendant son geste, il pivota à demi sur ses genoux et, reconnaissant Cywel, écarquilla les yeux de surprise, avant de voir son air passablement amoché et le marteau qu'elle tenait dans la main. Son esprit lui lança un message d'alerte avec la fugace vision de la jeune femme levant son arme de fortune pour la lui abattre sur le coin de la figure, avant qu'il ne se redresse d'un bond, ses propres outils en main.

- Oh c'est toi !

Surpris, beaucoup trop surpris, il se racla la gorge et la détailla d'un regard vif et acéré, fronçant les sourcils en la voyant au mieux courbaturée, au pire encore souffrante. Il secoua la tête, visiblement mécontent, posa ses outils puis tendit la main pour lui prendre doucement le marteau des siennes.

- Non, non, non, pas si vite. Tu viens de te lever non ? Faut que tu manges quelque chose, t'es pâle comme une morte et tu... heu...

Et t'as l'air de t'être faite passer à tabac par un dingue, mais ça il ne pouvait décemment pas le lui dire. Toussotant pour donner le change, il faillit lui saisir le bras, puis se ravisa, tendant la main pour lui indiquer une direction à prendre.

- Viens avec moi. Avant de travailler, il faut manger et s'assurer que tu en sois capable. Comment tu te sens ? La douleur est supportable ? J'suis désolé pour l'autre jour, j'y suis allé un peu fort sans réfléchir, je ne voulais pas te faire mal à ce point-là.

Il la revoyait encore, gigotant sur le sol en se tenant le visage, le sang coulant d'entre ses doigts alors que le Capitaine lui tapotait l'épaule pour qu'il ne s'inquiète pas, alors qu'il imaginait déjà la pauvre jeune femme défigurée à vie. On racontait même qu'on pouvait tuer quelqu'un en frappant trop fort sur son crâne, ce qui avait fichu une belle frousse au jeune homme. Lui il préférait de loin faire la cour aux jolies dames, par leur cogner dessus.

Malgré son manque de connaissances en matière de combat, la jeune femme semblait du genre coriace niveau tempérament et un léger sourire fleurit sur les lèvres du Mercenaire, appréciant de la voir faire la brave, même s'il avait quand même une vague idée de ce qu'elle pouvait ressentir. Lui-même était passé par ce qu'elle venait de traverser à son arrivée dans la Compagnie des Lames et il avait ressenti durant plusieurs jours la cuisante sensation d'échec et de honte qui accompagnent cette épreuve. Il se contenta donc d'acquiescer, tapotant brièvement son épaule d'une main volontairement légère, au cas où elle souffrirait de courbatures, la guidant jusqu'à leur garde-manger surveillé par l'un des leurs. Il lui expliqua brièvement qu'elle n'avait rien mangé depuis son alitement et on les laissa accéder aux réserves, non sans que Finn reçoive un petit rappel concernant le rationnement. Hochant la tête, il regarda son collègue s'éloigner et sourit à Cywel, l'invitant à s'assoir alors qu'il déposait devant elle une demi miche de pain frais, un morceau de fromage et un peu de jambon. Il prit une cruche d'eau et un verre en terre cuite, posant le tout près de la nourriture et l'enjoignant à se restaurer. Assis en face d'elle, le jeune homme la regardait manger avec satisfaction, rassuré de voir qu'elle avait conservé son appétit.

- Je m'appelle Finn, Finn Gallagher.

Il se rappelait de son nom à elle, assez joli au demeurant, mais il ne lui ferait pas l'affront de la traiter comme une femme qu'il aurait croisé dans la rue ou dans une taverne : c'était une recrue, une guerrière, enfin appelée à le devenir, ainsi il considérait qu'il ne devait pas la mésestimer, même si elle avait encore beaucoup à apprendre. Quand elle lui demanda depuis combien de temps il était là et s'il avait eu à subir le même traitement, il éclata d'un rire joyeux et franc, hochant fortement la tête.

- Ahahah, ça oui alors ! On y a tous eu droit tu sais, le Capitaine veut voir ce qu'on a dans le ventre avant de décider s'il peut faire quelque chose de nous ou si on est bon qu'à être rejetés dans le caniveau.

Finn se pencha légèrement en avant, plissant les yeux avec un regard malin et un air complice, le sourire au coin des lèvres, baissant d'un ton.

- Tu n'as pas été si mal, surtout pour une femme. On a déjà vu certains hommes ne même pas dépasser le premier round... faut dire que le Capitaine cogne dur.

Puis il se redressa un peu sur sa chaise, s'étirant et assouplissant ses épaules et sa nuque, profitant de cette petite pause dans son travail.

- Ça fait depuis quelques mois que je suis là, j'ai rejoint la Compagnie quasiment à sa recréation. Et toi ? Qu'est-ce qui peut bien pousser une jolie femme comme toi à devenir Mercenaire ?

Au-delà de la perte de ses proches et de la probable destruction de tout ce qu'elle connaissait par la Fange, ce qui était le cas des plus récents d'entre eux, mais pas de tous. Beaucoup de leurs ainés étaient de grands guerriers, anciens soldats, miliciens ou autres qui avaient choisis de s'orienter vers une toute autre voie. Finn pour sa part considérait que chacun avait ses raisons et que personne ne pouvait juger à la place d'autrui, en revanche il possédait une très grande curiosité et, s'il ne s'offusquait pas quand on l'envoyait sur les roses, il aimait apprendre à connaitre ceux dont il partageait le quotidien et aux côtés de qui il allait combattre, peut-être bien jusqu'à la mort.

Il l'écouta sans l'interrompre, avec le sérieux et la gravité qui vont de pair avec un tel récit. Visiblement elle aussi en avait bavé, mais c'était le cas pour la quasi totalité du peuple se trouvant aujourd'hui à Marbrume et aucun d'entre eux ne pouvait rien y faire, tout au plus combattre la Fange dès que l'occasion se présentait. Finn retint un sourire quand il fut question du choix qu'elle avait fait, se rappelant le sien, qui n'en avait presque pas été un, hormis le corps d'armée qu'il avait choisit de rejoindre, seule différence notable. La voyant se lever un peu vivement, il cligna des paupières, puis nota son agitation qu'elle tenta de juguler au mieux, se rasseyant pour finalement lui retourner sa question. Ah ça, elle en avait bien le droit, chacun son tour.

- Oh mon histoire ressemble un peu à la tienne tu sais, à ceci près que je venais d'arriver dans la cité quand le Fléau a été confirmé. Je viens de Balazuc dans les marais et je suis fils de charpentier et de menuisière, j'avais décidé de combiner leurs deux métiers à la fois et je m'en sortait pas trop mal. Il n'y avait pas assez de travail pour moi et mes parents, alors je suis venu à Marbrume pour essayer de me faire une place.

Le Mercenaire se souvenait de ses difficultés à se faire un nom sur les marchés, à faire connaitre son nom ou même à décrocher assez de commandes pour vraiment en vivre. Il avait enchainé sur les petites réparations et les rares constructions qui se faisaient, mais au final la concurrence avait été trop rude pour le petit provincial qu'il était alors. Son regard s'assombrit quand il poursuivit son récit.

- Les réfugiés ont commencé à arriver en masse peu après mon installation, ils disaient que les monstres étaient réels et que beaucoup de caravanes avaient péris en chemin. J'ai voulu faire venir mes parents ici, mais ils ont toujours été trop têtus, ils ne voulaient pas quitter la maison familiale... Je suis allé les chercher moi-même, mais le temps que j'arrive, c'était déjà trop tard.

Dans son regard passa le souvenir de son père, transformé en Fangeux, qui lui sautait à la gorge pour essayer de le dévorer vivant. Il y avait eu le marteau, le bruit du crâne qu'on défonce dans un son humide dégoûtant, puis son cadavre ensanglanté à ses pieds. Les bruits, la nuit tombée, la nervosité de son cheval... S'étant un peu trop attardé sur ce souvenir, il cligna des paupières, puis se força à sourire à Cywel, un sourire chaleureux qui ne monta pourtant pas jusqu'à ses yeux.

- Enfin tout ça pour dire qu'au final, je n'arrivais pas à continuer de travailler comme si de rien n'était, alors j'ai vendu ce que j'avais, j'ai appris à manier les armes comme je pouvais ici et là, puis il y a quelques mois j'ai rejoint la Compagnie, au service du Capitaine.

Finn hocha la tête, l'air satisfait et content de son sort, il faut dire qu'ici il avait trouvé une sorte de nouvelle famille, avec une figure presque paternelle dans son autorité, protecteur et maitre d'arme à la fois.

- Je ne regrette pas mon choix, je pense que je pourrais le suivre jusqu'au milieu d'une armée de Fangeux s'il le fallait, si ça pouvait nous permettre de tous les tuer.

Il rit de sa bêtise et secoua légèrement la tête puis, la voyant peiner sur son morceau de pain, le désigna d'un geste du menton.

- Si tu n'as plus faim, garde-le dans la poche de ton vêtement et mange-le plus tard. On a pas mal de travail qui nous attends et tu pourrais bien avoir encore un petit creux ou deux.

Surtout qu'ensuite, plus tard dans la journée, viendrait l'entrainement et qu'alors il leur faudrait être assez en forme et prêt à en découdre, même si Cywel ne serait sans doute pas autorisée à participer, juste à regarder et, surtout, à apprendre en observant attentivement.

L'histoire de Finn laissa bouche-bée la jeune femme. Alors lui non plus n'avait été épargné par les fangeux. Sans doute même, la majorité des personnes des Lames avaient leur raison, toutes aussi similaires les unes des autres, à vouloir porter des armes et tuer ces fangeux. C'était à la fois triste et motivant, personnes n'était prêt à mourir de leur main, tout le monde était décidé à en découdre. Son regard balayait la grande salle en construction durant sa réflexion, même le gardien des provisions. Et finalement, Cywel retourna sur son interlocuteur et sa nourriture. Il parlait du Capitaine et de la fois qu'il avait en lui. Là encore, elle ne douta pas un seul instant de la qualité de leader que son capitaine pouvait avoir sur les autres. Il était imposant, ses cicatrices intimidantes et preuve d'une grande expérience et cet arme qu'il tenait dans son dos la plupart du temps pouvait déchirer la chair de n'importe quel fangeux. Cywel savait qu'elle-même, comme Finn, comme bien d'autres le suivrait sans rechigner, avec fierté et motivation.


« Le Capitaine possède une grande prestance et une grande force (Elle ne pouvait que le confirmer avec ce qu'elle avait reçu). Je ne serai pas étonnée qu'il ait réussi à tuer certains de ces fangeux. Mais, attends… Cela fait déjà plusieurs mois que la compagnie réside à Marbrume ? »

Elle n'avait jamais entendu parler de cette compagnie auparavant. La jeune femme était bien trop occupée dans les champs et à soigner son pauvre père pour songer à faire les rues de la cité. Seuls les marchés l'intéressaient en dehors des bas quartiers.

« Vous étiez donc là lorsque les fangeux ont attaqués la hanse, non ?  Vous avez participé à la défense ?»

Son esprit bouillonnait. Elle se remémorait de ce qu'il lui était arrivé, la ferme en feu par la panique et les mauvais gestes à la vu des Fangeux. La course effrénée pour rejoindre la ville, sa chute, la tentative désespérée à rejoindre les gardes qui accouraient, le cri du Fangeux et…. Schlack ! La lame avait percé la peau du fangeux et l'avait fait renoncer à poursuivre sa proie. Une autre était devant lui, forte, imposante. Les souvenirs étaient flous, tout avait été si rapide… Sa conviction cru voir l'arme du capitaine, sa carrure, des voix malicieuses la poussait à insister sur ce point. Sa main resserra le tissus de lin, près de sa poitrine, en réalité elle maintenait le collier accroché à son cou. Pour autant, elle avait entendu les paroles de l'individu qui lui permettrait soit de confirmer sa folie, soit de l'infirmer d'un cran.

Elle reprit ses esprits, regardant sa nourriture comme s'il s'agissait de pierre trouver au sol.

Le mercenaire lui conseilla de garder ce qu'elle n'avait pas entamé pour la journée, oui c'était un bon conseil qu'elle appliquait auparavant certains jours comme d'autres non. Elle se leva du tabouret et rangea ses restes dans son bas. Il n'était plus temps de se reposer, ni pour elle, ni pour lui.

« Qu'est-ce que je peux faire alors ? Je ne pense pas avoir, et de loin, tes qualités de menuisier et charpentier mais j'suis prête à aider. »


Certes, elle ne sera pas aussi efficace qu'un homme que ce soit pour transporter des objets lourds ou bien à atteindre des points hauts, mais au vu de ses dernières années, il fallait dire que les Dieux la soutenait d'une manière ou d'une autre, après tout, elle était la seule survivante de sa famille, c'était en soit un exploit macabre.

Ils étaient tous d'accord sur le fait que le Capitaine était quelqu'un d'exceptionnel, un leader né qu'ils suivraient probablement jusqu'à la fin et même l'admiration que Cywel semblait lui porter n'était pas anormale aux yeux de Finn, lui-même respectant tout ce que dégageait leur supérieur et espérant devenir un jour aussi admirable que lui. Quand la jeune femme parla de l'invasion des Fangeux au sein de Marbrume, il secoua cependant doucement la tête, un sourire indulgent sur les lèvres.

- Non, la Compagnie des Lames a été recréée fin Février de cette année et l'invasion a eu lieu en Janvier. Je pense d'ailleurs que c'est ce qui a du convaincre Le Capitaine de remettre le couvert, mais ça il faudra le lui demander.

A voir s'il accepterait ou non de répondre à pareille question quant aux motivations qui sont les siennes pour avoir formé ainsi un groupe de Mercenaires, ranimé une légende ancienne et cherchant à lui redonner ses lettres de Noblesse, si l'on pouvait dire ainsi.

- J'étais encore Milicien quand c'est arrivé et j'ai fait partie de ceux qui ont chassé le fangeux dans la cité. C'était un vrai garde-manger pour eux, ils ont fait beaucoup de victimes avant qu'on arrive à les rattraper et à les tuer.

Tellement de gens ont encore une fois perdus des proches avec cet incident et ce fut d'autant plus rageant que les conclusions de plusieurs maitres à penser menaient toutes vers une seule hypothèse plausible : quelqu'un avait délibérément ouvert l'accès à ces monstres pour qu'ils se répandent dans Marbrume et y sèment la panique et le chaos. Officiellement le message avait été tout autre, mais les gens n'étaient pas dupes et la paranoïa avait depuis lors gagné du terrain parmi la populace. Les pensées de Finn s'interrompirent cependant en voyant la jeune femme se lever de son tabouret, visiblement déterminée à prêter main forte aux autres, à travailler plutôt que se laisser entretenir. Il hocha la tête, l'air fier et satisfait de sa bonne volonté, alors qu'il se levait à son tour. La remarque sur ses qualités de Menuisier lui arracha un bref rire chaleureux.

- Pas besoin d'être un expert, si on te montre comment faire, je suis sûr que tu pourras t'en sortir aussi bien qu'un autre.

Le Mercenaire la guida vers la zone où il était en train de travailler quand elle était descendue après son réveil, il ramassa ses propres outils et les lui plaça en mains avec précautions, s'assurant par des gestes fermes et doux à la fois qu'elle les tenaient bien, serrant sa main par-dessus la sienne pour lui montrer comment affermir sa prise.

- Voilà, comme ça... Bien. Maintenant assied-toi devant cette porte et je vais te montrer comment on rabote les bords. Le bois a pris l'humidité pendant trop longtemps et, après avoir gonflé puis séché, il a trop travaillé et gardé une forme légèrement déformée. Il faut raboter et lisser la base afin qu'une fois remise sur ses gonds, la porte s'ouvre et se ferme sans se retrouver bloquée contre le sol ni ne racle celui-ci.

Finn s'appliqua d'abord à saisir ses mains des siennes, guidant ses gestes pour lui montrer les premiers mouvements, faisant ainsi à deux le travail en rabotant une petite zone dans la continuité de ce qui avait déjà été commencé. Petit à petit il desserrait sa prise, jusqu'à finalement lâcher pour la laisser faire avec un "à toi" attentif et concentré. Nul doute quant à sa réussite ne semblait l'habiter et il observait avec une patience tranquille les prochains mouvements qu'elle allait effectuer.

Finn avait l’œil vif et le regard attentif, suivant chacun des gestes effectués par Cywel et ne laissant pas un seul petit copeau de bois échapper à son attention. Il constata que malgré la possible hésitation, la jeune femme suivait précisément le geste tel qu'il lui avait montré et qu'elle ne déviait pas d'un centimètre, effectuant un travail qui, s'il fut un peu moins rapide que le sien, n'en demeurait pas moins propre et net, de quoi rendre fier n'importe quel artisan à l'égard de son apprenti. Souriant doucement, l'air satisfait, il ne s'offusqua pas lorsqu'une question somme toute légitime traversa l'esprit de la Mercenaire et qu'elle la lui posa sans hésiter, ou peu s'en fallait.

- La Milice est loin d'être parfaite et je ne m'y sentais pas à mon aise. Il y a beaucoup de violence gratuite et d'agressivité, certains me faisaient davantage penser à des chiens enragés qu'à des soldats chargés de veiller à la sécurité des habitants.

Il se rappelait même de rumeurs concernant certains qui étaient pires que des Fangeux, s'adonnant à la torture et au viol, souvent même les deux à la fois, à vous dégouter de porter le même titre de travail qu'eux. Finn chassa cependant cette pensée qui avait assombrie son expression et reporta sur la jeune femme un regard plus clair, son sourire revenant à la charge.

- Être Mercenaire, c'est choisir tes contrats, tes missions, ceux à qui tu dois rendre des comptes. Le Capitaine est un homme de bien que l'appât du gain ne fera jamais dévier d'une décision et, à sa façon, il est plus honnête que nombre de chefs de Milice que j'ai rencontré. Je préfère le suivre, lui, plutôt que ces gens-là.

La corruption était partout, mais au moins un Mercenaire ne mentait-il pas sur sa fonction : il était payé pour un travail, un point c'était tout, il ne se cachait pas derrière de faux semblants ou de vagues excuses. S'approchant pour constater l'état du bas de porte correctement raboté, il souleva celle-ci et la replaça sur ses gonds, ajouta un peu d'huile et la fit pivoter dans un sens puis dans l'autre, hochant la tête avec une satisfaction et un plaisir évident.

- Tu as bien travaillé, tu peux être fière.

Nulle plaisanterie dans sa voix ni sur ses traits, alors qu'il lui lançait un regard pétillant de bonne humeur. Le travail avancerait plus vite avec une paire de bras supplémentaire et il choisit ainsi de lui faire signe de se lever, désignant le bois sur lequel il passa sa paume avec précautions.

- Ça te dirait de m'aider à les refaire à neuf ? Les portes et les quelques meubles que nous avons ont perdus leur éclat et ils auraient bien besoin d'être restaurés. Ça demande plus de travail et une certaine délicatesse, or tu as de fort belles mains aux doigts fins et avec ce que j'ai vu, je pense que tu pourrais très bien t'en sortir.

Loin de lui l'envie de la caresser dans le sens du poil, mais il fallait reconnaitre que s'il pouvait lui apprendre certaines choses et avoir de l'aide, il en serait plus que ravit. Raboter n'était pas le plus difficile, mais poncer une surface, la rendre aussi lisse qu'au premier jour, nécessitait un peu plus de temps et d'effort, quoique cela soit moins brusque comme travail... Et il pourrait toujours acheter du vernis à bois quand ils auront effectués leur première mission.

Il avait sourit en l'entendant repousser faussement son compliment, conscient qu'il était qu'elle voulait se placer au même niveau qu'un homme, mais ayant également repéré la petite lueur de contentement qui avait traversé le regard de la jeune femme : rares étaient celles qui étaient véritablement insensibles, la plupart se contentait de porter un masque et l'objectif que Finn se fixa alors, serait qu'en sa présence Cywel ne soit pas autant sur la défensive qu'avec les autres. Mais cela demanderait du temps, beaucoup de temps, par chance ils en avaient devant eux. Il l'écouta se poser les bonnes questions quant à ce qu'il allait lui demander, riant un peu à l'évocation du "blabla des menuisiers" puis hocha la tête avec bonne humeur quand elle trouva le bon terme, souriant en coin à son affirmation de lui rendre la pareille.

- J'ai hâte de voir ça alors.

Quelles étaient ces compétences en question ? La curiosité du Mercenaire se voyait piquée au vif, cependant il se retint de demander plus de détails, se gardant ainsi la surprise que lui vaudrait alors le retour à l'envoyeur de la part de la nouvelle recrue. Ça n'était pas les armes, ça non, ça n'était pas non plus les plaisirs charnels, alors quoi ? La cuisine ? Cela lui semblait quelque peu cliché, aussi poussa-t-il plus avant ses réflexions. Peut-être allait-elle leur constituer un potager dans la cour ? Ça, il devait reconnaitre que ça serait très utile et leur couterait un peu moins cher sur la durée pour nourrir leur Compagnie. Bah, de toute façon il verrait bien le moment venu, aussi haussa-t-il les épaules pour lui-même alors que Cywel lui posait une question, l'entrainant à sa suite vers une pièce où se trouvait plusieurs meubles au bois passé.

- Je pense qu'ils reprendront demain, le Capitaine aime bien alterner les phases de repos et d'entrainement, mais parce qu'ainsi pendant notre repos nous pouvons retaper notre lieu de vie. C'est notre maison désormais.

A sa ceinture se trouvait une sacoche de cuir qui semblait en avoir vu et qu'il ôta pour la poser au sol, rangeant les outils de rabotage pour en sortir une étrange matière compacte et un peu ferreuse, qu'on devinait capable de décaper la chair même si l'on s'amusait à l'y frotter vigoureusement. Le sourire de Finn ne monta pas jusqu'à ses yeux dont l'éclat concentré trahissait une volonté de bien faire, mais aussi de bien enseigner.

- Je vais te montrer comment on fait une fois encore, ensuite je te laisserais essayer. D'accord ?

Cela allait devenir leur petit rituel en ce jour, car à chaque fois il lui faudrait faire une démonstration, puis guider ses gestes et, enfin, la laisser se lancer seule dans le grand bain. Cywel ne manquait ni d'instinct ni d'adresse et de précision, elle aurait réellement fait la fierté de n'importe quel artisan et le Mercenaire songea qu'il pourrait effectivement lui apprendre d'autres choses sortant du cadre de la rénovation du Quartier Général. Qui sait si une fois la Fange éradiquée, elle ne pourrait pas en avoir l'utilité ? Ou même apprendre à quelqu'un d'autre, ou au moins faire de menus travaux pour vivre ? Oui, c'était là d'excellentes raisons que de lui apprendre un peu plus de ce qu'il savait.

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