Je n'ai qu'une parole [Le Capitaine & Cyrielle]

Elle avait eu un jour de repos, le premier depuis un moment. Sa grasse matinée ainsi que le début de son après-midi avaient été grignotés pour enfiler sa tenue de serveuse « Aux Trois Cerfs ». Pour autant, la nuit avait été longue, calme et revigorante. L'après-midi était passé bien plus rapidement qu'à l'accoutumée, sans qu'elle arrive à en retracer toutes les activités. Toujours est-il qu'une sieste s'était imposée. Elle ne devait pas laisser voir la moindre trace de fatigue. Sa décision était enfin prise. Elle avait mis beaucoup de temps à y réfléchir, surtout depuis que les bandages avaient quittés sont visage. Même l'application de crème cicatrisante, qui faisait atrocement briller son visage, était devenue plus rare. Elle se demandait parfois si la brûlure n'avait pas aidé à éviter l'infection de la plaie. Si même les fangeux y étaient sensibles et qu'on l'utilisait pour les faire disparaître, ça ne pouvait pas être si mauvais.

Toutefois, ce n'était pas le sujet de sa décision. Elle se souvenait encore de la discussion houleuse qu'elle avait eue avec Le Capitaine. Aussi fort en caractère l'un que l'autre, bornés et visiblement pas souvent fait pour s'entendre. Malgré ça, il y avait quelque chose de touchant à propos de lui. Les doutes, les questions et les inquiétudes qu'il avait montrées trouvaient un certain écho en elle. La milicienne était capable de comprendre et de compatir, même si elle ne l'avait pas montré de la manière la plus délicate et prévenance possible. Avec le temps, et le recul que celui-ci lui avait apporté, elle en venait à considérer les choses légèrement différemment. Elle ne regrettait rien de ce qu'elle avait dit, il avait eu besoin d'être secoué et provoqué. La seule chose qu'elle voulait maintenant, c'était honorer la proposition qu'il lui avait faite. Cyrielle avait beaucoup hésité lorsqu'elle avait vu qu'il faisait nuit au réveil de sa petite sieste.

Peut-être qu'elle ne le verrait pas, ou serait-il déjà occupé à d'autres choses. Quoi qu'il en soit, elle se mit en route, parcourant avec confiance les rues pavées et un peu boueuses. La milicienne portait fièrement son armure de cuir avec ses deux lames attachées à la taille. Le froid l'avait poussé à enfiler une longue cape à capuche, loin d'être moins mordant avec le temps, surtout en se dirigeant vers le port. Pourtant, lorsqu'elle arriva à destination, n'ayant pas flâné en chemin, elle vit deux silhouettes bien distinctes, là où elle n'en attendait qu'une. Immédiatement méfiante, l'une de ses mains se posa sur le pommeau de sa dague. Heureusement, quelques fenêtres éclairaient la rue pour lui permettre d'identifier le premier individu qui se dirigeait vers elle.

" Je savais que tu viendrais un jour. Ça faisait longtemps. "
✧ Je vois que je suis attendue, ça fait plaisir.

Un sourire se dessina sur son visage alors qu'elle avait fait tomber sa capuche. Elle avait reconnu sa voix et son apparence était loin d'être très commune. Pour autant, sa main resta posée sur son arme, l'autre venant en faire de même de l'autre côté. Elle les dégaina en affichant un petit air moqueur, uniquement pour imiter le comportement du Capitaine. La milicienne jeta un regard à l'ombre qui l'accompagnait et qui avait l'air d'observer la scène depuis son perchoir. Rien n'indiquait qu'il comptait descendre, que ce soit pour se présenter ou pour intervenir. Son regard retomba sur l'homme qu'elle était venue chercher, laissant passer un moment de flottement agréable et reposant.

✧ Il vaudrait mieux mettre de la pagaye ailleurs, si vous voulez mon avis. Et si on commençait par me présenter votre nouvel invité ?

Elle rangea à nouveau ses deux armes. La jeune Dolwen n'avait pas oublié à quel point le vouvoiement lui était important. Même si elle avait toujours du mal à l'appliquer, surtout avec les personnes pour lesquelles elle avait un minimum d'affection. Comme elle l’avait suggéré, elle attendait qu’il la conduise à l’écart des maisons susceptibles de se plaindre. Certainement qu'il avait trouvé un repère, une maison de jardin abandonnée, ou tout autre coin tranquille pour s'installer avec son nouveau garde du corps. Même s'il était légitime de se demander qui était le garde du corps de qui. En parlant de garde du corps et de combat, elle repensa à l’évènement qui avait eu lieu il y a peu. Un concours, des duels qui se suivaient les uns les autres avec des armes en bois pour déterminer quel était le combattant le plus fort et le plus rusé de Marbrume. C’était une compétition rude et le prix avait été à la hauteur des espérances, pourtant, elle ne pouvait pas cacher avoir espéré le croiser à cette occasion. Sa prestation n’avait pas été si exceptionnelle, mais elle avouait être plutôt fière des talents qu’elle avait eu le temps de démontrer à la foule.

✧ C’est bien dommage que vous n’ayez pas participé au concours des preux chevaliers. J’aurais pourtant pu parier vous y retrouver. Un empêchement ?

Elle laissa le Capitaine lui présenter Thomas qui l’avait accompagné en ce début de nuit. Il l’avait salué de manière bien étrange, mais elle n’avait pas commenté, lui retournant simplement un « Bonsoir » poli et un petit sourire agréable. Elle ne cherchait pas à lui plaire, et il aurait été stupide de sa part de répéter ses gestes en prenant le risque de ne pas en connaitre la signification. Se montrer froide et distante n’était pas pour autant dans ses intentions. Ainsi, il n’avait pas assisté au concours, mais impossible de ne pas en entendre parler. Elle ne doutait absolument pas du fait qu’on parlait plus d’elle pour sa toute première prestation que pour tout autre combat qu’elle avait mené. Elle ne pouvait lui en vouloir de chercher à la taquiner sur ce sujet, elle n’avait aucune raison de nier non plus. Elle assumait sa fourberie, et désormais, il devait se considérer comme prévenu. Elle nota tout de même qu’il n’était pas intéressé par ces événements, les jugeant comme des spectacles.

Le trajet avait été plutôt court, il ne comptait pas l’amener directement dans leur petit repère. Était-ce justement parce qu’il était désormais prévenu d’une autre facette de sa personnalité ? Impossible de le deviner, mais c’était prudent, et même s’il n’en avait pas besoin pour se protéger, ce n’était peut-être pas le cas des six hommes et femmes qu’il disait avoir recruté. Elle avait un sérieux doute à ce sujet, mais ne savait-on jamais. C’était un fait qui la rassurait légèrement, principalement pour la difficulté moindre que représentait le recrutement à mesure que le groupe grandissait. Pour ce qui était de la diversité de genre de ses membres, ce serait à juger avec le temps. Toujours est-il qu’elle allait passer son premier test. La milicienne ne jugeait pas que leur entrevue à la taverne puisse réellement être considérée comme le premier, Le Capitaine n’en avait pas été l’instigateur. C’est donc sans être étonnée qu’elle le vi prendre une dague en main et la diriger dans sa direction.

Un regard circulaire l’informa que « l’arène » improvisée était effectivement bien définie dangereusement définie. Ça lui plaisait. Il n’y avait aucun bateau amarré, personne ne se promenait dans les rues et les habitations étaient assez loin pour ne pas interférer. Le quai était large, et pourtant étroit pour l’activité, certainement inhabituelle, qu’il y avait prévus. Thomas avait également bien compris ce qui allait se dérouler et retourna se trouver un siège à portée de vue, mais pas de lame, ou du moins l’espérait-il. Un sourire se dessina sur son visage, prenant en main sa dague puis son épée. L’odeur salée de la mer l’envahit un instant et elle se mit en position de défense, posée sur ses appuis.

✧ Alors je n’ai aucune chance de te convaincre que je ne suis qu’une pauvre fermière mariée ? Quel dommage !

C’est avec ces dernières paroles moqueuses qu’elle signala le début du combat. Elle était position défensive, plus prudente encore qu’à l’accoutumée. Elle voulait savoir quels seraient ses premiers gestes. Allait-il tourner autour d’elle pour avoir la terre ferme dans son dos, la charger avec sa force brute, la charger avec un coup particulier ? Tant de questions et il allait y apporter une réponse, d’une manière ou d’une autre. Elle voulait voir comment il combattait avec cette épée énorme et lourde dans le dos. Elle lui donnait certainement un avantage de taille dans le cas où leurs épées resteraient face à face, il était plus lourd et plus fort. Pourtant, il perdait indéniablement en agilité et même en rapidité. La question était de savoir s’il avait fait en sorte de renforcer ses forces, ou s’il avait trouvé un moyen de pallier à ses faiblesses. C’était deux mentalités différentes, et d’une simple question elle pouvait en apprendre énormément à son sujet. Sa ruse ne lui servait pas toujours juste à gagner.