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 Quantité d'enluminures oubliées [Azhim Khalil]

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Louise OchaisonErudite
Louise Ochaison



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MessageSujet: Quantité d'enluminures oubliées [Azhim Khalil]   Quantité d'enluminures oubliées [Azhim Khalil] EmptyMar 31 Mai 2016 - 23:40



Quantité d'enluminures

oubliées



Attendez mademoiselle, il faut remplacer « J’espère que vous nous rejoindrez rapidement » par « Rejoignez nous à Marbrume au plus vite. »

L’érudite serra les dents, trempa la plume dans l’encre noire bien trop diluée pour être agréable à manier et guida son trait grâce à une barrette en bois. Les ratures paraissaient au moins plus propres.

« Depuis Radaguston, la route a été longue », reprit le paysans aux tempes grisonnantes qui lui dictait ses lignes. « Nous n’avons pas pu ramener beaucoup d’affaires ni beaucoup de vivres. Mais j’ai réussi à prendre la route avec les enfants et Amélia. »
Cela s’épelle comment ?

L’homme s’interrompit, interloqué. L’érudite se rendit aussitôt compte de son erreur mais l’homme se sentit obligé de préciser :

Je ne sais pas écrire. Comment voulez vous que je sache épeler petite cruche ? C’est pour ça que vous existez, vous les scribouilleurs de mes deux.

On sentait de l’agacement acerbe dans sa voix. Elle hocha silencieusement la tête sincèrement désolée et griffonna en belles lettres le prénom comme elle l’avait toujours imaginé écrit.

Écrivez qu’elle devrait passer par le col sud du mont des Rosepelrines. Que la route serait plus sûre pour échapper à cette immondice de Fange à ce qu’on dit.

Puis l’homme des terres ouvrit la bouche mais quelque chose de l’ordre de l’émotion lui serra la gorge et ce qui en sortit semblait presque ridicule :

Écrivez aussi à ma mère que je l’aime fort et que j’ai hâte de la revoir en vie.

Et le dernier mot était de loin le plus glaçant.

Avec la douceur et la bienveillance qui lui était propre, l’érudite sourit pour lui faire signe qu’elle avait compris. Elle gratta le papier au plus vite pour tout y mettre et pour que ça reste sur le même papier pour empêcher l’homme d’en racheter un second.

Concluez comme vous voudrez, souffla-t-il pour se redonnez de la contenance.

Et la jeune mère conclut donc de la manière la plus respectueuse qu’il fut. Elle trouvait étrange ces hommes devenus vieux qui traitaient presque avec honte le sentiment incroyablement fort de l’amour qu’il portait à leur mère. Au fond d’elle, elle souhaitait que l’enfant ne rejette pas cette tendresse qu’ils avaient toujours partagée dans les moments forts. Mais chaque jour le temps passe et le garçon grandit. Un jour, s’il allait jusque-là, se soucierait-il encore de sa vieille mère. Il n’y avait plus grand monde pour y faire attention désormais. En quittant le manoir familial, la jeune mère avait abandonné l’ensemble de ses proches et même l’espoir que caressait son frère de revoir un jour ses propres parents.

En soufflant sur le papier, elle attendit que l’encre noire cesse de refléter le soleil gris qui plongeait dedans sans envie.

Vous pensez qu’elle la recevra ?
Bien assez tôt, je l’espère, répondit la jeune femme se voulant optimiste. Je le donne tout de suite au fauconnier.

Pourtant elle savait. Oui, elle savait que le fauconnier refuserait d’envoyer un de ses chers et tendres oiseaux. Car ceux qui partent ne reviennent pas toujours. Et parfois, quand ils reviennent, ils sont toujours chargés de leurs missives. Eux-mêmes, les messages des rois n’y échappent guère. Cependant, dans ce puit de tristesse qu’était devenue Mabrume au fil des saisons et de l’amoncellement d’âmes de tous horizons échoués là, un peu d’espoir éclairait un semblant de bonheur au fond des cœurs. Aussi rustres soient-ils.

Et plus les jours passaient, plus exercer son métier était pour l’érudite comme lire dans les cartes : elle ne vendait plus de l’encre et du papier mais véritablement de l’espoir.
La calligraphie noire était sèche. Elle roula soigneusement le bout de papier. Ils se saluèrent et elle attendit de vendre sa plume à un autre passant.

Sur la place du marché ils n’étaient que quelques un à proposer ce service. Il faut dire que la clientèle n’abondait pas. Les meilleurs scribes sont comme les mains habiles de gens qui passent bien trop de temps à bavasser. Ils sont souvent des hommes par pur raisonnement statistique : quitte à éduquer un enfant, la balance penche toujours vers l’héritier mâle. Faute d’avoir été cet enfant, on ne prenait pas toujours au sérieux la jeune lettrée. D’autant plus qu’on ne pouvait la rencontrer qu’entre les vendeurs de breloques et de tous les maigres approvisionnements que Marbrume parvenait à drainer. A cette époque de l’année, les gens se jetaient bien plus sur une demie once d’avoine que sur une belle calligraphie.

Pourtant la calligraphie de la jeune femme était belle. Aérienne et stylisée comme le sont les vieux livre du Nord. Assez stricte. Mais cette rigueur donnait beaucoup de régularité dans ses traits. A déchiffrer, l’écriture était limpide.

Autrefois, avec de meilleures encres, quelques couleurs et plus de temps, la jeune femme aurait aimé se concentrer à orner ses lettres avec le savoir des anciens calligraphes qui connaissaient le pouvoir captivant des pigments naturels.

A cette idée, le souvenir du grand bureau incliné sur lequel elle travaillait quand n’était qu’une petite fille lui revient à l’esprit. Elle se rappelait des dorures des écussons qui décoraient finement les petits tiroirs où étaient rangés les fusains et du grand plan incliné de travail en bois de noyer. Mais le plus beau dans ce bureau c’était la chaise aux longs accoudoirs sculptés et au dossier de velours rembourré. Aujourd’hui, elle travaillait assis par terre, sur un vulgaire petit tréteau bancal. Dans le bruit infernal, incessant et assourdissant.

La jeune femme se redressa et fit son possible pour ranger dans le passé ce qui appartenait au passé. Elle avait mal au dos à force d’être voûtée. Et elle observa les gens la dépasser. Leurs corps pressés dans leur corps lésés. Leur passé se dévoilaient dans leur pas sans qu’ils ne s’en soucient.

La plupart des personnes n’aiment pas qu’on les regarde marcher dans la rue. L’érudite comprenait cette gêne et pourtant elle ne pouvait s’empêcher de contempler certain des visages. Un jeune homme avec une cicatrice, cicatrice qu’elle retrouvait sur le menton de l’autre, menton qui lui rappelait celui de son frère… Une jeune noble la dépassant cachée sous son capuchon avec les lèvres teintées à la betterave. Betteraves que vendaient visiblement un marchant non loin et, si elle n’avait pas été si plaisante de caractère, elle aurait égorgé pour qu’il arrête de brailler le prix.

Les yeux de la jeune fille se fixèrent tout d’un coup sur le visage d’un homme qui avançait dans sa direction. Une allure de domestique très propre sur lui et soigné comme une chose précieuse. Un visage dur et fermé. Raide dans sa façon de marcher. Aussi droit que les gens qui excellent sur le dos de chevaux. Sa peau est foncées comme celles des voyageurs qui viennent du Sud et que quelque uns appellent les maures, les berbères ou les sarrazins. Un métèque d’apparence. Mais un métèque qui travaille probablement pour les grands de cette ville tellement il lui manque la crasse qui suinte partout ici-bas.

Parce qu’elle est assise par terre, elle le trouve grand. Très grand. Et plus elle le voit se rapprocher d’elle, plus elle se prépare à se plier dans maints remerciements pour avoir posé le regard peut-être où elle n’aurait jamais dû.

Très vite, elle baisse les yeux, serrant les poings, se trouvant idiote de s’attirer des ennuis de ce type. Elle ne pensait pas à mal. Elle ne voulait pas importuner. Et maintenant elle tuerait pour disparaître.

Que puis-je pour vous, cher monsieur ? demanda-t-elle sans oser croiser son regard.

Et elle s’étonna que celui qu’elle prenait pour un étranger lui réponde avec un accent encore plus marbrumeux que le sien.


Dernière édition par Louise Ochaison le Lun 6 Juin 2016 - 22:48, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Quantité d'enluminures oubliées [Azhim Khalil]   Quantité d'enluminures oubliées [Azhim Khalil] EmptyVen 3 Juin 2016 - 22:08
Il l'avait repéré il y a quelques jours maintenant, alors qu'il allait acheter quelques commissions pour sa maîtresse. Avec son grand regard clair et son visage de poupée, elle ne passait pas inaperçu. Pour lui, en tout cas. Elle lui avait fait légèrement penser à Luna, cette petite noble idiote et naïve, et il se disait que celle-là aussi, devait l'être, idiote et naïve. Le genre de femmes qui grandirent avec toute la gentillesse du monde dans le cœur et qui demeurent persuader que les hommes ont un bon fond. Que tout le monde veut le bien de tout le monde.
Pour qu'il l'ait repéré, elle était belle. Une beauté naturelle et innocente, de ce genre de beauté que l'on avait envie de malmener un peu, juste pour voir si la peau de porcelaine ne se craquelait pas pour laisser apparaître une poupée de chiffon. Longtemps, il l'avait observé, concentrée sur ses feuilles de papier, s'appliquant à tracer ces courbes de la plus belle façon qui soit. Longtemps, il avait réfléchi, durant cette longue journée de bons et loyaux services, à cette femme. À ce qu'elle faisait naître en lui. À ce qu'il pouvait faire naître en elle.

C'était elle qu'il avait choisi, mais ça aurait aussi bien pu être une autre.

Il ne pouvait compter sur Grâce pour avoir une excuse pour la rencontrer. La baronne était parfaitement lettrée, et ne nécessitait en aucune manière des talents d'une scribe, et encore moins d'une scribe du petit peuple. C'était donc à lui, et à lui seul de trouver un moyen de s'approcher de cette jeune femme au regard trop bienveillant.

Les nuisances sonores venaient de toutes parts. Des éclats de voix, des rires, des prix balancés dès qu'on passait devant une échoppe, quelques notes d'instruments aussi lui parvenaient aussi. Lui qui appréciait le silence, il était servi. L'homme qui parlait à la scribe était lent, terriblement lent. Azhim en avait assez d'attendre. Lui qui était pourtant patient, lorsqu'il se trouvait entouré de monde, ça changeait la donne.
Enfin, l'autre partit, arrachant un petit soupir d'exaspération au domestique.

C'est pas trop tôt.

À son tour il s'avança, yeux rivés sur elle comme un animal fixerait sa proie. Elle, baissa les yeux après l'avoir un instant observé. Il lui en voulait à elle, de l'avoir fait tant attendre. Toute cette histoire commençait visiblement plutôt bien.
Le soleil tapait fort ce jour-là, pourtant Azhim restait fidèle à ses vêtements sombres et luxueux.

- Que puis-je pour vous, cher monsieur ?

Un fin sourire vint se dessiner au coin de ses lèvres.

- Bonjour, commença-t-il après un léger silence. J'ai besoin de votre plume.

Il s'accroupit, se mit à sa hauteur, bien qu'il appréciait cette sensation de puissance. Ainsi abaissé, il pouvait mieux observer son visage, aussi beau de proche que de loin. Quelques discrètes imperfections ici et là ne venaient qu'ajouter une touche de charme à la jeune femme. Il put même remarquer un petit grain de beauté, juste là, au coin de l'oeil gauche.
Azhim était doué pour parler. Pour manipuler. Pour ce qui était de la séduction, c'était une toute autre histoire. Son visage n'était pas très expressif, et sa voix, très souvent neutre, égale. C'est pourquoi il laissa planer un silence pensif, où son regard se perdit un instant dans le vide.

- J'aimerais que vous écriviez mon nom.

Il ne savait pas où il voulait en venir, et probablement qu'elle non plus. Mais cela lui importait. Il avait l'air sûr de lui, c'était le principal.
Se penchant un peu plus en avant, il prit soin d'articuler et de bien détacher chaque syllabe.

- Azhim Khalil.

Son nom. C'était tout ce qui lui restait. De sa famille, peut-être. D'un passé qu'il ne connaissait pas. Il n'était même pas sûr que ce soit vraiment le sien. Mais cela ne l'empêchait pas de l'aimer. Il appréciait le sifflement que cela faisait quand il l'entendait. Il avait sûrement dû le voir quelque fois écrit, mais jamais de manière concrète et spécialement pour lui. Et, ainsi, la jeune érudite le connaissait aussi. Ce n'était pas une entrée en matière particulièrement séduisante, mais ... ça restait une entrée en matière.
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MessageSujet: Re: Quantité d'enluminures oubliées [Azhim Khalil]   Quantité d'enluminures oubliées [Azhim Khalil] EmptySam 4 Juin 2016 - 0:42
De près, l’érudite remarqua le raffinement de l’habit noir. Le col austère lui donnait un air léché et les fines broderies suggéraient son appartenance à une classe aisée de travailleur. Un garçon du peuple qui s’était fait une place auprès des plus généreux des nobles sûrement. Un domestique choyé ? Un homme de main ? Un homme de confiance ? Les hypothèses se succédaient, abondaient, et elle n’aurait pas eu le courage de poser les questions.

Un sourire naquit sur les lèvres de l'étranger. Elle en fut surprise. De tous les passants, c’était celui dont elle n’avait même pas imaginé entrevoir les canines.

Il avait besoin de ses talents apparemment. Elle trempa aussitôt sa plume dans le petit encrier, l'écoutant avec patience. Et quand elle releva les yeux, l’homme s’était accroupi. Il s’était mis à sa hauteur et la regardait droit dans les yeux. D’habitude, ses clients restaient debout. Contrainte de rester en tailleur pour avoir un minimum de stabilité, elle avait coutume d’entendre ses commanditaires parler de haut et lui dicter leur lettre debout devant elle alors qu’elle était assise sur une petite paillasse à même le sol. Au fond, c’était devenu dans l’ordre des choses. Elle ne s'en formalisait guère.

A cet instant, elle ne savait ce qui la dérangea le plus. Cette manière de rester ployé devant elle pour lui parler face à face ou la façon dont il détaillait son visage soigneusement. Elle se sentait à découvert. Comme s'il essayait de lire dans ce quelle été. Ou comme s'il cherchait en elle quelqu'un qu'il avait connu autrefois. Avait-elle quelque chose de familier pour cet inconnu ? Lui rappelait-elle quelqu'un ? Voyait-il en elle quelque chose qui valait cette longue œillade déconcertante ? Obligée de le regarder, elle aussi, elle trouva rien de très expressif dans les yeux bruns du basané. Les réponses à ses innombrables questions restaient ainsi enfoui devant cette rudesse de traits.

Un court silence. Un court silence durant lequel elle ne pouvait cacher sa gêne et baissa les yeux pour échapper au regard qu’elle trouvait froid de premier abord.

Soudain, il lui dit pourquoi il était venu : avoir son nom. Voilà tout ce qu'il voulait.

Pas banal comme requête. Son nom ? Juste son nom ? En temps normal, les gens venaient la voir pour écrire un message aux nobles ou pour envoyer des missives à leurs proches. Son nom, donc ? Pour quoi faire ?

En essayant de cacher sa surprise, la jeune femme attendit avec bienveillance qu’il lui dise ce qu’elle avait à marquer. La sentence tomba : Azhim Khalil. Et la jeune femme croisa le regard de l’homme, interloquée.

Elles sont étonnantes les rencontres que l’on fait à Marbrume, souffla-t-elle, intriguée. Vous venez d’ici plus que moi, mais votre nom vient de loin, n’est-ce pas ?

Puis, elle se rendit compte de la mauvaise interprétation qui aurait pu être fait de ses propos. Il pouvait croire qu'elle ne voyait en lui qu'un teint légèrement plus foncé et des traits qui lui rappelait ceux d’ethnies éloignées alors que tout ce à quoi elle s'intéressait au fond était l'histoire de cet homme. L’érudite était de nature curieuse. Très curieuse. Et curiosité rimait parfois avec importuner. Elle rebaissa aussitôt ses yeux sur le parchemin et écrit avec des courbures d’ailleurs le nom qu’on venait de lui donner en s’excusant platement :

Je suis sincèrement désolée, monsieur. C’était déplacé.

Et elle retrempa le petit calame surmonté d’une plume en piteuse état et repassa une deuxième couche sur les lettres rapidement. Ça lui couterait plus d’encre mais elle espérait réparer ainsi ce qu'elle pensait être une copieuse impolitesse de sa part.

Dois-je rajouter quelque chose, sieur Khalil ? ajouta-t-elle pour laisser au plus vite l'"incident"derrière elle.

L’homme la dévisageait toujours. Et, en toute honnêteté, elle ne savait pas quoi penser de lui. Il avait quelque chose de paradoxal chez lui. Son accoutrement mettait beaucoup de distance entre eux alors qu’il se tenait à quelques centimètres d'elle. Comme s'il ne la comptait pas la traiter en prenant compte de toute cette pauvreté qui les entouraient. Comme s'il n'avait pas peur d'attraper cette maladie que les nobles méprisent en s'y frottant de près.

Ce n’était pas le genre de personne qui venait la voir habituellement et elle aurait payé cher pour connaître le fond de la pensé de cet inconnu. Ses intentions valaient de l’or à ses yeux.

Humblement, elle se tenait à son service.


Dernière édition par Louise Ochaison le Lun 6 Juin 2016 - 20:47, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Quantité d'enluminures oubliées [Azhim Khalil]   Quantité d'enluminures oubliées [Azhim Khalil] EmptyLun 6 Juin 2016 - 20:17

La surprise et l'incompréhension se lit très clairement sur son visage. Mais, polie, elle ne fit pas de remarque quant à cette étrange demande. Elle se contenta de relever l'exotisme de son nom, avant de s'excuser platement, persuadée d'avoir été irrespectueuse.

- Vous avez totalement raison, dit-il pourtant. Son origine est étrangère pour moi aussi. J'aime m'imaginer une contrée lointaine où mes parents auraient pu vivre. Le fruit du hasard m'a fait tomber en ces Terres. J'ignore si j'y suis né ou non, mais d'aussi loin que remontent mes souvenirs, j'ai toujours vécu ici.

Il inclina légèrement la tête, intéressé par le travail précis de la jeune femme. La souplesse et l'agilité du geste était hypnotisant, plaisant à regarder. S'il avait su, il lui aurait demandé de lui écrire une histoire.

- Je crois comprendre que vous n'êtes pas de Marbrume ? Releva-t-il, ravi de pouvoir rebondir sur ses paroles.

Quand elle demanda s'il souhaitait qu'elle rajoute quelque chose sur la feuille, Azhim failli répondre un 'non' relativement froid, faute à ses réflexes de domestique sans émotion et robotisé. Il prit le temps d'observer ce qu'elle avait fait, et se fit la réflexion qu'il aimait beaucoup voir son nom écrit.

- C'est un beau travail. Ça me convient parfaitement.

S'il avait osé pousser le vice un peu plus loin, il lui aurait demandé d'écrire son nom, à elle, à côté du sien. Mais, déjà que sa première requête était inédite, il préférait éviter pour l'instant de se montrer trop étrange.
Se redressant sur toute sa hauteur, il vint fouiller dans la bourse en cuir qui pendait à sa ceinture et en sorti une jolie petite poignée de pièces. Elles venaient tout droit de ses propres économies, qu'il gardait jalousement caché dans ses appartements. Un beau trésor, qui ferait rougir de jalousie un bon nombre d'individus dans la ville.

Il récupéra son achat et déposa les pièces à la place.

- J'espère que ceci vous permettra de subvenir à vos besoins, madame. Mais, dites-moi …

Ses mains vinrent habilement rouler le papier tandis qu'il laissa planer un silence.

- Où puis-je assurément vous trouver ? J'aurais probablement très bientôt de nouveau besoin de vos doigts, pour des lettres plus importantes.

Il enchaîna aussitôt.

- Oh, mais dites-moi. Je perçois dans notre entretien comme une injustice. Vous savez mon nom, maintenant. J'aimerais que cela soit équitable et pouvoir connaître le votre en retour, madame.

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MessageSujet: Re: Quantité d'enluminures oubliées [Azhim Khalil]   Quantité d'enluminures oubliées [Azhim Khalil] EmptyLun 6 Juin 2016 - 22:23
Je crois comprendre que vous n'êtes pas de Marbrume ?
Non. Comme beaucoup.

Elle releva le nez de son travail pour tourner le regard vers un vieil homme derrière eux qui peinait à s’exprimer avec les mots d’ici, et elle sourit à l’homme cordialement.

Je viens de l'Ouest, pour ma part.

L’homme suivait des yeux son calame. Evaluait-il la qualité de sa calligraphie ? Ou était-il simplement absorbé par cette technique ? La jeune femme se rappelait quand elle était petite fille. En voyant son père écrire, elle s’était toujours dit qu’elle n’arriverait jamais à maîtriser la plume avec la limpidité et la finesse de celui qui était monté dans un bateau pour ne plus jamais revenir, quelques années après. Aujourd’hui encore, elle se prenait à s’arrêter dans la rue, devant un potier, une forgeronne ou un souffleur de verre.

Il lui assura qu’il ne lui fallait rien d’autre. Juste un nom. Le sien en plus. Et ce qu’elle avait fait semblait lui convenir. Cependant, avant de le lui tendre, elle souligna le nom à la façon dont on habille ceux des sangs bleus. Elle habilla le « A » et le « K » majuscule avec finesse. Elle souffla doucement sur l’encre pour qu’elle sèche avant de lui tendre et qu’il roule sans un mot le parchemin. Et l’érudite paraissait presque désolée de ne pouvoir point davantage pour ce curieux client.

Sans attendre qu’elle lui donne un prix, l’homme mit une main dans une bourse en cuir pour en sortir une poignée de pièces. Comme paiement, la scribe public ne prenait jamais d’avantage que quelques écus pour une missive. Or, là, on lui donnait plus de pièces qu’elle n’avait écrit de lettres. Elle ne put cacher sa surprise et, presque abasourdie, elle ne trouva pas la force de tendre la main. Il posa l’argent sur le rebord du petit chevalet. Pour « survenir à ses besoins », avait-il dit.

Mais l’érudite ne faisait guère la mendiante.

Elle se releva comme si elle avait toujours prévue de bondir pour fuir. Avec la ferme intention de protester devant la somme qu’on lui glissait dans les doigts. Mais il l’arrêta dans son élan. Il parla d’un travail qu’elle pourrait faire pour lui prochainement. Il voulait savoir où la trouver assurément. Elle ouvrit la bouche, voulant protester à la fois pour refuser l’or qu’elle se devait de refuser et aussi pour lui répondre mais il n’attendit aucun son sortir de sa bouche. Il demanda tout de suite :

Oh, mais dites-moi. Je perçois dans notre entretien comme une injustice. Vous savez mon nom, maintenant. J'aimerais que cela soit équitable et pouvoir connaître le vôtre en retour, madame.

Là, le malingre bout de femme s’arrêta. Elle trouvait cette mascarade étrange et espéra au fond d’elle qu’il ne s’était pas approchée d’elle que dans cette bien triste fin. Renfrognée, elle fixa les yeux noirs et vide d’émotions de l’inconnu et souffla, mal à l’aise :

Ochaison. Comme la flotte.

Par coutume, elle ne donnait plus que son patronyme depuis qu’elle vivait à Marbrume. Il n’avait pas suffi de beaucoup de temps pour qu’elle comprenne que dans cette ville le nom des vivants côtoyait celui des morts et se perdaient aussi vite dans le vent que le bois brûle dans l’âtre. Dans le dernier repart de l'humanité, il n'y avait plus grand chose d'humain et l'identité n'existait plus vraiment.

Il y avait des lettres sur des bouts de papiers. Qui brûleraient eux aussi peut-être, une nuit sombre et pleine de peurs.

Son nom, celui de sa famille, de son père et de son grand père avant lui, était associé à une maison qui avait un jour bâti des navires. Les plus endurants fut un temps. Tout ça n'avait plus de sens aujourd'hui que les derniers hérités ressemblaient déjà à des cadavres qui périront trop loin de l'océan.

Assez froidement, elle reprit en prenant le temps d’articuler :

Si vous avez plus ample travail à me fournir, je serais ravie de vous offrir ma plume. Je…et elle hésita un temps. Normalement vous me trouverez ici. Si je n’y suis pas, allez voir à la Bibliothèque. J’y étudie parfois.

Et elle se retient de préciser que s’il ne la trouvait guère, il pouvait s’abstenir de la traquer jusqu’à chez elle puisque ce n’est pas ce que font les gens avec des manières éduquées comme les siennes. Il y avait bien d'autres scribes dans la ville qui vendaient leur plume. Et le prix ne semblait pas être le problème pour celui qui devait être son aîné d'une bonne dizaine d'années.

S’il s’apprêtait à tourner les talons, elle le retint encore un peu :

Sieur Khalil, elle l’interpella en prenant sa main pour y glisser les pièces qui étaient de trop.

Ses doigts à elle paraissaient froids comme l’hiver dans sa grande main chaude. Silencieusement elle replia la main de l’inconnu sur l’argent qu’elle refusait en murmurant :

Je n'implore pas la charité, monsieur.

Elle n’osait pas le regarder parce qu’il lui en coutait tellement. Avec ces sous, elle savait qu’elle aurait pu manger. Et quelle aurait pu nourrir l’enfant au moins pour deux jours. Et qu’elle était probablement une personne sotte et naïve. Indigne devant les dieux. Néanmoins, l’érudite avait trop d’esprit pour faire ce qui était censé ; parfois, elle préférait de loin faire ce qui était juste.

Aux yeux de cet homme, elle se voulait claire et digne. Fidèle à elle-même. Parce qu’il n’y avait rien de pire pour une honnête personne que de devenir redevable à un potentiel scélérat.
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MessageSujet: Re: Quantité d'enluminures oubliées [Azhim Khalil]   Quantité d'enluminures oubliées [Azhim Khalil] EmptyVen 10 Juin 2016 - 23:50
Elle c'était crispée. C'était léger, furtif, mais Azhim l'avait remarqué. Elle n'avait guère apprécié qu'il lui demande son nom. Et bien ? Qu'est-ce qui n'allait pas, avec elle ? Il lui avait demandé son nom, pas la lune. Et apparemment, elle ne semblait pas décidé à lui donner son prénom. Parfait. Alors il allait devoir se débrouiller par lui-même pour le connaître.
Cette soudaine froideur qui émana de la jeune femme fit naître dans le ventre d'Azhim une colère étrange, qu'il n'avait ressenti que très rarement. Une sorte de frustration désagréable. Oui, c'était ça, il était vexé.

- A la bibliothèque. Bien, lança-t-il donc en hochant brièvement la tête.

Il n'allait pas s'attarder plus longtemps. Bien que son visage n'avait guère changé d'expression depuis le début de leur discussion, son regard s'était quelque peu teinté de noirceur.

- Sieur Khalil ?
- Dame Ochaison ?

Elle vint lui rendre la moitié du paiement qu'il lui avait si généreusement laissé. Un instant, le domestique regarda ses pièces briller dans sa main, encaissant relativement mal la phrase cinglante de l'érudite.
Il haussa un sourcil faussement étonné, fit tourner l'argent entre ses doigts avant de daigner les ranger en la regardant.

Cette fierté mal-placée le rendait malade.

Combien de fois avait-il rampé, imploré, pleuré pour obtenir quelque chose ou pour ne pas être puni, enfant? Combien de fois encore, à ce jour, continuait-il à s'aplatir devant les plus grands, devant les plus riches, dans l'espoir d'avoir lui aussi une place ? Il savait que l'honneur n'avait pas de destin. Que, même si lui faisait bonne figure lorsqu'on ne le connaissait pas, il pouvait s'avérer être l'homme le plus lâche du monde. À quoi cela servait, de refuser un don par simple fierté ? Elle n'allait qu'en retirer un goût amère dans la bouche lorsqu'elle se rendra compte que cette précieuse monnaie aurait pu lui permettre de survivre quelques jours de plus.

- Vous êtes sûr ? Demanda-t-il néanmoins, connaissant d'avance sa réponse.

Parce qu'il savait que sa question avait malgré tout un impact sur elle.

- Je ne fais guère de charité. J'agis selon mes envies.

Et, après l'avoir brièvement salué – avec beaucoup moins d'entrain qu'à son arrivée -, Azhim tourna les talons, le dos raide, et prit congé.

Il n'allait sûrement pas en rester-là.

HRP:
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MessageSujet: Re: Quantité d'enluminures oubliées [Azhim Khalil]   Quantité d'enluminures oubliées [Azhim Khalil] EmptyVen 17 Juin 2016 - 18:47
Ceux qui grandissent avec trop de fierté sont soit la chevalerie incarnée, soit impuissants et ruminant ne non-sens de leur vie. Ceux qui savent s’en détacher font preuve d’humilité et d’intelligence. L’érudite avait grandi avec les premiers. Et même si elle n’avait rien de chevaleresque elle restait cependant humble et son honneur valait tout l’or du monde.

Ce qu’elle refusait, elle le négligeait en connaissance de cause. Et elle ne le regretterait pas. Car l’érudite avait cette sagesse qu’on ceux qui veulent marcher dans les pas de la justice. C’est pourquoi, quand il lui demanda si elle était sûre, elle hocha sobrement la tête. Certaine.

Je ne fais guère de charité. J'agis selon mes envies, lâcha-t-il alors bien plus froidement qu’au début.

Après une petite politesse d’usage, l’homme tourna les talons, laissant la jeune femme qui se rassit en le regardant s’éloignée, un peu pantoise.

Qui était la personne à Marbrume dont les « envies » se réduisait à glisser des pièces dans les mains des gens ? La jeune femme n’y croyait guère. Et pourtant, elle n’avait nul à reprocher à cet homme. Elle l’avait trouvé courtois et aimable. Peut-être que la rareté de ces personnes en faisait en quelque sorte un miracle étonnant et déroutant dans le gris de cette ville du bout du monde.

Elle soupira et reprit son travail. Et l’heure d’après, elle avait tout oublié de cet inconnu au nom venu d’ailleurs.

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MessageSujet: Re: Quantité d'enluminures oubliées [Azhim Khalil]   Quantité d'enluminures oubliées [Azhim Khalil] Empty
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