Tu achètes? Je vends [Pv Grondemar]

Dans le noir,
Les perspectives,
Sont très nombreuses...

Voilà pourquoi cela fait plusieurs heures déjà que je suis là, à guetter l'entrée et à me demander quand est-ce que je vais enfin pouvoir passer à l'action. Cette maison est tout ce qu'il me reste et si je sais que tout le monde m'a déconseillé de venir ici, il se trouve que je n'ai plus le choix !

Ma famille est entrain de mourir de faim et je ne sais pas combien de temps ceux ayant deux fois mon age vont pouvoir tenir, je dois trouver à manger et je n'ai rien a offrir en échange. Je suis un voleur, je n'ai pas honte de le dire, nous faisons ça depuis des siècles dans ma famille et si plusieurs d'entre nous on déjà payé cela de leur vie, je suis l'un de ceux à m'en être toujours sorti sans gros soucis. C'est sans doute pour ça que je vais tenter mon coup dans cette maison, car je sais qu'il y a des graines, et de la viande encore fraîche entre les murs de cette bicoque !

Seulement cette maison n'est plus celle de personnes à qui il est aisé de voler un peu de pain ou quelques fruits ! Depuis quelques temps la fille de l'ancien propriétaire a repris les lieux en main et un de mes plus petit frère a déjà trépassé en voulant ne voler qu'un peu de nourriture ! C'est pour cela que nous avons décidé d'aller nous fournir ailleurs, mais les autres places sont difficiles d’accès elles aussi, car très loin de notre tanière. Nous ne sommes plus les seuls à voler pour manger maintenant et plus la distance à parcourir pour rapporter notre prise et grande, plus les risques que l'on se fasse prendre augmentent.

Tapis dans l'ombre, je laisse mes yeux au repos et mise sur mon ouïe pour savoir quand une faille va s'ouvrir ! Impossible de sortir la tête sans risquer de la perdre, si je sors il faut que ce soit complètement et à la vitesse d'un loup chassant sa proie. Mon plus jeune frère a essayé il y a plusieurs semaines et il ne s'en est pas tiré... Son sacrifice nous a cependant offert de précieuses informations et c'est grâce à cela que je sais qu'il faut que je cours plus vite que le vent si je veux avoir une chance de passer la porte, je sais aussi que je suis le seul a avoir encore assez d’énergie pour essayer !

La femme qui vit là est calme et ne se doute de rien, mais je ne veux pas prendre le moindre risque. Assise devant une large table au centre de la pièce, elle travaille seule, dépeçant un lapin, je peux le dire rien qu'à son odeur ! La pauvre bête à succombé à une des flèches de cette sorcière ou bien à un de ces collets qui a tué mon petit frère ! Je lui avais dit qu'il ne fallait pas qu'il essaye, mais Monsieur m'a dit qu'il était déjà venu plusieurs fois et que les pièges n'étaient plus là depuis bien longtemps ! Les tueurs avaient disparus et d'autres personnes s'étaient installés sans remplacer les pièges qu'il disait ! Si seulement il avait été un peu plus prudent il se serait vite rendu compte que cela n'était plus d'actualité...

Tombant sur le flanc je soupire. Il faut qu'elle s'éloigne de cette table si je veux avoir une chance de passer la porte ! Tout autour d'elle il y a tellement de choses qui pourraient la distraire ! Ce grand meuble où elle range ses outils de torture par exemple ou encore son coffre où elle procède ç la salaison de ses viandes quand elle en a suffisamment ou encore cette pièce derrière elle où elle pend tout cela loin de nos crocs... Son piège se déclenchera dans tout les cas et fera donc du bruit ! Si elle est là elle pourra me tuer sans peine, même si j'arrive à échapper à celui-ci. Il me faut donc attendre encore et encore, espérant pour qu'elle quitte son poste, car c'est la seule entrée dans cette pièce que nous avons. Il faudra en faire d'autres, mais cela demande du temps et de l’énergie, chose que nous n'avons plus...

Allez,
Va te balader,
Pour me laisser travailler...

Fait notable depuis que Théodemar n'était plus à Marbrume, Gondemar avait rasé sa barbe. Cela pouvait paraitre fort peu pour bien des gens, mais pour celui qui l'avait arboré durant près d'un an alors qu'il détestait cela, c'était chose d'importance. Il s'était tenu devant son miroir, rasoir affûté en main, fixant son reflet sordide et peu engageant, avant de commencer son œuvre. Lentement, avec des gestes emplis de précision dont il avait progressivement retrouvé la dextérité, le noir de la barbe s'était effacé pour laisser percevoir le pâle d'une peau n'ayant plus pris le soleil depuis trop longtemps, révélant la mâchoire carrée qui avait tant plu à feu son épouse. L'homme qui lui fit face après cet exercice lui semblait plus âgé et plus jeune à la fois, son regard bleu pâle lui donnant l'impression d'être celui d'un ancien quand son visage désormais à l'air libre paraissait avoir gagné de nombreuses années de jouvence. Une vie entière de rasage militaire firent le poids en comparaison d'une année d'abstention et ce fut avec la peau intacte qu'il sortit de sa chambre, croisant son fils qui s'étonna tant qu'il manqua en rester sans voix. N'eut été un regard d'avertissement, nul doute que Anatole se serait permis une remarque, mais l'expression fermée de son père eut le mérite de couper tout élan joyeux. Le désormais simple homme d'arme quitta la demeure familiale sans se retourner, vêtu de son armure de cuir et de son épée courte habituelle, prenant la direction d'une petite rue qu'on lui avait récemment indiqué et où on lui avait affirmé qu'il pourrait se procurer de la viande, moyennant finances.

Parlons-en des finances d'ailleurs. Théodemar partit et la plupart de ses biens saisis, ne restait à son épouse Diana que fort peu de moyens pour subvenir à ses propres besoins, Gondemar de son côté ayant eu la présence d'esprit durant cette année écoulée de mettre de côté tout ce que lui versait son ami d'enfance, si bien qu'il songeait pouvoir tenir quelques temps, mais point éternellement. Il en était de même pour celle qui se retrouvait désormais esseulée et, bien que retrouver sa liberté d'action plaisait à l'homme d'arme, l'idée de laisser la femme de son ami dans le besoin lui déplaisait, si bien qu'il cherchait une solution pour lui permettre d'avoir de nouveau quelque rentrée d'argent. La Milice lui avait apparu comme une idée intéressante, mais le risque d'y croiser Gunof était présent, de même qu'il avait certainement une réputation peu enviable auprès de ces gens-là, de quoi finir en sous-fifre ou pire encore. Non, mieux valait chercher autre chose, peut-être bien aller louer ses armes à quelque noble en ayant les moyens, sa fidélité étant chose qu'on ne pourrait acheter, elle. Et c'est ainsi, tandis qu'il réfléchissait à tout ceci et à bien plus encore, que Gondemar arriva devant la maison qu'on lui avait indiqué, observant l'extérieur qui ne payait pas de mine. N'eut été l'assurance d'y trouver quelqu'un, il aurait pu la croire abandonnée, aussi après une brève réflexion intérieure en ce sens vint-il frapper brièvement à la porte, reculant d'un bon pas pour éviter que sa haute taille n'apparaisse comme menaçante près de l'encadrement de ladite porte.

- Yseldan Cohn ?

Fut la seule question qu'il posa quand on vint ouvrir la porte, sa voix grave et un peu rauque n'étant guère chaleureuse, mais point méprisante pour autant. Il était juste ainsi, l'ancien soldat, un peu bourru sur les bords malgré la trentaine qui s'annonçait dans quelques mois. Rien qu'un homme comme un autre venu acheter la viande d'une chasseuse, ni plus, ni moins.

Spoiler:

A peine avait-il frappé qu'on était venu ouvrir, indiquant que la personne résidant là n'avait pas perdu une seule seconde pour venir à la porte, laquelle en pivotant sur ses gonds révéla une jeune femme vêtue comme une chasseuse, au corps quelque peu dénudé, mais qui ne laissait aucun doute quant à la praticité de cet accoutrement plus qu'à un quelconque désir de laisser voir sa peau. Qu'à cela ne tienne, Gondemar en avait vu d'autres et il se contenta de demander sans manières ni hésitations l'identité de celle qui lui faisait face. Yselda, puisque c'était bien elle, acquiesça et se décala pour le laisser entrer, faisant plisser légèrement les yeux de l'homme d'arme qui, s'il ne doutait point que ce ne fut pas un piège, venait de remarquer la courbure d'une des mains qui se tenait serrée vers l'arrière, indiquant qu'elle tenait fermement quelque chose dans son poing ou dans le prolongement de son poignet. Fallait-il ou non entrer ? L'ancien soldat considéra que oui et qu'il devait s'agir là d'une précaution de la part de celle qui, lui avait-on dit, recevait parfois de mauvaises visites et avait déjà une certaine réputation.

- Je suis venu acheter de la viande.

Comme s'il était nécessaire de justifier sa présence ici, cependant Gondemar n'était guère habitué à s'étendre en paroles inutiles ni à se rendre chez n'importe qui pour le seul plaisir de se balader un peu. D'un regard il embrassa la pièce qui était à portée de vue, puis avança de quelques pas, la main non pas sur la garde de son épée courte, mais proche du manche du poignard qu'il gardait toujours à portée. Aussi prudents l'un que l'autre, on ne pouvait pas dire que l'ambiance respirait la sérénité, mais ce n'était pas l'ancien soldat qui aurait le premier geste agressif, assurément. Il était ici pour acheter de quoi nourrir trois personnes pendant un certain temps, ni plus, ni moins.

L'un comme l'autre était des plus suspicieux, mais ce n'était qu'à ce prix que l'on survivait, surtout durant les temps qui étaient les leurs. Aussi lorsque Yselda s'écarta de lui pour s'avancer dans la pièce en dévoilant sans gêne aucune la lame qu'elle tenait en main, Gondemar ne se sentit nullement offensé par cette précaution et se permis même d'avoir une brève esquive de sourire, non pas de joie, mais de satisfaction : c'était bel et bien une véritable Chasseuse, habituée non seulement au gibier, mais également au danger de manière générale. Ils prirent place de part et d'autre de la petite table sur laquelle elle devait être en train de dépecer une proie quand il avait frappé, au vu de ce qu'il pouvait en observer, ce qui ajouta encore à la bonne impression qu'elle lui faisait. Même si les femmes se débrouillaient seules de plus en plus, il était appréciable de voir une véritable spécialiste à l’œuvre et l'homme d'arme songea qu'il pourrait lui faire confiance concernant la qualité de la viande, bien qu'il ne se gênerait pas non plus pour la vérifier en passant.

- Combien en avez-vous en stock et quels sont vos prix ?

Commença alors un étrange dialogue, comme le pensait justement une certaine petite créature tapis dans l'ombre sous l'armoire à pièges, un dialogue qui se résuma tout d'abord à Yselda faisant des gestes et des bruits bien précis, tandis que Gondemar la fixait d'un regard bleu clair vif et acéré, scrutant et enregistrant sans un mot, acquiesçant légèrement à chaque fois pour signifier qu'il comprenait et la laissant terminer avant de réfléchir au choix qui s'offrait à lui. Les temps devaient certainement être durs pour tout le monde, y compris ceux qui fournissaient la viande, cependant il fallait reconnaitre que cette Chasseuse était capable de fournir de quoi se sustenter et c'était là tout ce qui importait.

- Je vais vous prendre ce lapin en ce cas, ainsi que vos deux plus gros oiseaux et une pièce de cuir si vous en avez encore. Combien voulez-vous ?

L'homme de haute taille porta la main à son vêtement et tira de sous son armure de cuir une petite bourse qui tinta d'un son métallique caractéristique. Il en tira une pièce de cuivre et une pièce d'argent, posant le tout sur la table et laissant ainsi le choix à la jeune femme de lui désigner par des tapotements les chiffres se référant à la quantité de pièces qu'elle désirait. Bien sûr s'imaginer payer en pièces d'argent était impensable, puisqu'il fallait cent de cuivre pour une seule, mais vu que nombre de chasseurs risquaient leur vie pour rapporter parfois ne serait-ce qu'un pauvre lapin, il fallait comprendre qu'avoir de la viande qui n'était pas du rat dans ses repas était devenu un luxe plus grand que jamais. Non pas que le rat le dérangea, il en avait mangé durant une bonne partie de sa vie, mais il s'agissait surtout de son fils et de l'épouse de son ami. Ils méritaient de ne pas manquer du nécessaire.

Gondemar avait plissé les yeux lorsque les prix avaient été "annoncés", mais après un bref regard scrutateur, il avait avancé les pièces demandées par la Chasseuse en hochant légèrement la tête. Sans doute avait-il du mal comprendre concernant le cuir, mais l'inconvénient d'une personne ne pouvant pas lui dire de vive voix ce qu'elle vendait ou non faisait partie des aléas de ce genre de troc. Qu'à cela ne tienne, les proies furent déposées sur la table et l'argent passa sur la table sans que l'ancien soldat ne cherche à négocier, songeant qu'il pouvait bien payer le prix pour cette fois. Il avait à l'esprit un repas copieux pour ceux sur qui il veillait, désirant leur faire oublier les récents évènements qui avaient secoué leur quotidien. Visiblement la muette n'a pas de pièces de cuir à vendre, ce qui ne provoque qu'un vague haussement d'épaules de la part de l'homme qui se lève, tirant de son vêtement un sac de toile quelconque dans lequel il range les oiseaux avec précaution. Son esprit carbure pendant ce temps-là et son regard erre jusqu'à l'armoire encore ouverte, vers son contenu qui semble des plus précieux au vu du monde qui était désormais le leur. Qu'importe, il reviendrait à l'occasion si d'aventure ils avaient un regain de ressources.

- On m'a dit que vos proies étaient de qualité, je constate que les rumeurs n'étaient pas exagérées.

Une façon comme une autre de lâcher un compliment quant au travail fournit par cette femme vivant et se débrouillant seule. Bien sûr Gondemar avait entendu toutes sortes d'histoires à son propos, certaines peu joyeuses concernant son passé, d'autres démesurément exagérées sur de soit-disant maléfices qu'elle jetterait d'un seul regard noir... des histoires de bonnes femmes en manque de ragots ou de mâles blessés dans leur fierté, assurément. Fermant le sac, l'ancien soldat rangeait les pièces ayant servit à indiquer les prix, hésita, puis laissa une de cuivre sur la table.

- Si jamais vous pouviez me mettre du cuir de côté pour la prochaine fois, disons dans deux à trois semaines, je vous serais gré.

L'homme de haute taille n'avait guère plus de raisons de s'attarder et, saluant d'un signe de tête la Chasseuse, il tourna les talons avec son sac sur l'épaule, se dirigeant déjà vers la porte de sortie sans avoir l'air de vouloir spécialement s'attarder, mais point non plus de s'enfuir comme certains furtifs ne désirant pas être vus en cet endroit. Il était venu pour acheter et à présent il repartait, quoi de plus normal ?