Visite hebdomadaire [PV Méline]

En cette radieuse matinée de la fin du mois de Juin, le soleil dardait ses premiers rayons sur les toits de la cité où la vie commençait doucement à s'agiter. Les premiers étals ouvraient leurs portes, l'on commençait le travail et l'on avait fort à faire ici et là, que ce soit pour sa survie ou pour celle d'autrui. Levée avant l'aurore, Aelys s'était apprêtée sitôt les draps quittés et avait décidé de se rendre à la boulangerie tenue par celle qu'elle connaissait depuis près de six ans maintenant : la jeune et belle Méline.

L'histoire remonte en vérité à l'époque où la fille De Beauval n'était encore qu'une adolescente apprentie couturière, quand son père l'emmena avec lui voir le Boulanger Amine qui faisait, selon André, le meilleur pain qui soit à ses yeux. L'odeur embaumait l'air de cette partie de La Hanse et l'on ne pouvait nier que cela mettait en appétit, quand bien même l'on viendrait à peine de sortir de table. L'homme avait parait-il trouvé une femme à épouser et semblait filer le parfait amour avec elle, ainsi les De Beauval étaient-ils venus les féliciter et faire la présentation de la future Couturière. Méline était aussi belle que douce, un exemple de vertu que la tête blonde nommée Aelys avait alors grandement apprécié et immédiatement respecté. Le temps avait fait le reste et, lorsque le malheur s'était abattu, la famille bourgeoise avait apporté son soutien à la veuve éplorée, lui assurant que toujours ils seraient là si elle devait manquer de quoi que ce soit. Courageuse, la Boulangère avait su faire face aux épreuves de la vie et fait perduré les excellentes relations qu'elle entretenait avec les De Beauval.

- Bonjouuuuur !

La porte de la Boulangerie s'était ouverte sur une Couturière souriante et heureuse de se trouver là, s'avançant vers l'étal et le comptoir en adressant un regard chaleureux à celle qui tenait cet endroit et qui lui semblait, bien que fatiguée, aussi rayonnante qu'autrefois. Surnommée "Mains-Blanches" par les habitants du quartier, l'on ne pouvait nier que les occasions de la voir couverte de farine étaient nombreuses, mais c'était davantage un signe de reconnaissance pour son travail qu'une quelconque tentative de moquerie.

- Comment allez-vous ma chère Méline ?

S'enquit tout naturellement Aelys qui se retint de la serrer dans ses bras, sans quoi elle risquait elle aussi de se retrouver couverte de poudre blanche. La robe qu'elle portait, d'un bleu d'été identique à celui du ciel qui se dévoilait en ce jour, n'était pas neuve, mais nécessitait quelques précautions malgré tout.

Il faisait beau, ce matin-là. Dommage que Méline n'ait pas pu voir le lever du soleil, enfermée dans sa petite pièce, celle située derrière la partie de sa boulangerie ouverte au public qui n'avait pour meubles qu'un four en terre cuite et une table bancale, ce qui était finalement bien suffisant. En effet, depuis des heures elle s'affairait à préparer du pain, entre autres choses, pour ses futurs clients à venir, en espérant qu'ils soient nombreux.

En mettant une nouvelle fournée au four, elle entendit sa porte grinçante s'ouvrir sur le premier client de la journée. Ainsi s'entama réellement ce jour de juin. Elle vendit ses pains, calcula ses doses de farine de seigle pour en économiser un maximum, confectionna des galettes etc.

Mais malgré ses diverses tâches qui s'enchaînaient sans accro, il lui semblait avoir oublié quelque chose. Mais quoi ? C'était toujours le problème dans ce genre de situation. Méline n'était pas concentrée sur ce qu'elle faisait (ça devenait automatique à force), mais sur ce qu'elle avait oublié aujourd'hui. Ça lui prenait la tête et ça l'énervait plus qu'autre chose.

Elle était si focalisée sur le fait de se rappeler cette chose partie dans les abysses, qu'elle n'entendit pas la salutation joyeuse d'Aelys De Beauval, cette cliente si particulière à ses yeux. Elle ne leva les yeux qu'à la question posée à son attention par cette dernière.

- Comment allez-vous ma chère Méline ?

Alors, elle leva ses mains toute farineuses de la pâte qu'elle était en train de pétrir, pour offrir son plus beau sourire à la jeune fille.

– Oh bonjour Aelys ! Je suis contente de vous voir ! Désolée, je ne vous ai pas entendu arriver. Je vais bien, et vous ?

Son amitié avec Aelys datait de plusieurs années maintenant. La couturière avait connu Méline dans ses meilleurs et pires moments. Et sa famille ne l'avait jamais laissée tomber. Ils avaient souvent proposer de l'aider, lui avaient apporter son soutien et pour ça, ils avaient sa reconnaissance éternelle.

Tentant de s'épousseter sur son tablier de fortune, sans réel succès, elle s'approcha d'Aelys et de la table allongée sur laquelle elle avait présenté quelques produits. Elle aurait bien enlacé son amie, mais ce n'était pas trop possible avec toute cette farine dont elle n'arrivait jamais à se débarrasser complètement. De plus, la couturière portait une très belle robe aujourd'hui, toute bleue. Une robe comme Méline aimerait en avoir. Mais peut-être qu'un jour, avec suffisamment de travail et d'économie, elle pourrait s'en offrir une !
Bon, aujourd'hui, elle avait autre chose en tête. Quelque chose qui l'agaçait tout particulièrement. Elle devait faire quelque chose, mais quoi ? Ah ce que ça pouvait être agaçant, ces trous de mémoire ! Elle poussa un léger soupir et sourit de nouveau à Aelys.

– J'espère que votre famille se porte bien également ! Il vous fallait quelque chose de particulier aujourd'hui ?

Méline aimait les visites régulières de clients aussi sympathiques qu'Aelys. Ça faisait toujours du bien, en ces temps un peu compliqués.

L'on avait beau être tôt en ce début de journée et avoir sonné les matines depuis peu que déjà Méline était affairée à ses fourneaux, couverte ici et là de farine et visiblement assez fatiguée pour qu'elle ne réagisse pas à la première salutation de Aelys. Celle-ci ne s'en offusqua pas, elle-même ayant tendance à oublier le monde extérieur lorsqu'elle était occupée à coudre ou repriser. Ce fut donc tout naturellement qu'elle s'avança pour lui demander comment la jeune femme allait, lui offrant un sourire enjoué et serein.

- Je vais bien et je vous remercie de vous en inquiéter.

La fille De Beauval la regarda délaisser sa pâte et sourit de plus belle en la voyant approcher à son tour, notant sa retenue à cause de la farine -le nombre de fois où elles s'étaient retrouvées toutes deux couvertes de poudre blanche n'étant plus à compter depuis fort longtemps- et prit les devants en l'enlaçant au niveau des épaules, gardant le reste de son corps éloigné du tablier enfariné. Une fois fait, la Couturière s'écarta en hochant la tête aux interrogations de son amie, se sentant particulièrement bien en sa compagnie qu'elle appréciait grandement. Jamais Méline n'avait de propos déplacé ni de mauvaise intention, jamais un mot plus haut que l'autre ni nul désespoir malgré les épreuves qu'elle avait pu traverser. Cette femme était une bénédiction des Trois, assurément, aussi convenait-il de veiller sur elle comme il convenait.

- Mère et Père se portent fort bien et vous transmette leur bonjour. J'aurais besoin de votre talent, en plus de notre pain quotidien, pour confectionner un gâteau sucré de qualité dont vous avez le secret. Je souhaiterais faire une surprise en offrant celui-ci à quelqu'un de proche.

Aelys sourit légèrement en coin avec un mélange d'amusement et de malice, scrutant la Boulangère avec une attention toute bienveillante, avant de porter celle-ci sur la table longue qui présentait quelques pièces plus modestes de son travail. Il y avait là de quoi nourrir quantité de gens et c'était toujours plaisant de venir savourer les odeurs, les formes et les couleurs de ce qui était produit ici, car jamais la qualité n'avait pâtit, que ce soit à la disparition du mari de Méline qu'à l'arrivée de la Fange.

Finalement et malgré l'envie de Méline de laisser Aelys en dehors de toute tâche farineuse, cette dernière vint l'enlacer avec affection, tout en évitant soigneusement le tablier de la jeune boulangère. Méline fut amusée de ces tentatives pour rester soignée, qui furent loin d'être vaines finalement car la jolie robe de son amie était restée intacte !
Méline ne put s'empêcher de se dire qu'Aelys était vraiment précieuse pour elle. Elle n'avait que trop rarement connu l'amitié, avec ses lettres de noblesse, comme celle que lui avait finalement fait découvrir la couturière. Et c'était peut-être le plus beau des cadeaux.
Prise dans ses pensées, Méline n'avait pas entendu la réponse de son amie à sa question. Elle était vraiment fatiguée en ce jour. Et elle avait toujours ce truc qui lui prenait la tête ! Une fois que son amie serait rentrée chez elle, elle se promit de passer toute sa boulangerie en revue pour savoir ce qu'elle avait bien pu oublier !
Mais heureusement, il lui restait un peu de concentration car la suite de la conversation était bien arrivée jusqu'à ses oreilles :

«  Mère et Père se portent fort bien et vous transmette leur bonjour. J'aurais besoin de votre talent, en plus de notre pain quotidien, pour confectionner un gâteau sucré de qualité dont vous avez le secret. Je souhaiterais faire une surprise en offrant celui-ci à quelqu'un de proche. »

Une nouvelle commande aussi conséquente qu'un gâteau entier était importante pour Méline. Aelys lui faisait confiance en mettant ça entre ses mains et la boulangère se promit qu'elle ne serait pas déçue. Elle partit près de sa table pour noter ce qu'elle devait faire. Seulement voilà, étourdie comme elle était aujourd'hui, elle trébucha toute seule et faillit tomber à la renverse ! Heureusement, plus de peur que de mal. Elle avait réussi à se rattraper et à se remettre droite assez vite. Elle ne put alors s'empêcher de rire sur ce qui venait de se produite.

« Je vous promets d'être moins maladroite avec votre gâteau ! » Dit-elle avec humour à Aelys.

Elle se remit alors de ses émotions et nota la nouvelle commande.

« Souhaitez-vous que je mette quelques nuances de menthes dans le gâteau ? J'en ai récupéré des feuilles il y a quelques jours de cela. Ou peut-être des fruits secs ? Au fait, vous donnerez également mon bonjour à vos parents ! Ils sont si gentils de penser encore à moi ! »

Méline conclut ses paroles par un sourire sincère envers son amie. Elle était vraiment très très précieuse à ses yeux. Certains diraient qu'en ces temps durs et cruels, s'attacher à d'autres personnes, c'est stupide. Mais pas Méline. Pour elle, c'était justement le moment idéal pour trouver du réconfort et la chaleur humaine qu'Aelys lui apportait, c'était certainement ça qui l'a faisait tenir aujourd'hui. Ou du moins, elle y participait grandement.

Spoiler:

Aelys était toujours fort aise de venir visiter son amie au sein de sa boulangerie, cependant en ce jour, elle ne pouvait s'empêcher de remarquer la fatigue et l'apparente absence qui ne cessaient d'accaparer l'esprit de l'artisan, laquelle en apprenant la commande, s'éloigna pour aller à son carnet et, trébuchant violemment, manqua s'effondrer au sol. La Couturière lâcha un bref cri de surprise et se précipita vers la brune, posant une main sur son bras en lui adressant un regard chargé d'inquiétude que la petite touche d'humour ne parvint pas à apaiser vraiment. Bien sûr la fille De Beauval désirait offrir un gâteau à quelqu'un de particulier, mais cela pouvait fort bien attendre en cas de nécessité.

- Méline, êtes-vous souffrante ?

Questionna la blonde avec une mine plus soucieuse encore, écoutant les diverses propositions en secouant légèrement la tête de façon négative, se forçant à sourire bien que le tracas ne quitta point son esprit.

- Je le leur transmettrait, mais asseyez-vous donc ma chère, vous avez besoin de vous poser un instant ou deux.

Aelys guida Méline jusqu'à une chaise et s'assura qu'elle s'y asseye, quitte à la laisser emmener son carnet de commandes, mais qu'elle le veuille ou non, la Couturière l'y mena de force tout en la tenant fermement de ses fines mains au cas où elle trébucherait encore. Une fois fait, la Couturière s'accorda un soupir, suivit d'un léger sourire se voulant encourageant.

- Vous savez que vous pouvez tout me dire Méline, nous sommes amies et je ne puis songer seulement à moi si vous avez des soucis de votre côté.

Qu'importe le motif de sa visite, la fille De Beauval n'était pas de ceux qui délaissent l'amitié pour favoriser leur profit personnel, quel qu'il soit. Debout droite devant la jeune femme, l'artisane attendait de connaitre le fin mot de cette affaire avant de songer à quoi que ce soit d'autre, bien décidée à ne pas laisser la veuve s'en tirer à si bon compte. Combien de fois s'était-elle effondrée, lorsqu'elle s'était retrouvée seule à gérer son affaire, sans personne pour se soucier de sa santé ? Non, non, non, hors de question de laisser quoi que ce soit échapper à sa vigilance.

Spoiler:

Lorsque Méline la maladroite faillit tomber la tête la première sur le sol, la jeune couturière, Aelys De Beauval se précipita, telle une héroïne, à son secours. Heureusement, elle n'eut pas besoin de ramasser la boulangère à la petite cuillère car la chute fut évitée. Cette dernière avait bien remarqué la mine inquiète de son amie quant à son état, mais elle tâchait de ne rien remarquer. Elle n'était pas malade, juste peut-être un peu débordée par tout son travail. Mais c'était le boulot qui voulait ça ! Elle savait que dans le monde dans lequel elle vivait, il ne fallait pas être faible sinon...on n'avait peu de chances de s'en sortir. Et jusqu'à maintenant, la jeune boulangère était fière d'elle et de ce qu'elle avait accompli. Elle était souvent fatiguée, mais n'aimait pas en faire état et surtout, ne s'écoutait pas au risque de tomber pour ne plus se relever.
Une nouvelle plongée dans ses réflexions suivie d'un bâillement aussi discret que possible, l'empêcha d'entendre la première question d'Aelys. Elle ne put se concentrer finalement que sur la réponse qui lui fut faite à sa propre question concernant le fameux gâteau.

« Je le leur transmettrait, mais asseyez-vous donc ma chère, vous avez besoin de vous poser un instant ou deux. »

Aelys était si prévenante et si attentionnée. Méline en fut très touchée. Même si ce n'était pas la première manifestation de la gentillesse innée de la jeune fille, ça restait toujours aussi admirable. Et également inhabituel pour Méline, car même sa propre famille n'avait que rarement était aussi attachée à son bien-être. Elle alla même jusqu'à forcer Méline à s'asseoir pour qu'elle respire un peu. Cette dernière se laissa faire (pour ne pas se faire disputer principalement). Ensuite elle l'observa, soupira et sourit.

Méline accepta de faire attendre son travail pour le moment, même si elle ne pouvait s'empêcher de songer à ses commandes en attente, aux préparations qu'elle devait faire, aux potentiels clients qui pouvaient entrer d'un moment à l'autre dans la boutique, et il y avait surtout ce truc qu'elle avait oublié et qui commençait à lui donner un sérieux mal de crâne... Mais bon, pour le moment, elle tâchait de se concentrer sur les paroles de sa chère amie.

« Vous savez que vous pouvez tout me dire Méline, nous sommes amies et je ne puis songer seulement à moi si vous avez des soucis de votre côté. »

Méline lui rendit son sourire et prit la main d'Aelys dans les siennes, gage de remerciement pour cet intérêt sincère et touchant.
La boulangère n'aimait pas être dans cette position. Elle aimait prendre soin des gens, pas l'inverse. Se sentir le centre du monde, ça la répugnait. Aelys devait elle aussi avoir ses propres problèmes ! Et voilà qu'elle l'embêtait avec les siens ! Elle s'en voulait beaucoup.

« Quels soucis pourrais-je bien avoir, ma chère Aelys ? Ma vie a rarement été plus belle qu'en ce moment. J'ai mon propre commerce, et des amis qui me sont très précieux. » Un sourire complice se dessina sur ses lèvres. Jamais elle ne pourrait assez remercier Aelys de tout ce qu'elle avait déjà fait pour elle. « Je suis peut-être simplement un peu fatiguée. »

Et voilà qu'elle se plaignait maintenant. Méline n'était décidément pas à l'aise avec elle-même en cette journée. Elle était certaine qu'elle avait simplement besoin d'une bonne et longue nuit de sommeil, mais qu'elle aurait bien du mal à mettre cela en œuvre. C'était la dure vie du boulanger ! Mais chaque travail avait ses inconvénients, et aussi ses avantages ! Elle n'avait franchement pas à se plaindre, Méline. Par rapport à sa vie d'avant, elle s'en sortait très bien. Son cœur était en morceaux et elle s'efforçait de ne pas y penser, mais à part ça, elle s'en sortait très bien. Alors, c'était fini les plaintes ! Il fallait qu'elle se reprenne maintenant !

« Mais comme tout le monde, j'imagine. Je ne veux pas vous ennuyer avec mes histoires. C'est le métier qui veut ça vous savez. Je vais essayer de bien dormir cette nuit et tout ira mieux demain ! D'ailleurs, vous m'avez tellement aidée, tellement épaulée que je vais vous offrir ce gâteau que vous me commandez. C'est bien le moins que je puisse faire. Aelys, merci. Heureusement que vous êtes là. »

Toujours assise sur sa chaise, Méline conclut cette déclaration d'amitié par un câlin (en prenant toujours soin de ne pas tâcher la robe de son amie avec de la farine). Puis, elle se releva et se dirigea vers son comptoir afin de mettre en évidence le papier de cette fameuse commande.

Aelys n'était pas de ces amis qui prétendent qu'ils seront toujours là pour vous, mais qui sitôt venu le jour où cela s'avère nécessaire, disparaissent en prétextant ne point pouvoir rester pour vous aider, affirmant -avec une demi-honnêteté seulement- qu'ils sont désolés, mais qu'ils ne peuvent point davantage. Si cela est vrai parfois, souvent au contraire il s'agit d'un désir de se préserver, de ne point interféré ou même une gêne qu'ils ne s'expliquent pas et qui les pousse à fuir au lieu de tenir parole. Jamais la blonde ne serait ainsi, quand bien même dut-elle affronter de véritables dangers, à ses yeux Méline était l'une des rares, hormis sa proche famille, pour qui elle irait braver jusqu'à la Fange même, bien que pour ce dernier point elle espéra ne jamais avoir à le faire de nouveau. L'abri des murs de la Cité l'empêchait de cauchemarder sur ces horreurs qui grouillaient au-dehors, même s'il lui arrivait parfois de rêver d'atroces pertes d'êtres chers qui disparaissaient dans l'obscurité, happés par des monstres à forme vaguement humaine et à l'air décomposé. La Boulangère lui souriait, affirmant que tout allait bien et que ce n'était que de la fatigue, mais sa vis-à-vis n'était point dupe et elle la regarda avec un mélange de fierté et d'inquiétude, teinté d'une pointe de chagrin tandis qu'elle repensait à ce qu'avait été le quotidien de la brune avant la disparition de son époux. Comment pouvait-on alors affirmé qu'aujourd'hui tout allait mieux que jamais ?

- Vous avez besoin de davantage de repos qu'une seule nuit ne peut vous en apporter, mon amie.

La Couturière pris la main de Méline entre les siennes, s'accroupissant pour être à sa hauteur tandis que la jeune femme, visiblement agitée malgré son épuisement, parlait en quantité et affirmait qu'elle voulait lui offrir le fruit de son labeur pour cette commande spéciale, laquelle la fille De Beauval le savait, lui coûterait bien trop cher en comparaison de la modeste aide qu'elle ait pu lui apporter. Secouant la tête, elle voulu protester, mais les remerciements la stoppèrent dans son idée, de même que l'étreinte qu'elle reçue avec douceur et chaleur, appréciant le contact rassurant d'une personne sincèrement aimée, avant de la regarder s'éloigner vers son comptoir. "Tête de mule", pensa la blonde, dont le sourire revint à la charge sur son visage malgré elle. Rejoignant la Boulangère, elle plissa ses yeux verts avec un air conspirateur et complice à la fois.

- J'ai une meilleure idée Méline.

Faisant mine de vérifier que personne n'entrait, elle se pencha vers son interlocutrice avec ce regard pétillant de celles qui ont un secret, abaissant la voix pour ne pas être entendue par un importun qui choisirait ce moment pour entrer.

- Je vous paye ce gâteau, mais en échange je vous révèle l'identité de celui à qui je le destine, car il ne s'agit point d'un membre de ma famille ni d'une simple connaissance.

Son sourire s'égaya à la pensée de la personne concernée, puis la fille De Beauval se redressa avec cet air faussement suspicieux qu'on les conspirateurs ne faisant point de mal à qui que ce soit, mais qui se joue des situations sans méchanceté aucune.

- Alors, qu'en dites-vous ?

Aelys avait également une autre idée, mais elle préférait la garder pour l'après-échange, espérant qu'apporter un peu d'eau au moulin de leurs conversations de jeunes femmes permettrait de changer l'ambiance actuelle et d'y diffuser cette légèreté dont ont besoin celles qui ont encore toute la vie devant elle. Les amies ne se disaient-elles point tout, de toute façon ? L'occasion était trop belle pour la laisser passer et la Couturière savait pouvoir compter sur la discrétion de la Boulangère qui, l'air de rien, entendait bien plus de choses qu'elle n'en divulguait.

Méline, repartit à son comptoir pour gribouiller sur son carnet, retournant une nouvelle fois dans les méandres de son esprit. Qu'avait-elle prévu de faire ce matin ? Il y avait toutes les tâches de d'habitude, mais également quelque chose en plus ! Et ce quelque chose, elle ne parvenait pas à remettre la main dessus. C'était fou quand même ! Elle regardait son mur, réfléchissant et rêvant en même temps de la fameuse nuit de sommeil dont elle venait de parler.
Elle fut surprise par une nouvelle parole de son amie, alors que celle-ci était revenue à ses côtés.

« J'ai une meilleure idée Méline. Avait-elle commencé à dire, sourire en lèvres et regard complice, je vous paye ce gâteau, mais en échange je vous révèle l'identité de celui à qui je le destine, car il ne s'agit point d'un membre de ma famille ni d'une simple connaissance. Alors, qu'en dites-vous ? »

Les choses devenaient intéressantes ! Le sourire de Méline s'élargissait au fur et à mesure des paroles de son amie. Aelys avait-elle un prétendant ? Elle qui était si jolie et si gentille. Ça n'aurait rien d'étonnant ! Et comme la jeune boulangère était avide de ragots en tout genre (pourquoi croyez-vous qu'elle tendait l'oreille dès que deux clients papotaient entre eux ?). Elle voulut absolument savoir la suite. Mais cela voulait dire qu'Aelys payerait tout de même son gâteau. Méline hésita mais elle se dit que, de toute façon, la couturière ne lâcherait pas l'affaire alors autant jouer le jeu.

Et alors qu'elle allait répondre, un client fit son apparition dans la boutique sucrée. Comme par hasard ! Avec un sourire accompagné d'un clin d'oeil, Méline fit signe à Aelys de se taire pour le moment. Elle servit le monsieur qui, vu son accoutrement, devait peut-être être un soldat. Il ne voulut qu'une miche de pain aux champignons. Une fois la transaction faite, il repartit sans même un merci. Mélina passa au-dessus cette impolitesse. Elle ne voulait pas perdre du temps à en parler. La gentillesse des autres clients rattrapait bien la façon de faire de ces gens-là !

Et puis, elle avait hâte de revenir à leur affaire.

« D'accord, très bien ! J'accepte ! Vous allez tout me dire ! Venez vous asseoir ! »

Elle invita Aelys sur une petite table qui se trouvait derrière son comptoir. Elle n'avait rien de bien extravagant, mais avait l'avantage d'être accompagnée de deux chaises ! Il n'en fallait pas plus pour savourer pleinement une conversation de ce genre-là.

« Aloooors ? Pour qui donc est ce gâteau ? Je suis toute ouïe ! »

Méline regarda Aelys d'un air amusé, savourant déjà l'information croustillante à venir. C'était si agréable de bavarder légèrement et en toute confidence avec une amie. Certainement l'un des plaisirs simples de la vie qui n'était pas apprécié à sa juste valeur par la plupart des gens. Mais ce n'était pas le cas de nos deux protagonistes du jour.
Bien sûr, Méline ne pouvait s'empêcher de penser à Amin. Et il y avait toujours ce pincement désagréable au cœur à son souvenir, aussi léger soit-il. Mais c'était comme ça, la vie était ainsi faite et la boulangère ne pouvait rien y faire. Elle ne pouvait qu'aller de l'avant et se réjouir sincèrement pour ses amies qui trouvaient peut-être leur bonheur à leur tour. C'était ce qu'elle avait bien l'intention de faire aujourd'hui !

Elle avait espéré apporter un peu de bonne humeur à Méline et, visiblement, cette promesse de confession et de secret à divulguer avait suffit pour que la Boulangerie s'égaye d'un rayon de soleil moral. Aelys sourit davantage en voyant que sa petite conspiration avec son amie semblait porter ses fruits, ce moment d'amusement que seules les jeunes femmes entre elles -ou certaines pies bavardes- peuvent avoir fut malgré tout suspendu le temps d'un client, lequel ne prit même pas la peine de saluer celle qui lui fournissait sa pitance avant de s'en retourner d'où il venait. Quelle importance ? Déjà la brune revenait vers la blonde, guidant celle-ci jusqu'à la petite table et ses deux chaises prévues pour un moment de quiétude, ou une bonne conversation. Prenant place, la Couturière ne pu retenir un léger rire amusé face à la curiosité de la Boulangère, se penchant légèrement pour cette confidence comme cela se faisait tant et baissant d'un ton afin d'éviter d'être entendue par quelque oreille indiscrète.

- Pour un chevalier.

Laissant planer quelques secondes de silence pour savourer l'effet que la révélation pouvait avoir produit, elle ne manqua pas de sourire et rosir légèrement en voyant Méline réagir de la façon dont elle le fit, se sentant elle-même fort troublée d'oser enfin reconnaitre de vive voix son inclination pour un homme.

- Je l'ai rencontré au vin d'honneur du mariage Ventfroid, vous savez celui où j'avais été invitée et dont je vous avait brièvement parlé. Nous avions été présentés par les époux et étions assis côté à côte à table. Il a été des plus charmants, bien qu'il soit mon ainé d'un certain nombre d'années. Il danse d'ailleurs fort bien.

Les yeux de la jeune femme se firent rêveurs à ce souvenir et un léger soupir lui échappa, tandis qu'elle se rappelait la sensation d'être tenue entre des bras solides qui guidaient ses pas durant la danse, au même titre qu'ils avaient discutés longuement sans jamais se lasser de leurs échanges.

- Je lui ai offert une faveur car il devait partir pour le Labret peu après. Je n'ai eu de cesse de prier les Trois pour sa sauvegarde et j'ai été entendue, puisqu'il nous est revenu sain et sauf il y a quelques temps.

Ce fameux soir où elle était resté dormir chez sa tante et où, en pleine nuit, l'homme avait débarqué avec une Luna en étant de choc, lui-même étant blessé au genou et malgré tout ayant tout fait pour protéger l'héritière Montoya. Un vif souvenir qui ne quittait plus son esprit.

Méline était assise là, face à Aelys, le sourire aux lèvres et la hâte de savoir pour qui pouvait bien être ce fameux gâteau dont elles parlaient depuis quelques instants.
Mais de là où elle était assise, la boulangère pouvait bien voir son four, et cette vision la ramena à ses préoccupations du jour. Qu'avait-elle oublié de faire en ce jour ? Restait-il quelque chose au fond du four ? Non, il ne lui semblait pas. Et puis, ça ne sentait pas le brûlé alors ça devait aller de ce côté-là. Impossible de se souvenir. C'était à s'arracher les cheveux ! Puis, ses pensées revinrent sur son amie qui se reculait sur sa chaise. Mince, elle venait de dire quelque chose ! Méline sourit, faisant poliment croire qu'elle avait tout entendu. Elle était bonne actrice, alors elle ne s’inquiétait pas trop de ses égarements. Maintenant, elle tâcha de se concentrer sur cette conversation qui l'intéressait réellement en plus ! D'ailleurs, elle vit que son amie rougissait donc elle avait certainement manqué un passage croustillant ! Arriverait-elle à comprendre de quoi il s'agissait en entendant la suite du récit de la couturière ?

« Je l'ai rencontré au vin d'honneur du mariage Ventfroid, vous savez celui où j'avais été invitée et dont je vous avait brièvement parlé. Nous avions été présentés par les époux et étions assis côté à côte à table. Il a été des plus charmants, bien qu'il soit mon ainé d'un certain nombre d'années. Il danse d'ailleurs fort bien. »

Aelys avait en effet parlé à Méline de ces festivités. Cette dernière s'était d'ailleurs imaginé les personnes qui devaient être présentes, du beau monde certainement, et il n'était pas étonnant que son amie y ait rencontré quelqu'un. Elle était charmante et une très bonne convive, dont on remarquait rapidement la bonne éducation. Et tant mieux s'il était plus âgé qu'elle ! Peut-être la mettrait-il ainsi à l'abri du besoin si leur union venait à s'avérer. D'autant plus que s'ils avaient dansé ensemble, c'était prometteur. La danse était l'un des meilleurs moyens pour faire davantage connaissance avec quelqu'un. Méline adorait danser, et il était certain qu'Aelys, quant à elle, se débrouillait à merveille.

« Je lui ai offert une faveur car il devait partir pour le Labret peu après. Je n'ai eu de cesse de prier les Trois pour sa sauvegarde et j'ai été entendue, puisqu'il nous est revenu sain et sauf il y a quelques temps. »

Pendant quelques instants, Méline eut peur que le prétendant de son amie se trouve encore dans ce dangereux coin, mais elle fut vite soulagée en entendant qu'il était revenu.

« Vous allez devoir le surveiller pour qu'il ne vous fasse plus de telles frayeurs ! » Conclut-elle en riant, comme pour apaiser une réelle peur.

Méline était vraiment ravie pour son amie. Aelys le méritait, elle ferait donc tout pour l'aider dans cette histoire.

« Donc ce gâteau va-t-il servir à officialiser vos sentiments à son égard ? Avez-vous déjà parlé ensemble de projets futurs ? Dans tous les cas, je suis ravie pour vous, Aelys ! Soyez sûre que je mettrai tout mon cœur dans ce gâteau ! »

Un sourire sincère conclut ses paroles. Et les quelques questions posées prouvaient le réel intérêt de la boulangère pour la nouvelle aventure sentimentale de son amie. C'était agréable de voir que, malgré le danger qui guettait depuis un trop long moment l'ensemble de la population de la ville, chacun s'efforçait de vivre normalement. C'était peut-être ce qu'il y avait de plus beau d'ailleurs. On pouvait y voir une sorte d'insoumission. Comme dans la vie de Méline finalement : qu'importait ce que la vie pouvait nous faire endurer. Le plus important était toujours de se relever. Un discours assez banal, mais plus que jamais nécessaire. Alors elle ne souhaitait que ça à Aelys : qu'elle se marie avec cet homme, qu'elle ait des enfants avec lui et qu'ils vivent ensemble, heureux, amoureux et en sécurité, dans la mesure du possible. Et qu'elle vienne toujours lui acheter du pain et des gâteaux.

Bien que préoccupée, Méline semblait encline à l'écoute et ne perdit pas une miette des explications que son amie donna, laquelle lui exposa brièvement les faits sans s'étaler d'abord en détails qui, s'ils n'avaient rien d'inutiles, pourraient peut-être alourdir l'annonce d'une telle nouvelle. C'est ainsi que Aelys rit légèrement en entendant la jeune femme dire qu'il lui faudrait le surveiller désormais, secouant la tête en s'imaginant déjà en train de le filer sous cape comme un vulgaire bandit de grand chemin, ce qui avait un effet comique en son esprit. La discussion sembla soudain s'emballer quand, entrainée par l'euphorie naissante, la Boulangère lâcha un flot de questions qui ne manquèrent pas de faire tour à tour pâlir, puis rosir les joues de la Couturière, laquelle papillonna des cils avant de secouer la tête, laissant échapper un rire nerveux.

- Par les Trois non ! Non je n'ai point encore... osé... C'est fort généreux de votre part et, comme vous l'avez deviné, ce gâteau me permettra d'avoir une raison pour venir le trouver, sous couvert de le remercier de ses bienfaits envers ma proche famille, mais nous n'avons point encore...

Le souvenir des échanges qu'ils avaient eu au mariage Ventfroid lui revint et la blonde se figea presque, ses yeux verts se teintant d'une certaine compréhension, alors que la lumière se faisait en son esprit et que, machinalement, elle remettait une mèche de cheveux en place.

- C'est vrai que, maintenant que vous le dites... Nous avons parlé de nos espoirs en l'avenir et de ce que nous voudrions faire, il fut même question de fonder un foyer.

Soudain un large sourire apparu sur les lèvres de la fille De Beauval, alors que ses mains venaient saisir celles de son amie avec un entrain soudain, dans une pulsion de joie et d'espoir mêlés, potentiellement fous, mais si plaisant qu'elle débordait soudain d'énergie, alors que ses yeux clairs se rivaient à ceux de sa vis-à-vis.

- Oh suis-je sotte ! Méline ma chère... il a tenté de m'embrasser ce soir-là et je n'avais point compris ! Quelle imbécile j'ai été !

La gêne, la surprise et un léger sentiment de peur face à l'inconnu l'avaient alors saisie à l'instant dont il était question et, faute de savoir comment y faire face, la pauvrette avait alors préféré fuir, battre lâchement en retraite, en délaissant l'homme qui n'avait au final été que des plus respectueux tout le long de cette mémorable soirée. Serrant un peu plus sa prise sur les mains de la brune, son amie soupira, le cœur à la fois lourd et léger.

- Il me faut réparer cette erreur. Méline, sans vous je ne le pourrais pas, j'espère que vous pourrez m'aider avec votre préparation, je suis sûre que même un Chevalier peut apprécier le sucré s'il vient du cœur.

Ce point-ci aurait encore pu être discutable et sans doute Aelys aurait-elle mieux fait de se renseigner au préalable, mais l'enthousiasme dont elle faisait preuve était si grand qu'on aurait difficilement pu la raisonner à cet instant précis. Le souffle un peu trop rapide, le cœur battant à tout rompre, elle songeait déjà à la visite qu'elle ferait à Eadwin et avait fort hâte d'y être. Nul doute que la Boulangère pourrait la trouver agitée, mais les premiers émois avaient parait-il souvent cet effet sur les jeunes femmes.

Méline voyait comme les yeux de son amie brillaient à la simple évocation de cet homme, et comment ses joues avaient tendance à rougir. C'était très mignon. Aelys devait avoir cette petite flamme en elle, qui soufflait à la boulangère que cette histoire ne faisait que commencer entre les deux protagonistes. Cette dernière la regarda en souriant, tâchant d'écouter chaque mot. Bien vite, elle comprit que l'homme en question faisait certainement partie de la grande société.
Méline rit gentiment lorsqu'Aelys lui dit qu'elle n'avait pas encore osé faire le premier pas. Elle ne manquait pas de courage, elle le savait bien. Si elle l'avait rencontré il y a peu de temps, alors c'était normal d'avoir une certaine appréhension et de n'être sûre de rien. Les choses viendraient certainement naturellement, la brune en était certaine.

« C'est vrai que, maintenant que vous le dites... Nous avons parlé de nos espoirs en l'avenir et de ce que nous voudrions faire, il fut même question de fonder un foyer. »

Méline ouvrit grands ses yeux de surprise, sans laisser retomber son sourire bienveillant. Ils étaient peut-être tous deux d'un genre rapide, finalement. Aelys lui saisit les mains, elle semblait vraiment toute excitée à la perspective d'un avenir commun avec cet homme. Et si la couturière regardait Méline dans les yeux, ceux de cette dernière partirent un instant ailleurs, regardant à travers son amie vers un passé qui paraissait extrêmement lointain, mais qui ne l'était finalement pas tant que ça.

Amin. Évidemment.
Même si elle tentait de ne pas penser à lui et de se réjouir pour Aelys, bien que l'un n'empêchait pas l'autre, il se montrait, apparaissait dans son esprit comme pour imposer sa présence. Il ne voulait pas être oublié, elle le savait. Et elle était certaine aussi qu'il ne le serait jamais. Cette histoire, entre Aelys et son prétendant, résonnait comme l'écho de la sienne avec Amin. Sauf que l'un était revenu, et pas l'autre. Et elle pria les dieux pour qu'il en soit toujours ainsi et que son amie couturière ne connaisse pas une telle tragédie, qu'elle garde toujours le beau sourire qui illuminait la pièce en ce jour. Méline aussi avait des projets, avant. Son futur était tracé, beau, et avec des enfants. Elle l'espérait. Et tout fut effacé tellement vite. Quand la boulangère sentit sa gorge se serrer, elle se reconcentra sur son amie, refusant de l'embêter avec sa vie. La sienne allait bientôt réellement commencer, alors elle s'interdit de gâcher cela, ce bonheur si beau et si pur.

« Oh suis-je sotte ! Méline ma chère... il a tenté de m'embrasser ce soir-là et je n'avais point compris ! Quelle imbécile j'ai été ! »

Voilà qui eut pour effet de rehausser l'humeur de notre boulangère. Ces paroles la firent rire. Aelys n'avait donc pas compris certaines avances ? C'était assez comique. Et pas si étonnant que ça après ce qu'elle avait déjà dit. Ils avaient dansé, parlé de bébés, et puis rien ensuite ? Ça paraissait bizarre en effet.

Et voilà que lui revenait en tête son oubli du jour. Méline avait bien oublié quelque chose. Et tout en y réfléchissant, elle se demanda si elle n'agaçait pas Aelys avec cette histoire. Elle espérait que non, et qu'elle n'avait pas remarqué non plus. Mais elle ne pouvait s'empêcher, en même temps, d'y réfléchir très fort. Retrouver cette chose, cet ingrédient ou cette action qu'elle avait complètement occulté aujourd'hui lui ferait un bien fou ! Mais il n'y avait rien à faire, elle ne savait plus du tout.
Quand elle reporta son attention sur son amie, cette dernière était en train de parler. Aïe, avait-elle encore loupé quelque chose d'important ?

« ...je suis sûre que même un Chevalier peut apprécier le sucré s'il vient du cœur. »

Non, ouf ! C'était rattrapable ! Le gâteau. Bien sûr ! D'ailleurs, Méline se leva de sa chaise, toujours en souriant à son amie. Ces petites discussions entre copines étaient très agréables, mais elle devait quand même travailler un peu aujourd'hui.

« Je vous écoute, ne vous inquiétez pas ! Je dois simplement mettre quelques tartes bourbonnaises au four. Un client doit venir les chercher dans peu de temps. Et c'est toujours plus appréciable quand elles sont encore tièdes, n'est-ce pas ? »

Tout en disant cela, Méline alla chercher dans la cuisine les fameuses tartes et les enfourna. Ensuite, tout en préparant les paquets qui recevront d'ici peu les préparations, elle reprit sa discussion avec Aelys.

« En tout cas, je suis vraiment contente pour vous Aelys ! J'espère bien que mon gâteau vous aidera comme il le doit ! Je vais m'appliquer pendant la préparation, je vous le promets. Oh, au fait ! Vous ne m'avez pas dit pour quand il vous le fallait, ce fameux gâteau, si ? »

Méline attendant la réponse, mit de côté les boites préparées et sortit un peu de farine pour préparer des chaussons aux pommes un peu plus tard.

Aelys n'avait certainement pas songé un seul instant que la naïveté dont elle avait fait preuve puisse prêter à sourire et encore moins à rire, mais ce fut pourtant ce qui se passa et la bonne humeur de Méline, fort heureusement, ne lui causa aucun tord et ne fit que la faire sourire de gêne en retour. C'était le propre des amis que de pouvoir rire avec et de vous, sans que cela n'apparaisse comme blessant ou insultant, cela dit l'on aurait pu penser que l'absence de la brune serait perçue, mais non. Toute à sa gêne, la blonde continua sur sa lancée, elle aussi profondément accaparée par ses pensées et ce ne fut qu'en serrant davantage les mains de son amie qu'elle la ramena à la situation présente, juste à temps pour lui permettre de comprendre de quoi il retournait. Étrange et amusante situation qui heureusement semblait prendre un tournant bien plus favorable et positif qu'au préalable. Suivant de ses yeux verts la silhouette de la Boulangère, la Couturière hocha la tête en l'entendant parler de se remettre au travail, fort consciente de l'importance de ne point rester les bras croisés trop longtemps.

- Oui, cela réchauffe à la fois le corps et le cœur, et bonifie l'humeur.

Une bonne tarte bien chaude, voilà qui pourrait peut-être constituer un fort bon second présent, si d'aventure le gâteau s'avérait plaisant, ce qui n'était point encore assuré, loin s'en fallait. N'aimant guère rester assise quand on s'affairait à deux pas de là, Aelys se leva à son tour pour suivre Méline, l'écoutant en réfléchissant rapidement au délai nécessaire pour sa démarche.

- Hmmm... Je dirais dès que vous le pouvez, je crains qu'en repoussant l'échéance, je ne perde le courage nécessaire à ma démarche.

Car enfin il était bien moins courant de voir une demoiselle chercher après un Chevalier, pour ne pas dire presque inconvenant, comme ne manquerait pas de lui affirmer sa Mère lorsqu'elle viendrait lui en parler le moment venu. Qu'à cela ne tienne, la fille De Beauval avait longuement réfléchi et avait prit sa décision... quitte à encaisser l'humiliation d'être repoussée.

- J'escompte aller le voir dans deux ou trois jours si je le puis, mais n'ayez crainte, vous serez payée convenablement pour cette urgence.

Une occasion comme une autre de donner un petit coup de pouce à la Boulangère sans en avoir trop l'air, une pratique que son Père lui avait inculqué assez tôt, ne serait-ce qu'en en donnant couramment l'exemple lui-même.

- Savez-vous ce qui pourrait plaire à un homme d'arme tel que lui ? Il a semble-t-il eu une vie assez rude et je désire sincèrement le toucher par ce présent. Il me faut me rapprocher de nouveau de lui... c'est important.

Presque vital, bien qu'elle ne confierait jamais rien des rêves qui avaient été les siens après le Vin d'Honneur ni durant les mois d'absence du Chevalier, jusqu'à-ce qu'elle le retrouve à Marbrume même. Ceux-ci seraient inconvenants à confier, même à une aussi chère amie que Méline.