Marbrume


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Philippe de Tourres
Philippe de Tourres



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MessageSujet: Autodafé   Autodafé EmptyMer 27 Juil 2016 - 14:44
Tic. Tic. Tic.

La canne du père de Tourres n'arrêtait pas de claquer un peu partout dans les allées silencieuses de la bibliothèque du Temple, produisant ainsi un écho particulièrement distinctif et ô combien fatiguant. Autrefois, monseigneur Philippe était capable de traverser les allées et virevolter à travers ces titanesques étagères regorgeant de codex et grimoires poussiéreux, auxquels on ne pouvait accéder que grâce à de petites échelles, de manière totalement silencieuse. Depuis sa blessure, et depuis qu'il gardait ce bâton boisé pour reposer son poids, sa carcasse se traînait avec le même tapotement caractéristique. Partout où il allait, on l'entendait arriver, on l'entendait taper partout, sur les dalles de marbre et la pierre taillée.

Comme c'était fatiguant, cette blessure... Le plus gênant, c'était la douleur. Les pommades faites d'armoise, de basilic et d'autres conneries aidaient à peine. Alors, à la place, pour pas passer ses journées alité avec sa cuisse qui convulsait sous le coup d'une atroce affliction, il était obligé de se droguer. Avec de la mandragore surtout, ce qui était pas ultra efficace, et avec de l'opium, qui malheureusement coûtait extrêmement cher depuis qu'on échangeait plus avec les autres cultures. C'était uniquement comme ça qu'il était capable de se remettre à trottiner, et transformer ce qui était une atroce blessure en une simple gêne sur le côté.
Ça cicatriserait. Il le fallait. Parce qu'en attendant un haut-prêtre qui se droguait c'était pas la joie.

Philippe avait perdu un peu de poids, soit dit en passant. Et puis, des fois, il se mettait un peu à trembler, comme un vieux sénile, mais il le cachait hein alors pas de problème. Parfois, c'est vrai, il était plus irritable que d'habitude, il hésitait pas à hausser le ton et à dire aux gens de dégager, mais au moins on avait enfin arrêté de le faire chier depuis le début de l'Apocalypse, alors, ça c'était une très, très bonne nouvelle. Surtout quand il allait à la bibliothèque, comme aujourd'hui.

La bibliothèque du Temple de Marbrume est censée être très importante, parce qu'on y consigne toutes les connaissances scientifiques, historiques, ou géographies en tout genre, sur tous les sujets. Avant, on copiait pour garder ce savoir, et surtout pour le propager à travers le monde. Les copistes, ces clercs que Philippe ne supportait pas parce qu'ils étaient de gigantesques geeks boutonneux, attardés et passant leur temps à se battre sur des sujets complètement triviaux, n'avaient maintenant aux yeux du haut-prêtre plus grande utilité, puisque le monde était coincé à Marbrume et qu'on allait probablement tous crever, et les fangeux ça sait pas lire, ils n'ont que faire de cette bibliothèque. Mais ça fallait pas le dire, fallait surtout pas l'avouer, surtout quand on est un religieux.

Tic. Tic. Tic.

Il marchait donc, l'infirme dopé aux analgésiques, parce qu'aujourd'hui, son honorable -et bien vaine- office d'honorable haut-prêtre le conduisait à s'occuper d'une tâche totalement subalterne et ridicule. Aujourd'hui, il avait à s'occuper de gérer ces copistes détestables, et à régler quelques affaires qui pouvaient intéresser les autorités ecclésiastiques.

Je vous la fait courte. Des miliciens en patrouille sont tombés sur un monastère abandonné, et avec les progrès des derniers mois (« Progrès ». Ah ah ah ah. Comme si reconquérir un putain de haut-plateau à 30 kilomètres était un progrès) face à la Fange, on avait enfin décidé que ce serait utile, peut-être, de dédier quelques maigres ressources à aller fouiner là-dedans. C'est comme ça qu'on s'est retrouvé avec un tout nouvel arrivage de vieux bouquins, de chroniques et de tas de traces du passé qui seraient peut-être très intéressants à étudier. Peut-être, sait-on jamais, qu'on trouverait des remèdes contre la Fange, on sait pas, tout espoir est permis.

Le problème, c'est que ça avait été un bordel sans nom. Les miliciens avaient juste foutu tous les bouquins ensemble et les copistes les avaient saisis n'importe comment, pour se mettre à faire la seule chose que leurs maigres cerveaux de geeks accrocs au houblon et à l'orge permettait : Copier. Ils avaient déjà pris des pages de papier, alors que le papier coûte cher, et avaient déjà commencé à écrire n'importe quoi et à faire de magnifiques dessins d'enluminures sans même chercher à faire quelque chose de plus utile. Vous avez déjà vu des dessins d'enluminures ? Certains de ces attardés dessinaient des monstres à bites, ou des lapins tueurs ! Et tout ça pour qu'après ils rigolent tous ensemble, d'un rire fluet, avant de tous s'auto-congratuler comme une bande de pédérastes qui formaient un cercle pour s'entre-sucer la bite.
Dieux que Philippe détestait les geeks.

Il allait donc dans cette bibliothèque bien vide, vierge de foule contrairement à la cathédrale souvent bondée de fidèles, pour s'approcher avec sa canne de l'endroit où qu'on avait tout foutu n'importe comment. Il serrait la mâchoire, le père de Tourres, tellement qu'il avait mal. Et puis il allait tellement lentement... Il en avait marre de ressembler à une tortue, vivement que sa patte soit rétablie.
Il se détendit légèrement en voyant qui on avait collé pour commencer à bosser aux archives, pour trier les livres.

- Sœur Adélie ! C'est un plaisir de te voir !

Tic. Tic. Tic.

Il s'approcha tout près d'une gigantesque table en bois d’ébène débordant de livre, et prit appui dessus, lui permettant ainsi de lâcher sa canne au dessus d'un gigantesque grimoire débordant de feuillets en partie déchirés et détériorés, sur lequel la couverture en peau de cerf, montrant bien la richesse de son ancien propriétaire, avait écrit : « De Re Militari, Et estudes sur les Armes de Sa Majesté, Roy des Langres ».

- Comment vas-tu ?


C'était son ange qui lui avait sauvé la vie.
En fait, non, c'était juste une sale gamine de prêtresse qui avait failli le tuer en l'amenant au fond des catacombes tout ça pour tomber sur une bande de pillards de tombes. Mais vous savez, la drogue et ce genre de conneries ça fait avoir des idées bizarres aux hommes. C'est pour ça que, encore assez heu... « Haut » dans son esprit, le haut-prêtre ne put s'empêcher de lui faire un gigantesque sourire tandis qu'avec une minutie religieuse, il se mit à ouvrir le bouquin De Re Militari.

- Raconte-moi... C'est quoi tous ça ?
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Adélie Plume-de-FauconPrêtresse
Adélie Plume-de-Faucon



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MessageSujet: Re: Autodafé   Autodafé EmptyJeu 28 Juil 2016 - 16:23
Peut-être était-ce l’époque, qui voulait ça. Le papier était difficile à obtenir, il était cher et il n’était pas des plus simples à produire, encore moins s’il était de qualité. Les peaux animales faisaient très certainement des supports plus traditionnels, mais d’autant plus dispendieux et rares. D’autant plus que les peaux les plus larges et accessibles étaient ceux des cerfs, ces mêmes cerfs qui étaient sacrés et intouchables. On se rabattait sur les vaches ou encore les veaux mort-nés. Mais avec la Fange, la peau animale retrouvait ses facultés premières : couvrir et protéger. Ou bien c’était le fait qu’elle ait grandi dans un village, loin de toute culture littéraire, où les rares livres étaient apportés par un colporteur de temps à autre, au gré du beau temps et de ce que le village d’avant n’avait pas acheté. Toujours est-il que la jeune Plume-de-Faucon prenait grand soin des livres qui croisaient sa route, avec un respect presque sacré. Lorsque la Haute Prêtresse Viviane Blancherive réceptionna ce don inespéré, c’est un élan de découragement qui s’abattit sur elle. Des néophytes avaient déjà mélangé les collections pour en faire un chaos sans nom, et plusieurs volumes manquaient, aléatoirement, selon les envies et préférences des copistes trop empressés de débuter. Rapidement, elle dépêcha un groupuscule hétéroclite de prêtres et assistants pour en faire l’inventaire, la description, le catalogage ainsi que pour copier et enjoliver plusieurs de ces oeuvres ou documents d’importance. Si elle avait choisit plusieurs copistes de grands talents pour la dernière tâche, elle avait jeté son dévolu sur la jeune Adélie, entre autre, pour en faire l’inventaire. La petite aimait lire et n’avait encore endommagé aucun volume, depuis son entrée au temple? Parfait! Elle allait pouvoir faire l’inventaire sans risquer de gâcher l’encre ou le vélin.

Pendant les premières heures, la bibliothèque empruntait des airs de ruche. Chaque prêtre, chaque copiste, chaque assistant avait une tâche précise et butinait entre diverses tables jonchées d’une quantité impressionnante de documents. Peu à peu, au fil des heures, la masse de volumes diminuait, tout comme la présence des membres du clergé. Chaque membre de l’escouade des archivistes avait rapatrié sa charge de travail sur l’une ou l’autre des tables de la bibliothèque, ou encore dans leur propre chambre où bureau. À l’aube suivante, Adélie se posa à nouveau devant la massive table d’ébène aux pattes ouvragées. Son regard éreinté balaya les livres empilés. Combien y en avait-il..? Définitivement trop. Dans un soupir, elle s’efforça de se convaincre qu’au moins, ainsi, elle ne penserait ni aux fangeux qui courraient dans les catacombes, sous ses pieds, ni au visage dévasté par la douleur de Philippe de Tourres. Le travail avait cela de bien: il divertissait et éloignait l’esprit des tourments. Chevilles croisées sous son siège, elle retroussa les manches amples de sa mante sur ses avant-bras pour un peu plus de confort devant cette lecture forcée.

Adélie jeta son dévolu sur un large ouvrage dont plusieurs feuilles semblaient plus ou moins bien reliées. Ici et là, des traces de boues maculaient les enjolivures et l’humidité avait gagné une partie de la couverture de cuir. Les lippes pincées, elle nota mentalement qu’il faudra restaurer la reliure endommagée avant toute chose. Si le livre était moisi, il était hors de question qu’il rejoigne les autres ouvrages dans les rayons pour contaminer la collection. Aussi bien ne pas travailler inutilement. Elle poursuivit donc sa lecture silencieuse, notant scrupuleusement les faits marquants de ses lectures afin d’aider les érudits à dénicher une place de choix à tous ces livres. Nom, titre, origine, résumé. La tâche n’était pas complexe. Mais encore fallait-il savoir lire et ne pas se laisser distraire.

Toute plongée dans son travail, elle n’avait entendu l’arrivée de Philippe de Tourres que quelques secondes avant qu’il ne s’adresse à elle. Surprise par le bruit de canne battant le sol, elle relâcha brusquement son traité sur Anür pour relever les yeux sur le Haut Prêtre. Instinctivement, la jeune prêtresse tira une chaise pour le blessé afin qu’il prenne ses aises le plus rapidement possible. Ainsi, lorsque sa canne se posa sur le gigantesque ouvrage endommagé, la petite prêtresse ne s’indigna pas, loin de là. Elle était surtout inquiète pour la canne qui pourrait se tacher de boue.

- Père de Tourres..! Vous m’avez surprise. Depuis… Enfin, depuis notre promenade nocturne, je suis un peu nerveuse.

Elle se mordilla la lippe, incertaine de la pertinence de son propre commentaire. Certes, elle dormait peu, elle dormait mal, depuis les catacombes. Les visages des pilleurs et surtout la silhouette du fangeux, au sol, contre sa cuisse, la hantaient et la torturaient chaque soir. Cela dit, elle s’en était sortie sans une égratignure, et Philippe était la raison de sa survie. Pouvait-elle réellement se plaindre de nervosité en sa présence? Était-ce socialement acceptable? Adélie abaissa le minois vers son ouvrage, déjà honteuse.

- Je vais bien, je vous remercie de vous en soucier. Et vous? C’est surprenant de vous voir si loin de vos quartiers. Est-ce qu’il vous manque quelque chose? Je peux vous raccompagner, si vous voulez.

Toute sérieuse, elle releva enfin son attention sur son aîné, visiblement dévouée à son bien-être. Même si une petite voix lui rappelait qu’elle avait proposé d’aller chercher l’aide de la milice, dès le départ, même si cette petite voix lui soulignait que la visite des catacombes étaient l’initiative du Haut Prêtre, elle s’en voulait. Beaucoup. Et mêlé à tout ça, il y avait une gratitude presque viscérale pour de Tourres. C’était étrange, comme sentiment. Tout ce qu’Adélie savait, c’était qu’elle se sentait parfaitement mal et horriblement bien, en sa présence. D’une part, elle voulait le savoir dans son lit, en voie de guérison, loin d’elle, afin de ne pas ressentir encore cette terrible culpabilité la lacérer de l’intérieur. …Mais elle désirait plus que tout qu’il reste à sa table et lui accorde une miette d’importance.

Elle haussa un sourcil en le voyant désigner le gigantesque ouvrage, s’extirpant péniblement de ses doutes et ses incompréhensions quant à ses propres humeurs. De..? Ah..! Oui. Oui. Elle travaillait, avant qu’il n’arrive, perché sur sa canne.

- Oh… Il s’agit de...La prêtresse déroula son inventaire afin d’en saisir le titre exact. De Re Militari, Et estudes sur les Armes de Sa Majesté, Roy des Langres. Vu l’état du document, il faudra un méchant travail de restauration puis de préservation, mmh! Ça, tout ça, c’est l’arrivage du monastère qu’ils ont sauvé. Il y a des frères et des soeurs qui se sont mis à copier, mais il y avait déjà tout un désordre dans la collection. Donc je dois faire l’inventaire.

De sa main pâle, Adélie désigna le livre qu’elle lisait tout juste avant son arrivée. Il était dans un bien meilleur état que le large grimoire qui avait attiré l’attention de Philippe. La reliure était intacte, de ce qu’il pouvait en voir, et des dessins minutieusement travaillés ornaient les pages centrales, pages qui étaient ouvertes devant Plume-de-Faucon.

- Ça raconte ce qui se produirait si les hommes manquaient à leur devoir envers les dieux. Ça date de … Je sais pas, en fait, mais ça explique que Anür nous punira tous par ses eaux gorgées de sel. On est encore loin de la Fange, mais je doute franchement que le livre en parle. Oh! Et il y a un livre sur la généalogie des baronnies de la région. Si vous voulez, vous pouvez prendre un des livres à votre chevet, pour vous reposer un peu.

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Philippe de Tourres
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MessageSujet: Re: Autodafé   Autodafé EmptyVen 29 Juil 2016 - 14:23
Tout gentiment, et toute penaude, Adélie avait tiré une chaise pour le clerc, juste en face de la table. Il avait vite murmuré un « merci » et acquiescé d'un léger mouvement de tête, de bas en haut, avant de finalement se caler sur la chaise, sur laquelle il s'assit très lentement. Cela lui faisait du bien, de plus avoir à mettre de pression sur la patte. Il se détendit aussitôt, soupira un peu de détente, et tira vers lui, avec beaucoup de délicatesse et de précaution, le gigantesque livre devant lui.
Il ouvrit la couverture en peau de cerf. Les pages jaunâtres, tâchées, poussiéreuses se mirent à crépiter. Le livre avait apparemment pris l'humidité. Il s'était beaucoup dégradé. Mais il était encore magnifique. Sur la première page, le titre était à nouveau écrit, en grand, avec les noms des auteurs, et des gens qui avaient contribué à l'élaboration de l'ouvrage, soit en faisant des dons, soit en le copiant. L'enluminure avait été incrustée d'or, une superbe encre qui cherchait à créer des couleurs, donner du relief. C'était un sacré travail d'orfèvre. Philippe en ouvrit une page au hasard. Le texte était très dense, même si parfois il avait disparu en certains endroits, que l'encre avait mal coulé. Certaines pages étaient cornées, en partie déchirées, salies ou autre. Et puis, il y avait des dessins, qui cherchait à montrer, même si les proportions entre la taille des hommes, des armes et des châteaux n'était pas du tout respectées, des scènes de guerres et de batailles, où des chevaliers en harnois s'entre-tuaient pour obtenir l'entrée d'un bourg ou la maîtrise d'un champ de bataille.

Pendant ce temps là, Adélie piaillait un peu à côté, de sa petite voix. Philippe l'écoutait attentivement, en même temps que toute son attention était portée vers ce magnifique livre. Quand elle eut fini, il resta silencieux un moment, le temps de continuer sa lecture au hasard, de l'étudier sommairement. Avec une voix satisfaite, forte, douce, il se mit alors à parler, un peu tout seul.

- « De Re Militari » est un classique de la littérature militaire. On y traite aussi bien de poliorcétique, de grande stratégie, que d'opératique. N'importe quel commandant de renom se doit de le lire. En revanche, une étude personnelle sur l'ost et sur les corps à la disposition du Roi, ça, c'est plus original, je sais pas ce que ça vaut...
Je pense que ce livre était censé être un cadeau. Peut-être pour le prince des Langres. Peut-être pour le duc ou sa famille. Il est très cher, et noble. C'est une pièce d'art, pas un bouquin.


Oui, il parlait beaucoup tout seul. Pas sûr qu'Adélie sache ce que « poliorcétique » veut dire d'ailleurs. Une jeune fille comme elle, ça s'occupait pas de savoir comment qu'on construisait des trébuchets pour anéantir les murailles d'une ville. C'est pourquoi, Philippe arrêta de scruter son vieux livre, pivota la tête vers sa gauche, et jeta ses yeux bleus vers le visage de la petiote, avant de se forcer à faire un sourire paternel pour la rassurer.

- Je vais très bien, ne t'inquiète pas. Sa Seigneuresse Vivane a d'autres affaires pressantes et m'a envoyé ici pour s'occuper de la Bibliothèque et de ces bouquins, j'aimerai pas la décevoir. Enfin, j'aimerai pas décevoir le Temple, c'est ça que je veux dire...
Viens, approche.


Sans même demander l'avis du faucon, il se permit de tendre sa main gauche pour à nouveau attraper un livre, celui qui était ouvert et qu'elle était en train de consulter. Il le prit avec beaucoup moins de caution que celui entouré de peau de cerf, et le souleva au-dessus de lui, vers son corps, Adélie ne pouvant plus le lire qu'au-dessus de l'épaule du haut-prêtre.
Celui-ci se mit à pousser un rictus au fond de sa gorge, assez ironique. Il se mit à siffler comme un serpent, comme la Déesse Rikni.

- Je vais te dire un secret, Adélie. Les fangeux craignent le sel. Je ne sais pas pourquoi, je sais pas l'expliquer. Mais je l'ai vu, de mes propres yeux, des fangeux reculer devant une eau saumâtre. Aussi, l'homme qui a écrit ça s'est totalement manqué. L'Apocalypse ne vient pas des eaux et de la mer. Il doit plutôt venir de la terre...
Mais j'ai déjà lu cette histoire. Pure mythologie, ce n'est pas un traité théologique intelligent, on ne devrait pas perdre notre temps à le recopier.
Et puis, j'ai fais plus que « lire » cette histoire, en fait. Je l'ai copiée. Est-ce que tu savais que, dans mon enfance, j'ai grandis au sein d'une abbaye ? Il y eut un temps où je passais des journées à devoir recopier, ligne après ligne, les pages de ces bouquins.


Il resta silencieux, toujours un peu souriant, après avoir dit ça. Et puis il observa les autres bouquins, en reposant doucement celui qu'il avait chipé à Adélie. Ouais, il les observa tous. Un à un. Parfois juste d'un coup d’œil. Parfois en ouvrant au hasard pour consulter une ou deux pages. Cela lui pris un petit moment d'ailleurs, un moment où il se montra pas du tout productif et se mit même à déranger tout le travail qu'avait fait Adélie, elle qui avait passé sa matinée entière à faire un inventaire bien écrit et préparé pour la marâtre de haute-prêtresse, qui allait lui taper sur les doigts si elle terminait pas vite son travail.

- Vous savez, c'est rigolo, parce que des fois on voit en marge, sur des pages, des copistes qui écrivent des choses. Une petite signature. Il y en a qui écrivent qu'ils se plaignent. Moi je me rappelle, que...
Hmm...
Mais...
Mais, attendez... Vous connaissez le nom du monastère d'où ils viennent, ces livres ?


Quelque chose venait de le frapper, quelque chose d'inattendu, qui le contrariait. Cela se voyait non seulement à son ton, à son expression, mais aussi et surtout à son empressement à se relever, à se pencher au-dessus de la gigantesque table pour aller regarder tout ce qui était posé autour de lui.

- En fait je... Je crois que justement, ces livres ils viennent de l'abbaye où j'ai grandis...
Je me demande même si j'en ai pas copié quelques-uns.
Bon sang, ça date... Je devais... Eh bien. J'avais ton âge, Adélie. J'étais un tout jeune homme.
C'est fou. Je pensais pas que je reverrai ça.


Si ça se trouve, justement, au fond de ces livres il y avait un petit commentaire de merde qu'il avait un jour écrit. Il se rappelait de la dernière ligne qu'il avait copiée avant de retourner chez lui, avant de revoir son père, avant de quitté l'abbé Suger. C'était un vieux traité oriental sur la cataracte et la médecine des yeux, et dans la marge, il se rappelait qu'il s'était permis d'écrire : « Même quand nous serons poussière, ce savoir sera éternel. Prie pour les âmes des scribes anonymes qui t'ont permis de lire ce livre ». Ah, putain, c'était tellement ancien, il s'y attendait pas trop. De vieux souvenirs remontaient, des souvenirs auxquels il ne pensait que très peu, même jamais pour être honnête. Philippe avait un beau sourire, assez nostalgique, pendant quelques instants.

- Bien.
Bref. Il faut que je travaille, hein ?
Alors dis-moi tout Adélie. Comment est-ce que je peux me rendre utile ? Est-ce qu'il faut qu'on trie tout ça ? Tu risques d'en avoir pour la journée toute seule, je veux bien t'aider si tu veux.
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Adélie Plume-de-FauconPrêtresse
Adélie Plume-de-Faucon



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MessageSujet: Re: Autodafé   Autodafé EmptyMar 9 Aoû 2016 - 19:50
Écouter Philippe de Tourres expliquer la provenance d’un livre qu’il ne devait connaître que de réputation était fascinant. Assez pour que la plume de piaf cesse tout à fait son travail et l’écoute religieusement, accoudée sur la table, le minois appuyé dans la paume de sa main. Il lui rappelait parfois le vieux Ferle, l’ancien colporteur qui traversait les landes jusqu’à Ars-en-Rê. Qu’est-ce qu’il en avait à raconter, celui-là! Adélie l’appréciait bien, ce vieil homme, si on parvenait à oublier son regard torve et ses mains un peu trop aventurières. Heureusement, avec le Haut Prêtre de Tourres, l’affaire était bien différente. Et le niveau, bien plus élevé. Il utilisait même des mots étranges qui semblaient même exotiques à la jeune femme. Qu’est-ce que c’était, un poliorcétique? Peut-être des stratégies politiques pour vaincre ses ennemis? Elle se laissa bercer un moment par ses paroles avant de réagir, un sourire pâle aux lèvres.

- Si c’est une oeuvre d’art, comme vous le pensez, je vais le noter dans mon registre. Comme ça, les archivistes pourront le restaurer en priorité. J’espère qu’ils y arriveront… Enfin. C’est pas tout les jours que je croise un livre pareil.

Ce devait être la première et sensiblement la dernière fois de sa vie, très certainement. Hésitante un tantinet, elle finit par tendre la main vers le livre -ou l’oeuvre d’art- militaire, question de l’effleurer une dernière fois. Son geste fut accompagné d’un mouvement, chez Philippe: il lui prenait son ouvrage des mains pour le consulter. Son sifflement lui arracha un petit air ahuri d’incompréhension la plus totale. Qu’est-ce qu’il lui prenait, à son Philippe, tout à coup? Les explications ne tardèrent pas, et plutôt que de rassurer la petite demoiselle, elles soulevèrent bien plus de questionnement chez elle. Elle se redressa alors, laissant les longues manches de sa mante dégringoler sur ses bras, contourna la table et se campa derrière Philippe. L’occasion était trop belle de se rapprocher de lui, un petit peu plus, juste un petit peu, de laisser quelques mèches l’effleurer, le frôler, à peine, sans même qu’il n’en ait conscience. La prêtresse s’inclina un peu plus, cherchant du bout des yeux ce qui avait pu tant le contrarier, en si peu de mot.

- Mais comment vous savez tout ça, sur les Fangeux? C’est écrit nul part. Enfin, je crois pas. On devrait pas monopoliser nos copistes pour qu’ils en fassent un espèce de bestiaire, de tous les récits que les survivants ont à raconter, de toutes les informations que vous possédez? Je suis certaine que même notre expédition dans les catacombes pourrait en aider quelques uns. Je.. Je pourrais en parler à la Haute Prêtresse Viviane, ou bien vous, faites le. Elle vous connaît plus que moi.

Elle se glissa sur la chaise voisine, après avoir parlé d’une traite. Il était hors de question qu’elle contourne l’immense table et se retrouve aussi loin de son sauveur. C’était étrange, tout ça. En dehors du fait qu’ils parlaient de Fangeux, de fin du monde et de livre unique et richissime, ils peinaient visiblement à savoir comment s’aborder mutuellement. Alors que Philippe avait débuté par la tutoyer le plus simplement du monde, il multipliait les bourdes en la vouvoyant de plus en plus. À l’inverse, Adélie crevait d’envie de lui parler avec autant de familiarité qu’il le faisait à son égard. Elle soupira un peu, enchaînant plutôt sur le fameux monastère.

- La Haute Prêtresse me l’avait dit, hier matin. Mais j’ai oublié, bien honnêtement. C’est un Monastère qui était près d’ici, de ce que j’ai compris, ce qui explique pourquoi les miliciens ont pu sécuriser l’endroit. Ou au moins, le vider des livres. Vous sembliez bien connaître le livre militaire, et celui sur Anür… C’est possible, vous savez, que ce soit le même de votre jeunesse. Pas si lointaine.

La jeune femme avait murmuré les derniers mots. Le silence de la bibliothèque et la proximité avec Philippe permettait évidemment au Haut Prêtre de l’entendre, mais elle avait néanmoins voulu être discrète, souligner la jeunesse relative de son confrère, amoindrir leur différence d’âge, détromper ses sourires paternels qui se multipliaient, de rencontre en rencontre. Elle s’était rapidement attachée à lui, la raison lui échappait encore, mais au-delà de ça, au-delà de son jeune âge, elle demeurait une prêtresse de la Trinité. Il ne devait pas l’oublier et l’infantiliser encore et encore. Après tout, elle sauvait des vies, elle aussi, à sa manière, au centre de soins.

- Pour le travail.. Il faudrait reformer les piles de livres comme ils étaient, avant que nous en discutions. J’ai la liste de ce que j’ai terminé. Je n’ai pas la tâche la plus fascinante qui soit... Je dois faire l’inventaire. Mais avec vous à mes côtés, ça ira vite comme tout, comme vous semblez déjà les connaître. Avant tout, par contre, je pourrais aller vous chercher une infusion? Ou une concoction? Je suis certaine qu’on vous laissera boire, même ici, avec vos blessures…

Elle avait posé une main sur la tête en se redressant à moitié, prête à déguerpir au moindre signe positif de Philippe. Main négligemment posée devant lui, lui qui aimait tant la cueillir.
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Philippe de Tourres
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MessageSujet: Re: Autodafé   Autodafé EmptyMer 10 Aoû 2016 - 0:23
- Non, non, je t'assure... Je n'ai besoin de rien. Mais c'est gentil de te proposer.

Il détourna ses yeux du livre ouvert juste devant lui, et posa sa main gauche sur celle d'Adélie. Il la caressa tendrement, en plongeant son regard vers les yeux de la jeune prêtresse, qui n'arrêtait pas de manifester beaucoup d'attention au haut-prêtre.

- Ça fait un mal de chien quand je met du poids sur la jambe en fait... Mais au repos c'est supportable. Je prend des choses pour me calmer, mais... C'est pas juste des infusions, ça fait pas assez d'effet.
C'est pas très bien ce que je fais. C'est mal. Tous les prêtres conseillent de ne pas abuser de ces substances, comme l'opium... On en devient dépendant après, et...
Enfin bref. De toute façon je n'ai pas assez de moyens pour en acheter tous les jours.
Ce que je veux dire, c'est que c'est bon, tu n'as pas de soucis à te faire. Je vais bien.


Il ne la laissa pas partir. Physiquement, en fait, puisqu'il se mit à serrer la menotte d'Adélie tout en continuant à lire du bout des yeux les lignes figées sur le papier. Il semblait pensif. Un mélange d'émotions se dessinaient sur son visage. À un moment, ce fut un léger sourire nostalgique - Mais il disparu bien vite, pour se donner un air un peu plus grave, et... Triste.

- Je ne sais pas si je suis vraiment jeune, mais tout ça ça me ramène à loin...
Je parle pas seulement du monde avant la Fange. Je parle du monde avant ma jeunesse. Lorsque j'étais dans cette abbaye, les choses paraissaient juste, plus... Plus pures ? Plus simples ? C'est compliqué à exprimer comme sentiment. Je ne manquais de rien, les champs étaient Cocagne, et ma vie était dédiée à deux maîtresses : La religion et la science.
Et puis après j'ai été obligé de partir.


Il ferma le livre de sa main droite, celle qui était toujours libre. Son buste pivota très légèrement, de mettant dans le dossier de la chaise. Il tournait sa tête pour pouvoir observer le visage de la jeune fille qu'il se mettait à bassiner de ses histoires, comme un vieux avec sa petite-fille.

- Et puis mon grand frère est mort. Une mort bête. Un accident ridicule, ridicule et tragique. Alors j'ai dû me détourner de cette carrière pour revenir auprès de mon père. C'est qu'il était un seigneur, je ne pouvais pas me permettre de l'abandonner, ça aurait été une mauvaise action.
Et après, d'autres choses se sont passées...
Enfin. On ne refait pas l'Histoire. Il y a la Fange maintenant.


Il laissa cette phrase tout dire d'elle-même, avec tout ce qu'elle pouvait sous-entendre, selon comment on voulait l’interpréter. Selon que c'est une phrase d’espérance, ou alors une remarque profondément pessimiste.

Hmm. Mais qu'est-ce que je suis en train de faire ?

L'opium avait vraiment des vertus bizarre. Il était tout détendu, presque mou. Il venait juste de remarquer qu'il était en train de caresser les doigts entrelacés de la jeune femme. Et ça ça ce ne faisait pas. Se reprenant subitement, il se décida bien vite à la lâcher, et à reprendre un ton plus grave, plus digne de son rang et de la raison pour laquelle il avait traîné sa carcasse à la bibliothèque.

- Enfin bref. Oui, il y a un inventaire à faire. Mais comme tu dis, je ne sais pas si cela apportera grand chose.
Quelques personnes tentent, de manière sporadique, d'écrire, mais ce ne semble pas être la priorité. Enfin, je veux dire... Les moines cherchent dans les livres des traces de la fange passée, plutôt que marquer celle du futur.
Le sel qui tue les fangeux, je l'ai vu moi-même, je l'ai observée. Et j'ai entendu que quelques gens s'amusaient à faire des études sur les monstres, à en capturer pour leur faire subir des sévices, pour voir comment ils réagissent, quelques points faibles...
J'ai moi-même commencé à écrire quelque chose. Tu... Tu as sûrement vu avant de venir me chercher cette nuit où on est allés...
Enfin bref. Je doute que ma contribution aide beaucoup à l'Humanité. Ce serait comme un coup d'épée dans l'eau.
Mais si ça t'intéresse, tu pourrais m'aider à l'écrire. J'ai laissé le bouquin dans mon manoir.


Il agita la tête de haut en bas, avant d'observer la pile de bouquins qui s'étalait sous ses yeux.

- Le papier est rare, alors qu'il est essentiel. Il nous faudrait peut-être sacrifier l'un de ces ouvrages. Qu'il soit recyclé pour en faire un support vierge.
Je sais que c'est assez cruel de dire ça, mais... Allons. Il faut qu'on choisisse lequel de ces écrits va disparaître. Peut-être même, disparaître à jamais de la face de la Terre.
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Adélie Plume-de-FauconPrêtresse
Adélie Plume-de-Faucon



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MessageSujet: Re: Autodafé   Autodafé EmptySam 13 Aoû 2016 - 2:14
Si le père de Toutes doutait encore de l'indécence de son geste en caressant avec autant d’attention et de délicatesse la main pâle de la jeune Adélie, il pouvait constater combien ses pommettes étaient rouges, lorsqu’il se permit enfin de retirer sa patte de sur elle. Quelque chose avait sans doute été osé pour qu’elle s’empourpre de la sorte! Son récit l’avait émue, bien sur, et elle n’avait pas osé interrompre Philippe alors qu’il se confiait à elle. Il s’ouvrait un peu sur lui-même; il n'était plus question de vieilles catacombes et d'histoires d’architecture. La jeune prêtresse croisa ses mains sur la table, devant elle, lorsqu’elle obtint à nouveau sa liberté. Il était donc issu de la noblesse… Il avait même un manoir et ne logeait pas au sein du temple. Elle n’en savait rien! La particule de son nom aurait sans doute dû lui mettre la puce à l'oreille, mais à Marbrume, les patronymes étaient tellement étranges. Même elle qui se surnommait Plume-de-Faucon n’avait jamais reçu le moindre commentaire ou la plus petite interrogation. Une roturière de plus. Une bizarre. Une fille d’Ars-en-Rê. Comme l’autre, là, la sale morveuse Dent-de-Loup.

- J’ignorais que vous étiez issu de… De la noblesse. Enfin… J’avais toujours pensé que logiez auprès des dieux... Je suis désolée pour votre frère, père de Tourres. J’ai perdu aussi mon aîné, en quelque sorte. J’ai intégré le clergé après son départ. Mais il me reste ma petite Ancélie. Elle a rejoint la milice, pour sa part, elle était du nombre pour récupérer les … dépouilles, après notre passage. Beaucoup trop jeune pour tout ça, mais les temps sont difficiles.

Sans qu’elle ne le veuille ni ne s’en rende compte, Adélie arborait un petit air attendri en parlant de sa soeur cadette. Visiblement, elles étaient proches, l’une et l’autre. Elle haussa les épaules en effaçant son air à la fois tendre et inquiet, enchaînant avec une bien triste fatalité.

- J’ai parfois l’impression qu’on est extrêmement chanceux, même si on a tout perdu. La mort est là, partout, mais on survit malgré tout ça. Elle nous submerge, mais pas tout à fait. Elle nous laisse maintenir notre tête hors des eaux, c’est tout.

D’un mouvement lent et mesuré, comme pour amenuiser le raclement de sa chaise contre le sol de pierre, la prêtresse se redressa déjà, coupant un peu les élans de pathos pour un peu plus de travail concret et utile. C'était vrai, ce qu’il disait, le Père de Tourres. Il faudrait bien choisir un document de la collection de cette gigantesque bibliothèque pour leur petit projet commun. Car elle était du nombre, c’était évident! Il avait ce pouvoir étrange, sur elle. Il la fascinait et l’attirait comme un papillon sur des flammes, de par son autorité de haut prêtre ou ses vastes connaissances sur l’Histoire. Elle ne voulait pas le décevoir, même si parfois il était étrange, condescendant -avec les autres, eh! jamais avec elle!-, indécent -ça, c’était avec elle- ou un peu flasque. Ça devait être l’opium, tout ça. Elle lui avait sourit avec gentillesse et un brin de complicité, ses joues encore rosées de ce qu’il avait osé faire à sa pauvre petite main.

- Je vais voir ce que je peux trouver. Vous pourriez me replacer les livres déjà détaillés dans cette pile, s’il vous plaît? J’ai la liste ici. Si vous en connaissez d’autres, hésitez pas à ajouter la description à l’inventaire… Ça nous sauvera du temps. Enfin, si vous voulez. Et puis, c’est Mère Viviane qui le demande.

Puis elle était disparue, la petite demoiselle, derrière une rangée. C’est seulement hors de la vue de Philippe qu’elle soupira de complaisance. L’avait-il invitée à son manoir? Non! Non, bien sûr que non. Mais… Il voulait bien qu’elle l’assiste dans la rédaction. Mais… Son ouvrage était à son manoir. Donc il l’avait invitée, mmh? Oui, peut-être. Elle laissait ses pensées tourner et retourner dans sa petite tête de moineau, rougissant toute seule rien qu’à l’idée de rejoindre un endroit aussi remarquable, en compagnie de son Haut Prêtre. “Quoi qu’il advienne, je n’irais pas. Ancélie me crèvera les yeux. Et puis, j’ai promis de me préserver.” Elle chassa cette tentation purement fictive pour se concentrer sur les livres, devant elle. Généalogie des… Des… C’était qui, ça? Adélie fronça les sourcils devant cette famille inconnue. Peut-être était-elle décimée, à présent, avec la Fange? Elle logea le livre contre sa poitrine puis continua sa traque. Il lui fallu un petit moment pour collecter un recueil de contes des contrées de l’Ouest et son roman favori. Le premier volume contenait des contes dont plus personne ne se souciait vraiment, avec les événements hors de l’enceinte de Marbrume. Le deuxième était le récit intégral d’une histoire pathétique où les larmes et un amour impossible étaient les seuls issus. Adélie le connaissait par coeur, pour avoir pleuré maintes et maintes fois le sort tragique de Paul et de sa belle Virginie.

- Nous pourrions utiliser un récit que vous connaissez bien. Comme ça, on pourrait tôt ou tard le retranscrire quand les temps seront plus doux. C’est … C’est le cas de celui-là. L’amour impossible de Paul et Virginie. Vous saviez qu’elle est tellement pure et chaste qu’elle refuse carrément de retirer sa mante pour plonger dans les eaux et préfère mourir noyée que de laisser son bien-aimé voir ses genoux? C’est… C’est si romantique, en fait. Mais je vous ai vendu la fin..! Zut!

Adélie se posa aux côtés de Philippe après avoir déposé lourdement les trois volumes de différentes grosseurs sur la table massive. Elle désigna le récit d’amour, de la main, le caressant distraitement, au passage.

- C’est un récit magnifique, et même si ça me déchire le coeur de ne plus le lire… Je suis prête à le sacrifier pour notre cause. J’ai récolté ces deux livres, aussi. Lequel vous semble le plus digne de sacrifice?

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Philippe de Tourres
Philippe de Tourres



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MessageSujet: Re: Autodafé   Autodafé EmptySam 13 Aoû 2016 - 19:54
Le temps qu'Adélie file derrière les rangées d'étagères, Philippe avait reporté son attention sur la table, et avait gentiment obéit à la jeune fille. Il sifflotait, ses lèvres un peu pincées, pour se donner un peu de calme et de quiétude le temps de continuer sa tâche.
Dieux qu'est-ce qu'il se sentait détendu. L'opium ça faisait vraiment du bien. Il avait presque envie de soudainement se lever, de se tourner vers Adélie, de lui sortir : « Je re. », avant de s'envoler vers les cieux.
Le problème c'est que dès qu'il posait sa patte à terre, la douleur revenait, lacérante, elle lançait le long de sa jambe, comme... Bah, il fallait avoir déjà eut une douleur de ce genre pour comprendre. C'était dans la chair, pas dans les os, ce qui mettait le plus de temps à reconstituer.
Opium, opium, opium... Voilà la seule chose qui pouvait encore lui permettre de survivre.

En fait, les deux ou trois minutes qu'il avait passées tout seul ne furent pas bien productives. Non, il se contentait de fixer bêtement l'un des livres, la bouche un peu entre-ouverte, et à le regarder très très lentement, page après page, sans pour autant lire l'encre qui avait été jetée sur le papier. Il était totalement déchiré. Ce qui était étrange vu que ses paroles étaient encore plus ou moins cohérentes. Il redressa son corps quand la petiote revint avec des livres sur le bras, et commença à lui parler tout vite. La bouche toujours ouverte, il lui arrivait de bouger la tête de bas-en-haut, en sortant un petit « hun-hun » du fond de sa gorge, pour bien montrer qu'il écoutait bien malgré son regard pas très loquace et le fait qu'il lui arrivait de basculer très légèrement d'un côté ou de l'autre de la chaise.

Elle était rigolote cette Adélie. Enfin non, il était pas très rigolote, à dire des opinions bizarres sur la vie et sur la mort, mais qui pouvait lui en vouloir ? Lui ? Ouais peut-être. Philippe savait plus trop. Enfin il pouvait plus réfléchir. Il avait juste envie de... Enfin c'était trop bizarre. Il se sentait bizarre. Pas mal, pas triste, juste... Même pas vide, il se sentait juste ailleurs, sur une autre planète, sur une étoile à des années-lumières de là, où qui y a pas la Fange ou tout ça. Enfin bref, on s'en fout. Il savait pas qu'elle avait une sœur dans la milice tiens. Cela lui plaisait pas à Philippe. La milice c'est pas une place pour les femmes, surtout quand c'est des jeunes filles. Mais est-ce qu'on avait le choix, hein ? La fine fleur de la chevalerie du Morguestanc (Donc la pire chevalerie des Langres, celle la plus crasse et la moins disciplinée) avait été exterminée dans les premiers jours de la Fange à peine ; Et il restait plus rien, plus d'ost plus d'oriflamme, alors bon, on prenait ce qu'on pouvait. Mais il allait pas lui dire maintenant, ce genre de réflexions. Il trouverait bien un moyen de lui dire ça un jour, un jour où qu'il serait pas totalement foncedé au milieu de la bibliothèque.
C'est fou comment rien n'avait l'air d'importer maintenant. Quand il allait redescendre ça serait un choc.

- Non, non, j'ai jamais lu cette histoire.
Mais Virginie a l'air d'être une sacrée idiote, c'est fou. S'embarrasser de la pudeur dans une situation d'urgence, c'est pas romantique, c'est con comme tout, j'le dis, voilà.


Bordel quel livre de merde. Rien que la définition qu'elle en avait fait rendait l'ouvrage tout particulièrement pathétique. Franchement, ce serait faire une faveur au monde entier que de ne pas permettre aux générations futures, si par miracle l'Humanité survivait à la Fange, de devoir jamais supporter de lire de telles lignes débordant d'un faux-romantisme jusqu'à la gerbe.
En revanche, les deux autres livres semblaient beaucoup plus importants.

Il y avait un récit de contes, des contes oraux retranscrits sur le papier. Et ils venaient de l'ouest, des terres dont on ne savait plus rien tant que tout avait été balayé par les démons. Cela, c'était sacré, hors de question d'y toucher, quoi qu'il advienne. Massacrer ce livre, ce serait comme brûler vivant des dizaines, des centaines de conteurs nomades, qui vendaient leurs histoires pour trois sous et un gîte en se déplaçant de villages en villages. Ce serait supprimer du folklore, un pan de l'imaginaire de dizaines de milliers d'enfants qui avaient dû servir de viande froide pour ces... Ces choses immondes auxquelles le Philippe drogué n'avait plus envie de réfléchir.
Et il restait un dernier choix à faire. La généalogie d'une famille, dont Philippe lu rapidement le nom en ouvrant la page de couverture.
La généalogie se trouvait à la bibliothèque du Temple. Aussi, on peut facilement se douter du devenir de cette famille. Morts, tous. Philippe alla directement à la dernière page, où l'encre était la plus fraîche, d'une couleur différente, et aux pages agrafées qui étaient bien blanches et non jaunâtres comme les anciens parchemins qui remontaient à plusieurs générations.

« Tombés devant la Fange. »

Philippe fut pris d'un sourire. Un sourire soudain, sardonique. Et il ricana, un peu nerveusement, l'obligeant à se pincer le haut du cartilage du nez, en fermant fort les yeux, en ridant son front.

- Pardon, pardon...
Je... Je sais pas pourquoi je rigole...
Je vais plus bien.


C'était tellement habituel à lire. « Tombé devant la Fange ».
En fait, Philippe avait reconnu le nom. Il l'avait déjà entendu, dans une autre vie, lorsqu'un héraut quelconque l'avait annoncé juste devant la lice d'une joute, lors d'un de ces jolis tournois où la chevalerie, pour ne pas rouiller, s'amusait à se battre pour de faux, pour s'infliger des blessures bien réelles.
Éspée, Montfort, Castellanne, Flocques, Rivain, Daragonne, Longuespée, Dranville, Montplessy, Rivenoire, la Hire, Sainte-Croix, Agrance, les Quatre-Bras, Saint-Perry, Avranches... Tous ces putains de noms, avec la jolie particule devant, qui étaient tous censés exprimer un lieu, un surnom, une réputation, une vie. On disait le nom, et on s'imaginait tout de suite le blason, les armoiries dessinées sur un bouclier ou une bannière, sur ces gens adoubés devant Rikni, l'aristocratie, militaire ou domaniale, omniprésente dans les beaux romans de chevalerie et dans les chansons de geste. Quel jeune garçon roturier ne rêvait pas d'être adoubé ? Quelle jeune paysanne ne fantasmait pas d'être prise sous le bras d'un bel homme en plate ?
Tous, tous disparus devant la Fange, et tous qui ne reviendront jamais. Il ne resterait plus personne pour porter leurs couleurs, plus aucun héraut pour scander leur nom, plus aucun enfant pour porter leur héritage, avec un numéro devant leur prénom.
Détruire cette généalogie, ce serait détruire cette famille. Exterminer son souvenir, ses faits d'armes, son histoire. Ce serait tout anéantir. Toutes les peines, toutes les joies, toutes les épreuves qu'a pu traverser cette famille à travers les âges.

- Demande à l'armarius Grégoire de recycler ce livre sur cette famille noble. De toute évidence ils n'en auront plus jamais besoin.
Et avec le papier qu'on en tirera, je pourrai continuer à travailler.
Ça te dérange si je te laisse deux minutes ? Je me sens vraiment pas bien...


En fait non, il se sentait très bien. Mais le problème c'est que l'opium ça rendait pas heureux et guilleret. Ça donnait envie de dormir... Ça donnait tellement, tellement envie de roupiller en paix...
Il se leva très difficilement, en prenant appui sur sa cane, et fit un bisou sur la joue d'Adélie, comme si elle était sa sœur, ou sa fille.

Tic. Tic. Tic.

Ça y est, on entendait à nouveau le bruit de sa canne faire écho dans les allées de la gigantesque salle.

- Je m'en vais pas loin pas longtemps, c'est juste que... J'ai besoin d'une demi-heure, tout au plus...

Il partait pas de la bibliothèque, il en aurait pas le courage. Mais il alla dans un coin, pas très loin d'Adélie, où qu'il pensait qu'un moine allait pas le faire chier en passant. Il s'arrangea pour s'avachir sur une sorte de meuble, qu'il se servait comme paillasse improvisée, juste le temps de fermer les yeux deux minutes.
Il souffla tout doucement, par le nez.

- Bon sang, je... Je me sens vraiment pas normal, Adélie...
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