Si ce n'est pour l'avenir... [Honoria]

Ce n'est pas parce qu'on était noble qu'il fallait se terrer sur l'esplanade, bien à l’abri de tout et ne jamais sortir de son nid douillet. Bien au contraire. Et le comte de Vauvrur comptait bien user de son droit d'aller et venir partout, son privilège même, toujours flanqué de quelques gardes personnels. Et il n'avait pas peur de descendre dans les recoins un peu malfamés sans non plus aller là où la misère était la plus insolente pour ses yeux sensibles.

Mais en ce jour gris et pour une fois sans pluie, le comte ne faisait qu'une balade banale. Il était aller voir son bateau en construction, son magnifique bateau. Puis il avait fait le tour des étales sans rien acheter, repérant juste et notant les prix dans sa mémoire performante. Attirer par une douce voix il était ensuite entré au Hérisson mélomane. Une auberge réputée et toujours bien fréquentée où les meilleurs artistes de la cité se produisaient. Il remarqua immédiatement une voyante avec un client au fond dans la salle, dans un coin un peu privé, et il fut intrigué et même plus que ça : curieux.

Si ce n'était crédible, cela pouvait se montrer au moins divertissant et Auray avait bien besoin d'un peu de divertissement. Les pendaisons se faisaient rares avec ces histoires de balancer par dessus les remparts. Le comte avait bien des qualités, mais la patience n'en faisait pas toujours partie. Disons que c'était variable, quand il voulait quelque chose, il le voulait tout de suite mais il savait aussi attendre lorsque son désir prenait du temps. Hors là, il ne voyait aucune raison d'attendre.

Il s'approcha donc et dégagea le badaud qui occupait son futur siège malgré les objections qu'il pouvait formuler.

- Tu as eu ta séance, paye la demoiselle et laisse ton tour. Si tu as d'autres questions, tu n'auras qu'à en reprendre une.

Il n'y avait pas grand chose à faire valoir, personne pour le défendre et le charisme malsain du Vauvrur aurait dissuadé n'importe qui de se plaindre plus, ou de ne pas payer la pauvre voyante. Le comte s'installa, faisant alors venir un bon hydromel et offrit même un sourire à la dame de fortune devant lui.

- Bien le bonjour madame, je serais curieux de voir vos dons de voyance. Comment cela fonctionne-t-il ?

Honoria était le genre de femme à garder de nombreux mystères en elle. Et le métier qu'elle pratiquait, si on pouvait appeler ça à un métier, renforçait cet attrait mystique qu'elle possédait. En tant que voyante, diseuse de bonne aventure, elle passait son temps à tirer les cartes tout en faisant la conversation à la personne en face d'elle. Elle était une personne relativement agréable et impliquée dans ce qu'elle faisait. Bien entendu, elle était aussi impliquée dans la négociation et le commerce, il fallait bien qu'elle tire son épingle du jeu et qu'elle arrive aussi à vivre de son talent. Une voyante, on n'en croisait pas à tous les coins de rues, et bien qu'elle puisse être une des rares personnes à maîtriser cet art.

Honoria avait prise place dans une taverne répondant au nom du Hérisson Mélomane. Un bien étrange nom pour une enseigne dans ce genre, mais cela ajoutait un petit charme à l'endroit, bien qu'il ne soit pas parfait au niveau de la propreté. Située un peu à l'arrière, elle remarquait de temps en temps quelqu'un s'approcher d'elle pour lui poser des questions, sur l'avenir, sur les revenus financiers, en bref, des choses diverses et variées. Un homme s'était assis en face d'elle, et elle n'eut même pas le temps de finir sa lecture de cartes que quelqu'un vint faire taire le tout. Elle releva son regard et vit un homme, bien habillé, bien coiffé, sans doute issue de la classe un peu plus haute de Marbrume, des clients comme ça, elle en croisait peu. Elle ne répondit pas quand il ordonna au type de dégager, elle fut même assez surprise de recevoir quelques pièces sans que l'individu ne fasse quoi que ce soit, enfin, elle allait pouvoir passer à quelqu'un d'autre, et plus il y avait de monde à sa table, plus elle pouvait s'enrichir.

« Monsieur aime donner des ordres à ce que je vois. »

Dit-elle avec un léger sourire tandis qu'elle reprenait les cartes posées sur la table pour les mélanger.

« A qui ai-je l'honneur ? »

Demanda t-elle pendant qu'elle mélangeait encore ses cartes avec des gestes agiles et contrôlés. Quelques pièces d'or, et elle savait qu'elle pouvait en avoir un peu plus, surtout avec ce genre de personne. Elle commença donc sans mal par faire la conversation au nouveau venu.

« Dites moi donc, quand êtes vous né, mon beau seigneur ? »

Tandis que cet homme avait commandé quelque chose à boire, Honoria, quant à elle, n'avait rien repris depuis une heure environ, elle n'était pas fan d'alcool à vrai dire, et elle devait rester sérieuse dans son travail. Une fois qu'elle eut terminé de mélanger les cartes, elle reposa le paquet sur la table et reposa son regard bleu sur son nouveau client.

« Je discerne déjà une façon de vivre en vous, vous me paraissez être quelqu'un un peu au dessus de tout, vous devez sans doute mener une vie agréable en cette vieille cité. Seriez vous par la même occasion quelqu'un de dépensier ? Ou bien préférez vous garder vos économies avec pour objectif, de bâtir quelque chose avec de solides fondations ? »

D'apparence détendue, le comte surveillait chacun de ses gestes. Ce genre d'activités étaient emplis d'escrocs, de voleurs et de charlatans et il ne comptait pas se faire avoir. D'autant qu'il était bien entouré afin de protéger ses arrières. Elle pouvait être mauvaise voyante, ça il s'y attendait et ne lui en voudrait point, il la paierait quand même. Il ne s'agissait pas de se faire des ennemis au sein du peuple. Mais si elle tentait de l'arnaquer, elle finirait bien mal.

Pour le moment, tout ce qu'elle faisait était tout à fait normal pour son métier et le comte fut même surpris par son assurance. Elle ne se laissait pas démonter par sa présence, tant mieux. Et il jouait le jeu, faisant facilement croire qu'il croyait en tout ça alors qu'il était plutôt du genre septique.

- Seigneur Auray de Vauvrur, et vous ma dame ?

Le comte avait toujours été un galant homme avec ces dames et il aimait faire croire à celles-ci qu'elles étaient plus que ce qu'elles n'étaient en réalité, qu'elles l'intéressaient. Un petit peu de séduction n'avait jamais fait de mal.

- Je suis né lors d'un hiver très rude, un 3 février.

La suite fut un peu décevante. Déjà qu'attendait-elle pour poser les cartes ? Il n'avait pas toute la journée. Ensuite ce qu'elle dit était plutôt évident pour un homme de sa condition. Évidemment, il était aisé et vivait bien, c'était un homme important, le cousin du duc mais il usait de ce pouvoir pour faire de bonnes choses pour le peuple - et pour lui. Mais il n'allait pas lui montrer et allait plutôt en jouer pour voir si elle pouvait mieux faire. C'est donc sur un ton plutôt enjoué et avec un léger sourire qu'il lui répondit.

- Quelle perspicacité ! Je ne suis pas dépensier non, je fais très attention à ce que devient chaque denier. Mais ça vous devez l'avoir deviné et cette question n'était que purement rhétorique, vous me faites marcher, avouez !

D'ailleurs, je ne suis pas venu vous voir pour rien, j'ai une demande un peu plus précise, mais peut-être n'est ce pas encore le bon moment. Je suis tout à vous pour faire comme il est d'usage.