Le vin, la statue, les colères [PV Leanne & Hector]

1er Mai 1165

Hector sortit du bar titubant. Les étoiles, majestueuses de dans ce ciel de printemps, tournaient au dessus de sa tête dans un ballet des plus gracieux. Le baron de Sombrebois se consolait grâce à des choses simples comme cette vision nocturne. Les prostituées, l'alcool, il cherchait du réconfort là où il savait pouvoir en trouver. Quel dommage que Ceux qui étaient sensé aider les hommes les aient abandonnés... qui plus est, Ils ne recommandaient pas les bons remèdes terrestre que le noble affectionnait par dessus tout, les seuls capable de venir à bout des dépressions nocturnes, n'est-ce pas ?

Une dame passa à coté d'Hector. "Pffff" fit-elle en voyant le grand homme dans cet état d'extase alcoolique.

- Qu'est-ce elle a, la vieille ?! Cracha le baron.

La dame se tourna vers lui. Son regard sombre ; ses sourcils froncés... elle lui fit presque peur.

- Sorcière ! Cria-t-il.

Et la dame pressa le pas en chuchotant une prière.

- Ils t'aideront pas plus que moi, poule d'eau !

Et le baron continua sa route. Un peu plus loin, sur le chemin de l'esplanade, il passa à coté d'une petite femme toute blanche, immobile, belle, fière et... divine. Et pour cause, il ne s'agissait ni plus ni moins qu'une statue d'Anür, nichée dans l'angle d'une grande maison cossue. Le baron s'arrêta à sa hauteur pour lui faire la cour, mais devant son silence hautain, il ne put s'empêcher de hausser le ton :

- C'est pas la peine d'faire ta princesse ! J'en ai connu d'autres avant toi, et tu n'leur arrives pas à la cheville, garce !

Mais cette coquine, en robe drapée semblait consciente de son sex-appeal. Elle regardait Hector avec une hauteur, une condescendance de déesse, évidemment.

- Tu t'prends pour Anür ou quoi ?! S'exclama le baron excédé.

Ses bras s'agitaient, sa cape noire volait autour de lui, claquant au vent dans un mouvement aussi désordonné qu'impressionnant !

- Anür est une salope, tout comme toi ! Cria-t-il.

Mais aucune réponse. La voix de ténor du baron finissait de résonner entre les murs gris des bâtiments qui encadraient la rue déserte... Enfin, dans l'esprit du baron elle était déserte. Dans la réalité de Marbrume, une femme - un prêtresse même ! - arrivait derrière lui...

Anür sait ô combien il est difficile pour moi de sortir la nuit. Cette fois-ci, il en était exception. Une dame qui convoite le temple pour vénérer les dieux m'avait demandé, elle désirait ma présence dans un lieu précis, chez sa fille qui venait de mettre au monde un enfant. Elle désirait que je sois présente pour apporter mon soutient à sa fille qui accouchait. Il me semble que ce fût la première fois que l'on me demandait quelque chose de semblable, jamais je n'avais été au côté d'une femme qui accouchait et d'un nouveau né. J'avais pu observer la naissance, voir un nouvel être entrer dans la vie, dans le monde réel.

Malheureusement, je pense que c'est le mauvais moment pour cela. Avec tout ce qui se passe à l'extérieur : les bandits, les frangeux … Nous sommes enfermés dans cette ville et dans le peu de son entourage à cause de ces choses. Je me demande comment tout cela va finir. Enfin, passons, j'ai bénis cet enfant comme je le souhaitais et comme je l'ai appris. Cette petite fille mérite au moins ça, rentrer dans la vie de Marbrume et des dieux. Je souhaite en tout cas qu'elle puisse être protégée par Anür et avoir une bonne vie.

Je regarde la grand-mère, elle dit au revoir à sa fille et à sa petite-fille. Le mari est heureux, j'ai pu le voir pleurer. Je crois que c'est cela qui me manque, voir un homme heureux pour ce qui lui arrive et à ce qui peut m'arriver aussi. Je les regarde, je les envie, mais j'ai bien fait un choix. Je dis au revoir ensuite à la grand-mère puis je me tourne vers le couple. Ils me remercient de m'être déplacé à cette heure tardive.

« Ne vous en faites pas pour moi, je l'ai fait pour vous et votre mère. Anür est ravie de faire partie de cette cérémonie. C'est une bonne chose pour tout le monde et surtout pour votre petite fille. Je vous souhaite une bonne nuit, une belle journée pour demain et je vous souhaite tout le bonheur du monde. »

Une fois tout cela dit et les au revoir de fait, je n'ai plus qu'à m'en aller. Je sors de la maison et je me dirige vers le temple. La nuit est sombre, les étoiles brillent de mille feux et je les suis comme si je suivais Anür. Tout d'un coup, j'entends des bruits, des paroles plus précisément. Je me dirige curieusement vers ces mots jusqu'à ce que je trouve la personne qui émets ces sons.

« Anür est une salope, tout comme toi ! » cria la personne avec une voix grave.

Je vois la personne de dos en question, il semble bien habillé, quoi qu'il a les vêtements un peu de travers, il semble soûl comme un pot. Je me dirige lentement vers lui, constatant qu'il insultait une statut, une statut d'Anür. Je m'arrête à côté de lui, espérant qu'il ne me fera aucun mal, mais il semble juste perdu.

« Anür n'est pas très miséricorde. Elle est dure avec les gens, elle espère juste que tout le monde sera capable de l'écouter, de respecter ses lignes. Alors si cette divinité est une « salope » pour vous, alors c'est une « salope ». »

Je tourne mon regard vers lui, attendant une quelconque réaction.

« Si vous avez besoin de quoi que ce soit, le temple reste toujours ouvert, et je suis à votre écoute. »

Enfin elle se décidait à lui répondre, la garce ! Hector s'approcha, chancelant, de la statue.

- J'ai pas dit qu'Elle était une salope ! J'ai dit qu'ELLE et ELLE - il désigna deux fois la statue car il voyait double - et toi et Anür étaient des salopes ! Ah ah ah, t'façon z'êtes toutes des salopes, soit disant qu'vous aimez les hommes maaaaaaaaaaaais, les hommes, quand ils vous aiment, vous les laisser mariner, jamais vous les laisser vous aimer, vous toucher, vous embrasser, vous baaaaaaaiseeeer ! Ah, c'est bien beau d'parler d'amour... mais le faire, hein, c'est autre chose, heeeeeein !?

Il parlait toujours à la statue, ne se rendait même pas compte que la voix féminine qui lui avait chatouillé les tympans venait de derrière son dos. Il posa sa main sur la pierre froide et blanche de la statue. Il avait visé l'épaule, il avait touché le sein.

- Dieux, t'es froide comme la neige ! Tu vois !

Mais à la surprise de ce contact dur et froid, s'ajouta celui d'une voix qui venait d'une autre personne !

- Si vous avez besoin de quoi que ce soit, le temple reste toujours ouvert, et je suis à votre écoute.

Hector sursauta.

- Hein quoi ?! Qui estes vous ?!

Il se retourna et vit deux prêtresses dans l'obscurité de la ruelle, deux ombres sans visage. Elles portaient des robes longues qui ondulaient lentement, en rythme, qui tournoyaient ensemble, synchronisées comme deux oiseaux s'envolant, amoureux, vers les pays chaud le temps qu'un rugueux hiver passe dans leur région de vie, plongeant dans une léthargie salvatrice la fabuleuse flore jadis verdoyante.

Hector s'appuya sur le mur d'une maison pour ne pas tomber.

- Qu... qu... qui êtes vous ?!

Une goutte de sueur froide perla sur son front. Il serra le poing et s'aperçut qu'il était sorti sans arme... Il se sentait faible et fébrile. Les deux femmes marchaient vers lui sans jamais s'approcher. Il tendit une main tremblante vers elles mais il ne put les atteindre.

- Pourquoi faites vous ça ?! Qui vous envoie ?! Je sais que vous mentez !

Parler lui faisait du bien. Il se sentait reprendre pied.

- Et pourquoi Anür n'nous aide pas, hein ? Pourquoi a-t-elle laissé la fange nous décimer ? Pourquoi m'a-t-elle pris ma mère, mon père... pourquoi m'a t-elle donné une femme si c'est pour me la reprendre aussitôt ?! Hein ?! Pourquoiiiii ?!!!

Son cri résonna une seconde et Hector tourna la tête pour regarder autour de lui. S'il n'avait pas reconnu son timbre, il eut cru qu'il s'agissait d'une tierce personne venue à sa rencontre. Mais il n'y avait aucun autre homme que lui ici. D'ailleurs, l'une des deux jumelles prêtresses avait disparu :

- Où est passée votre sœur ?!

- J'ai pas dit qu'Elle était une salope ! J'ai dit qu'ELLE et ELLE - il désigna deux fois la statue car il voyait double -et toi et Anür étaient des salopes ! Ah ah ah, t'façon z'êtes toutes des salopes, soit disant qu'vous aimez les hommes maaaaaaaaaaaais, les hommes, quand ils vous aiment, vous les laisser mariner, jamais vous les laisser vous aimer, vous toucher, vous embrasser, vous baaaaaaaiseeeer ! Ah, c'est bien beau d'parler d'amour... mais le faire, hein, c'est autre chose, heeeeeein !?

Je regardais cet homme et j'avais l'impression que je ne pouvais rien faire pour lui. Mon regard se baissais machinalement, j'écoutais ce qu'il disait en pensant qu'il avait raison. Certaines prêtresses aiment les hommes mais se vouent à la déesse et lorsque des hommes nous déclarent une flamme, nous l'ignorons pour nous consacrer à la déesse. Il me semble qu'un pèlerin m'avait déjà fait le coup, il y a longtemps. Bien sûr, aucun homme n'a osé porté la main vers moi, ne serait-ce que me toucher, peut-être ont-ils peur que je les rejette violemment. Après tout, je me balade bien tout le temps avec un bâton dans les mains, enfin … Sauf ce soir évidemment. Lorsque mes yeux remontaient vers l'homme soûl comme un pot c'est parce qu'il s'avançait vers la statut et qu'il la touchait. Il a posé sa main sur le sein de la statut à présent, il est doux avec les femmes celui-là.

- Dieux, t'es froide comme la neige ! Tu vois !

Je continuai de le regarder lorsque j'ai prononcé ces mots : « Si vous avez besoin de quoi que ce soit, le temple reste toujours ouvert, et je suis à votre écoute. »

Sa réaction fût direct : il sursauta.

- Hein quoi ?! Qui estes vous ?!

Il se retourne vers moi et me regarde d'un air terrorisé. Je pouvais enfin voir son visage et sa corpulence entière. Un homme plus âgé que moi, peut-être dix ans de plus. Un peu gras, quelqu'un de bonne famille sans doute, je dirai même que c'est un noble à en juger ses habits. Il recule encore un peu et colle son dos au mur d'une maison, vue son regard, il croit être pris au piège, je pense même qu'il croit être en danger.

- Qu... qu... qui êtes vous ?!

Oui, ça ne peut être que cela, il a peur.

« Je m'appelle Léanne, je suis une prêtresse d'Anür, laissez moi vous aid…

- Pourquoi faites vous ça ?! Qui vous envoie ?! Je sais que vous mentez ! »

Je le regarde en ravalant ma salive, je me sens un peu déstabiliser, il semble reprendre du poil de la bête on dirait. Je l'ai vue serrer sa main, peut-être cherche-t-il la violence ? S'il pensait trouver un fourreau c'est raté, il n'est même pas armé. Il tendait quelques secondes auparavant sa main vers moi, peut-être qu'il cherchait à voir si j'étais vrai, mais il est beaucoup trop loin de moi en ce moment même. Je me contente de le regarder, il a l'air d'avoir quelque chose de plus à dire.

- Et pourquoi Anür n'nous aide pas, hein ? Pourquoi a-t-elle laissé la fange nous décimer ? Pourquoi m'a-t-elle pris ma mère, mon père... pourquoi m'a t-elle donné une femme si c'est pour me la reprendre aussitôt ?! Hein ?! Pourquoiiiii ?!!!

Je soupire lentement, cet homme est vraiment malheureux d'où le fait qu'il soit imbibé d'alcool, je présume. A mon avis elle devait être sa journée de trop, trop d'émotions l'ont mises dans une colère noire, voilà pourquoi il a bu autant. Sans même rien demander, j'ai pu en savoir un peu plus sur lui. Je vais peut-être pouvoir l'aider en fin de compte, enfin j'espère.

- Où est passée votre sœur ?!

Cette question me fit décrocher un petit sourire au coin, tellement soûl qu'il voit double, pauvre homme.

« Je suis seule, vous avez trop bu, c'est pourquoi vous me voyez en double. Je le redis encore une fois, je suis une prêtresse d'Anür, laissez moi vous aider. »

Je me rapproche lentement de lui, espérant qu'il va éviter tout geste brusque.

« Allons au temple, laissez moi vous donner de l'eau, de quoi vous hydrater … Si vous le désirez vous pouvez même dormir au temple cette nuit, cela vous évitera de rentrer seul dans nuit et réveiller les voisins par vos cris. »

Je m'arrête à sa hauteur, j'espère qu'il ne me rejettera pas et qu'il me laisserai l'aider. Je tends ma main vers lui et à présent c'est quitte ou double.

- Je suis seule, vous avez trop bu, c'est pourquoi vous me voyez en double. Je le redis encore une fois, je suis une prêtresse d'Anür, laissez moi vous aider.
- Ah ah aaah ! Une prêtresse d'Anür ! Ça m'fait une belle jambe !

Elle s'approcha de lui. Il tenta de se redresser. Il n'avait pas envie de se montrer si instable, si dépendant d'un mur pour se tenir droit... Seulement à peine avait il fait un pas en avant qu'il chancela, montrant à la prêtresse son manque flagrant d'équilibre.

- Allons au temple, laissez moi vous donner de l'eau, de quoi vous hydrater … Si vous le désirez vous pouvez même dormir au temple cette nuit, cela vous évitera de rentrer seul dans nuit et réveiller les voisins par vos cris.

Il était difficile de rester agressif devant tant de gentillesse... et pourtant, Hector eut encore quelques mots peu amicaux :
- De l'eau ?! Mais j'suis pas malade, moi ! Et mes voisins, j'les emmeeeeerde !

... mais, ce visage si fraternel - et ces yeux ciel - eurent finalement raison de la résistance du baron.

- Maaaaaaais puisque vous insistâââââtes, je vous suis !

Et oui, le baron était, certes, d'une bien sombre humeur... mais la prêtresse n'était visiblement pas prêtresse pour rien ! Elle avait déjà réussi à apaiser un peu le large barbu qui lui offrait son bras, autant par politesse que pour assurer son équilibre sur la route qui menait au temple. A ce contact courtois, le baron fut pris d'un élan de bienséance.

- Ah au fait, chère Louanne, je m'appelle Hector de Sombrebois. Depuis combien de temps vous êtes vous lancée dans le... dans ce sacerdoce ?

Un prénom écorché n'était pas si grave après tout ! Quant à la question, elle était le prétexte à en connaître un peu plus sur celle qui voulait le sauver... bien qu'il n'ait - comme tous les gens éméchés, évidemment - besoin d'aucune aide ! Hecor salua de sa main libre la statue de pierre et, ainsi, dans une nuit douce, sous les étoiles encore tournoyantes, aux cotés d'une agréable prêtresse aux yeux limpides, le baron marchait, retrouvant peu à peu le sourire légèrement béat que l'alcool, le plus souvent, lui donnait. Il n'était pas si mal finalement, là, à se laisser guider à travers les rues de Marbrume par un guide si bienveillant.

- De l'eau ?! Mais j'suis pas malade, moi ! Et mes voisins, j'les emmeeeeerde !

Étrangement, je me fis plus droite et je me retins d'écorcher une bref sourire, je ne voulais pas sourire devant cela, même si ça me faisait rire intérieurement. Il prenait de plus en plus de considération pour ce que je lui disais, c'est bon à prendre en tout cas.

- Maaaaaaais puisque vous insistâââââtes, je vous suis !

J'émis un petit rire, mais un tout petit, en remuant la tête. Je vais tenir sa façon de parler sous le compte de l'alcool. C'est un riche noble complètement ivre après tout, il ne vaut mieux pas le contredire. Il se décolle du mur et s'approche de moi à son tour pour me prendre sous son aile. Je posa ma main doucement sur le bras qu'il me tendait et je souriais, bêtement, mais fière de moi. J'allais amener cet homme au temple pour qu'il puisse récupérer doucement de sa veillée nocturne.

- Ah au fait, chère Louanne, je m'appelle Hector de Sombrebois. Depuis combien de temps vous êtes vous lancée dans le... dans ce sacerdoce ?

Lorsqu'il prononce son nom, c'est comme un petit clic dans ma tête. Bien sûr, Hector de Sombrebois, je crois avoir déjà entendu ce nom quelque part. En tout cas, il me dit bien quelque chose et cela confirme bien ce que je pensais, c'est un noble. Je regarde droit devant moi, regardant le chemin menant en temple et pensant rapidement à la question. Dois-je tout lui raconter ? Après tout, je ne le connais pas si bien que ça, je peux me permettre de lui en dire peu et peut-être plus une fois que je connaîtrais cet homme. Pourquoi devrais-je me mettre à nue si vite ?

« Léanne … Dis-je doucement pour rectifier mon prénom. Depuis quelques années, peut-être quatre ans, je ne me souviens pas bien, c'était il y a un petit moment et puis quand l'on est dans ce genre de quotidien, le temps est lent, la vie est lente, mais on voit les gens mourir plus vite qu'on ne le croit. »

Je n'y avais jamais vraiment réfléchit, mais il est vrai que mes journées semblent de plus en plus longue, je m'occupe comme je peux de mes journées sans ne savoir vraiment quoi faire d'autre à part m'occuper du temple et de mes prières envers Anür. Je tourne mon regard vers le noble qui a l'air de reprendre un peu de vigueur.

« Avez-vous un travail ou un statut particulier ? Je crois avoir déjà entendu votre nom auparavant mais je ne vous connais absolument pas. »

Un petit sourire, cela ne fait de mal à personne.

La nuit était douce et la compagnie de la prêtresse agréable et bienvenue. Si elle ne semblait pas, de prime abord, des plus fortes, elle était capable de rattraper les petites pertes d'équilibres d'Hector. A trop regarder les étoiles, les toits des maisons et les ombres qu'ils croisaient, le baron penchait, trébuchait ou manquait de rentrer dans une bâtisse qui bordait leur chemin. Il souriait, profitant de l'agréable sensation que lui procurait la proximité de la jeune femme. Il n'avait que rarement côtoyé des gens du clergé. Il n'aimait - d'habitude - pas leur bonté, leur aveuglement, leur béatitude... Mais ce soir, peut-être parce qu'il était lui même béat et aveuglé par l'alcool, il était de bonne humeur, enclin à aimer la bonté de la disciple d'Anür. Il souriait au ciel, il souriait au sourire de la fille aux yeux bleus.

- Bien sûr "Léanne", n'est-ce pas ce que j'ai dit ?! Quatre ans... vous paraissez bien jeune - hips - pourtant... Remarque, les prêtres commencent tôt... pis ils sont enfants de chœurs avant ou padawan ou un truc dans l'genre et puis même si ils le font pas ben dans leur tête c'est un peu tout comme vu qu'il faut être bien crédule pour prier des absents des putains d'imposteurs de merde...

Les mots étaient mal articulés et le volume sonore baissait peu à peu, si bien que les derniers mots du baron se perdirent totalement.

- Bref, d'accord, ah ah ah !

Il était quand même assez lucide pour se rendre compte que ses phrases étaient bien peu intelligibles.

- Avez-vous un travail ou un statut particulier ? Je crois avoir déjà entendu votre nom auparavant mais je ne vous connais absolument pas.
- Je suis baron, mademoiselle - hips - Baron de Sombrebois, le petit bourg décimé par la fange, 'savez ? Le gars qu'était marié avec Grâce de Brasey ! Mais qui a appris un peu tard qu'elle était sa cousine... connards de vos collègues qui ont pas vu ce lien dans leurs graaaaaandes archives et qui ont fini par nous - hips - séparer ! Il marqua une pause pour reprendre son souffle. Mais... j'ai quelques occupations en plus : Je chasse la fange, je crache sur mes pairs et je noce avec les femmes qui veulent bien ! Ah ah !

Voilà qui était honnête... mais qui ne présageait rien de bon quant à l'opinion que la prêtresse se ferait d'Hector. Evidemment, là n'était pas la question pour lui. Il aimait autant dire la vérité que choquer ses interlocuteurs... et si ceux-ci étaient du clergé c'était d'autant plus plaisant ! Du coin de l’œil il scruta la réaction de son accompagnatrice.

*

Un peu plus loin, alors que le drôle de couple continuait de tanguer dans la rue, un petite brise fraîche fit voler une mèche d'Hector devant ses yeux. Il se recoiffa négligemment et déclara d'un air sérieux :

- Vous allez sans doute me trouver un peu... direct... mais...

Hector se défit de la main de Léanne et s'arrêta à coté d'elle.

- Vous vous rendez pas compte que vous êtes en train d'offrir votre vie à une illusion ? à un mythe ? à un mensoooooonge ?!!

« Je suis baron, mademoiselle - hips - Baron de Sombrebois, le petit bourg décimé par la fange, 'savez ? Le gars qu'était marié avec Grâce de Brasey ! Mais qui a appris un peu tard qu'elle était sa cousine... connards de vos collègues qui ont pas vu ce lien dans leurs graaaaaandes archives et qui ont fini par nous - hips - séparer ! Il marqua une pause pour reprendre son souffle. Mais... j'ai quelques occupations en plus : Je chasse la fange, je crache sur mes pairs et je noce avec les femmes qui veulent bien ! Ah ah ! »

J'écoute ses dire, je pense évidemment au fait que ce nom m'était bien familier par le billet de cette histoire étrange, presque triste mais qui a bien fait d'être terminée. Bien sûr je ne pouvais pas vraiment acceptée le faite qu'il s'attaque ainsi à mes collègues, les insulter ainsi alors que ce sont des religieux tout comme moi et qu'il leur doit le respect tant bien que même qu'une erreur s'est produite ultérieurement dans sa vie. Je ne peux pas comprendre ce qu'il ressent, ce qu'il a vécu mais le respect est la moindre des choses que tout homme doit acquérir à un moment dans sa vie.

Mis à part ça, je ne peux passer à travers le fait que c'est un bourgeois qui baigne dans la débauche, l'alcool, les femmes qui s'accumulent comme des objets, la grossièreté … C'est une âme perdue, je ne pense pas pouvoir la récupérer un jour. Je me contente de regarder droit devant moi le chemin qui mène au temple, je ne préfère ne pas réagir, rester silencieuse. Après tout, le silence ça a du bon.

*

Alors que je vois le temple apparaître du bout de son nez, je pouvais voir une petite ruelle sur la droite dégagée un petit vent léger, ce petit vent qui ne se lève que la nuit. Il me donne d'un seul coup un frisson dans le creux du dos lorsque Hector décida de reprendre la parole :

« Vous allez sans doute me trouver un peu... direct... mais... »

Je sens son bras se détacher du mien, le voilà qui veut essayer de tenir seul, debout, par ses propres moyens maintenant. Il s'arrête et alors je me tourne vers lui pour lui faire face et l'écouter, sérieusement.

« Vous vous rendez pas compte que vous êtes en train d'offrir votre vie à une illusion ? à un mythe ? à un mensoooooonge ?!! »

Je sens d'un coup un sourcil se dresser tout seul au dessus de ma paupière gauche, je ne m'attendais pas du tout à ce retournement de situation. Le voyage se passait calmement et voilà qu'il décide de poser cette question, qui est quelque peu embarrassante.

« Je ne suis pas de votre avis, chacun a son propre avis après tout, n'est-ce pas ? J'ai offert ma vie à ce que je crois, et je ne crois que ce que j'entends et ce que je vois. Dites-vous seulement que le destin et la volonté de quelqu'un à fait en sorte que l'on se rencontre ce soir pour que je vous protège, mais si vous voulez que cela se passe autrement, vous n'avez qu'à le dire. »

Je le regarde droit dans les yeux, peut-être pas comme si je le défiais, mais j'espère en tout cas qu'il n'osera pas m'attaquer de nouveau sur ce sujet.

« Si vous le voulez bien, Baron de Sombrebois, j'aimerai que l'on poursuive le chemin sans parler de ce désaccord qui règne entre nous, je n'aime pas vraiment les tensions, mais je pense que vous aussi, à moins que vous ne prétendiez le contraire. »

Non, évidemment, Hector n'aimait pas les tensions... L'alcool l'avait fait parler ; trop parler, sans doute. Au mépris des règles de bienséance il avait mis la jeune prêtresse dans l'embarras et il était partagé à présent. Une part de lui était contente de ce malaise. Il prouvait que le baron n'avait sans doute pas tout à fait tord... Mais une part de lui trouvait qu'il était allé trop loin, qu'il faisait du mal à cette jeune femme pleine de bonté, à cette jeune prêtresse à la foi, sans doute, fragile en ces temps obscures.

- J'suis désolé, dit le baron un peu penaud.

Puis il reprit d'un pas branlant le chemin du temple. Il s'en voulait. Le ton qu'avait employé la prêtresse était dur. Elle devait être fâchée contre lui et cela l'embêtait. Que pouvait-il faire pour apaiser un peu ce moment de tension ? Il commença par ne rien dire, laissant la douce atmosphère de cette nuit de printemps rafraîchir son esprit. Inspiration. Expiration. Inspiration. Expiration. La fatigue remplaçait en lui l'euphorie et l'excitation de l'alcool. Ils arrivaient devant la porte du temple et le baron porta la main à sa bouche pour bailler. Il leva la tête pour voir le sommet de l'imposante bâtisse.

- Peut-on monter tout là haut ? Demanda-t-il d'un air curieux en désignant la cime de l'édifice religieux.

Il ne voyait pas d'intérêt à dormir là. S'il pouvait profiter de la présence d'une religieuse pour faire quelque chose qu'il n'avait jamais fait, pour voir quelque chose qu'il n'avait jamais vu, là au moins il aurait l'impression de n'avoir pas tout perdu. Et peut-être que cela changerait également les idées de Leanne, peut-être que ça lui donnerait une meilleur image de lui-même ? Il regarda la prêtresse aux yeux clairs. Son visage était si doux et amical. Il était parfait pour son métier, pour sa fonction d'aide. On ne pouvait que ce sentir aimé, réconforté devant une pureté si virginale.

Hector sourit. Il ne craignait plus le moins du monde d'entrer dans le temple où avait été célébré son malheureux mariage. Il était prêt à suivre la demoiselle Dasmen où elle voulait. Et quand le sol tangua, le baron leva les yeux au ciel. Une étoile fila et il fit un vœux. Il se rattrapa en posant sa main sur le mur de pierre et demanda en pointant le ciel constellé d'étoiles à présent immobiles :

- Vous l'avez vue ?

- J'suis désolé, dit-il.

Nous reprenons le chemin tout deux, marchant côté à côte, ne décrochant plus un mot. Je me rends compte que j'ai posé un froid entre nous deux mais toujours est-il que je ne voulais pas avoir une conversation avec lui sur ce sujet surtout que cet homme est complètement soûl. Je préfère qu'il me parle de ce qu'il voit d'anormal devant lui, qu'il raconte des choses plus ou moins pathétique plutôt que de me provoquer en ce qui concerne ma voie.

Une fois arrivée avec le baron devant la porte du temple, je pose la main sur le gros anneau qui se trouve au centre, j'entends celui-ci baillé puis s'adresser à moi : « Peut-on monter tout là haut ? ». Je tourne le regard vers lui qui se met à regarder et à désigner le sommet du temple. Un léger sourire au coin se dessine sur mon visage. Je descends mon regard de la cime vers lui.

« Oui, nous pouvons, si vous promettez seulement de ne pas tomber d'en haut parce que vous êtes soûl. »

Je commence à pousser la porte pour que nous entrons dans l'enceinte du temple lorsque je vois le baron s'agiter et heurter le mur à côté. Je me retourne d'un coup au même moment où celui-ci me dit, tout en regardant le ciel : « Vous l'avez vue ? »

Je regarde son regard porté vers le ciel et j'y lève aussi mon nez. Je devine assez rapidement qu'il parle sûrement d'une étoile filante, une chose dont j'entends souvent parler et qui est souvent reporté comme un présage de la déesse Anür. Toutes ces étoiles et cette lune qui trône dans le ciel … Cela est tellement jolie.

« Non, je ne l'ai pas vue. A vrai dire, je n'en vois jamais, je n'en ai jamais vue. »

Je tourne mon regard vers l'intérieur du temple, j'y entre et je laisse la porte grande ouverte pour que la lune m'éclaire jusqu'au coin des bougies. Je prends un porte-bougie ainsi qu'un cierge, je l'allume et je me dirige vers le baron que je laisse entrer à l'intérieur avant de refermer la grande porte. Tout en avançant au milieu de l'allée, j'écoute mes pas ainsi que ceux de mon invité.

« Voulez-vous vraiment monter tout en haut du temple ? »

- Oui, nous pouvons, si vous promettez seulement de ne pas tomber d'en haut parce que vous êtes soûl.

Un large sourire éclaira le visage légèrement hébété d'Hector.

- C'est prooooomis, répondit-il, je n'tomberai pas !

Certes il manquait de stabilité mais il n'était plus si saoul que ça. La petite promenade lui avait fait du bien.

- 'Suffit d'faire attention ! Ajouta-t-il "très" subtilement !

La jeune prêtresse n'avait pas vu l'étoile filante. Pire même, elle n'en avait jamais vu. Et comme l'alcool amplifie tous les sentiments, cet aveu remplit le baron d'un profond chagrin. Il posa une main réconfortante sur l'épaule de Leanne et ses yeux s'emplirent de buée. Elle, ne semblait guère émue par sa propre malchance. Elle ouvrit la porte du temple et y pénétra, laissant un instant le baron circonspect, ravalant ses larmes inutiles. Lorsqu'il entendit les pas de Leanne sur les grandes pierres grises du temple, il la suivit à l'intérieur.

- Oui, oui, je veux toujours y monter ! Peut-être - l'espoir le regagna instantanément - y verrons nous une autre étoile filante !

Il marcha à la suite de la prêtresse, aussi discrètement que possible, sur la pointe des pieds presque, tentant de rendre ses lourdes bottes aussi légère que les chausses d'une jeune comtesse nordique... Et il y parvint, même ! Ses pas ne raisonnaient que très peu dans la majestueuse nef de l'immense temple plongé dans une obscurité et un silence impressionnant. Il était très fier de lui : son état devait être parfaitement indétectable pour qui le croiserait là, en compagnie de la gentille Leanne.

*

Ils arrivèrent un peu plus loin dans l'escalier en colimaçon qui montait au sommet de la plus haute tour. Hector montait, marchait, tournait, avançait, et... aussi incroyable que cela puisse paraître, arriva en haut sans tomber ! Le courant d'air froid qu'ils avaient croisé en chemin avait sans doute aidé à ce qu'il n'ait pas le tournis. Néanmoins, la haut, il fut content de s'arrêter un instant, un main sur les froides pierres sacrées. Il posa son regard sur Leanne avant d'admirer la vue qu'il avait souvent imaginé depuis l'esplanade.

Mais une idée lui vint :

- Leanne, faites comme si j'étais aveugle ! Décrivez-moi ce que vous voyez...

Ah la la, les lubies des hommes ivres !

En vérité, il me faisait rire. Je marchais, en essayant de me retourner quelque fois pour voir s’il me suivait toujours. Malgré le fait que nous soyons en lieu sûr, je pensais que d’un moment à un autre il pouvait tomber, se faire mal, faire une chute ou un faux pas assez lourd qui n’arrangerai rien à la nuit qu’il est en train de passer. Cela ne m’était pratiquement jamais arrivé, de m’occuper d’un homme très alcoolisé, j’entends.

Lorsque l’on montait les escaliers, j’entends le poids de l’homme s’ancré dans la pierre à chaque pas. Ma main effleure le mur pour en sentir la douceur et le froid. J’aime la sensation au touché de la pierre contre ma peau, je ne saurai vraiment dire pourquoi. Je continue à me retourner de tems à temps pour voir où il en est, s’il n’a pas trop de mal à monter. Il est bien motivé pour quelqu’un qui n’a pas l’esprit au plus clair.

Une fois arrivé en haut, une grande ouverture s’ouvrait sur la ville. On est haut, on surplombe le monde, on est un peu comme des oiseaux. Je me tiens droite, posant mes mains sur le rebord froid, sentant encore la sensation agréable de la pierre. Le baron arrive à côté de moi, il me fixe un instant avant de plonger son regard sur l’extérieur. A ce moment précis, j’ai peur qu’il vomisse par-dessus les maisons, j’espère que l’altitude, la hauteur, ne lui donnera pas envie de rejeter ce qu’il a ingurgiter.

« Leanne, faites comme si j’étais aveugle ! Décrivez-moi ce que vous voyez… »

Toujours regardant l’horizon, je souris à sa proposition. Cela me fait sourire car l’on ne voit pas grand-chose, malgré le fait que la lune éclaire assez bien les toits et que quelques torches traînent dans les allés par-ci par-là.

« Je vois … La mer au loin, les vagues qui essayent d’avancer à nous, de se rapprocher de la terre, bousculée par le vent qui glisse sur elles. Je vois la lune qui caresse les toits, les arbres, les feuilles, le bois, la pierre. Je vois le bleu nuit et le noir envahir les ruelles, les allées, où l’on ne peut pas voir ce qu’il s’y passe. Peut-être pour ne pas que l’on puisse observer les petits crimes de la nuit : le chat qui chasse le rat et la souris. Le chien qui fouille dans le tonneau du tavernier pour voir s’il trouve quelque chose à manger. La misère est aussi chez les animaux, pas que chez les hommes. Mais je vois aussi les fleurs qui s’agitent sous le vent qui passe près des fenêtres des châteaux du quartier haut… »

Il est vrai que le quartier noble me donne envie d’y aller, rien que parce que la vie est bien présente là-bas. Ils font tout pour que la nature pleuve la foison, qu’il y est des arbres, des fleurs, des abeilles, alors qu’ici on ne peut rien faire pousser mis à part de l’herbe tant les déchets sont présents. Quel dommage.

La description de Leanne, sa voix de velours, Hector était bercé par les mots et les images que lui offrait la jeune prêtresse si bien qu'il finit par s'asseoir contre les froides pierres pour entendre la fin de la description.

- Le quartier noble... Je vous le ferais visiter un jour, si... si vous voulez. Il n'y pas grand chose à voir... des belles habitations certes mais sinon... Ah si ! Les jardins duc... duc... ducaux. Ils sont beaux eux... vous verrez, je suis sûr que vous aimerez. Elles aiment toutes ça... Et puis, et puis ça nous fera l'occasion de nous revoir... dans un autre contexte.

Le baron se hissa de nouveau sur ses jambes pour enfin regarder le paysage. Il s'était accoudé à la rambarde, juste à coté de Leanne. Et là haut, le vent soufflait sur leurs visages et dans leurs cheveux et Hector aimait çà. Il respira profondément. Les quelques lumières, en bas, naviguaient par deux - en fait, le baron voyait double - et tous ces petits couples lui donnaient des envies... Avec une étonnante précision, il se colla au bras de la jeune femme sans pour autant la heurter. Il souriait béatement et laissa basculer sa tête sur le coté, sur l'épaule de Léanne. Il ne dit rien, appréciant seulement le contact de cette épaule sur sa tempe. Elle lui faisait du bien. Il passerait la nuit là, blotti contre la jeune prêtresse et il se réveillerait le lendemain heureux et absous... Avec un peu de chance, même, la divine demoiselle aurait, par magie, apaisé sa terrible gueule de bois.