Marbrume



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 Janke “Jan” LaDoloyre[Validée]

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MessageSujet: Janke “Jan” LaDoloyre[Validée]   Janke “Jan” LaDoloyre[Validée] EmptyJeu 9 Juin 2022 - 23:35

Janke, le dernier mot de la liberté

Identité



Surnom : "LaDoloyre".

Prénom : Janke, dite "Jan" (se prononce Yann).

Age : Indéfini, peut-être trente ans.

Sexe : Femme.

Situation : Veuve.

Rang : Bannie de la première vague (septembre 1164)

Lieu de vie : Hors des remparts de Marbrume, Ventfroid.

Carrière envisagée & tableau de départ avec les 4 PCs :
Voie du Briscard - +2 FOR ; +1 END ; +1 ATT

Compétences et objets choisis :

Compétences :
- Survie en milieu hostile (base) - Niveau 1
- Arme de prédilection (hache) - Niveau 1
- Lutte - Niveau 1
- Sixième sens - Niveau 1
- Entregent (pègre/bas fonds) - Niveau 1

Objets :
- Gantelet clouté — Dégâts : 6+1d6 — Parade : 2
- Hache simple — Dégâts : 14+1d6 — Parade : 8

Apparence



S’il devait y avoir un mot pour décrire cette flamboyante créature, ce serait ‘bourrue’. Bâtie comme un homme, d’une hauteur égale et d’une carrure qui pourraient faire pâlir une partie de ses congénères masculins, un grain de sable semble s’être égaré dans l’engrenage de sa conception qui pourtant promettait une belle femme. Aussi large d’épaules que de hanches, son quotidien pour le moins actif et de peu de faste creuse ses flancs fermes. Sa musculature développée par une vie d’exercice et de lutte rappelle davantage celle d’anciens gladiateurs, zébrée de veines et de marques du combat sans fin qu’elle se livre dans les marécages du Morguestanc. C’est dans les marais et villages avoisinants que l’on peut déceler l’épaisse crinière auburn de ce farouche individu qui la coiffe comme la toison d’une lionne, et dont une mèche devenue blanche par effet couplé d’anxiété et de tension en est la marque reconnaissable.

Parlant de marque, s’il en est une qui caractérise Jan, c’est bien celle ayant brûlé sa peau de lait à l’intérieur du bras droit ; rejetée de la première vague d’exilés de Marbrume dans des circonstances pour le moins radicales, elle ne cherche pas à échapper à ce souvenir indélébile ni même à l’opprobre qu’il soulève parmi les hameaux qu’elle traverse. Au contraire, tâchant régulièrement de porter des vêtements découvrant son bras droit, quitte à en découdre ou arracher la manche, cette Bannie a fait de son statut une fierté voire même une griffe toute particulière au point où elle fera clandestinement tatouer une balance de la justice divine juste au-dessus de cette promesse de mort. Mais plus encore, ce qui la distingue de bien d’autres énergumènes est ce réseau de cicatrices infectes lacérant son profil droit, dont l’œil mort est d’une pâleur laiteuse, ses paupières abîmées dans la manœuvre. Si l’autre, pratiquement intact, aurait pu faire d’elle une charmante fille autrefois, ces marbrures boursouflées reflètent la dureté de son existence tout autant que sa résilience et l’intelligence dont elle fait preuve dans sa survie avec un tel handicap.

L’éborgnée n’est pas seulement cela, mais aussi une main puissante et striée de plaies, une cheville solide aboutant d’épaisses jambes dures comme la pierre, et une prunelle d’un vert pâle rappelant les campagnes brumeuses et le bourbier de la région où elle a grandi. Son regard acéré vous perce à jour, vous découpe de toute part, et jauge aussitôt si vous serez ou non son ennemi.

Personnalité

En adéquation avec sa chevelure de feu, son caractère s’embrase. Grande gueule, narcissique, égoïste, tout est bon pour se faire remarquer, car l’indifférence ne fait pas partie des sentiments que cette meurtrière inspire. Qu’on la respecte ou la déteste, il est rarement de demi-mesure chez cette hargneuse entité. Belliqueuse depuis sa moins tendre enfance, c’est une éternelle battante capable du meilleur comme du pire. Sa parole est d’or, et elle en attend au moins autant de ses interlocuteurs ; gare à celui qui oserait la doubler, car sa rancune est particulièrement tenace et saurait vous poursuivre jusqu’au charnier. Sa hache de combat saura tôt ou tard collecter son dû.

Assez peu loyale lorsque son intérêt personnel n’est pas à la clef, le bien et le mal n’ont qu’une couleur chez elle : celui du repas qu’elle pourra se mettre sous la dent contre service. Elle n’aura aucun scrupule à vous laisser derrière elle si cela lui est profitable et lui garantit de sauver sa peau. Parce que si elle sait parfaitement discerner les tenants et aboutissants de ses actions, c’est une preneuse de risques qui n’a cependant rien de suicidaire ; elle tient encore bien trop à la vie pour l’abandonner maintenant. Ayant d’ores et déjà du sang sur les mains, elle n’hésitera cependant pas à faire montre d’une hostilité excessive, résultat aujourd’hui de son existence vagabonde de village en village, de marais en marais.

Toutefois, sous cette épaisse carapace survivaliste se cache un boute-en-train capable d’animer les soirées les plus moroses à grand renfort de chants marins et autres poèmes graveleux improvisés pour amuser la galerie. Cette amoureuse de la solitude a tout autant son penchant sociable, où elle fait une excellente chef d’équipe et sait mener ses hommes à la baguette.

Une enfance cabossée

Au petit matin d’une nuit de sueurs, de sangs et de larmes, le cri éraillé d’un enfant déchire le silence du quartier du Labourg. La jeune femme halète, s’effondre sur sa couche drapée de lin imprégné de transpiration, et la vieille chouette – qui depuis l’orée du labeur l’assistait – repousse l’horrible nourrisson fripé et poisseux auquel elle vient de donner naissance dans les bras de sa mère. Cette dernière, épuisée par un long travail d’une vingtaine d’heures, arbore les tremblements de qui subit de plein fouet le contrecoup de l’effort. Néanmoins, cette belle rousse aux prunelles brunes trouve la force de presser contre elle son deuxième rejeton agité, qui trouvera réconfort contre sa poitrine nue, tandis que l’odieuse bonne femme à la crinière grisonnante noue et tranche le cordon ombilical. Les lanternes encore brûlantes vacillent sous l’effet des courants d’air incessants dans cette mansarde sans isolation, et constellent de picots la peau satinée de la rouquine. D’un geste mou, agrippant la toile qu’elle écrase encore, elle tente d’en couvrir le nouveau-né afin qu’il n’attrape pas froid, ce qui – elle le sait – pourrait s’avérer fatal. La vieille bique grommelle devant tous les dégâts causés par cet accouchement chaotique, bassine d’eau renversée, placenta à brûler, étoffes déchirées, et tout ce travail de lavandière qui l’attend peut-être. Elle ne semble pas se réjouir d’une telle naissance, si bien qu’il est à supposer qu’elle n’ait pas de lien de parenté avec la jeune femme, et ne soit qu’une sorcière ou une voisine agacée par les vociférations douloureuses de cette Poil-de-Carotte.

Janke… Il s’appellera… Janke.

L’ancienne ne manque pas de contester cette décision, s’évertuant à lui expliquer qu’il s’agissait là non pas d’un petit garçon mais d’une fillette, et qu’il était bien d’autres noms à lui confier que celui d’un de ses clients. Car la demoiselle, non contente de ne pas être mariée — ce qui devait particulièrement rebuter la mégère — donnait autrefois du plaisir aux hommes au sein d’un bordel huppé de la Hanse. D’ailleurs, elle n’avait jamais vraiment cessé ses activités depuis l’avènement de son premier fils, retournant inéluctablement se trouver une place confortable hors du Labourg, dans les charmantes maisons de passe du quartier bourgeois, où sa beauté particulière était admise. Il n’était d’ailleurs pas même sûr qu’elle se soit jamais arrêtée, outre la veille de l’enfantement, car il se disait qu’une jeune fille engrossée était parfois un indubitable attrait pour les mœurs les plus déviantes des hommes. Et ce, en dépit des risques. Qu’en était-il du père d’ailleurs ? Elle prétendait être tombée éperdument amoureuse d’un marin du quartier portuaire, de ces hommes mystérieux et sans attaches s’éloignant parfois des mois avant de sombrer de nouveau dans ses bras. Un homme — pouvait-on le qualifier de tel — qui n’avait jamais eu ne serait-ce que le courage d’amorcer leurs épousailles, sans doute ne voyait-il en elle qu’un maudit sac à foutre qui saurait l’accueillir quel que soit son état après de tels voyages. Ou bien était-il déjà marié, qui le sait… Cependant la frêle mère cesse de l’écouter, endormie après tant de souffrances, terrassée par l’épuisement. Et à son prochain réveil, la harpie envolée laisse place à Konrad, un garçonnet de quatre ans, venu accueillir sa sœur cadette dans ce monde vicié. Lui-même ne bénéficiait que du nom d’un homme de peu de foi et d’un grand appétit pour les formes alléchantes d’Acanthe, dont les boucles crépusculaires noyaient les épaules et dont la cambrure faisait d’elle une pouliche d’exception pour la saillie à tout juste dix-neuf ans.

D’autres morveux suivront malgré les conditions relativement déplorables de leur existence, car non content d’y planter sa graine, le père demeure aux abonnés absents ; prétendument pris par son travail de mathurin, ce n’est que quelques heures par mois qu’il accorde à la mère esseulée. Quelques heures qui suffisent à ce fertile étalon pour maudire sa compagne d’une autre grossesse. Puis d’une autre encore. Six ans s’écoulent avant que Konrad et Janke n’accueillent Béatrice, une petite aussi brune que son géniteur, et un an de plus pour qu’Eudocie ne rejoigne la fratrie. Néanmoins, quatre enfants à charge d’une mère occupée à satisfaire les moindres désirs de ces messieurs fortunés n’ont pas fait bon ménage. Car fêtant son tout premier anniversaire, la benjamine attrape une vilaine infection pulmonaire qui la terrasse en quelques jours à peine, endeuillant toute la petite famille du Labourg. Ces quelques années là sont des plus funestes et ne disent pas encore leur dernier mot quant aux cataclysmes qui s’annoncent encore. Au cœur de ce quartier populaire des moins bien famés, une représentation de cirque en plein air tourne au désastre lorsqu’une bâtisse s’effondre sur une partie des jongleurs, et crée un massif mouvement de foule dans les venelles étroites. La petite Béatrice, dès lors âgée de quatre ans, se trouve sur le chemin des buffles paniqués et se retrouve bien assez vite piétinée par la cohue acharnée des spectateurs n’ayant pas daigné la relever, et des commerçants n’ayant pas daigné la protéger sous leurs étals. Son petit corps ne bénéficie que d’une fosse commune, sa mère n’ayant pas été retrouvée à temps pour les derniers offices funèbres qui devaient lui être accordés. Ces événements macabres bâtissent chez Konrad et Janke, adolescents de quatorze et dix ans, un lien indéfectible, qui les pousse à ne plus se séparer et ne plus rien attendre de leurs parents bien trop distants.

Si distants d’ailleurs qu’Acanthe, éternelle prostituée ayant dorénavant une trentaine d’années, apprend la disparition en mer de son prétendu “mari” des semaines après que son bâtiment se soit abîmé au large de la mer du nord. Malgré cette relation en dents de scie, le choc de cette annonce est une pilule bien difficile à avaler. Et son état de drastiquement empirer les mois qui suivent, maigrissant morbidement, jetée de son établissement sur la croyance qu’elle consomme une substance illicite. Ce dans quoi elle se réfugie d’ailleurs, afin d’oublier la triste réalité de sa perte. Alcools frelatés, herbes étranges, champignons hallucinogènes, son cœur brisé ne résiste pas à tant de saletés et cède, une année plus tard, laissant derrière elle deux orphelins qui heureusement ont appris à se débrouiller par eux-mêmes…

D'étroites relations avec la pègre

Nés des fonds les plus crasseux de Marbrume, leurs compétences se développent en adéquation avec un monde brut et sans faveurs. Konrad, rapproché de la Guilde des Voleurs depuis son plus jeune âge entraîne dans la toile gluante d’un réseau mafieux sa jeune sœur Janke. Si le vol n’est pas nécessairement leur point fort, trop peu d’agilité, trop peu de flexibilité, trop peu de patience même pour un tel travail minutieux, c’est plutôt comme bagarreurs qu’ils sont tous deux reconnus, agissant de pair. Leur gagne-pain jusqu’alors se constitue de petits combats de rue, d’arènes de pugilat où ces deux adolescents luttent pour un quignon rassis contre des adversaires rarement à leur niveau. Nombreux sont ceux à profiter de pouvoir tabasser dignement deux enfants dont les regards noirs de haine attisent leur colère et la force des coups qui leur sont portés. D’un naturel protecteur, l’aîné se positionne habituellement en rempart des crochets les plus vils afin que sa cadette prenne le relais et ne s’abatte comme une furie sur leur cible conjointe. Repérés au sein d’un cercle de combat clandestin par quelques membres de cette pègre locale, c’est à seize et douze ans qu’ils sont petit à petit inclus dans les forces brutes de la Guilde.

Qui n’en a jamais entendu parler, dans la basse-ville poisseuse aux cadavres de rongeurs baignant dans l’urine d’un mendiant, dans les venelles mal famées des putains vérolées où l’air lui-même respire le stupre et la syphilis, dans ces coupe-gorges aux enseignes branlantes habitées par d’infâmes escrocs et meurtriers en cavale. La Guilde évolue à tout niveau, dans toute strate, et impose sa poigne d’acier sur toute la misère de Marbrume. Qui peut se permettre d’en refuser l’offre, quand vos talents sont reconnus par de riches associés et d'odieux personnages capables de vous déchausser les dents. Les deux jeunes sont d’une ambition inexpugnable, et dès leurs premiers pas dans cette dangereuse toile, ils s’épanouissent. Apprentis “Couteaux”, comme l’on appelle les grosses frappes aux ordres du meneur, c’est en duo qu’évoluent Konrad et Janke, dont les corps déjà cabossés et rompus à cet art se jettent sur les fils et filles de commerçants peu réceptifs à l’offre de leur supérieur, ou bien soupçonnés encore de ne pas avoir versé leur dû à cet homme mystérieux les ayant pris sous son aile – bien qu’indirectement – et auxquels ils vouent une loyauté toute particulière. Y voient-ils une figure paternelle ? Rien n’est moins sûr, mais il est une chose dont il vaut mieux ne pas douter, et c’est bien leur détermination. Le garçon, d’un naturel violent par les temps qui courent, s’acharne bien souvent sur ses victimes au point parfois de les défigurer, bien que régulièrement plus jeunes que lui. Un exemple qui suit sa sœur ayant pris pour habitude de ne s’attaquer à ces autres adolescents qu’à mains nues, afin d’imprimer la silhouette de ses phalanges dans leurs joues potelées. Leur réputation grandit à mesure que ne se développent leurs corps bâtis pour la castagne, étrangement similaires du haut de leur crinière rousse, de leurs iris glauques et de leur carrure épaisse.

Dix-huit et vingt-deux ans déjà, et les deux garnements devenus fiers et féroces adultes s’en prennent cette fois à plus grosses proies, ferrant des poissons plus fortunés afin de récolter eux aussi un pécule conséquent. Car oui, la Guilde paie grassement ses partisans, plus encore ceux qui osent prendre de tels risques sous l’égide de la garde ducale et versent leur part d’or et de sang. Le duo ayant depuis toujours manqué de tout se retrouve petit à petit à constituer une fortune bien suffisante pour pourvoir à leurs besoins, voire davantage. Pourtant, vêtus des mêmes haillons qu’ils ont l’habitude de porter depuis toujours, ils ne font guère montre de leur nouvelle richesse, préférant de loin la dissimuler des curieux et gardes avides de les coincer pour davantage que quelques rixes de comptoir. D’ailleurs, c’est au cours d’une intervention musclée au sein d’une auberge bien mal famée du Labourg que ces associés récupèrent l’établissement comme récompense pour leurs bons et loyaux services, après avoir tant blessé le tenancier qu’il peinait à soulever un verre vide… Et ce pour servir de plateforme de contrebande pour les mêmes produits hallucinogènes et délétères que ceux qui tuèrent leur mère quelques années auparavant. Bien peu nostalgiques, eux-mêmes en consomment avec modération, assez consciencieux pour prendre soin de la clarté de leurs esprits retords. Et cette nouvelle activité de jour leur garantit un revenu justifiable qui améliore notablement leur équipement jusqu’alors maigrelet, renforçant leurs poignets, protégeant leurs flancs, se parant de genouillères ; ils demeurent bien moins robustes qu’un membre de la garde royale mais réduisent considérablement les blessures ayant déformé durablement leurs mains. Et cette contrebande de filtrer à travers eux jusqu’aux putains à grosse vérole et mendiants émaciés par la disette dont ils ne souffrent pas autant que leurs congénères de la rue.

C’est durant cette période active à jouer la taulière que la flamboyante Janke, âgée alors d’environ vingt ans, fait la rencontre d’un homme de l’est venu occuper une chambre du Marécage, cette auberge relatant par son appellation aussi bien la pourriture qui y rôdait que l’endroit où elle se situait, lorsqu’une marée venait laver la devanture de ses eaux poisseuses. Ce talentueux forgeron à la crinière noirâtre et au visage buriné par nombre d’épreuves fait forte impression sur la brute épaisse derrière le zinc, bien qu’elle ne l’admette guère dans un premier temps. Leurs relations d’ailleurs conflictuelles ne les destine pas à un quelconque rapprochement, allés jusqu’à échanger des coups brutaux pour faire valoir leurs arguments. Ulrich, de son prénom, sait néanmoins obtenir ce qu’il souhaite auprès des deux associés du Voleur en chef, qui lui garantissent de protéger l’échoppe qu’il compte ouvrir dans le quartier pauvre. Cette protection dépendant de la rente qu’il offre à ses nouveaux partenaires, il s’y plie sans mot dire, et cherche à se frayer un chemin dans les méandres de ce réseau dissimulé. Ce partenariat dure deux ans au bas mot, avant que les affaires personnelles du crin auburn ne se mêlent à l’équation. Car à l’aube d’une nuit trop avinée les ayant poussés dans les bras l’un de l’autre, ils développent une complicité les menant petit à petit à réitérer l’expérience. En dépit de son peu d’intérêt pour la religion, la brute ne pouvait se targuer d’avoir une vie sexuelle dépravée selon les préceptes du clergé trinitaire, cet homme ayant été suffisamment inattentif à ses blessures de guerre pour ignorer son faciès aussi suturé que celui de son supérieur et suffisamment brave pour franchir cette limite que peu espéraient titiller. Bien au contraire, les deux décident d’un commun accord de s’unir par les liens sacrés du mariage et s’installent en bordure du port afin d’étendre leur réseau de contrebande à d’autres bourgades desservies par des marins peu regardants…

Un sillage macabre

KONRAD !

L’épais mantel brumeux coagule au plafond craquelant de la riche bâtisse, étouffant jusqu’à la couleur brute du bois noueux. La flamboyante tousse, digère les relents tabagiques non sans mal, ses yeux déjà dépareillés souffrant la piqûre insolente d’une fumée bien mauvaise. Elle bataille, se voûte sous le cumulus noirâtre, tandis que la chaleur point et harcèle sa peau blafarde. Un autre cri, une autre recherche vaine qui n’aboutit qu’à un silence effroyable qui enserre son cœur dans l’étau de la crainte. Le crépitement menaçant côtoie l’éclatement du verre et la dispersion des cendres volages lorsque sa botte enfonce brutalement une porte restée close malgré ses quelques coups d’épaule. Rien. Et son instinct l’exhorte, la supplie à genoux de s’épargner, de quitter l’antre du diable et de compter sur l’intellect de son camarade, de son confident, de son protecteur, pour s’être déjà échappé de ce tombeau à ciel ouvert. Ses larmes acides s’évaporent alors qu’elle consent à faire demi-tour, se heurtant abruptement à l’encadrure d’un battant, trébuchant sur le bras inerte d’un bedonnant fortuné crevant dans l’allée qui la mène jusqu’à l’arrière-cour. La brute épaisse s’écrase contre la vitre bouchant l’issue et choit lourdement sur les rustres gravillons du patio de cette bourgeoise baraque des abords de la Hanse. Ce qu’elle fait ici est à sa seule discrétion, mais il est pratiquement sûr qu’il s’agit là d’une mission du Couturé — un homme grignotant un peu de terrain dans la hiérarchie de la Guilde et se spécialisant lui-même dans l'arrachage de dents —, le binôme rouquin appelé en renforts pour imposer une pression indéniable sur un mauvais payeur ou un traître à la cause des Voleurs. En l’état, il n’est guère important d’émettre des hypothèses sur ses affaires, car elle se relève de sa gamelle, patinant dans la gravelle blanche où elle laisse une empreinte de suie transférée depuis ses vêtements noircis. La fuite est chaotique, échevelée. Elle court. Se cogne. Accélère. Vire en épingle. Vite. Bouscule. Saute. Et les intruses humides invitées sur ses joues lardées de cicatrices de dévaler les collines boursouflées de sa gueule cassée pour humidier ses épaules et s’essaimer sur son chemin de Petit Poucet.

Son dos heurte le mur d’une impasse où elle se réfugie après la cavalcade effrénée à laquelle elle s’est adonnée. À bout de souffle, elle ne sait où donner de la tête ; respirer, pleurer, crier, trembler. Sa poitrine comprimée par des bandes de tissu retenant le peu de volume que la vie a bien su lui donner se réhausse et retombe à une vitesse alarmante, ses sanglots dévalent ses cils pour mouiller son plastron. La féroce pugiliste s’écroule, assise derrière un tas hétéroclite d’immondices et de débris de bois, le séant trempé dans la saumure humaine de ce recoin du Labourg. Ses phalanges ensanglantées se dédoublent sous une vision brouillée par les flots chagrinés qu’elle échappe sans contrôle, dans un état de panique abominable qui dévore tout l’oxygène qu’elle quête à force d’ahanement. Ses ongles sales se vautrent dans sa crinière, infiltrés dans les filaments crépusculaires qu’elle empoigne sans finesse, châtiant son scalp d’une tension suffisante pour en déraciner plusieurs brins. Elle renifle les mucosités gouttant à son nez comme un filament visqueux, les éponge d’un revers de manche. Et hurle. Sa voix naturellement cassée s’égosille, prend d’assaut les parois de pierre et de bois où ricochent les négations vociférées à l’encontre d’un sort trop cruel. L’éborgnée le sait : elle a perdu l’être le plus cher à son cœur, leur lien indéfectible réduit à néant par les flammes d’un incendie accidentel. Car si Ulrich est son mari, il ne peut arriver à la cheville de Konrad, ce brave frère qui a tant et tant vécu à ses côtés et ne vivra plus désormais.

Six années passent et érodent une Janke renfermée sur elle-même, bien moins loquace qu’elle ne l’a été. Les tensions se cumulent entre son époux et elle, qui ne semble pas réceptif à son deuil particulièrement agressif. Car non contente de n’avoir jamais été un enfant de chœur, la violence et la brutalité des exactions de la rouquine lui valent bien des ennuis, en particulier avec la garde qu’elle tache d’habitude d’induire en erreur mais qu’elle provoque désormais, sans jamais toutefois exposer directement ses affaires de contrebande. Quelques-uns de ses confrères de la Guilde ayant piétiné ses platebandes se voient rendus infirmes voire même pendus au gibet sur accord de son éternel patron lui jetant quelques os à moelle à dévorer. Six années où elle perfectionne d’autant plus l’emploi de ses haches de guerre, bâties par son forgeron d’époux regrettant les blessures qu’elle rapporte avec elle dans leur petit pigeonnier du sud du Bourg-Levant. Tantôt parmi les faubourgs de Marbrume, tantôt sur ses routes cahoteuses, elle les met en pratique dans l’art de pourfendre l’ennemi, qui qu’il soit, quelles que soient ses couleurs. Exportant ses activités illégales aux fortins des littoraux sous l’œil attentif de ses partenaires “associés”, c’est au cours de ces mois défilants qu’elle fait commerce de son appétence au combat hors des remparts marbrumiens et se fait passer pour un simple contractant venu en renfort d’une livraison importante. Devenue mercenaire pour quitter cette ville puante et miséreuse, elle s’impose sur les trajets sensibles et privilégiés des malandrins pour le compte de qui aligne le plus de pistoles et de qui ose engager une femme d’armes sans éducation martiale autre que celle de la survie. S’il est encore possible de l’appeler femme dès lors.

La fin de l’an 1163 sonne bien vite cependant, et avec lui les retrouvailles plus tendres qu’enfin les époux partagent de nouveau, suite à la période endeuillée de la rouquine composant avec l’atroce trépas de son aîné. Tant et si bien que sa nature féminine la rattrape, et lui garantit une grossesse à venir des plus pénibles. Au contraire de sa mère avant elle, Janke se doit tenir le lit plusieurs mois, accablée par d’atroces douleurs martyrisant son échine et affligée par une fatigue extrême. Plutôt que d’endurer la solitude de son bouge durant les longues journées de labeur d’Ulrich, c’est auprès d’une connaissance bourgeoise à qui elle permit de faire fructifier le commerce qu’elle se réfugia, icelle lui rendant la monnaie de sa pièce par un service de moyen terme à son chevet. Particulièrement ronchon et pénible, la cohabitation est rude mais aussi une nécessité pour la jeune bourgeoise du nom d’Amédée Dumartel de préserver la vie de sa protectrice, en gage de sa loyauté future. Le père ne daigne guère trop se montrer aux portes de la résidence huppée, prétextant bien des commandes à honorer et le besoin pour son épouse de prendre du repos. Et l’enfant à naître de voir le jour à l’approche de l’été 1164, manquant d’arracher la vie à sa mère épuisée par le travail et ayant frôlé de peu l’anémie fatale. Ledit repos ne peut être plus pertinent qu’à cet instant où tout bascule : la Fange frappe aux portes de Marbrume aussi sûrement que le contingent de hautes et petites gens venues réclamer refuge. Rien qui puisse concerner Janke et son nouveau-né, Konrad II, excepté le fait qu’il est déjà plusieurs semaines sans nouvelles de son mari, l’inquiétude prenant le pas sur la raison de la guerrière léonine…

L’on confie Konrad à sa nourrice d’appoint en la personne d’Amédée dès le jour où Janke, capable de tenir sur ses guiboles, quitte le lit au profit d’un bain – rappelons que son hôte peut se permettre les moyens d’une étuve privée et d’un peu d’eau chaude à cette époque – et quitte ses frusques légères au profit de son armure de cuir et d’acier. Une seule chose lui trotte en tête : retrouver Ulrich, qu’elle suppose emporté par la Fange, ignorant quant à la nature de cette horreur qui a tant fait crier dans les ruelles de la Hanse où elle fut discrètement amenée une nuit sans lune. C’est avec la même discrétion qu’elle quitte les abords du quartier bourgeois pour se faufiler le long du Goulot où la purulence des plaies imprime dans son odeur déjà nauséabonde celle de la charogne pestilentielle. Ce à quoi elle assiste tient davantage du cauchemar que de la liberté retrouvée ; ses quatre mois passés dans le huis-clos d’une chambre la frappent d’autant plus. Toutefois son objectif est clair et certain, retourner la ville entière s’il le faut pour mettre la main sur son mari disparu, la crainte au ventre à l’idée d’infliger à son fils la désillusion que son propre père lui a infligée.

Il ne lui faut qu’une heure pour atteindre le palier de ses appartements et s’y engouffrer silencieusement, si anxieuse qu’elle n’ose pas faire gémir le parquet, prévoyant déjà d’inspirer le fumet de la mort entre ses quatre murs, ou celui, infâme, de l’absence. La pièce à vivre n’est pas très meublée, employant davantage cette loge pour ne faire que s’y reposer et peut-être y partager de rares repas en commun. Quelques bricoles dont elle ne reconnaît pas la provenance jonchent l’unique table faisant l’angle de l’étroit salon, si bien qu’elle empoigne sa hache à simple tranchant dans l’optique où elle tomberait sur un intrus ayant fait le choix peu judicieux d’emprunter son chez-elle pour tout abri. Ses pas plus prudents encore, félins, le dos voûté et l’attention aux aguets, l’éborgnée s’approche de la porte entrebâillée de la chambre à coucher qu’elle repousse du bout des doigts. Prête à faire s’abattre la lame courbe sur la première silhouette aperçue, ce à quoi elle assiste sape toute angoisse dans ses épaules affaissées. Deux figures dénudées reposent à même ses draps froissés, qu’elle observe en contournant presque la pièce pour s’installer sur la chaise abandonnée dans un recoin. Un homme brun dont les tempes rasées de près lui donnent des allures nordiques, son bouc noirâtre cernant sa bouche entrouverte d’où expirent les râles d’un soleil profond. Allongé sur le dos, si une paume soutient sa tête, l’autre repose sur son estomac, sous les bois de Serus tatoués à même ses muscles pectoraux. L’autre, une femme toute aussi brune que pâle de teint, se veut plutôt sur le ventre et expose sa cambrure profonde ainsi que l’orée d’un con hirsute entre ses jambes écartées. Il ne suffit pas d’un génie pour saisir l’étendue de la supercherie qu’il lui a tant servie lors de ses fièvres délirantes, ses mensonges effrontés donnés à la becquée lorsqu’elle n’a pu se nourrir par elle-même. La placidité de sa rage l’effraie bien plus que l’explosion de ses colères noires, confortablement assise sur ce siège de juge, de juré et de bourreau.

Sonne l’aube, les rais brûlants d’un soleil estival à travers les carreaux ornés de bulles d’air peu élégantes viennent réchauffer les corps dans leur plus simple appareil, le frottis des draps de lin emplit la pièce d’un réveil imminent. L’intruse s’éveille la première, rassemblant ses membres éhontément exposés pour étirer sa silhouette maigrelette presque adolescente sous le regard d’une Janke cernée par la fatigue l’observant par le dessus. Sursaut. Cri. L’étrangère se lève et cherche à s’emparer d’un objet suffisamment lourd à lui jeter, mais ne trouve rien au sommet de sa table de chevet outre un cierge consommé. Tout le temps nécessaire à l’approche prédatrice de la rouquine, ayant délaissé hache pour surin, qui la plaque contre la fenêtre épaisse et d’une étreinte, la soulage de quelques intestins maigrement retenus entre ses doigts rachitiques. Les yeux cette fois grands ouverts d’Ulrich trahissent autant la surprise, la rage que la frayeur. Son épouse lui a cent fois dissimulé ses exactions, et ce beau matin, voilà qu’elle amène son travail sous son nez et l’exécute, méthodiquement. Si le corps encore chaud et soubresautant s’effondre, celui de son mari bondit hors de sa couche puis se rue sur elle. Tant et tant de fois les deux amants se sont livrés à ces castagnes en bonne et due forme, pour une rixe de comptoir ou un différend à régler. Ce jour, survie et vengeance s’affrontent à l’étage de leur repaire, échangeant crochets, coups de genoux et jets de breloques à la figure. Le combat fait rage plusieurs dizaines de minutes, et Janke se retrouve dans une posture délicate, n’ayant guère rattrapé l’entièreté de ses aptitudes physiques depuis son accouchement plus de deux mois auparavant. Sa lèvre éclatée, l’œil –heureusement crevé– gonflé, elle n’a qu’une option à sa disposition, charger son époux dont les côtes déjà bleuâtres suggèrent une blessure récente. Se donnant l’élan nécessaire en s’appuyant au mur opposé, elle se rue contre l’estomac du forgeron pour l’abattre au sol, entre leur lit souillé et une commode vieillotte, et l’écrasant de tout son poids, s’en vient non point l’étrangler mais presser ses pouces ensanglantés contre ses paupières. Si Ulrich hurle de douleur et empoigne un avant-bras de sa femme pour la lui faire lâcher prise, l’autre se presse contre son visage pour tenter de l’écarter de lui ; un projet risqué qui pousse l’éborgnée à lui mordre une phalange au point de la sectionner. Et les paupières de céder, la rouquine enfonçant ses pouces blanchis par la pression dans de chaudes eaux rubescentes. Les impulsions nerveuses frémissent encore dans le corps épileptique de l’artisan, jusqu’à retourner à un sommeil cette fois définitif.

Trop de larmes ont été versées auparavant pour qui lui a été le plus fidèle, si bien qu’aucune ne roule sur le faciès déformé de la flamboyante lorsqu’elle rejoint Amédée lui ayant amené son petit sous le couvert d’une capeline brune grimant son allure de poupée…
Marquage et exil

Non, elle ne prend pas soin de débarbouiller son visage boursouflé, son corselet de cuir, ses doigts peinturlurés de mort, lorsqu’elle saisit le nourrisson dans son linge blanc désormais marqué du sang de son propre père. Amédée n’a pas la moindre idée de ce qui se trame encore derrière la porte dégondée de l’étage, ayant pris soin d’attendre en contrebas de la volée de marches leur servant de corridor. Toutefois, sa main tremble autant que son regard scrutateur devant l’allure de trépassée de sa convive des derniers mois, avec qui elle a su tisser un solide canevas de liens. L’agitation règne au dehors de la bâtisse, d’où les cris et le brouhaha de meubles brisés ont surgi l’instant d’avant. Alors la bourgeoise s’oppose au passage de l’éborgnée au crin poisseux de sueur et de vermeil, présentant ses deux paumes pour l’empêcher de franchir le pas de la porte, terrorisée. Elle la supplie. La prie de ne pas quitter l’endroit. De se soigner. De trouver une explication à tout cela avant que la désormais "milice" ne soit appelée. Toutefois, elle recule. La peur qu’instille la nouvelle mère, comme une lionne échaudée par l’approche d’un intrus près de sa tanière, n’a que faire de ses suppliques babillantes, s’invitant dans ses muscles paralysés par ce qu’elle est encore capable de faire dans cet état pourtant peu rutilant. Elle pleurniche, ôte son capuchon dans l’espoir que son visage sans ombre soit un argument suffisant pour la convaincre de ne pas affronter la foule dans son dos. Inutile. Janke, remontée comme rarement depuis la perte de son aîné, outrepasse la limite imposée par son amie fortunée pour mieux regagner l’air vicié du Labourg dans un éclat auroral agressant son œil fait à l’obscurité de la nuit où elle a pénétré les lieux.

Là, formant une cour royale autour de son antre souillée par l’adultère et le crime le plus absolu, un ramassis de paysans, artisans, commerçants, mendiants même s’amassait sous sa maigre lucarne. Un mouvement de recul affecte la masse se mouvant d’un ressac agrémenté d’échos surpris. Puis la confusion la plus totale. Vient-elle de subir une attaque ? Que fait-elle ici après avoir déménagé tant de temps ? A-t-elle décidé de revenir enfin ? À qui appartient ce paquet gémissant contre elle, dont le linceul teinté de rubis fait d’autant plus jaser ? A-t-elle blessé cet enfant ? Un savant mélange de soulagement, d’indignation, de curiosité, de dégoût, crée une mélasse d’incompréhension parmi la populace de ces quartiers défavorisés bien trop proches du quartier de la milice. L’éborgnée s’arrête au milieu de cette baie ouverte, et scrute attentivement les visages parfois noirs de suie ou de crasse, les faciès ronds et entretenus, les figures grêlées et maladives. Jan n’a guère l’intention de faire plus d’esclandre, son méfait accompli, elle n’a à cœur que le fait de retrouver un peu de tranquillité, de cuver cette trahison, et de s’occuper de son tout jeune fils. Elle a honte. Honte de s’être un tant soit peu entichée d’un homme si lâche. Honte d’avoir craint l’avoir perdu. Honte de l’avoir surpris ainsi, dans le déshonneur, plutôt que de l’avoir affronté ouvertement au sein d’un tribunal populaire. Honte d’avoir flanché, et de ne pas l’avoir laissé vivre un peu plus dans son mépris de lui-même. D’un pas lourd fendant l’épaisseur grouillante de cette fourmilière de chuchotis, un morceau de viscère encore accroché à ses bottes abandonne la lutte et s’affale au sol, ce qui remonte le cœur d’un riverain renvoyant son petit-déjeuner sur les pavés défoncés de cette portion de la ville. Ses voisins ont tout-à-fait conscience de son identité, et plus encore de tout ce qu’elle a pu faire pour leur garantir, tant que leur contrat a été respecté, la sécurité et un petit pécule. Si bien que peu se seraient soulevés contre cette brute épaisse, et les rares ont été aussitôt dissuadés. L’humeur rubescente sur ses mains et sa figure en disent bien assez sur les distances qu’elle est prête à parcourir pour recouvrir ce qui lui est dû ; écus, comme respect. Séparant l’assistance comme Anür a su autrefois séparer les flots, le tintement caractéristique de la course des hommes d’armes résonne déjà par delà la kyrielle de marbrumiens. Une ruée catastrophée par le cri strident d’une curieuse ayant pénétré les appartements maudits du forgeron à jamais aveuglé, même dans l’au-delà.

Janke en a le poil qui se hérisse, se sachant évidemment coupable mais surtout peu en mesure de se défendre avec le jeune garçon inconfortablement placé contre son épaule ; garçon dont la milice nouvellement constituée en cette année d’horreurs n’a que faire. Une ribambelle de soldats armés et armurés forme bien vite un arceau autour de la flamboyante – désormais – meurtrière, qui s’étoffe par l’arrivage massif des précédents curieux se faisant une place aux premières loges. L’on réclame qu’elle remette l’enfant à sa véritable mère, sous la menace de matraques mal entretenues, car suffisamment idiots pour avoir associé le hurlement féminin perçu plus tôt du garçon dans le couffin de ses bras. S’ensuit un échange sans queue ni tête, où l’éborgnée un tant soit peu vulgaire leur rappelle d’aller inspecter la pièce macabre plutôt que de faire de stupides assomptions, ce que l’un des jeunes miliciens de renfort s’empresse d’aller faire par acquit de conscience et non pas parce que tenu par la main d’une contrebandière de renom. Toutefois, ce qu’il constate sur place le force à rebrousser chemin, pâle comme un linge, presque exsangue voire verdâtre sous la nausée qui lui saisit les tripes. Et ce dernier de pointer la femme défigurée du doigt et de l’accuser de son crime, poussant ses confrères à l’arrêter sur-le-champ. C’est sans compter sur la hargne de la léonine qui cherche subitement à forcer le cordon de gardes, protégeant l’enfant d’une autre main enflée par dessus son petit crâne couvert d’un duvet. Elle réussit mais se voit très vite interceptée par un coup traître à l’arrière du genou, un bâton ayant gratifié ses nerfs d’assez de puissance pour lui faire plier la jambe. Devant le délit de fuite qu’elle s’est apprêtée à commettre, l’on s’agglutine autour d’elle et matraques levées, l’assène de coups contre les côtes, en travers du dos, entre ses omoplates, sur ses hanches. L’enfant crie, pleure, étalé au sol dans son cocon de coton mais sauf sous son égide de chair et d’os, la longue crinière en bataille de sa mère formant un rideau d’appoint face à la cruauté du monde. Et elle ? Elle ne dit rien. Dents serrées, poings clos, respiration retenue, elle souffre en silence et ne leur accorde qu’une larme amère. Ses muscles meurtris et ankylosés ne la tiennent que pour mieux se faire la tonnelle sous cet orage de brutalisation s’abattant sur l’innocence de sa progéniture. Puis la pluie cesse, bien qu’elle ne réalise plus si d’autres gouttes douloureuses tombent encore. Et soudain la voilà qui s’élève par-dessus le petit être rougi de tant crier, saisie par les poignes indélicates de la milice pour la traîner hors de là. Abrutie par les frappes répétées et le sang remonté entre ses tempes alors qu’elle se tient encore tête basse, elle sent petit à petit l’irrégularité de la route lui écorcher les genoux à travers le cuir éraflé, la caillasse lui cogner les rotules comme autant de massues, et les braillements du nourrisson s’étouffer dans la cohue qui la suit.

Quelqu’un a-t-il ramassé son fils ?

Ramassez mon fils.

J’remarquais à peine les enfoirés venus s’délecter d’mon malheur, ces putains d’vautours qu’adoreraient m’voir crever au gibet, ces ingrats trop curieux. J’espère juste qu’Amédée a récupéré Konrad, qu’personne l’a laissé par terre, j’pouvais pas le… J’me rappelle d’cette espèce d’odeur d’fer et d’chaud, même l’air respirait l’puanteur du métal à blanc à force d’s’approcher d’la forge d’la milice. J’avais entendu parler d’ça, d’gars d’mon réseau qu’avaient subit’ment disparu Serus sait où, et d’la gueul’rie du côté d’ces chiens d’opportunistes qu’ont bien qu’un uniforme pour s’différencier des gens d’mon genre. C’la dit, ces histoires ‘taient toutes récentes, j’sais pas exactement c’qu’on leur f’sait, et pendant un p’tit moment, j’dois admettre qu’j’ai eu la frousse d’ma vie. Ça f’sait un moment qu’j’avais pas foutu l’nez dehors, on m’parlait d’Fange, d’Fange, re d’Fange, et l’peu qu’la bourgeoise m’disait f’sait qu’j’y comprenais ‘core moins. Apparemment, on d’vait êt’ enfermés à Marbrume, et y avait p’us moyen d’rôder dehors et d’faire son boulot, l’Labret était tombé, et c’tait comme un siège. J’savais pas quelle armée avait réussi à nous poutrer à c’point, là dehors, mais ça d’vait un peu m’tenir au respect. Enfin, c’tait pas vraiment l’moment d’y songer, tout c’que j’voyais là, c’tait qu’on allait p’t-êt’ final’ment en finir ‘vec moi. J’avais l’impression qu’mes membres allaient s’décrocher, m’s épaules m’faisaient un mal de chien et l’sol était fait d’bouts d’verre ou d’barbelés à ce stade, et m’écorchait vive. J’reconnaissais pas trop l’quartier, j’rôde jamais près d’ces chiens. On m’jette contre une table, et j’te jure qu’j’ai eu l’impression qu’mes côtes cédaient cette fois. J’me rappelle qu’on m’passe des m’nottes aux poignets, et qu’la manivelle qu’ce bâtard actionnait m’tirait les bras au point d’presque les arracher. J’tais sur l’dos à ce stade, comme si on allait m’écarteler, et j’croyais vraiment qu’c’était c’qui m’attendait. Mais une d’ces enflures en costume passe un cout’las sous ma ch’mise pour la déchirer autour d’mon bras et exposer ma peau. Qu’est-c’que c’est qu’leur rite ? J’voyais à peine clair à cause du fait qu’le soleil soit en travers d’ma gueule, mais un d’ces enculés profitait du fait qu’mes jambes pendent n’importe comment en dehors d’la table pour v’nir ent’ mes cuisses et m’donner des coups d’bassin. Ça l’amusait, hein, d’s’imaginer m’baiser comme une chienne ? ‘l’était pas encore assez couillu pour oser la sortir d’ses braies et profiter d’ma vulnérabilité, c’qu’avait au moins l’loisir d’me rassurer. Et p’is ça f’sait bien rire la galerie, et c’était tout c’qui importait.

J’ai attendu à peine quelques s’condes, que c’pauvre con s’en aille d’là pour aller lui j’ter ma botte dans les roubignoles. Parc’qu’il l’avait pas volée. J’peux t’dire qu’ça a emmerdé ses voisins, qu’on commencé à m’choper la mâchoire pour beugler des ân’ries qu’j’écoutais même pas. P’is j’avais du sang dans une oreille, c’t’à peine si j’l’entendais d’toute façon. Il a fallu qu’une s’conde de plus avant d’sentir l’odeur d’porc brûlé et une douleur presque froide au départ, qu’a commencé à m’courir dans tout l’corps tell’ment c’tait vivace. L’fer rouge m’écrasait l’bras ‘vec une telle hargne qu’j’me doutais qu’le type à l’aut’ bout jubilait comme jamais. Et moi, j’gueulais. J’gueulais mes tripes. J’gueulais tell’ment qu’le duc lui-même aurait pu m’dire d’la fermer d’puis son château d’crevard. C’tait comme si j’venais d’foutre mon avant-bras dans un four à pain, et c’qui en est r’ssorti était clair’ment pas comestible. L’douleur était si intense, si vague qu’j’avais plutôt l’impression qu’on m’avait tranché l’bras à la guillotine, qu’j’ai fini par tourner d’l’œil…


La foule suit encore ce cortège étrange de miliciens et de criminelle parcourant les venelles du sud du Bourg-Levant jusqu’au boulevard principal fendant Marbrume en plein cœur. D’ici à atteindre les Portes du Crépuscule, l’éborgnée semble avoir repris connaissance et donne du fil à retordre à ceux qui tentent de la maintenir en place. La furie les cogne, les bouscule, se jette au sol s’il le faut, et freine des quatre fers. “Mon fils, rendez-moi mon fils” qu’elle hurle à tire-larigot, la mousse aux lèvres et le regard fou. Et où est son fils, par ailleurs ? Discrète dans tout ce tohu-bohu d’éclats de voix, l’Amédée et son air de petit chaperon rouge sous sa cape brune retrace le sillage de cette procession agitée, comprimant contre elle le petit Konrad sanglotant, inconsolable, terrorisé. Ce défilé donne l’impression de durer des heures tant la rouquine lutte contre sa sentence comme un chien enragé. Toutefois, il lui faut atteindre les hautes portes de la ville, devant laquelle les soldats la jettent au sol quitte à lui crocher une patte. Leur supérieur – à en croire ses airs précieux de noble voulant se donner bonne conscience – déclame alors les chefs d’accusation retenus à son encontre, mais aussi son châtiment. Le Bannissement. L’accusée ne semble pas entendre cela de la même oreille, car elle se redresse et se jette sur le cordon de gardes non pas pour les faire chuter mais pour rejoindre la foule. Au diable le bannissement, ce qui l’intéresse ici, plus que toute autre punition, n’est autre que son fils dont le linge de coton jure parmi la crasse brunâtre des habitants venus assister à la scène. “RENDEZ-LE-MOI !” beugle-t-elle, possédée par un démon coriace qui semble lui donner une énergie inépuisable et fatiguer les miliciens peu rôdés à l’exercice. Voilà que la bourgeoise s’avance, jouant des coudes parmi les charognards, afin de se présenter à la vue du supérieur qui l’interroge d’un regard suspicieux. Elle ne peut que soulever légèrement le petit garçon pour toute justification quant à sa position, l’air de vouloir le rendre à sa mère hargneuse et hors de contrôle. En ont-ils seulement quelque chose à faire, se débarrasser de l’engeance d’un tel diable ne peut qu’assainir un peu plus la cité. D’un geste brusque et expéditif, le sergent autorise la jeune femme fortunée à s’approcher de la condamnée pour lui tendre sa progéniture, dont elle s’empare avec une douceur jurant instantanément du portrait jusque là dépeint.

Pourtant, les portes se referment déjà sur leurs silhouettes conjointes, pour d’autres nuits d’horreurs.


Dernière édition par Janke “Jan” LaDoloyre le Mar 28 Juin 2022 - 18:53, édité 9 fois
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MessageSujet: Re: Janke “Jan” LaDoloyre[Validée]   Janke “Jan” LaDoloyre[Validée] EmptyLun 27 Juin 2022 - 22:58


Les compteurs à zéro

L’heure est au zénith et il règne au dehors de Marbrume un calme improbable aux rumeurs d’angoisse et de chaos. Çà et là d’anciens charniers dont les cendres se dispersent encore sous la brise. Outils abandonnés et armes rouillées gisent dans les ruelles terreuses des faubourgs. Les derniers mots d’Amédée résonnent encore entre les tempes malmenées de la barbare. Cache-toi en hauteur. Ne sors que le jour. Ne les attaque pas. Ces créatures que l’on nomme Fangeux sont aujourd’hui davantage des inconnues que des variables dans l’existence de l’éborgnée, dépouillés de leur image dans sa mémoire, c’est contre un ennemi invisible qu’elle se doit combattre au prix de sa vie. Est-ce cela, le “pire que la mort” ? Le petit est affamé, elle n’a guère le temps de tergiverser et s’insinue dans les plus grandes artères afin d’être moins aisément prise au dépourvu. La hache médiocre d’un bûcheron laissée à gésir sur sa souche fera office de maigre défense, mais la rassure suffisamment. L’œil alerte, l’adrénaline pompe encore le sang dans ses veines et la maintient en éveil. C’est vers le beffroi du nord de la banlieue marbrumienne qu’elle s’engage, n’y a-t-il pas meilleur endroit en hauteur que ces tours aussi altières que branlantes ? Il lui faut du repos, coûte que coûte. Et si la chance lui sourit enfin, ce n’est que pour la mener à bon port sans accroc, la chaleur du cagnard estival ne favorisant manifestement pas la sortie des revenants. Au pied de la tour, elle s’essaie à grimper l’échelle amovible, peinant lourdement tant son corps la fait souffrir par le contrecoup des traitements qui lui ont été infligés. Néanmoins, elle dépose le marmot sur la plus haute plateforme de ce clocher et s’engage à remonter les degrés de bois afin que personne ne s’invite dans sa cachette. Ni ces “Fangeux”, ni d’autres énergumènes. Toutefois, le fumet de la pourriture la prit au nez : la viande avariée de bœufs et porcs dévorés par les vers libère une fragrance pestilentielle à en donner la nausée à une montagne. Malgré cela, elle se doit défaire son plastron, en étaler le cuir sur la pierre froide, et porter le nourrisson à son sein douloureux en dépit de tout ce que son corps cabossé lui hurle. Ses côtes râlent, ses doigts brûlent, son bras suinte, son dos peste. Elle n’est plus qu’un tas de chair et d’os disgracieux dont les stigmates criminels sont inscrits sous ses ongles parfois arrachés. Pourtant, une petite créature aux joues rondes, au teint frais, au caractère paisible s’acharne à en pincer la tétine.

La nuit tombe bien vite, du haut de ce beffroi où se sont endormis mère et fils, ce dernier avachi sur le ventre et la poitrine de la rouquine épuisée. La fraîcheur humide de l’astre roi fin couché rend plus supportable l’infecte fétidité des faubourgs, bien que la perspective même d’être engluée dans une mare d’asticots grouillants la réveille en sursaut. Ou bien peut-être est-ce la course effrénée d’un animal dans l’une des ruelles qui l’éveille de ses hantises oniriques. Sur le qui-vive, elle presse gentiment sa paume contre le dos de la crevette installée sur elle, et bascule de côté en lui maintenant la tête pour se redresser sans un bruit. Genoux fléchis, l’éborgnée avance près de la margelle servant de garde-fou et jette un œil en contrebas pour déterminer qui ou quoi se balade au pied de sa tour d’ivoire. L’espace d’un instant, elle n’aperçoit rien, ni silhouette en pleine ruée, ni même animal fouillant les ordures putrides laissées dans le départ précipité de la banlieue. Jusqu’à ce qu’un spectacle à faire froid dans le dos ne se rue sous son nez ; un homme paniqué quitte une cachette dans l’ombre de l’astre d’argent pour se précipiter vers l’hélépole statique et tenter d’y grimper. En vain, puisque l’échelle hors de portée lui a été ôtée et qu’il semble s’acharner à atteindre la première plateforme à plusieurs pieds de lui. C’est sans compter sur cette chose bien plus vive, bien plus agile, à hauteur d’homme du peu qu’elle peut en distinguer, qui vogue de ruelle en ruelle comme à la recherche de sa proie. Elle plisse les paupières, berçant sa bestiole emmitouflée pour assurer son sommeil quelques instants encore, et scrute attentivement la scène. Car l’étranger cesse de sauter sous ses pieds, et ressort hâtivement du beffroi pour se mettre à courir comme un dératé en direction du sud. Il fomente cinq pas…

Pas un de plus. L’humanoïde le percute brutalement et l’éjecte contre une palissade. L’éborgnée capte en jeu d’ombres sur la terre poussiéreuse les griffes démesurées de la bête, sa crinière clairsemée et autrefois longue, sa peau luisante sous les dards diaphanes, et son allure pourtant si familière qu’elle instille le malaise dans la nouvelle bannie. Et la brutalité avec laquelle cette horreur démembre l’intrus de lui clouer le bec, pétrifiée par la vision d’horreur de cette chose décharnée, amphibienne, se délectant d’une chair encore giclante de ses humeurs. Elle n’en dévore qu’un morceau ou deux, juste assez pour le faire mourir rapidement et sans un cri tant la surprise lui a coupé le souffle. Un cri… C’est l’instant où se met à chouiner le nourrisson et sa faim tenace, ce qui alerte l’ouïe surnaturelle de ce qu’elle découvre être un Fangeux. “Merde”. La créature ne barguigne pas davantage et charge le beffroi jusqu’à ce que sa silhouette ne soit engloutie par son entrée voûtée. Griffures, râles, coups, elle ne semble trouver aucune prise à son escalade, autant de temps qu’il faut à l’éborgnée pour transmettre sa peur viscérale à sa progéniture s’agitant d’anxiété, pleurant assez pour rallier tous les revenants de ce cru à sa poursuite. Ce qui ne manque pas d’arriver, car trois autres engeances se présentent, toutefois sensiblement différentes de leur congénère d’origine. Qu’il s’agisse de leur silhouette, de leur fraîcheur ou encore de leur intégrité physique, chacune a autant de particularités qu’un… humain n’en aurait. Ce constat brutalise les fondations de ses croyances, son pragmatisme affirmé jusqu’à l’espoir endurci qu’elle se tache de conserver malgré la situation. Elle, connue pour sa rudesse et son mental d’acier, cède et se recroqueville contre le garde-fou de pierre froide, vaincue par l’effroi.

Les jours passent, et ses très rares sorties se font aux heures les plus chaudes du zénith. Se nourrissant de viande avariée et d’eau de pluie, ses crampes d’estomac se font de plus en plus mauvaises, et la contemplation du départ de lui effleurer l’esprit. Néanmoins, avec ce paquetage irrémédiablement soumis aux aléas de ses envies, elle craint cette optique avec autant de ferveur qu’elle ne craint la Fange, désormais. Et l’enfant faiblit. Ce n’est pas du haut de cette tour qu’elle parvient à en prendre soin, à le nettoyer, à apaiser ses crises, ou à l’éloigner des fumets malodorants de cette région. Non, elle peine et se doit quitter les lieux la terreur au ventre en quête de contrées plus habitables, d’une grotte peut-être. De nouveau au point chaud du jour, la rouquine se pare d’un oriflamme déchiré dont l’enfant se revêt pour mieux être attaché à sa mère et lui laisser les mains libres. Échelle abaissée, degrés descendus, elle laisse derrière elle son abri le plus sûr et tente de rejoindre le littoral et ses carcasses de barque dans l’espoir vain d’en trouver une capable de voguer les flots. Deux frayeurs s’affrontent, celle de deux morts certaines, qu’elle soit au large auprès de son fils ou aux griffes tranchantes de ces abominations. Il n’y a guère qu’à l’extérieur des murs de Marbrume que cette mercenaire bourrue mesure sa chance, celle de parvenir à embarquer à bord d’un petit bateau de pêche qu’il lui faut écoper un moment mais n’a pas subi assez d’avaries pour couler à pic. Elle ne sait ce qu’elle espère atteindre ainsi, à pagayer entre deux biberonnées de plus en plus maigres. Longeant le littoral toute une nuit durant, c’est aux alentours de Sarrant qu’elle se doit de rejoindre la côte, affamée et épuisée, mais patiente toutefois jusqu’au jour levé afin de débarquer sur le sable rocailleux et grossier d’une sorte de crique adossée au plateau du Labret. Elle se doit de prendre le risque. Celui de rencontrer ces meutes d’engeances du mal. Car Konrad est souffrant, la fièvre l’a saisi au cours de la nuit, et en l’absence d’apothicaire à solliciter de gré ou de force, voilà qu’elle s’en remet au hasard et se dirige vers le village le plus proche, le pas traînant. L’enfant tousse. La mère n’est qu’au bord du marais à peine, sur un sentier cahoteux qu’aucun homme n’a peut-être foulé jusqu’alors, dans un recoin si reculé de toute route, de toute vie, qu’il serait étrange que quiconque cherche ici de la nourriture. Pas même la Fange.

Des poches d’eau claire barbottent au milieu des enchevêtrements de la mangrove, et c’est dans le creux de racines épaisses formant un tronc éviscéré qu’elle se repose un instant et saisit l’occasion de rafraîchir le petit. Une vasque d’eau fraîche dans le creux de sa paume, elle l’appose sur le front brûlant de l’enfant dans l’inconfort, va jusqu’à lui donner à boire, n’ayant que trop peu de lait à lui offrir. Ses lèvres sèches et arrachées s’abattent sur son crâne encore malléable dans un baiser tendu, stressé. Elle s’assoupit, une heure, deux, tout au plus, et se décide à quitter les lieux. Tandis qu’elle s’apprête à emballer le garçonnet dans son dos, une chose la frappe, comme au sens propre. Les petites mains du nourrisson sont bien molles, son étroite nuque ne le soutient plus, et le contour de ses yeux se veut d’une pâleur maladive. Hors de son abri de racines épaisses, elle panique, le berce un peu plus vivement, empoigne l’une de ses menottes pour l’embrasser. Ses murmures semblent rencontrer un mur inexpugnable lorsqu’elle l’enjoint à ouvrir les yeux. Les siens s’embuent déjà. Sur la mousse humide formée autour du point d’eau stagnante, elle le dépose avec douceur et ôte son carcan de coton…

Ouv’ les yeux j’t’en supplie, j’t’en supplie putain… J’t’en supplie… à g’noux

Son oreille effleure le buste nu de l’enfant, en quête d’une sonate dont elle ne capte aucune note. Et ce silence de la poignarder avec une vigueur qui s’en ressent jusque dans sa moelle. L’air coupé, pliée en deux sur le corps désormais sans vie de son bien le plus précieux, ses suppliques n’émettent plus un son, les lèvres écorchées en une grimace douloureuse sans arriver à la manifester autrement que par une posture prostrée. Ses ongles abîmés s’imprègnent du lichen doux qu’elle arrache dans ses poignes blanchies, son anatomie soubresaute à mesure de sanglots mutiques, et la douleur d’embraser tous ses nerfs jusqu’au dernier. Manquant d’oxygène, elle se doit reprendre sa respiration et cela de déclencher un hurlement porteur du désespoir le plus destructeur qu’il ait été donné d’entendre à ces bois inhospitaliers. De longues minutes passent ainsi, avachie presque au-dessus du garçon tel qu’elle l’avait protégé une semaine auparavant, tandis que ses sanglots lourds et longs humidifient le couffin devenu linceul. Jusqu’à ce qu’un petit sursaut affecte le pied nu et bleuâtre du petiot. Regagnée par une poussée d’adrénaline, ses doigts se pressent contre le cœur de Konrad, pourtant taiseux. Et l’horreur de s’emparer d’elle lorsqu’en quelques minutes tout au plus, sa pupille reprend vie non pas sous la forme d’un chérubin de quelques mois mais d’une ignominie disgracieuse, affamée non pas de lait mais de chair. À l’horreur se mêle le dégoût, au dégoût se mêle la stupéfaction, à la stupéfaction se mêle la colère, noire, celle qui s’empare de sa hache de bûcheron et la lève sur cette espèce de scarabée ayant pris son fils…

Tout cela de valoir bien davantage que sa vie dès lors. Sa haine à l’égard du monde la maintint en vie, lui fit échapper aux embuscades fangeuses au prix de bannis moins expérimentés qui périrent pour sa cause. Fréquentant Griffith, Priscilla, bâtisseuse parmi la première vague, il lui fallait davantage, il lui fallait collecter la dette de sang de Marbrume. De tous les convois possibles afin de ralentir l’approvisionnement de la cité traître, elle affronta la milice autant qu’elle affronta les paysans. Ventfroid fut une victoire majeure, dont elle se pare de fierté en tant qu’égorgeuse née, mais elle était assoiffée, encore et toujours, de pétrir d’angoisse les habitants calfeutrés de la capitale comme elle-même avait subi de plein fouet le coup du sort. Elle ne rompit guère ses contacts avec la Guilde des Voleurs, favorisant même le passage de quelques confrères marqués dans les entrailles de la Ville Mère par le biais de leurs passeurs. Personne ne serait plus jamais à l’abri, et elle se promettait d’un jour de mettre cette vomitive civilisation à feu et à sang.


Résumé de la progression du personnage :



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MessageSujet: Re: Janke “Jan” LaDoloyre[Validée]   Janke “Jan” LaDoloyre[Validée] EmptyMar 28 Juin 2022 - 19:05
Coucou Jankazare !

Comme vu sur le discord, tout est bon pour moi. J'aime beaucoup ton passif avec la guilde des Voleurs et j'espère qu'on fera de grande chose ensemble(ou au moins terrible Twisted Evil )

Comme tu peux le voir dans ta carrière, l'aspect très publique de ton bannissement te donne une sale réputation en dehors de tes contact, mais vu que tu veux les buter, j'estime que ça t'ira !

Je te refais pas tout les liens, t'es ici chez toi Wink

Rebienvenue !
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MessageSujet: Re: Janke “Jan” LaDoloyre[Validée]   Janke “Jan” LaDoloyre[Validée] Empty
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