Cuir de poisson (PV Raphael et Katarina)

Raphael était confortablement installé sur la criée du port, sa pêche du jour étalée devant lui.

Ce n'était pas à proprement parler une criée : les pécheurs vendaient leur cargaison aussi bien aux particuliers qu'aux artisans et commerçants. Les riches et les pauvres s'y côtoyaient dans un grand capharnaüm sous l’œil vigilant de nombreux miliciens. La famine due à l'arrivée de la Fange avait transformé la simple nourriture en produit de luxe, creusant l'écart qui existait déjà entre la populace et la noblesse. Il y avait désormais deux catégories de personnes à Marbrume : ceux qui pouvaient s'acheter à manger et ceux qui devaient voler ou tuer pour survivre. Et chaque jour la criée se transformait de plus en plus en une poudrière prête à exploser plutôt qu'un lieu animé où l'on vient faire ses courses et quelques affaires.

Le marin palliait à ce risque en vendant la plus grande partie de sa pêche avant même la criée. De riches marchands ou des serviteurs de la noblesse venaient le trouver à l'accostage ou même quelques jours avant qu'il ne prenne la mer. Il pouvait alors vendre sa marchandise en toute sécurité, sans se demander à quel moment une révolte finirait par éclater devant un étal qu'il aurait trop rempli.

Une fois ces privilégiés servis, le marin vendait sa marchandise à la criée et de préférence à ceux qui n'étaient pas trop argentés. Ainsi tout le monde pouvait profiter des bienfaits de sa pèche et il gardait toujours quelques prises qu'il offrait au Temple d'Anür pour nourrir les nécessiteux.

Il aurait parfois voulut faire plus, mais il devait avant tout veiller sur sa famille et rester sur ses gardes face aux dangers qui les guettaient à l’intérieur et l’extérieur des murs de la cité.

Il regardait donc passer les badauds, monnayait ses prises a ceux qu'il en jugeait digne et discutait avec les autres pêcheurs. Il envoya bouler un bourgeois tout rougeaud et gonflé, lui indiquant que la prise qu'il convoitait était déjà réservée par quelqu'un autre. Le bonhomme gesticula avec véhémence mais se calma bien vite lorsque quelques miliciens s'approchèrent pour observer de plus près la situation. Il passa son chemin en lançant un regard noir à Raphael qui le gratifia d'un sourire méprisant et ironique.

Décidément la criée n'avait plus rien a voir avec ce qu'elle avait été avant la Fange et les malheurs qui accablaient Marbrume...

La criée. Franchement, Katarina regrettait d’être descendue jusque-là en personne. Mais elle n’avait plus le choix, c’était la seule solution qu’elle avait trouvé pour pallier au cruel manque de cuir et à l’affolante montée des prix. Il lui fallait du cuir de poisson.
Il fallait être objectif, si les mammifères manquaient, le poisson pullulait et la peau ne devait pas coûter très chère. Seulement, c’était une idée toute nouvelle aussi tenait-elle à effectuer elle-même la première transaction avant d’établir un contrat.

Seulement voilà, c’était bien plus compliqué que prévus. D’abord, il y avait l’odeur et puis les cris (peut-être le nom de Criée venait-il de là…) et enfin la tension. Ce marché ressemblait à une poudrière prête à exploser à la moindre étincelle. Et la présence de nombreux miliciens n’avait pas l’air d’arranger beaucoup les choses.

Elle se frayait péniblement un chemin dans la cohue à la recherche d’une étale qui lui semblait honnête et où les bêtes seraient assez grosses pour envisager de tailler dans leur peau, lorsqu’un gros homme rougeaud la bouscula en grommelant. Il était question de poisson, d’étriper et de pendre. Intriguée par la virulence du propos et se doutant que ce genre de réaction n’était provoquée que par une remarque vraie, elle chercha des yeux l’étale d’où venait le mécontent.
Son regard croisa alors celui d’un homme d’âge mûr qui devait être marin pêcheur, au vue de sa peau tannées par le soleil et les embruns. Il lui parut être un homme honnête, de dur labeur.

Katarina s’approcha de l’étale et s’apprêta à engager la conversation lorsqu’elle avisa la file d’attente qui s’allongeait à côté d’elle. Se disant que faire bonne impression passait sûrement par se plier aux mêmes règles que les petites gens, la jeune commerçante rejoignit l’arrière de la queue et attendit patiemment son tour.

Enfin, elle put regarder le vendeur droit dans les yeux. C’était un homme au regard franc et Katarina choisit d’employer la franchise pour engager la discussion. Elle tendit une main sûre au pêcheur, par dessus l'étale poissoneuse.

« - Katarina Rougegants, gantière de la Rue des Hytres. Je suis intéressée par les peaux de vos plus belles prises et je paye rubis sur l’ongle. »

Les gens se tassaient de plus en plus nombreux dans la criée.

Les badauds défilaient comme une foule sans visage avec plus ou moins de verve. Néanmoins l’attention du pécheur se fixa sur une femme à l'allure soignée. C'était une femme d'une trentaine d'années qui s'était approchée de son étal et s’apprêtait à engager un marchandage sans attendre son tour. Elle s'en rendit compte d'elle même et s'engagea dans la file attendant patiemment son tour.

Raphael apprécia son attention et le respect qu'elle porta aux autres clients. C'était certes une bourgeoise (il pouvait le deviner à ses habits et à son port de tête distinguée), mais une bourgeoise avec du savoir vivre et cela faisait toute la différence d'avec le vilain rougeaud éconduit quelques minutes plus tôt.

Lorsqu’elle arriva à sa hauteur et se présenta, Raphaël était dans les meilleures dispositions possible à son égard.

Raphael Havresac, patron pécheur de son état et habitant du Port depuis toujours.

Il désigna les trois plus gros poissons de son étal.

Voici mes plus belle prises Mme Rougegants : un bar et deux aiglefins. Ils doivent bien faire dans les 30 livres (env. 10kg) chacun. Ce sont vraiment de belles prises et si vous me dites que vous payez rubis sur l'ongle alors je vous les laisse le lot pour 3 pistoles.

Raphael se rappela que la jeune femme avait indiqué qu'elle était intéressée par les peaux. Qui pouvait bien être intéressé par la peau d'un poisson que par sa chair ? Raphael posa la question le plus poliment possible.

Au risque de passer pour un curieux, vous m'avez dit être intéressée par les peaux de ces poissons. C'est une remarques des plus inhabituelle : les clients ont plutôt tendance à me demander comment les préparer ou si il telle ou telle espèce à bon goût... Puis-je vous demander pourquoi ce sont particulièrement les peux qui vous intéressent ?

Raphael attendit la réponse de la jeune femme tout un gardant un œil sur la file d'attente afin que le gens ne s'impatientent pas trop.

IRP:

3 pistoles, c’était une somme rondelette mais tout à fait correcte, pour de la chaire de poisson ! Seulement, elle ne voulait que la peau… Elle aurait bien diminué le prix de moitié mais elle comprenait que le pêcheur refuserait sûrement de ne vendre qu’une partie de la prise, rendant le poisson invendable. Elle achèterait donc le lot dans son intégralité mais elle ne pouvait décemment pas partir sans marchander !

« -Voyez-vous, quand on fabrique des gants en cuir, mais qu’il n’y a plus de cuir, il faut trouver des solutions ! Cela dit, pour votre lot, je vous donne 2 pistoles, c’est un prix, qui, à long terme, est plus que rentable.»fit-elle.

L’allusion au long terme devrait assez intéresser l’homme pour qu’il prenne le temps de considérer soigneusement son offre. Katarina avait dans l’idée de lui proposer d’aller discuter de la chose autour d’un verre ou même, dans l’idéale chez elle, dans son bureau.
Cette pièce était imposante et donnait à la personne assise derrière le bureau une aura de force. Cela lui permettrait, en étant en terrain connus, de prendre la direction des opérations.

La gantière était donc bien intéressée par les poissons à titre professionnel et non pour la nourriture. De plus elle parlait de long terme, peut être était elle intéressée pour acheter régulièrement de la marchandise à Raphael pour son activité....

Le pécheur s'excusa auprès de la jeune femme et appela d'une voix forte Erwann, son fils de 8 ans.

Erwann, tu vas t'occuper de servir ces messieurs-dames pendant que je discute affaire avec cette cliente ! Si tu as un doute sur un prix ou si quelqu'un te pose problème viens me chercher, je n'en n'ai pas pour longtemps...

Le petit garçon accepta les ordres de son père sans rechigner.

Oui papa, pas de problème !

Raphael le laissa temporairement aux commandes de l'étal et rejoignit Mme Rougegants. La femme savait négocier, cela se sentait à cent pas. Raphael devrait faire de son mieux pour tirer son épingle du jeu et décida de commencer sur un note personnelle pour détendre l’atmosphère.

Vous voyez ce petit bonhomme Mme Rougegants ? C'est mon fils, Erwann Havresac. Il n'a pas plus de 8 ans mais il sait déjà comment tenir un commerce et lever un filet correctement... C'est ce qui fait la force des Havresac : nous sommes une famille unie et tout le monde fait sa part sans jamais rechigner !

Raphael battit l'air de ses mains, comme pour chasser des pensées trop présentes et se concentrer sur leurs affaires.

Excusez moi Madame, je m'égare dans des considérations bien éloignées de ce qui nous motive en ce moment. Vous parliez de long terme et de rentabilité, pouvez-vous me dire plus précisément ce que vous aviez en tête ?

Le jeune garçon qui prend la place du pêcheur est vraiment…jeune. Mais le petit Erwann met du cœur à l’ouvrage et les clients ont l’air d’être habitué à ce que le petit prenne la place de son père.
Katarina écoute les éloges du pêcheur à son fils et regarde avec amusement et attendrissement l'enfant qui prend un congre à bras le corps en lançant la queue du poisson par-dessus son épaule.

Au passage, elle relève que c’est un animal remarquablement long et que, la peau déroulée, la surface doit en être conséquente.

Havresac la sort de sa « contemplation » en lui demandant plus précisément ce qui l’emmène.
Par où commencer… il ne faut pas qu’elle en révèle de trop tout de suite. Le principal est de laisser l’affaire traîner jusqu’à ce que la curiosité dévore tellement son interlocuteur qu’il agréera bien plus facilement à ses objectifs.

« - Et bien, il n’y a pas beaucoup plus à dire que ce que je vous ai expliqué. Je cherche du poisson mais surtout pour en utiliser la peau. Bien sûre, la chair sera tout de même consommée. Pensez-vous que cela se tanne bien, la peau de poisson ? »

La question dérouta quelque peu le pécheur qui bafouilla une réponse tant bien que mal.

Hé bien... Je vous avoue que je ne sais pas trop... Je n'ai jamais tenté l'expérience... J'en ai écaillé, vidé et séché des tonnes et des tonnes au cours de mon existence, mais je n'ai jamais tanné la peau d'un poisson...

Raphael fit de son mieux pour se reprendre et rester professionnel. Mais il fallait bien se rendre à l’évidence : sa curiosité était piquée au vif et il brûlait d'en savoir plus. Une idée jaillit dans son esprit : pourquoi ne pas joindre l'utile à l'agréable ?

Je vous propose quelque chose Mme Rougegants : je vous cède ces deux poissons pour la moitié du prix annoncé, soit 1 pistole et 50 sous, et nous faisons le test de tanner ces poissons dans votre atelier cette après-midi... Je pense qu'il ne faut pas trop attendre si vous souhaitez que la peau ne se détériore pas... Qu'en dîtes-vous ?

Raphael espérait que le prix très attractif du lot pousserait la gantière à accepter car il avait très envie d'essayer ce nouvel usage de sa pèche auquel il n'avait jamais pensé.

HRP:

La proposition était plus qu’avantageuse, elle était à proprement parlé alléchante. Mais Katarina réussie à garder son visage aussi lisse que le marbre à l’annonce de l’offre que lui fit Havresac. Puis, après un infime instant « d'hésitation » elle acquiesça.

 « - Cela me convient tout à fait. Je propose de rajouter 10 sous au tarif pour que vous me livriez les poissons en venant me rejoindre à l'atelier, cet après-midi. 

Et ce-disant, elle sortit sa bourse de sa besace de main et en tira une belle pièce d'une pistole ainsi que 60 sous qui vinrent se loger dans le creux de la main du marin-pêcheur.

-Ma boutique est assez remarquable. La devanture est rouge et indiquée par une paire de gants de la même couleur, Rue des Hytres. Je vous demanderais de vous présenter à l'arrière boutique, on y accède par la porte cochère, à gauche de l'entrée. La porte est rouge, c'est la seule, vous ne pourrez pas la manquer.

Katarina songea soudain qu'elle n'avait certainement pas le matériel nécessaire pour tanner les peaux... Elle connaissait bien sûre le procédé mais cela ne remplaçait pas la longue expérience nécessaire à l'achat d'un matériel de qualité.

-Dites moi, de quel matériel, selon vous, aurons-nous besoins ? Je peux envoyer un coursier faire quelques emplettes d'ici la mi-après-midi.

Lorsque la gantière proposa d'ajouter 10 sous pour la livraison en sus, Raphael se dit qu'il était tombé sur quelqu'un honnête. Il accepta en souriant tandis que Katarina glissait les pièces dans sa main ainsi que quelques directives pour se retrouver dans l’après midi. Honnête mais précise en affaite et douée pour le marchandage, il faudra qu'il pense un peu plus à ses marges la prochaine fois... Cela viendrait peut être, qui sait ?

Lorsqu'elle lui demanda de quel matériel ils pouvaient avoir besoin, le pécheur réfléchit à haute voix.

Voyons voir... Il nous faudra un couteau bien aiguisé pour retirer la peau sans l’abîmer... Le faire bouillir dans des sels et de l'eau pour l'assouplir, peut être que des cristaux de sel et de la soude pourraient faire l'affaire... Vous devrez alors le laisser sécher durant quelques heures avant de tenter les premières coutures avant de le transformer en gant. Et peut être que quelques gouttes d'essence de thym pourront atténuer l'odeur du poisson, ce qui ne sera pas du luxe selon moi !

Raphael marqua une pause pour réfléchir si il n'avait rien oublié mais ne voyait rien d'autre. Il remercia de nouveau Mme Rougegants et retourna à son étal pour aider son fils qui en avait bien besoin. Il avait beau être débrouillard, ce n'était qu'un gamin de 8 ans !


Un peu plus tard en début d’après midi, Raphael se rendit dans la rue de Hytres avec ses poissons sous le bras. Il trouva sans difficulté le magasin de la gantière : le rouge de la devanture et les deux gants stylisés étaient du plus bel effet, montrant l'aisance de la propriétaire. Raphael décida de prendre quelques informations sur son interlocutrice auprès des autres vendeurs du quartier. Il questionna un boulanger et un boucher qui lui firent à peu prés la même réponse : Mme Rougegants était très aimable et affable mais redoutable en affaires. Elle négociait les prix avec beaucoup de finesse et d’efficacité, n'achetant jamais quelque chose au prix affiché. Raphael l'avait ressenti mais il était content que deux autres personnes le lui confirment.

Le boucher fit également une remarque désagréable sur le fait qu'elle était seule et qu'une femme ne devrait pas tenir un commerce quand elle n'avait pas de mari. Raphael lui rétorqua le sexe n'avait rien à voir avec les capacités d'un marchand, seuls comptaient sa verve et sa capacité naturelle à être sympatrique avec les clients.

Raphael se rapprocha de l'échoppe et passa par la porte arrière, comme le lui avait demandé la gantière. Il frappa et attendit que quelqu'un vienne lui ouvrir.

Fadette vint annoncer l'arrivée de Monsieur Havresac à l'heure convenue. Katarina, de son côté, avait envoyer le matériel qui manquait. Elle avait passé une vieille robe qui lui servait lorsqu'elle travaillait elle-même dans les ateliers de préparation des gants, chose rare.

Le cellier avait été rangé et on avait préparé une table, deux baquets de sels, d'autres d'eau. Une épaisse couche de jonc était répandue au sol pour le protéger. Des claies avaient été installé le long du mur pour y étendre les peaux tannées. Les couteaux étaient aussi affûtées que des rasoirs.

Katarina tint à ouvrir la porte elle-même. Elle ne voulait pas faire l'effet d'une bourgeoise précieuse au pêcheur. Lui faisait travailler ses enfants et suait sang et eau pour pouvoir manger. Elle pouvait bien lui ouvrir une porte.

L'homme attendait poliment qu'on vienne lui ouvrir, ses poissons sous la bras. Katarina le dit entrer, s'abstenant toutefois de lui serrer la main. Elle peinait à l'admettre mais les grandes mains poisseuse du pêcheur la dégoutaient.

La gantière le mena directement au cellier, lui fit déposer le poissons et lui présenta la matériel qu'elle avait réussie à assembler avant qu'il n'arrive. Le pêcheur semblait satisfait.

Katarina lui laissa un peu de temps pour s'habituer au lieux et le laissa prendre la directive des opérations. Après tout, elle ne connaissait que grossièrement le procéder de tannerie et encore cela concernait-il seulement les peaux d'animaux terrestres.

L'intérieur de la boutique de Katarina était coquette.

On sentait une emprunte féminine qui emplissait littéralement l'espace, ce qui déroutait le marin qui avait avantage l'habitude des environnement bruyants ou difficiles comme la criée ou les tavernes. Ici tout semblait enroulé dans du coton, le moindre pas sur le parquet grinçant semblant tonitruer à des lieues à la ronde. Raphael se promis de revenir ici avec Eledin pour lui faire écouter ce silence si rare à Marbrume.

Le pécheur se repris et s’approcha de la table préparée à son attention. Les outils disposés de part et d'autre étaient d'excellent facture et Raphael adressa un sourire de satisfaction à la gantière. La femme semblait décidée à lui laisser prendre les commandes, alors Raphael décida de briser la glace sans préambule et avec son pragmatisme habituel.

Comme nous en avons parlé à la criée, je pense que la première chose à faire serait de détacher les peux et les faire bouillir pour les assouplir. Je vais m'occuper de dépecer les poissons, pouvez-vous mettre de l'eau à bouillir ? J'ai plus l'habitude de les écailler, mais avec des lames aussi tranchante ce sera un vrai jeu d'enfant. Si seulement j'en avais de comme ça, je serais le plus rapide du port pour démailler les filets !

Le pécheur se mit à dépecer consciencieusement les poissons tout en continuant à bavarder avec entrain. Il parlait de ses enfants, de sa femme, de la mer... Et tout et rien en réalité ! Il n'attendait pas spécialement de réponse, il avait surtout envie d'emplir cette boutique un peu trop calme à son gout. Il faisait néanmoins le nécessaire pour ne pas être grossier ou ennuyeux envers sa bienfaitrice, la faisant participer à ses réflexions et prenant son avis lorsque le rythme de son bavardage le permettait.

Le baquet préparé par l'aide de Katarina fut rapidement chaud. Raphael y ajouta la soude et les cristaux de sel avant de plonger les peaux pendant quelques instants. Il les sortit plusieurs fois afin de tester doucement leur élasticité. Deux peaux se montrèrent très résistante et parfaitement adaptées, mais la troisième se détacha en morceaux au bout de quelques instants au grand dam du pécheur.

Par Anür ! On dirait bien que le Bar est bien plus adapté que l'Aiglefin ! Je n'aurais pas pensé que la race du poisson aurait été importante... Un poisson est un poisson, non ? Sa peau est censée être aussi solide d'une espèce à l'autre... Enfin au moins nous n'avons pas perdu la chair de l'Aiglefin, c'est toujours ça de pris...

Raphael continuait de pester en déposant les peaux sur la table et attendit la réaction de Katarina.

HRP:

Avec fascination, Katarina regarda le marin pêcheur travailler. C'était un homme bavard et il n'hésita pas à discuter tout en travaillant. Ils parlèrent principalement de banalités, le temps, la fange bien sûre et le prix de la nourriture, toujours ne hausse.

Mais à aucun moment, Raphaël ne se déconcentra de sa tâche. Il salait, grattait les peux, les faisait bouillir dans un ballet complexe. Katarina fit de son mieux pour prêter main forte à l'homme. Cependant, ses mains se couvrirent rapidement d'ampoules. Mais Katarina n'en dit mot, elle admettait que cela faisait trop longtemps qu'elle n'avait rien fait elle même. Elle ne pouvait décemment pas se plaindre, d'autant plus que Havresac fournissait le triple de son propre travail.

Finalement, il plongea trois peaux dans le baquet de sel et de soude diluées dans de l'eau chaude. Mais deux seulement ressortir du mélange dans un état acceptable. Apparemment l'Aiglefin ne convenait pas!

Raphaël se mit à grommeler de désappointement.

"-Ne vous en faites pas Raphaël, le Bar me semble parfait. Et je pense que nous avons bien mérités une pause.

Mais avant de joindre le geste à la parole, elle prit délicatement les peaux et les accrocha aux claies au fond de l'atelier. Ca, au moins, elle savait le faire toute seule. Puis, elle récupéra les couteaux et les essuya sur son tablier avant de les mettre dans la grande poche cousue dans l'avant de celui-ci.
Raphaël fit alors mine de ranger le reste de la table.

Laissez! Je m'en occuperai plus tard avec Fadette! lança-t-elle au pêcheur.

Katarina lui fit alors signe de la tête de la rejoindre dans la cuisine. Là, elle déposa les couteaux dans l'évier de pierre et se lava les mains avec l'eau que Fadette avait eu la prévoyance d'apporter. Les restes misérables d'une livre de savon traînaient à côté et le jeune femme dû s'en contenter.

Puis, elle ôta son tablier et le suspendit à une patère fixée au mur, saisit une bouilloire et la remplis d'eau potable puis la mis à bouillir, fixée à un crochet, au dessus du petit feu qui brûlait en permanence dans la cuisine. La temps était au beau fixe en ce bel été et la porte de la cuisine, ouverte, laissait entrer les bruits effervescent de la rue. Cela faisait longtemps que Katarina n'avait ressentis un tel sentiment de plénitude. Cela lui rappela durement l'époque où son père était encore en vie et où ils s'installaient dans cette même cuisine pour étudier les comptes tout en échappant à la chaleur torride des combles exposés à la chaleur de juillet.

La commerçante invita alors Raphaël à s'asseoir à la table de la cuisine et s'apprêta à l'imiter lorsqu'elle réalisa que l'homme devait rarement boire de la tisane en pleine journée. Elle le pria donc d'attendre un instant et disparut dans la maison.

Elle rejoignit rapidement le bureau de son père et ouvrit le placard où il rangeait les digestifs. Elle y choisit une vieille eau de vie de poire, espérant que cela plairait au marin.

Katarina réapparue alors dans la cuisine, s'empara d'un petit verre dans l'un des placards et le tendit à l'homme.

"Tenez, il me semble que c'est-ce qu'il y a de plus approprié pour chasser l'odeur du poisson après s'en être enduit les mains! Vous m'en direz des nouvelles, sans avoir jamais goûté, je crois savoir que mon père était un fin connaisseur fit-elle à Havresac avec un sourire chaleureux.

Elle se servit à son tour, mais en tisane et s'installa face à Raphaël. La fin d'après midi était douce et elle se laissa aller à siroter pensivement sa tisane en profitant du soulagement de pouvoir s'asseoir après avoir piétiné toute la journée.

Au fu et à mesure qu'ils travaillaient, Raphael remarqua la faible résistance de Katarina au travail physique.

Le pécheur devina rapidement que la femme n'avait probablement pas travaillé de ses propres mains depuis des mois, peut être des années. Les ampoules qui se formèrent rapidement sur ses mains trop douces trahissait sa condition de propriétaire aisée plutôt que d'artisan besogneux. Peut être était-ce la jeune femme qu'elle nommait Fadette qui faisait véritablement tourner la boutique plutôt que cette femme délicates aux faux airs de noblesse...

Cependant un trait de caractère chez cette femme qui coupait court à toute comparaison dédaigneuse avec les Sang Bleus : sa bienveillance. Alors que Raphael pestait contre l'aiglefin qui avait mal réagit au traitement de tannerie, elle décréta qu'il était temps de prendre une pause et interdit au pécheur de poursuivre sa tâche de nettoyage des outils, laissant cette tâche à Fadette. Probablement par habitude, elle prépara une tisane qu'elle allait leur servir à tout les deux avant se raviser et se rendre à la cuisine pour dégoter une eau de vie de vielle poire.

Avant même que le pécheur ne puisse refuser un tel honneur, il se retourna attablé avec une femme aux moeurs raffinés et une eau de vie parfumée à une table où l'on prenait soin de son hôte. Et lorsque Katarina précisa qu'il agissait d'une eau de vie de son père, Raphael abandonna toute idée de refuser le verre proposé et leva son verre à la santé de la Maison Rougegants avant de déguster ce qui lui était visiblement offert de bon coeur.

Alors que le liquide s'écoulait, un feu délicat se répondit dans sa gorge. Rien à voir avec le tord boyeaux qu'il avait chez lui ou à la taverne, c'était véritablement un alcool fruité et gouteux sur lesquelles ses papilles s'extasient. Il y avait très longtemps que le pécheur n'avait pas profiter d'un breuvage de cette qualité : on se serait cru au milieu d'un verger un printemps de récolte. Le fruit était sucré et l'alcool parfaitement dosé, cette eau de vie datait probablement de bien avant la Fange. Un tel mets était désormais trés rare à Marbrume et le cadeau de Katarina au pécheur était un honneur bien au dessus de son rang.

Raphael reposa doucement le verre sur la table avant de poser ses mots d'une voix emprunte de nostalgie.

Je vais me permettre de vous appeler Katarina au vu du cadeau que vous m'avez fait là... Cette eau de vie est tout bonnement délicieuse et je vous confirme que votre père est - ou était - un fin connaisseur. Vous ne pouvez pas vous en rendre compte si vous n'êtes vous même pas amatrice, mais je vous assure que cette poire est un délice comme il en reste peu dans cette ville. Je suis d'autant plus honoré que vous l'ayez partagé avec moi et vous le dit sans détour : ne la sortez que dans des grandes occasions ! Il serait dommage d'offrir une telle merveille au premier cochon venu qui ne saura pas l'apprécier !!

Raphael ponctua cette remarque d'un rire franc et joyeux pour montrer à Katarina tout simplement combien il était heureux. Il dégusta un autre rasade avant de poursuivre en reprenant son sérieux.

Vous êtes une femme étonnante Katarina... Pardonnez une fois de plus ma familiarité et ma curiosité, mais vous travaillez seule ici ? Je veux dire à part Fadette qui doit probablement vous assister, vous n'avez pas d'époux ou de famille pour vous aider à tenir cette boutique ?

Ne vous méprenez pas sur ma question : je n'ai aucun doute sur le fait que vous soyez capable de mener seule vos affaires ou sur le fait qu'une femme soit à tête d'un commerce. Les femmes sont toute aussi capables que les hommes et parfois même davantage encore, je n'ai qu'a regarder ma chère femme Eledin... Ce que je veux dire et je vous le dit fort de ma propre expérience, il y à suffisamment d'ouvrage pour toute une famille lorsque l'on tient un commerce... Et même si nos activités sont très éloignées, un commerce reste un commerce ! Plus il y à de monde pour le faire tourner mieux il se porte !

Le pécheur porta de nouveau le verre à ses lèvres et attendit la réponse de Katarina.

Apparemment Katarina avait visée juste. Elle sourit chaleureusement à l'homme.

"-Et bien je suis heureuse qu'elle soit à votre goût. Mon père aurait sûrement apprécié de la partager avec vous.

Et nota également qu'il serait intéressant qu'elle fasse un inventaire rapide des effets personnels que son père avait laissé derrière lui. Car en vérité, si la chambre du mort avait été nettoyé de font en comble, ses affaires étaient restées au même endroit, rien n'avait bougé...

Heureusement, Raphaël relança la discussion et éloigna l'esprit de la jeune femme de ses funestes pensées. Cependant, et bien que la question fut formulée avec la plus grande diplomatie, Katarina ne put s'empêcher de serrer les dents. Mais elle se ravisa, l'ambiance était agréable, inutile de tout gâcher.

-Rassurez-vous Raphaël, je ne suis pas si seule que vous semblez le croire. Fadette m'aide surtout pour les tâches domestiques. Du côté de l'entreprise, je tiens la boutique et les comptes, me charge du stock et des commandes. Mais en atelier, j'ai deux artisans qui travaillent pour moi. Cela étant, je sais également fabriquer une paire de gants. Mais j'admets humblement que je suis loin d'avoir autant de savoir-faire que Tristan et Arthur. D'ailleurs, je n'hésite pas à leur confier la boutique lorsqu'il m'est impossible de m'en charger. Vous voyez, je n'ai pas réellement de famille. Mais nous sommes tous dans la même galère alors autant ramer de concertfit-elle avec un clin d’œil.

HRP: