[Terminé] Personne n'est infaillible !

Les affaires allaient de moins en moins bien pour le vieux Claudin. La fange avait beau avoir forcé des tas de réfugiés à venir en ville, la fréquentation de son établissement avait beaucoup trop diminué à son goût. C’est qu’à l’époque, à cette heure-ci, on entendait le son des pintes qui s’entrechoquaient, les rires gras des marins et leurs quolibets à la vue du décolleté de l’une des filles. Que ça lui manquait cette époque-là au vieux Claudin. Oh, il n’était pas le plus mal loti, y avait encore des gens qui venaient se payer un peu de bon temps (y en avait bien besoin de passer un peu de bon temps en ces temps-là), mais ce n’était plus pareil. Cette fin de journée par exemple, y avait pas un bruit dans sa taverne ! Les quelques gars qu’étaient là discutaient tranquillement de leurs vies minables, regardant à peine les filles qu’étaient descendues de leurs chambres. Et c’est qu’en plus, ils buvaient modérément ces gars-là. C’était pas aujourd’hui qu’il ferait son plus gros chiffre d’affaires, c’était sûr.

Affairé derrière le comptoir et la mine agacée, il nettoyait chaque verre sans trop d’attention, avec un chiffon qui avait au moins le mérite d’être à peu près propre. De temps en temps, il lançait un regard vers les quelques clients présent, guettant le moindre signe qu’ils reprendraient bien de son vin, mais c’était en vain. Un petit détail cependant le rassura légèrement : l’une des filles était désormais confortablement assise sur les genoux d’un client, et il la voyait susurrer des mots à son oreille qui ne manquaient pas de le faire rougir. Peut-être bien que la soirée qui s’annonçait n’était pas complétement perdue. Tout ce qu’il fallait, c’était les décoincer un peu. Décidé à faire de cette soirée une nuit rentable malgré tout, il apostropha l’une de ses filles :

« Hé ! Fais descendre Gisèle, tu veux ! »

Dans le coin de son champ de vision, il aperçut la porte de sa taverne s’ouvrir pour y laisser passer un milicien, seul. Un seul pauvre milicien, sa petite épée bien accrochée à sa ceinture. Qu’est-ce qu’il lui voulait celui-là ? Il avait pas l’air d’être là pour s’amuser. Le regard froid du nouvel arrivé croisa alors le sien :

« Bonsoir, de l'eau s'il vous plaît. »

Putain c’en était désespérant. Il lui lança un regard mauvais, mais s’abstint de tout commentaire (c’est que c’était un milicien quand même). Il se baissa difficilement, déplaçant quelques bouteilles d’alcool pour en trouver une qui contenait de l’eau. Y avait jamais personne dans sa taverne qui demandait de l’eau, alors bien sûr que ces bouteilles-là elles étaient pas à portée de main. Après plusieurs secondes de recherche, il versa le triste liquide dans l’un des verres qu’il venait de nettoyer et le déposa sur le comptoir. Puis, une bouteille de vin en main, il s’éclipsa en marmonnant dans une pièce voisine.


Gisèle descendit sans aucune hâte l’escalier qui menait au rez-de-chaussée. Eloïse était venue toquer à sa porte lui annoncer que le patron voulait la voir en bas, et le voilà qui était parti se cacher dans la remise. Il était passé à côté d’elle en marmonnant quelques paroles à propos d'un « sale milicien » qui buvait de l’eau et le prenait de haut, et qui ne serait un jour rien d’autre que « de la bouffe à fangeux », paroles qu’elle préféra ne pas relever. Moins elle lui parlait et mieux elle se portait. Le vieux Claudin l’avait tout aussi bien ignoré d’ailleurs, n’accordant qu’un rapide regard à son décolleté bien rempli.

Passant à son tour derrière le comptoir, Gisèle s’affaira à la tâche de serveuse : remplissant une carafe de vin et affichant un sourire lorsqu’elle croisait le regard intéressé d’un client. Elle parcourut la salle de ses yeux marrons et remarqua alors le milicien dont parlait le vieux Claudin, celui qui buvait de l’eau et le prenait de haut. Son regard laissait paraître une certaine curiosité : elle n’avait jamais vu cet homme auparavant et il ne semblait pas être le genre à venir se perdre dans une taverne du coin. Elle s’approcha de lui - carafe de vin toujours en main - avec ce mélange d’assurance et de douceur qui lui était propre. Elle s’arrêta à sa hauteur :

« Tu sais, le vin ici n’est pas aussi mauvais qu’on peut le croire. » dit-elle calmement.

Elle marqua une pause, ses yeux s’arrêtant sur le breuvage du milicien.

« En tout cas il est probablement meilleur que cette eau rance qu’il t’a servie. Vraiment, je ne te conseille pas de boire ça, tu risques d’en être malade. »

D’une traite, le milicien ingurgita le contenu de son verre, ignorant les conseils de Gisèle. La belle ne s’en sentit aucunement vexée ; elle espérait seulement pour lui que son estomac était aussi résistant qu’il semblait le croire.

« Merci pour ta sollicitude, mais j'ai déjà bu pire. Et je ne suis pas enrhumé. »

Ces quelques mots eurent pour effet de la faire rire. Était-ce une tentative d’humour qu’elle venait d’entendre ? Lui qui semblait si droit, si solennel, elle ne s’attendait pas à ce qu’une plaisanterie puisse sortir de sa bouche.

« Et sans offense, quelle drôle d'idée de boire de l'alcool seul. La vérité c'est que je ne bois jamais. Imagine qu'il se passe une situation catastrophique dans les instants qui suivent. A quoi servirai-je ? »

« Ce sont de bien sombres pensées… C’est un lieu de détente, essaie d’en profiter. » lui conseilla-t-elle avec douceur. En tant que milicien, il faisait bien assez pour la ville : lui aussi avait le droit à un moment de repos, à ne pas être constamment sur ses gardes.

« Enfin, j'imagine qu'un fond ne fera pas de mal. A condition que tu m'accompagnes, ce dont je doute fort étant donné que boire pendant le service est... Prohibé. »

A nouveau, elle laissa échapper un petit rire. Il doutait fort qu’elle l’accompagne ? Cela sonnait presque comme un défi pour elle. Il était vrai qu’elle évitait de boire, en particulier pendant le service car elle aimait garder les idées claires (et en vérité, l’alcool et ses sensations ne lui avaient jamais vraiment plu). Cependant, fière comme elle l’était, elle voulait prouver à ce charmant milicien qu’il se trompait.

« Une chance que le patron se soit absenté dans ce cas. » plaisanta-t-elle alors qu’elle sortait un verre de sous le comptoir. Sans même attendre une réponse de sa part, elle versa le vin dans le verre du milicien, puis dans le sien. Toujours silencieuse, elle leva son verre à la santé de son interlocuteur, avant d’en boire une gorgée.

Elle remarqua alors un changement dans la posture du blond, auparavant si rigide, si militaire, il paraissait plus détendu, allant même jusqu’à s’accouder sur le comptoir. Avait-il décidé de prendre en compte son conseil cette fois ?

« Mais au fait, toi. D'où tu viens ? Tu travailles ici depuis longtemps ? Je suis avare de compliment, mais sache que j'ai déjà vu cent fois plus vulgaire que toi. Appelle-moi Hérald. »

Gisèle dissimula difficilement la surprise qui put se lire dans ses yeux l’espace d’un instant. Ces deux questions l’avaient légèrement déstabilisée, et cela pour deux raisons : la première étant que la majorité des hommes qui fréquentaient la taverne ne s’intéressaient absolument pas à son passé, et la seconde étant qu'elles étaient bien trop personnelles. Alors certes, elles avaient quelque chose de tout à fait banal, de tout à fait innocent, mais pour une femme de sa condition, la réponse à ces questions n’était rien d’autre que la révélation d’un échec. Pour elle qui avait cru que cette activité ne serait que temporaire, cela faisait bien trop longtemps qu’elle l’exerçait.

« Enchantée, Hérald. Tu peux m’appeler Gisèle. »

Elle marqua une pause, but une gorgée de vin, puis continua :

« Pour répondre à ta question, je suis née tout près de Marbrume, et je suis venue vivre dans cette taverne alors que je n’étais encore qu’une jeune fille. Je pense pouvoir te dire sans te mentir que j’y ai passé la moitié de ma vie dans cet endroit. »

Son sourire était toujours présent malgré cette triste révélation, mais il avait pris une teinte plus amère. Il paraissait presque forcé. Elle poussa un soupir discret, évitant son regard, avant de boire une autre gorgée.

« Enfin, fit-elle en replongeant ses yeux dans les siens, je suis sûre qu’un milicien aussi charmant que toi as une histoire bien plus intéressante que la mienne. Depuis combien de temps vis-tu à Marbrume ? »

Gisèle haussa un sourcil en réponse à ses premières paroles. Il pensait qu’elle n’en avait qu’après sa bourse ? C’était une bien triste façon de résumer leur échange. Certes il n’avait pas tout à fait tort, sa bourse l’intéressait, mais de là à penser que c’était tout ce qu’il y avait à cette conversation… Elle ne fut cependant aucunement vexée par ces mots et ne chercha pas à les rectifier. Elle restait silencieuse, écoutant l’histoire du milicien avec attention, les yeux plongés dans son regard intimidant.

Il parla rapidement de ses frères d’armes, décimés par la Fange. Gisèle ne dit rien. Que pouvait-elle répondre à ces paroles de toute façon ? Un simple « je suis désolée » n’apporterait rien à l’homme qui avait perdu ses collègues. Et puis, il parla de sa sœur, malade. Une fille de sa condition. Gisèle fut quelque peu troublée par cette révélation. Des prostituées qui avaient fini comme elle, malheureuses et misérables, elle en avait connues. Elle-même craignait le même sort.

Un silence s’installa entre eux, alors qu’il finissait son verre. Gisèle déposa les quelques sous qu’il lui tendit dans une petite boîte en bois, sous le comptoir, avant de reporter son attention sur Hérald. Il fut le premier à briser ce bref silence, l’invitant à passer du « bon temps ». Ayant retrouvé son sourire et son assurance, la brune contourna le comptoir, réduisant la distance entre eux. Elle eut un petit rire lorsqu’il lui parla de son dos douloureux.

« Suis-moi, suggéra-t-elle en posant une main délicate sur le bras du milicien, je m’occuperai de ton dos. » Elle lui adressa un clin d’œil, laissant sous-entendre qu’elle ne s’occuperait pas que de cette partie de son corps.

Abandonnant leurs deux verres et la carafe de vin sur le comptoir, elle mena Hérald à l’étage, jusque dans sa chambre. Ils pénétrèrent ensemble dans la pièce sobrement décorée. Le seul meuble qui avait de l’importance en cet instant était le grand lit en bois, dont les draps bordeaux les invitaient à s’y allonger. Avant de lui proposer cela cependant, Gisèle entreprit de défaire le haut du milicien.

« Je peux t’aider avec ça si tu veux. » proposa-t-elle, ses mains posées sur le vêtement de cuir. Leurs corps étaient maintenant si proche, de même que leurs visages. La différence de taille entre Hérald et Gisèle était devenue évidente : la brune se trouvait dans l’obligation de se dresser sur la pointe des pieds pour ne pas se tordre le cou en le regardant.

Après l’avoir débarrassé de son haut, Gisèle porta son attention sur la ceinture du milicien, où était attachée son épée courte :

« Tu n’as pas besoin de ça ici non plus. » dit-elle avec un sourire charmeur. Son épée n'avait plus sa place ici. Cette chambre était un sanctuaire où l'on s'abandonnait aux pulsions les plus pures, où l'on se laissait gouverner par ses sens. Laisser la raison, la précaution, guider ses mouvements ne ferait que gâcher l'atmosphère qui régnait dans cette pièce.

Hérald déposa son épée au pied du lit, refusant de baisser sa garde même le temps d’une nuit. Gisèle poussa un soupir amusé. Elle s’avouait vaincue, pour cette fois : elle n’arriverait pas à lui faire oublier ses devoirs d’homme d’arme ce soir. Malgré tout, elle comptait bien lui faire apprécier ce moment d’intimité.

« Je te remercie de te préoccuper autant de ma sécurité. » dit-elle sans que son sourire ne la quitte.

Il s’allongea ensuite sur le lit, offrant à Gisèle la vue de son dos musclé ; vue qui ne lui était pas désagréable, il fallait le dire, malgré les quelques cicatrices qui marquaient sa peau blanche. Gisèle s’approcha de lui, tout en versant une partie du contenu d’une petite fiole sur ses mains. Une douce odeur de rose provenant de l’huile délicatement parfumée emplissait progressivement la pièce, tandis qu’elle prit place à son tour sur le lit. Elle souleva légèrement sa jupe, s’asseyant à califourchon sur le dos du milicien, puis entreprit de défaire les tensions qui troublaient ses muscles.

Ses mains expertes parcouraient son dos avec attention et sensualité, dans un rythme lent que ses hanches suivaient subtilement. Elle portait une attention toute particulière à ses épaules, sa nuque, avant de descendre plus bas, entre ses omoplates, puis encore plus bas, s’arrêtant seulement là où son pantalon commençait. Elle répétait ces mouvements plusieurs fois, laissant ses mains suivre une routine qu’elles connaissaient bien. Le silence régnait dans la pièce, seuls quelques rires étouffés provenant du rez-de-chaussée venaient troubler ce calme de temps en temps.

Après plusieurs minutes sans qu’un mot ne soit échangé, Gisèle s’arrêta enfin, car ses doigts engourdis n’étaient plus capables de continuer. Elle s’abaissa doucement, laissant sa poitrine encore vêtue se presser contre le dos nu du blond, effleurant sa nuque de ses lèvres douces. Puis, un sourire joueur vint éclairer son visage tandis qu’elle susurrait ces quelques mots à son oreille :

« Il y a quelque chose d’autre qu’il va falloir retirer si tu veux vraiment pouvoir profiter de tout mon savoir-faire. »

Et, dans un petit rire, elle fit glisser ses mains jusqu’aux hanches du milicien, l’invitant à se retourner pour qu’elle puisse enfin retirer ce pantalon qui la gênait tant.

En quelques mots, elle fut stoppée net dans son élan. Ce n’était pas tous les jours qu’un client refusait une telle offre. C’était d’ailleurs pour cela qu’on la payait. Perplexe face à ce revirement de situation, elle soutenait avec difficulté le regard intense d’Hérald qui semblait pouvoir lire au plus profond de son être. Elle resta muette, écoutant ses paroles avec intérêt. C’était assez rare que l’on s’inquiète de sa vertu à elle, une prostituée. Souiller son corps, insulter son âme, ces mots avaient perdus de leur sens en ce qui la concernait. Cela faisait bien trop longtemps que son corps avait été souillé, son âme insultée. L’espace d’un instant, elle se sentit honteuse, comme si devant elle se tenait un prêtre qui lui donnait une leçon sur la morale. Elle n’en laissa pourtant rien paraître, tentant de dissimuler chacune de ses émotions face à ce regard trop insistant.

« C’est ton tour »

Elle releva un sourcil, amusée par ce changement de ton qui ne lui donnait pas vraiment le choix. Elle laissa le milicien prendre contrôle. Ses mains pâles, qui contrastaient joliment avec le teint hâlé de la brune, vinrent caresser sa peau, défaisant lentement chaque lacet de son haut. Une couleur rosée teinta les joues de la brune tandis que le haut de sa robe se détachait, offrant au milicien la vue de sa poitrine généreuse et de son ventre ferme. Le reste de son vêtement suivi bientôt, et Gisèle se trouva enfin nue face à son invité, couvrant son sexe à l’aide de ses cuisses, prise d’une modestie surprenante pour une femme de son genre. Elle se laissa faire lorsqu’il l’invita à s’allonger sur le ventre, lui exposant pour la première fois son dos et son fessier.

Elle fut surprise par l’habileté avec laquelle il la massait. Il n’avait pas menti lorsqu’il lui avait promis faire preuve de toute la douceur dont un homme est capable. A son tour, elle se laissa bercer par ce rythme, sentant ses muscles se détendre un peu plus à chaque passage. Elle qui avait pris l’habitude de donner, elle avait oublié à quel point recevoir pouvait être agréable. Il ne fallait pas qu’elle y prenne goût cependant ; rares étaient les hommes aussi généreux.

« Ne te méprends pas... Je sais que l'homme a des instincts mammifères, mais vois-tu... Je suis davantage reptilien. Je... Je crois que je suis amoureux de Rikni. »

Elle avait senti l’hésitation dans sa voix à l’annonce de cette révélation. Avait-il peur qu’elle se moque de lui ? Si c’était le cas, il se trompait. Elle avait remarqué la fresque de Rikni qui ornait son vêtement au moment où elle le lui ôtait, si bien que cet aveu ne la surprit pas. Elle se contenta de réfléchir sur ce mot, « amoureux ». Pouvait-on vraiment comparer l’amour que l’on porte à une déesse au sentiment amoureux ? Ne porte-t-on pas plutôt de l’admiration pour une déesse, et non pas de l’amour ? Il semblerait que, dans ce cas, la réponse fût non. Cette hésitation qui ponctuait sa phrase, c’était celle qui accompagnait le sentiment amoureux. Un homme de foi, qui dit aimer une déesse, le proclame avec fermeté, sans aucune incertitude. Mais cela ne pouvait se comparer au sentiment amoureux, celui qu’Hérald semblait éprouver pour Rikni.

« Penses-tu que Rikni t’aime autant que tu l’aimes ? »

Il n’y avait aucune moquerie dans sa voix, elle avait prononcé ces mots avec douceur, sans se retourner. Derrière cette question ne se cachait rien de plus qu’une curiosité innocente.

« Après tout, si nous sommes dévoués à la Trinité, qu'y a-t-il d'incohérent ? »

Elle lui aurait bien répondu que la Fange n’avait pas tellement de sens à ses yeux, mais qui était-elle pour remettre en question les plans des dieux ? Elle n’était pas assez savante pour comprendre les desseins de la Trinité, alors elle ne dit rien, laissant le sujet en suspens. Elle se contenta d’hausser vaguement les épaules, incertaine. Il avait probablement raison, toute chose devait sûrement trouver son sens lorsque l’on se tournait vers les dieux, mais pour quelqu’un comme elle, qui n’avait jamais reçu la moindre éducation, le monde entier n’était qu’incohérence.

Hérald décida de se mettre nu à son tour. Un sourire se dessina sur le visage de Gisèle, contente de le sentir plus en confiance. Malgré sa curiosité, elle choisit de ne pas se retourner, de respecter une certaine pudeur alors qu’il ôtait son pantalon. Il reprit place sur sa croupe et s’empara de ses poignets avec délicatesse. Quoiqu’un peu perplexe, Gisèle se laissa faire alors qu’il redressait son corps d’une façon qui lui était assez inhabituelle. Qu’essayait-il de faire exactement ? Des pratiques étranges, elle en connaissait (cela faisait plus de dix ans qu’elle travaillait ici après tout), mais cette position, c’était une première. Elle ne comprenait pas vraiment le but de l’opération, jusqu’à ce qu’elle entende ses vertèbres craquer. Ce son était étonnamment satisfaisant et la sensation plutôt agréable, contrairement à ce qu’elle avait pu penser. Un soupir détendu lui échappa lorsqu’elle sentit le corps du milicien se presser contre le sien, au point de sentir sa respiration lui chatouiller la nuque.

« Ça fait du bien, merci. » murmura-t-elle avec tendresse, désormais allongée sur le côté, son dos blotti contre le torse du milicien. Elle se sentait à l’aise, sereine. Il n’y avait rien de plus agréable. Elle se laissa bercer par ses caresses, fermant les yeux pour mieux les apprécier.

« A mon tour de te poser une question. Je ne suis sans doute pas un client comme les autres, mais j'aimerais que tu me répondes franchement. Apprécies-tu ma compagnie ? »

Les yeux toujours clos, elle ne réagit pas immédiatement à cette question, se contentant de sourire et de profiter encore un peu des sensations que lui procuraient son contact. Puis, sans quitter cette position qui lui plaisait tant, elle lui répondit enfin :

« J’apprécie la compagnie de tous mes clients. Certains plus que d’autres je dois l’avouer. Mais crois-moi, après ce massage, tu fais partie de ceux que je préfère. »

Elle avait prononcé ces mots sur un ton amusé, mais elle était sincère. Les clients qui s’attardaient sur son plaisir à elle, il n’y en avait pas énormément, alors elle prenait soin de toujours chérir ces rares moments de tendresse. Gisèle attendit un court instant avant de se retourner, lui faisant désormais face, puis déposa un timide baiser sur les lèvres du milicien ; sa façon à elle de le remercier. Elle ne tenta cependant rien d’autre, respectant sa décision de ne pas coucher avec elle.

Une simple caresse en réponse à ce baiser ; Gisèle ne s’était pas attendu à plus, mais elle ne pouvait s’empêcher de ressentir une pointe de déception devant l’expression impassible d’Hérald. Il restait un mystère pour elle : incapable de se laisser guider par ses émotions, il devait être en lutte perpétuelle contre ses instincts les plus primaires. Ne jamais pouvoir se laisser aller, ne jamais oser montrer le moindre signe de faiblesse, cela avait l’air exténuant. Elle posa brièvement une main chaleureuse sur la sienne, la serrant affectueusement, tandis qu’il déclarait devoir s’en aller. Elle acquiesça, compréhensive. Il quitta la couche, puis se rhabilla tout en évitant soigneusement son regard. Craignait-il qu’elle ne lui saute dessus à la vue de son sexe en érection ? Ou était-ce l’inverse ? Avait-il peur de ne plus pouvoir se maîtriser s’il restait ici trop longtemps ? Hérald était un homme difficile à lire, différent des autres clients qui savaient très bien ce pourquoi ils venaient. Ce moment en sa compagnie avait été plus qu’agréable, mais lui laissa un sentiment d’inaccompli. Peut-être était-ce parce qu’il s’enfuyait au moment même où son désir se faisait apparent ?

Le dos appuyé contre la tête de lit, toujours nue, elle observait le milicien avec tendresse, contrastant avec le regard froid que celui-ci avait retrouvé en saisissant son épée. En un instant, il avait retrouvé toute sa contenance, soutenant à nouveau le regard de la prostituée qui se leva à son tour. Elle s’approcha du milicien et posa une main affectueuse sur sa joue, s’attardant quelques secondes avant de lui répondre :

« Tu es le bienvenu dans cette chambre, n’hésites pas à revenir. »

Et c’est avec un léger sourire qu’elle rompit ce contact, ne le retenant pas plus longtemps. Ses joues rosirent faiblement lorsqu’il lui adressa une courbette avant de quitter la pièce. Elle ne pensait pas mériter une telle galanterie, elle qui n’était qu’une prostituée, mais en fut particulièrement touchée.

Se détournant de la porte désormais close, elle se rhabilla sans aucune réelle motivation. Il était encore tôt et cela voulait dire qu’elle allait devoir retourner travailler pour des hommes bien moins charmants que le milicien.

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