Petites courses pour le temple [ Pv Otto]

La prêtresse aimait profiter du temps printanier pour aller faire quelques emplettes pour le temple et en même temps pour elle même, après tout il fallait savoir se faire plaisir.. Clarisse, l'avait envoyée dans le quartier populaire, à la Hanse plus précisément chercher quelques petits pains, et quelques délices pour le prêche qui avait lieu ce soir même.. Blanche avait tout de même quartier libre et pouvait se promener jusqu'à vingt heure... Arrivant devant la boulangerie de son boulanger préféré, la jeune rousse entra, on pouvait entendre un tintement léger au moment où elle poussa délicatement la porte..

L'étalage lui mettait l'eau à la bouche, c'était bien évidemment le meilleure boulanger de Marbrume, la jeune femme patienta derrière une petite fille qui venait de prendre un pain spécial, Blanche lui sourit amicalement avant de saluer le boulanger, et de réfléchir encore à sa commande

-Bonjour, Hmm mettez moi quelques pains aux céréales, et quelques petits délices que vous savez tant faire..

L'artisan la servit et une fois payé, retourna dans ses fourneaux, il était temps pour la jeune rouquine de faire un tour par le boucher, il lui fallait un bon morceau de gibier, pour le dîner de ce soir, Clarisse le lui avait demandé, Blanche leva les yeux au ciel, ce qu'elle pouvait être exigente cette femme, elle qui l'avait éduquée comme sa propre fille.. Passant non loin d'une confiserie, la rouquine s'acheta tout de même un truc à grignoter sur le chemin, et alla chez le boucher réputé, prenant son gibier, elle se mit à marcher dans les ruelles du quartier bordant le quartier du temple...

Elle avait encore du temps devant elle, la jeune femme s'arrêta non loin d'une fontaine et trempa ses doigts dans l'eau limpide et se désaltéra un peu avant de poser son lourd panier à ses pieds, et observer les alentours, les gens bavarder les gens joyeux, c'était tellement bon de profiter d'un peu de soleil, après cet hiver rude...

Cela faisait presque une heure qu’Otto discutait avec le boucher, préparant le terrain pour le marchandage à venir. Ils en avaient presque fini avec les commodités habituelles : après avoir parlé du temps, des miliciens bon à rien, des dernières rumeurs–qu’Otto ne suivait pas- et de famille –qu’Otto n’avait pas-, ils en venaient finalement à l’état des affaires. Bien que ne rendant visite à cet artisan qu’en de très rares occasions, le tanneur savait exactement comment se portait le commerce de son interlocuteur… Aussi renommé soit-il, l’homme rachetait souvent des pièces de viande sous le manteau, auprès de son fils adoptif et tout contrebandier qui se respecte sait qu'il ne faut jamais mêler les affaires. Et quand bien même le réseau n’aurait pas existé, ce boucher avait la vilaine habitude de charcuter les peaux en découpant les viandes.

" T’viens voir les bêtes? "

" Ouaip, pis j’dois encore aller voir l’aut’ après ; parait qu’lui ont ramené un beau quartanier. "

Otto repartit avec son ballot de peaux encore sanguinolentes, satisfait de la transaction. Son flair, qui était plus de l’expérience que de l’odorat à proprement parler, lui avait permis de reconnaître quelques peaux de chien dans l’atelier. Là où ses confrères auraient simplement haussé des épaules, avec un regard entendu, l’artisan avait préféré lui proposé la dépouille d’un mouton pour un prix dérisoire. L’image auprès de la clientèle, ça faisait bien longtemps que sa profession l’en avait dispensé pensa-t-il, esquissant un sourire sous son masque rogneux.

Avant de se rendre à la boucherie suivante, il décida de se rendre au temple, remercier Serus pour l’affaire qu’il venait de conclure –et avec un peu de ferveur, peut-être faire pencher en sa faveur la suivante-. En entrant dans la rue qui jouxtait le quartier religieux, son attention fut immédiatement attirée par le foulard orangé qui se libérait du cou délicat autour duquel il était noué. La demoiselle, de taille moyenne, arborait une magnifique chevelure rousse qui retombait en cascade sur ses épaules. Définitivement trop jeune pour lui, Otto s’apprêtait à laisser à un autre l’opportunité de l’approcher quand un autre détail titilla son esprit : il avait reconnu la robe simple des membres du clergé. Sa matière grise fonctionna à -ce qui était pour lui- toute allure, et d’un soupir las, le tanneur se pencha pour rattraper le tissu coloré juste avant qu’il ne touche le sol. En retournant le foulard à sa propriétaire, Otto ne manquerait pas de lui demander d’adresser une petite offrande à Serus pour lui, économisant ainsi un temps précieux aux peaux que le soleil n’épargnait pas.

Otto s’apprêtait à l’interpeler de sa voix grasse lorsque la jeune femme s’arrêta à la fontaine qui marquait la pointe du quartier du Temple. Il profita du fait qu’elle se désaltérait pour se rapprocher tranquillement, ménageant ses vieilles jambes qui avaient encore un bien long trajet à parcourir avant la fin de la journée. Et alors qu’il tendait le morceau de tissu devant lui, à quelques mètres à peine du point d’eau, un des fils qui retenaient les peaux ensemble céda:

" Merdeeeeee "

La rouquine profitait de chaque instant que le soleil pouvait lui offrir, il était très rare de pouvoir se promener hors du quartier du temple, c'est pourquoi lorsqu'elle en avait l'occasion, elle ne se faisait pas prier, et sortait sur le champs quelque soit la corvée, des courses ou même rencontrer des gens du quartier et leur parler... Blanche était une femme ouverte d'esprit, et très à l'écoute, chose qui était beaucoup demandé au sein du temple, écouter les autres sans jamais se plaindre ; telle était sa mission parmi les gens de foi... Servir et toujours être là pour les gens, écouter leur pêchés même les plus sordides et tenter de les guider dans la voie de la trinité, sans pour autant les brusquer...

Cela faisait maintenant plusieurs minutes qu'elle était assise à contempler les gens, certains se pavanaient au bras de leur conquêtes, d’autres marchaient rapidement sûrement pressés dans leur vie, et d'autres comme elle prenaient le temps de vivre, ne serait-ce qu'une demi heure.. Tout d'un coup, elle se sentit plus légère que lorsqu'elle marchait, quelque chose manquait mais impossible de savoir quoi... Ses sacs ? Non ils étaient là, posés à ses pieds, et en relevant la tête, elle remarqua un vieille homme portant son foulard orangé, et comprit qu'il venait de lui tomber du cou. Bon il était vrai qu'elle l'avait mal noué en sortant, un seul geste et il pouvait facilement se retirer, et tomber... Souriant amicalement, la jeune femme s'avança vers lui...

Avant même de pouvoir arriver à sa hauteur, ce qu'il portait à la main, c'est à dire diverses peaux accrochées à des fils, se déversa par terre. Blanche accourut vers la personne âgée, et commença à ramasser les peaux avant de lui tendre et reprendre son foulard qu'elle remit autour de son cou délicat..

-Merci beaucoup

Elle tenta de rafistoler le fil qui avait craqué, et se dit que peut être ça allait tenir ainsi, jusqu'à ce qu'il arrive chez lui, tout dépendait d'où il habitait... S'il habitait le quartier elle pouvait naturellement l'accompagner mais au delà de Bourg Levant, elle ne pouvait s'y aventurer, car elle avait un horaire à respecter, et ce soir était un grand soir pour le temple, des prières en l'honneur de la trinité y étaient menées, elle ne pouvait manquer ça..

-Je peux vous accompagner chez vous si vous habitez non loin d'ici, Je m'appelle Blanche, je suis prêtresse d'Anur

Otto resta planté au milieu des peaux éparpillées par terre, maudissant le boucher qui s’était occupé de ficeler le paquet. Ça lui apprendra de changer ses habitudes ; quelle idée aussi d’aller voir cet incapable, pas foutu faire trois nœuds, qu’est ce que ces clients pouvaient bien trouver à ce fot-en-cul...
Trop occupé à traiter intérieurement l’artisan de tous les noms, il ne vit pas la jeune femme qui avait déjà ramassé presque toutes les peaux tandis qu’il se penchait pour attraper celle à ses pieds. En se redressant, il eut à peine le temps d’admirer son visage bienfaisant qu’elle avait déjà renoué le tissu autour de son cou et s’affairait à reformer le ballot de peaux.

" Merci beaucoup "

Il aurait été approprié de dire qu’elle lui avait ôté les mots de la bouche mais le vieux tanneur était complètement dépassé par les évènements ; le temps d’un juron, la prêtresse avait accouru, repris son foulard et rafistolé son paquet. Captivé par le sourire rayonnant et la bonne humeur –naïve- de la personne qui lui faisait face, la matière grise d’Otto peinait encore à rattraper son retard sur la réalité et celle-ci reprit un peu d’avance :

" Je peux vous accompagner chez vous si vous habitez non loin d'ici, Je m'appelle Blanche, je suis prêtresse d'Anur. "

L’accompagner chez lui, un prénom et le nom de la déesse. C’était trois informations que son pauvre esprit retournait dans tous les sens comme pour percevoir leur signification véritable, en vain. Otto laissa un grognement mâché s’échapper de son visage bougon -sa façon à lui de reprendre le contrôle de ses pensées- avant de répondre, de la voix la plus douce qu'il put :

" Vous êtes bin trop aimable, j’me rendais au Temple quand j’ai vu vot’ foulard tomber. J’voulais pas le laisser s'gâter, ct’un beau morceau de tissu qu’vous avez là. "

Il s’interrompit, plissa les yeux pour vérifier la position du soleil, passa une main dans sa barbe : d’une part, aussi bourru soit-il, il ne se voyait plus lui demander d’adresser une prière à Serus pour lui. De l’autre, il ne voulait vraiment pas laisser les peaux se gâter à cause la chaleur. Il humecta ses lèvres épaisses avant de reprendre:

" Si vous allez au Temple, j’ferai bin volontiers le ch’min en vot’ compagnie. Sinon, v’faites pas de chagrin pour ma vieille peau. "

Le tanneur fit glisser le ballot sous son bras pour l’y coincer ; se plier tous les cents mètres ne manquerait pas d’éveiller des vilaines douleurs dans son dos, qu’il préférait ménager. C’est en relevant la tête vers la jeune femme qu’il réalisa qu’il avait omis quelque chose et ajouta :

" J’failli oublier de m’présenter : on m’nomme Otto "

La jeune rousse avait ce regard attendri lorsqu'elle dévisageait ce vieil homme, il avait l'air tellement gentil, et tellement bon, qu'elle fut elle même ravie d'avoir parler avec une personne de cet âge, aujourd'hui.. C'était rare de rencontrer des personnes aussi âgées que lui, car la plupart du temps on mourait jeune ici, que ce soit à la milice ou même de maladie.. Avoir donc un homme de cet âge à Marbrume était un sacré héritage à ne pas négliger, il pouvait parler de l'ancien temps, comment les gens vivaient, et comment c'était bien avant...

-Merci Monsieur, je vous en remercie, sans vous je l'aurai sûrement perdu ce foulard

Ainsi il voulait se rendre également au temple, c'était une très belle chose de sa part surtout qu'à son âge, avec sa démarche hésitante et ses genoux noueux cela était beaucoup plus difficile qu'à vingt printemps, c'était pourquoi son action était beaucoup plus remarquable que venant d'une personne ordinaire.. Lui souriant chaleureusement la jeune rousse était émerveillée de pouvoir faire la route en sa compagnie.

-Vous allez prier la trinité, cher monsieur, c'est très bien de se souvenir des dieux en ce moment, surtout avec la Frange

Puis le vieillard déclina ainsi son identité, il s'appelait donc Otto, c'était un prénom singulier et à la fois original, car la jeune prêtresse n'avait jamais entendu ce nom auparavant... Puis se remettant elle même en chemin en direction du temple se déclina à son tour

-Blanche

Puis tout en continuant sa route, la jeune femme salua quelques passants de la main, ou de la tête, elle était assez connue, pour être une prêtresse d'Anur, la rouquine avait aussi d'autres réputations mais bon là ce n'étais pas trop le moment d'étaler ce côté frivole de sa vie...

Le ton que la jeune femme utilisait pour s’adresser à lui le déconcertait : il était emprunt d’un respect si profond qu’il avait l’impression qu’elle le percevait comme une relique sacrée, vestige inestimable d’une époque révolue. On lui avait parlé de bien des manières et là, il s’agissait d’une première inédite. Comme pour se rassurer de l’état mental de la prêtresse, il la dévisagea de ses petits yeux scrutateurs. Et de son visage juvénile se démarquaient deux prunelles claires, brûlante de ce qu’il percevait comme de l’admiration. Déboussolé par cette considération inhabituelle, Otto ne put s’empêcher de marmonner dans sa barbe :

" Crédiou, la p’tite doit m’confondre. "

Comme elle prenait la direction du temple, le tanneur lui emboita le pas, encore confus. Le vieillard tentait tant bien que mal de comprendre la cause de l’attitude de la jeune femme à son égard. Il ne lui semblait pas que l’enseignement de la trinité exigeait un tel comportement vis-à-vis des personnes âgées ? Sa mère ne le lui avait pas inculqué de cette manière. À moins qu’il ne s’agisse de reconnaissance pour lui avoir rapporté le foulard ? Quand bien même, cela restait bien excessif… Plongé dans ses réflexions, Otto perçut vaguement le mot qu’elle lui adressa ; il lui semblait avoir entendu blanche mais seul, cet adjectif n’avait aucun sens… Puis il eut l’illumination : c’était son nom ! Elle le lui avait déjà donné plus tôt, en même temps que sa profession et voici qu’elle le lui répétait. Cet élément lui permit de mettre fin à tout le remue-ménage qui agitait sa cervelle : elle le voyait sans doute comme un vieillard sénile qui remerciait profusément les Dieux pour la longévité qu’ils avaient bien voulu lui accorder, bienveillant et priant pour la nouvelle Génération à qui il incombe de libérer le pays de la terrible Fange... Cette représentation de lui-même le fit pouffer intérieurement.
Le mystère étant élucidé, il reporta toute son attention sur la prêtresse qui l’accompagnait : chaleureuse et charmante, elle saluait chaque personne qu’ils croisaient, toujours avec un sourire resplendissant. Et ils lui répondaient tous, visiblement ravi de lui rendre son salut. Une émotion inhabituelle vint titiller l’esprit du grincheux solitaire qu’il était : de la curiosité, déplacée. Amusé, il décida de ne pas se priver : après tout, on pardonnait tout aux mâles gâteux.

" Z’avez grandis au Temple ? C’que j’veux dire, c’est c’ment une belle jeune femme com’ vous en arriv’ à embrasser les ordr’ ? " fit-il, d’une voix qui se voulait innocente.

L’entendant marmonner quelque chose, Blanche se tourna vers le vieillard, cependant il ne prêta pas attention à son interrogation, il ne devait sûrement pas s'adresser à elle, surtout à cet âge là on perdait souvent la tête, c'est pourquoi la prêtresse reposa son regard au loin... Un sourire sur son visage, la prêtresse savait que par moment les vieilles personnes aimaient se parler à elle même, elle en rencontrait tellement dans le temple, qui venaient parfois lui raconter leur vie de leur enfance jusqu'à leur vieillesse, c'était parfois long, mais en même temps très instructif... Surtout quand on avait que dix neuf ans...

Marchant à sa hauteur, Blanche se rendit compte de sa lenteur, il alignait deux pas en plus de temps qu'il ne fallait qu'à la prêtresse, après tout plus on prenait de l'âge et plus la marche devait difficile voir même pénible, c'était les aléas de la vie, et on ne pouvait y échapper, même si plus jeune nous étions le plus fort et le plus endurant des hommes, c'était ainsi, même elle allait sûrement y passer si sa destinée n'était pas entremêlée par une mort soudaine, de maladie ou même de meurtre.. Après tout, Anur n'avait pas les âmes de chaque personne en captivité ? N'était ce pas elle qui choisissait chaque jour quel citadins, paroissiens, noble ou même banni allait la rejoindre ? C'était pour ça que la rouquine n'en faisait aucun drame, tout le monde avait sa destinée..

Le vieil homme aspira à connaître son passé, son histoire, comment cela se faisait-il qu'elle était parmi les gens de la trinité .. Un sourire se dessina sur les lèvres de la jeune femme et tout en marchant, elle se remémora ainsi sa petite vie, comment était elle arrivé ici et comment Clarisse avait su l'éduquer, et la prendre comme s'il s'agissait de sa propre fille.. Elle y rencontra notamment des filles, notamment une Margot avec qui elles devinrent insérables depuis quelques années... Pour elle c'était une chance d'avoir atterri au temple, comme si Anür avait guidé ses pas, comme si la déesse avait toujours veillé sur elle, comme une mère veillerait sur son enfant... C'était ainsi pourquoi elle en était une fervente croyante, même si par moment ses offrandes allaient à Serus et Rikni parfois, car ils faisaient également partis de la trinité..

-Vous savez je ne sais pas quand je suis née.. Selon la grande prêtresse j'aurai été déposée en mars 1146 devant la porte du temple, et depuis j'ai grandi la bas, je me sens beaucoup plus proche d'Anür car elle a toujours veillé sur moi... Si le temple ne m'avait pas accueillie, que sais-je peut être serais-je morte à cette heure ci, et je ne serais pas en train de vous parler...

C'était vrai, elle s'imaginait un instant, si ses parents ne l'avaient pas déposée devant le temple mais sur la place du marché, que serait elle devenue ? Peut être une prostituée, une mendiante, ou même une mercenaire...

Otto jura intérieurement : une putain de rocaille qui s’était glissé dans sa poulaine gauche. Il scruta rapidement les alentours, à la recherche de quelque chose sur lequel s’asseoir ou contre lequel s’appuyer mais la rue dans laquelle ils se trouvaient n’avait rien d’approprié à proposer. Hors de question de se reposer sur la jeune femme, il aurait vite fait de l’écraser sous sa masse. Et il refusait catégoriquement l’éventualité qu’elle glisse la main dans sa chaussure pour retirer le caillou elle-même. La pauvre, elle aurait sous doute tourné de l’œil rien qu’à l’odeur... Il prit donc son mal en patience, marchant à une allure bien plus lente qu’il ne l’aurait voulu –et put-. À sa gauche, la prêtresse était plongée dans ses pensées, nostalgiques comme semblait l’indiquer les petites étoiles qui dansaient dans ses yeux délicats. En attendant la réponse qui se faisait désirer, le tanneur se permit de contempler les beaux cheveux roux de la femme. La crinière rousse capturait le regard et l’hypnotisait de ses boucles délicates et ses reflets chatoyants. Une trentaine d’année plus tôt, il lui aurait susurré quelques mots charmeurs à l’oreille et offert une petite babiole, ce qui aurait sans doute suffit pour obtenir les faveurs de l’innocente jeune femme…

Elle l’extirpa de ses rêveries en lui expliquant brièvement son abandon et son adoption par le Clergé alors qu’elle n’était encore qu’un nourrisson. Il avait donc vu juste, seule une éducation entre les murs du Temple pouvait expliquer la générosité de la jeune femme qu’il ne pouvait s’empêcher de penser bien naïve.

" Peut-être serais-je morte à cette heure, et pas ici en train de vous parler… "

Des pensées bien réalistes pour une demoiselle de cet âge pensa Otto, prit une fois de plus au dépourvu par la prêtresse. Si beaucoup plaisantait à dire qu’Anür avait préféré oublier son âme à cause de l’odeur qui l’imprégnait, c’était sans doute son humeur bougonne qui tenait en respect les pensées morbides. La bibine et les putes aidaient pas mal aussi, embuant et distrayant l’esprit, puis le boulot, qui le forçait à planifier ses semaines. Le caillou qui s’enfonça dans le gros orteil lui arracha une grimace, imperceptible sur son visage usé par le temps. Il se racla la gorge, délogeant un vilain glaire qu’il cracha sur la chaussé avant de déclarer :

" Elle continuera d’veiller sur vous, v’lui rendez bien. Z’êtes une bonne fille. "

Le temple allait bientôt être en vue et avec lui, la fin de cette rencontre incongrue. Otto s’entendit raconter :

" Moi aussi j’ai un fils. ‘Fin adopté. Y ’tait g’lé et ‘ffamé le ptiot, d’venu un beau gaillard. J’prie Serus pour qu’y ait bonne chasse m’tenant, c’tout c’que j’peux faire. Pis qu’les Fangeux l’épargnent aussi ! "

Un compliment venant d'un vieux monsieur était toujours bon à entendre, certes la jeune rouquine n'avait jamais connu ses grands parents, car d'une part elle n'avait jamais connu les siens, et d'autre part les seules vieilles personnes qu'elle côtoyait, étaient des croyants, pour la majorité d'entre eux la sénilité les avait rattrapée... Certes Anur veillait sur elle, toujours et encore, elle était toujours debout..

Blanche crut comprendre qu'Otto lui même avait adopté un garçon à l'époque dans le besoin, qui maintenant était devenu un beau jeune homme, sûrement grâce à l'amour que l'homme lui avait apporté, comme quoi parfois même loin de ses propres parents, un enfant pouvait continuer à s'épanouir et vivre, du moment que quelqu’un lui donnait un amour assez fort, assez sincère pour l'aider ainsi à combattre les aléas de la vie, comme agissait Clarisse sur Blanche...

-Oui moi aussi Clarisse, une prêtresse d'une quarantaine d'années m'a aimé comme une mère, c'est elle qui m'a tout donné, par Anür, votre fils a de la chance d'avoir quelqu’un comme vous qui l'a comblé en amour..

Devait on parler de Clarisse ? Cette femme au fort caractère, que Blanche connut en premier, c'était bien elle qui l'avait accueillie, nourrit, habillée, la rouquine lui devait tout... Lorsqu'elle était triste plus jeune, c'était elle qui lui remontait le moral avec des petites histoires, en la sortant s'amuser avec des enfants de son âge, même si Blanche petite n'avait pas beaucoup d'ami, du à sa couleur de cheveux, bon nombres de fois Clarisse l'avait vu larmoyante, car son surnom était devenu à force de côtoyer des petits enfants, la sorcière.. Oui, oui la sorcière, car elle était rousse, et dans les croyances arrêtées de l'époque, une rouquine était forcément une malédiction, un enfant envoyé par les démons et non pas par les dieux.. Une seule amie lui ouvrit les bras tandis que d'autres lui tournèrent le dos, ce fut Margot, et depuis qu'elle arriva au temple, une amitié les unit et jusqu'au aujourd'hui, elles devinrent inséparables...

Puis l'homme lui parla de Serus, ce Dieu cornu, qui symbolisait fécondité et la chasse, était souvent prié au temple, par des couples souffrant d'infertilité, laissant parfois des offrandes, et d'autres venaient au contraire déposer des offrandes pour remercier cette divinité de leur avoir accordé une descendance, en bonne santé et bien dodue... Même si la rouquine le priait par moment, elle n'en ressentait pas encore le besoin de se rapprocher de lui, elle qui était le plus proche d'Anür, n'avait pour le moment aucun besoin de déposer des offrandes au Dieu..

- Serus saura protéger votre fils, Puisse la trinité protéger votre enfant,.. Qu'Anür ne prenne son âme que lorsqu'elle en aura décidé

Comblé ? Un peu qu’il l’avait comblé, même si ça avait été plus de roustes que de câlins. Mais à chacun sa façon d’aimer comme on disait, et personne ne s’attendait à autre chose de la part de la Chicane. Il était même plutôt satisfait de l’éducation qu’il avait prodiguée à Sidhi, qui n’avait rien d’un enfant facile. Il aurait bien voulu les y voir, tous ceux qui avaient jasé sur l’évolution soudaine de la situation du tanneur, passant d’ivrogne bagarreur à père célibataire d’un enfant de rue. Il ne comptait plus les fois où il avait pu sentir des regards désapprobateurs peser sur ses épaules et surprit des vilaines rumeurs. Certains prétendaient qu’il s’agissait de l’enfant qu’une putain aurait eu de lui, d’autre que le tanneur l’avait recueilli pour le forcer à faire la manche. Au début, Otto avait essayé de comprendre la cause de ces comportements hostiles : certes il n’était pas le citoyen modèle, ni le voisin idéal mais il était loin d’avoir commis le moindre crime, si ce n’était contre l’odorat des sensibles gens…

"Serus saura protéger votre fils, Puisse la Trinité protéger votre enfant... Qu'Anür ne prenne son âme que lorsqu'elle en aura décidé. "

Le tanneur accueillit cette bénédiction d’un hochement de la tête reconnaissant. La prêtresse lui paraissait si pieuse et bien intentionné qu’il en eut un pincement au cœur. En ces temps de crise, même les membres du Clergé n’étaient plus à l’abri des maux qui s’abattaient sur Marbrume. Et la chute risquait d’être bien rude pour la jeune femme, d’autant plus exposé de par son sexe et sa beauté. Son fils lui avait d’ailleurs parlé de rumeurs concernant un trafic d’être humain dont l’apparition semblait avoir entrainé de nombreuses disparitions, une sorte de prostitution à coup unique. Malgré le soleil rayonnant, il frissonna en imaginant les cauchemars dans lesquelles la marchandise devait être plongée.

Ils arrivaient en vue du temple. L’imposant édifice de pierre dominait tous les bâtiments environnant, les reléguant au rang de masure piteuse. Sans être du côté de l’entrée principale, ils pouvaient observer un bon nombre de personnes s’activer dans le quartier. Otto leva la tête pour admirer les immenses vitraux, dont les couleurs étaient magnifiées par le soleil. La finesse et la taille des pièces le laissaient bouche bé à chaque fois qu’il les contemplait, il le comprenait tout simplement pas de quelle façon des mains humaines avaient pu confectionner un tel chef d’œuvre. Il s’extirpa de son observation et se retourna vers la prêtresse, une question lui brûlant la langue :

" J’peux vous d’mander pourquoi vous vénérez Anür ? Clarisse vous y a forcé ? "

Il regretta d’avoir prononcé ce dernier mot, que la femme ne manquerait pas de dénoncer. Elle semblait très attachée à la vieille prêtresse qui l’avait éduqué et sans doute avait-elle été influencée, sans s’en rendre compte, par l’affinité de celle qu’elle considérait comme une mère. À moins qu’elle n’ait ses propres raisons…

Après quelques minutes de marches, ils arrivèrent au temple, cet édifice se dressait fièrement dans l'allée du temple, donnant une impression de domination.. Lorsqu'ils pénétrèrent par la porte principale, la jeune femme retrouva ainsi ses repères, les bancs occupés pour la plupart venaient rendre cet atmosphère beaucoup plus chaleureux, même si les colonnes rajoutaient un charme qui était propre au temple de la trinité.

Le vieil homme la questionna sur Anür, si elle même avait choisi de servir en particulier la déesses de la mort ou si Clarisse l'y avait forcée.. Une question qui la fit sourire, c'était une question que les gens lui posaient souvent, interloqués de voir une jeune fille comme pleine d'énergie adorer la déesse de la mort.. Pourquoi Anür ? Pour commencer Clarisse n'y était pour rien, Blanche était assez grande pour décider de son chemin, la seule chose qui la poussa a adorer cette déesses, était tout simplement la chance inouïe d'être toujours en vie, alors qu'à quelques jours seulement elle fut abandonnée devant le temple, si personne ne l'avait pris ? Peut être aujourd'hui Blanche ne serait plus là pour en parler..

-Non ce n'est pas Clarisse, c'est ce que j'ai vécu qui m'a rapproché d'Anür rien de plus

Faisant un signe à Otto, Blanche lui fit comprendre qu'elle n'allait pas tarder, elle devait aller déposer ces victuailles à l'étage, pour le festin de ce soir... Après quelques minutes, la jeune rousse revint vers le vieillard, tout aussi souriante

Le tanneur observait la jeune prêtresse ; elle ne lui tint pas rigueur de l’impertinence de sa question et accueillit avec un sourire. À sa grande surprise, elle ne parut pas prendre le temps de réfléchir et lui répondit presque immédiatement, comme si elle avait déjà longuement réfléchi à sa croyance :

« Non ce n'est pas Clarisse, c'est ce que j'ai vécu qui m'a rapproché d'Anür rien de plus »

Même si elle semblait sincère, Otto n’était pas convaincu par la réponse de la jeune femme ; il la trouvait trop superficielle à son goût, un peu facile. Il s’apprêtait à lui demander si elle voulait bien l’accompagner à l’autel de Serus mais d’un signe de la main, Blanche lui indiqua qu’elle devait se séparer de lui pour déposer son panier et s’éloigna d’une démarche élégante. Après avoir lorgné le soleil, le vieillard remarqua un banc en pierre qui faisait face au somptueux édifice religieux et s’y assis, en veillant que ses peaux soient bien à l’ombre. Songeur, il décida d’attendre la prêtresse en réfléchissant à ce qu’il aurait répondu si elle lui avait retourné la question. Il lui aurait sans doute expliqué que ses deux parents travaillèrent très dure pour subvenir aux besoins de la famille, que la profession de tanneur était intimement aux animaux, leur abondance et leur chasse. Il aurait sans doute ajouté que, ne s’étant jamais éloigné de la cité, il était un homme de la terre bien qu’il ne la travaillait pas directement et que la mer et champ de bataille lui étaient des choses étrangères… Il se creusa un peu plus les méninges, à la recherche d’un autre argument mais le retour de la jeune femme l’interrompit. Soulagée de son fardeau, elle avait adopté une démarche bien plus légère et ses pieds semblaient à peine effleurer le sol tandis que sa robe virevoltait autour d’elle. Otto ramassa son ballot et la rejoignit avant de l’inviter à se joindre à lui le temps d’une prière :

« Voudriez b’in m’accompagner à l’autel d’Serus? Ça m’ferai grand plaisir d'l'honorer en vot' présence »