Une boutique bien étrange. [Libre]

"De l'extérieur, la boutique ne détachait pas avec le paysage évoluant autour d'elle. Elle possédait une façade mêlant à la fois pierre, bois et murs lisses. On ne pouvait pas vraiment dire si c'était une boutique placée dans le quartier de la Hanse, principalement car elle se situait dans l'endroit le plus humble de cet amoncellement. Pour autant, la devanture ne donnait pas envie de pénétrer dans le bâtiment ; fenêtres sales ou poussiéreuses, presque aucune luminosité, sans parler des quelques plantes perçant le sol près des fondations. Au dessus de la porte massive se trouvait un panneau branlant, visiblement personne ne prenait la peine de rattacher la chaine qui avait cassée. On pouvait ainsi observer un dessin représentant divers objets : contenants, vêtements, etc. L'unique moyen de se présenter dans cette boutique était d'ouvrir la porte, si celle-ci n'était pas verrouillée ou tout simplement, de frapper.

Si une âme égarée venait à passer la porte, le spectacle se déroulant devant ses yeux lui suffisait souvent à rebrousser chemin. L'ancien comptoir était couvert de poussière, jonché de quelques objets aux significations hétéroclites, un siège trônait derrière celui-ci, laissant entrevoir un entassement de boîtes ternies. Le reste de la pièce était composé d'une cheminée, de quelques meubles probablement utilisés pour la cuisine, d'une sorte de banquette usée, mais surtout d’innombrables montagnes de bric-à-brac. En y regardant de plus près, on pouvait y repérer une table ensevelie sous des parchemins, une étagère branlante composée de quelques livres et livrets ainsi que de nombreux objets exotiques ou locaux vestiges de l'ancien commerce. Au fond de la pièce se dessinait un petit escalier exigu dont l'aspect n'avait rien de rassurant... Celui-ci débouchait sur une salle d'eau composée d'une baignoire en bois et de quelques seaux principalement, mais aussi sur deux pièces distinctes. La première, rarement verrouillée donnait accès à une chambre constituée d'un lit et de rangements. Quant à la deuxième, le verrou restait un rempart face à la plupart des personnes, contenant de nombreuses documentations et recherchent. Lorsque le pauvre passant réalisait la situation et décidait de tout de même rester, il lui arrivait alors de rencontrer la gérante, Tala Avnor, c'est-à-dire moi."

Je reposais ma plume, laissant la page sécher dans ma salle d'étude. La journée était déjà bien entamée, le soleil filtrait à travers les fenêtres tachées de l'étage, les bougies allumées quelques heures plus tôt commençaient à vaciller, s’étouffant dans leur propre cire. Je me levais de ma chaise, décidée à ouvrir mes portes durant cette après-midi. J'évoluais assez facilement dans la pénombre ambiante, descendant les marches grinçantes pour rejoindre l'étage inférieur. Une fois à celui-ci, je m'assurais d'allumer toutes les bougies présentes à l'étage inférieur afin d'apporter un peu de lumière, bien que ce travail ne soit pas particulièrement long. Avant d'ouvrir définitivement, j'engloutissais un morceau de pain presque rassi et un fruit d'une couleur douteuse profitant de l'occasion pour faire un peu de lecture.

Il devait être environ quatorze heures lorsque je pris le temps d'attraper le bout de tapis signifiant que le magasin était ouvert pour l'étaler devant la porte. Après quelques secondes de réflexion, je me disais que la plupart des personnes ne devaient pas comprendre cette indication et seulement voir un tapis miteux dans les rues de Marbrume, le doute me lançait dans une réflexion, penchée, la main tenant encore un des coins du tapis. Il me fallut de longues secondes avant de me redressée convaincue que certaines personnes devaient comprendre. Je m’apprêtais à rentrer à l'intérieur quand j’apercevais une personne se tenant devant mon paillasson, interloquée, j'adoptais une posture immédiatement plus droite.

"Je.. Je peux vous aider ?"

Je me frottais les mains l'une à l'autre, un peu anxieuse, peut être que cet individu était juste entrain de se dire combien cet endroit avait l'air crasseux et à quel point il ne voulait pas adresser la parole à une femme étrange telle que moi. Dans le doute, je faisais un léger pas en arrière, comme pour l'inviter à entrer.

[HRP : Se déroule au printemps 1165]

Étrange, certes, mais jolie ! Hector passait devant cette petite devanture qu'il n'avait jamais repéré auparavant. Vêtu de ses plus beaux habits et notamment son fabuleux pourpoint de soie rouge orangé, il s'approcha de la jeune femme qui venait de ficher dehors un petit tapis tout poussiéreux. Hector, surpris par ce geste allait demander quelque explication pour ce geste étonnant, mais se ravisa. Il attendit que la demoiselle se retourne pour rentrer dans sa boutique, et ainsi observer discrètement sa croupe, avant de l'interpeller par ces quelques mots doux :

- Bonjour mademoiselle ! Quel beau tapis vous avez là ! Si l'intérieur de votre échoppe est à l'image de ce dernier, je regretterais éternellement de ne jamais y être rentré...

Il attendit de voir la réaction de la petite brune à la coiffe si particulière et désigna la porte, pour lui indiquer son désir de pénétrer son antre.

- Hector de Sombrebois, enchanté de vous rencontrer mademoiselle...

Son plus beau sourire charmeur sur les lèvres, il attendait avec impatience qu'elle lui donne son nom et surtout - si possible - son prénom car il avait un faible pour les prénoms féminins. A chacun - ou presque - il associait un objet, un souvenir, une envie, un lieu ou même, parfois, un fantasme. Alors, cette fois, que lui viendrait-il à l'esprit à l'énoncé de prénom de la printanière femelle ?

Je m'apprêtais à fondre en excuses, rares étaient les personnes assez folles pour vouloir rentrer dans ma boutique et je restais plantée devant le seul moyen d'accès. Je regardais légèrement le sol après cette erreur, reculant maladroitement pour venir heurter le comptoir dans un choc je dois l'avouer, plutôt douloureux. Je ne pus m'empêcher de dévoiler une légère grimace avant de reprendre un visage se voulant plus commercial. Mes paroles hésitantes au début devenait de plus en plus concises pour laisser échapper une phrase relativement correct.

" Je, mer.. merci, pour le tapis. Euh... Je m'appelle Tala Avnor, je tiens cet endroit, euh... Sire. Qu'est-ce que vous recherchez, des informations ou quelque chose d'autre ?"

Au fur et à mesure de ma phrase, j'étais confuse par la remarque sur mon tapis, était-elle sincère ? Mais surtout, comment n'avais-je pas pu remarquer la différence de carrure qu'il y avait entre nous... On dirait un noble, comment pourrais-je rattraper un comportement si maladroite et douteux devant une personne ayant tellement plus d'autorité que moi. Je déglutissais avant d'arborer un léger sourire se voulant le plus correct qu'il soit. Je commençais à me déplacer vers mon bric-à-brac, laissant à cet homme, Hector, la possibilité d'observer la pièce. J'attrapais plusieurs choses, quelques livres et parchemins à la volée avant de lui adresser de nouveau la parole.

"Vous êtes là pour parler de cours, acheter ou parler de mes études, dites-moi j'irais chercher ce qu'il faut. "

Je trépignais sur place, à la fois nerveuse par la présence d'un homme, mais tout simple inquiète qu'il reparte avec une mauvaise impression de l'endroit. Je refermais progressivement ma prise sur les bouts de papiers, nerveuse à en mourir.

Hector posa une main douce et gentille sur l'épaule de la jeune fille après que celle-ci se soit heurtée à son comptoir.

- Vous allez bien ?

La vendeuse rassembla ses esprits, remerciât le baron et lui donna son nom : Tala Avnor. C'était un nom qu'il ne connaissait pas mais qui lui rappela le nord, la neige et - évidemment - la belle Alix, fille des rêves... Quant au prénom, "Tala", il était comme une invocation mystique, comme une formule magique prête à transformer la colère en sérénité, la douleur en bien-être et la haine en amour.

- Tala... quel doux prénom, chuchota Hector en reprenant un peu de distance vis-à-vis de la demoiselle.
- Qu'est-ce que vous recherchez, des informations ou quelque chose d'autre ?
- A vrai dire, je passais par là et la boutique et vous même m'avez quelque peu surpris ! Votre mise est fort différente de celle des autres vendeuses de Marbrume. Êtes vous originaire d'ici ? Êtes vous cavalière ?

Une femme en pantalon de cuir et casquette, voilà qui, effectivement, était peu commun dans la cité franche.

- Hum, mais sinon, ah oui, tiens ! Réfléchit-il tout haut. Je cherche un livre pour enfants... Ma petite a quatre ans et elle a un faible pour les contes de fées. Auriez-vous ce genre d'ouvrages dans votre capharnaüm ?

Hector sourit d'un air malicieux. Il ne voulait pas mettre la jeune fille mal à l'aise et, pourtant, bien qu'ayant noté sa grande nervosité face à lui, il continuait de la taquiner un peu.

Après un instant il voulut la rassurer.

- Soyez tranquille mademoiselle Tala, je vous taquine ! Je ne suis ni pressé, ni méchant. Prenez votre temps, détendez-vous... Si vous voulez, je peux même repasser plus tard ?

Mais quelque chose le turlupinait...

- Tala ? Connaissez-vous l'étymologie de votre prénom ? Moi il m'évoque le calme, la douceur de vivre et les caresses que ma nourrice me faisait lorsque, enfant, je tombais et m'écorchais les genoux.

Une légère douleur continuait de me tirailler le bas du dos, le choc continuant de pulser à chacune de mes respirations, la lourdeur du choc contre le bois tentant d'envahir ma concentration. Confuse, je me focalisais sur les mots de l'individu, donnant de l'importance à chacun d'entre eux afin d'oublier cette gêne. Je finissais par lui adresser un sourire assez doux, ravie de savoir que certains enfin arrivaient encore à apprécier la lecture, bien qu'ils soient peu nombreux. J'en oubliai presque les autres questions, passant au second plan, mais je tentais de me concentrer afin de paraitre plus correcte cette fois-ci.

" En effet, ma boutique peut être assez... déstabilisante pour reprendre des mots plus délicats que ceux employés par la majorité des personnes venant ici. Ca n'a pas toujours été comme ça, mais depuis que je gère seule..."

Je devenais de plus en plus hésitante au long de ma phrase, déboussolée par mes sentiments, mais aussi par un mot d'Hector : "capharnaüm". Ma phrase ne lui était pas destinée, mais peut être ne comprendrait-il peut être pas cela et j'aurais un problème sur les bras. Néanmoins, après quelques secondes anxiogènes, il soulignait le fait que ce n'était qu'une blague sans importance. Je n'en restais pas moins perturbée, secouée par mes émotions, mais au moins, je n'avais plus de tension à parler avec cet homme.

Je vadrouillais dans le magasin, posant ce qui m'encombrait, avant d'essayer d'attraper un livre situé sur une étagère bien trop grande pour ma petite taille, tentant de me percher sur la pointe de mes pieds. Au bout d'un minute, j'arrêtais ma tentative infructueuse, me retournant vers le noble.

"J'ai un petit livret qui pourrait vous intéresser, il compte une histoire assez agréable pour les enfants et surtout positive en ces temps de doute, mais... Je n'arrive pas à l'attraper, est-ce... est-ce que vous pourriez m'aider ?"

J'admettais une petite pause polie lorsqu'il complimenta, je présume mon prénom. Il est vrai que je m'intéressais au savoir, à la lecture et de nombreuse chose, mais l’étymologie n'était pas l'une de mes spécialités. Légèrement nerveuse devant une description si détaillée mais à la fois réconfortante, je ne pouvais m’empêcher de comparer cela à ma vie, relativement vite rappelée à la dure réalité.

"Vous savez, je... excusez-moi, euh... Je ne savais pas qu'on pouvait voir cela dans mon prénom, ça ne me correspond peu. Oh, et j'ai été rude de ne pas répondre, je viens de Marbrume en effet, je suis née ici et j'ai été élevée assez simplement. Je regardais légèrement vers le sol fuyant son regard. Enfin, ma mère était une femme intelligente et pieuse, peut-être avait elle une idée de ce que pourrait évoquer mon nom..."

Après ce temps de divagation, j'entreprenais de chercher un moyen d'atteindre le livre si Hector n'y arrivait pas non plus, pensant qu'il faudrait certainement utiliser une chaise afin de récupérer ces pages. Pour me laisser le temps de réfléchir, je venais à proposer une autre option à Hector en plus de ce livret.

"Pour bien moins cher, je peux aussi vous écrire une histoire, si celle-ci ne convient pas ou bien que vous avez des souhaits plus particuliers."

- Bien sûr ! Laissez-moi faire, fit galamment le baron en attrapant le petit ouvrage haut perché.

Il ouvrit le livret et sourit, à vue d’œil, il semblait correspondre à la description que la petite vendeuse en avait fait. Néanmoins, le baron était intrigué par la jeune femme et ses talents d'écrivain.

- Tala... peut-être cela vient-il du mot "talent"... ce qui pourrait expliquer votre inventivité, votre créativité ! D'ailleurs on dit souvent que les artistes sont désordonnés ! Tout s'explique, donc ! Fit le baron en tournant la tête de droite à gauche, sourire aux lèvres, pour bien imprimer dans son esprit la boutique de la demoiselle.

Il enjamba une pile de livre et une petite plante en pot qui traînaient là, sur le sol de la boutique et se dirigea vers le comptoir. Il s'y accouda confortablement, comme s'il était au bar d'une bonne auberge. Il posa le petit livre qu'il venait de feuilleter.

- Il a l'air très bien celui là, en effet. Mais vous-même... avez-vous déjà une idée d'histoire ? Ou bien pouvez-vous faire quelque chose de... disons... personnalisé ?

Il se demandait si ce n'était pas brider l'inspiration de l'auteure que de lui proposer quelques idées... mais...

- Un conte qui se passerait à Sombrebois... un conte où les gentils gagneraient à la fin, ce serait... ça plairait beaucoup à ma petite ! Il pourrait y avoir des dangers, des ours ou des sangliers... mais pas de fangeux je vous en conjure !

Et oui, la petite - tout comme le baron - avait perdu sa famille lors de la catastrophe de Sombrebois. C'eût été bien mal venu de raviver la flamme de cette tragédie. Du moins, c'est ce que pensait le baron.


La jeune libraire, enthousiaste vis à vis de la demande du baron, accepta sa proposition et lui donna rendez-vous un mois plus tard, dans cette même boutique, pour venir chercher l'ouvrage demandé. Et lorsqu'Hector revint, un mois plus tard, la jeune fille avait tenu parole !

Elle reconnut même directement son noble visiteur, fonça dans l'arrière boutique et revint quelques secondes plus tard pour lui tendre un petit ouvrage à couverture de cuir rouge.
- Contes des forêts de Sombrebois. Annonça-t-elle fièrement.

Hector sourit comme rarement il avait sourit ! Il parcouru les quelques trente pages que comptaient le livre, lisant quelques titres de contes aux noms évocateurs "Le sanglier qui saignait", "La princesse disparue", "L'ours qui parlait"... Et prit la commerçante dans ses bras ! Il la remercia grandement et lui laissa un écu d'or pour son travail.

Quelques minutes plus tard, il marchait dans la ville, heureux comme un Roi, tenant dans sa large dextre non pas une arme lourde comme il en avait l'habitude, mais un joli petit cadeau pour sa chère Mérédith !