Savoir c'est pouvoir... oupas? | Tala / Libre

Début Avril 1165

Mes pas m'avaient conduits sur la Hanse une fois de plus... Ou plutôt : une fois n'est pas coutume. Peu amatrice de courses, d'achat compulsif et autres dépenses inconsidérées, j'étais bien plus à mon aise dans les recoins de la bibliothèques, dans ma cellule ou au près de ceux qui se démenaient vraiment pour affronter le monde jour après jour plutôt qu'à flâner entre les étales des marchands.

Mais chaque règle à ses exceptions et avec les premiers jours d'avril, voilà que je me retrouvais sous l'enseigne branlante d'une étrange boutique... Si Mère Hélène ne m'en avait pas parlé, je ne l'aurait sûrement jamais trouvée... ni même approché... mais certaines choses valaient les efforts nécessaires pour les obtenir... Presque toutes les choses importantes étaient comme cela en vérité...

Après avoir essayé de regarder par les carreau... sans succès étant donné leur état crasseux... Je frappais quelques coups à la porte avant de pousser le battant en piétinant un étrange tapis. Pourquoi était-il laissé dehors ? Aucune idée, mais il était réellement miteux.

A l'intérieur : une pièce mal éclairée. Je vérifiais que je ne prendrai pas le chambranle de la porte en plein front du haut de mon mètre quatre-vingt et entrain à pas comptés. Toutes sortes de rouleaux et de... chose ? Trônaient sur les étagères et le comptoir poussiéreux.

Sans dire un mot, attendant que vienne le propriétaire qui avait sûrement entendu les coups frappés à sa porte, je commençais à parcourir les titres des ouvrage, feuilletant les plus accessibles... Et fronçant les sourcils en remarquant certains de leurs sujets.

Celui qui m'absorba en attendant son arrivée était un traité sur les humeurs on ne pouvait plus fascinant...

"Certaine fois, je viens à me poser des questions. Surtout concernant les fangeux, après tout, pourquoi évitaient-ils nos bêtes pour venir nous dévorer, cela démontrait une forme d'intelligence... Ou alors possédons-nous quelques choses de spécifiques qui se ressent instinctivement ? Même s'ils n'ont pas été dotés de nos connaissances ne doit-on pas se poser la question : Ont-ils la capacité de réfléc...."

Je redressais la tête, confuse. J'entendais un bruit sourd provenant de ma porte, plus exactement, quelqu'un entrain de frapper. Quand est-ce que j'avais sorti le tapis, c'était la première question dans mon esprit, et la réponse fut rapide, je ne me rappelais pas. Sans oublier que j'entendais la porte s'ouvrir ce qui voulait dire que je ne l'avais pas fermée. Qu'elle idiote je pouvais faire, j'avais ouvert quelques heures plus tôt mais le manque de client était tellement flagrant que... Je commençais à m'insurger de mes erreurs, réalisant soudainement, qu'il fallait que je descende.

Je reposais en vitesse mon matériel d'écriture, verrouillant la porte derrière moi avant d'utiliser les escaliers dans la plus grande des précipitations. Les marches grinçaient d'agonies quand j’atteignais enfin le rez de chaussé. Je frottai légèrement mes vêtements pour retirer d’éventuels plis de mon manteau, me dirigeant vers les bougies à moitié éteintes pour les rallumer. J'observais pendant ces quelques secondes une jeune fille fouiller dans les étagères. Elle n'avait pas l'air déboussoler par l'endroit, mais je ne l'avais pourtant jamais vue.

Bien plus grande que moi, mais pourtant sensiblement plus jeune, je la regardais du haut de mon mètre soixante-cinq, affichant un sourire plutôt amicale et détendue, malgré l'angle qu'il me fallait prendre pour la regarder dans les yeux. Je commençais à jeter quelques coups d’œil à ce qu'elle observait avant de prendre la parole.

"Enchantée, je m'appelle Tala Avnor, je m'occupe de l'endroit. Je ne vous ai jamais vue, vous désirez quelque chose ? Ce traité vous intrigue ?"

Après ces petits questionnements, je laissais une brève pose, prête à entendre la réponse.

Plongé dans la composition de l’œil et les esprits de vins nécessaire à en désemplir les humeurs malignes je n'avais pas entendu le propriét... enfin plutôt la propriétaire arrivée. Finissant mon paragraphe, et donc sans quitter la page des yeux, je répondait d'une voix lointaine.

" Pas vraiment. Je le consultais en vous attendant. "

Enfin je relevais les yeux, fermant avec précaution l'ouvrage pour le reposer à sa place. La surprise de découvrir une jeune femme là ou je m'attendais à un vieil érudit me fit hausser un sourcil. Je la scrutais un instant d'un regard inquisiteur, froide et distante comme a mon habitude.

" Il est normal que vous ne m'ayez jamais vu, je ne me déplace que rarement dans ce quartier. "

Je m'autorisais encore une fois à balayer les lieux du regard, faisant quelques pas vers le centre de la pièce en dégrafant ma cape pour l'étendre sur mon bras. Sur ma simple robe sombre, coupée à la façon des prêtres, trônait un pendentif grand comme ma paume représentant le symbole de la trinité, suspendu à une longue succession de perle de bois.

Vrillant de nouveau mes iris de glace dans celle de la propriétaire, je reprenais sur un ton égal :

" Je suis Mère Margot. J'ai entendu beaucoup de bien de votre... boutique ? "

Beaucoup... C'était peut-être un peu exagérer... Mais elle avait entendu suffisamment d'étrangeté pour pouvoir venir y faire un tour...

" On m'a surtout venter les manuscrits originaux ou rare de votre collection. Est-ce vrai ou m'a-t-on trompé sur ce point ? "

J'étais sceptique face au comportement de cette demoiselle, très distante et froide. Son ton était pourtant assez délicat et agréable à écouter, peut-être serait-elle une bonne cliente. Je regardais un peu distraite la tenue de la femme se dévoilant, je n'eus que le temps de penser au fait qu'elle puisse être une religieuse alors qu'elle m'apportait déjà une réponse plus qu'adéquate. J’esquissais un sourire assez doux, évitant de paraître vaniteuse, respectant énormément les dieux et les disciples. Mon sourire se voulait plus naturel lorsque Margot évoquait le fait que ma boutique recevait des éloges, surprise par des telles paroles.

Je m'apprêtais à lui répondre lorsqu'elle me pose une question plus précise sur ce qu'elle pourrait trouver dans ces lieux. Bien que je n'étais point sur de l'entière véracité de ces propos, je pouvais tout de même formuler une réponse que je pensais assez correct face à cette dame de savoir et de vertu. Ainsi, je commençais à expliquer ce qu'il pouvait se trouver ici, en essayant de ne pas l'endormir pour autant.

"En effet, Dame Margot, je possède de rares manuscrits originaux mais rien de bien rare, ou du moins pas à ma connaissance. J'ai aussi quelques parchemins en tous genre, il n'y a pas de choses précise étant une amatrice de lecture, je possède différents sujets. Bien entendu, il y a mes propres écrits bien que moins intéressant. Je mène des recherches aussi, mais je ne sais pas si ce genre de sujet serait d'un quelconque intérêt pour une jeune personne tel que vous."

Je réalisais que j'avais monopolisé la parole, l'empêchant de me dire ce qu'il l'intéressait vraiment. Je me grattai légèrement le côté droit de la tête avant d'esquisser un sourire légèrement gêner. Après tout, je venais de dire à une religieuse qu'elle était trop jeune, c'était peut-être assez malvenu. J'attendais ainsi, une réponse que je n'allais surement pas apprécier.

" Mère "

Je préférai corriger à la voler que d'entendre ces pompeux d'adjectifs. Pourquoi pas Reine Margot aussi, cela sonnait plutôt bien après tout... Cela faisait bien des années que j'espérais bien ne plus être considérée comme une noble dame et et quelques mois que j'y avait formellement renoncé. Mais la suite de ses paroles me firent une nouvelle fois tiquer. pas de froncement de sourcil cette fois ci. Juste une simple question et l'ombre d'un sourire.

" Quelle âge pensez vous que je puisse avoir ? Et sur quels sujets se portent mon intérêt d'après vous ? "

Soutenant son regard toujours avec cette ombre de sourire, je rectifiais :

" Ou plutôt devrais-je demander quels sont ces sujets sur lesquels mon intérêt juvénile ne devrait pouvoir se poser ? "

Être jugée par mon jeune âge? Ce n'était pas une grande nouveauté... Quoi que ceux qui osaient me le dire en face se faisaient bien rare en réalité. Les traits amaigris et tirés. La silhouette haute et maigre. Le maintient régalien et hautain. Le visage blafard et le regard glacial. Il fallait aussi dire que peu me donnaient moins de la vingtaine. Alors ce genre de propos tenus par une femme qui semblait aussi jeune que moi avait quelque chose d'amusant... presque attendrissant.

Quoi, moi, bizarre ? Étrangement on me le dit plus souvent que vous ne pouvez le penser...

Mon visage devenait de plus en plus une masse déconfite face à ses paroles d'une justesse et d'une amertume palpable. Après tout non seulement je m'étais trompée dans le nom d'une disciple, d'une prêtresse, mais en plus J'avais avancé, tel un bélier dévastant tout le bon sens sur mon passage. Déstabilisée, légèrement désemparée, je répondais du mieux ce qui tournait dans mes pensée, tentant de répondre à chaque détails.

"Excusez-moi Mère Margot, je ne suis... suis pas très habituée à avoir de la compagnie... Hum, vous savez, il n'y avait rien de méchant à ça, c'est que.. enfin... J'aurais dis que vous étiez plus jeune que moi ou de mon âge. Mais ça doit être une terrible erreur de ma part... qu'une... Mère comme vous soit à mon niveau ne... Enfin c'est n'est pas ce que j'insinue."

Je continuai à m'étaler en remords, étalant mon anxiété devant moi, laissant le temps à Margot de fixer la laideur de celle-ci. Je me tenais debout sceptique comme une statue de pierre dans cette pièce mal éclairée, seule mes lèvre bougeaient encore, à la recherche d'une réponse parmi mon flot de paroles.

"Vous... vous avez l'air loin par rapport à moi.. Enfin vous savez votes visage a des traits doux que je ne vois plus en moi, mais... Mais vous êtes juste surement d'une meilleure nature que moi, excusez moi vraiment, je ne voulais pas si rude avec vous. J'ai estimée que si vous pouviez être plus jeune que moi, peut être que votre esprit serait encore tourné vers des sujets plutôt heureux... J'étudie... Je théorise des choses à propos des fangeux, leur existence et le moyen de les faire disparaitre... Je... C'est ridicule, en... en quoi puis-je vous aider ?"

Mes mains tremblaient comme des feuilles, j'avais offensé une prêtresse, une cliente, une simple personne et en plus de ça, je lui rappelais la réalité, les fangeux. Pourquoi étais-je si stupide à cet instant ? Maintenant, cela n'allait qu'entrainer des évènements négatifs... Et je restais figée, à attendre les lourdes conséquences de mon impair.

« Calmez-vous. Une tel agitation ne rime à rien. »

Dans le monde que nous connaissions à présent, le concept même des sujets plus heureux semblait incroyablement lointain. Désuet. A quoi bon s'accrocher à de telles choses?

Il existait bien encore certaines personnes pour se voiler la face, Blanche en était le parfait exemple. Joviale, naïve, inconsciente, imprudente et inconséquente... Une jeune femme volage et folâtre comme il en restait peu. Oh ce n'était pas un reproche, plutôt un constat attendrit... et une certaine jalousie de cet état d'innocence dans lequel elle était capable de s'enfermer sans même se rendre compte de ce que cela impliquait pour les autres.

Mais voilà, je n'étais plus ainsi et désirer le redevenir aurait été mille fois vain. Ce que je pouvais faire à présent était bien différent, et trop important pour tout laisser derrière pour quelques considérations égoïstes.

« C'est précisément sur le sujet de l'étude des fangeux que je veux m'entretenir avec vous. »

Et il n'y avait aucun regret à avoir...

Les yeux vrillés dans ceux de la propriétaire, je m'arrêtais quelques instants pour m'assurer qu'elle comprenait toute la porté qu'allait avoir cette conversation. Le sujet était sombre, mais Rikni nous enseigne que c'est bien au cœur de la plus sombre des nuis que nous pouvons repérer la plus infime trace de lumière...

Je recommençais à déambuler le long des articles entassés, laissant courir mes doigts sur les tranches de vieux livres et le verre poussiéreux d'étranges objets, ma cape plié sur mon bras gauche.

« Voyez vous, les œuvres impies, sous couvert de recherche pour un remède ou une arme, se multiplient en nos murs.

Les rumeurs les plus persistantes font état de messe noire. De sorcière pratiquant le sabbat avec des fangeux et cherchant à enfanter des montres destructeurs qui se nourrissent de sang jusqu'à aspirer l'âme de leur victime pour le ramener en tribu de force à leur génitrice. De rites occultes profanant des corps, transformés ou non et autres cérémonies nécromantiques innommables. »

M'arrêtant un instant en tirant légèrement un livre dont la tranche ne comportait aucune inscription pour en voir le titre, je prenait le temps de trouver les mots juste. Mots qui s'égrainaient pendant que mes yeux suivaient le titre ainsi dévoilé en imaginant distraitement ce que ce pouvait contenir l'ouvrage.

« Étant donné la quantité de savoir accumulé ici, vous me semblez être une femme de raison. Vous comprendrez donc facilement que, quelque soit la véracité de ces rumeurs, elles ne peuvent perdurer sans mettre en péril l'ordre. Avec la méfiance vient la stigmatisation de certaines personnes. Et cette stigmatisation pourrait mener à une catharsis incontrôlée que nous ne pouvons nous permettre de gérer en pareil temps.

Si l'hérésie existe elle doit être châtiée pour protéger les âmes de nos fidèles... Mais ceux qui œuvrent pour le bien commun avec vaillance malgré le danger doivent être protégés avant que les choses ne dégénèrent. »

Le livre retrouva son emplacement exact avec un claquement à peine perceptible. Je me tournais de nouveau vers mon hôte, le maintien droit, le visage fermé et l’œil perçant.

« C'est là la raison de ma présence aujourd'hui. J'aimerai que vous me parliez un peu plus de la réalité de vos travaux... »

Avec un aplomb qui tranchait sûrement autant avec mon jeune âge que le reste de mon discours, je me retournais réellement vers elle. Campée, attentive, j'escomptais bien avoir non seulement des détails... mais la vérité.

Mes sens commençaient à me revenir un à un, me libérant de cette catatonie émotionnelle qui m'envahissait. Elle ne semblait pas s'éprendre de colère, ses yeux me fixaient, perçant, dévoilant chacune de mes mimiques, j'adoptais une respiration plutôt calme et sérieuse dès qu'elle prononça la réelle raison de sa venue. L'étude des fangeux était un sujet délicat, je pensais à comment lui répondre alors que je retenais mon mouvement, l'entendant parler de nouveau. Margot avait une façon de parler, de se tenir et même de bouger qui imposait un certain respect, une certaine crainte. Malgré cela, mon regard suivait ses mouvements, ses déplacements...

Ses mots sifflaient à mes oreilles à l'image d'un serpent intimidant son potentiel ennemi. Hors, mon cœur se soulageai car je savais que je n'étais point l'une de ces personnes bien que je sois avisée de leurs actions douteuses. Les mains de la prêtresse se posaient sur un livre, l'étudiant, avant de le replacer, ses paroles continuait de glisser pour venir m'atteindre et je décidais de comment j'allais agir alors qu'elle commençait à me demander ce qu'il se passait vraiment ici. Je commençais à me diriger vers la porte avant de laisser échapper quelques mots :

"Ne vous en faites pas, je vais juste fermer pour que des oreilles indiscrètes ne viennent pas à entendre cette conversation."

J'attrapais le tapis situé à l’extérieur pour le rentrer avant de verrouiller tout simplement la porte. Je retournais dans le centre de la pièce, adressant un regard lourd à Margot, recommençant à parler.

"Écoutez, bien que cela paraisse tout à fait suspect je vous l'accorde, je vous invite à me rejoindre à l'étage dans ma pièce d'étude. Cela sera plus approprié si vous voulez vraiment être sure que je ne vous cache rien."

Je commençais à gravir les marches abimées pour rejoindre l'étage, pensant à la meilleure façon de présenter les choses, pour montrer que ce n'était pas que d'un intérêt médiocre. J'arrivais à l'étage, glissant une clé dans la porte du fond, ouvrant sur une sale assez... propre. Les fenêtres n'étaient pas très différentes de celles présente en bas, mais ici trônaient deux fauteuils, plusieurs tables et chaises, mais surtout de nombreuses bougies et montagne de papier. On pouvait aussi apercevoir une étagère où des bocaux aux contenus étranges restaient visibles.

Depuis ces paroles un peu plus tôt, j'arrivais à garder un certains sang-froid, le même qui m'imprégnai lorsque je me mettais à écrire. Je désignais les sièges à la femme qui me succédait avant de moi-même m’asseoir. C'était étrangement les meubles les plus entretenus ainsi conservés pour servir de zone de lecture au vu des nombreux livres entreposés aux pieds des sièges. Je croisais doucement mes jambes, posant mes mains sur celles-ci avant de m'adresser finalement à Margot.

"Je vous ai amenée dans cette pièce, car comme vous pouvez le voir, j'écris la plupart de mes théories ici. Maintenant, je ne mens pas généralement, alors je ne compte pas cacher à une croyante tel que l'était ma mère d'entendre uniquement la vérité. La plupart de mes recherches sont purement théoriques et écrient dans les amas de papiers que vous pouvez observer. Je suis concernée du fait que les fangeux pourraient avoir tout de même un reste de conscience même si celle-ci est obstruée par leurs envies sanguinaires. Nous avons tous remarqués qu'ils n'attaquent que les humains... Puis n'oublions pas le fait que certains d'entre nous deviennent des fangeux lorsqu'ils viennent à combattre, il y a certainement une malédiction ou maladie qu'ils propagent à travers leurs attaques. J'ai de nombreux papiers qui tentent de retracer leurs arrivées à l'aide de témoignages plus précis pour trouver si certaines zones ne sont pas protégées naturellement de par certaines conditions qui repousseraient les fangeux. Vous savez, comme cette rumeur qu'ils n'iront pas dans les eaux protégée par Anür. Ce sont principalement des idées d'illuminée vous savez, je ne suis pas sure que d'avoir ses réponses nous aideront, même si elles existent peut être."

Je me relevais, me dirigeant vers les bocaux. En prenant un dans ma main, le regardant quelques secondes, fixant les deux griffes flottants dans un liquide saumâtre.

"Vous savez, depuis que je me suis fais attaquée, j'essaie de trouver des choses tel que ces griffes appartenant à des fangeux mort afin de trouver des similitudes avec des choses que l'on pourrait connaitre. Je n'ai plus rien à part ma lecture et mon envie de les voir disparaitre. Je ne vous mentirais pas, bien que cela soit plus que douteux et illégal, si je venais à trouver un cadavre d'une de ses bêtes, je l’étudierai afin d'apprendre et de trouver une parade. J'esquissai un sourire rassurant. Même si vous allez peut-être me faire exécuter après tout ce que je viens de vous dire."

Je reposais doucement le bocal, me détournant de l'étagère avant de retourner m'asseoir, acceptant que peut-être, j'allais souffrir de mon honnêteté envers cette personne.

Verrouiller la porte et m'inviter à entrer dans des appartement privés, oui, cela aurait put passablement effrayé beaucoup de monde, mais il aurait fallu être totalement fout pour séquestrer ou tuer une prêtresse s'étant fait reconnaître comme tel. Sachant ou j'étais les soupçons qui se poseraient sur la jeune femme seraient de l'ordre de l'accusation voir directement du verdict. Autant afficher une grande pancarte « c'est ici » sur le seuil de sa maison et dans la cas où elle soit réellement dangereuse, je ne lui aurait pas fait l'affront de la croire demeurée pour autant... Bien que partir du principe que les gens ne sont pas stupide soit sûrement une erreur dans bien des cas.

« Je vous suis. »

Je répondais sobrement avant de la suivre dans les escaliers sans le moindre signe d’appréhension. La salle dans laquelle nous sommes entrée était simple mais encombrée de toutes sortes d'écrits et de bocaux. Après un rapide coup d’œil suspicieux envers ses derniers je venais m'asseoir pour écouter attentivement le récit de la propriétaire des lieux tout en dévorant des yeux son étrange études. Table. Chaise. Rouleaux. Volumes. Bocaux. Je scrutais tout ce que je pouvais approcher avec une curiosité quasi-enfantine et une minutie tout aussi grande pour ne pas déranger le travail pour le moins... colossal de cette femme.

« L'ordalie est encore bien loin de vous, rassurez-vous. Ce n'est pas la franchise que les dieux punissent. Jamais. »

Je me levais en silence, m'approchant des dit-bocaux. Quelques résidus étaient soigneusement rangés sur cette étagère. Je fronçais le nez, signant le symbole de la Trinité dans l'air face à eux avant de tourner légèrement celui dans lequel flottaient ces affreuses griffes.

« Mais si vous êtes partisane de l'idée selon laquelle les fangeux auraient encore un semblant de mémoire malgré la perte de toute âme, vous devez comprendre pourquoi nous ne pouvons ignorer le fait qu'ils soient issus de nos propres corps. La profanation est un blasphème grave et ce n'est pas pour rien.

Jusqu'au début de la Fange, le corps des défunts était entreposé entier dans leur dernière demeure. Savez vous pourquoi ? »

J'attendais d'avoir sa réponse avant de continuer, m'approchant de nouveau d'elle, le bocal à la main.

« La tradition se perd parfois. Les jeunes générations n'écoute pas toujours la raison des choses qui sont et finissent par les considérer comme acquises sans en comprendre le sens...

L'enterrement ou l’immersion en mer préservent tous deux le corps. Cela permettait aux proches de laisser partir peu à peu leur chagrin avec la disparition progressive de l'enveloppe charnelle dans l'Oeuvre de Serus mais cela permettait aussi à l'âme de rejoindre les Voûtes Étoilées de façon paisible. Le corps servait de point d'attache pour les prières des vivants et beaucoup d'anciens théologiens ont émis l'hypothèse que si Serus mettait autant de temps à désassembler nos enveloppes, c'était pour laisser le temps à l'âme d'en sortir totalement et de rompre d'elle-même les liens qui la tenait dans le monde de l'éveil. Ainsi, elle pouvait partir sereine. Prendre le temps de laisser derrière elle les regrets et les tâches inachevés et les méfaits qui avaient entachés sa vie. »

Je posais le bocal en évidence sur une pile de livre près de nous. Mon interprétation de religieuse était ce qu'elle était et les canons du Temples étaient souvent mis à mal par les événements des derniers mois, mais elle expliquait tant de choses, je l'avais vu dans tant de rêve, compris dans tant de transes, que je ne pouvais plus ignorer la réalité sous-jacente.

« Il y a bien longtemps... Mais avec le temps... » Je secouais la tête. « Avec la Fange, les conséquence d'une telle interprétation seraient bien trop horrible à supporté pour beaucoup... Penser non seulement que les fangeux sont mis en mouvement par les regrets, les peur, les désirs inassouvis et les méfaits des personnes dont ils sont issus mais également que les âmes de ces personnes souffrent d'un tel état serait un calvaire pour chaque proche, chaque ami d'une victime. Les bûchés funéraires. Les corps relevés. Même la mort n’apparaîtrait plus comme un doux repos et les deuils seraient plus dévastateurs encore.

Nous n'avons aucun moyen de vérifier cette hypothèse car il faudrait pour cela prouver que moins son âme se dégage vite de la matière de ce monde, plus la Fange est virulente en elle après son décès. Et seuls les dieux peuvent savoir une chose aussi intime...

Aussi, que nous soyons convaincu ou non de ce fait ne change rien. Nous n'insistons pas sur les détails auprès du peuple. »

L'ombre d'un sourire quelque peu triste vint éclairer mon visage durant quelques instants, cherchant le regard de l'érudite.

« Bien sûr, cela ne change pas le fait que les Fangeux sont des aberrations impies qui méritent d'être délivré de leur existence corrompue par tous les moyens qui soient. Et j'aime a croire que terrasser un fangeux permet à l'âme de ne plus souffrir comme je sais que nous pouvons vaincre la Fange en faisant ressortir ce que l'Homme a de meilleur. Mais nous ne pouvons ignorer qu'ils sont issus de nos entrailles, de notre sang, de nos chairs et de nos os. Ces griffes que vous gardez ici ont été les doigts d'un homme. D'une femme ou peut-être d'un enfant. Nous ne pouvons donc pas oublié qu'ils ont été des personnes et que leur corps ne peut être posséder ou profanés impunément... »

Reprenant mon air austère pour rétablir la distance nécessaire à la suite, je me redressais dans le fauteuil.

« Vous avez dit avoir été attaquée. Était-ce par un fangeux ? Avez vous déjà vu ces créatures de vos propres yeux ? »

Mes mots ne laissèrent que peu de place au silence alors que la voix de la religieuse s'élevait. Il n'y avait pas a douté de ses convictions, pas à de points à remettre en cause. Elle semblait savoir et avoir réfléchi beaucoup à la question tant ses réponses étaient concises. Lorsqu'elle m'interpella pour me demander si je connaissais l'origine de ces coutumes, je m'étais contenté de secouer négativement la tête. J'écoutais ses paroles et les buvaient comme une source de connaissances pouvant m'aider à approfondir mes réflexions.

J’admettais que ces rituels étaient d'une grandes aides au défunt, mais je ne pouvais concevoir l'idée qu'une personne qui a été si torturée, connaissant la douleur et la peine d'être l'une de ses créatures, si elle en avait le choix, ne déciderai pas d'aider à les éradiquer. Je pesais chacun des sons sortant de sa gorge, commençant à réfléchir aux sens que cela pourrait impliquer, lorsque sortie de ma transe, je grimaçais.

Je n'étais pas crispée à cause des réflexions qui remettaient en cause ma façon de travailler, sachant de moi-même que j'admettais ces pratiques douteuses et inadmissibles. J'étais tiraillée par le souvenir de cette bête. Mon regard commençaient à se noircir de sentiments alors que j'observais Margot.

"Je ne suis pas en mesure de vous dire quelque chose pour réfuter cette pensée. Je vous dirais juste ce qu'il m'est venu en tête lorsque je vous ai entendu. Si ces âmes ont tant soufferts de cette ignominie qui leur était infligée, alors pourquoi, refuserai-t-ils si ils étaient capable de ressentir de la compassion envers eux-même de le faire envers les autres ? Ainsi, aidant les vivants à trouver une solution à l'aide de leurs corps qui retrouveront la paix par la suite, pour finalement être accueillis en aillant fait une dernière chose positive dans leurs torpeurs incontrôlables ? Si j'avais le choix, je préférerais... Je préférai aider ces milliers de femmes, enfants et hommes qui risquent encore de souffrir. Ah et..."

Je me levais, le regard sombre. Celui-ci se déposant dans un coin de la pièce, s'attardant de manière méprisante. Je laissais tomber au sol mon manteau dans un fracas brisant le silence.

"J'en ai en effet, vu un de très près. C'était bien un fangeux... Il n'y a pas de doutes là-dessus."

Je soulevais l'arrière de ma veste ainsi que mon haut dévoilant le bas de mon dos ainsi que la moitié d'une profonde cicatrice à l'aspect repoussant. La marque laissait à imaginer que cette griffure continuait sur encore plusieurs centimètres.

" Après, vous pouvez choisir de ne pas me croire. Mais je pense que c'est une preuve suffisante. Oh, et si je venais à devenir un fangeux et être reconnue, sachez que je souhaite être étudiée. Je fais partie de ceux qui souffrent déjà dans leurs corps, je ne veux qu'aider."

Je finissais par rabaisser mes vêtements, perdue dans des pensées noires.

Voyant l'expression de la jeune femme s'assombrir, je la laissais expulser le trop plein d'émotion qu'elle semblait contenir. Toutes ses réactions montraient qu'elle était aussi passionnée qu'à fleur de peau... faisant d'elle l'une de ces personnes à la fois dangereuse et géniale qui sont prêtes à beaucoup pour faire avancer ce qu'elles pensent juste.

Quant à moi, je me murais dans un silence glacial pour me protéger de cette vague de reproches et d'amertumes sans bute. Couper court à la connivence pour éviter la douleurs, j'en avais pleinement l'habitude depuis plusieurs mois maintenant. Consciente de ce que pouvais déclencher ma question, je m'étais donc retranché dans cette posture mentale que la méditation et la contemplation finissaient par enseigner à ceux qui le désiraient. Pleinement attentive et consciente mais distante de la scène comme un spectateur extérieur, je laissais passer toute la douleur contenue dans les souvenirs énoncés. De l'eau sur un roc. De la brume ne faisant que passer.

Cette douleur ne devait pas être mienne. Cela n'aurait pas du m'empêche de ressentir de la compassion... mais voilà un domaine dans lequel il me restait bien des progrès a faire. Jadis... Mais Jadis n'était plus. Je n'étais plus faible. Je n'étais plus douce. Mais je pouvais agir. Je pouvais décrypter. Je pouvais comprendre...

Je me levais sans un mot, venant m'emparer de ses mains pour l'obliger à lâcher ses vêtement après avoir examiner la cicatrice. Doucement.

« Je n'ai pas besoin de preuve, Demoiselle. »

Je ne la poussais pas forcément à me faire face, me contentant de tenir cette main si et seulement si elle me le permettait.

« Vous devez être dotée d'une grande force pour avoir survécu à cela. Vous ne devriez pas en avoir honte...

Votre désire d'aider est louable. Mais ce n'est pas quelque chose que nous pouvons décider à la place de quelqu'un d'autre. Ce n'est pas là notre rôle. Ni à vous. Ni a moi. »

Ma voix était toujours aussi mesurée et calme... quoi que désespérément dépourvu de réelle chaleur comme elle était dépourvue de toute colère.

« Vos recherches théoriques sont saines et par conséquent une bénédictions pour nous tous. Cependant, je dois vous prévenir. Dorénavant, si vous acquerrez des corps de fangeux, tout ou partie, quel que soit leur état, faites moi prévenir sinon je ne pourrais rien faire contre une accusation d'hérésie à votre encontre.

Je vous propose également de fournir une copie de chacun de vos travaux pour qu'il soit entreposés à la Bibliothèque du Temple. Bien entendu dans cette hypothèse, nous vous ferions également prévenir si d'aventure, d'autres érudits déposaient des recueils concernant ce domaine d'étude. »

Tout en parlant, je fouillais dans mon aumônière pour en tirer un petit pendentif en métal représentant le symbole de la trinité entièrement noir. Posé au centre de ma paume, je le tendais à la jeune femme comme une invitation à accepter cet accord.

« Je vous l'ai dit. Je ne suis là ni pour vous nuire, ni pour nuire à votre quête de vérité. »