L'ombre du passé plane toujours sur nos vies - Acte I [Gondemar - Theodemar - Xandra]

Elle se débrouillait bien, évidemment, vous croyez quoi ? C’est ce que rétorquait toujours la petite fille malgré son ventre qui gargouillait et ses joues crasseuses. Elle n’avait besoin de personne, non, absolument personne. Xandra Erkal était maline, très maline, elle venait ici tout les jours ou presque pour voler quelque chose à manger et ce vieux sénile ne la remarquait même pas ! Quel benêt comme aurait dit sa mère.

En réalité, si la petite funambule se débrouillait effectivement bien, elle manquait encore de discrétion. D’ailleurs, là, accroupi près d’un étal, il n’était pas si difficile de la remarquer, mais on faisait semblant, par jeu, par pitié ou tout simplement qu’on n’avait autre chose à faire ici au marché que de se focaliser sur une petite boule puante à l’air renfrogné. Mais le vieil Hervé, il en avait marre, parce que ses pommes c’était les meilleurs, qu’il les vendait à prix d’or et que cette petite chipie venait tout les jours ou presque lui en voler une, voir même deux. Alors il voulait bien être gentil et faire semblant de ne pas voir sa petite main farfouiller ses marchandises, une fois, deux fois, dix fois, mais là c’était devenu régulier, trop. Il en avait marre Hervé. Elle avait bien besoin d’une leçon. C’est un détail que la gamine avait laissé de côté ça aussi, la fréquence de ces larcins. Mais la faim vous occupait autant l’esprit que le corps et elle ne pensait qu’à se remplir la panse…

Deux des miliciens qu’il avait accosté lors de leurs dernière patrouille au marché avaient acceptés de jouer le jeu. Ils attendait à l’angle de la rue que la tignasse rousse encapuchonnée face son apparition. Ils commençaient à trouver le temps long d’ailleurs quand, enfin, il crurent voir une ombre se faufiler avec agilité entre les passants, entre les étals.

- C’est elle, pas de doute qu’il grogna Gontran, pas très content d’être là mais il avait promit une somme rondelette le gras marchand alors il jouait le jeu finalement de bonne grâce. C’était elle en effet, avec son air déterminé. Elle leva la main, encore un peu, juste un peu et elle la referma une pomme qu’elle devinait juteuse et sucrée. Ca ne suffisait pas vraiment à caler son estomac mais c’était toujours un peu mieux. Elle sursauta depuis le dessous de l’étal, se cognant la tête dans le bois. On l’avait vu ?

- Et toi, ça suffit !!!!

Elle sortit la tête de sous la nappe, ouvrit de grand yeux paniqués et se mit à détaler comme un lapin, serrant le fruit dans sa paume à son faire palir les phalanges. La petite fille courait vite mais les deux hommes entraînés aussi, elle avisa un toit mais n’osa pas y sauter, elle les imaginait déjà tirer ses jambes pour la faire tomber.

- Vous m’attraperez jamais !

Elle cria ça de toute ses forces, le souffle affolé par sa course avant de s’arrêter, ses pieds laissant une trace dans le sol crasseux d’une ruelle, ou plutôt d’un cul de sac. Elle était fichu. Les deux hommes tout sourirent qui la talonnait n’eurent qu’à se mettre entre elle et la seule issue. Xandra serra les poings, avec un air revêche qui témoignait d’un certain...mauvais caractère peut être ?

- Laissez moi tranquille, j’ai rien fait ! J’irais pas en cage, si vous m’approchez je vous mord jusqu’au sang, compris ?

Ils se regardèrent, partant dans un fou rire un peu gras, amusé, irrité aussi d’avoir du cavaler derrière cette vermine.

- On va pas t’arrêter petite, on va te corriger, ça te passera l’envie de recommencer à voler.

L’un deux déboucla sa ceinture, elle savait pertinemment ce que ça voulait dire. Sa peau pâle vira au blanc alors qu’elle fixait la boucle de métal.

- Par contre si tu recommences, tu finiras au trou !

Alors que le premier s’approchait d’un pas décidé, cuir en main elle hurla, cette fois la panique se sentait dans sa voix, ça faisait mal, elle avait encore des marques sur les fesses, elle en était sûre et Xandra ne voulait pas que ça recommence.

- Faites pas ça, vous avez pas le droit, je le sais !!!!

Son désespoir raisonna dans la ruelle dénuée de toute habitation.

Mini Xandra:

Cela faisait déjà plusieurs années qu'ils s'étaient regroupés en bande organisée, eux les plus âgés d'abord qui avaient su résister à l'appel de ces quelques rares guildes qui tentaient de recruter les gamins des rues qu'ils étaient. Entrainant dans leur sillage leurs protégés les plus jeunes, la bande de Théodemar et Gondemar avait grossit avec le temps, mais malgré tout ils demeuraient encore libres comme l'air, même si à leur âge il devenait difficile d'espérer pouvoir échapper encore bien longtemps à la loi ducale et aux miliciens qui patrouillaient et s'intéressaient de plus en plus à leurs activités. Officiellement ils se cachaient on ne savait trop où, disparaissant dans les ruelles ou sur les toits tels des acrobates, prompts à s'enfuir aussi vite que des chiens qui détaleraient en entendant le moindre bruit suspect ou en sentant une présence étrangère. Ce jour-là le temps était magnifique, un beau soleil brillait haut dans le ciel et le duo d'inséparable était de sortie pour faire des repérages sur la place du marché, en toute discrétion. Leurs habits n'étaient guère très beaux, mais ils n'étaient pas non plus rapiécés comme ces mendiants qui tendaient leur paume en quête d’aumône auprès des passants. Ils avaient les cheveux longs, l'un arborait un air malin qui laissait à penser que son esprit devait être des plus vifs, tandis que l'autre, plus grand et carré d'épaules, toisait le monde d'un regard froid que ses yeux clairs ne faisaient qu'accentuer. Une journée comme celle-ci était faite pour préparer le terrain en vu des futurs larcins dans les demeures de quelques bourgeois qui auraient été aperçus au marché, mais ce fut les éclats de voix de miliciens qui attirèrent l'attention des deux jeunes hommes, leur permettant d'apercevoir un morceau de la scène qui se jouait et de la petite fille qui s'enfuyait avec deux hommes d'armes sur les talons. D'un regard entendu, les complices prirent un chemin parallèle pour suivre les protagonistes, la scène qui s'apprêtait à se dérouler risquant fort de leur déplaire.

- Faites pas ça, vous avez pas le droit, je le sais !!!!

Celui qui se tenait derrière l'homme qui venait de déboucler son ceinturon reçu soudain une pierre sur son armure qui résonna dans un bruit mat en atteignant le cuir dans son dos, le faisant se retourner vivement. Un autre jet de pierre l'atteignit cette fois sur le coin de la mâchoire tandis que des insultes fusaient en provenance de l'entrée du cul de sac dans laquelle se trouvait les deux hommes et l'enfant. Théodemar, provoquant à souhait et fort habile pour ce qui était d'attirer l'attention, injuriait sa cible qui finit par décider de tenter d'aller lui donner une bonne leçon, s'éloignant au pas de course, persuadé que son collègue saurait fort bien se débrouiller avec la sale petite chapardeuse. Le milicien restant, ceinturon en main, pesta après l'impulsivité de son collègue et s'approcha vivement de l'enfant, levant déjà la boucle d'un air menaçant, prêt à lui en asséner un nombre de coups suffisant pour s'assurer qu'il ne lui reprenne plus jamais l'envie de voler quoi que ce soit. Ce fut à ce moment qu'une masse le percuta de plein fouet par le côté, le projetant au sol avant de se jeter sur lui, le frappant avec force au visage, encore et encore, jusqu'à-ce que l'homme ne perde conscience, complètement sonné.

- Viens !

Le jeune Gondemar, qui possédait déjà la stature d'un homme de haute taille qui n'avait pas encore tout à fait achevé sa croissance, attrapa la main de la petite fille et l'attira à lui, la soulevant dans ses bras avant de prendre de l'élan, bondissant sur le rebord haut placé que l'enfant n'avait pas osé escalader, quittant ainsi par les toits le cul de sac avant que le stratagème de son ami ne prenne fin et que l'autre milicien ne revienne sur ses pas. Ils avaient toujours différents points de rendez-vous selon le quartier dans lequel ils se trouvaient et c'est d'un pas rapide et étrangement léger que Gondemar s'y rendit, gardant serré dans ses bras celle que Théodemar et lui venaient d'aider. Décidément, à ce rythme ils allaient finir par avoir de graves ennuis.

Ah l'été, la saison où les belles femmes étaient de sortie, là où les fruits étaient les meilleurs ... et l'argent ! C'était le temps des récoltes pour certains et le temps pour les petits bourgeois de récolter le fruit de leur labeur ... leur labeur, hahaha ! Théodemar était un bâtard et un enfant des rues, il en savait quelque chose du labeur mais eux, ce n'était que des parasites. Il se jura de ne pas devenir comme ces rustres si un jour il hérita d'Aristide.

Le jeune Ecuviel portait en cette magnifique journée, une petite tenue de cuir qu'il avait volé à un artisan la semaine précédente. La parfaite taille qui plus est ! Il était plutôt grand, 'fin dans la moyenne pour les hommes de son âge, pas comme le grand nigaud de Gondemar assurément mais grand quand même. Ses yeux bleus pétillait d'une étrange lueur, de l'intelligence ? De la planification ? On en savait rien mais on savait que quand il posa ce regard bleuté sur quelque chose qui l'intéressait il tapota le bras de Gondemar pour lui montrer une faille ou peut être ce qui pourrait être volé sans que le marchand sans aperçoive.

Ses longs cheveux filasses étaient en queue de cheval à l'arrière de son crâne. Il n'aimait guère avoir la vue gênée par ses cheveux, il avait eu une fois la mauvaise expérience d'avoir les cheveux en grimpant sur un toit ... son poignet s'en souvient encore.

Le repérage allait bon train, le jeune homme avait prit une pomme d'un étal de fruit tout en payant le marchand bien entendu ... Une pièce de bronze volée à un petit homme qui passait par là. C'est que ses mains étaient faite pour cela, aussi discret que baratineur. Ah que la vie est belle se dit-il en croquant dans sa pomme tout en regardant Gondemar avec un grand sourire.

On entendit des cris, une plainte. Une petite fille peut être ? Théodemar suivit le regard de Gondemar et eut un soupir lorsqu'il suivit son ami qui était déjà partie. Pourquoi toujours se mêler de choses qui ne les regardaient pas, bon sang ... quoique, ils étaient dans la rue et une gamine des rues même qui n'était pas avec eux, était une soeur. Bon bah allez !

Le jeune homme regarda à terre lorsqu'ils arrivèrent dans la ruelle, puis pris une petite pierre qui se trouvait là. Il prit son élan et d'un geste théâtrale la lança vers le garant de la paix. La pierre atterri sur son armure.

"Bon sang, j'avais visé sa trogne"

Il reprit une pierre et cette fois, le milicien se tourna et BINGO !! OUAAAIS !!! En pleine face !! Théodemar jubilait intérieurement. Il eut un sourire et reconnu Jojo, le gros milicien du quartier de la Hanse.

"Eh Jojo ! Ca fait plaisir de te voir ! Comment ça va ? Et ta mère ? Elle s'est remise de ma visite d'hier soir ? Ah non, je veux dire ta soeur, plutôt ! Sacré laideron mais plutôt bonne au plumard !"
"Sacrebleu, 'tend un peu que j't'attrape Ecuviel t'vas voir de quel bois j'me chauffe"

Théodemar croqua dans sa pomme et lui balança à la face en courant de l'autre côté de la ruelle.

"Tu me dois une pièce de bronze, Jojo !"

Le milicien grogna et retira le fruit éclaté de son armure. Mince, c'est qu'il était rapide le bougre, il allait le rattraper mais heureusement que le bon vieux Théodemar avait de la ressource, il allait alors vers le port et là, il jeta une caisse de merlu aux pieds du milicien qu'il évita par malchance. Bordel ! Il prenait du terrain et d'un coup l'élan du gamin se perdit et il atterrit dans une caisse de pieuvre avec Jojo.

"Je vais sentir comme la chatte à ta soeur, Jojo, bon sang !" Il se prit un coup de poing du milicien qui s'était relevé, sa lèvre inférieure s'était fendue mais le poids du milicien qui semblait plus digne d'être un boucher que militaire était à son désavantage et lui envoya un coup de pied avec les deux panards et tituba en arrière . Il regarda autour de lui tout en se relevant et il vit que la digue n'était pas loin, avec un immense sourire il dit

"Jojo ! Tu l'as déjà fendacé ta soeur ? Moi j'crois qu'oui, son môme à ta gueule !" Il évita le coup de pied qui brisa la caisse de mollusque et roula sur le côté.

Ah que c'était bon la vie dans la Cité, les courses poursuites avec les miliciens, les pommes, les petites filles qu'on sauve, ah lalala. Ils arrivèrent à la limite du port, juste devant la mer. Un pêcheur fût expulsé hors du ponton et alla boire la tasse et bah ... bon, mauvaise idée en fait.

"Fait pas l'con l'Ecuviel, t'as nul part où aller."
"Ah ouais ?"

Il lui adressa un geste que la morale interdit de décrire et le taureau furieux chargea sans réfléchir. Théo voulait éviter de se mouiller mais le plongeon que le milicien avait fait ... c'était impossible. Trempé de la tête aux pieds, génial. Il regarda le milicien se débattre dans l'eau, son armure allait le faire couler et il regarda autour de lui puis pris une large corde qu'il envoya prestement dans l'eau puis partit aussi vite qu'il put.

Epuisé, il avait escalader les toits depuis le port pour retrouver le jeune Gondemar et sa nouvelle protégée, la fille que Théodemar avait aidé en se mouillant et en ... pouah ! Sentant les fruits de la mer. Il se posa devant Gondemar et dit en se tenant les genoux avec ses bras :

L'vieux Jojo à son compte et moi aussi, je schlingue comme sa soeur et ... c'est ... vraiment plus d'mon âge ces conneries .. ouf."

Xandra se disait qu’un seul adversaire, c’était peut être suffisant pour se faufiler, mais il leva la boucle de sa ceinture et le souvenir cuisant de sa dernière correction la fit se recroqueviller et fermer les yeux, toute velléité envolée. Elle serra les dents, attendant un coup qui ne vint jamais. La gamine s’autorisa à ouvrir un oeil, curieuse de savoir qui subissait les mandales, ce qui conditionnait son sort.

- Héeee ! Protesta Xandra alors que l’adolescent l’attirait dans ses bras et gagnait la sécurité des toits. C'était rarement une bonne chose quand elle se fait attraper et sa réaction tenait plus de l'instinct que de la volonté de ne pas le suivre. D'ailleurs, elle se détendit rapidement, c'était logique qu'il ne lui voulait pas de mal.

-Ouaouh t’es vachement bon grimpeur toi aussi !

La fillette malingre était loin de se douter que son poids plume n’était pas un soucis pour le jeune homme qui la portait sans mal, traversant la ville depuis les toits. Ses petites mains s’étaient agrippés à son cou, autant pour une question de stabilité que par tendresse devant ce, ces sauveurs sortis de nuls part.

Quand enfin l’homme s’arrêta en sécurité, elle en était sûre et la reposa sur ses pieds, la gamine sortit la pomme d’un air triomphant de sa poche, la frotta sur son pantalon et croqua dedans le regard emplit de malicie. C’est ce moment que choisit l’autre adolescent pour les rejoindre.

Ca valait le coup ! Je m’en serais sorti sans vous, évidemment, mais quand même, merci !

La gamine s’approcha de l’autre homme, dégoûtée par l’odeur qu’il dégagait.

- Pouah tu empestes ! C’est plus de ton age ? Vous êtes si vieux que çà ?

Elle les fixa d’un air sérieux pour ne pas dire sceptique. Son regard allant de l’un à l’autre.

- Moi aussi je suis plus une petite fille répondit la gamine en posant ses yeux clairs sur le grand qui l’avait porté se sentant rougir sans en comprendre la raison. Je m’appelle Xandra et vous ?

Il avait couru sur les toits en essayant d'éviter les pièges habituels, surtout avec une enfant dans les bras qui, si elle ne pesait pas plus lourd que ces grands sacs qu'ils avaient pu dérober dans certains entrepôts, risquait de chuter à tout instant lors d'un atterrissage ou d'un saut un peu trop prononcé. Ainsi Gondemar rejoignit une zone difficile d'accès et bien orientée, posant la petite au sol et tournant la tête en voyant déjà arriver un Théodemar sentant bon la marée... ou pas. Il eut un sourire amusé face à l'air fatigué de son ami, hochant brièvement la tête en imaginant plus ou moins bien ce qui avait pu se fatiguer : quelque part il y avait un milicien sans doute aussi trempé que le voyou, mais beaucoup plus furieux. La rousse de son côté affirmait déjà qu'elle aurait pu s'en sortir sans eux et mangeait sa pomme avec une fierté nullement dissimulée. Les deux voyous échangèrent un regard entendu, d'autant plus que même s'ils n'étaient pas si "vieux" que cela, ils étaient malgré tout en âge de finir sur le billot plutôt que de prendre juste une correction par des gardes.

- Gondemar.

Finit par répondre le jeune homme de haute taille quand la petite se présenta et vers qui porta un regard un peu plus grave, la scrutant avec attention avant de s'accroupir devant elle pour être à sa hauteur, songeur.

- Pourquoi as-tu volé cette pomme ?

Mieux valait demander de quoi il s'agissait, il y avait tant de raisons possibles : l'excitation que procurait cet acte, le goût de la transgression, une vengeance peut-être même contre ce commerçant, ou tout simplement la faim qui lui dévorait le ventre. Gondemar jeta un regard à son ami, le questionnant en silence concernant la suite des évènements. Ils avaient sauvés la petite, d'accord, mais si jamais elle croisait de nouveau le chemin des deux miliciens, il n'était pas dit que cette fois elle ait de graves ennuis, justement parce que deux voyous plus ou moins bien connus l'avait aidé.

Théodemar se remit sur pieds même si il avait un peu de mal à reprendre son souffle ... faudrait qu'il arrête les pommes un petit moment en plein milieu de la journée sinon il allait se faire prendre par les gardes, la prochaine fois ... il n'avait pas tellement envie d'avoir une main en moins ... imaginez le monstre, vous. Il regarda alors Gondemar et eut un petit sourire en coin. Il s'abaissa alors et dit :

"Théodemar. J'suis pas comme le grand dadais là c'est clair mais ... je me suis "mouillé pour toi et cette pomme, on s'en fiche pourquoi tu l'as." Il se releva et regarda son camarade.

Pourquoi une gamine volerait une pomme ? Il n'avait pas assez vécu dans la rue pour savoir pourquoi on volait la nourriture sur un étalage ? Il agita la tête et lui mit un petit coup sur son avant bras.

"Parce que c'est sûrement une gamine des rues, mon vieux. Je vois pas un gosse de riche volé pour le plaisir de se faire courser par les carapaces ambulantes." Il regarda alors la fillette et dit :

"Tu es seule dans la rue, gamine ?"

-Gondemar... répéta Xandra en le fixant de ses grands yeux clairs comme pour être certaine de s’en souvenir. C’était un étrange prénom de son point de vue, ça lui faisait penser au mot “gond” et aux serrures qu’elle avait tenté de crocheter sans succès la semaine passée pour accéder à un garde manger...

Elle resta planté là, sa pomme à la main à le dévisager, ce qui était plus facile maintenant qu’elle n’avait plus à se tordre le cou pour réussir à parcourir ses traits. Elle le trouva beau, très beau et impressionnant aussi. Trop peut être et elle recula d’un pas, un peu mal à l’aise, croquant à nouveau dans la pomme pour se donner une contenance.

- Pourquoi as-tu volé cette pomme ?

- Ben…

La petite rouquine se détourna pour se retrouver à nouveau nez à nez avec celui qui ne sentait pas très bon. Elle avait peur de donner une mauvaise réponse. Est-ce qu’ils allaient la sermonner ? Son visage inquiet retrouva des couleurs quand Théodemar annonça qu’on s’en fichait bien de la raison de son larcin et un grand sourire illumina son visage, sourire qui s’évanouit quand il évoqua sa situation.

- Tu es seule dans la rue, gamine ?

- J’ai besoin de personne ! Au cirque ils ont crus qu’ils pouvaient m’essploi..exploi..prendre tout mon argent mais je me suis pas laissé faire ! Je suis partit, personne se sert de moi !

La gamine se tortillait sur ses deux jambes, mal à l’aise et elle échappa au regard des deux adolescents pour regarder le bout de ses chaussures troués.

- Oui je suis toute seule...Mais c’est un choix hein ! Dites, vous….Vous allez partir maintenant ? Vous allez ou ?

Gondemar écouta Théodemar et hocha nonchalamment la tête, reportant son attention sur la jeune fille qui avait reculé après l'avoir observé : avait-il l'air si effrayant que ça ? En tout cas son ami semblait penser qu'il s'agissait d'une gamine des rues et la question qu'il posa à la rousse ainsi que la réponse qui y fut apporté confirma ses suspicions. Un cirque ? Il était courant que des orphelins y travaillent, après l'exploitation en bande organisée était monnaie courante, même si injuste aux yeux des deux jeunes hommes. Est-ce qu'ils allaient partir en la laissant là, voilà bien une interrogation que se posait déjà le plus grand des deux, mais il lui était difficile de croire que c'était un choix pour la petite de demeurer seule.

- Nous allons là où personne ne nous dit ce que nous devons faire.

Une ombre de sourire apparu sur les lèvres de Gondemar qui porta son attention sur son ami, un regard entendu alors qu'une idée s'imposait à son esprit et, très probablement, dans celui de Théodemar également. Il lui adressa un signe du menton et se leva, observant de nouveau Xandra avec une attention soutenue.

- Tu sais où dormir cette nuit ?

Allez, si le géant était plus timoré que son ami, il n'en demeurait pas moins songeur quant à l'avenir de celle qu'ils avaient aidés aujourd'hui et, outre le fait que Ecuviel avait bien besoin de se laver, il allait falloir songer à rentrer pour préparer les vols de cette nuit.

"Besoin de personne, hein ?"

Dit-il avec un grand sourire tout en regardant son frère de coeur, le regard qui lui adressa en disait long et Théodemar le connaissait assez pour savoir ce qu'il avait en tête.

Il se releva avec une douleur dans les genoux, aaarr les douleurs reprennent... après chaque course poursuite de ce genre, ça le prenait m'enfin il avait besoin d'un bain avant ... il sentait fortement la moule pas fraiche et on devait le sentir à des lieux à la ronde.

"On a qu'à l'amener à Jonas, je veux pas me retrouver avec ce débile sur le dos ... c'est pas le moment de faire des conneries surtout pour lui."

Il fit mine de se sentir et dit avec un grand sourire :

"Et je pue la marée, j'ai besoin d'un bain ... avec Irena si possible"

Il fit un clin d'oeil à Gondemar en sachant de qui il parlait, Irena était une jeune blonde avec qui il s'était entiché ... 'fin entiché ... c'était surtout pour s'amuser mais la jeune femme semblait s'en foutre comme Théodemar, la vie était trop courte pour ne pas s'amuser.

- Nous allons là où personne ne nous dit ce que nous devons faire.

La gamine n’avait rien répondu mais ses yeux s’était légèrement plissés, tout comme ses sourcils s’étaient froncés. Qu’est ce qu’il lui chantait là ? Xandra n’y croyait guère, elle était sûr que c’était impossible mais son coeur s’était emballé à l’évocation d’un tel endroit.

- Tu sais où dormir cette nuit ?

- Bien sûr ! J’ai des cachettes un peu partout, il y a celle dans la cave du vieux Pierrot, mais il ronfle et y a pleins de courant d’airs, c’est celle ou j’ai le plus froid, y a aussi vers le port, un entrepôt avec une vitre cassé, je me suis jamais coupé en entrant vous savez...Et...C’est pas terrible et puis parfois je me fais chasser…

Le volume de sa voix s’était fait de plus en faible à mesure qu’elle se retrouvait à avouer à ces deux adolescents qu’elle ne s’en sortait pas aussi bien qu’elle voulait le faire croire.

"Besoin de personne, hein ?"

Xandra secoua la tête en un vigoureux non qui fit voleter quelques mèches rousses de sa tignasse.

" On a qu'à l'amener à Jonas, je veux pas me retrouver avec ce débile sur le dos ... c'est pas le moment de faire des conneries surtout pour lui."

La gamine avec reculé un peu, elle se méfiait, c’était comme ça, elle s’était fait avoir une fois, bon d’accord, deux, peut être trois depuis qu’elle s’était enfui du bordel et ça lui avait servit de leçon. D’un autre coté, ils s’étaient mouillés pour la sortir du pétrin dans lequel elle s’était fourré. La gosse ne savait plus trop ou elle en était et puis elle avait instinctivement envie de rester avec eux, surtout lui là, le grand.

- Y va se passer quoi là bas ? Vous allez me demander quoi pour je puisse rester hein ? Pis c’est qui Jonas, je croyais que vous rendiez des comptes à personne ?

La moue de la gamine se fit suspicieuse mais elle avait arrêté de reculer. Parce qu’elle se sentait seule et un peu triste aussi. Sa mère lui manquait.

"Et je pue la marée, j'ai besoin d'un bain ... avec Irena si possible"

- C’qui elle ? Une pute ?

Il n’y avait pas vraiment de jugement dans la voix de la gamine qui avait grandi dans un bordel, c’était tout autant de la curiosité que de la méfiance. Parce qu’elle, s’était hors de question, c’était trop dégoûtant les “choses de grands”.

- Si je viens, je peux en prendre un de bain ? Sans personne ?

Si Théodemar sentait la marée, Xandra, elle, puait la chaussette sale. Elle se lavait bien sommairement dès qu’elle en avait l’opportunité, mais son hygiène restait douteuse. Pis le noir là, sous les ongles, ça partait jamais...

Gondemar était quelque peu attendri par cette gamine qui se voulait forte, mais qui visiblement survivait difficilement au prix de nombreux efforts. Il ne sourit pas cependant, n'en éprouvant pas l'envie et ne voulant pas qu'elle se méprenne sur ses pensées à son égard, tournant la tête vers Théodemar quand celui-ci laissa entendre qu'elle avait finalement besoin de quelqu'un, justement. Ces deux-là ne savaient que trop bien ce que c'était que de devoir survivre dans des rues et ruelles inhospitalières où leur présence n'était pas désirée ni même tolérée. Le fait qu'ils aient survécus jusqu'à présent en disait long sur leur débrouillardise et l'efficacité des combines qu'ils avaient mises au point.

- Y va se passer quoi là bas ? Vous allez me demander quoi pour je puisse rester hein ? Pis c’est qui Jonas, je croyais que vous rendiez des comptes à personne ?


- Nous te demanderons de ne pas faire de problème, c'est l'endroit où nous vivons et où nous nous reposons, notre repère en quelque sorte. Jonas est notre amie, nous lui avons laissé la tête de notre groupe car il aime bien jouer le chef, mais nous sommes tous trois au même niveau.

Ils formaient davantage un triumvirat qu'un groupe avec un chef à leur tête, mais ce terme ne leur étant pas connu, c'était encore la meilleure façon de l'expliquer tel qu'ils venaient de le faire. La mention de Théodemar prenant un bain avec leur camarade blonde, puis la question de la petite rousse, firent éclater de rire Gondemar qui ne s'attendait pas du tout à un tel enchainement. Son rire était déjà grave, mais n'avait pas encore les accents rauques qu'il prendrait plus tard avec les années, si bien qu'il était encore agréable à l'oreille.

- Irena est une fille que Théo essaye de courtiser sans succès. Elle est du genre libre et devrait bien t'apprécier.

Leurs tempéraments avaient l'air similaire et nul doute que les deux allaient bien s'entendre, tout comme le jeune homme était sûr et certain que sa future femme, Elora, prendrait sous son aile protectrice la petite Xandra comme le ferait une maman de substitution ou une grande sœur. La question qui suivit cependant fit tiquer le jeune homme de haute taille qui lança un regard indéchiffrable à son ami, le genre de regard que celui-ci allait forcément décrypter et qui semblait sous-entendre une sombre pensée sur le genre de choses qu'avait pu vivre la petite, à moins qu'ils ne se fassent des idées. Puis Gondemar reporta son attention sur la rouquine et acquiesça, passant une main sur le dessus de sa tête en un signe déjà affectueux.

- Oui tu pourras, mais il nous faut partir maintenant, sinon nous n'aurons pas le temps.

Déjà il se dirigeait vers le bord du toit, dardant son regard clair sur les alentours en contrebas, guettant les sons caractéristiques d'une patrouille qui pourrait passer non loin et risquer de les surprendre. Toujours lorsqu'ils se déplaçaient sur les toits, les jeunes des bas quartiers prenaient des précautions afin qu'il ne vienne jamais à l'idée aux gardes de grimper là-haut, sur leur propre terrain.

"Il aime jouer au chef et à l'idiot." Dit-il en regardant sérieusement Gondemar.

Ce dernier savait ce que Théodemar pensait de Jonas, il n'était qu'un idiot qui se pensait puissant et invulnérable face à l'autorité milicienne et il n'avait montré plusieurs fois en se faisant attraper. Evidemment, il se faisait aider constamment par la bande en risquant les vies de ceux qu'il avait sous sa protection ainsi que de Théodemar et de Gondemar.

Il regarda autour de lui de peur que Jojo et son camarade n'est appelé des renforts et les avaient suivis. Il entendit la question de Xandra et le grand dadais lui répondit à la place du Schlingeur. Il se mit à sourire quant à la réponse du jeune homme et dit:

"Gondemar n'a pas répondu à ta question. Non, Irena n'est pas une pute ma chérie. C'est une salope. C'est un peu le même principe mais elle ne se fait pas payer. Mais oui, je suis sûr que tu vas l'adorer."

Il acquiesça et allait partir en même temps que ses deux comparses lorsqu'il entendit une voix en bas du bâtiment ...

[B]"Théodemar Lionel Ecuviel ! Gondemar Rosalis ! Qu'est ce que j'entend ?! Venez ici de suite si vous ne voulez pas une raclée avec une poêle !" Hurla la voix d'Héléne Tyur

Il regarda alors Gondemar avec un sourire et dit avec un léger soupire:

"Amène la petite, je vous rejoint avant la nuit ... Hélène n'est pas du genre à être patiente, héhéhé."

Puis il sauta du haut du bâtiment pour atterrir dans une carriole juste devant Hélène.

"Bijour, Hélène." dit-il avec un sourire en réponse au regard noir de la vieille femme.

Spoiler:

- Ouais je vois, vous êtes malin.

Le regard de la gamine allait de l’un à l’autre avec un intérêt nouveau, bien plus grand. Elle se sentit obligé de s’expliquer, on ne la croirait pas sinon.

- C’était comme ça au cirque, Thomas, il croyait qu’il dirigeait tout mais j'entendais sa femme l’engueuler tout le temps le soir et lui dire ce qu’il devait faire. Je les espionnais souvent, ils finissaient pas toujours leurs repas alors...

"Il aime jouer au chef et à l'idiot."

- Alors vous devriez pas le laisser faire. Ma maman, elle disait toujours que les idiots et les imbéciles c’étaient les plus dangereux. Je suis pas sûre de comprendre pourquoi, mais elle disait jamais de choses stupides. Pouvez la croire, je vous l’jure !

Puis le grand il avait rit, il s’était moqué d’elle et une expression contrariée se dessina sur son visage, celle qu’elle arborerait toujours dix ans, quinze ans après, dès qu’elle se draperait dans sa dignité froissée.

- Irena est une fille que Théo essaye de courtiser sans succès. Elle est du genre libre et devrait bien t'apprécier.

- C’parce qu’elle préfère le chef idiot qu’elle veut pas de toi, faudrait lui demander, si ça se trouve tu perds ton temps…

Elle avait cligné des yeux plusieurs fois, ses deux pupilles bleu cherchant celles de Théodemar, inconsciente d’un quelconque malais qu’elle aurait pu provoquer.

"Gondemar n'a pas répondu à ta question. Non, Irena n'est pas une pute ma chérie. C'est une salope. C'est un peu le même principe mais elle ne se fait pas payer. Mais oui, je suis sûr que tu vas l'adorer."

Le petit nez c’était plissé.

- Je comprend pas l'intérêt, c’est trop sale...

Puis un geste trop familier, une tendresse simple et oublié l’avait obligé à se tourner vers Gondemar, avait réfauché un petit quelque chose dans son coeur et un sourire innocent et chaleureux avait remplacé balayé l’air renfrogné de l’enfant. Xandra naviguait d’une émotion à l’autre sans trop savoir les gérer, c’était une étrange situation pleine de promesses à laquelle elle essayait de ne pas trop se raccrocher. C’était loin d’être la première fois qu’on lui faisait miroiter quelque chose.

- Oui tu pourras, mais il nous faut partir maintenant, sinon nous n'aurons pas le temps.

- D’accord, je viens.

Mais une voix avait aboyé sur ses compagnons en contrebas et l’idée de prendre elle aussi un coup de poêle, parce qu’elle était avec eux, ne l’enchantait pas tellement. Si ça se trouve, ils se débrouillaient pas vraiment mieux qu’elle, finalement. Mais quand même, ce qu’ils avaient fait dans la ruelle, c’était...courageux et...Elle jeta un nouveau regard à Gondemar. Il l’avait sauvé du sale milicien. Elle décida d'arrêter de trouver des escusesa, tout allait bien se passer.

- Je peux te suivre facilement tu sais, murmura Xandra qui craignait d’être entendu par la vieille femme qui continuait de vociférer. Vas y, j’te suis, tu vas voir !

Il y avait une petite lueur de fierté dans le regard de la gamine. Il y avait au final peu de choses qu’elle savait faire, mais ça, elle le faisait bien.

Ah cette voix ! Celle de la mère affectueuse qui a entendu ses gamins faire une connerie et qui s'apprête à les punir comme seule une mère pourrait le faire, la voix d'une femme qui, si elle commence à prendre doucement de l'âge, n'en demeure pas moins terrifiante avec son fichu caractère, le genre à tenir tête aux hommes du Duc en personne et à les engueuler comme des enfants si d'aventure l'un d'eux devait oublier de lui manquer de respect, en le traitant de blanc-bec et en lui remontant les bretelles devant tous ses camarades. Hélène, la belle et terrible Hélène, était en contrebas avec sa toute aussi terrible poêle à frire et comme souvent ce fut Théodemar qui sauta dans la ruelle pour se présenter devant leur maitresse à tous, en quelque sorte, à croire qu'il aimait vraiment les ennuis. Gondemar ne pu s'empêcher de sourire avec un certain amusement, quel imbécile celui-là ! Les choses allaient cependant se gâter et mieux valait déguerpir au plus vite en profitant de cette diversion. Jamais les deux amis n'avaient eu à se souhaiter bonne chance, c'était un fonctionnement instinctif entre eux et l'un savait toujours que l'autre pensait à sa sécurité.

- Je peux te suivre facilement tu sais,

Le plus grand tourna un regard bleu pâle vers la petite rousse, plissant les yeux avec une lueur pétillante au fond de ses prunelles.

Vas y, j’te suis, tu vas voir !

Une ombre de sourire défiant et intéressé à la fois passa sur ses lèvres avant que Gondemar ne hoche la tête, lui indiquant une direction du doigt avant de partir soudain au pas de course, fonçant vers le bord du toit avant de bondir avec force, se propulsant sur le toit suivant avant de s'arrêter, désireux de s'assurer que Xandra allait réussir à faire de même. L'écart était relativement grand, un peu plus d'un mètre, il ne voulait pas prendre le risque de la voir déraper et chuter. A cette hauteur, c'était la mort assurée si elle se réceptionnait sur la tête ou la nuque, sans parler des os brisés.