La journée était belle et chaude, et malgré tout son amour pour la forge, Cyrielle ne pouvait s'empêcher de glisser de fréquents regards vers l'extérieur ensoleillé. Elle aurait aimé sentir sur sa peau la chaleur estivale plutôt que la fournaise au parfum métallique qui l'environnait, mais son sens des responsabilités était bien plus impérieux que son goût de la baguenaude, et elle tenait le rythme de travail qui était le sien depuis des années, frappant sans faiblir le fer rouge, le plongeant dans l'eau pour le refroidir, puis usant de la meule pour donner la forme définitive au soc d'une charrue, destiné à un convoi en direction du Labret. Ce ne serait pas très bien payé, passant en réquisition, mais elle tenait néanmoins à fournir un objet de qualité, pour la réputation de l'établissement et sa propre estime personnelle. Même si la forge Lefebvre se targuait de faire d'excellentes armes, Mais après des efforts prolongés, elle avait obtenu un soc solide et affûté, qui trancherait la terre aisément et longtemps.
Alors qu'elle relevait le regard de son travail, elle aperçut Raoul, l'un des ouvriers, qui cherchait à attirer son attention sans la déranger, paradoxe dont il peinait à se sortir. Heureusement pour lui, la forgeronne le remarqua par elle-même. Elle lui adressa un regard interrogateur, tout en s'étirant le dos.
« Euh, il y a un type pour toi. » Puis, devant le visage septique de Cyrielle, il précisa ses propos. « C'est un client, je crois, mais il veut voir que toi, il insiste. Bien attifé, mais je sais pas qui c'est. »
Intriguée, Cyrielle posa ses outils et se dirigea vers l'entrée de l'atelier. Elle ne mit guère de temps à repérer l'homme ayant tant troublé Raoul. Un brun à l'allure dure, avec des traits acérés et un teint sombre. Et une vêture qui parvenait, tout en étant sobre, à évoquer le luxe et l'aisance financière. Il était exotique et intrigant à bien des niveaux, et elle était certaine de ne pas le connaître. Pourquoi, donc, tenait-il tant à lui parler en personne ? Elle ne le saurait pas en demeurant en retrait, et elle s'avança d'un pas pressé vers l'inconnu, frottant ses mains contre sa robe pour les débarrasser de la limaille de fer qui s'y attachait encore. Puis elle tendit la dextre à l'étranger, le visage neutre.
« Bienvenue chez les Lefebvre, je suis Cyrielle Ferrand, la fille du propriétaire. Parait que vous me cherchez, je peux faire quoi pour vous ? »
Elle ne chercha pas à tourner autour du pot, ni à savoir qui pouvait être l'homme, et comment il la connaissait. Elle était forgeronne, et supposait donc qu'il venait pour cela. Le reste, il le lui dirait lui-même, ou non.