Marbrume


Le deal à ne pas rater :
Cdiscount : -30€ dès 300€ d’achat sur une sélection Apple
Voir le deal

Partagez

 

 Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé]

Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Aller en bas 
Yseult de TraquemontChâtelaine
Yseult de Traquemont



Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] Empty
MessageSujet: Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé]   Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] EmptyLun 26 Oct 2015 - 13:28
Les ténèbres. Elles flottent à mes côtés, remplacent le ciel, remplacent la terre. Il y a dans cette omniprésente obscurité une étrange promesse à la mystérieuse attirance ; c'est comme si elles chuchotaient à mes oreilles : « Rejoins-nous... ». Vous pourriez me croire folle devant ces mots, mais je peux jurer devant la sainte Trinité qu'il n'en est rien. J'ai toute ma froide raison, toute ma limpide lucidité, et je devine derrière ces susurrements alléchants la simple tentation de me laisser aller à ce que mon âme peut receler de plus sombre et de plus violent. Chaque jour que les dieux font je me tiens à cette dignité austère et martiale qui est la mienne, mais... quand vient la nuit... je rêve des massacres et des carnages que réclame ma vengeance.

Le sang épais des Fangeux. Il doit couler... Il ne sert à rien de s'abaisser au niveau des bêtes. Je me dis que la haine est inutile, si elle n'est mise au service de la protection des petites gens. Si laid... si visqueux... pourquoi ravit-il tant mon cœur lorsque je le vois se déverser ? Les ténèbres continuent de chuchoter. J'entends dans ces voix réunies en une seule des rires et des pleurs. Il doit couler ! Couler, avec force et générosité ! D'indicibles douleurs et d'impies allégresses, toutes mélangées, toutes mariées. Mariée... oui, j'étais mariée...! ils m'ont pris un homme que je n'aimais pas tant, mais dieux ! que j'aimais la vie paisible qu'il m'offrait... Qu'attends-tu pour sortir ? Ce monde foudroyé t'appelle... honore sa terre damnée avec leur sang ! La plus belle libation qui soit... Je veux qu'elles se taisent. Je refuse d'en entendre davantage, mais refuser, parfois, est insuffisant. J'ai la diffuse et sourde conviction que si je continue de combattre les Fangeux pour ma seule vengeance, je vais finir par me perdre sur les sentiers traîtres de la violence, de la cruauté et de la colère. Ne devrais-je pas le faire... au nom des petites gens...? Non ! Tue, châtelaine, tue-les tous ! Elles ont cessé de murmurer. Au lieu de ça, les voilà qui hurlent... qui rugissent dans mon cauchemar... elles vocifèrent leur soif de meurtre de masse.

Je me réveille sans un sursaut, sans un frémissement. Mes yeux s'ouvrent avec douceur, parés d'un discret scintillement annonciateur de larmes silencieuses. Un pâle soleil franchit l'épais vitrail décoloré de ma fenêtre et se répand en nuances rosées ou ambre sur mes draps de lin. Ils étaient de satin, à une époque. Une époque qui date de quelques mois à peine, mais qui me paraît terriblement lointaine. Floue. Comme si ces souvenirs appartenaient à une autre...
C'est d'une main légère que j'en repousse les plis à peine froissés. Pour sinistres que soient mes songes, il semblerait qu'ils ne m'agitent pas dans mon sommeil. Et pour peu réparateur que soit mon repos, il semblerait également que je ne puisse accuser la fatigue. C'est à croire que je ne vis plus vraiment, n'est-ce pas...?

Je fais quelques pas sur les dalles glacées de ma chambre, laissant le froid de l'air assaillir ma peau dénudée. En jetant un regard neutre par la fenêtre, je devine que l'aube doit être là depuis une bonne heure. Mes appartements sont installés en haut du donjon, et de cet endroit je peux discerner çà et là les quelques hommes d'armes qui tournent comme des fauves en cage sur les chemins de ronde.
Ils savent que nous allons partir en chasse - c'est ce que nous faisons tous les jours. Ce fort ne s'appelle pas Traquemont en vain.

Mais pas maintenant. J'ai une tâche particulière à accomplir aujourd'hui à Marbrume, et au plus tôt je m'en acquitterais, au plus tôt je pourrais revenir parmi les miens. Ces ombres à visage humain avides de vengeance...
Je secoue légèrement la tête pour réprimer la pensée qui m'est venue, quelques mèches d'un blond glacé passant devant mes yeux. Ma crinière a toujours été indisciplinée, et toujours je m'en suis pas mal moquée. Je n'ai pas de dame de compagnie ; la chose m'apparaît futile.

Une toilette sommaire à l'aide d'un broc d'eau claire, un déjeuner frugal aux fruits secs avec un morceau de pain passé, et je m'autorise malgré tout le luxe d'une coupe d'un vin sombre, si corsé qu'il en est âcre. Je prends le temps d'observer mon reflet dans un grand miroir ovale, égaillé d'impacts en étoile, et que cerne une massive dorure en bronze. Je ne parais pas fatiguée... et les tourments qui sont les miens ne se discernent pas dans mes iris à l'azur givré.

Je prie pour que cela dure.

C'est sur ce souhait qu'enfin, je m'habille d'une livrée de cuir noir, laqué. Aussi austère que pratique, elle grince discrètement alors que je lace mes lourdes bottes cavalières que le temps a assouplies. Je ceins une épée à mon flanc ; le fourreau en est soyeux, opaque, élégant quoique sans fioriture. J'aime à songer qu'il me correspond bien.
Et me voilà à descendre les marches du donjon.

***

La Cité Franche. Elle me fait penser à un taureau qui ignore avec quelle rapidité il marche à l'abattoir. Les Fangeux finiront immanquablement par se rassembler et s'y ameuter, et que fera l'humanité lorsque, acculée, elle devra subir le siège d'assaillants que ni la fatigue, ni la faim ni la peur ne repoussent ?
La seule solution est de prendre les devants. Cela demande du courage ou de la folie, qu'importe... tant que les hommes marchent ensemble, unis sous la même bannière.

Une bannière, c'est précisément ce qui m'amène dans les rues de Marbrume - avec deux gardes sur les talons, avec une tenue semblable à la mienne à ceci près qu'en lieu et place d'épées, ils tiennent de longues hallebardes au fer aiguisé. Par un surprenant coup du sort il s'avère qu'un de mes gens a conservé une étoffe à l'emblème de Corbeval lors de notre fuite vers l'Est, mais c'est un blason qui doit être oublié. Il en faut un nouveau... au goût du jour. Au goût de la mort.

Il ne me faut pas longtemps pour jeter mon dévolu sur l'un des commerces du bourg, qu'on m'a indiqué lorsque je me suis enquise de l'adresse d'un couturier ou d'un tailleur de qualité. Et me voilà à m'annoncer, habitude soldatesque, en faisant cogner par trois fois mes phalanges sur la porte de la boutique. J'entre la seconde d'après, suivie par mes hommes.

« Bonjour. Vous sauriez coudre une bannière ? »

Droit au but. Regard perçant qui balaie l'intérieur, posture roide, ton sans doute plus froid qu'il n'est nécessaire. Peut-être faudra-t-il que je devienne plus aimable, un jour... quand j'en aurai le temps.
Revenir en haut Aller en bas
Héloïse CoutrierCouturière
Héloïse Coutrier



Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] Empty
MessageSujet: Re: Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé]   Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] EmptyLun 26 Oct 2015 - 23:23

C’est un matin comme les autres, il ne se passe rien de bien extraordinaire depuis quelques temps dans la vie de notre couturière. Peut-être que ce calme prévoit une rude et longue tempête ? Pourtant, cette fois-ci, encore, le ciel est dégagé et un magnifique bleu inonde le firmament. Cependant, un petit vent glacial rend le climat dès plus froid et Héloïse s’est emmitouflée dans un châle à grosse laine. Derrière la fenêtre de sa chambre au-dessus de l’atelier de couture, elle regarde la rue et les premiers passants qui flânent de bon matin. Elle s’attarde encore quelques minutes à rêvasser derrière la vitre avant de se détourner pour rejoindre sa coiffeuse. Elle s’installe sur le petit tabouret et commence à lisser ses longs cheveux pour ensuite se coiffer d’un chignon au niveau de la nuque. Elle s’inspecte dans le miroir pour examiner que sa coiffure est bien lissé et sérieuse avant d’enfiler une de ses robes –celle d’un gris anthracite- et de remettre son châle sur ses épaules.

Quelques minutes plus tard, Héloïse se retrouve en train de manger une madeleine soigneusement pliée dans un torchon et à boire un petit verre de lait frais – qui vient d’un teupin* presque vide qu’elle laisse sur le rebord de son petit balcon pour garder sa fraicheur-. Installée sur le bord de son lit, ses pieds nus se frottent contre le petit tapis pour se réchauffer tandis qu’elle déguste silencieusement son petit déjeuner. D’un geste lent, elle s’essuie la bouche d’une main avant d’effectuer une petite toilette avec un linge propre, se nettoyant le visage et les dents.

Une fois fin prête et après avoir enfilé ses souliers, elle descend le petit escalier étroit qui mène à la boutique. Depuis qu’elle travaille pour monsieur Lanvin, un homme généreux qui l’a pris sous son aile en lui offrant un emploi et un toit sur la tête. Elle ouvre comme tous les jours, à la même heure, les portes du commerce. Ses deux camarades d’aiguilles, Marie, la plus âgée –ses deux garçons sont déjà grands et son mari est garde aux remparts de la ville- et Annabelle, mère de famille – qui doit s’occuper de quatre enfants- la rejoignent une petite heure plus tard. Son patron, lui, est souvent en déplacement chez les grands de ce monde durant la matinée.

Elle commence à épousseter le comptoir et à ranger quelques rouleaux à fil, des patrons, des échantillons de tissu pour ensuite jeter un coup d’œil des commandes à finaliser dans le registre. Elle doit terminer une robe de couleur émeraude, elle grimpe sur le petit escarbot pour attraper le tissu en haut d’une étagère tandis que distraite par le bruit de la porte, elle glisse et fait tomber une pile de textile parterre. Héloïse se rattrape de justesse mais, dans son malheur, se foule la cheville sous la petite chute.

- Bonjour… Dit-elle d’une petite voix contrite avant de clopiner pour ramasser les affaires éparpillés sur le sol et de trotter jusqu’au comptoir. Une bannière... ? Oui… Je suppose… Elle pose les tissus sur une chaise avant de légèrement boiter vers la cliente.

- Quelle genre de bannière souhaitez-vous ? Quelle grandeur ? Couleurs ? Souhaitez-vous qu’on y brode un texte ? Ou un blason ? Questionne-t-elle en prenant un crayon pour noter les informations sur une feuille de papier. Malgré un sourire accueillant et aimable, parfois son visage se crispe en appuyant trop vivement sur son pied qui soutient sa cheville foulée. Souhaitez-vous une estimation ? Soumet-elle en parlant bien évidemment du prix du futur ouvrage. Ou voir nos plus beaux tissus… ? Propose-t-elle à la jeune-femme.

*Pot à lait
Revenir en haut Aller en bas
Yseult de TraquemontChâtelaine
Yseult de Traquemont



Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] Empty
MessageSujet: Re: Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé]   Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] EmptyMar 27 Oct 2015 - 12:51
Elles sont trois à tenir le modeste atelier où j'ai fait irruption, l'une sensiblement plus jeune que les autres. C'est d'ailleurs elle qui vient m'accueillir, après avoir chu du perchoir grâce auquel la jeune femme a pu se saisir des étoffes qu'elle aura jugées appropriées à sa tâche. Cahin-caha, je l'observe revenir à son comptoir où la couturière dépose ses tissus : elle m'offre un sourire dont je devine au pli un rien froissé qu'il cache la petite douleur que sa cheville doit lui infliger. Malgré moi, je ressens un élan de sollicitude qui n'est guère éloigné de ce qu'une mère pourrait éprouver envers un enfant maladroit : mais cette émotion ne parvient naturellement pas à franchir le masque impassible de mon visage. Je ne suis certes pas l'insensible figure martiale que j'offre tous les jours à mes hommes, mais ce faux-semblant m'est bien trop pratique dans mes devoirs pour que je l'abandonne.

Mon attention s'égare un moment vers ses deux aînées, toutes accaparées par leurs propres occupations. L'espace d'un moment, je suis surprise qu'elles ne viennent point prendre la relève de leur cadette et s'enquérir elles-mêmes de ma commande ; mais à peine formulais-je cet étonnement en mon for intérieur que je ressentis aussitôt une vive envie de rire de mon arrogance. Bien sûr, mon apparence était davantage celle d'une soldate ne portant pas les couleurs de Marbrume, liée au service de quelque obscure maisonnée réfugiée en les murs de la Cité Franche - et non celle d'une châtelaine dont le rang, souvent, inspire un certain malaise aux petites gens. A moins que là encore, je ne fasse preuve de vanité avec une telle expectative ? Il est vrai que je n'ai guère été au contact de la populace dans de tels contextes.

J'intime d'un geste agacé à mes deux gardes de s'écarter du passage, ayant remarqué qu'ils se tenaient sur le seuil de l'édifice et auraient ainsi pu gêner l'entrée de quelque autre client. Je viens auprès du comptoir, pianotant des doigts sur son bois patiné ; un regard en arrière pour détailler la couturière. Sa chevelure sombre, à la teinte assortie à celle de ses iris, se retrouve disciplinée en un chignon pratique ; elle s'est vêtue d'une robe dont le coloris grisâtre la vieillit à mes yeux, descendant jusqu'à une paire de souliers que semble apprécier la paysannerie lorsque son labeur n'est pas aux champs.

« Trois aunes de long par trois empans de haut. » Je lui réponds d'une voix claire, pivotant vers elle dans un léger grincement de cuir. « Elle devra être noire et brodée de fils d'argent sur son pourtour. Peut-être ne disposez-vous pas d'une pièce d'étoffe suffisamment grande, mais je gage que si tel n'était pas le cas, vous sauriez vous en procurer au plus tôt. »

Je m'étais assez tôt débarrassée des tournures ampoulées qui caractérisaient le discours d'un certain nombre de mes pairs, notamment parce que j'avais plus souvent été en présence d'hommes d'armes que de courtisans ; il n'en restait pas moins qu'un accent tout aristocrate, un peu alambiqué, demeurait dans mes mots.

« Un corbeau blanc pour survoler une tour d'ivoire. » Jadis il survolait deux hautes montagnes. Mais Corbeval n'est plus et doit être oublié.

Avec la violence d'un coup de tonnerre, les souvenirs affluent et inondent mes pensées. Tristan. Arthur. Ma maisonnée et ma lignée, toutes deux englouties par la marée fangeuse... Je revois de petites dents brisées, des oreilles dévorées, des lèvres arrachées. Le sang déserte mes traits alors que la ligne de ma mâchoire se durcit à m'en faire mal. J'entends à nouveau les cris perçants de mon enfant qui hurle à la mort. Un tremblement dans mes doigts. Douleur et rage, souffrance et haine qui se mêlent en une même bouffée de chaleur dont l'ardeur me fait perdre le fil de mes réflexions. Qu'est-ce qu'une mère qui ne peut sauver le fruit de sa chair...

Je plaque une façade impavide sur mes traits alors qu'une unique larme s'échappe du coin de mon œil azuré. Le devoir... avant tout... avant le deuil... Aucun frisson dans ma voix. Rien qu'une froideur polaire et un orage pour couver au fond de mon regard :

« Ne me montrez pas vos tissus. Je préférerais voir des exemples de votre travail, si vous en conservez ici. »
Revenir en haut Aller en bas
Héloïse CoutrierCouturière
Héloïse Coutrier



Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] Empty
MessageSujet: Re: Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé]   Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] EmptyJeu 29 Oct 2015 - 10:24

Ses yeux sont rivés sur la feuille de papier et elle annote toutes les consignes et détails pour cette nouvelle commande. De temps en temps, elle lève les yeux vers la nouvelle cliente et lui trouve un style très masculin. Elle porte une livré de cuir noire qui lui comprime la poitrine et ses bottes cavalières lui donne l’air baroudeuse. Cependant l’épée à son flanc lui indique que cette femme sait se battre et qu’elle dirige son escouade pour avoir ordonné aux deux gardes de fiche le camp. La milice, très certainement, pense Héloïse. Puis qui vient, de nos jours, passer une commande d’une bannière ?

La couturière est plutôt impressionnée qu’une femme a le courage de rejoindre les troupes, plus-même, si celle-ci a assez de hargnes pour commander et ne pas se laisser faire par le machiste de certains hommes. Héloïse ne sait ni se battre et encore moins monter à cheval, elle s’interroge, peut-être doit-elle songer à prendre quelques leçons ? Ça peut lui servir… Elle sourit doucement et lève les yeux au plafond, comme si l’idée est devenue saugrenue.

- D’accord, tout est parfaitement noté. Héloïse a une écriture propre même s’il lui arrive de raturer certains mots.

Héloïse est surprise par le visage si froid et impassible de la cliente et de son ton autoritaire. La couturière hoche positivement la tête avant de se détourner, boitant légèrement pour aller chercher quelques exemples de leurs travaux. Dos à la dame, Héloïse regarde Marie et Annabelle imitant une grimace sévère pour parodier la frigidité de la Dame. Marie baisse la tête pour cacher son sourire continuant à coudre, tandis qu’Annabelle creuse ses joues pour ne pas rire à plein poumon.

Quelques instants plus tard, Héloïse revient avec deux bannières pour que la cliente puisse examiner la qualité de leurs ouvrages. La couturière est plutôt fière de ces deux bannières, Héloïse apporte beaucoup d’importance aux détails. La première bannière est tissé d’un rouge vif promenant un dragon noir, le plus terrifiant dans celui-ci est très certainement le détail des dents. Et la seconde bannière est plus simple proposant un fond dorée avec l’inscription d’un blason et d’une phrase.

- Nous trouverons une étoffe selon vous souhaits, Madame. Explique-t-elle car les deux bannières qu’elle lui présente sont plus petites que trois mètres de long par trois mètres de haut.
- Je pense qu’un mois est nécessaire pour réaliser avec soins votre bannière… Monsieur Lanvin demande toujours un acompte, il vous faudra repasser pour vous acquitter d’une partie du montant. Informe-t-elle car le prix de cette œuvre va très certainement couter plus que quelques pièces.

Revenir en haut Aller en bas
Yseult de TraquemontChâtelaine
Yseult de Traquemont



Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] Empty
MessageSujet: Re: Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé]   Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] EmptySam 31 Oct 2015 - 2:35
Je relève du coin de l’œil les deux couturières plus âgées qui, avec une dérision que je partage, singent mon austérité de quelques grimaces. L'ombre d'un sourire à la surprenante douceur menace d'étirer mes lèvres tandis que d'un revers de la paume, je fais disparaître la ténue scintillance ayant menacé de souligner de peine mes yeux glacés. Les souvenirs de ma vie passée peuvent attendre. Je pleurerai lorsque ma tâche sera accomplie.

Il ne faut que quelques instants à la jeune couturière pour trouver une paire de bannières qu'elle me présente comme preuve de la qualité de son travail. Jeune... L'est-elle vraiment ? Elle est femme faite. En vérité elle ne doit guère avoir quelques ans de moins que moi. Nous pourrions être sœurs si la Trinité l'avait ainsi voulu. Depuis quand considère-je ainsi des femmes de mon âge comme jeunes, sans m'accorder la même faveur ?
Je ne me sens pourtant pas... usée. J'ai l'esprit alerte, la pensée vive, le regard aiguisé. Je manie l'épée avec une meurtrière élégance et mon talent pour tuer n'est plus à prouver. Je ne suis pas moins leste ou endurante que les hommes que je mène, et l'exemplarité a toujours été le terreau fertile de mon autorité ; alors pourquoi ne vois-je pas la vigueur pleine d'allant de la jeunesse en moi...?

Je sais pourquoi.

Lorsqu'on voit la fraîcheur des jeunes gens, on voit également s'étaler à leurs pieds toute la destinée qu'il leur reste à accomplir. Toute la vie dans laquelle ils doivent encore mordre à belles dents... toutes leurs jolies passions, toutes leurs grandes désillusions. Tous leurs rêves.
Cela fait longtemps que j'ai renoncé à goûter le fruit de l'existence ; renoncé à mes faux espoirs, à l'avenir qui aurait pu être le mien ! Je me contente de défendre des terres pour lesquelles j'ai tant de loyauté et si peu d'amour. Un chien de garde zélé, trop sans doute pour son propre bien. Si tant est qu'il reste un peu de bien en ce monde...
Si mon corps l'est, mon âme elle n'a rien de jeune.

Un battement de cils me ramène à la réalité. Ça fait plusieurs instants que je fixe les deux roturières à leur ouvrage sans m'en être rendue compte. Mon attention se ramène vivement sur les étendards qu'on m'a présentés : suivant les courbes stylisées du dragon, s'attardant sur ses crocs particulièrement soignés, avant de s'égarer sur le blason de la bannière voisine. Il me semble le reconnaître, mais je n'en jurerais pas... Mes leçons d'héraldique sont si lointaines.

« Je... oui. C'est un travail décent. »

Je lâche ces mots avec une extrême platitude. Une envie subite m'est venue, presque un caprice - ce qui ne me ressemble guère. Je jette un bref regard vers mes gardes. Pudeur.

« Attendez-moi dehors. »

Un claquement de leurs bottes ferrées et ils obtempèrent. Il s'écoule une poignée de secondes avant que je ne me tourne à nouveau vers la jeune femme.

« Très bien. Vous m'avez convaincue. Mais... » Hésitation. Inspiration. « Je voudrais que vous vous occupiez d'autre chose également. Ce n'est pas... une priorité. »

Une absurde gêne me traverse. C'est ridicule ; on croirait entendre une adolescente effarouchée. Agacée par mon malaise, j'affermis ma voix et me redresse légèrement.

« Je voudrais que vous brodiez le portrait d'une personne sur une étoffe. Quelque chose que je puisse transporter facilement. Je suis souvent dans les marais et les tableaux n'y sont guère pratiques... » Sourire froid. « Cependant le modèle n'est plus de ce monde, aussi faudra-t-il œuvrer selon la description que je pourrais vous en faire. »

J'ai voulu adopter un ton dégagé, mais c'est de l'hésitation qui se mêle à l'apparente assurance de mes propos. Je commence à regretter d'avoir abordé le sujet. Et d'ailleurs... il n'est pas question que je l'évoque, lui, ailleurs que dans mes appartements. C'est bien le seul endroit où je me permets encore de tourner mes yeux vers le passé...

« En ma demeure, à Traquemont - c'est un fort qui se tient à quelques lieues d'ici. Je comprendrais que vous refusiez et ne puis en rien vous obliger à satisfaire cette seconde requête. Toutefois, sachez que je vous ferais accompagner et que vous seriez bien récompensée pour votre peine. »
Revenir en haut Aller en bas
Héloïse CoutrierCouturière
Héloïse Coutrier



Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] Empty
MessageSujet: Re: Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé]   Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] EmptyDim 1 Nov 2015 - 21:35


Héloïse se pince doucement les lèvres, elles ne forment plus qu’une même ligne distincte. Elle s’empêche de grincer sur le misérable compliment : « un travail décent » ! Il est bien plus que convenable ! C’est le meilleur de toute Marbrume ! Ses doigts abimés se crispent sur le comptoir avant de dessiner un sourire forcé, presque oblique, à la cliente. Ses yeux se tournent vers une aiguille qui traine sur le plan de travail et elle a envie de la planter dans cette langue revêche ! Mais elle n’est pas de nature violente, au contraire, elle ne se met jamais en colère, elle arrive à garder le contrôle dans toutes les circonstances… Enfin, presque toutes.

Suite aux ordres de la soldate, Elle observe les deux gardes dans le fond de la pièce sortir dans la rue animée de la Hanse. La couturière fronce légèrement les sourcils et observe attentivement la militaire. Elle hoche lentement la tête pour lui informer qu’elle est tout oui et qu’elle écoute attentivement sa requête. En pleine réflexion, Héloïse revient croiser le regard de la cliente. Durant un laps instant, elle remarque un signe de tristesse. Du moins, le pense-t-elle. Mais c’est possible, cette jeune-dame a très bien pu perdre des personnes chères à son cœur, comme Héloïse qui se larmoie le soir dans sa chambre et qui porte des robes terne en signe de deuil.

- A Traquemont… ? Répète-t-elle pour être sûre de bien avoir entendu. Elle ne sait pas où se situe ce fort et elle tourne lentement la tête pour regarder Marie et Annabelle pour avoir leur avis, car elle est certaine que celles-ci écoutent la conversation. Elle les regarde une à une et toutes les deux lui font le même signe de tête : négatif. Les deux couturières sont catégoriques, c’est trop dangereux de suivre une inconnue dans un lieu connu de personne.

- Je comprends que vous souhaitiez parler de cette personne dans l’intimité… Dit-elle en plantant ses yeux sombres dans ceux d’un azur glacial. Mais c’est généralement Monsieur Lanvin qui est en charge de ce rendre chez nos clients… Cependant, je peux vous inviter à monter dans ma chambre. Propose-t-elle en pointant de son doigt le plafond, Héloïse vit au-dessus de l’atelier. Ainsi, vous y trouverez toute l’intimité nécessaire pour me parler de cette personne… Dans le cas contraire, il vous faudra attendre le retour de Monsieur Lanvin. Explique-t-elle d’une façon dès plus calme tandis qu’une cliente vient de rentrer dans l’atelier.

- Je vous laisse y réfléchir, veuillez m’excuser un instant. Héloïse s’éloigne de la militaire pour se rapprocher d’une jeune-fille en fleur avec un sourire qui rayonne, très certainement impatiente de découvrir sa robe. Héloïse l’amène derrière un rideau pour lui dévoiler le début de l’ouvrage et l’inviter à l’essayer afin de s’assurer de bonnes mensurations. Tandis qu’elle aide la jeune-fille à essayer sa nouvelle robe, Annabelle met en pause son ouvrage pour venir l’aider.

Une bonne demi-heure plus tard, Héloïse revient vers la militaire après que la jeune-fille est pris congés après avoir exigé des changements de dernières minutes sur sa robe.

- Excusez-moi… Je ne pensais pas que cela aurait pris tout ce temps.. Dit-elle en se tenant légèrement les reins tout en avançant vers la soldate. Donc… Avez-vous pris une décision, Madame, au sujet du portrait ? Requestionne-t-elle, tandis qu’elle plie avec minutie les deux bannières qu’elle lui a exposé.

Revenir en haut Aller en bas
Yseult de TraquemontChâtelaine
Yseult de Traquemont



Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] Empty
MessageSujet: Re: Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé]   Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] EmptyMar 3 Nov 2015 - 14:47
Spoiler:

- Je vous laisse y réfléchir, veuillez m’excuser un instant.

En parlant de juvénilité, regardez qui entre... Une jeune fille qui irradie la bonne humeur. Je n'ai pas besoin de m'attarder sur ses épaisses tresses de lin, sur la vigueur du sourire éclairant ses lèvres ni sur la vitalité pétillante qui fait luire son regard ; je vois bien que toute la vie s'étale déjà à ses pieds, ne demandant qu'à être conquise par sa jeunesse solaire.
Je vais m'adosser au mur à ma gauche, croisant les bras et observant les deux femmes qui disparaissent à l'abri d'un rideau. Mes yeux se ferment tandis que je laisse l'arrière de ma tête reposer contre mon appui, un léger soupir montant de ma poitrine. Ce n'est pas de l'ennui ou de l'impatience.

C'est de la fatigue.

Les minutes s'égrènent, paresseusement, l'une après l'autre. Je me surprends à songer que ce que je fais ici est une perte de temps, que je devrais m'en retourner à Traquemont où l'on compte sur moi ; mais aussitôt, je me dis avec une pointe de dérision que je ne suis pas la mère de mes gens. Qu'ils savent très bien vivre par eux-mêmes et que mon petit monde ne va pas s'arrêter de tourner parce que je cesse de le surveiller.
Suis-je même vraiment utile à ma maisonnée, qui survit tant bien que mal hors l'abri de Marbrume ? Il n'y a rien que j'accomplisse et que personne d'autre ne pourrait faire à ma place. Cette idée froisse mon ego et ma vanité.

Vanité... est-ce notre hybris qui a conduit les dieux à nous affliger du fléau de la Fange ? J'esquisse un demi-rictus amer, rouvrant les yeux que je porte sur le côté. Qui pourrait répondre à une telle question... Mes divinités ne sont guère explicites sur leur volonté. Parfois j'aimerais... que ce monde soit plus clair. J'accepte que le bonheur n'y soit qu'une illusion, que le labeur et la fidélité demeurent les seuls véritables repères de notre existence ici-bas ; mais j'apprécierais, en vérité, que le sens de nos vies y soit limpide et sans ambiguïté.

Quel sens a notre lente agonie ? Le seul que je parvienne à démêler, c'est... qu'il nous faut résister. Prouver notre opiniâtreté et notre courage. Aller de l'avant. Reprendre ce qui fut nôtre... coûte que coûte.

- Excusez-moi… Je ne pensais pas que cela aurait pris tout ce temps... Je fais le geste de chasser l'air de la main, signifiant qu'il n'y a pas de mal. Je sais être accommodante, à mes heures. Donc… Avez-vous pris une décision, Madame, au sujet du portrait ?

Quelques instants de silence s'écoulent suite à sa question. Je garde mon regard sur le côté, fixant un plancher que je ne vois pas ; une décision... c'est mon lot de tous les jours et pourtant jamais choix des derniers mois ne fut plus hésitant à cerner, plus lent à déterminer. Faire ce choix, c'est admettre que je ne suis pas parvenue à couper tous les ponts avec celle que j'étais. C'est admettre ma faiblesse.

Gorge nouée. Les doigts un peu trop crispés sur le cuir sombre de ma livrée.

« Montrez le chemin. Je vous suis » lâchai-je d'un ton sûrement plus cassant qu'on aurait pu s'y attendre.
Revenir en haut Aller en bas
Héloïse CoutrierCouturière
Héloïse Coutrier



Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] Empty
MessageSujet: Re: Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé]   Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] EmptyDim 8 Nov 2015 - 19:19

Héloïse est surprise, elle est peut-être même un peu dubitative, elle ne s’est pas attendue à ce que la soldate accepte sa proposition. Elle la regarde longuement avant de l’inviter dans un élégant mouvement de main à la suivre. La couturière se faufile vers l’arrière-boutique où sont entreposés des rouleaux de tissu et autres matériels de conceptions et après avoir longé les étagères, elles se retrouvent devant une porte.

- Attention à ne pas vous cogner. Prévient-elle en s’abaissant pour passer la porte qui n’est pas bien grande.

Par la suite, on découvre un escalier avec quelques marches écharpées, Héloïse l’avertit également de faire attention de ne pas se blesser. Le passage est étroit et il faut monter une vingtaine de marches avant d’arriver devant une autre porte, un peu plus grand que la précédente.

- Je vous en prie, prenez vos aises. Dit-elle en lui indiquant une chaise à côté d’un bureau près de la fenêtre qui se trouve être face à la porte.

Héloïse s’avance vers le lit qui se situe à côté de la porte, au-dessus de celui-ci, sur le mur est accroché un tableau représentant un champ de coquelicot. Elle contourne sa couche pour se retrouver au pied du lit, il y a un coffre fermé qui contient de la literie. Elle avance vers la cheminée dépassant sa coiffeuse pour venir attiser les quelques braises du feu de la nuit dernière pour réchauffer un peu la pièce. Il y a également une armoire ou se trouve ses vêtements. Sa chambre est propre et sobre, les meubles sont dénués d’ornements mais elle ne se plaint pas, cette petite pièce lui apporte tout le confort nécessaire pour une personne dans sa situation et surtout en ces temps de troubles et de chaos.

Elle ne peut pas lui proposer une boisson chaude, il ne lui reste que très peu de thé et elle préfère également économiser le peu de nourriture –dont quelques biscuits- qu’elle conserve dans son coffre, ou le lait dans un teupin au rebord de la fenêtre.


- Souhaitez-vous commencer ? Demande-t-elle en revenant vers le bureau, frôlant légèrement la soldate pour venir attraper un petit calepin et un crayon-de-papier afin d’essayer de dessiner le portrait en suivant le récit de la cliente. Elle se dirige vers le lit pour s’assoir sur le rebord du matelas se trouvant plus ou moins face à l’invitée.

Spoiler:
Revenir en haut Aller en bas
Yseult de TraquemontChâtelaine
Yseult de Traquemont



Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] Empty
MessageSujet: Re: Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé]   Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] EmptyDim 15 Nov 2015 - 19:36

C'est avec une certaine lenteur que j'emboîte le pas à la couturière. A chaque marche qui grince sous mes lourdes bottes cavalières j'ai l'occasion de faire volte-face et de repartir. L'occasion de continuer à me mentir, à me répéter que je ne suis plus celle que j'étais ; que cette femme est morte, et avec elle ses rêves, ses amours et son deuil. Comprenez-vous ? Si je ne suis plus elle, alors je ne partage plus ses douleurs. Débarrassée du fardeau de mes peines, je peux œuvrer librement à l'accomplissement de ma vengeance et la destruction des Fangeux.

Alors pourquoi est-ce que je suis cette femme ?

La pièce où elle me fait entrer est d'une extrême simplicité, quoiqu'elle soit bien meublée encore pour un membre de la roture.

- Je vous en prie, prenez vos aises.

Je viens m'asseoir avec un léger craquement de cuir sur le siège jouxtant son bureau. J'en balaie la surface du regard, me demandant à quelles tâches elle peut bien s'adonner à cette place ; peut-être quelque ouvrage personnel, de couture ou d'un autre artisanat qui serait sien. Du plat de la main, j'en survole la surface patinée. J'avais un lourd pupitre aux Noirsjardins où j'aimais recopier certaines calligraphies, dans de jolis tons dorés et bleu nuit.

- Souhaitez-vous commencer ?

Les pieds de la chaise raclent discrètement tandis que je la fais pivoter de manière à faire face à la porte. Mes bras se croisent sur ma poitrine alors que je porte mon regard sur le côté, en direction de l'éclat de la fenêtre qui déverse sa pâle lumière par-dessus mon épaule.
Ce matin-même il m'apparaissait hors de question d'évoquer mon passé loin de l'abri de Traquemont, loin de ses murs familiers et de l'atmosphère étouffée de mes appartements. Pourtant, on peut trouver dans cette chambre une semblable intimité... je crois.

« Il avait le visage de son père. »

Ma voix n'a pas tremblé. J'en suis la première surprise.

« Anguleux, avec des pommettes saillantes et une mâchoire déjà un peu carrée, bien que l'enfance n'avait pas encore tout à fait déserté ses traits ; il disait qu'il avait hâte de porter la barbe comme les hommes d'armes de notre maisonnée. »

Cela fait plusieurs secondes que je ne vois plus la pièce qui m'entoure. Les souvenirs que je refoule si implacablement au quotidien reviennent avec une déconcertante facilité envahir mes pensées. Je le revois courir dans les jardins pleins de ronces qui ont donné leur nom au foyer de mon mari, je le revois dévaler les escaliers du donjon... je le revois rire à gorge déployée sous la neige de l'hiver tombant sur notre domaine, les joues et le nez rougis par le froid. Un sourire d'une infinie tendresse se dessine sur mes lèvres alors que je ferme à moitié les paupières, une humidité inopportune venant les souligner.

« Il avait le menton volontaire, une pomme d'Adam proéminente - il les tenait de mon époux. Je lui ai toutefois donné mes cheveux de lin, qu'il avait sans cesse en bataille et ébouriffés par le vent. Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai essayé de les peigner... » Un rire cristallin m'échappe, et j'ai peine à croire qu'il vient réellement de ma gorge. Depuis quand y a-t-il une telle chaleur dans ma voix ? « Ses yeux étaient également les miens, quoiqu'en plus sombres. Leur bleu était moins délavé... moins glacé. »

Je lâche ce dernier mot sur une intonation quelque peu amère. Voilà pourquoi je hais tant les souvenirs... on les évoque d'abord avec prudence, et puis on se laisse aller à l'ivresse de replonger dans un bonheur passé ; puis la réalité vous revient, s'infiltre dans vos os comme la bise du Nord... et vous vous sentez si froid. Pourquoi ai-je si froid ? Si seul. Pourquoi m'ont-ils tous abandonnée ?

Je coince mes mains entre mes cuisses et baisse les yeux sur le sol, gagnée par un sentiment de panique que je ne m'explique pas. Une petite voix sèche me souffle que la chose est aussi stupide qu'inutile, que ma réaction est celle d'une adolescente ; je serre les dents et fronce les sourcils.

Cette femme est là, à quelques pas. J'éprouve de sa présence autant de honte que de colère, refusant d'être vue dans l'état où je commence à plonger. Venir ici était bel et bien une erreur...
Il me faut un moment avant de me rendre compte que j'ai prononcé ces mots tout haut.
Revenir en haut Aller en bas
Héloïse CoutrierCouturière
Héloïse Coutrier



Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] Empty
MessageSujet: Re: Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé]   Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] EmptyDim 10 Jan 2016 - 22:45

Héloïse tient fermement son crayon-de-papier, la pointe appuyée sur le calepin laissant un petit point noirâtre sur la feuille blanche. Elle fixe le papier, patiente, en attendant les premiers détails pour réaliser le portrait. La couturière n’est pas très douée pour le dessin, elle n’a jamais eu un talent particulier pour reproduire parfaitement un paysage, un fruit ou même des visages. Mais lorsqu’il s’agit de coudre, Héloïse a cette particularité de pouvoir broder avec plus de facilité que de crayonner une esquisse. Mais qu’importe, elle fait au mieux, comme toujours, pour s’appliquer.

Elle lève doucement les yeux vers la militaire mais ne dit rien et se contente tout simplement de la regarder et de l’écouter. Mais lorsque les premiers renseignements arrivent à ses oreilles, elle se concentre de nouveau et commence à crayonner. Elle dessine la forme d’un visage et petit-à-petit, rajoute des pommettes saillantes, lui donne une mâchoire carrée. La tête toujours baissée vers son ébauche, Héloïse écoute le récit de sa cliente sans pour autant s’arrêter de peaufiner au mieux ce début de portrait… Elle s’apprête à repasser sur le menton pour le rendre plus audacieux avant de sentir son crayon déraper.

Elle redresse vivement la tête pour observer sa cliente. Héloïse vient de comprendre, elle est en train de dessiner le portrait d’un enfant, du fils de cette dame qui se tient droite sur sa chaise, digne, alors que la perte de cet être cher doit la ronger jusqu’à l’os. Elle ne sait pas de quelle manière réagir. Doit-elle venir lui prendre la main en signe de réconfort ? Doit-elle lui dire quelques mots pour apaiser sa tristesse ? Pourtant, elle ne fait rien, elle reste assise sur le rebord du lit car malgré toutes les bonnes intentions du monde, cela ne peut pas lui rendre le sourire. Héloïse connait ce sentiment de perte, de colère, d’abandon pour avoir perdu toute sa famille lors d’une seule et horrible nuit.

Elle se pince les lèvres jusqu’à ne former qu’une seule et même ligne avant de se remettre à dessiner, en s’évertuant de se rapprocher le plus possible de ce visage disparu. Le silence s’installe dans la chambre mais Héloïse est focalisée sur son ébauche et s’applique sur la forme des yeux car tout dans ce portrait réside dans le regard.

Au bout d’un instant, une fois le portrait terminé, elle pose la feuille de papier sur le lit, puis elle essuie les paumes de ses mains sur sa robe avant de rejoindre sa cliente assise sur la chaise. Lentement, elle s’accroupit devant elle afin de pouvoir croiser ses yeux d’un bleu glacial.

- Non. Ce n’est pas une erreur… Vous pouvez crier. Ou pleurer. Personne n’en sera rien. Lui dit-elle d’un ton veillant. Vous ne pouvez pas tout garder, il faut savoir lâcher prise… Voulez-vous rester seule un moment ? Lui demande-t-elle d’une voix calme tout en se redressant lentement.

- Ou souhaitez-vous en parler ? Propose-t-elle avant de contourner le lit et se rapproche de son armoire pour prendre un mouchoir en tissu et revenir vers sa cliente pour le poser sur le bureau.

Revenir en haut Aller en bas
Yseult de TraquemontChâtelaine
Yseult de Traquemont



Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] Empty
MessageSujet: Re: Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé]   Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] EmptyLun 11 Jan 2016 - 18:34
Elle a les yeux sombres, pourvus d'une note nostalgique. Il est étrange de remarquer combien les gens rêveurs me semblent beaux. Qu'est-ce qui m'attire chez eux ? Qu'est-ce qui me les rend parés d'une telle prestance ? Je suis pourtant moi-même pragmatique. Il n'est aucun de mes idéaux qui ne soit pas réalisable - ou du moins c'est ce que j'ai choisi de croire. Les rêveurs savent que leurs songes ne sont bien que cela, n'est-ce pas ? J'ignore lesquels peuplent l'esprit de cette couturière, mais il y a au fond de ses prunelles une douceur devant laquelle je me recroqueville intérieurement.

« Vous pouvez crier. Ou pleurer. Personne n’en saura rien. »

Mensonge. Elle le saura et, pire que tout, je le saurai également. Je me refuse à être mièvre, à être sensible. C'est là le privilège des enfants et il y a longtemps que je n'en suis plus une ; c'est lorsqu'on a l'audace de s'autoriser un vacillement qu'on finit par tomber. Par se laisser aller. Par se reposer !

C'est lorsqu'on se repose... que le destin décide de frapper. J'en suis intimement persuadée.

« Ou souhaitez-vous en parler ? »

En parler. Quelle stupidité. Tout le monde dit que parler de ce qui vous fait mal aide à soulager la souffrance ; je ne vois pas en quoi. Une blessure sera toujours moins laide plongée dans les ténèbres qu'exposée en pleine lumière. Et même, avec un peu de chance, à force de la dissimuler on finit par l'oublier.

Je saisis entre mes doigts le mouchoir qu'elle a posé sur la literie. Est-ce elle-même qui l'a brodé ? J'en scrute sans frémir le lacis, le motif. Mes yeux sont posés sur le tissu mais de fait, mon regard est ailleurs. Quelque part au fond de mon âme où résonnent des pleurs, des gémissements de douleur et des cris de rage.

Oh, je suis également capable d'affection, de bienveillance. Comme tout un chacun, je suppose... Mais une part de mon être scande sa colère et son affliction ; sa clameur s'exprime dans la façon dont je manie l'épée, dans l'insistance avec laquelle j'écume les marais. Jour après jour.

« Vous êtes encore jeune. » Pas beaucoup plus que moi, probablement. Néanmoins je ne me considère pas sous l'égide de la jeunesse... Je me méfie trop de l'avenir pour ça. « Je ne sais pas comment vous avez fait pour... »

Pour conserver sa pureté, son allant vers la vie, la gentillesse dont elle fait preuve. Les personnes gentilles meurent aujourd'hui, vite et les premières. Comment le lui dire sans paraître pour dérangée ?

« Peu importe. »

Un soupir. Ni ennuyé ni agacé ; lassé. Fatigué.

« Il s'appelait Arthur et était notre enfant. L'héritier de Tristan des Noirsjardins et Yseult de Corbeval, celui qui avec nos chevaliers aurait pu tenir toute la contrée à l'Ouest du duché du Morguestanc. » Je penche légèrement la tête sur le côté, dévisageant la couturière. Un mince sourire, ambigu, pas franchement chaleureux, étire mes lèvres. « Le seigneur de deux maisons aussi guerrières que les nôtres ne serait pas resté bien longtemps en paix avec ses voisins, vous savez. Mon mari et moi avons été élevés pour la guerre et il l'aurait été de même. Pour notre gloire ou notre chute. »

Je confie, d'une voix un peu sombre que d'autres pourraient estimer menaçante, une destinée qui aurait dû s'accomplir.
Les dieux en avaient décidé autrement.

« Marbrume aurait pu être mon ennemie dans quelques années. Aujourd'hui, je me bats pour elle quand bien même ses habitants n'en ont même pas conscience. Je suis la châtelaine de Traquemont et si mes velléités belliqueuses ont par le passé suscité la méfiance de mes pairs, elles sont désormais un gage de votre sûreté. Parce que la Fange m'a enlevé mon enfant, par ma propre faute... C'est là une erreur que je ne permettrai à personne de reproduire. »

Dans mes doigts, l'étoffe du mouchoir est froissée. Mes mains tremblent. De quoi s'agitent-elles ? Ce n'est pas de chagrin. C'est d'envie de me battre.

« Il n'y a plus guère de place dans mon cœur pour autre chose que mon devoir et ma tâche. Mais parfois, je ressens le besoin de... » Je porte mon regard vers le portrait qu'elle a esquissé, sans en discerner les détails. « ...revenir à quelque chose d'essentiel. Me rappeler, lorsque la brume furieuse des combats se fait trop épaisse, pour quelle raison je livre bataille. » Un nouveau sourire, mais triste cette fois. Réellement peiné. « C'est qu'on l'oublie vite, vous savez...? »

J'inspire profondément, cherchant à détendre la tension enserrant mes épaules. En vain.
Revenir en haut Aller en bas
Héloïse CoutrierCouturière
Héloïse Coutrier



Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] Empty
MessageSujet: Re: Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé]   Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] EmptyMer 13 Jan 2016 - 17:30


Les bras croisés contre sa poitrine, la tête tournée vers la fenêtre, elle admire le ciel bleuté parsemé de quelques nuages. Quelques rayons de soleils rentrent par la fenêtre procurant une température agréable dans la petite pièce. Elle est surprise lorsque la soldate commence à lui raconter un morceau brisé de sa vie et l’écoute d’une oreille attentive et espère-t-elle réconfortante. Elle l’observe, de ses pupilles bleu-nuit, qui sondent avec douceur le visage de cette femme à qui le rôle de mère lui a été arraché.

Héloïse a énormément de peine, cela doit-être horrible de perdre son enfant, la chair de son sang. Ses doigts s’agrippent à son châle et pendant un court instant, les souvenirs de cette horrible nuit lui reviennent. Elle aussi, comme d’autres personnes, a perdu des êtres chers à son cœur et c’est un sentiment qui ne disparaitra sans-doute jamais. Héloïse a beaucoup pleuré la perte de son mari, de son père et ses frères, il lui arrive encore quelques soirs de pleurer devant la cheminée alors qu’elle est en train de broder, ou parfois lorsqu’elle est allongée dans son lit fixant le plafond.

Héloïse pose doucement sa main sur l’épaule de sa cliente et presse doucement ses doigts, peut-être pour lui donner du courage même s’il est certain qu’elle n’en manque pas. Elle répond à son triste sourire avant de lentement rejoindre son lit pour prendre le portrait.

- Non. On ne peut pas oublier. On n’oublie pas. Ce sont des épreuves qui sont gravés au plus profonds de nous-mêmes. Dit-elle calmement tout en lui tendant le portrait. Mais peut-être que vous avez besoin d’avoir une partie de lui près de vous, pour qu’il vous accompagne dans votre quête. Elle baisse un instant les yeux sur le portrait. Héloïse se sent presque jalouse de ne pas être si forte, combative, prête à donner sa vie pour une cause qui est juste et valeureuse. Mais elle n’a rien d’une guerrière, ni d’une révolutionnaire, c’est juste une simple fille, une simple couturière qui doit avancer et continuer sa vie sans les siens auprès d’elle.

- Dois-je retoucher quelques choses sur le portrait d’Arthur ? Demande-t-elle après avoir toussoté avec l’impression que sa voix est enraillée. Si le portrait vous plait, je vous l’offrirais une fois que j’aurais réalisé l’étoffe. Elle rajuste son châle sur ses épaules qui a lentement glissé vers le long de ses bras. Avez-vous une préférence pour la couleur de la tenture ? Demande-t-elle prête à réaliser dans les jours à venir cette commande.

Revenir en haut Aller en bas
Yseult de TraquemontChâtelaine
Yseult de Traquemont



Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] Empty
MessageSujet: Re: Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé]   Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] EmptySam 16 Jan 2016 - 13:02
Mes yeux se plissent légèrement alors qu'elle pose la main sur mon épaule. C'est un geste qui se veut réconfortant, je le sais bien ; il n'en attise pas moins ma méfiance. Je suis habituée à porter seule mes torts et mes remords car ils n'appartiennent qu'à moi ; si une part de mon être compliqué voit désormais la couturière d'un œil plus chaleureux, une autre la craint quelque peu. Et ma peur s'est toujours exprimée sous le jour tumultueux de la colère...

« Mais peut-être que vous avez besoin d’avoir une partie de lui près de vous, pour qu’il vous accompagne dans votre quête. »

Oui. Elle a visé juste et cette seule remarque, imprégnée de vérité, me fait battre des cils - signe s'il en est que je suis désarçonnée l'espace d'un instant. Le besoin non pour me tourner vers le malheur des événements passés, car c'est là se torturer inutilement ; mais le besoin de me remémorer qu'il faut se battre pour empêcher que la destinée d'autres prenne un tour funeste.
Ne croyez pas qu'il y a de la compassion dans mon cœur parce que mes desseins sont altruistes. Le chien de guerre qui égorge un assaillant ne le fait ni par bonté, ni par fidélité, mais parce qu'il a été dressé à le faire ! Sous mes traits nobles et mes altières expressions, je ne suis rien de plus qu'un molosse auquel on a appris à tuer. Mais... parfois, me dire que je fais du bien m'aide à mieux vivre.

« Si le portrait vous plait, je vous l’offrirais une fois que j’aurais réalisé l’étoffe. »

Je me lève, le mouchoir de la jeune femme en main. À gestes lents, mesurés, je le lisse tout en me portant à sa hauteur ; dans un léger craquement de cuir, je lui remets son bien tout en détaillant le portrait esquissé. Le portrait de mon enfant, dévoré vif. D'un index à peine tremblant, j'effleure ses traits.

Cette fille a du talent. Ou de la chance.

« Les cheveux un rien plus désordonnés, les yeux peut-être plus grands. Autrement, vous avez fait merveille. »

Une couleur. Elle m'en demande une... La réponse s'impose naturellement à mon esprit.

« Dans une étoffe bleu-nuit. »

Ma teinte préférée s'il en était une. Au fond du coffre qui reposait dans mes appartements se trouvait une robe que je pensais ne jamais remettre ; mais si d'aventure il le fallait, alors ce serait celle-ci et nulle autre. D'un satin si épais qu'on pourrait le confondre avec du velours, la taille serrée d'un cordon d'or, elle aurait pu être faite avec l'encre du ciel de minuit par une belle soirée d'été. J'en goûtais les douces ténèbres, les royales nuances : elles correspondaient bien à mon âme.

Un nouveau craquement de ma sinistre livrée tandis que je me redresse, m'éloignant de quelques pas. Mon masque inflexible repasse sur mon visage. Je caresse pendant quelques secondes la tentation de protester contre l'offre qui m'est faite mais quelque chose me dit que ce serait inutile.

« Merci. Je reviendrai à la fin du mois. »

Ma main se porte sur la poignée de la porte de sa chambre, sans la tourner pour autant. Je lui jette un regard de côté, acéré. Je veux savoir une chose avant de partir.

« Quel est votre nom ? »
Revenir en haut Aller en bas
Héloïse CoutrierCouturière
Héloïse Coutrier



Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] Empty
MessageSujet: Re: Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé]   Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] EmptyDim 17 Jan 2016 - 20:41


Héloïse prend notes des quelques remarques dans un coin de sa tête pour améliorer le dessin afin que le portrait soit au plus juste des souvenirs de sa cliente. Malgré son air hautain, presque revêche, la couturière a de la peine pour cette soldate. Les temps sont difficiles pour tous depuis que les fangueux ont envahi les terres et bon nombre ont perdu des êtres chers, femme, homme, enfants… Mais on ne peut malheureusement pas passer son temps à pleurer sur son sort et à se répéter « Et si… » ! Même si toutes les épreuves actuelles sont difficiles, il faut avancer, coûte que coûte, jour après jour dans ce monde qui ne présage rien de bon pour le futur.

Elle observe la cliente se lever pour se rapprocher de la porte, main sur la poignée. Héloïse espère pouvoir réaliser ce travail dans les temps, car mine de rien, broder un portrait cela peut prendre beaucoup de temps, mais Héloïse est patience et une certaine maitrise, elle peut y arriver pour la fin du mois ! Surprise par le regard tranchant, Héloïse fait un léger pas en arrière en fronçant les sourcils.

- … Héloïse Coutrier… Dit-elle d’une voix pondérée avant de s’avancer vers le lit pour récupérer son crayon-de-papier sur le matelas.

La porte claque derrière son dos, ce qui la fait légèrement sursauter. Elle regarde encore une fois le portrait et modifie en quelques gestes le regard avant de redescendre dans la boutique pour mettre la main sur une étoffe bleu-nuit. Lorsque Marie et Annabelle l’aperçoivent, elles la questionnent sur son entrevue avec la châtelaine, mais Héloïse raconte seulement ce qu’elles ont besoin de savoir sans s’attacher à certains détails personnels.

Et c’est avec une certaine tristesse, qu’elle s’installe sur un tabouret pour réaliser les premiers points de cette étoffe.

[Fin]
Revenir en haut Aller en bas
Contenu sponsorisé



Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] Empty
MessageSujet: Re: Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé]   Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé] Empty
Revenir en haut Aller en bas
 
Au nom des petites gens [Héloïse] [Terminé]
Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Revenir en haut 
Page 1 sur 1

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Marbrume - Forum RPG Médiéval Apocalyptique :: ⚜ Cité de Marbrume - Quartiers populaires ⚜ :: Bourg-Levant :: La Hanse-
Sauter vers: