Toute oeuvre d'art reste un mystère, y compris pour son auteur. [Leon]

"Madame, madame ! Il y a un problèmes avec certaines décorations."

La domestique accourt dans le bureau où se trouve Aalicia, occupée à écrire une lettre pour on ne sait qui. Elle ne dit rien, mais le sourcil qu'elle hausse en direction de la petite blonde paniquée fait qu'elle continue.

"Ils ont pris l'humidité dans le grenier et...
- Pardon ?
"Il y a des..."
- Non, ça je l'ai très bien compris ! pourquoi n'ont-ils pas été placés comme je vous l'avait demandé ? Vous saviez à quel point j'y tenais !

La domestique repart, laissant la veuve perplexe, qui claque la langue de contrariété. De nouvelles décorations, à l'identique de celle qu'elle avait, voilà une dépense qu'elle n'avait vraiment pas prévu. Elle sort ouvre le tiroir de son bureau et en sort un épais livre qu'elle ouvre. Elle regarde les chiffres et elle soupire soulagée, elle a un assez bon budget ce mois ci, elle peut se permettre quelques petites dépenses pour en refaire quelques unes au moins. Heureusement elle a une bonne mémoire et un bon coup de crayon.

- Alfonso, je sors, pas besoin de m'accompagner, je ne vais pas loin...

Vu la chaleur de l'été, elle n'a pas besoin de cape, et sa robe n'est pas épaisse malgré le décolleté vertigineux. elle s'avance dans la grande rue des Hytres, jusqu'au vieux marché où elle s’arrête devant une boutique, le Filoutier. Elle avait connu l'ancien propriétaire, elle avait appris que le fils de ce dernier avait repris le commerce. Elle pousse donc la porte, regardant autour d'elle.

- Bonjour !!

La nuit dernière avait été outrageusement ennuyeuse pour Leon, le tavernier n’avait pas ouvert ses portes pour une raison qui lui était inconnu. Qui plus est les aventuriers n’étant pas encore revenus entre les murs de la cité, aucune rencontres secrètes n’avaient été organisées depuis plusieurs semaines. Autant dire que sans bois en stock, il n’avait pas grand chose à se mettre sous la dent.. Si ce n’est quelques femmes de joies pour occuper son temps.

Le soleil est maintenant levé depuis un bon moment et des rayons de lumières intenses illuminent déjà l’arrière boutique du Filoutier. Bien embêté par la luminosité, le jeune homme n’arrive pas à fermer l’oeil plus longtemps. Après quelques minutes, il daigne finalement se redresser de la table de travail sur laquelle il avait passer la nuit et rejoint la pièce principale poussant un long soupir. Ebloui par la lumière, il se rapproche de la porte principale et la déverrouille. Le petit clic du verrou résonne alors dans la pièce malgré le chahut constant du vieux marché. S’attendant à de la visite par une ci-belle journée, Leon part s’installer derrière son comptoir jouant et commence à machinalement jouer avec sa dague pour passer le temps.

Quelques minutes plus tard une brise fraîche atteint son visage le sortant de ses pensées. Il redresse la tête et aperçoit une ravissante femme entrer. Elle semblait être une personne distinguée, se remémorant ses bonnes manières de courtisan de ces dames, il pose sa dague et s’approche d’elle sourire aux lèvres. Une fois devant elle, il s’incline légèrement et lui baise la main.

“Madame ! En quoi puis-je vous être utile ?”

Elle a un petit sourire devant autant de politesse chez un des commerçants, ou peut être pas en fait, mais cela fait toujours plaisir. La veuve a un petit sourire, regardant brièvement le jeune homme à la peau encore plus blanche que la sienne, il est plutôt beau garçon aussi.

- Je suis venue pour voir ce que vous avez à proposer comme objets d'arts, voir même des masques, je vois que vous en avez de jolis à votre ceinture...

Dit elle en les montrant d'un geste de la main. Ce genre de chose irait tellement bien à la sulfureuse brune qui possède plus d'une facette et plus d'une humeur aussi. Elle se permet de faire le tour du magasin pour regarder ce qu'il propose d'un oeil un peu distrait. Ce jeune homme, elle le connait déjà, bien qu'ils ne se soient jamais croisés.

- Pourriez vous en faire avec une gravure d'araignée dessus ?

S'il traine dans le trafic d'oeuvre d'art, le fait qu'elle mentionne une araignée devrait le faire tiquer, l'Araignée, voilà le nom qu'elle a dans ce milieu, bien qu'elle touche à plein d'autres trafics que les oeuvres d'art, mais autant en profiter puisqu'elle doit de toute façon faire des achats.

- Une question aussi, vous est-il possible de remettre en état des œuvres en bois faites par votre père qui ont été touchées par l'humidité ?

Si elle pouvait ne pas avoir a s'en séparer, ça l'arrangerait quand même.

Après s’être redressé, Leon s’éloigne de quelques pas pour la laisser contempler les différents objets d’expositions. En l’observant, il reste naturellement penseur. Cette créature est plus qu’attirante, il peine même à lui trouver des défauts. Ne serait-ce pas là le problème? D’expérience, il avait appris à se méfier des belles femmes, souvent les plus malsaines et perfides. Il étouffe un subtile rire lorsqu'elle aborde les masques à sa ceinture. Mais avant qu’il ne puisse lui répondre elle poursuit de plus belle d’une phrase pleine de sous-entendus..
Avec un jeu d’acteur bien rodé, Leon ne tarde pas à feindre une réaction innocente et spontanée.

“Je suis flatté que vous puissiez apprécier la qualité de mon travail, je pense sans prétention qu’il ne me sera d’aucune difficulté de combler vos souhaits”

*L’araignée .. si c’est bien elle ce surnom lui va à merveille! Même si pour le coup on aimerait bien se glisser dans ses pattes! Cachons mon implication pour l’instant * se dit-il à lui même.
Toutefois la seconde question plonge notre ami dans une réelle réflexion. Attrapant un masque au visage penseur à sa hanche, le voilà qui se tapote la tête de côté en réfléchissant. Une petite grimace apparaît alors sur le visage du jeune homme.

“Touchées par l’humidité ? Il faudrait que je puisse jetter un oeil à ses objets et juger de la gravité de leur état. Si le bois a commencé à pourrir il me sera difficile d’y insuffler une nouvelle âme..
Je vous proposerai bien de les refaire tels qu’ils furent avant cette malencontreuse catastrophe mais je travaille au sentiment, l’impression, non à l’image. Me montrer les pièces ne me servirait à rien, j’aurais besoin de votre jugement minute après minute pour guider mes mains et obtenir un résultat identique, émotionnellement, à vos attentes. Qui plus est avec toutes les mésaventures récentes le bois m’arrive au compte goutte …”

Posant son monologue quelques instants, il dépose son masque sur le comptoir et d’un air confiant lui tend la main, croisant son regard.

“Si par contre vous souhaitez acquérir quelques masques, je peux vous montrer toutes mes pièces jamais travaillées, elles sont exposées dans l’arrière boutique !”

Des défauts, pourtant s'il regarde bien il y en a, des cicatrices dont une remonte sur sa nuque, découverte grâce à sa chevelure ébène remontée en un chignon fait à la va-vite dont quelques boucles s’échappent. Difficile de louper les autres cicatrices qui barrent cette poitrine savamment découverte sans trop en laisser voir, résultat des traitements de faveur quelques années auparavant de feu son dernier époux en date.

- J’apprécie toujours l'art sous toutes ses formes, et ces masques en sont un pour moi.. un artiste a différentes manière de s'exprimer..

Dit-elle en passant ses doigt sur une des sculpture de bois, enfin, en l'effleurant plutôt, elle n'ose pas y toucher. Elle tourne son regard vers le sculpteur, comme si elle éludait le problème des oeuvres humidifiées pour continuer.

- Certains choisissent la peinture, d'autre le chant, vous avez choisi le travail du bois, et si ces masque sont bien de vous, alors vous êtes un artiste mon cher... Aussi j'aimerais vraiment voir vos œuvres..

Si la perte des œuvres en elle même ne la chagrine pas, il y en a une qui a une très grande valeur, non pas monétaire, mais sentimentale, un cadeau qui a presque la moitié de son age. C'est quand elle le rejoint pour aller dans l'arrière boutique qu'elle aborde à nouveau le sujet.

- Il y a une œuvre que j'aimerais que vous remettiez à neuf, cela ne me dérange pas de rester avec vous et que vous me demandiez chaque minute si cela me va.. Ce masque... ce masque est un cadeau de votre père pour mon premier mariage, et pour rien au monde je ne veut m'en séparer...

Finit-elle par avouer, ce masque, elle avait pleuré la fois où elle l'avait vu, il avait su desseller ce qu'elle essayait de cacher alors qu'elle lui faisait son plus beau sourire pour les croquis.

Son père avait réalisé un masque ? Leon avait tout au long de sa vie pu observer les différentes pièces réalisées par son père. Pourtant, il ne parvient pas à se remémorer ce masque.. A vrai dire son paternel n’appréciait pas vraiment ce genre de chose, pour lui les masques n’étaient que des babioles sans intérêt, peut-être était-ce dû à son cruel manque de sentiments.
Remuant la tête distrait, le jeune maître des lieux se dirige à présent vers une fenêtre, offusquée d’une vieille planche de bois.
Une fois retirée, la lumière du soleil illumine soudainement l’arrière boutique.Sur les murs se révèlent plus d’une soixantaine de masques aux expressions uniques. Par ces masques, il avait réussi à capturer tout autant d’émotions que de personnes différentes à un instant t, ainsi sont représentés des humains provenant de milieux divers et variés, des plus démunis aux plus riches, de la joie à la tristesse..

Pris au dépourvu, Leon s’installe en tailleurs sur sa table de travail et dévisage sa cliente d’un air sérieux qui lui est pourtant si rare.
Le voilà qui s’intéresse à tous les aspects de son visage tandis que la pièce plonge dans un profond silence. Il hausse brusquement un sourcil et rit aux éclats. L’instant d’après, il se tue brutalement.. Il s’étire et marche dans sa direction. Il s’arrête net, à présent seuls quelques centimètres séparent leurs deux visages. Son regard se dépose dans le sien de longues secondes, il lui attrape délicatement le menton. Sans quitter son regard il bouge lentement sa tête vers la droite, vers la gauche, et caresse légèrement les courbes de son visage. Aucun doutes, les traits de cette femme sont maintenant plus marqués mais le souvenir du masque en question jaillit dans l’esprit du sculpteur.
Baissant son regard un bref instant vers sa nuque et sa poitrine, il le relève aussitôt.

“Votre corps a peut-être subi moultes supplices ces longues années durant, mais votre visage n’a pas terni..
J’ai déjà vu votre masque, c’est la seule et unique fois que votre ami mon père a daigné en faire un. Pour être honnête, je peux comprendre son envie d’immortaliser un tel facies mais.. à l’époque il n’avait fait que reconstruire votre visage sur un bout de bois. Je n’ai jamais vu mon père démontré le moindre sentiment de toute sa vie, je suppose que cela a impacté son oeuvre. Je me souviens m’être penché sur le croquis de votre personne et avoir critiqué mon père sur son travail du haut de mes 6 ou 7 ans je ne sais plus.
Votre détresse était pourtant criante, je revois encore votre sourire
Suite à quoi je l’ai surpris à refaire le masque dans la nuit! Sans pour autant en voir le résultat final. De mon regard d’enfant, il m'était inconcevable de ne pas voir la détresse qui se cachait derrière votre sourire. Le croquis doit encore traîner dans les affaires de mon père même si je ne peux garantir qu’il soit encore en bon état”

Quand Leon éclaire la pièce où sont situés les masques, la sulfureuse brune ne peut s’empêcher d'avoir un soupir admiratif. Elle les trouves magnifiques, tous autant qu'ils sont, il a su capter chaque émotion presque avec perfection. Elle laisse le sculpteur la dévisager, c'est vrai que le visage de la veuve n'a pas vraiment changé, elle parait plus adulte c'est sûr, mais son visage a gardé un petit air juvénile, surement son regard espiègle qui aide à ça.

Elle tend la main vers un des masques, mais l’éclat de rire du jeune homme la fait sursauter et tourner la tête vers lui, un sourcil haussée, dans le genre "ça va mec ?". Elle le regarde venir vers lui sans qu'elle ne dise un mot, juste étonnée de son éclat de rire brutal, venu aussi vite qu'il est reparti. Elle a un bref mouvement de recul quand il tend la main vers son menton, mais elle le laisse regarder son visage et raconter l’histoire du masque qu'elle a reçu il y a maintenant presque 15 ans.

- Mon corps... n'en parlez pas s'il vous plait...

Elle n'avait pas honte de montrer ses cicatrices, mais elle avait bien conscience que bien des hommes la fuyaient à cause de ces mêmes cicatrices, où alors elle n'attire que les déviants qui cherchent plus à lui en faire des nouvelles, et ces hommes là, elle les fuit.

- Grâce a vos conseils, votre père a pu faire le masque que j'ai à présent.. le croquis était souriant, mais le masque que j'ai reçu était mon visage en larme, en proie a une détresse immense, puis je voir le croquis ?

Elle voulait revoir ce sourire juvénile qu'elle avait à l’époque, une époque où tout allait encore presque bien, cette époque où elle était encore la gentille héritière de Rehyan, l’époque où personne ne l'avait encore trahis ni bafoué son amour. Une époque à l'opposée de maintenant ou l'homme qu'elle aime joue double jeu en la pensant idiote pour ne pas qu'elle s'en aperçoive.