Tout est une question de priorité [Scarocci - Xandra]

Xandra abaissa un peu plus sa capuche. Elle dégoulinait d’eau, comme le reste de ses vêtements,
Le temps était mauvais, il pleuvait des trombes d’eau depuis deux bonnes heures, la mission était pénible, les collègues aussi, autant de signe avant coureur qui, peut être, auraient dû lui mettre la puce à l’oreille mais ce ne fut pas le cas. Comment aurait-elle pu deviner après tout ? Pire, ça pouvait être pire.

- Allez Erkal, franchement, t’étais encore au Labret ce matin même, me dit pas que t’as pas envie d’en finir avec tout ça ? On se sépare en deux groupes et on met un coup de collier. Plus vite on aura finit cette ronde, plus vite tu pourra rentrer te détendre, moi aussi, nous tous. Ose me dire que t’en a pas pleins les bottes.

Ca, pour en avoir pleins les bottes, elle en avait pleins les bottes. Chaque nouveau pas produisait un désagréable bruit de pied qu’on pose dans une flaque d’eau.

- Allez chef, soyez sympa. Barral vous attend à la maison non ?

Xandra posa un air désabusé sur Thibaut, sa bonne humeur glissant sur la jeune femme comme la pluie sur le métal de son épaulette.

- Personne ne m’attend non. Je sais même pas quand ce fumier va revenir !

- Bah tu sais moi aussi je suis seul, je me ferais un…

- Va chier.

Quel bande de cons ces trois là. Trois débile de la milice intérieur qu’ils se retrouvaient à suivre pour des rondes de nuit supplémentaires. De temps en temps elle l’ouvrait un peu trop et coutilière ou pas, on aimait bien lui rappeler qu’une femme, ça devait rester à sa place. Cette punition c’était la sienne, pas celle de ses hommes. Les obligé à une patrouille dans la cité après une mission, c’était pas glorieux. La rousse soupira, vaincu.

- Très bien. Patrouillez tous les trois ensemble comme vous en avez l’habitude. Thibaut et Ghislain, vous restez avec moi. Hey ! Soyez prudent, on sait jamais…

- Pour une fois t’es foutu de me faire plaisir Erkal.

- Ne te fais pas d’illusion, ça ne deviendra pas une habitude Ghis'.

Diviser le groupe, c’était diviser le temps par deux, en finir plus vite ou multiplier les emmerdes….
Elle voulait bien les croire sur parole Xandra qu’il ne se passait jamais rien ici mais quand même, elle n’aimait pas ça. C’était pas son environnement la cité, ça ne l’était plus. Elle ne savait plus grand chose des secrets de Marbrume, la ville ne chuchotait plus pour elle depuis bien longtemps.
Il s’agissait de faire acte de présence, de se montrer devant d’autres collègues qui faisaient la même chose, la marche en moins. Quelques entrepôt privés, d’autres appartenant au Duc. Voilà le décor maussade dans lequel évoluaient les hommes et leur supérieure. Un frisson glacé parcourut le dos de la jeune alors qu’elle plissait les yeux, ralentissant soudain le pas.

- Qu’est ce qui se trame ici ?

- Je vois pas grand chose de plus que toi mais…

- Ça sent l’embrouille. J’aime bien pas bien ça.

- Allons y. Discrètement.

Xandra exécuta deux signes que ses miliciens connaissaient bien et Thibaut disparu dans la nuit, laissant la coutilière et Ghislain ensemble. On ne voyait pas grand chose, on n’entendait pas plus, le vent redoublait, la pluie continuait de tomber drue.

Les deux hommes qui se trouvaient là pour affaire ce soir, un certain Sandath et un certain Yves, n’étaient pas particulièrement sur leurs gardes, des mois que ça durait leur affaire, ils étaient rodés et le milicien qui gardait les portes de l'entrepôt tellement corrompu que c’était écrit sur son front qu’il chiait sur le Duc. Il risquait pas de les balancer. Ils savaient à quelles heures venir, quelles ruelles emprunter pour traverser les bas quartiers sans se faire repérer. Des petites transactions régulières et qui rapportaient gros. Ils n’entendirent pas les deux hommes du Duc arriver à pas lent vers eux et ne virent pas le troisième, à l’autre bout de la ruelle, qui avait tiré son arme.

- C’pas un mal qu’Arnaut soit mort. Parait que c’est Chris qui se l’ait fait y a un mois ou deux. Le petit Lucas il l’a vu se promener sur les remparts avec deux miliciens, une rousse et une grande gueule. Je sais, c’est étrange. En tout cas le nouveau qui gère ça il a la tête sur les épaules, il a pas perdu la boule comme cet enculé.

- Une rousse tu dis ? Peu importe, ne traînons pas.

Ce serait gros qu’il s’agisse de la même que celle qu’il avait en tête. Quand bien même ça ne changerait pas, elle ne pourrait pas faire le lien avec lui. Elle ne savait rien. Mais quand même, ça plaisait pas beaucoup à Sandath que cette femme puisse être au courant des magouilles des bannis, de ce qui se tramait vraiment sous la ville, pas alors qu’elle se montrait un peu trop souvent chez eux à la compagnie. Peut être qu’il était temps qu’il cherche à en savoir plus sur cette femme.

Quoiqu’il en soit, bien tapi contre le mur de l'entrepôt voisin, Ghislain, accroupi devant Xandra tendait l’oreille et ouvrait l’oeil, le bon. Les deux miliciens assistèrent, impuissant - parce l’ordre, aussi froid que cette nuit, avait été donné par la coutilière de ne rien faire - à une transaction pour le moins dérangeante. Xandra avait fait le lien sans mal, ils venaient se fournir en armes de la milice pour les refourguer aux bannis et le garde, sans doute, se faisait une coquette somme. L’un des hommes...ne lui était pas inconnu. Cette voix, cette allure, cette tignasse indisciplinée, elle le reconnaissait.

- Maintenant !

Mais quelque chose dans le dos de Ghislain l'empêcha d’obéir, de se lever pour empêcher les deux malfrats de partir avec les armes. Xandra savait que le cri serait suffisant pour faire détaler les hommes et le coup suffisant pour mettre à terre son collègue un long moment. Thibaut ne mit pas plus d’une minute ou deux pour les rejoindre.

- Un...Un homme nous a attaqué, il est partit dans cette direction, ne le laisse pas filer…

Xandra devait être meilleure comédienne qu’elle ne le pensait car c’est un Thibaut à l’air furax qui avait filé comme un chien enragé dans les rues alors qu’elle tenait le mur avec un air totalement pathétique. Dès qu’il fut hors de sa vue, la rousse s’agenouilla près de Ghislain, c’était pas déplaisant de lui en coller une, mais elle posa quand même sa main sur l’épaule du milicien assommé.

- Je suis désolé mon vieux…

Le délaissant, Xandra s’approcha doucement du garde. La pluie c’était un peu calmé et la lune lui permettait de distinguer ses traits, lui, de reconnaître sans mal la broche que portaient les coutiliers.

- Cou...Coutilière, bon...bonsoir.

- Je crois que tu me dois une petite explication. Inutile de tourner autour du pot.

Il était là, pale comme la mort, ses yeux allant de la milicienne au chariot.

Les salauds…

- Je..Je suis désolé mais j’ai une famille et la solde...Elle est pas suffisante, je suis désolé. J’ai eu tord, je...

Xandra ouvrit des yeux étonnés en le voyant fondre en larme. C’était si facile que ça ? Vraiment ?

- Je ne dirais rien.

- Vous êtes sérieuse ?

- A une condition.

- Tout...J’arrête tout je le vous le promet. Ne dites rien...

- Je veux tout savoir sur les deux hommes qui viennent de filer et ton nom. Si tu me dis ce que je veux savoir, je t’aide à ranger le matériel et je ferme les yeux.

Xandra espérait qu’il ne sache rien, elle voulait en rester là. Des noms, juste des noms, une dénonciation, fin de l’histoire. Elle protégeait la Milice, son intégrité, le Duc, et tans pis pour lui, même si ça lui faisait mal. Il était si...pathétique. Mais s’il savait...Il s’agirait de protéger la seule chose qui comptait davantage encore.

- Je ne sais pas grand chose, il y a...Yves. Je...Je le connais depuis des années, c’est un bannis. Il navigue entre Marbrume et l’extérieur, c’est lui qui m’a présenté l’autre, un certain Sandath. C’est un mercenaire.

La rythme cardiaque de la rousse s’accéléra dangereusement. Elle recula un peu et s’appuya contre la porte, près du milicien.

- Il travaille pour qui ?

- La Compagnie...des Lames, c’est un des hommes du Capitaine. C’est lui qui…

Pas ça...

- Combien de miliciens sont impliqués ? Qui d’autre sait ?

Elle faisait un effort surhumain pour cacher le trouble que ses propos avaient fait naître.

- Je...Personne je vous le jure, y'a que moi, le groupe de...les types qui traînent dans les égouts, croyez moi, je vous ais tout dit. Si on était plus nombreux ça aurait pas durer si…

- Depuis combien de temps il est là ce Sandath ?

- Je sais pas trop, depuis cet...cet été seulement.

- Merci… ?

- Louis, Louis...Aubert.

- Merci, Louis Aubert.

Il n’avait pas été si compliqué de convaincre Thibaut et Ghislain qu’un troisième homme s’en était prit à eux, qu’elle l’avait mit en déroute et qu’il ne fallait rien dire pour le moment, qu’elle prenait les choses en main, qu’elle réglait ça avec Keran. Ils avaient confiance en elle et se foutre de leurs gueules lui brisait le cœur, mais ils ne devaient pas savoir, personne ne le devait.

Alors la patrouille fini, elle était revenue à l'entrepôt, Xandra avait fait ce qu’il fallait. Louis Aubert ne serait plus un soucis. Il n’y avait pas de témoin, personne n’avait rien vu, ni entendu, elle en était certaine. Pourtant elle avait peur et la main qui rangeait le couteau ensanglanté tremblait un peu.

Xandra avait froid, elle était fatiguée, elle rêvait d'essuyer correctement le sang du milicien de sa lame, de rentrer chez elle, même si personne ne l’attendait et d’oublier tout ça. Mais ce n’était pas possible. Ça ne pouvait pas attendre. Il fallait qu’elle en parle au Capitaine, maintenant. Elle se demandait si Sandath était ici ? Après tout, il ne l’avait pas vu, avait-il reconnu sa voix ? Elle en doutait.

On avait été un peu étonné de la voir débarquer à cette heure au baraquement, mais avec les derniers événements, le couvre feu, c’est qu’il y avait forcément quelque chose qui ne pouvait pas attendre. Alors on ne lui avait rien dit à Xandra, d’autant qu’elle était en tenue de travail et qu’elle avait pas l’air dans son assiette.

La rouquine était restée bêtement devant la porte de la chambre du mercenaire, ne sachant se décider entre entrer sans frapper ou entrer tout court. Ridicule. Elle resta là, le poing levé à regarder la tache de sang sur son pantalon, les gouttes d’eau qui dégoulinaient de quelques mèches pour s’échouer au sol. Finalement, elle entra en toute hâte sans frapper, comme une tornade, pour mieux se planter devant le lit, les bras croisés. Attendre ne l'aidait pas à trouver ses mots.

- Faut qu’on discute. Maintenant.

Elle n’aurait jamais osé lui aboyer dessus comme elle le faisait en d’autres circonstances, venir ici sans prévenir au beau milieu de la nuit, le regarder avec ses yeux là. Même s’il était probable qu’il ne voit rien d’autre dans son regard que l’inquiétude et la fatigue. Xandra lui laissa le temps de se réveiller complètement et plus elle le regardait, plus sa colère fondait comme neige au soleil.

- On a un gros soucis.

C’était la première fois qu’elle brisait la règle tacite qui existait entre eux. Elle gérait ses hommes, il gérait les siens. Jamais Xandra n’aurait oser émettre un avis sur la manière dont il s’occupait de sa Compagnie en d’autre circonstance, pire, s’y inclure d’une quelconque manière. Nul doute que ça ne lui plairait pas….

- Je ne veux rien savoir de tes hommes, de la manière dont tu mènes ta barque, comme je ne veux pas que tu t’occupes des affaires de ma coutilerie, même si...Même si j’aurais terriblement besoin de tes conseils parfois. A moins qu’ils ne valent plus grand chose ?

La rouquine baissa les yeux, incapable de soutenir le regard du Capitaine une seconde de plus. Comment avait-elle put dire ça ? Parce qu'elle avait peur, pour lui, pour eux.

- Je suis désolé. Je ne pense pas ce que je viens dire, c'était maladroit...
Sandath. Il travaille pour un des groupes de bannis qui traînent dans les égouts. Il leurs fournit des armes. Pas n’importes lesquels, celle que le Duc met à la disposition de la Milice. Trois mois, trois mois que ça dure, plus peut être, je n’ai pas de certitude sur la durée, je ne peux le vérifier, mais pour le reste je l’ai vu de mes propres yeux Capitaine.

L’idée qu’il puisse faire confiance à ce dernier plutôt qu’à elle l’effleura et elle se sentit plus mal encore. C'était une possibilité, elle savait l'importance que tout ça avait pour lui. Ce titre, ses hommes, cette vie.

- Dis moi que tu n’étais pas...Non, tu n’étais pas au courant. On nous a trahis. Alors ça me regarde. Parce que j’ai dû me débarrasser d’un milicien cette nuit, le seul qui sait, en théorie. Je ne pouvais pas prendre le risque qu'il parle.

Comme si le dire à autre voix la dédouanait. Il la connaissait, il savait l’importance qu’avait la Milice au yeux de la rousse, ce qu’elle représentait et ce que ce geste avait pu lui coûter.

- Tu dois avoir des questions, surement...envie de me dire ta façon de penser, mais avant, dis moi une dernière chose, est ce que tu connais un banni du nom d'Yves ? Ils étaient ensemble pour récupérer les armes ce soir.

Elle osa relever le nez dans sa direction. Elle s’y était prise comme un manche, pas sûr qu’il soit dans de bonnes disposition. Alors qu'elle aurait tué pour qu'il la prenne dans ses bras maintenant.

Le Capitaine n'avait pas ce qu'on pouvait appeller un visage très avenant. Qu'une femme comme Xandra lui trouve quelque chose était au delà de sa compréhension.

Le Capitaine, assez ursidé dans son comportement et son aspect, avait un visage quasiment effroyable, reveillé d'un coup par une tornade rousse à deux heures du matin. Il cligna de l'oeil d'un air abruti, les cheveux décoiffés. Il bailla à s'en décrocher la machoire, et, devant la difficulté du réveil, il ressemblait d'un seul coup à ce qu'il était, derrière le titre, le décorum, la carapace : un viel homme fatigué. Il la stoppa d'un geste, au milieu de son discours et des problèmes dont elle parlait.

Il se saisit d'une bouteille, se versa un remontant et le vida d'un coup, avant de secouer la tête, le remède faisant effet. Il cligna des yeux, avant de s'asseoir sur son lit.

" J'espère que tu a une bonne raison de me réveiller à... " il regarda le sablier, qu'il prit entre ses mains pour voir l'heure indiquée par le sable déjà coulé. " Bordel de merde. "

Sa fureur, qui grandissait au rythme de celle de Xandra qui tombait, gonfla un peu plus lorsqu'elle remit en cause sa compétence.

" Tu a bien fait de le tuer. " dit-il avec froideur. Le sort d'un milicien qu'il n'avait jamais vu l'indifférait profondément. Il écouta son aimée, avant de passer son visage dans ses mains, soupirant.

" Quel con... "

Il fouilla dans sa mémoire.

" J'ai recruté Sandath après avoir croisé le fer avec des bannis de la bande de ce Yves. Je pensais qu'il avait arrêté ses vieilles activités... "

Il la regarda.

" Merci de m'avoir prévenu. Si quelqu'un le trouve, il risque de porter un coup fatal à la réputation de ce groupe. "

Il se leva, et la prit dans ses bras, et l'embrassa.

" Mais il est tard et tôt, ma petite Xandra, et agir à cette heure-ci n'est pas une bonne idée. Reviens demain. " Il avait envie de l'inviter à dormir avec lui, mais ils savaient tous les deux que ce n'était pas possible.

" Ici à... " il bailla " La pause de midi. Je sais que tu a des obligations. Nous réglerons ce problème une fois bien réveillés. " Il était évident qu'il n'avait envie que d'une chose : dormir. Et il la regarda une nouvelle fois, penchant la tête sur le côté.

" D'accord ? " dit-il comme pour dire que la discussion était close.

Elle n’avait jamais osé ni ressenti le besoin de ne pas aller dans son sens et c’était plutôt rassurant d'apprendre qu’elle en avait le droit, qu’elle le pouvait. Peu importe si tout ça devait revenir sur le tapis.

La rousse commençait à retrouver véritablement son calme. Il n’avait rien à voir là dedans, il n’allait pas négliger un problème de cette taille et il lui avait dit ce qu’elle avait besoin d’entendre. Elle n’avait pas eu le choix, elle avait fait ce qu’il fallait.

- Je ne crois pas qu’il soit le chef, s’il l’a été, il ne l’est plus en tout cas. Enfin quoiqu’il en soit tu as raison. On est pas à quelques heures près.

Xandra eut un sourire attendri, un peu coupable devant l’air fatigué du mercenaire. Se hissant sur la pointe des pieds elle caressa sa joue et l’embrassa une dernière fois avec cette passion discrète qui ne la quittait jamais quand ils étaient réunis.

- Je me débrouillerais pour être là demain à l’heure convenue. Bonne nuit…

Elle resta là quelques secondes à le regarder se recoucher, ses petits gestes qu'elle ne voyait pas assez, avant de sortir, à regret, elle aurait voulu se glisser tout contre lui, mais ce n’était pas comme ça que les choses fonctionnaient.

Xandra referma la porte sur leur problème pour quelques heures. Elle lui enviait cette capacité à fermer l’oeil après une telle révélation, Xandra doutait d’y parvenir. Il avait vécu bien pire que ça, la milicienne n’avait pas besoin qu’il le lui explique pour le savoir, ce n’était pas étonnant. Peut être un jour la jeune femme serait capable d’autant de recul ? L’avenir le dirait.

Pas de mission pour le lendemain, parfait, elle n’aurait pas besoin de mentir ou de finir au trou pour ne pas s’être présenté. Keran avait dû se dire que la coutilerie méritait bien ça après la punition de la veille. Il ne savait pas à quel point il avait raison. Xandra n’osait pas imaginer ce qu’il penserait, les autres aussi s'ils apprenaient ce qu’elle avait fait. Plus de bannissement possible. La rouquine se remémorait la scène encore et encore alors qu’elle revenait au bâtiment de la Compagnie. Elle n’avait pas commis d’erreur, non. Il le fallait en tout cas, pour lui surtout.

Billou était un petit garçon des rues comme il en existe tant à Marbrume. Petit, fin, toujours un peu sale, plein d'une énergie infinie, et capable de se soustraire à la vigilance de ses gardes, et surtout, de sa mère, avec une incroyable facilité. A une autre époque, son intelligence lui aurait permis un avenir. Mais il n'en avait aucun ici.

Aussi, lorsqu'un homme en armure lui demanda un service, simple et sans danger, en échange d'un "petite pièce d'or" (qui représentait une semaine de salaire pour sa mère), il accepta sans rechigner, ni hésiter. Ses pieds nus battant le pavé, il se dirigea vers la jeune milicienne rousse, lui aggripant le bras.

" Madame, madame ! "

Il la regarda avec la même impression qu'un chaton demandant muettement à manger. Il pointa une ruelle.

" Il y a un grand monsieur qui veut vous voir là bas, mais il est trop timide pour vous voir en pleine rue ! "

Il chuchota du ton d'une confidence.

" Vous pensez qu'il est amoureux de vous ? " avant de rigoler. Puis, il la prit par la main et l'emmena le suivre. Ils prirent une des nombreuses ruelles de Marbrume, qui, empruntées la nuit, devenaient un vrai labyrinthe. Il marchèrent ainsi pendant une paire de minutes, devant l'inquiétude de la rousse, il répondit.

" Le Monsieur m'a dit que c'était important ! "

Ils étaient arrivés dans un coin mal famé de la Hanse, même si cet endroit était l'exemple même de la sécurité par rapport aux bas-quartier. Ruelles salles, fenêtres barrées par des planches de bois. Le jeune garçon s'arrêta.

" Monsieur, j'ai ramené la madame ! "

L'homme à qui il parlait n'avait rien à faire dans cet endroit. Il s'agissait d'un chevalier, comme ceux dont parlent les livres. Il portait une armure complète et un casque fermé, ne laissant que deux simples fentes pour ses yeux invisibles. L'armure, abîmée, pleine de rayures ici et là, étaient d'une propreté resplendissante, et ses tons froids et acier contrastaient avec une longue cape d'un beige chaud et rassurant, elle aussi salie et abîmée. Deux longues épées étaient accrochés à la ceinture de Scarocci Corbera.

Mais ce n'était pas lui qui attirait plus l'attention en cet endroit. Son bras puissant était posé sur l'épaule d'un homme, attaché au dossier d'une chaise. Le visage tourné vers le sol, Sandath respirait avec peine, les taches de sang parsemant le sol devant lui témoignant de la formidable raclée qu'il avait essuyé il y a quelques heures à peine.

Non loin d'eux se tenait un immense cheval, trop grand et large pour entrer dans la plupart des petits box d'écurie. Le colossal destier de guerre au pelage noir, était sellé, mais aucun rêne ni mord ne gênait sa bouche, qui mastiquait ce qui, au grand effroi du milicien à moitié vivant, était un mulot. Le pelage noir comme le charbon du cheval était marqué ici et là de nombreuses cicatrices, mémoires des nombreux combats qu'avait connu la monture vétéran. Elle fixait Xandra avec une curiosité toute chevaline.

" Merci Bilou ! " répondit Scarocci avec sa voix puissante et enjouée, reconnaissable entre milles. " Tu peux laisser la dame ainsi que moi-même, nous avons à parler. "

Il prit Sandath par les cheveux, relevant un visage tuméfié. Le pauvre homme avait le visage si abîmé qu'on aurait cru qu'un régiment entier lui avait marché dessus.

" J'ai trouvé un déchet qui appartient à un de vos amis. Est ce que ca vous dit quelque chose ? " demanda le chevalier comme s'il discutait du beau temps.

" Madame, madame ! "

Xandra baissa les yeux sur...un petit garçon. Elle contempla ses joues un peu sales avec compassion. La rouquine pensa à Alix, à ce qu’elle avait été elle même autrefois et lui sourit. Elle n’eut pas le temps de lui demander ce qu’il voulait parce que l’enfant poursuivi avec un certain empressement.

" Il y a un grand monsieur qui veut vous voir là bas, mais il est trop timide pour vous voir en pleine rue ! "

En d’autres circonstances, la jeune femme parfois un peu naïve ne se serait sous doute pas posé de question, là en l'occurrence elle avait toutes les raisons du monde de se montrer méfiante. Voir paranoïaque. La Capitaine ? Il y avait bien des possibilités mais elle lui semblait la plus évidente.

" Vous pensez qu'il est amoureux de vous ? "

- Ce...Je ne sais pas, peut être.

En d’autres circonstances ça ne l’aurait pas vraiment étonnée. La Fange arrachait familles et conjoints à la pelle et il n’était pas rare de voir des hommes, surtout ceux avec qui vous passiez la majorité de votre temps, à savoir vos collègues, développer des sentiments un peu plus qu'amicaux. Mais la raison de cet étrange manège occupait davantage ses pensées.

" Le Monsieur m'a dit que c'était important ! "

Ca continuait de pouvoir être lui, mais sans doute aurait-il préféré envoyé l’un de ses hommes qu’elle connaissait. Plus les rues et ruelles défilaient devant ses yeux plus Xandra trouvait qu’une odeur mauvaise flottait dans l’air, qu’elle connaissait bien, celle des problèmes.

Xandra stoppa net à l’entrée de ruelle, ne voyant même pas l’enfant disparaître, ni celui qui l’avait fait demander. La rousse ne voyait rien d’autre que ce cheval monstrueux, il n’y avait pas d’autres mots. La coutilière avait toujours eu une peur maîtrisée de ces choses, par obligation, mais là ! S’imaginer devoir s’en approcher plus, pire, monter dessus la terrorisait, vraiment. Au point de l’avoir détourné un instant d’une menace surement bien plus grande. Son regard bleu vrilla sur le reste de la rue, observant silencieusement la scène comme on examine un tableau, en quête du moindre petit détail, du petit coup de pinceau qui changeait tout.

Son regard à présent rivé sur la fente sombre du casque du chevalier, cherchait à en voir plus que ce qui lui était possible de deviner. De mémoire cet homme ne lui disait rien, il ne portait rien qui aurait pu l’aiguiller sur le noble dont il dépendait…
Pour le moment elle n’était pas en état de réfléchir à autre chose qu’au Capitaine, qu’à Sandath, qu’au meurtre et qu’à cette situation.

" J'ai trouvé un déchet qui appartient à un de vos amis. Est ce que ca vous dit quelque chose ? "

Elle l’avait reconnu sans mal, le déchet, bien avant que l’homme ne révèle son visage tuméfié devant la jeune femme. Rien qu’à ses vêtements. Son coeur s’emballa. C’était mauvais, très mauvais. Peut être pas tant que ça. Xandra resta silencieuse quelques instants. elle ne s’était pas approché, pas plus qu’elle n’avait reculé, seules ses mains s’étaient glissées jusqu’aux fourreaux pour en sortir les lames.

Calme toi et réfléchis. Il savait, pas la peine de perdre de temps à jouer, restait à lui prouver que des deux, il n’était pas aussi avantagé qu’il ne le croyait. Elle le détestait, il représentait une menace pour les deux choses qui avaient réellement de l’importance à ses yeux. Même si l’une était bien au dessus de la première.

- Xandra Erkal, coutilière, en général on se présente avant de poser des questions.

Elle désigna le blessé du menton.

- Cet homme est avant tout une de mes connaissances. Je n’aime pas trop qu’on s’en prenne aux habitants de la cité, vous avez de la chance que je ne vous ais pas déjà attaqué.

Ou peut être que c’était elle qui s’en sortait bien ? D’ailleurs rien ne l’incitait à penser que la situation ne risquait pas de dégénérer à tout instant. Restait à espérer qu’il soit réellement seul.

- Il a des choses à se reprocher, c’est mon problème, pas le vôtre. En vous mêlant ce qui ne vous regarde pas vous risquez de tout faire capoter.

Et de se tromper de coupable, à moins qu’ils ne soient pas dans le même camp, mais dans ce cas, peut être qu’il aurait choisit de l’attaquer elle, peut être aussi que c’était ça le plan, faire d’une pierre deux coups ? Elle jeta un regard au mercenaire blessé avant de se concentrer à nouveau sur l’homme en armure.

- Qu’est ce que vous voulez ?

" Ce que je veux ? La justice, demoiselle Erkal ! " répondit le chevalier avec l'assurance de celui qui crois à fond en ce qu'il dit. Il se tint droit, raide comme la justice, et avança.

Il n'était pas très grand. Sandath, qui était plus petit que beaucoup de membres de la compagnie, et arrivait au menton du capitaine, était plus grand que le chevalier. Et surtout, contrairement au chevalier, il ne boitait pas. Le fier homme en armure fit un pas puissant et vif de la jambe droite, avant que la gauche ne râpe misérablement le sol, laissant derrière elle la marque du pied écartant la terre dans un long sillon.

Il présenta sa main, ouverte.

" Je suis Scarocci Corbera, chevalier itinérant, champion des petites gens et maître des chevaux ! " dit-il d'un air joyeux. Elle semblait hésiter mais décida de lui serrer la main. Les doigts de Scarocci se resserrèrent sur les siens, mais sans aucune volonté de lui écraser les doigts. Bien que froids et métalliques, ils étaient rassurants. Il retira ensuite sa main, pointant son monstrueux destrier du doigt.

" Et voici mon fier compagnon d'arme, mon frère de sang, mon fidèle destrier, Bidigon ! Ne l'approchez pas trop. Les autres le rendent nerveux. Il est très timide ! N'est-ce pas Bidigon ? "

Le cheval regarda Scarocci, puis Xandra, et se mit à hennir d'un air agressif.

" Bien, retournant à nos moutons " dit-il en s'éloignant. " Version courte. Ce coquin vend vos armes aux miliciens, et appartient à une compagnie de mercenaires prestigieuse. "

Il força Sandath à le regarder.

" N'est ce pas ? "

Un mugissement étouffé et un regard terrifié lui répondirent. Scarocci poussa un rire gai.

" Oh, pardon, j'avais oublié que tu n'étais pas en état de parler ! " Il regarda Xandra. "Il a essayé de mordre sa langue. Quelqu'un capable de mourir pour cacher ce genre de secret a des gens à couvrir. "

Silence.

" Vous, par exemple. " Il s'amusa de la voir choquée. " Oh, mademoiselle Erkal. Ne faites pas l'innocence. L'uniforme est bien la seule chose qui distingue la moitié de vos collègues des criminels de cette ville. Si je remet ce vilain, l'affaire sera étouffée. Apparemment, un milicien qui était dans les environs du dernier échange de ce faquin a été tué, et, si j'en crois notre ami Sandath, pas de sa main. "

Il fronça les sourcils.

" Je n'ai aucune confiance en des gens prêts à tuer les leurs pour qu'un crime soit inconnu. "

Il soupira.

" Je ne veux pas que ce vautour de Capitaine ne se contente lui aussi s'étouffer l'affaire. Il parait que vous le connaissez très bien. Je suis sûr que vous saurez lui faire entendre raison. "