La plupart des choses se produisent par un : "Boum ! Oh pardon !"

Le nord du port est un coin agréable de Marbrume. Héloïse aime parfois venir s’y promener en évitant le côté sud, ou l’environnement se trouve être plus risquée. C’est le milieu de l’après-midi, le temps est agréable pour une journée d’automne malgré un petit vent frileux. La couturière est assise sur un bollard en pierre observant la marée et les petits canots vers le large tandis que ses narines sont inondées d’odeur de poisson frais.

Ses cheveux lâchés s’emmêlent au grès du vent et ses mains froides se réchauffent dans les plis de sa robe d’un vert sombre. Puis, elle glisse une main dans sa petite bourse pour compter ses pièces, trois misérables petites pièces et la faim la tenaille. Le parfum des écumes ne l’aide pas à penser à autres choses et elle a envie d’un poisson grillé avec du riz.

- Alors, ma p’tite dame.. On cherche de la compagnie ? Un pêcheur d'une calvitie prononcée et a qu’il manque plusieurs dents vient l’aborder. Héloïse tourne le visage vers cet homme avant de se redresser de son perchoir pour reculer de quelques pas et de se soustraite de ce tête-à-tête en longeant le port.

Elle remonte son châle qu’elle avait noué autour de la saille pour le poser sur ses épaules et couvrir son cou. Elle tourne légèrement la tête pour s’assurer que le pêcheur ne la suit pas, mais elle sent une pression au niveau de son coude qui la fait se retourner.

- Vous êtes partie bien vite, m’dame ! Héloïse essaye de soustraite à la poigne du pêcheur qui en plus de sentir le poisson pourris, pu la boisson. Elle détourne le visage pour ne pas sentir son haleine fétide.
- Lâchez-moi ! Sa voix est basse mais pourtant aussi hardie que possible.
- J’vois qu’on a du tempérament, ç’me plait bien ! Rajoute l’homme d’une voix bien trop graveleuse à son goût.

Elle regarde autour d’elle mais elle s’est beaucoup trop éloignée de l’agitation, mais la couturière ne compte pas se laisser si facilement apeurer et c’est d’un coup de talon, qu’elle écrase le pied du vilain et se libère vivement de la poigne à son coude avant de courir peu importe où, tant elle souhaite s’éloigner de ce vaurien… Jusqu’à tomber sur le sol, les deux pieds en l’air.

Sa robe s’est levée jusqu’à ses genoux, ses yeux fixent le ciel bleuté en réalisant qu’elle vient de s'étaler de tout son long sur le sol, après avoir heurté quelques choses.. Ou quelqu’un…

Héloïse regarde le ciel et les mouettes qui volent au-dessus des chaumières alors qu’elle reprend doucement ses esprits. Elle est allongée au milieu des pavés sales et glissants du port, elle grimace autant de dégout à cause de la saleté que de douleur au niveau de son postérieur. Elle se redresse lentement sur les coudes et petit-à-petit, elle réalise que ses jambes sont à moitié dénudées.

- Ho ! Non ! Non ! Elle s’assoit au milieu de la rue et tire sur sa robe pour cacher ses mollets et ses chevilles avant de lever la tête pour croiser une paire de yeux d’un bleu océan qui l’observe. Qu’ont-ils vu ? Son visage devient tout cramoisi et elle a juste envie d’aller se cacher dans un trou de souris.

Puis elle sent un liquide gluant couler le long de ses cheveux. D’une main tremblante, elle ose toucher cette chose visqueuse et constate que c’est du jaune-d ‘œuf. Elle remarque par la suite qu’il y a plein autour d’elle, ainsi que sur les vêtements du bonhomme.

- Ho… Pardon !! Je ne vous avez pas vu… S’excuse-t-elle tout en essayant le plus élégamment possible de se redresser.
- Vous n’avez rien… ? Questionne-t-elle mais de toute évidence, il avait l’air beaucoup plus contrarié pour ses œufs rependus sur le sol.

Alors qu’elle essaye de retirer cette matière gluante de ses cheveux à l’aide de la manche de sa robe, elle se surprend à glisser sur les pavés et se raccroche instinctivement au bras du gentilhomme.

-Pardonnez-moi... C’est glissant… Dit-elle d’une petite voix en levant ses yeux vers le visage voisin. Elle est déjà tombée une fois, elle sent encore une vive douleur au niveau de ses reins et elle n’a pas envie de réitérer l’expérience.
- Je suis désolée pour vos œufs… Dit-elle tenant toujours son bras tout en regardant les coquilles brisées et les jaunes-d’œuf qui sont éparpillés sous leurs pieds.
- Je… Je vais... vous rembourser… Vraiment.. ! Bafouille-t-elle, un peu prise de panique.

Cet homme a beaucoup d’humour, Héloïse se surprend à sourire à plusieurs reprises. Elle lui tient toujours fermement le bras pas peur de se retrouver sur les pavés, les deux jambes en l’air. Le souvenir de cette image lui fait légèrement monter le rouge aux joues et préfère baisser la tête pour cacher son visage derrière ses longs cheveux tartinés de jaune d’œuf.

Elle crispe vivement ses doigts dans le bras et avance doucement sur le chemin avant de se sentir chanceler. Apparemment, la pluie de la nuit dernière a rendu les dalles impraticables. Elle regarde l‘homme s’abaisser pour garder l’équilibre et elle s’aperçoit que dans cette position, il a une meilleure stabilité.

- Vous êtes bienveillant…Je vais bien, rassurez-vous. Dit-elle en copiant l’homme pour également se baisser et marcher à petit pas vers une petite fontaine.

Alors qu’ils arrivent saint et sauf devant ce petit point d'eau, Héloïse s’installe sur le rebord et commence par se laver les mains.

- Vous êtes vraiment un homme bon… Dit-elle en cherchant du regard celui du bucheron. Héloïse s’en veut tout de même d’avoir fait perdre sa marchandise à cet homme qui doit être un grand travailleur. Puis, elle le regarde en train de partir dans un éclat de rire et ses épaules tressautent sous son rire jovial… Et Héloïse se laisse entrainer par ce rire communicatif.

- Assurément, le jaune est une couleur qui me sied à ravir ! Dit-elle alors qu’elle est toujours en train de rire, il y a bien longtemps qu’elle n’a pas plaisanté à s’en faire mal à la mâchoire.

Les mains propre et fraiche, elle se les pose sur les joues pour se calmer de ce grand fou-rire, les yeux encore rieur tout en regardant le bucheron. Cet homme prend la vie dans le bon sens, avec humour et plaisanterie, et quelques parts, cela lui fait du bien.

- Non, Non… Au contraire, je m’échappais des griffes d’un vilain pêcheur… Je pense même que notre rencontre impromptue l’a fait fuir… Voyez-vous, vous êtes mon sauveur. Lui dit-elle avec le sourire tout en se rinçant les cheveux.

- Avec toute cette histoire, j’en oublie, les convenances ! Elle se redresse de sa petite hauteur et s’incline en jouant à une dame de la noblesse, avec un petit sourire taquin sur le visage. Héloïse Coutrier, enchantée, monsieur… ? Dit-elle en relevant le visage vers lui avant de distinguer derrière l’épaule du bucheron une petite roulotte.

- Ho ! Ne bougez pas ! Lance-t-elle vivement avant de se précipiter vers cette roulotte, glissant plusieurs fois sur le chemin, se retrouvant sur un pied tout en agitant les bras, pour retrouver son équilibre.

Une fois devant la roulotte marchande, elle donne les trois pièces qui lui restent au vendeur pour acheter une tourte au thon qu’elle compte partager avec sa nouvelle rencontre. Quand elle se retourne pour faire le chemin à sens-inverse, elle se rend compte que cela va être plus difficile avec une tourte dans les mains...

Héloïse sourit en observant le bucheron la rejoindre pour venir l’aider à rebrousser chemin sans qu’une catastrophe n’arrive, qu'est celui de tomber la tourte parterre. Héloïse est plutôt adroite, surtout quand il s’agit de manier une aiguille mais pour le coup, elle se trouve plutôt gauche sur des pavés mouillés.

- Je ne compte pas vous envoyer cette tourte sur le visage ! Dit-elle la voix amusée et les yeux rieurs.

- Puis, de vous à moi… Je n’ai jamais été très douée pour lancer les tartes. Lui répond t-elle la voix-basse, comme si elle lui confie un secret avec de se mettre doucement à rire.

- J'accepte avec plaisir votre aide ! Toujours souriante, elle pose délicatement sa main dans celle du bucheron pour qu’il la raccompagne sans accident jusqu’à la fontaine. A certains moments, sur le parcours, ses doigts se serrent plus fermement dans sa paume par peur de trébucher.

Tout en s’accrochant à Lorentz, la couturière se rend compte, que c’est la première fois, depuis l’attaque des fangueux dans son village, qu’elle se promène "naturellement" avec un autre homme que son mari. Quand elle pense soudainement à lui, son coeur se serre dans sa poitrine.

Discrètement, elle jette un coup d’œil à son profil, Lorentz a la peau tanné, très certainement dû à ses heures passées sous un soleil de plomb à couper des arbres. Elle remarque aussi que ses sourcils sont épais et elle se souvient parfaitement de la couleur de ses yeux. Ses pupilles sont d’un bleues fascinants avec une touche grisâtre, comme si on s'est amusé à mélanger de la cendre dans l’océan. Elle s’attarde un moment sur sa barbe avant de remarquer une petite cicatrice sur sa joue. elle fixe longuement cette blessure avant de détourner les yeux vers la fontaine pour ne pas être prit à flagrant délit d’espionnage.

Silencieuse, elle s’assoit sur le rebord de la fontaine en posant la tourte entre eux. Elle est encore chaude, prête à être dégustée.

- Avez-vous un couteau pour partager la tourte en deux ? Demande-t-elle, se rendant compte qu’elle n’a rien pour la départager. En donnant la moitié de cette quiche au thon au bucheron, elle se sent moins mal-à-l’aise de lui avoir fait perdre ses œufs.

- Vous vivez à Marbrume ? Vous partez loin pour couper du bois, n’est-ce-pas trop dangereux en cette période d'incertitude ? Questionne-t-elle curieuse de connaitre un peu plus cet homme et d’engager la conversation, mais elle ne lui laisse pas le temps de répondre et continue de parler sur un ton tranquille.
- Je viens d’un petit village près de Marbrume, malheureusement… Comme beaucoup d’autres villages, il a été décimé par les fangueux… Par chance, j’ai pu me réfugier ici… Je travaille comme couturière chez Monsieur Lanvin, une boutique située au quartier de la Hanse, vous connaissez ? Elle a les yeux baissés sur ses mains qui sont posées à plat sur ses genoux avant de les lever vers le visage de Lorentz.

- Je parle… Je parle… Désolée... Dit-elle tout bas dans un petit sourire gêné.