Alchimie et verrerie (Régis de Rohellec)

Verrerie des Dhelènes, 20 septembre 1165

Un soleil étrangement chaleureux embellissait cette douce matinée d'automne, au point du jour d'épaisses brumes froides erraient encore dans les rues, et Amance apprécia la caresse bienveillante de l'astre sur sa peau. La boutique en elle-même, qui composait la première partie de la bâtisse abritant l'atelier, formait un espace agréable baigné de lumière, il aurait été incompréhensible qu'un tel commerce soit un lieu sombre, son père avait pris soin de le garnir de nombreuses fenêtres ouvragées au vitrage parfaitement translucide d'une légère teinte orangée. Manière élégante quoique conventionnelle de faire valoir la qualité de son travail.

Lorsqu'on entrait dans la boutique, par une porte elle aussi vitrée de la même couleur, un carillon dont nous tairons la matière car trop évidente, résonnait d'un doux son cristallin, attestant de l'arrivée d'un potentiel client. La pièce était rectangulaire ou presque, un léger renfoncement au fond à droite servait de présentoir aux créations de petites tailles : objets délicats, œuvres d'arts fragiles et quelques originalités de la maison. C'était là pour beaucoup le travail d'Amance lui-même qui s'était spécialisé dans la partie plus artistique de l'art familiale, il aimait œuvrer aux petites choses, ces travaux qui demande minutie, précision et une grande dextérité. Il était notamment fier d'un triptyque colorés dédié aux divinités, une belle sirène aux écailles bleues, un cerf majestueux aux pelage brun-roux qui contrastait avec ses bois et sabots incolores, et un serpent intelligent aux motifs verts. Des pièces désormais rares, elles dataient d'avant le fléau, il n'avait jamais consenti à les vendre jusqu'à présent, elles lui rappelaient sa famille, l'époque où le monde tournait encore rond...

Immédiatement sur la gauche, quand on entrait, se trouvait le comptoir au bois clair -toute la pièce étant faite de bois clair au demeurant, et un peu plus loin, avant la porte qui menait à l'atelier et qui était close la plupart du temps, se trouvait quelques chaises si d’aventure on venait en nombre et qu'il faille pour certains patienter. Du reste, en raison des teintes du vitrage, une lumière épaisse d'un jaune chaleureux envahissait la pièce, lui conférant l'odeur agréable du bois laissé au soleil. Ça et là, sur des tables ou des présentoirs, trônaient les œuvres de plus grandes tailles, des échantillons de vitres, de vitraux, des vases ou autres objets décoratifs. Un lieu qui respirait la bienveillance et le savoir-faire, un lieu qu'Amance appréciait beaucoup, même encore aujourd'hui, et malgré tout.

Le maître des lieux d'ailleurs, était derrière le comptoir, à se soucier de l’approvisionnement en combustible du mois, ses fours étaient gourmands car le sable refusait de fondre si la température n'était pas aussi élevée qu'elle devait l'être. Il était environ dix heures, quand le carillon sonna.

Régis de Rouhellec n’était certainement pas le noble le plus connu de tout Marbrume, et il ne le désirait pas. Loin de lui était l’idée de s’adonner à la flânerie et la mondaine rie tant cela ne l’intéressait pas. Non, sa passion demeurait dans l’apprentissage des sciences, et plus particulièrement tout ce qui tournait autour des chiffres et de la logique. Une passion bien peu conventionnel que son rôle de second fils de famille avait épargner durant de nombreuses années, mais plus depuis peu. En effet la mort de son frère ainé, et tyran d’excellence, l’avait propulser malgré lui dans les hautes sphères de la noblesse, par haute sphère nous entendons bien sûr la gestion d’un domaine abandonné à la Fange et le devoir de protection qu’il avait au roi.
Pour le malheur du roi, il ne savait manier l’épée et n’avait pas d’autre choix que d’engager une bande de mercenaire pour se battre à sa place, mais il désirait ardemment participer à ce combat pour la vie.
Il était temps que quelqu’un réagisse et se mettent à étudier ses fangueux pour savoir comment les battre. C’était la mission qu’il s’était donné. S’entourer des meilleurs scientifiques et médecins de Marbrume et trouver le remède contre cette abomination que les Trois n’avaient certainement pas créer.

Ainsi, en ce matin de septembre, Régis flânait dans les rues à le recherche de matériel pour ses expériences. Lors d’une soirée entouré de ses collègues, ils avaient longuement débattu lui l’utilisation de petit récipients que l’on pourrait manipuler sans danger et faire réchauffer. Plusieurs tentatives avaient échoué avec l’emploi du fer ou du cuivre, ils s’étaient donc questionner sur l’utilisation du verre dans leurs expériences. Et le voilà devant la boutique familiale des verriers de Dhelène.

Le noble s’était lever de bon heure pour s’y rendre, passant auparavant saluer sa soeur au temple, puis marchant tranquillement dans les rues a peine bondé de la ville puis s’était frayer un chemin jusqu’a l’échoppe. Il avait pénétré les lieux en déclenchant le tintement d’une cloche accrocher a la porte. Voilà qui était ingénieux.
Il regarda l’intérieur de l’échoppe avec curiosité. Il y avait des sortes de petites figurines en verre, très réussit.
Régis s’avança jusqu’au maitre de lieu qui patientait derrière un comptoir en bois.

« Messire Dhelène? » Sans attendre la moindre réponse, il entama son dialogue, « Je suis Régis de Rouhellec, et a la recherche de petite fiole pour mes expériences, serait-ce a votre hauteur?

- La vraie question n'est pas, que suis-je capable de faire, la vraie question est savez-vous exactement ce que vous voulez ? Monsieur de Rouhellec. Dit-il en relevant la tête pour poser sur son nouveau client un regard où perçait une compétence assurée, quoique qu'il peinait à exprimer une réelle humanité depuis presque un an.

- Bienvenue dans mon humble atelier ! Votre nom ne m'est pas familier, c'est la première fois que nous avons le plaisir de vous recevoir n'est-ce pas ?

Le ton d'Amance, comme toute son attitude, était professionnel, la bienveillance était une chose qui avait déserté son âme, seul y régnait un profond désintérêt, bien qu'un an après il avait fait quelques progrès. Il n'inspirait ni affection particulière, ni antipathie. Il était là, il répondait, il faisait toujours plus que correctement son boulot, c'était suffisant, inutile d'en attendre plus, à moins d'être capable d'un miracle peut-être.

Son client était noble, son nom le lui avait appris, son maintient le lui confirmait, il avait suffisamment fréquenté le monde d'en haut pour reconnaître au premier coup d’œil ce genre de chose. Et il n'avait pas à leur envier leur port altier, il savait faire preuve de la même tenue sans aucune difficulté, mais ces choses-là semblaient loin maintenant, ou peut-être juste voilées, qu'importe. C'est au maître verrier qu'on s'adressait, pas à l'amant singulier.

Se levant pour accueillir dans les formes le dénommé Régis, il vint lui serrer la main, l'homme était mince, et d'un âge incertain, comme s'il avait vieilli trop vite. Pourtant il se dégageait de lui un calme apaisant d'où transparaissait une certaine gentillesse. Quelqu'un au tempérament sympathique, probablement. Il verrait bien.

L'invitant à le suivre d'un geste, il le conduisit verre un présentoir sur lequel reposait différents ustensiles, cela allait de récipients culinaires, en passant par des vases, jusqu'à d'étranges assemblages.

- Quel est votre besoin monsieur de Rouhellec, et pour quel usage destinez-vous mon travail ?

Il aurait pu tenter de deviner, mais il préférait s'en remettre au client, il n'était pas de ces commerçants qui pensent savoir mieux que vous ce qu'il vous faut, il était seulement attentif, ne portait aucun jugement, et faisait de son mieux pour comprendre ce qu'on attendait de lui, comme son père le lui avait appris. Étant donné leur réputation, on ne pouvait nier un certain succès dans cette démarche.