[Terminé] Aut vincere, aut mori

14 Septembre 1165, aux aurores

Les échos et remous causés par cet événement mondain qu'était le bal de Sombrebois étaient tels qu'ils avaient laissé place à une période de calme toute relative, d'autant plus qu'on envisageait bientôt la levée du couvre-feu instauré par les autorités suite à de nombreuses arrestations, certaines pour le moins surprenantes. Évidemment, pour les plus sceptiques, il restait encore des félons qui avaient réussi à passer les mailles du filet, peut-être des "agents dormants" qui renouvelleraient leurs tentatives à moyen terme. D'autres semblaient, espérait-on, avoir pris conscience que ceux qui étaient davantage prompt au laisser-aller et s'enrôlaient dans la milice juste pour la bonne soupe étaient ceux qui prenaient le vent d'où il venait, ceux qui trahiraient à la moindre occasion pour le compte du plus offrant. Hérald n'était pas de cet acabit, du moins c'est ce qu'il pensait. Les choses semblaient s'être tassées à son sujet, à son grand dam, lui qui n'aurait pas hésité à trancher le mal à la racine comme il le faisait du temps du Croc d'Ebène. Mais visiblement tout était affaire de concessions, de garder une ligne droite malgré les sentiers sinueux de la milice. Difficile exercice, mais il y arrivait. Pour preuve, il endossait présentement le rôle de coutilier suppléant, lui qui n'imaginait pas de si tôt diriger qui que ce soit à la milice, parmi ces gens en manque d'éducation rikienne, en manque d'esprit. Et pourtant il le ferait l'espace de quelques jours, ce serait un exercice comme un autre.

Ainsi il s'était levé plus tôt qu'à son habitude, convaincu qu'un coutilier avait le devoir d'effectuer davantage de travail qu'un milicien. Si l'on devait considérer des miliciens comme des hommes d'urgence, pour les coutiliers, c'en était d'autant plus vrai. Même s'il ne se sentait pas la carrure d'un meneur, s'estimant bien différent de d'Algrange ou de Murinus, il lui faudrait honorer son devoir et se montrer impeccable. Il comptait profiter de son privilège de maîtriser l'emploi du temps de sa coutillerie pour leur suggérer un entraînement pré-matinal avant l'entraînement matinal auquel on participait tous en général. Si personne n'était tenu de venir s'entraîner avec Dreit au début de la journée, il espérait quand même qu'on vienne à sa rencontre, comme la prêtresse d'Ergnies l'avait fait en hiver dernier. Il avait disposé sur un terrain d'entraînement du matériel, épées en bois de longueur variable, et quelques bottes de paille auxquelles étaient attachées des sangles. Nul doute qu'il prévoyait quelques entraînements en tout genre, bref mais intenses, pour inévitablement déceler les points forts et points faibles de chacun de ses camarades ; pour mieux les connaître et mieux travailler avec eux.

Comme la température était douce pour une matinée de Septembre, il restait en tenue de cuir et débuta son entraînement par des petites foulées autour du terrain, afin de réveiller son corps, de faire battre son pouls, de se tenir prêt pour la séance qui allait venir. Il n'allait laisser aucun répit à ceux qui auraient le courage et l'humilité de venir s'entraîner avec lui. Alors il bougeait çà et là, parfois piquait des accélérations, parfois trottinait encore, à vitesse modérée. Certains miliciens matinaux le regardaient avec appréhension avant de passer leur chemin, comme d'ordinaire. Puis le voilà qu'il faisait des pompes sur les poings, le grand blond pâle, descendant coudes prêts du corps, puis pontant de manière explosive dans son souffle ; jusqu'à ce qu'il ait la respiration sifflante. Prenant un bref instant de repos, il faisait des flexions, essayait de maintenir un bref équilibre sur la pointe des pieds, renforçait ses jambes en restant accroupi et fléchit sur ses jambes, le bassin droit. Jusqu'à ce que sa respiration se saccade et que ses jambes tremblent, après quoi il relâchait l'exercice. Puis ensuite il s'allongeait sur le dos, relevant ses jambes, essayant de ponter sans élan de sa ceinture abdominale tandis que sa respiration sifflait et son corps commençait à suinter. Il baissa lentement une jambe, toujours dans l'optique de renforcer son bas ventre ; puis la relevait, pontait à nouveau. Jusqu'à plus pouvoir. Et il restait immobile, à terre, le corps étendu en étoile de mer alors qu'il fixait le ciel qui s'éclairait timidement.

Clovis est dans la milice depuis deux semaines à peine et est loin d'être familiarisé avec tout le réglement. Mais c'est un bosseur, un dur au mal et un gars qui n'hésite pas à jouer de ses muscles sans se planquer. Il a pour lui sa robustesse et une force physique impressionnante, héritage d'un passé à travailler aux forges avec son paternel. Contre lui, un esprit peu éveillé et un état mental instable aggravé quand il boit de l'alcool. Il s'est déjà fait remarquer négativement et doit se rattraper. Même un cerveau lent comme le sien le sait. Aussi travaille-t-il plus encore et se lève-t-il plus tôt pour s'entraîner. Inutile d'expliquer sa surprise quand il voit que Dreit est déjà sur place !

- Vétéran !

Le "vieux" s'entraine bizarrement, Clovis fait plus simple. Il a un point faible, c'est son bras gauche. Bien qu'il soit plus puissant que pas mal de bras droits ici, il reste moins solide que son bras droit à lui. Alors il travaille son bras, à sa manière. Torse nu, parce que ça fait transpirer, il fait des tractions uniquement avec son bras gauche. Il ne l'avouera pas, mais la forge lui manque. Il n'arrive plus trop à avoir mal aux muscles, mais par chance il n'a pas encore fait de gras ou perdu en musculature. Quant à Kador, sa chienne, elle dort encore.

Il reconnut cette voix qui l'avait interpelé, tandis qu'il se redressait lentement en plantant un regard froid dans celui de Clovis. A chaque fois qu'il le voyait, il ne pouvait s'empêcher de penser aux déboires qu'il avait causés. Il finit par se remettre sur ses pieds, massant son visage perlant de sueur, tandis qu'il regardait Clovis s'exercer spontanément.

"Deux choses. Je ne suis pas un vétéran. Ensuite, ce que tu fais n'a tout simplement aucune utilité. Tes muscles sont gros et peuvent éventuellement soulever une masse importante, c'est bien. Mais cela ne te sera d'aucune utilité contre un adversaire ou même contre la Fange. Il te faut de l'explosivité. Donc si tu tiens à quitter ce terrain d'entraînement en ayant appris des choses, je te conseille d'arrêter tout de suite tes âneries. Plus de bagarre dans les tavernes et plus d'entraînement inutile. Vu ?"

Il n'avait pas le temps d'attendre sa réponse qu'il voyait Courmant débarquer, le sourire aux lèvres. Finalement, peut-être que l'initiative de Dreit avait quelque succès.

"Supeeeeeeeeer ! On s'entraîne pour ressembler à des beaux hommes ? J'commence à comprendre pourquoi tu as de la cote avec les femmes, Dreit. Je suis chaud comme la braise, moi !"
"Et bien commence par me faire des tours de terrain, puis en levant les genoux, en claquant des talons sur ton fessier, après quoi tu feras des flexions puis des pompes avec les coudes prêt du corps. Exécution."
"Euh... Ouh la tu m'en demandes un peu..."
"MAINTENANT !" beuglait Dreit avec un regard qui n'avait rien d'amical, tandis que Courmant perdait son air habituel de débile et se concentrait sur l'exercice.

Alors qu'il disposait des bottes de paille, il intima aux nouveaux venus d'imiter Courmant. A sa grande surprise, Malatruff s'exécuta sans broncher. L'on vit même débarquer de nulle part Racoura, qui se prêta au jeu avec entrain.

"Très bien, Castagnier et Granula ne devraient pas tarder. Finissez de vous échauffer." dit-il en plantant ses yeux dans ceux de Clovis puis ceux de ses comparses, avec tout la volonté du monde que de les chauffer pour les exercices à venir. "Ecarte plus les jambes et descends plus sur tes flexions, Courmant. Regarde le sol quand tu pompes, Malatruff, ou tu vas te faire mal à la nuque. L'objectif n'est pas de se briser mais de se REN-FOR-CER !"

Il n'octroya pour le moment aucune remarque à Racoura, qui semblait très appliqué dans ses entraînements, à croire qu'il en avait un peu sous le coude.

Le regard froid de Dreit n'impressionne pas le Milicien, qui de toute manière ne semble pas impressionnable et quand son chef intérimaire lui dit que ces exercices sont inutiles, il hausse les épaules. Clovis vit dans le corps de Clovis, pas Dreit. Alors, s'il estime qu'il doit renforcer son bras gauche, il le fera, mais seulement quand le chef intérimaire ne sera pas là. Par contre, pour la bagarre, il réfute

- Clovis doit pas boire. Chef a dit que Clovis devait boire. Clovis a obéi à l'ordre de la chef. C'est tout !

Qu'il ait déclenché une baston générale une fois saoul lui passe au-dessus de la tête. Il a prévenu que lui et l'alcool ne faisaient pas bon ménage. Bon, maintenant, la coutellerie est au courant. Pour le reste, le chef a donné un ordre, s'entraîner comme lui. Et un ordre est un ordre. Alors il s'exécute et fait son tour en courant et en tapant ses talons sur son fessier, puis les pompes, sur deux mains, avec moins de difficulté que la course particulière que le chef avait demandé. Il bosse très sérieusement, sans se plaindre. Si le chef veut qu'il bosse son explosivité, ben il bosse son explosivité, même s'il voit pas trop à quoi ça peut lui servir. Et puisqu'il n'a pas reçu d'ordre d'arrêter, il refait un tour complet d'exercice.

"Entre obéir à des ordres complètement stupides et déclencher une bagarre de son propre chef... Si l'on peut te reconnaître une qualité, Clovis, tu sais mener un combat sur deux fronts. Enfin, il y a du boulot..."

Dreit attendit que ses camarades sout suffisament échauffés, certains suant, la respiration sifflante, afin de taper trois fois dans ses mains.

"Très bien. Nous avons peu de temps avant le début de la journée. Je vais vous proposer un entraînement complet pour que vous sachiez à quoi vous attendre si d'aventure vous revenez apprendre auprès de moi. A chaque début de leçon, tout le monde se place en ligne et fait face au Nord, derrière moi. Exécution."

Il demeurait ferme dans le ton afin de dissuader les miliciens déjà bien échauffés de lui désobéir. Mais bien évidemment, Dreit n'allait pas faire preuve d'autorité longtemps.

"Ca sert à quoi ton cérémonial ? Nous on veut juste s'entraîner."
"Ce cérémonial sert à saluer Rikni, Déesse de la Guerre, qui sera témoin de notre progression durant cette leçon. Il sert aussi à se plonger dans la leçon et laisser son ego et son orgueil de côté. A chaque leçon il convient de ressortir grandi, Malatruff."
"Et si j'ai pas envie de le faire ?"
"Eh bien tu n'es pas obligé de participer à l'entraînement avec nous. Maintenant, assez discuté. En ligne."

Sur ces mots, Dreit contempla ses acolytes former une ligne à peu près droite. Courmant semblait gagné par le sérieux, se câlant sur Racoura qui obéissait sans vasciller. Granula et Malatruff, eux, se tenaient légèrement courbés, l'air désinvolte, tandis que ce dernier attendait les bras croisés.

"C'est complètement stupide. A quoi tu joues ?"
"Va-t-en, Malatruff."
"Ca y est, d'Algrange t'a nommé suppléant et tu te..."

Ni une, ni deux, Dreit s'était dirigé sans détour vers Malatruff avant de lui administrer un poing dans la tempe. Ce dernier recula de justesse le visage pour amoindrir le choc reçu, mais tomba à la renverse tandis que le grand blond pâle continuait à le menacer du poing fermé.

"Malatruff, t'es peut-être mignon quand il s'agit de titiller la cheffe, mais avec moi tu vas vite te mettre au pas. Tu as de la chance qu'elle m'ait demandé de ne tuer personne ; parce que je te jure sur la sainte Trinité que je t'aurais brisé la nuque sans sommation. Et je ne plaisante pas. Maintenant, débarasse-moi le terrain, je ne te veux plus dans mon champ de vision."

Un silence pesant fit place tandis que Malatruff fusillait Dreit avec ce même regard froid et glacial. Il partit sans demander son reste, sous le regard discret des autres occupants. Courmant, qui connaissait bien le tempérament de Dreit, avait perdu son caractère taquin et ses petites plaisanteries. Granula, lui, regardait le sol avec un air dépité tandis que Racoura restait impassible, la mine renfrognée. Au moins, maintenant, ils formaient tous une ligne. Certains devaient se douter qu'ils pouvaient porter un coup à Dreit, mais s'il avait la figure du coutilier, cela leur apporterait des problèmes. Et Dreit savait qu'ils voulaient éviter les problèmes ; peut-être à part Malatruff qui ne pouvait s'empêcher d'être aussi tatillon.

Ainsi Dreit se plaça devant eux, leur faisant dos et se tournant vers le nord, le menton légèrement relevé.

"La personne la plus à droite doit prononcer ces mots : "Aut vincere, aut mori". Puis de poursuivre avec "Ave Rikni". Littéralement, cela signifie "La Victoire ou la mort. Salutations, Rikni."

Il regarda par-dessus son épaule, jetant un oeil à la personne la plus à droite. Il s'agissait de Granula. Il lui fit un signe de tête avant de regarder à nouveau devant lui.

"Au vine... céré au mori. Ave Rikni."
"Ensuite nous saluons tous en direction du Nord." continuait d'expliquer Dreit en effectuant une courbette grâcieuse, la main droite sur le coeur et fermant les yeux, avant de se redresser. Puis il tourna les talons pour faire face à l'assistance. "Finalement, l'élève le plus à droite, toujours, doit prononcer "Ave Primus", pour saluer l'enseignant. Et tous ensemble nous effectuons la même courbette. Il s'agit d'une marque de politesse qui marquera notre échange et notre apprentissage au cours de cet instant précieux où nous ressortirons grandis de nos efforts."

Il y eut un silence.

"Ave Primus." dit finalement Granula.

Dreit effectua la même courbette respectueuse à l'attention de ses acolytes, qui firent de même en retour.

"Superbe." conclut Dreit avant d'aller ramasser une botte de paille et d'inviter Courmant à lui faire face, lui tendant l'object rectangulaire. "Tiens-la bien par les sangles, au niveau de ton flanc gauche."

Il s'exécuta et attendit, tandis que le grand blond pâle fit à nouveau face à l'assemblée.

"A chaque fois que je donne l'intonation, vous me faîtes tous deux coups de pieds dans la botte tandis que l'autre la tient fermement. Comme ceci."

Sur ces paroles, Dreit refit face à Courmant et, d'un souffle, donna deux puissants coups de pied dans l'objet de paille qui résonnait bruyamment tandis que Courmant manquait de se vautrer.

"Alors, Courmant, un peu de résistance ! Comment pouvons-nous travailler, sinon ?"
"Pardon.

Courmant se repositionna, tenant fermement la botte tandis que Dreit décomposa le coup de pied, levant le genoux, pivotant le bassin et laissant naturellement sa jambe mourir sur la botte. Puis il le refit encore deux fois pour montrer l'intérêt du geste, et la puissance des coups portez.

"Soyez souples et respirez. Granula avec Courmant, Clovis avec Racoura. C'est parti."

Sur ces paroles, Granula vint se placer en face de Courmant, visiblement pressé d'en découdre, tandis que Racoura alla chercher une seconde botte pour la maintenir sur son flanc gauche et de faire face à Clovis.

"Saluez-vous."

Dreit s'assura que les marques de respect entre les membres de sa coutillerie soient prononcées, après quoi le premier signal parti.

"OEH!"

Beaucoup de cérémonial au goût de Clovis, qui n'y capte pas grand chose mais les applique avec sérieux. Il remarque son chien, qui est venu les observer et baille puissamment. Par contre, le coup des bottes de foin l'intrigue. Elle vient renifler la botte que porte Racoura puis éternue un petit coup, ce qui fait hurler de rire Clovis, qui se rattrape bien vite alors que son chien s'éloigne. On pourrait croire que Kador est vexée.

- Prêt ?

Lance Clovis qui a bien mémorisé le mouvement décomposé de Dreit. Et visiblement, il va y aller à fond. Pour lui, le test n'est pas de savoir bien taper, mais de savoir résister au choc. C'est pour ça qu'il se livre à fond. Il porte deux coups de la jambe gauche, puis répète la chose avec sa jambe droite, surprenant Racoura qui manque de chuter mais se reprend de justesse. Puis sans un mot, il tend la main pour récupérer la botte et la tient fermement, bien campé sur ses jambes, lançant un regard de défi à Racoura l'informant qu'il ne saurait pas le faire bouger d'un pas. Il se fait cependant une réflexion. L'idiot qui frapperait de sa jambe sur le bouclier se briserait la patte à n'en point douter. Le coup peut être efficace si les deux mains sont occupées dans un rapport de force par contre. Mais à choisir, il ne tapera pas aussi haut de son côté et se contentera de viser le genou de l'adversaire, un moyen sûr de le mettre hors combat. Son collègue frappe deux fois de la jambe droite, sans faire reculer Clovis. Et comme il tient toujours fermement le foin, Racoura rajoute deux coups du gauche. Clovis dépose alors la botte et se tourne vers Dreit.

- Chouette ! Mais le foin ne rend pas les coups !

Le gamin a trop d'énergie, il veut en découdre. Taper le fer l'épuisait, ici il n'a plus cette possibilité alors il se dépense autrement. Clairement, il peut être un atout pour une coutellerie, mais aussi un sacré sac à problèmes, parce que sa réflexion est inversément proportionnelle à ses muscles. Et dire qu'il n'a pas fini de grandir.

"L'important n'est pas de taper le plus fort, mais d'être dy-na-mique et ex-plo-sif !" scandait Dreit en observant les deux groupes qui s'étaient formés, les encourageant avec une certaine ardeur pour qu'ils ressortent le meilleur de leur potentiel. Il avait observé cette étincelle ; cette leur dans le regard de Clovis, cette envie d'en découdre ; même si le grand blond savait déjà que le jeune garçon en voulait et avait la niaque. Un peu comme lui-même étant plus jeune finalement. Il s'arrêta un instant, croisant les bras pour mieux l'observer.

"- OEH!"

Un autre signal, tandis qu'on reprenait le double coup de pied. Il était difficile d'allier vitesse et puissance à la fois. Toute la clef résidait dans la souplesse et non dans la force pure ; ni dans la rapidité en apnée d'ailleurs.

"- OEH!"

Courmant ralentisait dans ses exercices, sentait que le muscle de la cuisse peinait à suivre, la respiration sifflante, il finit par lâcher, le visage au bord des larmes.

"C'est parfait, Courmant. Mais cache cette douleur sur ton visage. Tu dois cacher toutes tes failles à l'ennemi. Si tu lui montres une faiblesse, il va s'y engouffrer. Et cela vaut aussi pour les Fangeux."
"Ou-ouais... Punaise, il se débrouille bien le p'tit Clovis, moi j'suis une grosse limace qui pue la merde tu vois ?"
"Tais-toi !" rétorqua sèchement Dreit alors qu'il observait Clovis et Racoura terminer leur exercice, notifiant la remarque du jeune forgeron. "Oui, une botte ne rend pas les coups. J'en viens à l'exercice suivant : le renforcement musculaire. Courmant, s'il te plaît."

Le blond fit signe au brun barbun plaisantin de se placer devant lui, lui intimant de lever les avant bras à hauteur de la tête, devant lui, légèrement écarté, tandis qu'il ancrait une jambe devant l'autre dans la terre.

"L'objectif est de vous renforcer sur les zones musculaires du corps. Dialoguez si les zones deviennent trop douloureuses et ne frappez pas sur les zones à contusions. L'objectif, messieurs, n'est pas de se briser un membre, mais bien de le renforcer."

Sur ces paroles, Dreit enchaîna avec une souplesse détonante des frappes dans les avant bras de Courmant, sur ses pectoraux en forme de poing marteau, avant d'enchaîner vers deux directs des phalanges dans les abdominaux ; ni trop éloigné, ni trop proche du plexus solaire. Il s'arrêta, constatant que Courmant devenait blanc, peu enjoué à l'idée de recevoir des coups.

"Détends-toi et accepte la douleur, Courmant. Je t'ai frappé mais tu n'es pas mort et tu n'as rien de cassé. Tu t'infliges une peine psychologique MO-NU-MEN-TALE, inutile qui plus est. Respire. Détends-toi. Fais-moi confiance. Tu ne vas pas mourir."

Dreit attendit un peut avant d'enchaîner de coups de la pointe du pied en direction des cuisses intérieures, puis des mollets.

"Une fois le renforcement intérieur passé, l'on fait le renforcement extérieur." poursuivit le grand blond blafard en rapprochant les bras de Courmant.

Il s'élança dans une nouvelle série de frappes souples et puissantes qui fendaient presque l'air tandis que sa respiration se synchronisait avec ses attaques, visant les extérieurs des avant bas, les dorsaux, à nouveau les abdominaux avant de donner les mêmes coups de pieds qu'il avait donné dans les bottes de foin - mais en moins puissant, pour sûr - avant de finir, encore une fois, aux mollets.

"Et ainsi de suite. Faîtes-le trois fois chacun d'affilée. Clovis, avec Granula, et Courmant avec Racoura. Et parlez-vous, dialoguez. Si le partenaire frappe pas assez fort, dites-lui d'augmenter la puissance ; dans le cas contraire, dites-lui d'y aller moins fort. Encore une fois, le but n'est pas de se blesser, mais de se renforcer, chacun à son niveau. Allez !"

Clovis aime beaucoup cet entraînement jusqu'ici. Pas qu'il en comprenne l'utilité, mais il est bourré d'une énergie qu'il doit dépenser. Après son "exploit" après son intronisation, que Dreit lui a reproché d'ailleurs, où, imbibé il provoqué une bagarre générale, il a évidemment été sanctionné par sa coutellière. Pas trop sévèrement, elle lui a parlé plutôt gentiment une fois qu'il avait dessaoulé. C'était mal de provoquer une bagarre, lui a-t-elle dit. Il a haussé les épaules mais acquiescé de la tête. Elle lui a interdit l'alcool dans et hors service, ce à quoi il a répondu "à vos ordres" et elle l'a mis de corvée pour marquer le coup. Il ne l'a pas mal pris du tout, ignorant que la sanction était surtout là pour éviter à Clovis que l'affaire remonte plus haut et aux yeux de beaucoup, Clovis avait pris une solide punition, car des corvées, il en faisait et pas les plus sympas. Rangement de la salle d'entraînement, nettoyage des latrines, nettoyage des écuries, balayer la cour. Et le gamin ne s'est jamais plaint, il a fait ses corvées sérieusement, il n'était pas utile de passer après lui pour voir si c'était bien fait et quand des miliciens se moquaient de lui, il s'en foutait, les regardant l'air de dire "moi, j'sais bosser dur". Ce que les gens ignorent, c'est que ces corvées ne lui étaient pas données par Sydonnie d'Algrange, il les faisait d'initiative. Elle a dit qu'il était de corvée, alors il faisait les corvées. C'était aussi simple que ça.

Et dans le fond, on peut constater qu'il se plait bien dans la milice. Il n'a aucun souci avec la hiérarchie qu'il ne remet nullement en question. Il obéit aux ordres sans broncher. Il ne râle pas. C'est un bosseur, il est dur au mal, courageux, sans doute trop puisqu'il ne semble pas avoir conscience du danger, s'il faut un volontaire il en est. Il serait un milicien dont un officier peut rêver s'il n'y avait quelques détails gênants. Il n'a pas inventé l'eau tiède et pour les enquêtes, c'est clairement un problème, fi faut donc l'associer avec un milicien qui a un cerveau en éveil. Il est mentalement instable et ça se remarque à diverses occasions. Quand il s'agit de faire le coup de poing, il ne retient pas ses coups et il fait du dégât, au point que certains se demandent s'il veut mieux se prendre son bouclier en fer plutôt que son poing dans la poire quand il se bat. Et il faut pas dire du mal des animaux ou leur faire du mal en sa présence. Il y a quelques jours, si Sydonnie ne lui avait pas intimé l'ordre de ne plus bouger quand un milicien a malencontreusement trébuché sur son chien, certains pensent que Clovis l'aurait tué à coups de poing, rien qu'au regard qu'il lui a lancé.

Bref, Granula ne doit pas être ravi de se retrouver face à Clovis. Le premier coup que Clovis a donné dans la bagarre qu'il a lancée a assommé une armoire à glace, ce qui donne une idée de la puissance qu'il peut développer. La force de l'ours, la capacité d'encaisser d'un buffle et la hargne d'un roquet qui ne veut pas abandonner son os font un cocktail plutôt détonnant. Et si Clovis écoute bien les ordres, il est difficile de savoir ce que "pas trop fort" signifie pour l'ancien apprenti forgeron. Mais bonne nouvelle, Clovis ne veut pas taper, mais encaisser. Torse nu, il a écarté les bras et fait signe à Granula de taper. Au premier coup reçu, il a dit "plus fort" en se tapant sur le pectoral pour indiquer ce qu'il estimait être une force suffisante. Puis "plus fort" au suivant, avec un ton plus directif, comme si Clovis était vexé que Granula n'y aille pas plus fort. Le coup suivant a été donné à pleine puissance et Clovis a eu un sourire mauvais. Il a légèrement reculé, puis s'est avancé vers Granula pour recevoir le coup suivant. Et le milicien a doublé ses coups, rapides, précis et puissants, enchainant même pas des coups de pied tels que donnés sur les ballots de paille. Mais la scène a pris une tournure bizarre. Alors que le bruit des coups s'entendait, alors que le torse et les abdominaux de Clovis rougissaient, alors que parfois le corps bougeait sous les coups, le regard de Clovis devenait de plus en plus sombre et déterminé, et chaque fois qu'il reculait sous un coup, il faisait un pas vers Granula pour que la séance continue. Clovis n'aura eu aucun geste d'esquive, contrôlant sa respiration... et souriant d'un rictus peu rassurant, comme s'il prenait plaisir aux coups reçus et se motivait pour les rendre. Et alors que c'est lui qui était frappé, c'est Granula qui transpirait sous l'effort et devait soulager ses poignets.

C'est Granula qui mit fin à la séance, sans que Clovis n'y trouve à redire. Il fit quelques étirements, se fit craquer le cou puis observa le milicien pour que ce dernier se mette en place, en faisant claquer son poing dans sa paume, visiblement prêt à se servir du milicien comme d'un sac de sable dans un local de boxe. Et Granula jette un regard vers Dreit, l'air de dire "Merde, déconne pas, il va pas maîtriser ses coups"

"T-tu peux y aller un peu moins fort ?"

Telles fussent les paroles de Courmant à l'attention de Racoura, dont les coups allaient et venaient naturellement, souplement, sans retenue, sans animosité aucune. Toutefois, le Courmant plaisantin avait disparu au profit d'un Courmant cripsé, presque aussi blafard que Dreit, avec un rictus nerveux alors que chaque coup porté était un véritable calvaire ; au point qu'il en suffoquait et que les larmes montaient. Ce n'est qu'à la vue de ses yeux humectés que Racoura stoppa l'exercice.

"Dreit." appela-t-il.

Le grand blond pâle, qui avait jusque-là observé avec entrain Clovis encaisser les coups de Granula, fit volte-face et observa Courmant en situation de craquage nerveux.

"Ca, Courmant, c'est parce que tu n'écoutes pas ce que je dis..." fit Dreit en se dirigeant vers ses affaires posées sur le sol, farfouillant jusqu'à trouver un petit baluchon dont il déserra les ficelles pour prendre une pincée de raisins secs. "Et toi, Racoura, tu aurais dû parler à Courmant. Tu sais pourtant que notre ami est un débutant complet face à quelqu'un de ta trempe qui, je pense, a sûrement dû connaître la guerre entre seigneurs."

Pas de réponse de la part de Racoura, qui accordait cet éternel regard glacial et dur tant à Courmant qu'à Dreit, alors que ce dernier tendait les fruits à Courmant. Ce dernier laissa s'échapper une larme un peu plus grosse, sans voix, comme touché par cette attention du grand blond pâle qui était toute naturelle au final. Il fit signe à Racoura de se décaler pour prendre sa place et ainsi faire face à Courmant, qu'il regardait droit dans les yeux.

"Reprends tranquillement du poil de la bête, Courmant. Tu verras que cet exercice est en fait tout simple." avoua Hérald au barbu qui s'essuyait honteusement les paupières d'un revers de manche, hochant frénétiquement la tête, inspirant, expirant. "Par la bouche," corrigea Hérald, alors que son partenaire servile obéissait docilement.

"J-J'suis désolé les gars, j'suis vraiment mauvais."
"Je te le dis pour la dernière fois," répondit Dreit avec un ton plus neutre et plus tranchant, "Tu n'es pas mauvais, tu as un potentiel inexploité et tu as la fierté d'être un milicien. Tu as une marge de progression énorme, tu vas faire d'énormes progrès à la fin de cette leçon. Si je l'ai instaurée, c'est parce que je savais que je déclencherais des émotions pures comme les tiennes. Parce que je savais que je te sortirai de ta zone de confort. C'est comme ça que l'on évolue. Telle la vague qui se heurte aux rochers et vole dans un éclat de mille goutelettes d'eau. Les grands de ce monde sont ce qu'ils sont parce qu'ils ont été confrontés aux autres, à des myriades d'autres personnes qui pour la grande majorité les ont sorti de leur zone de confort."

Racoura restait éternellement silencieux, toutefois il semblait accorder un regard intéressé sur la conversation, comme si ces paroles lui rappelaient un pan d'une existence passée qu'il tenait secrète. Il se recula un peu, croisant les bras et observant tour à tour Courmant et Dreit, puis Granula se faire mal sur le corps musclé de Clovis. Il releva légèrement le menton, comme s'il laissait transparaître quelque émotion de surprise à l'idée que ce soit Granula qui peine à réaliser l'exercice, lui aussi crispé, comme si frapper un coéquipier était quelque chose dont il avait horreur. En plus, c'était Clovis, ce jeune garçon à qui personne ne voulait de mal.

"Maintenant que tu as repris tes émotions, tu relâches ton corps, et tu respires. Tu ne risques aucun danger, regarde."

Sur ces mots, Dreit vint administrer une baffe molle dans la tempe de Courmant qui ferma les yeux de surprise, puis un simple coup d'un geste las dans sa glotte ; un autre vers le plexus, puis dans la trachée, puis dans le pectoral, un peu plus fort, plus souple, plus naturel. De quoi faire reculer Courmant, surpris par la douleur qui, pourtant, disparaissait aussi vite qu'elle était venue.

"Tu vois ? Tout est dans le mental. Si tu es crispé et si tu as peur, tu vas voir la douleur comme une fatalité, et tu auras encore plus mal. En revanche, si tu connais ton corps et tes capacités, si tu acceptes la douleur, tu verras que c'est tout un autre monde qui vient de s'ouvrir à toi. C'est bien, Courmant."

Il le gratifia d'une bonne tape sur l'épaule et une autre dans le dos, alors qu'il fit signe à Racoura de reprendre sa place. "Continuez, et communiquez." ordonna-t-il alors qu'il se dirigeait vers Granula et Clovis. Le spectacle ne fut pas aussi joyeux. Cette fois, c'était Granula qui se crispait au point d'administrer des frappes raides, sans véritable force, au point qu'il se fasse lui-même mal, alimentant une peur irréaliste qui le mettait dans la même situation que Courmant. Il avait fini de frapper Clovis et il était presque au bord du craquage nerveux, lui aussi.

"Ouh, par les trois... Quelle horreur... Vous ne m'écouterez donc jamais..."

Dreit sembla un instant bloquer sur l'expression de Clovis qui ne laissait rien présager de bon, mais n'en tint pas rigueur, quand bien même il devait être la soruce de ce malaise que ressentait Granula. Il fit à nouveau un aller-retour vers ses affaires, apportant un peu de baies séchées à Granula pour lui redonner du poil de la bête.

"Souplesse. Respiration. Tu ne risques rien, Granula, et puis si jamais je vois l'un de vous s'amuser à briser en deux son partenaire, je lui réserve pire sort encore qu'à Malatruff qui n'a fait que manquer de discipline. Enfin, il faut avouer que Clovis est costaud et que sa carrure et son esprit combattif t'ont joué des tours." Il se tourna vers le jeune forgeron, "C'est très bien, c'est exactement ce qu'il faut, laisser le doute et vaincre l'adversaire dans son esprit avant même qu'il ne combatte, et c'est précisément ce que tu as fait. Mais ce n'est pas ce qui était demandé, jeune homme." concèda Dreit alors qu'il demandait à Granula de lui céder la place, se mettant face à Clovis.

Dreit raidit son corps et exagéra sur les coups portés sur Clovis, raidi, se heurtant contre ses avant bras, ses pectoraux, imitant théâtralement Granula. Les coups qu'ils portaient à Clovis n'étaient issus que de ses bras minces et secs, qui n'avaient aucun impact véritable sur le corps musclé de Clovis. "Voilà comment tu te bats à mains nues contre un adversaire. Reconnais que ça n'est pas très plaisant à voir, et que tu n'y mets aucune souplesse. Clovis est solide, regarde-moi cette montagne de muscle, un beau bébé !" s'exclama le grand blond pâle en tapotant deux fois du point sur le pectoral gauche du jeune garçon. Si tu veux le mettre au tapis, tu dois lui frapper dans la mâchoir ou dans les saints bijoux de famille, mais ici, c'est interdit. L'idée, c'est d'apprendre, d'accepter les frappes et la douleur sur le reste du corps. Et en ce qui te concerne, tu dois y mettre plus de souplesse. Comme ceci."[/color]

Sur ces paroles, Dreit administrait des coups de poings légers mais vifs, bien plus impactant que ce qu'il avait pu donner à Clovis en imitant Granula, de simples gestes de hanches, de rotations du ventre, vives, rapides, qui propulsait une certaine puissance à travers ses petits bras.

"Tu vois ? Clovis est encore debout. Parce qu'il accepte la douleur, et je peux te dire que même s'il ne le montre pas sur son visage, il la sent, la différence. Et lorsque tu seras plus entraîné, tu pourras aller chercher la force à partir de la terre, comme ceci."

Après quoi il jouait sur ses jambes, ses pivots de pieds, comme pour conduire une force naturelle qu'il puisait de la terre pour la transmettre dans le corps de Clovis, qui pouvait sentir comme des secousses soudaines le long de son être, comme des vives sensations d'électro-choc, s'enchaînant avec une rapidité déconcertante, tant le grand blond pâle enchaînait les coups sur les avant bras, les pectoraux et les abdominaux solides du jeune homme, le tout dans une souplesse du corps qui transmettait la puissance de ses frappes avec une certaine habilité, un certain esthétisme.

"Enfin, tu as encore le temps avant de t'y faire. Maintenant, à toi de faire réceptacle des coups. Comme Courmant, je veux que tu te détendes, que tu acceptes les coups, que tu dialogues avec Clovis. Vous n'êtes pas là pour vous détruire, mais travailler ensemble et vous entraider. Je compte sur vous. C'est bien."

Il ponctua son discours par des tapes sur les épaules des deux miliciens, souriant presque à pleine dents, satisfait des performances de sa coutillerie, tandis qu'il s'en retournait inspecter les progrès de Courmant.

Le chef intervient, Granula semble nerveux. Il le félicite mais lui dit que le but n'était pas de dominer psychologiquement l'adversaire. Sauf que pour résister à la douleur, il faut la dominer, s'en nourrir. Mais il a la flemme de le dire au chef. Et vla que l'chef il montre sur Clovis pour illustrer ses grandes phrases dont il capte pas la moitié. Souplesse, souplesse, mes fesses oui ! Pendant qu'il encaisse les coups, Clovis fixe Granula, il lui expliquera les choses importantes quand l'chef sera parti. Même s'il doit admettre que la souplesse, ça fait bobo aussi. Il regarde Granula qui s'est mis en position. Mais il mime son explication à côté, sans frapper sur Granula.

Vite et fort, c'est cool, ouep. Mais c'est po important, mec. L'important, c'est d'avoir la bonne distance. Trop près, le choc, il passe derrière, l'autre, il sent rien. Sauf s'il est cont' qué'chose de dur, comme un mur. Là, c'est mieux d'être tout près, parce que tu casses tout à l'intérieur. Le gars, il est tout cassé. Ca, c'est bon. Trop loin, tu perds de la force là, il montre son coude, et tu fais pas bobo non plus. Le coup parfait, c'est quand le coude est comme ça, le bras presque droit, mais pas totalement. HAN !

Il a un grand sourire

- Important que tu connais la bonne distance, là où tu fais le plus mal. La paille, c'est cool opur ça, tu testes et tu vois jusqu'où elle va l'plus loin, la paille. Alors tu sais ta distance à toi. Puis pas frapper avec le bras, non non ! Avec ça !

Il se frappe le pectoral, pourtant bien rougi par l'entraînement déjà.

- Force venir de là. Ca tout dur, épaule devient solide et bras devient costaud comme la pierre. PAN ! Car important, c'est pas donner plein des coups, mais en donner un, mais que l'autre il fait dodo...

Et Granula se souviendra probablement de comment Clovis a déclenché la bagarre, en étendant une armoire à glace d'un seul coup de poing, mais puissant. Il s'est mis à la bonne distance et pour l'autre c'était déjà trop tard.

- Après, les pieds bien dans le sol. Equilibre est important, le chef a raison. Mais la distance, mon gars, la distance, ça, c'est super important. Alors, faut arriver à la bonne distance, et en attendant, tu t'prends des gnons. Mais la douleur, c'est dans la tête. Faut de la colère, penser à ce qui t'a donné envie de taper sur un gens. Qui qui a ri de toi. Qui qui t'a tapé sans raison. Qui qui a fait du mal à ton chien. Qui qui a tué tes vieux. Et l'autre, celui qui te tape, c'est tous ces gens à la fois. Alors là, la colère, elle monte. L'autre, tu veux lui effacer son sourire qu'il a sur la gueule. L'autre, c'est tout qui t'a fait chier toute ta vie. Et quand que t'as compris ça, tes jambes, elles tremblent pas. Et les coups, tu les sens pas. Et chaque gnon qu'tu prends, ça nourrit ta colère, ça nourrit ta force. Tu la sens. Et l'autre, il sait à un moment que ça va mal finir pour lui. Et là, tu peux taper.

Il a un grand sourire victorieux, visiblement visualiser l'ennemi et emmagasiner la colère est facile pour Clovis.

- Et juste si l'autre il sait aussi se nourrir, mais juste là, tu tapes avec ton pied, super fort, là !

Il touche du pied juste sous le genou de Granula

- Super fort, hein ! Ca casse bien, l'autre il peut plus rien faire et il pleure sa maman. Mais c'est pas gentil, faut pas l'faire. Clovis le fait pas. Clovis, il est cool... Allez, écarte les bras, j'te frappe !

Il faudra quelques coups pour que Clovis trouve le bon dosage dans sa force "d'entrainement", mais il a eu la présence d'esprit de commencer petit. Juste un coup était trop fort pour Granula. Et une fois sa force dosée, il a tapé, avec régularité, puis plus vite, cherchant les différents points comme l'a montré Dreit, puis accélérant quand Granula s'est nourri de colère pour encaisser. A la fin de la séance, il prend la tête de Granula dans son bras droit.

- T'es cool, toi ! Ah, j'ai oublié, colère passée, ça fait bobo quand même. Mais du bon bobo, ça veut dire qu't'as bien bossé.

Il libère Granula et regarde Dreit, voyant s'il a un autre exercice avec impatience. C'est qu'il a des corvées à faire, Clovis !

"Plus fort." ordonnait Racoura à Courmant.

Le brun barbu allait jusqu'à expirer bruyamment en portant les coups à son camarade. Au début, c'est quelque chose qu'il peinait à faire. Il n'aurait pas hésité une seule seconde à coller son poing dans la tempe d'une ordure, d'un gros connard comme il pensait sans doute ; mais Racoura, c'était quelqu'un de sa coutillerie, qui en plus était capable de lui rendre le centuple de sa douleur, sans doute. Racoura ne montrait rien, le visage fermé et la respiration calme. Parfois il tremblait sous l'impulsion des coups, mais ne trahissait aucun rictus de douleur sur son visage. C'en était destabilisant pour Courmant qui avait peur de subir ses propres coups et qui s'emporta dans un nouvel élan de panique.

"Cette séance aura été riche en émotion..." intervint Dreit. "Je crois que nous allons arrêter le massacre, sans quoi vous serez complètement indisponibles pour le reste de la journée. Cet exercice était censé vous rendre énergiques, après tout. TRES BIEN, ON ARRÊTE ! SALUEZ VOTRE PARTENAIRE ET EN LIGNE POUR LE SALUT !" fit-il finalement à voix haute avant de se placer à sa position initiale, c'est-à-dire devant les quatre miliciens.

"Je pense que cette première leçon était réussie. Nous avions des niveaux tous disparates et il est naturellement difficile de composer avec ceci. C'est pourquoi j'ai choisi de mélanger les compétences ; mettre Clovis et Racoura ensemble n'aurait servi à rien pour le renforcement. En revanche, pour un combat plus libre, cela serait intéressant à observer. Courmant, tu dois immédiatement t'enlever de ton crâne que tu es mauvais. On ne rentre pas dans la milice comme dans un moulin même si les effectifs manquent cruellement. Ce que j'essaie de vous faire faire est d'un niveau bien au-dessus ; des méthodes inventées par certains paysans qui devaient se protéger sans arme contre des agresseurs de tout genre. Je pensais avoir suffisamment de temps pour vous enseigner les armes, mais nous nous sommes assez éparpillés sur cet entraînement à mains nues. Il y a encore beaucoup à voir, mais je redonnerai bientôt mes responsabilités à la cheffe. Je ne suis pas votre coutiller et encore moins votre chef instructeur. Si d'aventure vous souhaitez vous entraîner en ma compagnie et voir autre chose que des entraînements basiques et pour la plupart complètement stupides," il jeta un oeil à Clovis, "Je suis présent ici tous les matins avant la prise de service matinale. Dans le cas contraire je ne manque pas de prévenir, mais rien ne vous empêche de vous entraîner ici vous aussi. Le seul sacrifice que vous ayez à faire, c'est de renoncer à l'alcool la veille. Qui a bu hier soir ?"

Courmant et Florestan levèrent timidement la main.

"Ceci explique cela. Il va falloir modérer votre consommation, à défaut de ne pas forcer sur le lever de coude la veille. Je ne vous demande pas de ne pas boire comme je le fais. C'est un extrême pour le peuple, mais je n'ai jamais vraiment aimé l'alcool. Au contraire, boire jusqu'à provoquer des bagarres n'est pas la solution non plus." Il fixe une nouvelle fois Clovis. "Qui veut aller loin ménage sa monture ; alors si vous voulez progresser, ménagez votre corps avant tout. Pour le reste, vous êtes tous les quatre bienvenus si d'aventure vous souhaitez vous entraîner avec moi. Maintenant, Racoura, je voudrais que tu te places tout à droite et que tu prononces le salut."

Sur ces paroles, Dreit fit dos au groupe et attendit.

"Aut vincere, aut mori. Ave RIKNI !" fit Racoura d'une voix presque caverneuse, insistant sur les dernières syllabes qui résonnèrent au point d'interpeler quelques miliciens qui passaient par là ; d'autres s'étant arrêtés pour observer avec intérêt. Racoura forçait implicitement le respect à l'encontre de la déesse de la guerre ; celle qui avait été témointe du progrès de tous - Clovis, Courmant, Florestant et lui-même. Ensuite Dreit se retourna, l'air solennel, le regard presque mi-clos et le menton relevé tandis qu'il se tenait presque au garde-à-vous.

"Ave PRIMUS !" conclut Racoura avant que les cinq ne se saluent chaleureusement, laissant place à un bref silence.
"Merci à tous pour votre confiance. Ceux qui ont des impératifs peuvent disposer. Pour les autres, si vous avez la moindre question, je suis là pour y répondre."

Un salut bien militaire de Clovis à son partenaire d'entraînement et à peine un haussement de sourcil quand Dreit dit à Clovis que son entraînement est stupide. Il l'est pas. Ton bras gauche doit être aussi fort que son bras droit, c'est une question d'équilibre, alors il l'entrainera, quoi qu'en dise le chef par intérim. Puis il a trop d'énergie et il faut qu'il la dépense, de toute. Quand Dreit demande qui a bu de l'alcool la veille, Clovis ne lève pas la main, il a l'interdiction de boire.

- Avé Prinus !

Répète un Clovis qui a mal compris le second mot à prononcer, mais comme il l'a dit avec les autres, ça a pas trop dû s'entendre.

- Chef, j'ai pas d'impératif, mais comme la vraie coutelière elle a dit que pour bien enquêter il fallait parfois remuer la merde, j'suis de corvée latrine. Alors, que si tu m'cherches pour que j'parte en mission, histoire de m'balader en ville ou d'casser du poivrot, préviens un peu à l'avance, histoire que j'finis mon boulot et que j'peux m'laver et pas être repéré à l'odeur par les voleurs, ben ça s'rait sympa, quoi !

Et il file, sourire aux lèvres, s'occuper d'sa corvée. Bah oui, tant que Sydonnie lui a pas dit qu'il était plus de corvée, il considère qu'il en est. Et comme elle est pas là, il va bosser toute la journée en attendant les missions qu'on lui confiera.