Marbrume


Le deal à ne pas rater :
Jeux, jouets et Lego : le deuxième à -50% (large sélection)
Voir le deal

Partagez

 

 Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction)

Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Aller en bas 
Anton GunofBoucher
Anton Gunof



Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction) Empty
MessageSujet: Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction)   Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction) EmptyMer 24 Mai 2017 - 4:14
« Toujours sans sucre, » confirma Anton à Elric pendant que le rire convivial de tout à l’heure finissait de s’éteindre.

« C’est bon que d’te revoir, » fit-il après que le sergent-centenier de Beaumont eut pris de la marmite qui glougloutait près de la cheminée quelques louchées de vin et tendu une des deux coupettes à Gunof.

Ce n’était pas un mensonge. En soi, c’est vrai que c’était bon. Pourtant, les ombres au tableau étaient diverses et variées. Il n’était assis que depuis quelques instants, et déjà la chaise sur laquelle son cul avait élu résidence lui promettait de le faire souffrir. L’entrée même dans le quartier des officiers avait été un chemin de croix en elle-même. Bien qu’il avait visé un horaire creux, il n’avait pas pu éviter, tout au long des couloirs qui le menaient jusqu’au bureau du centenier de Beaumont, des têtes qu’ils connaissaient et quelques conversations, courtes mais désagréables.

Car le centenier Gunof, chef incontesté des Antoniens, étoile montante des baraquements, n'était rien de plus qu’un paria sans le nom, désormais. Un limogé, un mis au rencard, l’homme qui, en fourrant sa queue dans une bouche trop chère pour ses moyens, avait dégringolé de centenier prometteur à rien du tout de province. Le sentiment d’être persona non grata en ces murs si familiers lui donnait de la tachycardie, et une fois devant la lourde porte de son autrefois collègue, il pria les saints Andouillers que le loustic ne fût pas occupé. Attendre dans le corridor, ç’aurait été comme un lépreux patientant dans l’antichambre de la chambre du Prêtre Suprême des Temples de la Trinité, ç'aurait été une honte qu’il n’aurait pas pu supporter.

Fort heureusement le huis s’ouvrit immédiatement, et Elric l’accueillit sans tarder. Et alors ils avaient ri un bon coup et dit des banalités en riant. La cheminée ronronnait, Anton ne savait pas encore qu’il avait mis les fesses sur une chaise dégueulasse. Sa situation, pendant un court instant, s’était effacée pour lui laisser quelques iminutes de répit dans cette pièce chauffée, avec un ancien collègue, autour d'un litron.

« Ha… C’est drôle. » fit Anton en regardant le fond de son verre d’hypocras en rêvassant à quelque machin. Puis. « T’es passé par la Halle-aux-Bœufs dernièrement ? Si tu voyais le nombre de métèques qui y traînassent, à rien foutre. Et sales !... Moi qui pensais qu’ils étaient tous parti infester le Labret, mais non. En fait, il y en a partout. » Il but un coup pour ponctuer ce triste constat, en pensant à la dernière purge de la milice, et à tous ces vrais à qui on avait servi pour dernier repas de la corde de chanvre.
Revenir en haut Aller en bas
Elric de BeaumontSergent
Elric de Beaumont



Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction) Empty
MessageSujet: Re: Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction)   Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction) EmptyMer 24 Mai 2017 - 4:46
Les liens les plus forts de l’Humanité se font au contact de la haine et de la mort. N’allez pas croire les poèmes à l’eau de rose de petites garces adolescentes qui apprennent -lorsque leur entre-jambe surchauffe- à se frotter la perle en se mordant les lèvres ; Ni l’amour ni la luxure ne sont des liens véritablement puissants. Pas même le sang qui coule dans les veines, quand bien même il est plus épais que l’eau. Ou en tout cas, si je ne suis pas très juste, ces liens concernent les bonnes gens, la bonne qualité, celui de la noblesse obsédée par son rang, sa dynastie et son honneur. Pour le soudard pillard et sans-le-sou, la solidarité, c’est avant tout celle du sang versé. C’est celle qui se forge, épaule contre épaule, lance en avant, hurlant à tout-va le cri de son saint-patron, ou de sa cité, ou du chef qui nous a amené jusqu’au champel meurtrier, aux champs labourés dont nous abreuveront les sillons du produit de nos chairs.
C’est une solidarité que j’ai nouée avec le centenier Anton Gunof. C’est une solidarité braillarde, pas agréable. C’est la solidarité des odeurs de sueur et de pisse, de la boue projetée en face de nos yeux quand les sabots des chevaux d’en face, caracolant pour éviter nos piques, balancent des morceaux de tourbe à notre gueule ; C’est l’amour de la pute partagée, des colliers d’or arrachés aux gros bourgeois, des enfants qu’on noie gaiement dans des abreuvoirs à chevaux, et des frères des jolies dames qu’on pend aux balcons. C’est la dette de vie, celle qu’on peut jamais véritablement acquitter.

Et puis il a fallu que Anton Gunof se mette à merder. Comme un con. Après tout ce qu’on a vécu ensemble. Après toutes ces marches, tous ces bivouacs en plein hiver. Après l’alcool qu’on a bu jusqu’à pourrir nos corps et les nez qu’on a pétés sur les pavés de la vieille ville ou du Bourg-Levant. Après avoir survécu à l’avancée des démons, et les bannissements en masse, après avoir vécu le désordre public, et les duels de faux-jetons de chevaliers. Du jour au lendemain, le grand Gunof, dont on chantait les louanges en hurlant dans les tavernes, et qu’on congratulait de tapes dans le dos et de sifflements partout où il passait, était devenu un traître. Enfin, traître, c'est pas le bon mot ; Des traîtres, on en voyait pas mal ces derniers temps. Y a des traîtres qui ont essayé de tuer le duc, le souverain suprême, a minima le type qui nous verse notre paye. Gunof est victime d'une erreur judiciaire, mais ça c'est l'excuse facile, celle à laquelle personne ne croit, celle dont apparemment tous les bannis, sauf les vrais durs, sont victimes. J’ai peut-être fait une connerie en acceptant qu’il vienne me voir à mon bureau. Peut-être qu’il aurait été préférable que ce soit moi qui vienne le voir chez lui, mais je me demandais où était « chez lui » ces derniers temps. Peut-être était-il réduit à devenir un squatteur, comme ces réfugiés qui s’empilaient dans les maisons abandonnées, celles qu’on aurait dû cramer parce que l’ancien propriétaire a été banni ou brûlé parce qu’il était pestiféré. Situation de merde.
Ça m’a pas empêché de lui servir l’hypocras et de me mettre à rire, et à raconter des conneries. Je l’ai mis au courant sur l’état de ma femme -toujours aussi grosse- et de mes gosses -toujours aussi désobéissants- entre deux gorgées. Je lui ai parlé de nos copains troupiers, du moins ceux qui vivent encore, ceux qui n’ont pas été croqués par les fangeux, lardés par des bannis, ou pendus sur ordre de la prévôté du connétable. Et puis bien sûr, l’état de la bonne vieille Marbrume, ses rues et ses quartiers, aujourd’hui pourris jusqu’à la moelle, remplis de migrants qu’on nommait « réfugiés », et de la vieille ville sur la colline où les nobles passaient leur temps à tirer l’épée pour des duels d’honneurs, bien que je suspectais les sang-bleus de surtout voir le combat judiciaire comme une excuse pour être blessés et ainsi, le temps d’une convalescence, de se soustraire de leur devoir d’ost. Même les preux chevaliers ont appris à ne plus se risquer à errer sur les chemins du Morguestanc. Pour dire vrai, je commence réellement à douter des chances de survie de la cité, et j’ai complètement cessé de croire au moindre miracle. Je ne pense pas que le Labret est le futur pays de Cocagne.
Mais c’est cette dernière idée qui semble intéresser Anton, qui me parle de la Halle-aux-Bœufs si connue.

« Ouais, le Labret, parlons-en tiens : La nouvelle obsession du haut-gratin Marbrumien. Même son altesse Sigfroi s’est risqué à y foutre ses pieds. On y envoie de plus en plus de gens. Tu te souviens y a plusieurs mois quand on a dû rafler des « volontaires » ? C’est de pire en pire ; Les échevins et le parlement de la commune n’arrêtent pas de publier de nouvelles ordonnances pour reconnaître de nouveaux crimes tous les quatre matins, même l’ivresse publique peut te conduire à devoir aller labourer la terre, sous la menace de l’épée si nécessaire !
Bien sûr les métèques sont concernés, mais y se cachent dans les égouts et dans les bas-fonds de la ville, n’en sortant que pour mendier, voler les bourses des honnêtes gens, et vendre leur pacotille en plein jour. Dès que les patrouilles du guet surviennent, ils s’échappent et on a du mal à donner poursuite, à cause du manque d’effectif. La ville entière est donnée à ces rustres migrants. De toute façon c’est pas les bons bourgeois, les pieux clercs ou la sacrée noblesse qui sont concernés : Tout ce beau monde n’a pas à partager les difficultés de l’immigration, terrés dans leurs manoirs. »


Je pose mes fesses sur le gros fauteuil derrière mon bureau, afin de me foutre devant Anton. J’en profite pour attraper une grosse coupe en terre cuite afin de lui remplir à nouveau son verre, puis le mien. On trinque rapidement, et on s’enfile un énième verre.

« Franchement Anton, ton éviction de la milice c’est une bonne chose. Molle-épée devient de plus en plus incontrôlable, y a des tas de nantis qui s’échappent, qui vont se terrer à Traquemont avec l’hommesse Yseult, à Ventfroid chez la rousse sainte ni-touche, ou même à Sombrebois à la cour de l’obèse qui a la goûte ! C’est une foutue poudrière, tout va bientôt péter, et notre seul échappatoire c’est la mer. Mais même là c’est coton. Y a un gang de pirates figure-toi. Je déconne pas. Des pirates, comme à l’époque du début de notre service, sauf que ceux-là avaient été éperonnés par l’Escadre Royale, et que nous on est réduits à tenter de les abattre avec de vieilles cogues au bois pourri et désagrégé... »

Un rictus se dessine sur mes lèvres. Les souvenirs de guerre ont toujours cette étrange saveur, aigre-doux. Ils sont douloureux, physiquement, et éprouvants, moralement. Mais pour des enfants perdus comme nous, ces moments-là sont aussi des moments de gloire et de prestige comme on aurait autrement jamais pu en connaître. Mine de rien, quand on étrangle le cou blanc d’une jolie dame et qu’on fourre notre vit dans son antre vierge, c’est un peu de l’ascension sociale.

« Bon allez Anton. On tourne un peu autour du pot. Ça me fait énormément plaisir de te recevoir, tu sais que je ne te mens pas. Mais qu’est-ce que tu deviens ? Et pourquoi as-tu souhaité me revoir ? C’est pas juste pour qu’on se souvienne du passé, hein ? »
Revenir en haut Aller en bas
Anton GunofBoucher
Anton Gunof



Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction) Empty
MessageSujet: Re: Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction)   Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction) EmptyMer 24 Mai 2017 - 5:53
« Hé ho, hé. Ho, là ! Tranquillement. Comme t’es, hé. Oh. » Le Beaumont voulait aller au vif du sujet, ce qui provoqua une levée de bouclier de l’autre côté du bureau. Une levée de bouclier qui ressemblait à un Anton qui levait les bras pour exprimer son étonnement, et qui onomatopait dur. « Hé. Ca va. Ca va. T’es pressé ? Ca va, on n’est pas des bêtes. » Crois-moi qu’on n’en est pas, j’peux dire j’ai le nez dedans toute la sainte putain de journée, aurait-il pu ajouter si un sentiment de honte ne l’avait pas retenu.

Parce qu’il avait honte d’avoir fini sa carrière en tant qu’équarisseur de bestiaux, à patauger dans le sang à découper des cadavres. Les oncles avaient beau dire tout ce qu’ils voudraient dire sur le commerce familial, sur la fierté d’être celui qui apportait sa subsistance noble à tous, sur le lucre qui était tiré de cet art, sur l’influence qu’il y avait à détenir le monopole des carcasses, ça n’en restait pas moins une sale affaire. Tout le monde adore ça, mais personne n’aime voir comment on fait les saucisses. Une affaire honteuse.

Alors Anton était à fleur de peau. Mis en marge depuis peu, il comptait ses amis, considérait avec une attention presque paranoïaque ceux qui ouvraient leur porte et ceux qui la gardaient close. Or là, il écoutait avec la dernière concentration ce que le Beaumont lui régurgitait. Et le gars donnait des sueurs froides à l’Anton. Il égrenait les faits divers : à propos des pirates, des métèques et du Labret. Et quand il parlait du manque d’effectif, il ne regrettait pas l’absence de Gunof, il blâmait la canaille et les nantis. A la fin l’enculé avait même eu le front de lui parler de la chance qu’il avait eu de s’être fait bouter hors les murs et hors les baraquements. Mais vas-y mon con, explique-moi comme la Providence s’est penché sur mon sort, dis-y moi comment je suis le plus heureux d'entre nous deux. Toi derrière ton bureau, derrière les murs de la Plätz, à enfiler de l’aristocrate diaphane, moi dans une mansarde qui sent la peur et le sang, les pieds dans la gadoue avec ces repris de justice dont tu causes, envoyés manu militari arracher les navets.

Anton ne laissa rien paraître de sa fureur et écouta sans broncher la suite, il sourit même quand Elric sourit. Et puis l’ordure lui avait mis le dernier coup, il lui avait demandé d’abréger. Gunof, depuis un bon lustre, avait oublié qu’il avait une sensibilité. A ce moment-là, la réalité s’était rappelé à lui, au moment où ces quelques phrases du centenier, en enrobant la chose d’un « je t’aime bien mais », l’enjoignait d’accélérer le mouvement. Ca l’avait mis mal à l’aise. Non, ça lui avait mis une sacrée mandale dans la tête. Parce qu’il ne pensait qu’à être trahi ces derniers temps, ces quelques mots, ç’avait été pour lui une trahison. D’où ses onomatopées qu’il lança en guise de remontrance. D’où ce rappel qu’ « on n’est pas des bêtes », « ça va ». Allez quoi, il était pas encore tout à fait un de ces civils qui débarquaient pour demander des trucs, si ? Il était Anton, il était la « Balafre », cette bonne vieille « Balafre », non ? On était en famille, là, crévieux, n’est-ce pas ?

Le butor avait l’égo dans les chaussettes et tenait, en ce moment, plus de l’adolescente partie pêcher des compliments que l’homme qu’il s’était échiné d’être toute sa vie. Inconsciemment ou en tout cas sans se l’avouer, il crevait qu’on lui donne de la commisération, sa dose d’amour fraternel.
Mais non, Elric, il voulait qu’il fasse ça vite. Il avait des trucs à faire. En plus il disait Mollépée. Il l’avait déjà entendu utiliser ce surnom pour désigner Sigfroi, mais à une époque où ça comptait pas, tout le monde pensait pareil, où qu’on riait un bon coup sur les dernières frasques du despote local. D’un coup, pourtant, Anton se demanda si Elric n’était pas une pute.

D’abord, parce que c’était la guerre, la plus pure qui soit. Celle où la vie n’a plus la même valeur, celle où, par un simple échange de regards, la ligne peut se briser, l’autorité tomber, le Léviathan mourir pour toujours et à jamais. Celle où tout est sur la table, en jeu, où le désordre est contagieux. Or, la fin de l’ordre, c’était la fin de la vie, c’était le retour à l’état de nature, soit la destruction des hommes. Et l’ordre, c’était les Sylvrur, les seuls souverains qu’il leur restait. Avoir un mot trop haut que l’autre contre eux, c’était ôter la première carte du château.

Ensuite, parce notre Anton, en demoiselle en manque de confiance, interprétait, depuis qu’Elric, pourtant bien innocemment, avait tourné une phrase sur son éviction d’une façon qui avait fait paniquer les radars de Gunof, tout ce que son ancien collègue lui disait sous le jour le plus noir. Il traquait les mots qui pourraient contenir l’ombre d’un reproche à son sujet, comme un prévôt qui avait déjà la conviction que l’accusé était coupable et qui s’attelait à se donner les preuves de sa conviction.

« Et ta fratrie, alors ? Y’en a toujours qui sont en vie ? » Il embrayait sur un autre sujet de famille, mais pas que. La famille à Elric avait du bien. De la terre et de la pierre. Rien de bien méchant, une gentilhommière et des lopins dispersé autour d’un village depuis longtemps inondé par la mort vivante, mais quand même. Chez certains, l’espoir, une douce folie pour Anton, de reconquérir les environs de Marbrume était une véritable obsession, l’Esplanade et ses centaines de noblaillons sans le sol en était une bonne illustration, et qui sait, peut-être Beaumont avait lui-même ce secret espoir au fond du cœur. D’hériter, lui, le bâtard, des terres de son père. Même si c’était à la fin du monde, nul doute que ç’aurait été une bien gentille victoire.



Revenir en haut Aller en bas
Elric de BeaumontSergent
Elric de Beaumont



Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction) Empty
MessageSujet: Re: Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction)   Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction) EmptyMer 24 Mai 2017 - 6:25
« La fratrie ? Je répétais en levant un sourcil, mes mains légèrement en l’air, tout étonné que ce sujet vienne sur le tapis. Eh bah heu... J’ai bien quelques nouvelles. »

Je toussotais en me remettant bien sur la chaise, comme un grand-père qui se prépare à raconter une histoire devant le feu si doux de la cheminée. Mais en réalité, la chose n’était certainement pas très amusante, et m’arrachant un haussement d’épaule et une mine un petit peu triste.

« Eh bien Lucain et Galland sont morts en défendant ce plateau, cette folle chimère si inutile quand tu sais qu’il serait bien plus efficace d’agrandir les lopins intra-muros et dans les faubourgs, à condition que les migrants dégagent pour ne pas avoir de bouches inutiles à nourrir... Paix à leurs âmes. Ils sont morts en héros, massacrant des démons, c’est une mort de guerrier et de chevalier, Rikni doit être fière d’eux. J’espère juste qu’ils n’ont pas trop souffert... »

Je devais paraître un peu chamboulé, pas bien dans mon assiette. Mais pas tellement triste. Du moins, pas affligé, pas comme quelqu’un qui venait de perdre des gens véritablement proches. Et pour cause : J’ai à peine connu Lucain, bien plus vieux que moi, et je ne me suis jamais entendu avec Galland, qui était une peau-de-vache, qui n’hésitait pas à m’humilier et à me torturer alors que nous n’étions que des enfants, vacherie qui d’ailleurs était encouragée par ma belle-mère. Mais tout ça, Anton le savait plus ou moins, même si nous préférions très clairement parler de fille, d’alcool et de musique, plutôt que de souvenirs d’enfance.

« Mais du coup, le castel de Beaumont est devenu un sujet légèrement sensible, et source de contentieux...
Comme tu le sais, on est pas tellement sûr que le castel soit tombé. Si Lucain a fuit comme un lâche et est venu se réfugier dans l’Esplanade, ça ne peut pas empêcher que d’autres chevaliers et paysans doivent y être réfugiés. Je t’ai déjà dis que je suspecte l’un de mes cousins, Arsinand, d’y avoir posé ses bagages.
Avec la mort de mon père et de tous ses frères mâles, il ne reste, en ligne directe, et en excluant ce connard d’Arsinand de l’équtation, que quelques personnes pouvant légitimement prétendre à récupérer les fiefs : Mes sœurs et moi-même.
Mais je suis un bâtard, et peu de gens m’apprécient... Contrairement à cette immonde salope d’Andrine. Depuis que Galland est mort, c’est moi qui me suis auto-proclamé chef de famille, et je dirige ce que je peux payer de maisonnée, et- »


Et là je viens de commettre une erreur, si bien que je me mords un bout de la langue. C’est ça le problème avec Anton : Chaque fois que nous parlons, l’alcool délie ma langue et j’en dis plus que ce que je veux. Anton sait que j’ai des varlets sous ma paye, au moins une ou deux bonnes, sûrement un percepteur, car ça coûte très cher d’entretenir une maisonnée de nobles, même si cette maisonnée est très réduite lorsque nous ne sommes que de petits châtelains.

« Andrine est nubile, mais elle a ses règles, elle est en âge d’être mariée. Idelette et Médaline sont elles encore des gamines, et souvent malades, je doute qu’elles survivent bien longtemps. Donc, si on est logiques, c’est Andrine qui va hériter du château, et donc, elle devient tout de suite une personne intéressante à épouser.
Je pensais la refourguer à un vieux noble dégénéré. Personnellement, je n’ai aucune ambition à me mêler des intrigues de l’Esplanade, et puis, l’argent de la dot que je toucherai me fera un beau pactole. »

J’attrape mon verre. Et alors que l’hypocras me brûle ma gorge, mon regard continue de croiser celui d’Anton. Il ne faut pas être grand sire pour savoir qu’est-ce que ce duel de mirettes signifie.
Anton sait que je mens. Y sait que je lui cache des choses. Je sais qu’il y peut rien parce qu’il est réduit à l’état de sale gueux hors de Marbrume. Mais il sait aussi une autre chose.
Il sait que je lui dois la vie.

« Tu connais le comte de Rougelac, Anton ? C’est un peu un attardé immonde, mais, heu... Eh bien, depuis quelque temps, il me donne de la richesse monétaire, des contributions, des...
Des pots-de-vin. En échange d’aider à protéger des commerces dont il est mandataire. Cela représente une somme très rondelette, assez pour que je profite d’un petit luxe. C’est ce qui paye l’hypocras qu’on est en train de boire au moins.
Je sais que c’est pas très réglementaire... Mais... »


Je hausse les épaules.
Revenir en haut Aller en bas
Anton GunofBoucher
Anton Gunof



Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction) Empty
MessageSujet: Re: Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction)   Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction) EmptyMer 24 Mai 2017 - 7:18
« Nubile. » Le mot avait dû enflammer les mirettes d’Anton, et la sensibilité blessée du soudard avait entièrement disparu d’un seul coup. D’un seul coup il n’entendait plus que ce mot-là. Nubile. L’héritière Beaumont était réglée depuis peu. Elle était mariable. Andrine, dont Gunof avait oublié jusqu’au prénom, devenait effectivement une fille intéressante à marier. S’il ne savait pas se tenir, probable qu’il aurait eu une mi-molle en apprenant cette information. Non pas qu’il avait plus que ça quelque chose à fiche de cette petite linotte, et encore moins des biens qui étaient accrochés à son vagin. Par contre, ses oncles, eux, en avaient quelque chose à fiche.

Depuis l’opération du Labret, et depuis que de folles rumeurs s’étaient répandus sur les modes de contagion de la Mort vivante, la corporation des Bouchers n’avait jamais été aussi sollicitée. Pris d’un mouvement de panique, les autorités avaient renforcé les ordonnances et décrets à propos du commerce de viande, et là où on avait laissé autrefois aller les commerces de « bouchers » irréguliers, malgré les quelques scandales de vente de viande humaine, maintenant le bailli et les prévôts étaient poussés à exécuter la loi à la lettre. La traite de la viande devait être la prérogative et le monopole de la guilde des Bouchers, et ce pour des raisons assez prosaïques. Que ceux-là osent vendre une viande infectée, avariée, ou même, les dieux pardonnent, humaine, et le duc pourrait frapper sans modération la guilde. L’institution était centralisée, publique, facile à châtier. Et elle était un réseau organisé qui pouvait opérer ses contrôles elle-même sans coûter aux milices des hommes et du temps. Car avec la dernière purge et le couvre-feu qui suivit, le rôle de contrôle pur et dur du Guet avait été grignoté par ses fonctions de police politique et force d’appoint face aux sempiternelles irruptions de goules en la cité.

Or cette influence grandissante donnait des idées de puissance aux grands-maîtres de la corporation, et elle se traduisait, notamment, par la diversification de la richesse qu’ils engrangeaient. Car la devise était volatile en ces temps chaotique, mais la terre… La terre gardait ce crédit de confiance peut-être inspiré des anciens jours, mais encore bien présent. Anton lui-même, il n’était pas dupe à ce sujet, se doutait bien qu’il avait décoché cette place à la boucherie d’Usson parce que ses oncles voulaient des yeux sur le plateau. Ils voulaient savoir ce qu’ils pouvaient acheter avec leurs cadavres de gibiers et de porcs.

Alors quand Elric lui parla de sa sœur, la belle, la douce, la bonne, la nubile et très héritante Andrine, les rouages de son vieux cerveau d’entremetteur se mirent en branle et relièrent les points. Qu’Anton arrive à mettre les mains sur cette gamine, et la corporation oublierait peut-être un petit peu plus vite le scandale de ses dernières frasques. Et peut-être pourrait-il revoir un peu plus vite sa femme et ses enfants. Drôle d’ambition que celle-là, lui qui les avait dédaignés le plus clair de ces derniers mois. Comme quoi désirons-nous ce qui nous manque.
Il n’avança aucune idée de mariage entre la sœur d’Elric et un de ses cousins. Il léchait encore ses plaies, pestiféré qu’il était. Cependant, il devait faire quelque chose pour ralentir les recherches d’un parti d’Elric pour son Andrine bien aimé, estimer avec ses oncles ce que coûterait et rapporterait Beaumont.

Quand il eut fini de parler de sa situation familiale, Anton se leva, grave, de son siège, contourna la table pour poser une main paterne sur l’épaule de son ancien compagnon d’armes.
« Chus triste pour toi ; j’avais pas su pour tes frères. ‘Sont morts en héros, ça tu l’as dit. » Cela dit, il prit leurs coupes pour aller se servir à la source. Une fois armés, Anton leva le verre. « Ils ont honoré la maison de Beaumont. Gloire à eux. » Et le soudard de boire son vin d’un trait et de les resservir.

Et c’est comme ça qu’on a de la pitié pour un aut’, prends de la graine, bâtard, pensa-t-il après le toast porté aux morts pour la patrie.
La conversation partit ensuite sur une confession en filigrane. Anton, à dire vrai, ne s’attendait pas à un tel étalage, pas si vite, et pas à lui qui, pouvait présumer Elric, serait prêt à tout pour racheter sa disgrâce, en donnant par exemple un camarade alourdi d’une grosse affaire de corruption, sujet si sensible depuis la tentative avortée du renversement. Cette confiance ragaillardit un peu Anton, qui s’en voulut d’avoir eu de sales arrières pensées après qu’ils trinquaient sur la mort de Galland et Lucain. A vrai dire, tout le monde se faisait graisser les essieux d'une façon ou d'une autre, l'important, c'était de garder ça sous le manteau et de faire profiter les copains. Or Anton avait jamais entendu parler de ce petit arrangement, lui qui en savait un bout sur les arrangements des gars de l'Interne. Et Elric avait même la libéralité de le rincer avec un rouge pas dégueulasse, ma foi. Ca remplissait les deux critères, on pouvait donc passer sur autre chose sereinement.

« Rougelac, hé ? Le maquereau ? » Anton s’enfila une rasade de vin chaud. « C’est drôle ça. C’est çui qu’est promis à l’ancienne dame de Sombrebois, Grâce de Brasey ? » « Oui, tu as tout deviné. » « Tu savais que j’la baisais, la Brasey ? Tant qu'on est aux confidences. »

Revenir en haut Aller en bas
Elric de BeaumontSergent
Elric de Beaumont



Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction) Empty
MessageSujet: Re: Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction)   Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction) EmptyMer 24 Mai 2017 - 7:46
J’ai ri. Un long rire, fluet, paupières fermées, en agitant la tête de gauche à droite. Anton devant moi a pas réagi. Pas un poil. Il a pas bougé, il s’est figé comme une statue, comme ces hommes de granit et de marbre qu’on croise au Temple et sur l’Esplanade. Et alors je me suis arrêté de rire, mes sourcils se sont écarquillés, et j’en suis resté bouche bée.

« Non...
Non t’es pas sérieux ?! »


Il a même pas eut besoin de répondre. À force de barouder avec Anton, je pense que je suis capable de savoir quand il ment et quand il dit la vérité. Mais c’est juste... C’est juste trop gros. Je ris encore plus, mais cette fois-ci c’est un hurlement dément, à m’en tordre les côtes, et je peux mas m’empêcher de bondir de mon fauteuil pour lui filer un coup dans l’épaule, avant de me vider la choppe d’hydromel pour remplir nos coupes.

« Par la sainte-mouille d’Anür ! C’est pas possible, c’est juste un gros mensonge ! J’y crois pas, je refuse d’y croire !
Grâce de Brasey bon sang, nan, mais où est le respect putain ?! Tu veux dire que t’as fourré la nobliaude comme une vulgaire putain ? T’as réussi à la faire hurler comme une chienne au moins ?!
Hey mais, c’est quoi la prochaine nouvelle ? Luna Montoya sodomisée par le centenier Gardegant ? Ambre de Ventfroid qui suce goulûment le vit du dizenier d’Allant ? Les nobles, tenez vos sœurs ! »


Je me mis à pouffer de plus belle, m’égorgeant presque dans mon hydromel, avant de continuer, tout hilare.

« Tu vois, l’oisiveté est la mère de tous les péchés. Nos épouses c’est des bosseuses, elles viennent du menu peuple, elles connaissent leur place du coup, et à élever nos enfants elles ont pas le temps à aller se faire ramoner la cheminée par un freluquet, sans oublier qu’on est assez virils pour convaincre le petit garçonnet à pas se frotter à ce qui lui appartient pas, c’est aller au-devant d’emmerdes qu’il veut s’épargner si c’est bon pour lui...
Mais les nobles ?! J’y crois pas ! Les vieux richoux tout propres sur eux qui sont plus encornés que Serus -que Son nom soit sanctifié- et cocus par de vrais soudards !
Grâce de Brasey bordel. Et non seulement tu baises sa femme, mais moi, je prends son fric !
On fait la paire toi et moi. »


Je lui fais un clin d’œil. Je suis pas sûr qu’on fasse vraiment la paire depuis son éviction. Je l’espère, peut-être. Je sais pas. D’un côté Anton est un vieux camarade, de l’autre il risque de m’entraîner dans un tas d’emmerdes.
Mais je lui dois la vie. Depuis l’incident.

« Tu vois, c’est pour ça que j’ai peur pour mes garces de sœurs. Elles aussi elles risquent de me filer des emmerdes à traîner avec des louveteaux et des écuyers. Elles vont se faire dépuceler plus vite qu’une pierreuse jetée en pâture sur un bivouac. Faut vite que je trouve un noble un peu con à prendre en épousailles, comme ça, ce sera son problème et plus le mien.
‘tain on est à court d’alcool Gunof... Faut que j’aille me chercher une autre bouteille. »
Revenir en haut Aller en bas
Anton GunofBoucher
Anton Gunof



Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction) Empty
MessageSujet: Re: Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction)   Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction) EmptyMer 24 Mai 2017 - 9:09
Ricanement désabusé. Silence incrédule.
Et puis ça éclate de rire. Les deux loustics se payent leur marrade du jour, c’en est presque terrifiant. Le Beaumont ne peut pas s’empêcher, entre deux expirations tonitruantes, de venir mettre son taquet à Anton, qui se plie lui aussi sous le poids d’un rire gras et incontrôlé. Les deux timbres tourbillonnent dans un orage de fendage de pipe brutal. Et voilà que l’ex des milices tape du poing sur la table comme pour éloigner ce grand élan moqueur ou pour le rythmer. A chaque phrase d’un Elric s’esclaffant, le balafré y ajoute son jeu de mot dégueulasse ou sa remarque grivoise. Un gros mensonge ? Anton s’attrape le paquet en confirmant que c’est gros mais qu’ « y’a aucun mensonge sur la marchandise ! » Chienne et putain ? Oui, et trois fois plutôt qu’une ! A en redemander, à t’en niquer le tapis du bureau, mon con ! Aucune petite phrase, aucun gros mensonge n’était assez bon, tout y passait entre deux quintes de rire. Montoya ? Elle l’avait sucé. Ambre ? La salope n’attendait que ça. Toutes, en fait. Chiennes chiennes chiennes !

Et puis Elric passa au monologue expliquant très doctement pourquoi ça ne pouvait pas leur arriver, à eux, d’être cocus. Et Anton de confirmer, une larme de rire encore au bord de l’œil, toutes ces affaires de virilité, de femmes au travail et les cochons bien gardés.

Non c’est sûr, ça n’avait rien de plausible, eux, cocus. A part que…
Voilà qu’il se remettait à causer de ses sœurs, et il utilisait des adjectifs qui laissaient poindre ses angoisses vis-à-vis de leur vertu, qu’il craignait qu’elles perdent vite, et sottement. Hors mariage, quoi. Un moment, Anton, qui se remettait de ses émotions, eut vraiment l’impression que le collègue lui faisait de l’appel de pied à ce propos.

« Eh ben… » hésita Anton, partagé entre l’envie de régler son problème de sœurs à Elric et la crainte de presser un peu trop une affaire qui pourrait être rondement menée si le loustic était si demandeur et la dot réunie par les Bouchers assez alléchante pour faire oublier l’absence de généalogie glorieuse du côté de la famille du jeune homme mis sur la table des négociations. Elric alors remarqua qu’il commençait à faire sec et fit mine d’aller refaire le plein de mélasse.

« Eh ben c’est vraiment bon que d’te r’voir. » ricana Anton avant de lever sa coupe pour mimer un toast, bien aise de se jeter sur cette diversion pour remettre à plus tard les négociations de mariage.
Revenir en haut Aller en bas
Elric de BeaumontSergent
Elric de Beaumont



Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction) Empty
MessageSujet: Re: Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction)   Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction) EmptyMer 24 Mai 2017 - 10:15
Je prends une grande inspiration nasale, bruyante, sûrement à cause des morceaux de morve qui sont coincés dans mon conduit. Je décide donc de me ramoner la cheminée à l’aide de mon doigt, alors que mes pas craquent sur le parquet pour revenir derrière le bureau.

« Bah oui ça me fait plaisir de te revoir également, messer Anton... Mais heu... T’sais, boire dans mon bureau et tout, c’est pas très convenable. C’est là que les deux capitaines travaillent. Le bailli en personne pourrait être mis au courant !
Mais, heu, je te mets pas à la porte, simplement... Tu penses pas qu’on pourrait sortir en ville toi et moi ? Je peux m’autoriser de débaucher un bon quart d’heure. »

Je me mets à réfléchir à voix haute, en passant vite dans ma tête tous les lieux plus-ou-moins communs de beuverie où on avait l’habitude d’aller, Anton et moi, et étant donné que nous baroudons depuis une décennie, nous connaissons tous les coins glauques de la cité.

« On pourrait aller Au Bon Pavois, ou La Limace Salée, ça a toujours été des endroits sympas au Bourg-Levant.. Je t’aurais bien proposé La Chienne Galeuse mais c’est rempli de métèques, le quartier est plus très fréquentable. Là je sais ce que tu vas me dire, tu vas te mettre à me dire Le Grand Jacquart, mais je suis au regret de t’annoncer que l’affaire est fermée, le bâtiment est maintenant abandonné.
T’en pense quoi ? »
Revenir en haut Aller en bas
Anton GunofBoucher
Anton Gunof



Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction) Empty
MessageSujet: Re: Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction)   Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction) EmptyMer 24 Mai 2017 - 11:18
« En ville. » Il avait l’œil moins luisant, d’un coup, le Gunof.
La ville, mine de rien, c’était très public, comme endroit. Non pas que les grands espaces du plateau du Labret, l’air pur et l’horizon à plus savoir quoi en foutre l’avaient rendu agoraphobe, Anton, non pas. Mais la dégradation, par contre, la honte, ça, ça l’avait rendu un tantinet peureux des gens, des connaissances, des camarades et même des amis. L’Anton ne prenait pas son rôle de semi-paria à la légère, ethos de bürger oblige, avoir le nom Sali lui grattait la couenne, qu’il aurait bien souhaité inexistante, invisible. Ici encore, ça allait. Une personne, connue de longue date qui plus est, dans l’intimité de dix mètres carrés et une cheminée qui ronflait, ça n’était pas encore trop dur.

Mais, par les Saints Andouillers, rien que de croiser les regards de toutes ces personnes de ce qu’il devait accepter comme étant son ancienne vie, ces yeux lui faisant manquer des battements de cœur dans le couloir qui l’avait mené jusqu’à cette petite grotte réconfortante qu’était le bureau de Beaumont, il n’était pas certain de pouvoir en supporter davantage.
Or la ville, mine de rien, c’était très public. Et Anton aussi, c’était très public, comme genre de milicien. A force d’écumer la basse-ville en long, en large, en travers et en profondeur, et ce pendant une quinzaine d’années, ça marquait les esprits, et le visage du Sergent Sourire était gravé dans bien des mémoires. Et plus ou moins bien. La dernière chose qu’il souhaitait, là, après ce gentil moment hors du monde, c’était que quelque chose, dans la rue, dans l’auberge, dans l’alcôve, le rappelle à la triste réalité de sa condition, avec violence et, pis encore, sous les yeux d’un camarade.

Non, risquer une humiliation après ce premier, et fructueux, abouchement, ça n’était pas du goût de Gunof. Il allait donc se congédier gentiment. Avant d’apprendre la terrible nouvelle.

« Oh ? Chus parti si long qu’ça… ? Le Grand Jacquart est plus ? Il est… cané ? Dang. Tu sais pourquoi qu’on l’appelait le Grand Jacquart, hé ? Il avait le plus grand schwanz de tout le nord, d’aucuns disent de tout le royaume ! » Ce serait une perte qui minerait le moral de plus un, pour sûr, un symbole de l’ancien monde qui s’écroulait. « Mais non, hé. T’es bien urbain… mais t’as à faire, je sens bien. Et moi aussi, j’ai du chat à fouetter, et c’est pas à côté. » Ouais, on pouvait pas tous avoir ses affaires dans la Plätz derrière les murs intérieurs à côté des vergers ducaux… « J’étais juste venu te parler d’une carne qu’on a sur les bras. La bête est pas bien, ou peut-être que si, on sait guère trop. Ca serait ballot d’en finir avec un bestiau qui vaut encore trois fois son prix de viande, tu crois pas ? Et bon, vu que t’es pas le dernier en ce qui concerne les canassons, j’m’étions dit que tu pourrais voir le cheval et, s’il est encore vaillant, penser à l’adjoindre aux milices. » C’était un mensonge, bien sûr, mais un mensonge qu’il trouvait nécessaire pour l’intégrité de ses restes de dignité. Malgré la petite rigolade et les tapes dans le dos, Anton avait trouvé un Elric un peu distant en début de rencontre, et un peu « dé-bor-dé » sur la fin. Et puis il ne voulait pas que le centenier s’afficher avec un disgrâcié, ça serait de la gêne pour rien. Non, prétexter une histoire de canasson, très vrai celui-là, était un bon moyen de se recroiser dans un lieu privé, en toute tranquillité, pour aborder ce qui tenait vraiment à cœur le Gunof.

Revenir en haut Aller en bas
Elric de BeaumontSergent
Elric de Beaumont



Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction) Empty
MessageSujet: Re: Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction)   Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction) EmptyJeu 25 Mai 2017 - 11:37
Le canasson ne veut pas poser ses quatre pattes à terre. Grommelant et soupirant un peu, je me retrouve à devoir faire de l’exercice pour me pencher sous le gros ventre de la bestiole et de lui saisir un jarret, tel un palefrenier, afin de vérifier la blessure.
Quitter le bureau alors que j’étais censé travailler s’est fait remarquer. Mais peu de gens bronchent au fait que je me mêle assez peu de paperasse : La plupart n’a strictement aucun intérêt, et le papier coûte très cher, je me demande encore à quoi ça rime de faire des appels d’armes uniquement pour se rendre compte que les enseignes regroupent de moins en moins de sergents, au point où on se demande s’ils disparaissent dans les marais ou s’ils sont de simples déserteurs.
En revanche, un truc dans lequel Anton sait que je suis bon, et que j’ai toujours été bon, c’est les dadas, les chevaux, juments et étalons. Le pouvoir des nobles, des vrais nobles je parle, il se fonde sur deux choses : Le château-fort et le cheval. Les grands princes et le Roi ruinent un peu l’équilibre des choses en ayant recourt à des troupes soldées d’hommes d’armes et de sergents-à-cheval, pas forcément anoblis d’ailleurs, qui se battent montés, mais il n’empêche qu’à l’origine la noblesse s’est bâtie sur ces bestiaux, sur la selle et la lance couchée. Tout gamin je grimpais sur des roncins et des bêtes de traits, puis on m’a autorisé à chevaucher un beau coursier de guerre tout en chair et en muscles. Je n’ai jamais eu de palefrois, et ça coûte tellement cher ces machins-là... Il n’empêche, maître Gunof a eut raison de m’appeler, parce que je suis capable de reconnaître les muscles, les points de tensions, toute l’anatomie de cette bête sous laquelle je me retrouve. Et j’ai bien sûr noté le détail qui tue, celui qui va peut-être pas plaire à Anton.

Je m’enlève du cheval et lui fait une tape sur sa croupe, avant de me saisir d’une serviette en laine posée sur un tabouret juste à côté, pour me laver les mains. Je regarde le Gunof qui est collé à un mur de l’écurie, et fais le dos rond, haussant les épaules.

« Je suis désolé Anton. Mais il a été blessé au-dessus du genou. C’est complètement incurable, la milice en voudra jamais. »

Cet endroit pue la pisse et le fumier. Pas loin, dans l’enclos d’à-côté, on entend un palefrenier qui utilise une grosse fourche pour répandre la paille sur le sol. Pour la petite fille de sang-bleu, cet endroit est répugnant, comme si les chevaux n’avaient vocation qu’à être de beaux bestiaux qui sentent la rose, en oubliant de façon très sélective que leur cheval va chier un étron pendant qu’elle sera assise de côté dessus, en robe de mariée. Mais moi j’adore, je peux pas m’empêcher d’avoir un sourire en coin ; L’odeur de merde des écuries, c’est mon quotidien.

« Mais tu sais, c’est peut-être une bonne chose de devoir ouvrir cet animal. S’il avait été en état, t’en aurait pas tiré un bon prix : La milice l’aurait réquisitionné, on t’aurait fait miroiter une indemnisation, mais t’aurais jamais entendu le tintement de l’or. Maintenant le tas de viande c’est différent, t’auras aucun problème à la vendre. »

Je jette la serviette au loin puis attrape mon gros manteau que je mets au-dessus de mon uniforme de centenier, les pièces d’armure en moins.
Moi et Gunof on s’enfonce plus loin dans l’écurie. On est dans le quartier des abattoirs, la très redoutée Halle-aux-Viandes. Ici, ça schlingue, mais ça schlinguait bien avant la déliquescence urbaniste de Marbrume. Ici le sang coule toujours le long des pavés, et des fenêtres des entrepôts sortent des essaims de mouches qui viennent se coller à la viande pourrie, pas toujours entièrement décédée, qui est pendante sur des crochets de fer rouillé. On croise, quelques fois, de la truandaille rémunérée par la toute-puissante guilde des bouchers, qui guettent au cas-où des voleurs ou des incendiaires se trouvaient dans le coin, ce qui ne serait pas étonnant étant donné la grande proportion de métèques, de faux-amputés qui mendient la charité, et de marginaux en tout genre que moi et Anton avons croisé en descendant ici. Il y a même eut un moment où j’ai dû tirer l’épée, quand une adolescente, qui devait avoir treize piges, s’est accrochée à Gunof, lui montrant sa poitrine plate et passant une main dans sa grosse barbe ; J’ai cru qu’il s’agissait d’un bandit qui allait le trucider. On l’a calmée à coup de gifles, puis on a continué notre descente.
Généralement, mes quelques attributs d’autorité convainquent les escrocs et les ribaudes de me laisser en paix : Lorsque je me déplace tout armé, mes espalières portent le sceau de la cité de Marbrume, et aux doigts je garde toujours des grosses bagues, cadeau du bailli de la commune, des petits bijoux qu’on a l’habitude de voler en tranchant le doigt des morts le lendemain d’une bataille. Mais je me rends compte que ce qui dissuade véritablement les bandits, c’est ma garde rapprochée, car je ne suis pas censé me déplacer sans deux ou trois sergents armés de fauchons, des gros bras qui font place dans la foule.

« Quand même bizarre de ta part de refuser un verre, je ne pensais pas que c’était ton genre.
Eh bien ; Ce sera tout monsieur Gunof ? Désolé pour ton bestiau hein, mais je te mens pas, c’est le mieux qui aie pu t’arriver. »
Revenir en haut Aller en bas
Anton GunofBoucher
Anton Gunof



Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction) Empty
MessageSujet: Re: Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction)   Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction) EmptyLun 29 Mai 2017 - 2:30
Le lendemain ils s’étaient rencontré non loin de la venelle des Tueries, presque discrètement, et puis Anton l’avait emmené jusqu’au cheval.
Ce qui était drôle avec l’Elrich, c’était à quel point il était des nobles. Il avait beau dire les haïr, son dédain, il l’exprimait avec une bonne diction d’où sourdait une légère intonation de château. Il y avait une grande différence à être en marge et être à la marge. Le petit gros du château de Beaumont avait eu beau subir une enfance de honte et d’invective quant à sa condition d’enfant naturel, il n’en restait pas moins le petit gros du château de Beaumont. Anton, lui qui n’avait vu la bonne société que par l’interstice serré de son père et de ses amis et le témoignage de sa femme, se demandait encore si son ancien compagnon était encore un peu dupe de sa nature profonde.

A la rencontre avec le canasson, Elric était comme un autre homme. Son regard se faisait comme plus doux et plus aiguisé à la fois. Cette grande carcasse aux allures bêtes s’affûtait. Il semblait moins con quand on le mettait au côté d’une de ces nobles créatures. Ca ne manquait jamais. Le grand diable au crâne ras passait la main contre le flanc de l’animal, l’examinait avec concentration et, presque, un peu de contemplation. Et puis sa vivacité de gosse et son recueillement de moine disparaissaient.

Une fois son inspection terminée, Elric se retourna vers Anton et ses cousins. Sa gueule de maquignon un peu coincée du bulbe reparaissait, avec son gros nez épaté par des années à se prendre des gnons dedans. La parenthèse enchantée se refermait. Place au boulot-boulot. Le centenier livra sa conclusion, décevante, mais hé, sur la canasse, en rappelant que c’était peut-être pour le mieux.

Son analyse donnée, ils refluèrent vers la vraie ville, dans les rues, qu’ils arpentaient avant que Beaumont n’interrompit la petite balade de santé. Il fit une remarque sur ce soudain accès abstème de son compagnon d’arme, comme quoi c’était un peu bizarre, pas habituel, pas très normal, voire, avant de se congédier sans trop le dire, en tournant une formule. « Ca sera tout, monsieur Gunof ? » Il y a quelque chose qui ne revient pas dans cette demande de permission de foutre le camp, à la connivence un peu trop appuyée pour notre mis-à-la-retraite encore à fleur de peau. Et puis l’enculé repart une ultime fois sur sa rengaine du « c’est pour le mieux » aux relents de théodicée leibnizienne.

Allez savoir pourquoi, mais Anton, quand il entend « pour le mieux », en ce moment, ça lui donne envie de défourailler son poignard. Chaque fois qu’il entend ‘mieux’, surtout quand ça lui est adressé directement, il a l’impression qu’on essaye de lui passer de la pommade. Comme si lubrifier son trou après s’être fait enculer allait lui éviter d’avoir mal au cul. Ca le gave, presque épidermiquement. Pour pas trop esquinter les apparences, et pour garder un peu de face, il sourit – jaune, un peu – et tape dans le dos à l’ancien collègue.

« On pourrait parler de c’qu’est mon genre et de c’qu’est dorénavant bizarre en ce monde pendant des jours, mein winnerschnitzel, mais c’est ni le lieu, ni l’heure. Je repars le jour après demain au Labret. Alors demain, je t’invite, comme ça on verra qui c’est qui refusera un verre, sur la longue, arharh. »
Revenir en haut Aller en bas
Contenu sponsorisé



Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction) Empty
MessageSujet: Re: Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction)   Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction) Empty
Revenir en haut Aller en bas
 
Toujours sans glace ? Toujours sans glace (titre en construction)
Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Revenir en haut 
Page 1 sur 1

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Marbrume - Forum RPG Médiéval Apocalyptique :: ⚜ Cité de Marbrume - L'Esplanade ⚜ :: Remparts :: Quartier des Officiers-
Sauter vers: