Ce que j’aime avec Césarine, c’est la liberté avec laquelle on peut piailler à côté sans qu’elle ne comprenne la portée des affaires. Il faut toujours parler tout en métaphores quand elle est là, et elle ne comprend pas. En étant un peu malin, je suis sûr que je peux comploter pour tuer le duc, et elle n’en aurait jamais l’idée. Très amusant. Je rigole en moi.
« Mais non ma douce, tu n’es pas une bouseuse... Un bouseux, tu vois, c’est un sale paysan qui passe ses journées à s’occuper des saillies des chevaux ou à donner à bouffer aux porcs. »
Bien sûr on est tous le bouseux de quelqu’un d’autre. Et si moi et Anton, en bonnes gens urbains, nous crachons notre haine envers la paysannerie crasseuse et trinitaire, qui vit dans la merde mais qui est contente d’être esclavagée par le clergé et les nobles, nous sommes probablement tous deux le bouseux d’autres gens au-dessus de nous ; Anton est le bouseux aux yeux du conseil municipal, moi en tant que bâtard je suis un bouseux de couche pour l’aristocratie titrée. Et eux-mêmes doivent paraître bien bouseux aux yeux des princes et du monarque, ainsi que leurs clientèles privées et leurs familles.
Mais la plus bouseuse de tous, c’est probablement la Césarine. C’est que c’est un vide-couille sur pattes, et pas un bien coûteux. Dans l’atrocité de la vie véritable, je sais déjà quel destin attend dame Marlbois. Conne comme elle est, on doit pouvoir la prendre comme on veut ; Un jour elle sera grosse, ou bien elle tombera malade, et on la chassera d’ici. Qui la protégera dans ces conditions ? Les tauliers de maisons closes ont beau se donner de bons genres, ce sont des gérants de troupeaux, et on garde pas une bête qui rapporte pas. Césarine, dans un an, peut-être deux, je la retrouve dans la rue en haillons. Les putes ont la malheureuse habitude de disparaître sans laisser de traces, et l’une de mes seules qualités humaines qui me rattrapent aux yeux des Dieux, c’est que je suis l’un des seuls gars de la milice à en avoir quelque chose à faire, et à essayer, tant bien que mal, de résoudre les sordides affaires de meurtre qui peuvent les toucher.
Revenons à nos moutons. Anton m’a tiré à l’écart, et il s’est calmé à l’eau gelée. Et voilà qu’il s’est mis à déblatérer des trucs, des trucs très menaçants. Il est heureux que Césarine soit conne comme un tonneau, et qu’elle ne pige pas ce qu’on est en train de raconter sur le bâtard de Langlois et le comte Victor de Rougelac. Il est vrai que Rougelac me paye, et qu’il a des projets pour moi, mais j’essaye de ne pas me réduire au rang de putain, sous peine de moi aussi finir un jour sur le trottoir avant la fin de l’année. Comment est-ce que je ne peux pas remercier Gunof pour ce qu’il me raconte ? J’acquiesce d’un mouvement de tête, avant de mettre mes mains sur les hanches, bombant mon torse.
« Ton cheval est bien campagnard ; Parce que mon cheval à moi, plus urbain, il m’a soufflé qu’il était très heureux que Victor lui graisse la patte. Ce que tu me dis là c’est inquiétant. Il va sérieusement à Ventfroid ? Il sait pas que c’est loin et qu’il y a des Démons ? »
Je passe mon doigt sous la gorge, pour imiter un égorgement, avant de continuer.
« C’est marrant tu vois, parce que moi je pensais obtenir son soutien pour une toute autre affaire... Et elle concerne bien le dehors de Marbrume. Pas le Labret, pas Usson, plus au sud...
Une histoire avec un certain Hector. »
Je lui fais signe de tête de se rapprocher de Césarine. Étrangement, c’est le meilleur endroit pour parler de tout ça. Lui et moi avons toujours appris à lier l’utile à l’agréable.
« Tu es toute propre, ma douce. Montons dans ta chambre », je lui fais en tirant une serviette chaude que je lui réserve.