Après l'effort, le réconfort [PV Cyrielle F. & Ange] [mini RP]

Ange n'avait jamais connu l'amour ; quant à l'amitié, sans doute pas non plus ; une petite camaraderie tout au plus. L'homme était un sociopathe et sa vie n'était contrôlée que par ses pulsions de meurtre et ses envies de pouvoir... Mais la veille, dans l'adversité d'un concours auquel il n'aurait jamais du participer, il était devenu l'équipier d'une jeune femme, une jeune forgeronne, et il avait aimé - dans une certaine mesure - sa compagnie. Ce soir, il allait la retrouver pour partager la récompense durement gagné : un dîner et une nuit en sa compagnie. Il s'était mis sur son 31 et, arrivé en avance, avait pu constater que l'ordre était à peu près revenu dans la modeste auberge. Il s'assit à une petite table et attendit Cyrielle, l'esprit tourmenté par d'innombrables questions.

La forgeronne s'était demandé si elle viendrait en personne, ou enverrait son fils à sa place profiter du repas gratuit. Elle ne craignait pas pour lui en compagnie d'Ange, ignorant tout des "loisirs" de son confrère. Mais la mésaventure de ce dernier avec les rats l'avait convaincue de venir en personne. De plus, elle craignait que les taverniers ne soient mauvais joueurs, et refusait d'exposer son fils à tant de risque. Ce fut donc elle qui passa la porte de la taverne, vêtue proprement et les cheveux tressés de frais, tenant à la main l'illustration de caille devant permettre d'obtenir la récompense promise.

Le désordre des participants avait été rangé, et même si l'endroit ne pouvait prétendre être autre chose qu'un établissement de seconde zone, les odeurs émanant de la cuisine laissaient espérer un repas plus agréable que les aliments ingurgités la veille. Ses yeux clairs parcoururent la salle, avant de trouver l'imposante carrure de son compagnon de table. Se dirigeant vers lui sans grâce, mais avec détermination, elle tira la chaise libre qui lui faisait face pour s'installer en sa compagnie, avec un sourire plus détendu qu'à son accoutumée.

« Bonsoir. Comment va votre bras ? »

Elle ne connaissait guère les usages attendus durant un repas en compagnie masculine qui ne soit ni son père, ni son fiancé, mais elle était habituée à côtoyer d'autres artisans. Et le bras d'un forgeron était bien plus important, pour elle, que sa vêture ou le temps qu'il faisait.

La forgeronne arriva. Elle n'était pas vraiment un canon de beauté : un peu trop large d'épaule, un peu trop musclée, pas assez de rondeurs ici ou là. Tout juste pouvait on aimer sa tresse blonde et ses yeux clairs. Lorsqu'elle s'installa en face d'Ange, son sourire surpris le jeune homme. Il n'avait rien à lui vendre. Mais ce sourire éclairait le visage de Cyrielle et c'était assez agréable.

- Mon bras ? Ah mon bras... J'avais oublié ces petites blessures.

Il parlait d'un ton calme. Il était calme.

- Tout va bien. Enfin... mon estomac a eu un peu de mal à se remettre mais je pense que pour ce soir, ça devrait aller.

Une seconde d'hésitation. Il devait retourner la question.

- Et vous ? Vous vous êtes remise de toutes ces... dégustations ?

Bizarrement, il n'avait ni envie de meurtre, ni besoin de beaucoup réfléchir à l'attitude à adopter avec sa consœur. Il était - pour l'instant - assez tranquille ; serein.

Elle fut rapidement rassurée pour le bras de son compagnon de table, une plaie mal guérie pouvant être lourdement handicapante. Mais il lui semblait peu probable que le séduisant forgeur soit du genre à se plaindre, même si les morsures s'étaient infectées. Elle ne pouvait que prier les Trois que ce ne soit pas le cas. A la mention de l'état de leurs estomacs, elle eut une expression sarcastique, entre l'amusement et le dégoût.

« Et bien, on va dire que j'ai pas passé une très bonne nuit, mais ça semble passé. »

Elle eut un léger rire, la malice ayant chassé le dégoût de son expression.

« Ils ont intérêt à ce que le repas et la nuit vaillent la peine, sinon je reviens avec mon marteau casser encore quelques meubles ! »

Mais son rire disait qu'elle ne pensait pas vraiment ce qu'elle disait. Toutefois, si il devait s'agir d'une mauvaise blague à nouveau, les tenanciers auraient certainement à le regretter. D'un geste vigoureux, elle interpella la fille de salle, et lui tendit la caille, afin qu'elle leur apporte le festin promis.

- Tant mieux, Cyrielle... C'aurait été dommage d'avoir gagné un bon repas et d'pas pouvoir en profiter.

Ange fronça les sourcils.

- C'était peut-être volontaire, d'ailleurs... Nous faire manger de la merde en espérant que le gagnant ne viendrait pas chercher le repas de sa victoire. Putain, c'est vraiment des fourbes...

Plaisantait-il ? Non, il ne souriait pas, il était vraiment en colère. Néanmoins, Cyrielle et son rire ramenèrent Ange à la réalité. Il ravala sa colère et sourit à son tour à sa compagne d'un soir.

- Enfin, nous sommes là. Tant pis pour eux.

Et lorsque la serveuse prit la caille, Ange entreprit de parler d'un sujet moins polémique et qui, pour sûr, mettrait chacun à l'aise : la forge.

- Comment vont les affaires pour vous ? Je crois que nous faisons parti de ceux à qui la calamité a profité... Les armes et armures se vendent bien, n'est-ce pas ?

Et comme Ange avait envie d'être agréable avec Cyrielle et, qui sait, la charmer un peu, il ajouta :

- Même sans avoir vos beaux yeux, je fais des affaires... alors vous...

Un sourire impeccablement naturel illumina le visage du grand forgeron.

L'hypothèse d'Ange n'était pas venue à l'esprit de la forgeronne, mais une fois dite, elle paraissait très crédible.

« Ce n'est pas impossible, mais je vais me faire un plaisir de manger et boire tout mon soûl, tant pis pour eux. Et j'espère que leur cuisine est à la hauteur de l'horreur de leur jeu. »

Le sujet étant peu plaisant, il fut rapidement clos, pour se reporter sur un thème bien plus à même de les passionner, leur travail. Le sourire de Cyrielle s'accentua, et la passion illumina son regard. De plus, il la reconnaissait comme son égale professionnelle, et c'était là le plus grand compliment qu'il pouvait lui faire. De ce fait, la galanterie au sujet de ses yeux lui tira un sourire flatté, tandis qu'elle inclinait inconsciemment le visage. Alors qu'en d'autres circonstances cela l'aurait laissée de marbre.

« Vous avez de quoi attirer les clients aussi. En plus de la qualité de votre travail, je veux dire. Qui est indéniable. Enfin... »

Constatant qu'elle s'enfonçait à vouloir préciser son compliment, elle préféra se taire, embarrassée. Elle répondit plutôt à la partie concernant le travail, moins inhabituelle pour elle.

« C'est vrai que les affaires marchent bien. Tous ceux qui peuvent se l'offrir veulent une arme ou une protection, et les mercenaires et la milice ont besoin d'équipements, avec leur nombre qui augmente et l'équipement qui reste dans les marais. Je n'aime pas les circonstances, mais ça nous réussit, c'est vrai. Par contre, vous n'avez pas trop de mal à vous fournir en minerai et en charbon ? J'ai l'impression qu'on est toujours à la limite de nos stocks... »

Tandis qu'ils dissertaient sur leur commerce, la fille de salle revint, porteuse d'un pichet de vin aux épices et de deux gobelets de bois lisse.

« La suite arrive, c'est encore en train de cuire. »

Son timbre était morne, fatigué, pourtant elle était jolie, mais déjà usée malgré sa jeunesse. Il était probable qu'elle fasse parfois aussi le service en chambre. Elle ne s'attarda pas et repartit, tandis que Cyrielle versait le vin et levait son verre.

« A notre victoire ! »

Les compliments que lui adressa Cyrielle le firent bien moins rougir que la forgeronne elle-même ! Ange était insensible aux compliments.

- Merci Cyrielle, c'est gentil.

Il savait néanmoins remercier comme il fallait qui lui disait des mots agréables.


- Oui, les minerais, le charbon... effectivement, c'est le plus difficile à trouver... néanmoins, je connais un bon fournisseur, un amoureux de son métier ; un qui n'a pas peur - passer moi le jeu de mot - d'aller au charbon. Il a lui même une mine et ne prend pas de congés. Il s'appelle Eugène Lefront, il habite rue [...]. Venez de ma part, il vous fera sans doute un prix.

Ange venait, lui-même, de se surprendre. Pourquoi donnait-il gratuitement cette information ? Son fournisseur était l'un des moyens qu'il avait pour s'assurer une supériorité vis-à-vis de la concurrence. Pourtant, il ne voyait aucun inconvénient à aider Cyrielle. Il était même presque content d'aider à sa réussite.

Mais bien vite, son introspection fut arrêtée par l'arrivée de la serveuse. Celle-ci apportait le vin et Cyrielle servit le psychopathe. Ensemble ils trinquèrent.

- A notre victoire... et à cette belle soirée !

Le forgeron trouva le vin fort bon. Son coté épicé offrait des saveurs bien plus variées que la plupart des vins qu'il avait l'habitude de boire. Il soupira d'aise en reposant son gobelet.

- Si le repas est à l'image du vin, nous allons nous régaler.

Les informations livrées par Ange provoquèrent la stupéfaction de la forgeronne, qui ne sut dissimuler son sentiment. Qu'il parle aussi librement de son fournisseur, lui donnant son nom, autant que son adresse, et lui suggère de s'adresser à lui n'était pas anodin, dans le monde des artisans. Si beaucoup de fournisseurs étaient communs à plusieurs forges, qui utilisaient alors leur nombre pour obtenir des avantages, chacun avait aussi ses petits arrangements personnels, et répugnait généralement à les partager. Il faisait preuve d'une grande confiance à son égard, et d'une générosité que seuls des artisans pouvaient comprendre. Elle était donc profondément touchée, et cela se lisait dans son regard, et sur son sourire embarrassé.

« Je n'en ferai pas usage à la légère. Votre confiance vous honore, et me flatte. »

Et si elle ne le disait pas, il était évident qu'elle désirait se montrer digne de cela. Elle dissimula son trouble dans son verre, savourant la chaleur des épices sur sa langue.

« Leur vin est très bon, c'est vrai. Je m'attendais à une piquette aigre, mais c'est une bonne surprise. »

Elle en avala quelques gorgées supplémentaires, avant de reprendre la conversation.

« Avec la reprise du Labret, on nous demande aussi beaucoup d'outils agricoles, de clous, de serrures, de gonds... J'ai l'impression de participer à la construction d'une ville, c'est assez exaltant même si c'est répétitif. On participe à la vie, pas seulement à la mort. »

Et à sa manière d'en parler, on sentait que cela la passionnait, d'une manière différente de la création d'un chef-d’œuvre. Plus humble, mais dont elle pressentait l'importance.

Elle avait une bonne descente, la forgeronne ! Ange la regarda faire... et but à son tour ! Il n'avait pas l'intention d’apparaître comme un bougre à ses yeux. D'ailleurs, il aimait ça lui aussi, l'alcool... C'était juste que ses soirs de méfaits, il devait rester lucide, alors il ne buvait pas.

La conversation bascula sur le Labret et les outils agricoles.

- Je ne fais que des armes. Armes et armures. Ça suffit amplement...

Il ne pouvait guère la suivre sur le terrain de la vie et de la mort... aussi fut il satisfait de voir arriver la serveuse avec deux grandes assiettes fumantes.

- Poulet rôti, patates douces et petits légumes... Annonça celle-ci d'un air taciturne.

Ange remercia la serveuse et souhaita un bon appétit à sa consœur. La volaille était bonne et les légumes aussi. Les patates, seulement, il les trouva trop cuites. M'enfin, il n'allait pas chipoter. Le repas était bon. La peau du poulet, grillée, craquait magnifiquement sous les dents d'Ange. Elle lui rappelait la peau de Sylvia lorsqu'il l'avait embrochée au dessus de la forge...

- Je viens de penser à quelque chose... - Il resservit du vin à Cyrielle, remplit également son verre - Je ne sais pas si vous avez vu la grande bâtisse de la rue des Hytres qui est à vendre. C'est l'ancien restaurant : La Côte Rôtie. Ils ont mis la clé sous la porte et... - Il s'interrompit - Je sais que ça risque de vous paraître prématuré, mais c'est une belle opportunité. Le bâtiment est grand, il est situé au meilleur endroit possible... Je... que diriez vous de vous associer à moi pour l'acheter et monter une grande forge en plein centre ville ! Nous pourrions réunir nos savoir-faire, développer notre clientèle et... enfin, ce serait très bénéfique pour nos affaires, je pense !

Il était enthousiaste... et sa proposition était presque sans arrière-pensée. Ce n'était pas un piège tendu à Cyrielle... c'était juste un moyen de se faire reconnaître dans la ville et assouvir sa soif de reconnaissance et, qui sait, plus tard, de pouvoir...