Consultation nocturne [Lothaire Ferbois & Astrid la Douce]

Une énième goutte de cire chaude venait de s’écraser sur le socle métallique, tiédissant peu à peu.

La lueur diffuse du cabinet se reflétait sur les piles de parchemins trainant un peu partout. Ici et là, des traités médicaux, d’obscurs grimoires et autres calembredaines s’entassaient sur les meubles, formant des piles menaçant dangereusement de tomber.

En pleine concentration, le studieux Ferbois Lothaire se reposait sur une chaise, dont l’un des pieds rabotés piétinait un petit manuel en cuir bouilli, aussi dur qu’une brique. Celui-ci usait d’une lentille de verre, éclairé par une bougie tout proche, pour permettre à ses yeux fatigués de mieux éplucher ses registres de compte.

Une grimace apparut sur les deux fines lamelles de chair lui servant de lèvres. Lothaire devait constamment jongler entre la recherche de fonds et celle de matériel, lorsqu’il ne cherchait pas des informations sur les Fangeux.

En parlant de recherches sur les Fangeux, le toubib se rappela qu’il veillait dans l’attente d’une visite nocturne. L’un de ses contacts l’avait mis en relation avec un mystérieux inconnu souhaitant quitter temporairement les murs de la cité. Mais avant cela, cet homme mystère demandait des informations concernant les Fangeux, des précisions, des approximations, bref, des renseignements. Si un bon courant passait entre eux deux, il était possible de rejoindre un nouveau réseau.

Enfin, des suppositions, des suppositions, les balancements de la chaise au pied bot manifestaient l’attente du Docteur pour son prochain invité.

Il faisait nuit, il était tard déjà, mais Astrid n'avait pas oublié qu'elle avait rendez-vous. Elle désirait parler à un guérisseur, se renseigner sur la Fange, et partir aux alentours de Marbrume à la recherche de nouvelles de ses anciens compagnons de voyage. Le guérisseur lui-même les avait peut-être croisés? Ou pas. Mais en attendant Astrid ne voulait prendre aucun risque. Elle avait besoin de savoir exactement à quoi s'attendre pour prendre une décision : départ ou non. C'était un ami qui lui avait donné conseil sur la personne à joindre pour de telles informations. Astrid lui faisait confiance, du moins assez pour ne pas avoir posé plus de questions que ça. Son ami lui avait parlé également des difficiles recherches du guérisseur mais Astrid savait pertinemment chez qui il pourrait s'approvisionner. Il suffisait qu'ils s'entendent bien pour qu'elle lui en fasse part, de toute façon ça ne ferait de mal à personne tant qu'ils ne se dénonçaient pas. Au contraire ça ferait marcher le commerce .
Astrid sortit de l'auberge où elle s'était plus ou moins installée depuis son arrivée à Marbrume, et l'obligation pour elle de se sédentariser. Elle connaissait la route et savait où elle pourrait rencontrer celui qu'elle cherchait. Ce n'était pas loin d'un des endroits où elle pratiquait la cartomancie en journée, et pas loin non plus des endroits moins bien fréquentés où elle pratiquait plutôt la prostitution en soirée. Bref, Astrid était loin d'être perdue.
Lorsqu'elle frappa à la porte du lieu de rendez-vous, elle attendit avec un charmant sourire sur les lèvres. Elle avait hâte de rentrer. Ses diverses professions nécessitaient qu'elle s'habille toujours légèrement, avec des robes assez découvertes pour faire deviner des charmes ou assez étranges pour lui donner un côté "Oracle mystique". La plupart étaient également des tenues de scène lorsqu'elle voyageait avec les saltimbanques et participait à leurs spectacles. Mais cette fois-ci elle avait tout de même ôté les bijoux de son front et de ses oreilles. La robe n'en restait pas moins très décolletée, fendue sur les côtés, légère. Astrid n'en avait pas vraiment pour passer inaperçue. Elle la masquait néanmoins du mieux que possible sous une cape en laine épaisse d'une jolie couleur entre le bleu et le violet foncé. Elle ne venait pas racoler, ce n'était de toute façon pas sa méthode, et elle voulait qu'on la prenne au sérieux.
Dès que quelqu'un ouvrit la porte, elle abaissa la capuche de sa cape, laissant voir son joli visage, ses yeux bleus, et sa longue chevelure qui cascadait jusque son dos. Elle souriait tranquillement, et commença d'une voix douce.

- Bonsoir. J'ai rendez-vous...

Son attente ne fut pas si longue qu’escompté. Délaissant la chaise estropiée, il se dirigea à grands pas vers le seuil et entrouvrit celle-ci. Voici donc enfin venir ce mystérieux homme.
Le Docteur, peu habitué malgré ses quelques liens avec les bas-fonds, s’imaginait sans doute un archétype de vieux briscard délictueux, habitué à une vie rude, faites de menu larcins, de bagarres de rue, de gueules de bois fréquentes et de maladies vénériennes en tout genre.

Il fallait être ferme, comme à son habitude, face à ce genre d’individu. Tout se jouerait dans les premiers instants, il ne devait point fléchir. Un regard baissé à terre, une poignée de main molasse ou une petite voix hésitante et il devenait catalogué comme faible. Lâche. Couard.

Il ne pouvait se le permettre, pas avec cette acrobatie constante entre ses rentrées et ses sorties d’argent. Il devait montrer qui était le patron ici, qui était le Docteur.
Bombant le torse, se raclant la gorge, tenant fermement d’une main la poignée et de l’autre la porte, il écarta ces ceux-ci dans un mouvement ample et puissant, dans une volonté de paraître déterminé.

- Bonsoir. J'ai rendez-vous...

Une petite voix douce, bien plus aigu, bien plus fluette, bien moins rauque et absolument pas corrompu par la consommation excessive de la boisson. Il achevait de comprendre son erreur en baissant les yeux sur la jeune femme, non la jeune fille qui se présentait à lui. Celle-ci souriait et une tranquillité émanait d’elle.

-Ah … euh …

Il resta un court et fugace moment une expression de surprise, peut-être mêlée, quelque part, d’une teinte de déception. Cela ne serait pas aujourd’hui qu’il incarnerait le rôle du mâle dominant.

Qui sait, peut-être Lothaire avait naïvement cru, dans cette hypothétique lutte de virilité, se donner une nouvelle réputation d’homme fort.

En revanche, en laissant traîner sur le seuil de sa porte, aux risques d’être épié, cette douce et belle nubile à la cascade de cheveux bruns, ayant l’âge d’être sa fille, cela allait être une toute nouvelle réputation qui risquerait de lui être accolé.

Se dépêchant de lui faire passer le seuil, il l’invita à s’asseoir sur une chaise. Quant à lui, il reprit sa place sur sa chaise bancale, derrière son bureau encombrée de menu bricoles. Cette pauvre chaise meurtri se retrouva de nouveau en équilibre, maintenu dans ce précaire état par l’action des jambes du médecin.

-Bien, je suppose que vous n’êtes pas ici pour une simple consultation médicale ?

La personne qui lui ouvrit la porte n'était pas véritablement l'incarnation du mot « accueillant ». Il avait l'air dur, se tenait droit, et ce qu'Astrid voyait de son visage se résumait pour le moment à des rides et des cernes entourés de quelques boucles de cheveux. Elle ne savait pas vraiment à quoi s'attendre. Elle n'avait pas souvenir de s'être un jour présentée chez un médecin, ou un guérisseur. Dans sa petite bande de saltimbanque il y avait la vieille Johanne, cartomancienne avant Astrid, qui s'occupait des maux habituels. Sinon, il y avait les prêtres des villages qu'ils traversaient. La demoiselle n'avait aucune idée de ce à quoi devait ressembler un médecin ou un guérisseur habituellement. Mais visiblement, elle était toujours moins surprise que la personne qui lui avait ouvert. Est-ce que c'était lui au moins ? Ou était-ce un portier ? Non. Il n'y aurait pas de portier par ici. Ce n'était pas le bon quartier pour ça.

-Ah … euh …

Peu importe qui était cet homme, il se décida très rapidement à la laisser entrer. Elle devait être au bon endroit, sinon on l'aurait renvoyé ou on lui aurait au moins demandé de décliner son identité. Là, rien. Elle fut simplement invitée à entrer puis à s'asseoir, et elle ne se fit pas prier. L'endroit lui semblait tout à fait... Particulier. Le bureau, plus précisément, était encombré par tout un tas de choses dont la cartomancienne ignorait l'existence, le nom, la fonction ou parfois les trois. Elle voyait beaucoup de parchemins, de grimoires, et d'autres objets parcourus de symboles qu'elle ne déchiffrait pas parce qu'elle ne savait pas lire. Elle n'aimait pas beaucoup la situation, le rapport de force entre celui qui savait, et l'autre. Heureusement, l'homme n'avait pas l'air libidineux. Ça n'aurait pas arrangé les choses. Pendant son observation des alentours, l'homme s'était assis à son bureau.

-Bien, je suppose que vous n’êtes pas ici pour une simple consultation médicale ?

Voilà une évidence. C'était peut-être pour lancer la conversation, mais ça surprenait Astrid. Elle ne savait pas vraiment ce qu'elle aurait pensé entendre à la place, mais elle ne s'était pas attendue à ça. Après quelques secondes d'observation silencieuse, elle finit par répondre. Elle avait fait attention à s'asseoir d'une manière qui ne la mettait pas trop en avant, à s'arranger pour que les fentes de sa robe ne dévoilent rien de trop. Elle voulait avoir l'air sérieuse.

-Effectivement. Je pense que vous savez d'ailleurs très bien pourquoi je suis ici. Je voudrais quelques informations sur la Fange, et on m'a dit qu'il s'agissait d'un de vos... Sujets d'étude. Je me trompe ?

Qu'il ne se moque pas d'elle, elle n'apprécierait pas. Elle savait très bien qu'elle ne s'était pas trompée. En plus, elle avait bien noté qu'il ne lui avait même pas dit bonjour, et ça ne la mettait pas dans de très bonnes dispositions. Elle n'avait peut-être que la moitié de son âge, elle ne savait peut-être pas lire, mais elle ne se laisserait certainement pas faire.

-Vous préférez régler la question du paiement tout de suite ?

« Oh non, ne nous préoccupons pas de cela immédiatement. Commençons plutôt par des présentations en bonnes et dues formes, je me nomme Lothaire Ferbois, humble homme de médecine et propriétaire du cabinet que voici. »

Lothaire laissa alors la parole alors à Astrid un instant, l’écoutant avec attention, puis la repris et poursuivit :

« Et non, vous ne vous trompez pas à ce sujet, j’étudie depuis à peu près une année la Fange assidument, comme en témoigne l’état de délabrement de mon cabinet et mes cernes burinées. »

*ça me fait penser que je devrais engager une bonne, moi*

Pianotant du bout des doigts le rebord de sa table, Ferbois se leva d’un bond, pris plusieurs papiers, livres et croquis sous son bras et s’occupa d’en ranger une partie dans l’armoire situé derrière lui. Tout en tournant le dos à Astrid, il poursuivit la discussion :

« En plus d’être un sujet vital, c’est également un sujet passionnant mais très gourmand en temps libre, je le crains. »

Il tourna alors la tête, le regard dirigé vers son invitée, assise sagement sur sa chaise. Il émit une courte pause, regardant, comme à son habitude, de manière analytique, relevant chaque détail sur son sujet visuel. Elle semblait avoir un petit côté surpris, comme déboussolée par la vision de ce vieux médecin fatiguée, et pas vraiment à l’aise dans ce lieu.

Lui faisait-il peur ?

Il ne saurait le dire.

Il remarqua à présent les fentes de la robe de la jeune femme, plutôt évocatif, pour rester dans un registre poli, sans pour autant que cette tenue ne sombre dans le vulgaire ou l’outrageant. Il n’en demeurait que la tenue ne devait ni correctement protéger du froid de cette nuit, ni vraiment être bien vue, portée à cette heure de la nuit par une jeune femme seule ne souhaitant pas d’ennui.

La conclusion ? Sans doute que la jeune fille n’avait rien de mieux comme tenue présentable à se mettre, le fait qu’elle tente de camoufler sa peau découverte avec les plis et de sa robe et de sa cape semblant attester de cette thèse.

Se surprenant à rester silentieux aussi longtemps, Lothaire sortie de son absence temporaire et relança la discussion :

« C’est un sujet d’intérêt assez peu orthodoxe pour une jeune femme de votre âge et visiblement de votre … condition. Je suppose que vous ne venez pas par curiosité scientifique. Vous souhaiterez connaître quelque chose en particulier ? Je vous préviens juste, je ne connais ni de moyen d’annuler ou de sauver tout mordu ou fangeux, ni ne vends de grigris censés éloignés ces affreuses bêtes. »

« Oh non, ne nous préoccupons pas de cela immédiatement. Commençons plutôt par des présentations en bonnes et dues formes, je me nomme Lothaire Ferbois, humble homme de médecine et propriétaire du cabinet que voici. »

Soit. Astrid n'avait rien contre des présentations plus polies, si ce n'est qu'elle avait toujours un peu honte. Elle n'avait pas de nom de famille. Elle avait donc généralement le choix entre le dire explicitement, ou passer pour une demoiselle peu respectueuse et qui ne se présentait que par son prénom. Ce jour là le choix était vite fait. Monsieur Ferbois n'avait pas l'air méchant mais il n'inspirait pas vraiment de sentiments positifs chez elle.

- Je m'appelle Astrid, je suis cartomancienne.

Pour la prostitution il n'aurait qu'à deviner, la demoiselle ne se présentait jamais ainsi au premier abord.

« Et non, vous ne vous trompez pas à ce sujet, j’étudie depuis à peu près une année la Fange assidument, comme en témoigne l’état de délabrement de mon cabinet et mes cernes burinées. »

Astrid haussa les épaules. Il pouvait étudier la reproduction des huîtres, l'état de son cabinet n'était pas pour elle un indice suffisant. Et pour les cernes... Certaines personnes en étaient plus ou moins affublées naturellement, et un simple manque de sommeil n'était de toute façon pas un gage de travail acharné. Comme si sa phrase venait de provoquer une soudaine prise de conscience, il bondit de sa chaise et entama une phase de rangement en se concentrant sur ce qu'il avait de plus proche, et en choisissant une armoire derrière lui pour recueillir tout ça. Il tournait le dos à Astrid, qui en profitait pour observer encore la pièce avec attention et sans crainte de jugement. Elle ne bougea toutefois pas de la chaise où elle était installée.

« En plus d’être un sujet vital, c’est également un sujet passionnant mais très gourmand en temps libre, je le crains. » 

Passionnant ? Temps libre ? Voulait-il dire qu'il faisait toutes ses recherches en dehors de ses heures de travail, et par pure curiosité personnelle ? Ils n'avaient visiblement pas la même conception du mot "passionnant" même si Astrid reconnaissait volontiers que celle de Lothaire avait le mérite d'être bien plus utile.
Le médecin avait tourné la tête et semblait la regarder avec attention. Attendait-il une réponse de la part de la demoiselle ? Elle n'avait aucune idée de ce qu'elle pourrait rajouter de constructif, et elle n'était pas là pour parler astuces et loisirs non plus... Le silence était gênant, néanmoins. Mais l'homme finit par relancer la discussion.

« C’est un sujet d’intérêt assez peu orthodoxe pour une jeune femme de votre âge et visiblement de votre … condition.

Astrid se demanda un moment s'il était en train de l'insulter, ou seulement de lui assurer qu'il avait compris ce qu'elle pouvait bien faire et où elle pouvait bien vivre. Elle se sentait gênée par ce qu'il venait de dire en tout cas c'était évident. De toute façon elle ne comprenait même pas pourquoi il disait ça : qui ne s'intéresserait pas à la Fange, au moins un peu, vu l'état de ce monde ?

Je suppose que vous ne venez pas par curiosité scientifique. Vous souhaiterez connaître quelque chose en particulier ? Je vous préviens juste, je ne connais ni de moyen d’annuler ou de sauver tout mordu ou fangeux, ni ne vends de grigris censés éloignés ces affreuses bêtes. »

Astrid leva les yeux au ciel, ou plutôt au plafond. Elle était bien placée pour connaître l'inutilité de ce genre de choses, et elle ne tombait pas dans le panneau de tous ces trucs de charlatans. Elle passait bien assez de temps à pigeonner des gens elle-même. Mais l'heure était venue de lui exposer son problème.

- Je m'inquiète du sort de certains de mes amis, qui ont préféré quitter Marbrume il y a un moment déjà... Je voulais savoir à quel point la Fange est un danger, à partir de quels lieux elle est disons... Prédominante par rapport aux êtres humains. Et j'aurais aussi apprécié quelques informations utiles sur les Fangeux en eux-mêmes, je vous avoue que je n'y connais rien du tout.

Elle ne savait pas si cet homme aurait des réponses à lui fournir, mais il était évident qu'elle n'était pas venue ici pour s'entendre dire de jolies choses ou se faire rassurer. Astrid préférait de loin la vérité.
Elle aurait bien proposé son aide à monsieur Ferbois pour le rangement mais étant donné qu'elle ne savait pas lire elle craignait de passer pour une imbécile ou de compromettre son classement.
Elle passa ses mains sur les plis de sa robe pour les remettre bien en place, puis fit la même chose avec ses cheveux. Parler de ses amis lui rappelait une période heureuse de sa vie, mais le déchirement de leur départ était probablement son pire souvenir. Elle ne savait même pas s'ils étaient encore en vie, si elle pouvait espérer... Elle ne savait même pas où ils étaient partis. Mais grâce à Lothaire elle aurait peut-être une aire géographique de "sécurité" en dehors de Marbrume qui lui permettrait d'entreprendre de petites recherches. Et s'ils n'étaient pas là,ils seraient considérés comme morts... Voilà le plan.

- Pour être plus claire, j'aimerais savoir jusqu'où on peut aller sans trop risquer de se faire dévorer par un Fangeux. Et ce qui se passe, si vous le savez, quand on en devient un ? Ou qu'ils nous mordent ?

Le guérisseur la considéra un instant, sentant cette inquiétude bien humaine pour des êtres chers et se mis ensuite à lui répondre :

Pour être tout à fait franc, je dirais dès que vous entrez dans les régions boisées entourant notre chère cité, vous courez le risque de vous faire mordre et le risque s’accentue la nuit, ces bêtes prennent de l’ardeur et deviennent plus audacieuses. Les marais semblent également beaucoup les attirer. Je ne connais pas de zone de répit contre les Fangeux, tout juste ne fréquente-elles pas le littoral, sans doute à cause du sel qui semble les ronger. A moins que cela ne soit une bénédiction de la Déesse Anür, comme l’aime le supposer le petit peuple. Mais si les deux explications ne s’invalident pas à proprement parler.

Il continua de plus belle :

Et les morsures de Fangeux sont dangereuses, même si l’on ne succombe pas à une possible infection, le blessé se retrouve condamné, au moment de son décès, à revenir d’entre les macchabées et à rejoindre les autres Fangeux dans leurs funestes activités, à savoir se repaître de chair humaine. Je suppose personnellement que l’amputation rapide du membre pourrait influer sur les chances de ne pas se transformer, mais vu que la morsure ne provoque pas forcément la mort, cela revient à risquer la vie du patient à court terme, sachant qu’à son futur décès, il peut être incinéré en toute sécurité. De ce que je sais, la décapitation permet également d’empêcher la résurrection, ainsi que tout autre moyen empêchant le futur cadavre de vivre sa nouvelle … ‘’vie’’.

Lothaire émit une courte pause, pris une gourde d’eau traînant sur une étagère, la vida d’une traite et poursuivit son exposé, plongeant son regard dans celui de la cartomancienne :

Tout ça pour dire que vous avez du souci à vous faire pour vos amis, je suis désolé de manquer de tact mais vous devriez considérez toute les suppositions, y compris les plus funestes. Après, je suppose qu’un groupe soudés de voyageurs itinérants armés, faisant des rondes régulières et évitant les marais, pourraient survivre avec beaucoup de chance. Après tout, l’on parle bien de rumeur de bandits et de marginaux réussissant à survivre tant bien que mal. Pourquoi pas vos amis.

Voulant terminer sur une note d’espoir, sur un ton conciliant, il termina :

Par ailleurs, il y a aussi la région du Labret, récemment reprise des griffes des Fangeux, ainsi que les domaines des quelques nobles aillant réussis à prospérer qui reste à peu près en sécurité, il n’est pas impossible que vos amis s’y soient réfugiés.

Astrid écoutait l'exposé de monsieur Ferbois avec attention. Elle n'avait rencontré personne jusque là qui semble en savoir autant que la Fange. Elle a demandait comment il pouvait bien mener des expériences, comment il faisait pour apprendre de nouvelles choses tout en étant finalement là, devant elle, en vie, à Marbrume. Elle se demanda s'il avait vu des Fangeux vivants ou seulement des morts, voir peut-être aucun des deux. Cet homme lui paraissait finalement entouré d'un halo de mystère qu'elle ne pouvait pas lever.
Astrid n'était pas très à l'aise. Entendre parler de morsure de Fangeux, d'amputation, de décapitation et d'incinération, le tout sur un ton aussi dénué de sentiments, n'était pas quelque chose qu'elle considérait comme agréable. Et si tard, alors qu'il faisait nuit noire, ça lui rappelait nombre d'histoires désagréables. Finalement monsieur Ferbois se tut, et décida de boire le contenu d'une gourde qui traînait sur l'étagère. Qu'y avait-il à l'intérieur? Chez n'importe qui d'autre elle aurait pensé à de l'eau ou à de l'alcool, mais tout prenait une tournure un peu mystérieuse dans ce cabinet. Peut-être était-ce un remontant plus particulier ? Astrid ne posa pas la question. Elle vit Lothaire plonger ses yeux dans les siens, et garda le silence alors qu'il reprenait.
Il ne lui apprenait rien, dans le fond. Elle savait déjà qu'elle devait s'attendre à les trouver morts, et même surtout à ne jamais les retrouver. Pourtant, l'entendre dire par quelqu'un d'autre lui faisait affreusement mal. Essayant de ne pas se laisser submerger par ce qu'elle venait d'apprendre, ce qu'elle venait d'entendre, ce qu'elle pouvait ressentir, elle détourna les yeux et chercha à fuir le regard à monsieur Ferbois. Il y avait pourtant la fin de son discours qui pouvait passer pour optimiste, mais Astrid ne souhaitait pas se faire de faux espoirs. Il allait bien falloir qu'elle se fasse une raison, il valait mieux les tenir pour morts et les revoir un jour vivants que l'inverse. Elle était seule à présent. Seule comme depuis son arrivée à Marbrume, mais désormais aussi un peu seule dans son coeur.
Elle avait bien des connaissances ici, évidemment, mais personne ne pourrait remplacer ceux qui l'avaient élevée et lui avaient tout appris. C'était en fait bien plus que de simples amis, c'était un cocon qui avait remplacé sa famille sans en devenir tout à fait une non plus...

- Je vous remercie pour votre franchise, dit-elle d'une voix un peu éteinte. Ces informations me sont très utiles.

Elle savait désormais qu'elle avait raison d'avoir peur, qu'elle avait eu raison de rester à Marbrume, et qu'elle avait raison d'éviter à sortir des murs de la cité. Monsieur Ferbois enterrait ses amis avec ses discours, mais il lui rappelait tout de même qu'elle était bien vivante et qu'elle avait fait les bons choix jusque là. Toute envie de quitter la ville avait disparu chez elle.

- Je crois que j'ai, moi aussi, des informations qui pourraient vous intéresser mais qui ne concernent pas directement la Fange. Comme convenu.

Autant changer de sujet. Elle parlait bien évidemment de ses recherches de matériel. Elle savait qui serait ravi de faire affaire avec lui, et où le trouver. Si monsieur Ferbois insistait elle l'y accompagnerait même. Elle n'avait vraiment rien à ajouter ni à demander quant à ce qu'il lui avait dit en tout cas. Elle essayait juste de tout graver dans sa mémoire en se disant que ça lui serait utile un jour où l'autre.
Elle garda néanmoins le silence sur la teneur exacte de ces informations, car il restait toujours une autre possibilité.

- Ou, si vous avez changé d'avis, je peux vous payer d'une manière plus conventionnelle, termina-t-elle en faisant tinter les pièces de sa bourse. Elle lui laissait le choix.

Lothaire regarda en silence la jeune femme, qui détourna le regard, comme pour éviter de laisser paraître une quelconque faiblesse suite à la rudesse de ses propos. Peut-être tentait-elle de refouler des larmes naissantes pour ces compagnons.

Lothaire comprenait parfaitement la douleur qu’on éprouvait suite à la perte de ses proches, oui, il ne le comprenait que trop bien. A cela devait sans s’ajouter le doute dans l’esprit de la jeune femme, celui de se demander ‘’Et si ?’’. ‘’Et s’ils étaient encore vivants ?’’. ‘’Quelque part ?’’. Cela pouvait durablement affecter le plus stable des individus.

Elle finit par changer de sujet, gardant ses émotions pour elle, passant à présent sur la question du paiement. Le médecin préférait-il être payé, comme convenu, par des informations ou bien argent comptant et trébuchant ?

La réponse ne tarda pas à se faire attendre.

‘’Je préfèrerais être payé selon ce qui était initialement prévu, les informations me suffiront amplement. Sans doute du matériel médical, je suppose ? J’avoue en avoir bien besoin, aussi bien pour mes patients que pour mes recherches personnels. Les expérimentations savantes sont jugés inutiles par certains, étant donné les temps qui cours.’’

‘’Des crétins, si vous voulez mon avis.’’

’Je préfèrerais être payé selon ce qui était initialement prévu, les informations me suffiront amplement. Sans doute du matériel médical, je suppose ? J’avoue en avoir bien besoin, aussi bien pour mes patients que pour mes recherches personnels. Les expérimentations savantes sont jugés inutiles par certains, étant donné les temps qui cours.’’

‘’Des crétins, si vous voulez mon avis.’’

Effectivement, Astrid trouvait ça étrange et assez idiot que certaines personnes puissent décider qu'il n'était pas le moment de faire des recherches ou des expériences. Bon, elle ce n'était pas tellement sa branche il fallait être honnête, mais elle ne voyait aucune raison d'empêcher les gens de s'intéresser de très près à la Fange. Ce devait encore être le coup de quelques dévots qui, pensant àune punition divine, renonçaient à exercer leur libre arbitre. Au lieu de se battre et de continuer, pieusement tout de même, à prouver leur valeur aux dieux, il y en avait beaucoup qui préféraient se cloîtrer quelque part pour prier. D'après Astrid ce n'était pas la bonne solution. Mais elle ne se sentait pas trop la légitimité de partager son avis avec un scientifique.

- Oui, c'est bien de ça qu'il s'agit, répondit-elle d'abord.

Du matériel médical. Astrid se demandait bien comment son ami pouvait se retrouver avec de tels objets, mais ce n'était pas ses affaires au fond. Ce qu'elle savait c'était qu'il voulait s'en débarrasser et qu'il comptait sur son aide pour cela.

- Il est tard, je ne peux pas vous y conduire maintenant parce que c'est en dehors de la ville, dans les faubourgs juste à côté, et que la grande porte doit être fermée à l'heure qu'il est. Je peux vous expliquer comment vous y rendre seul, ou vous accompagner à un autre moment si vous préférez.

Ou les deux. Astrid n'était pas du genre à poser un lapin à qui que ce soit, même si elle comprenait la méfiance que pourrait avoir monsieur Ferbois à ce sujet. L'information était un paiement, elle devait donc être vraie, et il n'avait pas tellement envie sans doute que son informateur ait une chance de s'évanouir dans la nature avant de s'être montré utile. Elle pourrait donc toujours lui expliquer comment se rendre chez son "ami", et l'y accompagner tout de même quand il ferait jour.

-Oh, et bien je suppose que je pourrais m’y déplacer tout seul mais suite à un incident récent, mes mouvements ne sont pas très lestes, en particulier au niveau de la jambe.

C’était une façon bien détournée de parler des séquelles qu’avait laissé le carreau d’arbalète, tiré par un fou furieux en quête de sensation forte, sur sa jambe mais Lothaire avait autre chose à faire que de se rendre intéressant.

-A vrai dire, je ne devrais pas faire de tel mouvement de balancier sur cette pauvre chaise, si l’un de mes patients se comportaient ainsi, je le lui interdirais fermement. Enfin …

Il plongeât de nouveau son regard acier dans ceux de cette jeune femme.

-Je vous en serais bien reconnaissant si vous consentiez à m’accompagner jusqu’à votre contact et mon matériel médical. Bien entendu une prochaine fois, une fois le jour de retour.

-Les Faubourgs, c’est cela ?

La pensée de quelques affaires lui revenait en mémoire mais il les chassa de son esprit.

-Bien, l’on fait comme cela. En espérant que j’ai pu vous être utile d’une quelconque façon, chère Astrid.

-
Oh, et bien je suppose que je pourrais m’y déplacer tout seul mais suite à un incident récent, mes mouvements ne sont pas très lestes, en particulier au niveau de la jambe.

Et comme tout le monde l'aurait probablement fait, les yeux d'Astrid se portèrent naturellement sur la jambe du guérisseur. Cependant il était assis et il n'était donc pas évident de se rendre compte de quoi que ce soit. La cartomancienne se dit également qu'elle se montrait assez impolie de le détailler avec tant d'insistance et elle détourna à nouveau les yeux en rougissant un peu. Elle se demandait où il venait en venir, et si oui ou non il souhaitait qu'elle l'accompagne.

-A vrai dire, je ne devrais pas faire de tel mouvement de balancier sur cette pauvre chaise, si l’un de mes patients se comportaient ainsi, je le lui interdirais fermement. Enfin …

Astrid sourit un peu. Même en sachant ce qui était bon pour soi, on ne le mettait pas toujours en pratique. L'importance de la désobéissance changeait d'une personne à l'autre mais le guérisseur lui semblait un peu plus humain maintenant qu'il disait avoir été blessé lui-même et faire quelques petites choses qu'il ne devrait pas. C'était un peu étrange mais disons qu'il lui inspirait un peu plus de sympathie. Elle n'osa cependant pas garder son sourire au visage lorsque monsieur Ferbois plongea son regard dans le sien.

-Je vous en serais bien reconnaissant si vous consentiez à m’accompagner jusqu’à votre contact et mon matériel médical. Bien entendu une prochaine fois, une fois le jour de retour.

-Les Faubourgs, c’est cela ?

Elle hocha la tête en se disant finalement qu'elle ferait mieux de répondre de vive voix, sinon elle allait passer pour une malpolie. Encore un peu plus, disons.

- Bien sûr, dîtes moi simplement quand. Et oui, c'est dans les faubourgs...

Lothaire avait l'air perdu dans ses pensées et la cartomancienne doutait qu'il l'ait véritablement écoutée. Tant pis. De toute façon elle faisait confiance à monsieur Ferbois pour se rappeler à elle et ne pas rester impayé, même s'il ne l'avait pas écoutée il était assez grand pour songer tout seul à lui donner l'horaire de leur petite balade...

-Bien, l’on fait comme cela. En espérant que j’ai pu vous être utile d’une quelconque façon, chère Astrid.

Elle ne releva pas la manière dont il l'appelait mais il était évident qu'elle ne lui retournerait pas la formule. "Cher Lothaire" ce ne serait pas approprié.

- Bien plus que ce que vous pouvez imaginer, monsieur, se contenta-t-elle de répondre.

Au moins elle pensait savoir à quoi s'en tenir. Il avait eu le courage de lui dire ce qu'il considérait comme la vérité, contrairement à beaucoup qui n'auraient pas hésité à mentir pour la rassurer. Elle se leva, remit bien ses vêtements en place et hésita un instant. Il lui semblait que la conversation était terminée mais elle ne savait pas vraiment si elle avait le droit de prendre congé.

- Faites moi savoir vos disponibilités pour que je vous accompagne, je tâcherai de me libérer. Elle hésita un instant. J'espère que ça ira mieux, pour votre jambe. Et je vous souhaite une bonne soirée, dit-elle en se dirigeant vers la sortie. S'il avait autre chose à lui dire il n'aurait qu'à la retenir.