À feu et à sang [Libre]

- Juillet 1165

    Ainsi donc ils pensaient s’imposer, pouvoir poser ne serait-ce qu’un pied au vieux port sans avoir à en rendre compte? Et au nom de quoi, de quel droit? Ces idiots n’ont pas compris que la seule rançon que l’on ne viendrait pas leur réclamer était celle du sang, de leur sang. Et que celui-ci coulerait jusqu’à ce que tous aient compris. Le Duc n’a pas la main mise sur ces cloaques puants d’une humanité décadente. Le Souverain ici c’était lui, et il entendait bien le faire savoir.

    “QUI?” Beugla-t-il.

    D’ordinaire calme et placide La Montagne s’était laissée gagner par sa fureur, les marins et marchands que Razarh et les siens rançonnaient sans vergogne commençaient à trouver la plaisanterie de mauvais goût. S’ils craignaient tous le Cercle et son charismatique chef ils auraient tôt de fait de se ranger du mauvais côté si celui-ci venait à prendre trop d’ampleur. Des raids et pillages avaient eu lieu dans plusieurs entrepôts la nuit dernière, un Capitaine avait même été retrouvé pendu à sa figie affublé du fameux cercle gravé au couteau sur le front, sauf que celui-ci était barré d’une croix. On ne pouvait être plus clair.

    Quelqu’un voulait la guerre. Et il allait la trouver...

    On dit souvent que plus fulgurante est l’ascension d’un homme plus sa chute est brutale, et inévitable. Il avait pourtant fait ses preuves, pris son temps. Lui et les siens avaient balayé ces quartiers miteux comme une lame de fond, froide et silencieuse mais non moins terrible, et tous avaient appris à craindre l’homme aux tatouages et son cortège de brigands sans scrupules. Et voilà qu’à présent que l’on s’en prenait à son empire, et bientôt quoi? Ils viendraient s’en prendre directement à lui?

    “On sait pas qui c’est chef, mais y ont peur de rien. Ce matin Léo s’est fait cogner par l’patron d’la taverne près des quais, y disait qu’y voulait pas payer pour qu’on vienne l’estourbir dans son sommeil. J’sais pas c’que ça veut dire estourbir chef, mais l’était pas content l’taulier ça pour sûr.”

    C’est classique, et finement joué. Si les gens commençaient à penser qu’ils engraissaient le moindre mal, ces couards se rallieraient au pire des deux. Et de fil en aiguille tout pouvait rapidement prendre une sale tournure. Razarh fixait ses hommes, impassible, illisible, son envolée d’il y a quelques instants était vite retombée et il avait retrouvé sa froideur naturelle. Il était temps de frapper un grand coup, et de montrer à tous ces pourceaux ce qu’ils avaient vraiment à craindre.

    “Lenny. Poste des hommes un peu partout sur le port, et discrètement, assure toi que ces chiens n’aient pas l'occasion de recommencer un coup pareil. Je vais aller m’occuper du tavernier.”

    D’un geste furtif il s’assura que sa vieille hache était toujours à sa ceinture, il en aurait besoin, et quitta la vieille bâtisse qui abritait le Cercle d’un pas calme et mesuré, presque placide. Presque.

    Les Marsouins. Repaire de marins avinés et de catins vérolées. S’il n’avait jamais vu la plupart des gens attablés dans ce bastringue humide, les conversations moururent en quelques instants lorsque sa massive silhouette en franchit la porte. Il alla s’asseoir, calmement et attendit qu’une serveuse s’avance vers lui, blème et la voix chevrotante.

Ce soir là Yann avait laissé quartier libre à ses hommes. Il était venu à Marbrume pour revendre les derniers résultats de ses pillages. Le Labret était particulièrement productif ces derniers temps et la chasse avait été bonne. Aussi, après partage du butin, il était allé rejoindre son contact dans l'un des recoins du port marbrumien pour revendre sa part. Il fallait admettre que la somme qu'il en avait tiré était rondelette. De quoi se loger dans un belle auberge pour deux jours au moins, pension complète inclue.

Le soucis, c'était que si le Capitaine avait le droit au double de la part de butin par rapport aux hommes, c'était aussi parce qu'il lui revenait la responsabilité de payer les diverses taxes et pots de vins nécessaire à son trafique. Finalement, après s'être acquité de tous ces payements, Yann avait décidé de prendre un repas dans un petit établissement lugubre et surpeuplé. Dans la foule, il avait reconnus cinq marins de son équipage qui l'avaient respectueusement salué d'un hochement de tête quand il était rentré.

Assis sur un tabouret haut, devant le comptoir, la Capitaine avait commandé une bière et ses pensées s'étaient portées sur son navire. La Déception était sous bonne garde, il avait désigné un lieutenant et trois marins de confiance pour veiller sur le navire. A la moindre alerte, ils avaient pour ordre de faire sonner la cloche du bord. Il ne faudrait pas longtemps alors à son équipage pour se rassembler et défendre le bien qui leur était le plus cher.

Yann trempa ses lèvres dans le bière. Elle était immonde. Le patron devait la rallonger généreusement d'eau. Pourtant, le pirate reprit une gorgée. Il avait conscience que la bière en elle même était un petit luxe et cela faisait des semaines qu'il n'avait pas bus une goutte d'alcool, alors il préférai faire contre mauvaise fortune bon cœur.

Puis, les pensées de Yann se tournèrent vers son passé et peu à peu, il laissa la place à Olympe. Elle ne s'était pas montré depuis longtemps, tout occupé qu'était Yann à mener ses hommes d'une main de fer. Les robes lui manque un peu, même si le pantalon est nettement plus confortable...

Soudain, elle sortit de ses pensées comme happée vers l'extérieur. Quelque chose venait d'attirer son attention. Étrangement ce n'était pas le bruit, au contraire. C'était le silence, pesant et craintif. Alors Yann repris le dessus. Il se redressa lentement sur son tabouret et se retourna vers la porte à laquelle il faisait à présent face.

Une montagne de muscle s'encadrait dans le porte. Un frisson parcourut l'échine d'Olympe. Ça, s'était un homme, un vrai. Et cela faisait bien trop longtemps qu'elle n'en avait pas vue. D'un souffle, elle se força à se reconcentrer.

Yann dévisagea l'homme. Apparemment, il était connus comme le loup blanc. Tous baissairent le yeux lorsque son regard balaya la salle pour s'arrêter sur... Yann. Ou plus tôt sur le patron de l'établissement qui se recroquevillait derrière lui. Il transpirait tellement le peur que Yann aurait pus jurer entendre ses dents claquer. Mais alors, le pirate vit du coin de l’œil un femme s’avancer. Elle portait un tablier sur lequel elle était en train d'essuyer consciencieusement les mains. Apprement, c'était le femme du tenancier. Voilà qui promettait d'être intéressant.

S'accoudant au comptoir, Yann reprit sa chope de bière et observa. La tenancière pris la parole.

"-Razarh, bienvenus. Que puis-je faire pour toi? Mon poltron de maris a trouvé la force de rosser Léo mais depuis il ne dort plus parce qu'il sait que tu vas arriver. Alors, puisqu'il ne semble TOUJOURS pas disposé à s'assumer, je suis là.

Et la femme se campa fièrement devant le dénommé Razarh et, résolument, croisa ses bras sur sa poitrine opulente. Mais la fière taulière faisait tout juste la moitié de la taille de l'homme et celui-ci affichait un regard si surpris, que Yann ne put s'en empêcher.

Il éclata de rire dans la taverne silencieuse.

HRP:

    Ainsi la régulière du taulier s’était offerte une dose de frisson et était venue s’occuper de ce qui ne la regardait pas. Oh oui il était surpris, et furieux. Qui était-elle pour oser avancer ainsi sa tête sur le billot? S’il n’était pas venu amicalement il avait eu la décence de s’annoncer sans cris ni fracas, et à la tête qu’il tirait et au silence encore un peu plus épais qui s’installait dans la taverne, ça n’allait pas durer.

    La table valsa en même temps que son contenu qui manqua de peu la tavernière, celle-ci avait reculé d’un pas, soudainement consciente de son erreur et se figea comme un agneau qui attend le couperet. Razarh ne la toucha pas, bandit ou non il avait quand même quelques principes, ne la regarda même pas et traversa la salle en quelques enjambées.

    Et pourquoi il riait celui-là? Le sort du taulier n’allait pas être drôle, loin de là, alors qu’est-ce qu’il lui prenait? À croire que ces gens avaient tous une envie désespérée d’y passer salement, ça pouvait s’arranger, ça serait mauvais pour les affaires mais ça pouvait s’arranger. Son poing siffla à quelques centimètres de la tête du marin pour agripper le patron qui tremblait derrière et l’arracha sans ménagements à son refuge.

    Certains clients en avaient profité pour quitter l’auberge, tandis que d’autres trop effrayés à l’idée de froisser La Montagne fixaient leur table comme si c’était le dernier phare sur terre, la dernière chose qui pouvait leur sauver la vie. Avisant une table libre Razarh traîna le tavernier et l’y assit de force avant de se tourner vers le marin.

    “Toi aussi, tu viens.”

    Le patron n’en menait pas large, en même temps à quoi il s’attendait? Ils auraient pu le tuer tout simplement, et pourtant il était là, et dans un sens c’était pire pour lui, parce qu’il allait devoir se racheter. Et c’était jamais bon d’avoir une dette envers le Cercle, ça risquait de lui coûter beaucoup plus que sa propre vie. La Montagne s’assit calmement et posa ses deux larges mains calleuses à plat sur la table avant de fixer son vis à vis.

    “On fait quoi maintenant?”

    La suite dépendrait du patron, de ce qu’il aurait à proposer. Dans tous les cas la note serait salée mais il ne tenait qu’à lui de sauver les meubles. Quant au marin c’était une autre histoire, peut-être était-il juste téméraire, ou bien complètement fou? Il avait clairement fait un faux pas mais s’en tirerait dans tous les cas bien mieux que l’autre homme qui lui, était dans une belle merde.

Hrp:

Yann avait rit avant de comprendre que la situation était tout sauf drôle. En fait, la taulière avait faillie s'évanouir en sentant le déplacement d'air provoqué par la table volante.

Alors, il avait lancé un regard assassin à Yann et avait lancé son poing vers celui-ci. Mais il n'était pas assez vif pour Yann qui l'évita sans mal... avant de réaliser que l'homme ne le visait pas lui, mais le taulier juste derrière. Clui-ci avait beau être bedonnant, Razarh le souleva littéralement des deux mains et le tira par-dessus le comptoir pour aller poser l'homme en état de choque sur une chaise vide.

Voilà que la salle était nettement plus vide qu'à l'arrivé du Capitaine. Il faillit sursauter lorsque la montagne de muscles le héla à son tour. Il fallait admettre qu'un frisson d'inquiétude le prit. Il n'était pas dans son élément et s'en voulait de s'être montré si téméraire. S'il y avait bagarre, il n'espérait pas s'en tirer à bon compte.

Cela étant, ce n'était pas le moment de montrer ses faiblesse, ses hommes étaient toujours dans la salle, fidèles à leur capitaine et prêts à lui porter secours. C'était une occasion en or pour monter encore un peu dans leur estime. Alors, il prit sa chope à la main, tira nonchalamment une chaise vers la table et s'y assit à son tour.

Les deux mains sur la table, l'homme vissa son regard dans celui du tavernier.

“On fait quoi maintenant?”

A présent, s'étaient les genoux qui jouaient les castagnettes.

Tenant son rôle, Yann ne put s'empêcher de prendre la parole.

"En tous cas, ta taulière de femme à plus de courage que t'as de couilles. Alors ait un peu d’orgueil et comporte-toi en homme"

Puis, il prit une gorgée et ajouta à l'attention du "bourreau".

"Si au passage tu peux lui faire une remarque sur la qualité de la bière...."

Alors, le taulier ouvrit la bouche, la referma, l'ouvrit à nouveau. Il avait l'air aussi perdu qu'une sardine devant un requin, mais il finit par prendre la parole.

"-C'est que... Y'a les autres qui sont venus. L'ont qu'il m'tuerait si j'les payais pas. Et pis moi, j'peux pas les payer si j'te paye. Faut m'comprendre Razarh. Faut m'comprendre."

Le tavernier larmoyait. Yann ne put s'empêcher de n'éprouver que mépris pour cet homme. Même si apparemment Razarh avait aussi sa part de responsabilité.

Le tavernier se dirigent lentement vers la table pendant que les premières larmes ne se mettent à couler, voici ce que vit Axel depuis la fenêtre de l'établissement. Il dut cependant descendre, son camarade lui faisant la courte échelle commençant à avoir les bras tremblants.
Il sauta à terre, frotta son long manteau pour y chasser la poussière et se tourna vers ses deux hommes de confiance.
"Alors qu'est-ce qu'on fait, Axel ? demanda le Furet, qui était certes loyal et efficace au combat mais dont l'esprit d'initiative ne brillait pas.
-Voilà qui nous sié bien, mes amis, déclara Axel de son ton plein d'assurance, nous voici avec le chef du Cercle en personne, se jetant de son plein gré dans notre gueule, à notre merci. Quand à l'autre, je crois reconnaître un des hommes de Tencravel, ce qui fait que ce qui pourrait lui arriver ne me chaut peu. Voici ce que nous allons faire...

Quelque temps plus tard, Axel entra avec fracas dans le troquet alors que la Montagne, le capitaine Pécheur et le pauvre aubergiste pleurnichant étaient réunis à la table centrale. Il se servi une pinte, en but une gorgée et pris la parole :
"Bonjour à tous. Avant toutes choses, sachez que j'ai un camarade dehors qui, au moindre comportement suspect, appellera mes deux autres amis partis chercher respectivement la milice et un équipage de fiers matelots... De quoi parlez-vous exactement ? "