Une coupe pour oublier avant de débuter une nouvelle vie... [ Ethaïs ]( Terminé)

Le soleil tombait paisiblement, je devais chercher quelques affaires avant de rentrer au manoir de la vicomtesse de Restellis. Mon entretien avec elle s'était moyennement déroulé, toutefois, elle avait consenti à m'engager comme domestique. Une période d'essai que je devais mettre à profit pour gagner sa confiance. Une sensation de bien-être me gagna en marchant, j'étais à la fois heureux d'être engagé et par conséquent de servir une dame prestigieuse, mais aussi content d'avoir franchi cette première étape pour accomplir mon souhait. Du moins, je l'espérais, car al route serait longue, et peut-être n'y arriverais-je jamais. Au fond, j'étais convaincu que quoi qu'il puisse arriver j'allais en faire ma fortune.

Un petit air frais caressa la peau de mon visage. Dans ma tête je me répétais sans cesse les consignes que m'avait donné Rosalie. J'avais aussi l'inquiétude de savoir si je pourrais m'intégrer à la troupe de domestique, surtout sur les doutes que ma Maîtresse avait fait planer sur moi en annonçant qu'il m'était prohibé d'approcher volontairement et sans autorisation Grâce. Voilà bien une entrave qu'il me faudrait du temps pour esquiver. Toutefois, je pris le partie d'agir correctement, de tenir mon rôle et de laisser le temps dicter la sentence. J'allais simplement accomplir mon devoir, avec zèle.

De toute manière, je n'avais plus le choix, et Rosalie l'annonça clairement. En remarquant l'heure je constatai que j'avais encore quelques heures avant de devoir rentrer au manoir pour ma première nuit avant de prendre mes fonctions.
Gisèle devait certainement travaillé à l'effeuill'âge... Actuellement il m'était impossible d'y entrer, cet établissement était hors de prix pour moi, et n'étant plus au service de la veuve noire, je me doutais bien qu'on ne me laisserait sans doute pas rentrer.

L'envie de boire un coup fut trop forte et je n'avais pas le courage de faire le chemin pour voir si jamais Gisèle n'y était pas finalement. J'entrai alors dans un établissement pouvant supporter mon salaire en me disant que je devais peut-être en profiter un peu car ensuite je n'aurais plus vraiment l'occasion de me balader par ici... Je pensais à cela avec un petit sourire mesquin.
L'établissement commencer à se remplir, il était de bon goût malgré le peu de richesse qu'offrait les murs.
Me dirigeant vers une table libre au fond de la salle, je commandais à une serveuse quelque chose de fort avant de m'asseoir sur une chaise en bois en appuyant mes coudes sur la table pour planter dans mes mains mon visage.

Ma mine devait être une jolie ode à la déprime... Je sortais de ma poche les pièces pour payer la serveuse quand celle-ci revint me porter le verre. Toujours avec une figure triste je remuais lentement le verre que je tenais d'une main. J'essayais de percer le mystère qui gagnait ma cervelle pour savoir si j'étais effrayé, si je serai capable de réussir mon dessein, ou au contraire si je succomberai à la tentation du pouvoir qu'on pouvait prêter aux gens vivant de la domesticité en servant madame de Restellis.

Mon regard se leva ensuite dans mes réflexions pour admirer une jeune femme qui vagabondait dans la pièce. C'était un être de la trempe de cette monstrueuse Mademoiselle Messonnier. Comme je haïssais le jour de ma rencontre avec elle, et pourtant j'étais incapable de l'oublier tellement je l'adorais.
D'un geste de la main je fis signe à cette jeune femme de s'approcher...

L’air se rafraichissait, le soleil laissait place à de nombreux nuages. Ces derniers étaient responsables de nombreuses bourrasques de vent emportant débris et poussières sur leur passage. De sa fenêtre, Ethaïs observait le manège. Tout ceci l’apaisait et lui donnait envie de profiter un peu de l’air frais. Avec les nombreux clients de la veille, la jeune femme avait suffisamment gagné sa vie pour s’octroyer une petite journée de repos, loin du brouhaha incessant du bordel.

D’un pas rapide et pressé, elle entreprit de ranger sa chambre pour ne pas s’en préoccuper dans la nuit ou au petit matin. Par la même occasion, elle sortit une tenue passe partout pour déambuler dans les rues sans être reconnue par les clients, et la milice. En réalité, elle souhaitait être tranquille ce soir et point importuner pour ses services.

Une robe pourpre passée à sa taille avec un corset assorti serti de quelques broderies à l’avant et d’un lacet blanc à l’arrière, Iris prit la direction de la sortie, prenant soin d’avertir Satine sur son départ. Les deux femmes échangèrent des banalités et elle promit de prévenir Fenrir, si ce dernier venait à s’interroger sur son départ. Après tout, cet air frais lui ferait le plus grand bien pour le lendemain avec le recrutement. D’avance, elle soupirait. Cela ne serait pas chose aisée de choisir parmi un panel de filles : entre celles porteuses de maladies, celles trop âgées pour attirer la clientèle, ou celles trop inexpérimentés pour l’endroit.

Les ruelles s’assombrirent rapidement poussant la catin à franchir les portes d’une auberge. Le vent la glaçait. Elle avait peur de tomber malade et de se voir aliter pour le reste de la semaine. Frigorifiée, elle se hâta vers l’âtre qui crépitait avec ardeur. Elle était surprise de voir si peu de monde ici. Même si elle ne connaissait pas l’enseigne, elle avait pour habitude de croiser ces échoppes remplies à craquer.

La jeune femme retira sa cape et défit ses cheveux relevés en simple chignon. La chaleur des flammes fit rapidement son effet. Elle retrouva quelques couleurs tandis que son regard se posa sur un attroupement d’hommes au bar qui la regardaient avec insistance. Elle prit une profonde inspiration et récupéra son étole pour se diriger vers une table et commander quelque chose à manger et à boire.

Scrutant la salle, elle souhaitait une table légèrement reculée du reste de l’auberge pour ne pas y être importunée. Iris se pinça fortement les lèvres, voyant sa requête irréalisable avant d’entre-apercevoir un signe de main. Ses sourcils se froncèrent. « Est-ce pour moi ? » S’interrogea-t-elle tout en se déplaçant vers l’illustre inconnu. Elle s’avança prudemment avant de se stopper devant la chaise vide.

« Si cette invitation était pour ma personne, puis-je m’asseoir ? Dans le cas contraire, je m’en irai bien entendu. Je ne souhaite pas vous importuner de ma présence. » Dit-elle doucement

Elle se racla la gorge, avant de continuer.

« Toutes les tables sont pleines ce soir, êtes-vous un habitué de l’endroit ? »

Je jouais avec le verre en espérant une réponse positive de la jeune femme à qui je faisais signe. Il fallait aussi admettre qu'il y avait une place libre à ma table, et qu'ailleurs tout semblait déjà fort plein. Du moins à vu d'oeil.
Elle portait une charmante robe rouge, il fallait lui concéder également une certaine élégance. Je suivais du regard sa démarche vers ma table. Un sourire malicieux se peignit sur mon visage juvénile. Je fixai ses yeux quand elle s'arrêta devant la chaise en face de moi avec une certaine espièglerie.

D'un geste de la main je désignai la chaise.
-" Vous flatteriez mon orgueil en l'acceptant..." Répondis-je en posant le verre en dévisageant mon interlocutrice. En l'observant je me demandais si elle serait capable de me faire oublier cette maudite Gisèle. La mine rêveuse je me disais également que je serai stupide de changer une magnifique douleur par une autre, pourtant j'étais joueur, et même si je le niais à tout bout de champs, j'avais une certaine estime pour la débauche.

Les manches de ma vestes grises retroussées, je déboutonnai un bouton au niveau du col.
-" Je vous invite évidemment." Ajoutais-je en balayant la salle du regard pour confirmer ce qu'elle racontait sur la salle où il n'y avait plus une table de libre.
-" Effectivement, cet établissement semble jouir d'une agréable réputation par ici. Quant à moi, je suis tout sauf un habitué, c'est même la première fois que j'y pose le pied, et pour une première, je me dois de remercier les trois de m'offrir votre compagnie." Dis-je à demi-voix en ne quittant pas ce sourire étrange.
Je devais reconnaître que ce jour le sort m'avait accompagné, j'étais parvenu à obtenir un essai dans une grande maison, et voilà qu'en profitant d'un moment libre avant de débuter le travail, je décide au hasard - et aussi le manque de courage de chercher Mademoiselle Messonnier - de prendre un verre ici, et en compagnie d'une dame au charme fascinant.

J'en vint même à me griser dans des songes fous quant à la suite de mon existence et de mon projet. La commande de mon interlocutrice arriva... J'en profitai pour boire une gorgée de ma boisson.
Il fallait que je pense aux consignes de Rosalie, il fallait que je prenne soin d'être en forme tant physiquement que mentalement lorsque je serai en service chez Madame de Restellis. Un soupir et je reposai le verre pour éviter de tout boire d'un coup.
-" Je me nomme Alfonso Oncero... Pour être franc je passai par là avant de rentrer chez une noble qui m'emploie comme domestique. Et une envie de boire me mena jusqu'ici, dans ce lieu qui m'était inconnu jusqu'à aujourd'hui." Soufflais-je pour me dire qu'il fallait que je me repose un peu avant de débuter, car je savais qu'en tant que nouveau j'allais devoir m'atteler à des tâches rudes et basiques. De plus je devrai lutter contre le regard inquisiteur des autres. Enfin...

-" Et vous, êtes vous une habituée de cet endroit ? " Demandais-je simplement.

Ethaïs prit place à la table. Ses paniers et ses jupons l’entravèrent quelque peu pour s’asseoir, surtout que les chaises n’étaient pas réellement pensées pour les femmes. Elle se tue et préféra l’écouter. Bien que cela puisse paraitre insensé, elle était légèrement mal à l’aise. Par habitude, les hommes venaient à elle dans des lieux plus intimes. Qui plus est, elle avait peur qu’un des clients fréquentent cette auberge et la remarque. Elle ne désirait pas créer de scandales, ni même être stigmatisée comme cela arrive bien souvent.

« Bien charmant et galant de votre part de m’inviter. Sachez que j’apprécie. » Dit-elle en inclinant la tête sur le côté pour lui exprimer sa profonde gratitude.

Elle sourit en apprenant que son interlocuteur, dont le nom était encore inconnu, était un client de passage ici. Le silence s’installa après quelques flatteries. Iris ne savait pas trop quels sujets abordés, ni même comment. Elle n’avait absolument pas l’habitude de tout ceci et elle commençait à le transparaitre sur son corps. Sa gestuelle devint plus nerveuse.

« M'dame, que souhaitez-vous ? » Demanda une serveuse en se penchant légèrement vers Ethaïs pour éviter que cette dernière n’hurle sa réponse à cause du débit sonore de la pièce et de la table voisine.

« Hum… » Répondit Iris tout en se demandant ce que l’auberge pouvait offrir à des prix descends.

« Vous ‘tes pas une habituée, votre visage m’est inconnue ! » S’exclama la serveuse en rigolant légèrement avant de reprendre. « Un gobelet de vin, un verre d’eau, ou du jus de raisin. Vous ‘vez l’embarras du choix. »

« Gobelet de vin. »

« Je vous apporte cela rapidement. » Dit-elle en repartant vers les autres tables pour récupérer les diverses commandes.

La catin posa son regard son interlocuteur, qui semblait plonger dans ses songes. Le patron vint apporter la commande avant de partir discrètement. Ethaïs huma le doux nectar qui s’échappait du verre. L’arôme l’enivra, tandis qu’elle lapa quelques gorgées.

Le silence se brisa rapidement. Alfonso. Le prénom lui était inconnu, tout comme le nom de famille. En même temps, la prostituée avait surtout connaissance de la milice ou des nobles qui l’invitaient de temps à autre.

« Alfonso, ravi de vous connaitre et de mettre un nom sur ce visage. Domestique ne doit pas être évident tous les jours. Ce métier vous plait-il ou était-il réalisé par nécessité ? » Demanda-t-elle avec un brin de curiosité.

Elle reposa son gobelet sur la table en y joignant les deux mains dessus.

« Je ne suis guère habituée à sortir, encore moins seule dans ce genre d’endroit je dois avouer. » Dit-elle d’un ton bas tout en se rapprochant d’Alfonso.

Iris se passa une main dans les cheveux et cligna légèrement des yeux. Le mascara posé sur ses cils les alourdissait grandement. Ce n’était pas le sien. Elle ne comprenait pas comment Satine pouvait le supporter des nuits entières.

« Je me nomme Ethaïs d’ailleurs. Je mène une vie auprès d’autres filles, nous allons dire. » Dit-elle presque gênée d’avouer qu’elle se prostituait dans un bordel des bas quartiers de Marmbrume.

Elle baissa les yeux et se tritura les doigts.

« Et sinon comment est la vie en tant que domestique ? Vous servez une grande maison ? » L’interrogea-t-elle, fixant son minois.

-" Plus par nécessité que par plaisir, toutefois, il faut bien y trouver quelques satisfactions pour rendre cela un peu plus gai. C'est une voie dans laquelle j'y trouve mon intérêt, faute d'un meilleur sort." Répondis-je banalement, alors que la serveuse venait clairement d'éclairer mon ignorance quant à la fidélité de mon interlocutrice dans ce lieu.

D'ailleurs, elle me le confirma en approchant son buste, comme si elle cherchait à ne pas se faire entendre. Ensuite, elle me fit un clin d'oeil en glissant l'une de ses mains dans ses cheveux, son parfum délicat parvint jusqu'à moi comme un air frais dans cet endroit morose.
-" Un plaisir de vous connaître..." Dis-je, en comprenant son insinuation. De toute façon, entre Gisèle, et les autres filles de l'effeuill'âge je devais surement posséder un certain art pour démasquer les jeunes femmes travaillant dans des établissements aux moeurs douteux. Son geste, ce clin d'oeil, c'était leur génie.

Contrairement à Mademoiselle Messonnier, le jour de ma rencontre avec elle, Ethaïr semblait honteuse, elle baissait les yeux, et ses doigts s'agitèrent curieusement. Puis elle me posait rapidement une question comme pour gifler cette gêne.

Quelques gorgées, je laissai un petit silence pour contempler le visage de mon interlocutrice avec l'affreuse idée de chercher à la comparer avec celle qui me donnait la encore plus affreuse sensation de posséder mon plaisir et de le contrôler selon son bon vouloir.
-" Disons que je suis ici pour célébrer mon entrée au service d'une vicomtesse ! L'exigence y est rude, mais je prends le partie de me sentir honoré de servir dans une grande maison. La vie d'un domestique n'est pas joyeuse, nous travaillons souvent tard le soir... Je me satisfait juste de sa variété dans les tâches. Même si ma mine m'oblige souvent à servir de plante verte." Débutais-je en évitant de nommé Madame de Restellis afin de ne pas me compromettre, que dirait-on si jamais elle apprenait que l'un de ses employés traînait dans ce genre d'établissement en compagnie d'une prostituée. Alors pour l'instant je gardais le silence.

-"Avant cela je servais une noble déchue, qui dirige une maison close, l'effeuill'âge. Je passais quelques soirées là-bas." Poursuivis-je en approchant mes mains pour les poser sur les siennes.
-" Alors n'ayez pas honte. Je suis sans doute bien plus hideux que vous pensez l'être. Je suppose que ce chemin n'est pas le fruit de votre simple désir, mais d'une contrainte déposé par le destin ?" Soufflais-je avec un dépit non dissimulé. En effet, je fus incapable de lutter contre la débauche, et pendant quelques temps j'y avais même mis les mains pour diriger vaguement les filles de l'établissement de Madame Calderan.
Seulement je ne pouvais pas aller plus loin, j'avais fui devant l'idée d'en devenir l'intendant.

Je terminai mon verre.
-" Où offrez-vous vos charmes si ce n'est pas indiscret ? Caressez-vous l'espoir de changer d'existence ? " Demandais-je tranquillement en plantant mon regard dans celui de la belle Ethaïs.

Ethaïs tenta d’esquiver ces questions par un sourire. Durant ce cours lapse de temps, elle tentait de trouver ses mots pour répondre. Elle ne souhaitait pas être trop crue, ni même tendre vers le mensonge. Néanmoins, elle était surprise d’apprendre qu’il fréquentait les maisons closes. Elle avait vaguement entendu parler de « L’eufeill’âge ». Elle se demandait comment se déroulait la vie là-bas. « Est-ce pareil au Plat du Jour ? La clientèle est-elle aussi pauvre ? Ou ont-ils une grande majorité de miliciens ? » S’interrogea-t-elle tout en arquant les sourcils.

Après un moment de silence, elle posa ses mains à plat sur la table et soupira.

« La prostitution était une évidence pour ma part. Je suis née au bordel, ai grandi là-bas. A vrai dire je n’ai connu que cela et rien d’autres. Je n’ai d’ailleurs jamais connu mon géniteur et Fenrir ne souhaite lacher aucunes informations pour l’instant, tout comme les anciennes filles du Plat du Jour. » Dit-elle à voix basse.

Depuis quelques minutes, le groupe assis à côté semblait épier leur conversation. L’un des hommes scrutait avec attention le duo.

« Imposé par le destin d’une certaine façon, bien que j’aurai pu emprunter une toute autre voie telle la domesticité, ou dans les nurseries. Cependant, je ne savais comment m’y prendre et ma mère s’étant mariée à un bourgeois, elle m’évite le plus possible. En clair, elle n’a jamais été d’une utilité concernant mes interrogations. J’ai évolué seule et je me fais mes propres expériences. Parfois désastreuses. » Reprit-elle.

Iris inspira une longue bouffée d’air avant de porter à ses lèvres le gobelet de vin. Bien que ce dernier ne fût pas d’une qualité exemplaire, il se laissait boire.

« Sinon, je travaille au Plat du Jour, il se situe non loin de là. A vrai dire, pour le moment ce n’est pas un établissement très réputé. Nous y accueillons les pauvres gens à la recherche de quelques charmes ou la milice. » Continua-t-elle tout en observant Alfonso, un petit sourire aux lèvres.

« Je ne pensais pas un jour parler de tout ceci avec un homme extérieur à mon lieu de travail. J’en suis gênée, mais à la fois soulagée de voir que je ne suis pas jugée pour autant pour mes pratiques. Bon nombre d’hommes m’auraient déjà tourné le dos et seraient parti, presque en courant. »

Ethais termina sa coupe et la posa sur la table. Elle joignit ses mains et se rapprocha encore un peu de son interlocuteur.

« J’espère un jour avoir une opportunité pour changer de filière dira-t-on. Surtout obtenir une meilleure éducation pour caresser l’espoir de trouver un mari appartenant à la bourgeoisie ou trouver un plus noble métier. »

Elle joua avec une mèche bouclée, se mordant légèrement la lèvre. Le brouhaha augmenta encore lorsqu’une troupe de miliciens fit son entrée.

« Pour revenir à vos propos. En quoi êtes-vous plus hideux que moi ? Quelle est la réputation de l’ancienne maison close dont vous aviez l’habitude ? »

Mon regard suivait les mains de mon interlocutrice se poser à plat sur la table. Des doigts fins qui devaient certainement être dotées d'une agilité hors du commun. Je portais une grande attention à son intervention en effectuant des mimiques pour exprimer ma compréhension. Ainsi, elle ne connaissait rien d'autres. Elle était née dans ce milieu, et en somme une fortune peu reluisante.
Elle baissa le ton de sa voix en remarquant qu'un groupe à une table non loin de la notre semblait nous épier. Alors de mon côté j'avançais mon buste pour m'approcher d'elle.

La suite de son récit n'était pas plus joyeux. Autant dire que j'avais en face de moi une personne loin d'avoir été gâtée. Au fond elle avait un sentier similaire au miens qui m'attendrissait. Je ne disais rien, je la laissais boire son gobelet, avant qu'elle ne reprenne et me raconte alors son présent.
Elle travaillait dans un établissement "Le plat du jour". Un lieu qui m'était inconnu, je devais l'avouer. Certainement était-il d'une réputation encore incertaine comparée à celui de mon ancienne Maîtresse qui lui se vante d'être luxueux.
En parlant elle me souriait, je contestai par le même rictus, comme pour la mettre à l'aise, et puis au fond, mon coeur n'était-il déjà pas assez griffé par le monstre de la débauche pour que je reste là à l'apprécier ?
-" Qui suis-je pour juger ? Je me suis habitué à ce milieu, mon âme s'y est noyée." Dis-je doucement quand elle m'exprima son soulagement de pouvoir parler aussi ouvertement.

Elle bascula un peu plus pour réduire l'écart entre nous, mes mains glissèrent sur les siennes par une maladresse qui me servait de masque. Elle jouait de ses charmes dans chaque gestes... Chaque déplacement de sa tête de ses mains étaient marqués par le sceau de l'élégance, du raffinement et la coquetterie. Voilà là un art qui me rappelait celui de Gisèle...
-" Je suis certain que vous parviendrez à réaliser votre souhait. Nul doute que vous possédez les armes suffisantes pour abattre des coeurs. Le plus rude est sans doute de trouver celui qui vous inspirera le plus délicat des sentiments." Susurrais-je d'un ton joueur en entremêlant mes doigts dans les doigts de la jeune femme, alors qu'avec sa main libre elle jouait avec une boucle de cheveux et se mordillait la lèvre avec un air sensuel.
-" La réputation de l'effeuill'âge est exquise au sein des bourgeois et nobles possédant des moeurs inconstants. Mon mot se référait à mon existence, j'ai travaillé dans ce bordel en ayant pourtant promis de ne jamais ne serait-ce qu'effleurer la débauche, et je suis retrouvé à vanter les courbes de jeunes femmes ainsi que leurs exploits auprès des clients, une horrible expérience. Pour vivre, j'ai du sacrifier mon orgueil. Et pire encore, maintenant que j'ai ce vice dans la peau, voilà que je sers une noble aux airs précieux. "

Des miliciens venaient d'entrer dans l'auberge, augmentant la clientèle de l'établissement, je jetai un rapide coup d'oeil vers eux, avant de reporter mon attention sur Ethaïs en jouant avec mon regard.
-" Croyez-moi, votre charme mérite un meilleur usage... " Dis-je en m'approchant un peu, comme si je cherchai à murmurer à son oreille.
-" Avez-vous des projets ? " Lui demandais-je.
-" Je maudis le destin pour m'avoir caché votre existence jusqu'à aujourd'hui." Soufflais-je pour la flatter un peu.

Iris écarquille l’espace d’une fraction de secondes ses yeux. Avait-elle bien entendu que son interlocuteur s’était noyé dans la débauche ? Surement oui, cela la surprit énormément qu’un homme avoue ainsi ses pêchés les plus intimes. « Il n’a pas peur de me faire fuir » Songea-t-elle en caressant le plateau de la table de ses doigts en suivant les rainures du bois.

Sans crier gare, le contact fut électrique. Ethaïs n’eut le temps de réagir et ne retira pas ses mains de l’emprise d’Alfonso. Leur rapprochement la soulageait, tout en l’angoissant davantage. « Me séduit-il pour profiter gratuitement de mon corps ou est-ce pour une autre raison » S’interrogea-t-elle, son visage exprimant ses inquiétudes soudaines.

Néanmoins, elle se recomposa un minois acceptable et afficha un franc sourire. De sa main libre, elle s’accouda sur la table et le scruta, les prunelles pétillantes. Elle écoutait d’une oreille à moitié distraite le reste de ses paroles, le bruit augmentant de plus belle. Elle hésitait presque à lui proposer de se réfugier autre part pour continuer leur conversation.

Elle concentra alors son attention lorsqu’il évoqua l’ancien bordel où il travaillait. Elle était intriguait de visiter le lieu et d’assister à une soirée. De la pure curiosité. Mal placée qui plus est. Et Fenrir apprécierait moyennement, à juste raison.

Son souffla caressa le creux de sa nuque. Elle ferma les yeux, l’espace d’un instant pour profiter du moment.

« Mes charmes iront où je souhaiterai qu’ils aillent. Pour le moment, le Plat du Jour me convient parfaitement. Surtout que je dois former nos nouvelles arrivantes avant de me décider d’un avenir. Je le dois pour le tenancier. Un proche ami, presque un frère. Je ne peux l’abandonner maintenant, le pauvre ne saurait plus où donner de la tête, même si Satine l’aide. Heureusement d’ailleurs, car en ce moment, je quitte souvent l’établissement pour découvrir la ville, ses us et coutumes. » Dit-elle d’un ton charmeur, ses lèvres non loin du visage de son interlocuteur.

Sa chaise crissa sur le sol, elle se rapprochait dangereusement d’Alfonso. Comme un aimant.

« Pourquoi le maudissez-vous ? Après tout, grâce à lui vous venez de me connaitre. » Continua-t-elle sur le même ton, d’une lenteur sensuelle.

Ethais se mordit la lèvre inférieure, quand un milicien fit son interruption.

« Eh mais je vous connais ma p’tit dame. » L’apostropha-t-il, son haleine empestant l’alcool.

Iris se recula par réflexe et se détacha d’Alfonso.

« Est-ce une raison pour interrompre une discussion privée ? » Demanda-t-elle d’un ton glacial, le toisant du regard.

« Calme ma douce. Pourquoi n’es-tu pas au bordel ? Tu sais que les prostituées faisant le tapin dans les lieux publiques terminent aux cachots ? »

Les menaces ne firent pas rire la catin qui se leva d’un bond.

« Suis-je en train de faire le tapin comme vous semblez le dire ? La jalousie vous tuera tous. Allez donc dégourdir votre pénis auprès des filles du bordel. Cela vous fera un bien fou et vous détendra un peu. » Continua-t-elle sur le même ton.

Elle agrippa sa cape et commença à contourner son interlocuteur. De temps à autre, elle lançait un regard à Alfonso, lui quémandant son aide.

Mes doigts s'agitaient avec élégance entre les siens, alors qu'un silence s'installa entre nous, nous écoutions le brouhaha alentours. Je plongeais mon regard dans le sien qui pétillait alors qu'elle fit de la paume de sa main libre un écrin pour son visage.
Elle soutira avec sa voix charmeuse un sourire espiègle de ma figure. Je l'écoutais en l'admirant me raconter sa situation, son attachement au plat du jour, et ce qu'elle devait à un certain Fenrir.

Son récit fut aussi l'occasion, sans réellement savoir si inconsciemment ou non, de laisser nos visages se rapprocher dangereusement. Une étrange sensation semblait attirer nos lèvres. Nous pouvions sentir nos souffles respectifs. Dans ma cervelle, une pensée étrange, celle de tenir là l'occasion d'essayer de vaincre le pouvoir de Gisèle.
-" Vous avez raison, à présent j'adule mon destin de me laisser ainsi apprécier votre élégante silhouette." Répondis-je langoureusement en laissant mes pupilles jouer avec le regard d'Iris.

Elle mordit sa lèvre inférieure avec une sensualité exquise, voilà une arme puissante, me dis-je en me disant qu'elle possédait les mêmes codes que Gisèle. Alors que l'affrontement délicieux de nos lèvres allait s'opérait, un milicien par surprise interrompu cet instant avec une vulgarité qui me fit horreur.
Un réflexe nous fit nous éloigner l'un de l'autre.
Le soldat puait l'alcool, et déclara de vive voix connaître la jeune femme. Je restais silencieux, me contentant de fusiller du regard l'homme ivre.
Le dialogue entre elle et lui fut un mélange de reproches et de provocations jusqu'à ce qu'il clame une menace qui m'irritait également.
Comment osait-il ?

Malgré mon intention de paraître faiblard pour atteindre mon objectif auprès de Victor, cette fois-ci, mon honneur m'interdisait de porter le masque de froussard. Iris se leva d'un coup, s'empara de sa cape et contourna le milicien.
J'en fis de même. De ma main je bouscula l'homme à la mine frise avec dégoût. Son état le fit basculer et tomber au sol. Je m'approchai de lui, tira une pièce de ma poche et avec mépris le jeta sur lui.
-" Il serait judicieux de l'écouter, allez donc vous soulager ailleurs, voici de quoi vous y aider. " Je posai un genou au sol puis j'agrippai le col du milicien pour l'aider à se redresser légèrement.
-" Tu es pathétique. Cette femme mérite le respect, sans doute plus que ceux qui t'engagent. Tes parents devraient avoir honte de t'entendre parler ainsi. "
-" Ah ah du calme... T'as payé combien ? J'ai interrompu ta séance c'est ça ? Tu iras en prison toi aussi. " Me dit-il d'un ton chantant.
Je relâchais son col violemment et me relevais.
-" Je ne m'abaisserais pas à te répondre ! " Répondis-je.
-" Oust toi ! Pas de bagarre ici c'est compris." Me lança l'aubergiste en me tirant par le bras.
Je me résignai alors, d'un mouvement rapide, je me tournai, et posa mon bras autour des épaules de la prostituée pour quitter cet établissement.

A l'extérieur nous marchions lentement, croisant des gens qui se baladaient, s'amusaient, parlaient. Devant l'auberge une sorte de murmure précéda notre départ. Des injures crachaient à l'endroit de la catin arriva à nos oreilles. J'avais de la peine, et pourtant, j'étais dégoûté par son métier. Toutefois, je sentais pour elle une affection étrange, belle. Elle était énigmatique et cela me fascinait.
-" Je suis désolé ! J'espère ne pas être coupable de vos ennuis." Soufflais-je en frottant avec soin son dos en observant les étoiles qui se montraient parfois entre deux nuages.
-" Ne prêtez pas attention à ce qu'il a dit, il était ivre et sans doute sans orgueil pour parler ainsi." Terminais-je en me posant devant elle, et en me saisissant de ses mains avec délicatesse.
-" Néanmoins, l'histoire serait plus belle si nous disions qu'il ne s'agissait que d'un jaloux, irrité par sa défaite... Voilà qui cajolerait ma fierté." Murmurais-je en mimant une touchante fragilité en baissant les yeux.

Iris se précipita vers la porte, ayant un espoir que son sauveur la suive. Néanmoins, il était resté avec son agresseur. L’auberge s’était tue. Seules leurs voix portaient. Les regards médusés s’était retournés vers le lieu d’attraction. Un sourire compatissant naquit à la commissure des lèvres de la catin.

Le vent glacial s’engouffra dans l’auberge tandis que les deux compères quittèrent l’établissement. Ethais n’avait pas plus prêtée attention au contact d’Alfonso sur ses épaules. D’un geste sûr, elle endossa sa cape et couvrit sa chevelure de la capuche. Ses joues s’empourprèrent à cause des températures. Cette soirée était particulièrement froide pour une fin septembre et le tissu ne suffisait pas à la réchauffer.

La jeune femme ignora les remarques provenant de la porte ouverte de l’auberge et s’engouffra dans la foule pour y noyer ses idées. Elle ne se retourna pas pour voir si Alfonso la suivait. Elle avait été peinée d’être ainsi jugée et vendue pour son métier.

Les ruelles devinrent de moins en moins remplies. Ethais s’arrêta dans l’une d’elle quand son interlocuteur reprit la parole, brisant ainsi ce silence pesant. Elle l’écouta, d’une oreille distraite. S’adossant au mur d’une maisonnette, elle posa son regard sur le domestique. Attraction et répulsion étaient les deux éléments qui lui venaient à l’esprit en sa présence.

« Pourtant l’histoire est réelle, je suis discriminée pour mon métier. Mon visage en passe pas inaperçu et je suis obligée de rester confiner dans mes appartements ou de fréquenter la bourgeoisie, voir la noblesse pour ne pas être remarquée. » Dit-elle le ton triste.

La noirceur de la ruelle ne permettait de desceller aucun mouvement autour d’eux, encore moins ceux d’Iris. Pour la première fois depuis le début de la soirée, elle était indécise. Rentrer au bordel ou tenter de trouver un endroit au calme pour terminer la nuit ? Un dilemme.

« Malheureusement, il se fait tard, je devrais me rentrer. Puis avec ce qu’il vient de se passer, je ne souhaite pas que la milice me trouve dans les rues… » Reprit-elle à voix basse en se rapprochant d’Alfonso.

Une bourrasque de vent siffla. D’un geste machinal, Ethais retint sa capuche et les pans de sa cape.

L'obscurité se faisait de plus en plus profond. L'auberge était loin désormais... Autour de nous, ne restait plus que l'apaisante fraîcheur de la nuit. On entendait des murmures, des gens qui discutaient.
Face à elle, incapable de déchiffrer le message que me racontait mon coeur j'espérai que cette scène n'allait pas marquer la jeune femme. Je compris alors que sa vie était bien pire que je ne pouvais l'imaginer. Elle recevait souvent de la boue, comme l'autre. Le contact de mes mains dans les siennes voulaient lui transmettre de la tendresse, et aussi du courage.

Elle avait calé son dos contre le mur d'une maisonnette. Je sentais bien qu'elle essayait de retrouver ses esprits, et d'oublier. Mais que pouvais-je bien y faire ? Je ne possédais aucun pouvoir, ni influence... D'ailleurs, les gens puissants devaient bien se moquer de son sort.
D'un ton triste, elle répliqua au travestissement que je voulais faire de l'incident. Le chagrin sur le visage en remarquant que cela n'avait guère fonctionné. Comment pouvais-je lui en vouloir ? Qui pourrait la blâmer ?

L'heure tardive était la conclusion de notre rencontre. J'étais moi-même dans l'obligation de rentrer. Madame de Restellis ne comprendrait pas que je mette autant de temps avant de rentrer. J'esquissai un fin sourire.
-" Vous avez raison... Il se fait tard, et moi-même vais devoir repartir chez mon employeur." Ma voix était faible, comme si je fus pris par le tourment qui foudroyait mon interlocutrice.
Je détachais mes mains de ses doigts en plantant mon regard dans le sien avec affection, et compréhension tout en sachant que nous ressentions le même sentiment.
-" Je serai à l'esplanade dans deux jours en fin d'après-midi... J'implorerai la trinité pour vous y croiser. " Murmurais-je dans le creux de son oreille avant qu'elle ne replace sa capuche sur sa tête. Elle s'éloigna, j'en fis de même, avec la pensée d'un espoir dans ma bataille contre Mademoiselle Messonnier, et l'appréhension de mon premier jour avec mon habit de domestique de la vicomtesse.