- Les traits d’esprit sont dans nos cordes - [ Victor - Ysarn ]

L’office du juré commençait tout juste à reprendre du cachet, sur l’étal de chêne massif la luxuriante forêt de vélin avait laissé place à une surface de bois poli et rutilant. La large baie de fenêtres à vitraux s’ouvrait enfin sur le port, redonnant à cet ancien clapier, l’allure d’un nid d’aigle. Chaque chose avait pris sa place et Ysarn semblait enfin s’être accaparé les lieux. Surplombant la zone portuaire sur deux fronts, il pouvait observer l’arrivée des navires d’un côté et l’activité d’une partie de ses ouvriers, de l’autre. L’arrivée de l’hiver demandait beaucoup de main d’œuvre pour opérer sur la consolidation du ceint et de quelques bâtisses, l’intendant s’était lancé à la recherche d’un couvreur pour compléter ses effectifs. Tous les corps de métier oeuvrant dans le domaine de la construction étaient dispersés, indifférents les uns des autres quand ils ne se livraient pas à des guerres ouvertes pour la domination d’un commerce. Rien de solidaire ne pouvait s’édifier sans une guilde organisée, de celles qui représentait un fort potentiel en ces temps de malheur.

Celui qui avait déjà structuré et pris le contrôle du marché de la pierre, visait à présent le bois et escomptait bien frayer avec les responsables de l’approvisionnement ; S’acoquiner avec des hommes de sac et de corde, ne semblait pas l’effaroucher pour parvenir à ses fins. L’équilibre était cependant nécessaire pour survivre et posséder des alliés dans toutes les strates de cette société chancelante, offrait des garanties non-négligeables. Aussi l’intendant avait laissé fuiter quelques informations, aux détours d’établissements soigneusement choisis ; Autant de repères que la présence de dignitaires des quartiers nobles, enrichissait jour après jour. Jusqu’à cet instant, où Agmer avait franchi la porte, penaud, Ysarn avait désespéré de voir enfin un représentant de l’aristocratie, se manifester. Le maître d’œuvre accroché au chambranle, était un gaillard haut et élancé, tout en muscle ; Sa barbe ainsi que sa chevelure hirsutes et sombres, lui donnaient des airs de lévrier à poils longs. Le souffle court pour cette fois, car usuellement il n’en manquait pas, il parvenait à débiter son rapport de façon intelligible.

- « Un certain … Comte de Rougelac s’est présenté à l’atelier et il n’est pas seul. Il y a des hommes en armes avec lui. Vous pensez que nous avons des ennuis ? »

Les sourcils tout d’abord froncés à l’annonce de Brisier, le juré finit par se fendre d’un sourire, qui se voulait rassurant. L’escorte du visiteur ne sembla pas le préoccuper outre mesure, puisqu’il répondit à son acolyte :

-« Probablement pas, fais entrer ce beau monde mais assures toi que notre échange se fera dans le feutré, je ne veux pas que sa garde aie vent de nos affaires. »

-« Je manœuvre les ouvriers pour une jolie parade ? Si ils affirment leur présence avec suffisamment d’hostilité, le bonhomme comprendra sûrement qu’on ne plaisante pas non plus. »

Déjà perché au vitrail surplombant l’atelier, l’intendant hocha négativement la tête, avisé par l’expérience qu’il s’agissait d’une très mauvaise idée. Désignant l’un des plus puissants tailleurs d’un mouvement de tête, il cultiva l’apprentissage de son bras droit.

-« Voir un misérable fanfaronner n’impressionnera pas des soldats. En l’occurrence observer des travailleurs briser des pierres à la masse, fera une démonstration suffisante. Dis à nos effectifs de rester vigilants et de prendre acte de la présence du Comte, ni plus, ni moins. »

Sans plus de cérémonie, efficace et alerte, Agmer s’exécuta, fermant la porte derrière lui. Un moment de répit qu’Ysarn mit à profit pour préparer cette rencontre.

Le Comte de Rougelac était homme de la Bonne Société à se tenir informé de tout ce qui pouvait avoir un quelconque intérêt à ses yeux dans l'immensité de la cité de Marbrume. Cherchait-il à ce qu'aucune opportunité ne lui échappe. Il n'était de ces nobles en armure à chevauché fièrement, lame étincelante en main pour s'attirer les faveur du Duc. Non, lui était de ses mondain qui consolidait sa place d'aristocrate par des actes plus subtile que de pourfendre les fangeux. Cherchait-il sans cesse à se rendre "indispensable ou tout du moins suffisamment encré dans les affaires de la cité pour que sa tête ne soit jamais coupé, pour que ses intérêts ne puissent lui être retiré, en quelque sorte, imposait-il sa présence dans ce monde par sa notoriété et ces investissements dont le Duc ne serait en capacité de lui arraché, par nécessité.

Le quadragénaire venait depuis quelques semaines déjà, de mettre en place les fondations d'une nouvelle ère pour lui. Mariage, investissement moins lucratif mais bien plus utile pour la cité et évidemment sa Caste qui cimentait le tout. Avec son nouvel ami et associé, le sergent Elric Beaumont, de la milice, avait-il vu naître une opportunité unique qui lui permettait d'une part de montrer au Duc sa dévotion et de l'autre de faire fructifié ses affaires en ciblant le marché de l'armement et pas des moindre puisque l'on parlait d'une arme redoutable, l'arbalète. Seulement, s'il avait trouver un chef de projet, de la main d'oeuvre, quelques pistes notoire quand à l'approvisionnement en matière première, devait-il trouver des locaux ou bâtir la manufacture.

Alors, lorsqu'il eut vent de la reprise de l'office du juré, idéalement situé sur le front de Mer, le responsable en question, cherchant alliance, Victor ne pu que manifester son intérêt et coiffer sur le fils d'éventuels concurrents. S'était-il donc permit, sans prévenir à l'avance, aimait-il créer l'effet de surprise et ne pas laisser son potentiel partenaire étudier son dossier en amont, de prendre la direction du fameux atelier entouré comme à son habitude d'une garde rapprochée. Le Comte était de ses hommes qui n'aimait l'imprévu, redoutait les complots, était-il donc obnubilé par sa sécurité. Ainsi, dans son plus beau pourpoint gris cendré aux encolure argenté, rehaussé d'une cape cape obsidienne, se présenta-t-il au port, bravant ses légendaires odeurs de poissons, ressentant cette bruine légère dû aux vagues se fracassants sur la cote, écoutant d'une oreille distraite l'activité quotidienne qui définissait les docks.

Ce fut le maître d’œuvre, un gaillard haut et élancé, tout en muscle à la barbe ainsi qu'à la chevelure hirsutes et sombres, qui l’accueilli, lui demandant de patienter quelques instants avec ses hommes pour aller tenir informer le juré de sa présence et de sa demande d'audience. L'homme revint finalement quelques minutes plus tard, ouvrant au Comte et à ses sbires l'accès à l'atelier où s'affichait des ouvriers en plein exercice de leurs talents. Si le propriétaire des lieux se montrait prudent, son homme de main pu rapidement comprendre que son interlocuteur n'avait nullement l'envi de lui nuire quand à la présence d'homme en arme. A peine Rougelac s'était-il imprégné des lieux qu'il se retourna face à son escorte pour leur signifier de patienter ici d'un simple geste de la main, emboîtant alors le pas du maître d'oeuvre qui l'accompagna jusqu'au fameux office.

Victor y pénétra dans toute sa prestance qu'on pouvait lui connaître de Mondain qui maîtrisait l'étiquette depuis toute ses années avec une efficacité presque affolante. S'inclinant très légèrement devant son hôte, il avança de quelque pas, avisant l'homme puis le plan de travail en bois poli et rutilant. Relavant alors son menton, offrant un port de tête droite, lâcha-t-il un léger, futile sourire à la commissure de ses lèvres avant que le son de sa voix légèrement roque, vestige de sa longue expérience de la vie, ne se fasse entendre.

- Monsieur Vailescand, suis-je honoré que vous ayez accepté de me recevoir. Ma démarche s'est vue inopiné, j'espère que cela ne vous incommode nullement, mais j'apprécie voir les choses comme elles sont dans leur quotidien, sans que la réalité ne soit tronqué, si vous voyez où veut en venir ma pensée.

Comme à son habitude, Victor prenant son temps, comme il aimait à le rappeler, "tout vient à point à qui sait attendre", une devise de vie indispensable. Laissait-il à présent le temps de parole à son vis à vis.

Presque écrasé contre les capitons de son assise, le Juré n’avait jusqu’alors pas daigné se relever comme l’aurait voulu le décorum. Bien sûr, il était difficile de déterminer la portée de ce geste, ou plutôt … Son absence. Se laissant surplomber par le Comte, engoncé qu’il semblait-être derrière son mobilier, Monsieur Vailescand soutint le regard du noble. Son œillade se voulait inquisitrice mais à un aucun moment hostile ; L’homme auquel Victor faisait face opérait tout comme lui, dans la mesure. Lors de sa silencieuse investigation, Ysarn s’était laissé aller à quelques réflexions qui auraient bien sûr, survolé la conscience collective. Tout d’abord les choix de cet hôte de marque, pour ce qui était des atours ; Cette profusion de tons et l’abandon de toute couleur. Arborait-il la palette d’un légataire ou celle d’un seigneur désireux de conserver un tant soit peu d’anonymat dans la zone portuaire ? L’aveu trahissant le calcul d’un acte qui aurait pu révéler un tempérament faussement irréfléchi, était-il là pour occulter une faiblesse ou pour quêter l’une des siennes ?

L’intendant se redressa enfin, gratifiant l’auguste d’un fléchissement de nuque : « Mon sieur le Comte » - Gonflant ses épaules et escamotant son cou, le col à revers de fourrure mêlé à sa longue chevelure grisonnante, semblait presque lui ôter toute forme d’humanité. L’animal sous ce disparate pelage, savait pourtant parler et ne manquait pas à son devoir ; Pragmatique il emboîta donc sur la décharge de l’Aristocrate :

-« Pourrais-je vous blâmer pour une initiative que j’aurais moi-même prise ? J’apprécie tout autant que vous la lumière que la spontanéité peut faire sur un individu ; Si je devais me confronter chaque jour au paraitre, j’oublierais probablement qui je suis … Que puis-je faire pour vous ? »

Se fendant d’un rictus qui n’était pas dénué d’une certaine forme d’espièglerie, le négociant repris place dans sa petite « tribune », désignant le confortable siège disposé face à lui. En dépit de son arrivée impromptue, Victor ne se serait pas laissé duper par un interlocuteur qui avait très probablement disposé d’un temps suffisant pour s’adapter à la situation … A supposer bien sûr, qu’il soit à la hauteur de la tâche. Une estimation que l’entente potentielle, ne manquerait pas de déterminer, dans l’heure.

-« Quel poison Monseigneur choisira-t-il ? Les quelques vins dont je dispose ne sont pas de grande qualité sans agrément, mais les épices que j’utilise pour faire mon hypocras ont une incroyable essence. »

Les doigts entrecroisés, les tranches des mains sur l'étal, le Juré était prêt. Prêt non seulement à écouter le dignitaire, mais aussi et surtout à l'entendre ; Qu'il soit par là, bien question d'entendement. Tout dans sa posture, le rythme de son verbe, soulignait une inclination pour le pragmatisme. Plus encore, un amour inconditionnel pour l'efficacité. Aussi, tenta-t-il de jalonner le parcours de son convive, pour l'éloigner de toute forme de détours inutiles.

Comment interpréter l'attitude, le geste d'absentition de toute bienvenue du juré, restant campé, confortablement installé dans son fauteuil alors que la la bienséance aurait voulu qu'il ne se lève derechef. Victor n'en voyait en fait aucune offense car finalement avait il lui aussi bousculer les codes, c'était un peu le juste retour de la médaille. Ysnar scruta le noble, le jaugeait-il? Sans doute. Ces premiers instants, s'ils pouvainternet paraître anodin pour le commun des mortels était à contrario riche en enseignement chez les érudits et grandes gens de ce monde.

Le juré se releva finalement, s'exécutant à ses obligations de manière brèves et feutrées offrant sa silhouette, sa prestance au mondain que ce dernier ne manqua pas de détailler, d'analyser, de sa tenue jusqu'à sa chevelure en passant par l'allure générale dictée par les muscles de l'intendant. De ces nombreux détails pouvait on porter un premier jugement, plutôt flatteur à vrai dire semblait s'en convaincre le Comte. Sa voix se fit alors entendre, dénotant tout autant dans le fond que dans la forme que son interlocuteur possédait quelques traits similaire à sa propre personne, cela en était autant appréciable.

Le rictus d'Ysarn trouva son écho, plutôt son miroir, Victor le gratifiant de son jumeau de lèvres avant de silencieusement prendre place sur le siège que lui avait proposé l'homme influent du port. Ces premiers instants semblaient révélateur d'un certaine apétence à communiquer et ouvrir le dialogue avec cet individu des plus respectable de prime abord, ou en tout cas qui correspondait au stéréotype d'individu qu'appréciait le Comte.

Assis face à face, l'hôte proposa boisson à son invité, seulement par sa gestuelle, laissait il penser qu'il était disposé à écouter les motifs de cette visite impromptu sans plus attendre. Alors, rajustant ses tissus légèrement froissés par ce changement de position, Victor croisa les jambes avant de répondre de façon direct, devant un homme averti, nul besoin de taquiner le goujon, le juré ne serait pas dupe, cela transpirait l'évidence.

- Bien aimable, une autre fois peut être. Si je me tiens devant vous, monsieur Vailescandale c'est pour parler affaire. N'y allons pas par quatre chemin, si vous le voulez bien, j'ai le sentiment que vous n'êtes pas homme à vous prêter à quelques jeux de ma part.

Lui offrant un sourire entendu, Rougelac posa ses coudes sur le plan de travail, imposant plus en avant le haut de son corps.

- Voyez, vous avez fait fuiter, intentionnellement, quelques informations, aux détours d’établissements soigneusement choisis, ne suis point dupe. Cherchez vous sans doute alliance en cet inter-saison, et vous faite bien. Et voyez vous, cela a retenue toute mon attention, plus encore car voyez-vous j'ai de quoi donner du travail à vos hommes pour l'automne et le début de l'hiver...

Victor en resta là, gardant le mystère partiellement entier ou plutôt tel une coupe à moitié vide, à moitié pleine. De Rougelac attendait les réactions de son interlocuteur, procedait-il toujours étape par étape.

Un temps pour chaque chose, chaque chose en son temps ; Face au refus de son hôte, le juré se contenta de miser sur la constance. Sans se déparer de son sourire, il entreprit de se servir une généreux ballon de spiritueux épicé. Et alors que le sirupeux liquide emplissait son godet, il continuait de darder son interlocuteur du coin de l’œil, curieux de voir où cette franche percée mènerait le débat. Plus audacieux, le noble affirma sa position, allant jusqu’à se pencher en sa direction, comme si les prochains échanges livrés, allaient sceller l’accord. Il n’en fut rien, en dépit de ses promesses, le gentilhomme se laissa aller à quelques détours, évoquant ses manœuvres ; Ce qu’il ne put que concéder au seigneur, étayant la véracité et la pertinence de ses observations en opinant du chef.
Vint enfin le moment tant attendu, ou du moins, il fit l’annonce de son arrivée … Se laissant entrevoir, ou deviner : Un potentiel contrat. Le cul du rouge assaisonné martela l’étal, comme pour ponctuer l’introduction du représentant.

-« Voilà une amorce qui n’est pas dénuée d’intérêt, mais cette période est probablement la plus productive de l’année. Beaucoup de plébéiens ont besoin de consolider ou réparer les installations de leurs foyers pour faire face à l’hiver ; Sans compter les plus hautes instances, qui font appel à toute la main d’œuvre nécessaire pour entretenir les installations du ceint. Si vous cherchiez quelqu’un pour l’édification d’un quelconque bâtiment, vous avez votre homme mais … Il faudra tout de même compter sur un potentiel délai … Sans prendre en considération les éventuelles prorogations. Certains payent rubis sur l’ongle pour se hisser en « tête de pile » … » - Sur ces mots, l'intendant désigna un ramas de parchemins enroulés, sur une étagère située à leur dextre.

Relevant légèrement son gobelet à l’égard du sobre, il se reposa à nouveau contre le dossier de sa chaise. Le nez caressant les exhalaisons de son nectar, ou peut-être était-ce l’inverse, il fit mine d’étudier la situation, quand celle-ci était déjà appréhendée pour lui. Il ne faisait bien entendu pas offense à l’intellect de son client mais, conservait farouchement, ses habitudes de négociant. Ou s’accrochaient-elles à lui, comme de tenaces parasites. Comme il venait de mettre en exergue, une certaine forme d’indépendance, il se devait d’offrir au comte, un angle d’attaque. Ce qu’il fit d’ailleurs, après avoir pris une salutaire et vivifiante gorgée de ce feu rouge :

-« Il y a néanmoins quelques formes de rétributions que nous pourrions nous apporter mutuellement. Pour clarifier cette nébuleuse approche, mon Comte, je pense au fait que vous possédez les fonds et que je jouis pour ma part, d’une certaine forme de renommée au sein du petit peuple. Le fond et la forme font souvent bon ménage d’ailleurs … » - S’amusa-t-il de ce bon petit verbe. Il s’attela ensuite à développer sur sa problématique - « Ce nouveau foyer qui est le mien, me révèle aujourd’hui plus d’entraves que d’opportunités et pour totalement m’affranchir, j’ai besoin de … fédérer tous les corps de métier du bâtiment ainsi que l’approvisionnement de matières premières. Peut-être pourriez vous m’aider, en ce qui concerne l’une d’entre elles. A savoir le bois. En ce moment plusieurs exploitants, indésirables, sont à couteaux tirés pour le contrôle du marché. Si je parvenais à trancher les ramifications inutiles, je gagnerais inéluctablement en temps et par extension, en disponibilité. »

Ainsi les dés furent jetés, son gobelet posé et ses bras vinrent à s’ouvrir. Les paumes en supination, il semblait prêt à réceptionner ou … A accuser. Pas une seconde, il ne s’était détourné des mires du noble, il savait ce qu’il voulait et était déterminé. Bien assez pour « sectionner les ronces qui lui barraient la route » ; L’allégorie était claire, tout comme sa résolution.

N'y avait-il nul besoin à mesurer les compétences du juré quand à l'art de la négociation, Victor le savait avant même de poser un pied dans ce vaste bureau. Même si son vis à vis devait de prendre récemment son poste, poser ses marques dans ce milieu particulier, était-il indéniable qu'il ne serait de bon ton de tenter quelques duperies. Fallait-il au Comte de Rougelac affirmer et affiner ses atouts dans l'éventualité d'apposer sa signature en bas d'un quelconque accord. Mais avant tout, s'il avait initier le débat, les pourparler, veillait-il à offrir l'opportunité au monsieur Vailescand de dresser un tableau de sa situation et des affaires qu'il gérait à la tête de cet office qui pesait lourd au sein de la cité.

De Rougelac semblait alors obtenir la réaction de son hôte comme il l'avait désiré, l'homme mettant en avant sa position, la solidité de ses affaires qui ne manquait pas d'être actives à cette période de l'année, pour finalement amener son interlocuteur à le mettre en position avantageuse, non sans glisser de manière à peine voilée qu'il pouvait réduire certains délais si le noble se montrait généreux. Était-ce un sous entendu aux connotations clairement affichées, la corruption était une règle de base à qui souhaitait obtenir ce qu'il désirait dans un temps imparti qui ne corroborait avec la réalité d'une activité en pleine essor.

Lâchant un sourire entendu, le quadragénaire écoutait religieusement la seconde partie de l'exposé de l'intendant, tout en s'enfonçant dans son siège, bras croisés. Ysarn offrait-il une autre approche de leur négociation. La première reposait sur un procédé simple et unilatéral, alors que le second laissait entrevoir un échange bi-latéral, en sommes, un échange de bon procédé, du "donnant-donnant" tout simplement. Chacune des deux parties avaient ses arguments à faire valoir et en fin négociateur, le juré s’attela à poser une problématique personnelle tout en la développant sans plus attendre. Clôturant sa mise en bouche riche en enseignement pour Victor, le responsable des ouvriers du bâtiment offrait une gestuelle de circonstances impeccable sans aucune fausse note, invitant alors à recevoir l'avis de son invité de marque.

Le mondain, fuya alors son regard, gardant de sa prestance, de sa maîtrise de soit tout en laissant les doigts de sa main droite flatter son accoudoir, lentement, calculant la porté de ce geste qui se voulait à la fois perplexe et réfléchit avant qu'il ne relève son visage et vienne poser cette même main sur son menton, plissant les yeux vers le juré, prenant le temps de poser ses mots avec une certaine sérénité et détermination.

- Mon cher... je pense avoir les moyens de votre ambition, en effet. Mais permettez-moi de vous demandez si dans ce cadre un peu complexe, vous souhaiteriez que je m'emploi à couper la "mauvaise herbe" d'une façon... douce ou... plus... comment dire... de manière forte si vous voyez ce que cela implique?

Victor cherchait à obtenir de son homologue quelques informations complémentaire pour lui venir en aide, la corruption était une chose mais d'autres méthodes pouvaient se révéler plus efficace et plus... définitives. Le mondain voulait savoir jusqu'où Ysarn était capable d'aller, ce qu'il était capable d'accepter pour se libérer de quelques entraves et atteindre ses ambitions. Mais avant qu'il n'a pu répondre, Victor se permit toutefois d'enchérir à la négociation car un tel investissement de sa part semblait propice à obtenir un peu plus que des gages de délais écourtés.

- Vous ne gagnerez pas seulement en temps, soyez honnête, vous gagnerez en coût. Encore que... faudrait-il s'assurer que vos fournisseurs ne jouent pas sur l'inflation des ressources et sur la position exclusive sur le marché... le monopole de matières premières par un seul exploitant peut le conduire à avoir les yeux plus gros que le ventre, si vous voyez ce que je veux dire... Mais suis-je persuadé que vous seriez trouver un accord qui satisferait les deux parties dans la durée... d'où ce gain de coût... d'où l'importance de votre requête à mon égare qui de fait me met en position de vous réclamer un peu plus que des délais réduits... Qu'avez-vous d'autre à poser dans la balance qui permettait d'équilibrer l'affaire? Qu'il soit lié OU non à mon projet personnel...

Laissait-il quelques manœuvres supplémentaire à son vis à vis, une offre ouverte et non quelques demandes plus fermées. De Rougelac savait qu'en affaire, certaines choses n'étaient souvent envisagé par avance et qu'une négociation pouvait aboutir à des accords qui n'étaient pourtant même pas envisageable avant d'entrer ce ce genre d'arène ou la verbe et les arguments représentaient les armes indispensables.

Plus farouche qu’il n’y paraissait, le Comte venait de faire à son tour, montre de ses qualités de négociant. Ces brigues là, l’intendant avait eu le loisir de les monter en bien des occurrences ; Le procédé était simple, accepter le palier, demander quelques clarifications et faire monter les enchères. Bonne volonté, vigilance et une pointe d’indécision feinte : La très vénérée trinité des estampeurs. Pas l’ombre d’un instant, le spectre d’une émotion quelle qu’elle fusse, ne s’était employé à creuser les rides du juré. La seconde partie du discours avait bien vite ôté de son faciès, toute forme de rictus ; Fermé qu’il semblait à présent, totalement hermétique aux saillies du noble. Ce qu’il maquillait sous ses abords austères, mélangeait bon nombre de préoccupations et bien sûr, ce qu’il fallait de fomentations. Une main caressante sur le pourtour du gobelet, l’autre plus cajoleuse encore, sur sa barbe taillée en pointe d’épieu, il fit bien mine de réfléchir. Ses yeux roulèrent dans leurs orbites, avant que ne se relâchent ses traits jusqu’ici raides et tendus comme les cordes d’un arc réflexe. A nouveau, ses lèvres s’étirèrent et il eut bien l’air de céder. Probablement parce qu’une favorable issue venait de projeter une maigre lumière, dans le dédale sombre de ses pensées.

-« Je vois que vous n’en êtes pas à votre coup d’essai. Mon sieur le comte, je suis homme, dans certains cas de figure, à préférer la substance à l’essence. Je gage que la pratique vaudra pour l’heure, toutes les spéculations. Que diriez vous d’une petite promenade sur les quais ? » - Éludant les questions du Gentilhomme, folâtre, il bondit de son siège, martelant le bois ouvragé de ses paumes. Si la suggestion était devenue une forme d’impératif, il ne manqua pas de rassurer son interlocuteur. - « Pour que notre affaire prenne corps, il faut avant toute chose que vous puissiez comprendre les tenants et aboutissants de mon commerce. Plus encore, cette excursion sera peut-être l’occasion pour vous de me parler de votre projet … Qui sait ? Peut-être y trouverez vous un site sur lequel bâtir ? »

Bien sûr, tout cela n’avait rien d’anodin, évidemment l’intendant savait où il menait sa barque et plus encore, il le faisait à ses fins. Le seul point d’ombre que le seigneur se devrait d’éclaircir, concernait les enseignements apportés par cette opération. En sortirait-il glorieux ou dépositaire de tristes enseignements, gravés dans son ego à ses dépends ? Ouvrant la porte, Ysarn attendit comme le décorum lui dictait, que passe son potentiel mécène. Bienfaiteur qui était à présent décisionnaire, de lui dépendait les « ramifications » qu’emprunterait leur partenariat. Si le juré savait à qui il avait à faire, si il avait évalué les périls auxquels pouvaient le confronter son audace, pour ne pas parler de témérité, il semblait confiant.

Victor épiait les moindres mimiques, mouvements, gestes qui pouvaient trahir les émotions de son interlocuteur, mais force est de constaté qu'il maîtrisait d'une main de maître son appétence. Un silence semblait s'installer dans l'office jusqu'a ce que l'attention du Comte de Rougelac ne se pose sur les mains d'Ysarn qui semblait perplexe, celon les codes en vigueur, le gobelet, sa barbiche, tour portait à croire que l'homme réfléchissait à la manière de prolonger leur débat voir leur négociation.

C'est alors que le juré se permit de flatter l'égo du mondain, subtilement mais bien avéré, avant qu'il ne reprenne les rennes de la rencontre d'affaire, proposant alors de sortir pour une balade qui se voulait... instructive pour l'un comme pour l'autre. Victor ne s'était pas vraiment attendu à une telle réaction et si l'intendant n'avait répliqué a la surenchère rondement menée par le quadragénaire, cela semblait être un silence ne pouvait être que de bonne augure, mais Victor était homme à ne pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tuer.

Ouvrant alors bras et mains, Rougelac semblait enclin à consentir à cet effort, si cela pouvait aidé à raffermir une quelconque entente potentielle, ne fallait il gâcher une telle opportunité. Tirant alors son siège vers l'arrière, se redressa-t-il pour prendre la suite de monsieur Vailescand et qui de convenance le laissa quitter la pièce avant lui.

Tout en franchissant le pas de porte, Victor se permit de glisser quelques mots à son intention, desireux de ne pas perdre la face et montrer qu'il était toujours son égale dans cette tractation ô combien importante pour les deux parties ici présente.

- Vous avez raison, plus j'en saurais, meilleur sera mon jugement dans la réalisation de notre potentiel accord commun. Seulement si l'occasion de vous en dévoiler plus sur mon projet sera à l'ordre du jour, ne le sera-t-il qu'une fois certaines incertitudes levées et certains gages... posés concrètement sur la table des négociations...

Un léger sourire en coin, rejoignit il le couloir, demandant à sa garde rapproché de veiller à sa sécurité lorsqu'il aurait foulé à nouveau les pavés extérieurs. Victor n'était homme à brûler les étapes et clairement comprenait-il que l'un comme l'autre ne souhaitait trop dévoiler son jeu au risque de donner matière à ébranler un rapport de force plutôt équilibré mais qui pouvait à tout moment basculer en la faveur d'une des deux partie. La prudence etait donc de rigueur, tour comme la sécurité d'ailleurs.

- N'y voyez aucun inconvénient mais je ne me permettrais de quitter ma garde personnelle. Depuis la Fange, les ruelles ne sont pas forcément des plus sûre. Restera-t-elle non moins des plus discret, je vous l'assure.

Ainsi le duo serait étroitement surveillé quelque soit le sol foulé sur le port et sur les docks. Ysarn était homme suffisemment avisé pour comprendre cette nécessité du noble, avec ses aventages et inconvénients.