Marbrume


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 En toute miséricorde.

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MalachiteMiséreux
Malachite



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MessageSujet: Re: En toute miséricorde.   En toute miséricorde. - Page 2 EmptySam 22 Juil 2017 - 12:19
On peut passer par des caves. Y a des endroits où les maisons sont détruites, mais pas les caves en dessous, du coup y a comme des tunnels sous les rues. Viens.

J'ai très envie de partir, ces quelques minutes à écouter Lucain discuter un milicien m'a beaucoup bouleversé. Sans parler du décor anxiogène. Je me sens perdu au milieu d'autant de bruits, y a trop de trucs à surveiller en même temps et j'ai plus les ressources pour m'adapter rapidement. Je suis une enfilade de petites rues, ces souvenirs là sont des vestiges des actes proto-criminels que j'ai commis pendant mon adolescence. Y a toujours des histoires de types qui veulent éviter d'autres types, et on peut gagner une petite pièce si on fait gentiment le guet à quelques points de passage obligatoires.
On marche un bon quart d'heure parce qu'il faut faire quasiment tout le tour pour arriver à l'endroit auquel je pense. Une promenade de santé pour des randonneurs de marais comme nous. Le terrain est plat, sec, et sans saloperies de ronces. On rentre dans les ruines d'une auberge, qui avait donc une cave. Contrairement à mon souvenir, elle est pleine d'eau – probablement ce putain de marais jamais asséché en dépit du bon sens. Ça m'arrive jusqu'au nombril. Et ça pue parce qu'il y a plein de cadavres décapités dedans, qui croupissent dans l'eau depuis des durées plus ou moins longues. J'ai l'estomac accroché depuis le temps, mais ce spectacle me fait quand même un choc. C'est vrai qu'une chouette trappe ensevelie sous les gravats d'une ex-auberge dans les quartiers pauvres, ça fait une super planque à macchabées. Mais du coup c'est le bordel.

Faut qu'on aille là dedans.

Je fixe Lucain, tout blanc. Ça fait beaucoup pour une seule journée. Il y a des rats, plein de rats énormes. C'est leur buffet à volonté ici. Y a même une mère qui a fait sa nichée dans les entrailles de quelqu'un un peu au sec sur des caisses. Je savais pas que j'avais peur des rats, mais en voir grouiller autant avec leurs sales petites queues visqueuses, c'est un peu rude. Et ils nagent ! Ils sont sales, tout noirs, très gros et ils se dévorent même entre eux. Je fais le premier pas pour descendre l'escalier. On entend plein de couinements et de petits bruits de pattes, ça pue comme peut puer une dizaine de cadavres dans l'eau. Y a un gros mâle qui sort par le trou qu'il a grignoté dans la cuisse de quelqu'un. J'ai un peu envie de pleurer.
Lucain me tire en avant, parce que j'ai commencé à me tétaniser d'émotion à mi chemin et qu'il faut bien avancer. On se retrouve dans de l'eau qui pue. Tellement sale que ça en est presque de la boue. Le chevalier tue rageusement des rats, pour se défouler peut être. J'essaye de marcher le plus près possible de lui. Y a des petites bêtes qui nous grimpent dessus pour être au sec et j'arrête pas de marcher dans des trucs mous qui croustillent au milieu. Je veux pas en savoir plus.

On suit quelques couloirs et salles tapissées de briques avec du mortier en voie de disparition, puis je trébuche sur quelque chose et je me mets à hurler parce qu'un rat m'a mordu à la cuisse. A partir de là tout devient une mêlée confuse où Lucain tue des petits animaux pendant que je cours partout pour m'enfuir de là en saignant. Finalement le chevalier me porte sur les deux derniers mètres et m'arrache le petit squatteur de la jambe. Lui aussi il s'est fait mordre à la main mais il en a pas fait tout un fromage. Une fois sorti de la cave et balancé au sol, je me roule par terre tout humide de jus de cadavre en me tenant la jambe. Le chevalier me laisse saigner et pigner deux trois minutes avant de s'impatienter.

J'y vais pas j'suis blessé ! J'y vais pas !

Puis je me mets à pleurer en cachant ma tête dans mes bras. Lucain m'a vu courir deux kilomètres sans broncher avec une entaille au couteau à la tête, alors il est un peu comme un con. Je peux pas lui expliquer que j'ai peur de Gilles, peur des gens autour, peur des miliciens dehors, tellement peur que ça m'éteint le cerveau.
Du coup il se met à négocier. Il m'explique que si j'y vais pas, je vais devoir faire demi-tour. Et repasser par les rats. Tout seul. Et ils vont me dévorer les yeux et la langue si je reste là par terre immobile près de leur territoire. Ces arguments pour gamin m'ont bien convaincu et je me relève docilement en m'essuyant le visage avec les manches.

*
**

On arrive à l'entrepôt. C'est le bordel dans la rue. Y a plein de putes. D'habitude il y en a autant mais elles n'ont pas le droit d'être si visibles. Y a même des hommes et des enfants qui ont l'air d'attendre, parfois. Une petite fille m'a dit « bonjour monsieur » avec un air bizarre, comme si elle essayait de... je sais pas. Imiter une femme adulte qui aguiche. Mais c'est pas possible, évidemment, alors mon cerveau l'a effacé. Y a beaucoup de gens bourrés. Beaucoup de porte et de fenêtres sont bousillées. On croise souvent des meubles et des restes d'approvisionnement divers au sol. Des sacs de grain vide, des tâches de sang avec des os d'animaux. J'ai jamais vu autant de bazar dans la rue, même dans les villages dévastés par les Fangeux. Quelques fois, de loin, on a vu des rassemblements qui ressemblaient à des bagarres. Et des fanatiques fous, évidemment. Souvent ils portes des sacs et des caisses. Des fois des gens, en civière ou non. On les reconnaît parce qu'ils ont des têtes de possédés et qu'ils marchent en groupe sans parler. Personne s'intéresse à nous.
Devant cette cour des miracles perpétuelles je m'arrête devant deux mecs en train de s'enculer derrière un lavoir. Comme ça. A deux mètres de la rue. Le petit rebord de l'étendue d'eau cache à peine celui du dessous, qui porte des jupons déchirés, et qui est très gros avec de la barbe. Tellement gros que le mec au dessus à l'air de vraiment galérer à s'arrimer. Je fixe la scène, surpris et fasciné. Lucain me tire par le bras et je me dépêche de le suivre, si jamais les pédés nous voyaient et se mettaient à faire des trucs horribles comme nous poursuivre pour se frotter à nos jambes ou va savoir quoi. Je l'interrogerai plus tard pour m'expliquer le grand mystère : bon sang de bordel, pourquoi ils font ça.
Là j'ai d'autres problèmes.

On arrive au dernier repaire connu de Gilles. L'entrepôt. Ma respiration s'accélère. Je suis dans un état second où je me sens comme un petit enfant en train de suivre Lucain. Il m'a sauvé des rats il sait ce qu'il fait.
Le fameux Gilles n'est pas caché du tout, il est au beau milieu de la salle, assis sur des fourrures plus vieilles que moi – et plus sales. Je l'observe de loin, mais lui me repère immédiatement et se précipite sur moi comme un oiseau de proie défoncé à l'exctasy. Ses doigts comme des serres me redressent le menton pour qu'il m'observe bien le visage, puis une fois sûr il m'a ébouriffé les cheveux. Geste qu'il a immédiatement regretté, vu que sa main est revenue avec un scolopendre et des déchets organiques. Moi je suis ai fait un sourire sans joie, avec le regard de celui qui est en train de survoler l'enfer en parapente, obligé d'atterrir.

Mais c'est le petit Malachite ! C'est un petit camarade lui ? Viens t'asseoir là !

Il me tire vers une fourrure qui pue. Le Gilles est tactile, et n'hésite pas à me tourner le visage ou à tirer sur mes gants pour me détailler. J'accueille ces tripotages comme je les ai toujours accueillis : avec indifférence. Je crois qu'il me voit comme un chat de compagnie ou un enfant.

Viens là ! Viens là !

Il me pousse sur une fourrure, m'en jette une autre sur les genoux et commence à ramasser des trucs dans une caisse. Une chope, une gourde, des œufs et un petit pot opaque. Il verse du lait dans la chope, puis y casse deux œufs, et y verse un liquide transparent. Puis il rajoute du miel au mélange. Et des poudres. Puis il me donne le tout.

C'est du lait de poule au calva. Beaucoup de calva. On fait ça pour les enfants, ça leur donne beaucoup de force. Bois !

Je me dépêche de le faire parce que je le sais capable de me faire boire. C'est pas que j'ai la vingtaine et de la barbe qui va le retenir. La boisson est très lourde, grasse et sucrée. Et pleine d'eau-de-vie qui semble avoir été distillée dans un pneu. Il me regarde boire en souriant et en me gratouillant le sommet du crâne. J'ai aimé son air désolé en voyant mes mains et mon visage. Depuis la dernière fois qu'on s'est vu je me suis fait battre par des gens de Traquemont, des bannis et des miliciens. Qu'il en éprouve de la compassion me fait plaisir.

Je te croyais disparu avec Philippe, mais c'est très bien tu n'es pas mort ! Moi j'ai eu beaucoup à faire en ville, mais c'est de mieux en mieux !
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Lucain d'AgranceBanni
Lucain d'Agrance



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MessageSujet: Re: En toute miséricorde.   En toute miséricorde. - Page 2 EmptyDim 23 Juil 2017 - 10:31
L’entrepôt ressemble au plus immonde squat qu’il m’ait jamais été donné de voir. Il est rempli de gens, de pouilleux diaphanes qui s’empressent de s’installer un peu partout. Maître Degrelle a eut le temps d’installer des tables et de l’outillage, mais leur fonction originelle semble avoir été détournée : Une table sert pour y installer un bébé qu’on change, une cuve a été transformée en brasero pour y faire cuire de la viande, avec des grilles au-dessus sur lesquels on place du poisson beurré. Tout le monde a l’air bête, hirsute, à moitié humains en fait. Du coup, c’est sans réelle ambition, et en serrant les dents, que je suis venu m’installer près de Gilles, en sentant le couteau dans ma manche.
Je dois avouer être étonné. Je m’attendais à ce que le prêtre excommunié soit entouré de forts-à-bras, de gens armés et capables de se battre. Je ne découvre qu’une bande de gamins de l’âge de Malachite, et quelques pauvres vieux, tout tremblants et décharnés, qui mangent du poisson volé et qui vivent dans la crasse.

Gilles a attrapé les bras de Malachite, et voilà qu’il se met à agiter la tête de gauche à droite, peiné.

« Vous avez été mordus par les rats ? C’est très très dangereux. On a découvert des corps avec des bubons il n’y a pas si longtemps, pour ça que la milice ferme le quartier. J’ai bien peur que vous n’alliez être infectés par la peste. »

J’écarquille les yeux, et mon sang ne fait qu’un tour. Je me sens absolument terrifié à cette idée.

« En plus les miliciens ne plaisantent pas avec ça ! Vous avez l’air de vous être donnés beaucoup de mal pour venir me voir.
Mais c’est quoi la raison au juste, mon petit Malachite ? Tu es banni, c’est dangereux d’avoir fait tout ce chemin ici.
Enfin bref, si tu veux te décrasser et de nouveaux vêtements, je peux m’en occuper. Ici nous avons pléthore de moyens, de quoi aider toute la population du quartier !
– Ouais, on l’a traversé le quartier, super travail. »


Mon commentaire dit avec grand sarcasme ne semble pas plaire. Toutes les paires d’yeux de merlans frits se tournent vers moi. Agenouillés face à nous trois, tous les adolescents terribles et indigents observent Gilles comme leur grand chef. Et connaissant Mala, ces gamins sont dangereux.

« Il est vrai que j’ai des difficultés à maintenir l’ordre... Mais tout va changer à partir de ce soir. Au moment où je parle, mes flagellants sont en train de s’armer de bâtons et de piques. Ils iront dans les rues pour chasser les pécheurs et les criminels.
– Vous êtes au courant que les chevaliers du Saint-Cippe veulent vous poursuivre ?
– J’en doute fort. Ils chassent les hérétiques, mais suis-je véritablement hérétique ? La curie de Marbrume n’est pas la curie Langroise.
Mais je trouve ça étrange de votre part de vous soucier autant de ça ; Pourquoi vous êtes ici ? Que voulez-vous ? »
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MalachiteMiséreux
Malachite



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MessageSujet: Re: En toute miséricorde.   En toute miséricorde. - Page 2 EmptyLun 24 Juil 2017 - 22:13
On va pas lui répondre "bah un mec nous a payé pour te tuer". D'une ça va nous mettre des bâtons dans les roues, de deux c'est pas dit que Gilles garde sa bienveillance après un truc pareil. Du coup je prends mon air le plus ingénu et je réponds :

Bah je suis venu te voir ! Puis moi je trouve ça bien qu'il y ait pas de milicien ici.

Gilles sourit et m'ébouriffe de nouveau les cheveux. La gogolité de ma réponse lui suffit. Ses nouveaux amis continuent de nous dévisager en silence pendant que je prends une gorgée de lait de poule. Ils ont l'air d'avoir tous mon âge, mon poids et ma crasse - sauf deux trois vieux en train de errer. Sinon y a des bruns, des roux, des blonds, des petits, des grands. Gilles me propose à nouveau avec un grand sourire de laver mes blessures et tout.

Je veux pas me laver ! Je fais que ça en ce moment. On y était encore hier.

Je serre mes genoux imbibés de jus de cadavre contre ma poitrine. C'est vrai quoi. Moi ma crasse je m'y étais fait, j'avais plus l'énergie et les moyens de la résoudre de toute façon. Et le chevalier s'en mêle, et il m'oblige à me regarder. Puis y a trop d'alcool dans ce lait de poule. Je fais passer ma chope à Lucain. J'ai un peu envie de vomir ce truc.
Et évidemment qu'est ce qu'il fait ? Il en remet une couche sur le fait que c'est bien de se laver. Quel connard. Il sucerai pour un baquet d'eau chaude et un savon. Je me mets à bouder mais c'est trop tard : on m'entraîne vers la salle de torture. Une cuve pour refroidir le métal reconvertit en grande baignoire. Ils parlent un peu des conneries humanitaires de Gilles mais je participe pas, je boude. Il explique qu'il a des visions du futur ou je sais pas quoi. Les jeunes ont besoin d'aide. Lucain lui parle comme si il se classait dans les vieux et l'ex-diacre l'approuve avec un sourire doux. C'est une bête en speech religieux le chevalier, et il étale sa tartine traditionnelle.
On nous abandonne avec la saloperie de baignoire. Et je commence à faire ce qu'on attend de moi, je passe mes fringues par dessus ma tête sans regarder Lucain. Je suis Sale. Tellement dégueulasse qu'il faut me laver tout le temps. J'ai la cuisse barbouillée de sang aussi, il faudrait peut être recoudre en fait.

Voilà ! Faut zoner là jusqu'à ce qu'on l'ai tout seul pour le zigouiller c'est ça ?

Lucain me fait le geste de me taire. On a l'air seul mais c'est pas une raison. Je le sais et je le fais pour l'emmerder. Je me précipite dans l'eau. Le chevalier s'extasie sur sa propreté, mais moi je la trouve surtout froide.
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Lucain d'AgranceBanni
Lucain d'Agrance



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MessageSujet: Re: En toute miséricorde.   En toute miséricorde. - Page 2 EmptyMer 26 Juil 2017 - 9:31
Je presse Malachite de finir sa besogne, avant de moi aussi me mettre à poil pour me foutre dans la baignoire, pendant qu’il détourne les yeux. Les bains, c’est un truc qui me manque, et je parle pas des bains chauds, souvent avec des putes dedans. Je parle du vrai bain, de la vraie eau et du mauvais savon qui racle la peau. Pour certains, surtout les petits nobles, c’est une torture que de s’immerger dans une eau glacée, à trembloter, et à s’irriter plus que de se laver. Mais pour moi, c’est une nécessité, avec celle de manger, de boire de l’alcool, et de dormir (Dans cet ordre). Il m’est souvent arrivé, au grand dam de Malachite d’ailleurs, de demander à un paysan de nous rémunérer avec un bain, après que nous ayons participé à une chasse ou au pistage d’une bête. À chaque fois, le petit s’est plaint, il s’est mit à geindre avec son ton plaintif, à chercher une excuse pour pas passer dans le bain. Et à chaque fois, comme un de ces chats qui répugne l’eau, il finissait effectivement à se frotter vivement en se jetant dans l’eau.
Mon comportement hygiénique est, selon lui, « pédé ». Alors je lui raconte la même sempiternelle histoire que je lui raconte à chaque fois. Comment on m’a appris à prendre des bains. Comment j’étais avec les soldats de l’ordre du Saint-Cippe en Orient, et qu’à chaque blessure, à chaque mauvais moment, nous devions nous décrasser pour empêcher la prolifération des infections, de la gangrène, de la fièvre, de ce mauvais mal qui guette tous les guerriers. Et là, à Malachite, je lui parle de l’histoire de Vulgrin VI « Cœur Pourpre de Cerf » archiduc de Gallance qui était le meilleur de tous les chevaliers et qui est mort après une agonie de douze jours à cause d’une simple flèche dont la plaie ouverte s’est salie.

Une fois que nous avons nettoyé nos plaies, on sort et on se retrouve devant un gamin de l’âge de Malachite, seulement avec la peau diaphane et sans poils sur le visage ; il nous intime de laisser là nos vêtements ; Malgré tout, nous les gardons, parce qu’à l’intérieur sont cachés nos lames, nos bourses, et tout un tas d’effets personnels. On se changera plus tard, en ayant volé de quoi se mettre des choses sur le dos.

« Où est père Gilles ?
– Père Gilles est parti avec ses flagellants. Il souhaite faire une distribution de nourriture dès à présent ; Mais il prévoit également de remettre de l’ordre dans son quartier.
– Et comment il compte faire ça ?
– Ses flagellants sont armés de bâtons et d’épieux, et ils lui sont dévoués. Ils n’hésiteront pas à fouetter et battre ceux qui ne se complaisent pas à ses ordres. »


J’agite vivement la tête en désapprobation. Je me demande pourquoi Degrelle nous paye pour le tuer quand le prêtre s’arrange bien tout seul de se tuer.

« Donne nous l’adresse, nous allons le rejoindre. »

Une fois ceci fait, je tourne les talons et m’en vais avec Mala, mais je lui chuchote discrètement, à voix basse.

« Bon. Parlons peu mais parlons vrai.
Notre travail c’est de faire en sorte que toute cette bande de gens quitte l’usine. Mais tu veux qu’on s’y prenne comment ? Tu crois qu’il faut lui parler honnêtement ? Comment on peut le convaincre ? C’est pas facile, d’habitude c’est moi qui m’y colle à faire que les gens fassent ce que je veux ! Va falloir que t’apprennes à être persuasif Malachite, à force de me regarder faire tu dois avoir quelques notions, non ? »
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MalachiteMiséreux
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MessageSujet: Re: En toute miséricorde.   En toute miséricorde. - Page 2 EmptyLun 31 Juil 2017 - 12:45
Non je ne sais pas. Il est très spécial comme gars.

Dis je en jetant un coup d'oeil aux adolescents silencieux et aux vieillards en train de traîner dans le coin. Y en a un accroupi sur ce qui ressemble à un tapis de sous vêtements sales et il est en train de se manger les croûtes qu'il a sur les jambes. D'autres vont et viennent en adoptant divers comportements chelou. Mais c'est plus vide qu'avant notre bain. Visiblement les plus valides sont partis. Il reste les gros maboules pouilleux et les grands pères. Pas de femme. Aucune.

On s'échappe de cette ambiance malsaine. La dernière image que j'emporte c'est celle d'un vieux tout sec en train de tirer le bras d'un jeune mec en plein délire, qui essayait visiblement de chier derrière une pile de tonneaux. Mais c'est pas tellement mieux dehors. On dirait qu'un éléphant fou s'est déchaîné dans la rue. Y a plein de débris de trucs, comme quand tu défonces tout pour rentrer dans une maison chercher quelqu'un et qu'il y a de la bagarre. Visiblement on a traîné des gens dans la rue pour les tabasser et ça s'est pas fait tout seul. Oui y a que deux trois cadavres dans la rue mais c'est énorme. En ville. Je crois que le mot "émeute" est pas déplacé en la circonstance.

Je prends la tête parce que Lucain connait aucune rue dans le coin et ne saurait certainement pas retrouver une adresse. Je me précipite dans les petites rues, où il n'y a pas de cadavres et où je me sens plus à l'abri. Je sais très bien circuler dans les marais, c'est un savoir que j'ai arraché avec les dents, lambeaux par lambeaux, pendant des mois. Je peux pas transposer ça en ville. Donc fatalement on croise du monde. Enfin un flagellant tout seul. Ca fait bizarre parce que tout est silencieux aux alentours. Pas de bruits de gens qui vivent. Ce mec là il déboule juste d'une rue et je sursaute comme un gros parano.

Toi le païen ! Essaies-tu de te cacher de Leur lumière dans ces ruelles sombres ?

Il pointe son gros doigt de connard sur moi. C'est un type avec une sale maladie de peau défigurante, on voit que ça. Ca lui mange le front, un peu l'arête de la mâchoire, des grosses pustules de la taille de l'ongle du petit doigt, pleine d'un truc jaunâtre. Et il vient me faire chier ! Le type est pas armé mais il commence à brailler des bondieuseries. Ca fait plein de bruits. Ca serait comme avoir un bébé qui pleure alors que t'es planqué dans un arbre au milieu de cents Fangeux endormis. T'aurais une légère envie de le secouer. Ce que j'ai fait, en un sens.

Ca peut paraître un poil violent vu de l'extérieur, mais faut se remettre dans le contexte qu'on est dans des rues en bordel et qu'un mec fou s'est mis à attirer l'attention sur moi. Du coup, oui, je l'ai planté. Qu'est ce que tu voulais que je fasse ?
En plein dans la gorge, bam bam, c'est allé vite. C'est Lucain qui m'a appris que si tu vises bien, le type se retrouve comme un accordéon percé et il fait plus de bruit. On continue notre chemin. Si il fallait que je m'écroule et que je fasse une oraison funèbre pour tous les morts, on y serait encore demain.

On a à peine fait vingt mètres qu'un second type déboule. Il a l'air aussi religieux que le premier, sauf que lui il a un gourdin avec des gros clous de charpentier plantés en travers. Ca lui donne une bonne allonge, meilleure que moi avec mon couteau à fromage. Le mec fixe un point derrière nous, je devine que c'est son pote en train de faire ses derniers spasmes d'agonie dans une mare de sang. Et moi je suis là avec ma bouille de métèque et des morceaux de trachée dans les cheveux. Faut mieux prendre les devants :

Y me voulait du mal alors que je suis avec Gilles, parce que j'ai une tête de païen.

Le mec a pas l'air hyper sain non plus. Il a pas de pustule mais il me regarde fixement avec des gros yeux de hiboux et y a du sang sur les clous de charpentier sur son arme. J'aimerais vraiment pas me prendre un coup de ce truc. Il devrait même pas pouvoir être menaçant comme ça devant moi, ça me met colère. Je me sens comme un chien battu devant un nouveau maître, et je suis pas un chien. Sa seule présence m'insulte. J'aimerais pouvoir m'en débarrasser comme l'autre.

Nan mais j'ai un truc à lui dire, laisse moi passer.

Echec critique de jet de discours.
Si seulement j'avais les moyens de tout buter devant moi. Ca serait une bonne façon d'aplanir les petits tracas de l'existence. Donc j'ai deux secondes de blocage où je me dis un truc du genre "bon sang, si seulement on avait déjà inventé le lance-flammes". Les deux autres bloquent aussi parce qu'on est au seuil d'un incident violent et personne a envie d'être le premier. Mais non, du coup je tente le jet de persuasion, vu qu'il paraît que j'ai appris auprès des meilleurs. Je sais pas si je deviendrais jamais à l'aise dans mes relations inter-personnelles. Ca me paraît impossible. Il s'est passé trop de choses. Mais si y a un truc que j'ai beaucoup entendu, c'est des bondieuseries à la con. Je devrais pouvoir bricoler la mienne non ? Déjà, pour faire un fanatique de bonne facture, il faut avoir une tête de possédé. Ca c'est la partie facile, j'le fais déjà quasiment spontanément. Ensuite faut bricoler un genre de monologue en assemblant des p'tits morceaux de ce que j'ai entendu par ci par là.

Rikni aurait pas guidé ma main contre un fidèle. Gilles m'a ouvert les yeux quand il était encore diacre et que tu te vautrais dans les péchés en attendant sa venue. Et même si tu me pulvérises avec ton machin là, j'ai pas peur du tout. Parce que je rejoindrai le royaume aquatique d'Anür avec le récit de la fin la plus pure qui soit : mourir en essayant de faire entendre Sa voix à un gros abruti. Laisse moi rejoindre Gilles bordel !

Le mec est vachement impressionné par toutes ces phrases. C'est pas tous les métèques qui peuvent te sortir un groupe nominal comme "le royaume aquatique". Je suis pas peu fier. Du coup le mec nous laisse passer, et va enjamber le cadavre de son pote sans un regard, en marmonnant un truc du style "j'ai de la religion à répandre à plus". Ces gars là ont pas le charisme de Philippe de Tourres, ils ont juste l'air de gros cinglés dérangeants.
Je continue à faire marcher Lucain à travers des tas de petites rues, et on discute à voix basses de conneries en marchant. Ca peut sembler chelou, mais c'est vraiment un truc que j'apprécie quand j'ai de la compagnie : que le monde s'écroule pas dès que je tue un type. On discute, on marche, tout va bien, c'est qu'un cadavre de plus sur la pile.
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Lucain d'AgranceBanni
Lucain d'Agrance



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MessageSujet: Re: En toute miséricorde.   En toute miséricorde. - Page 2 EmptyMar 1 Aoû 2017 - 16:12
« T’étais vraiment pas obligé de refroidir ce type ; Mais bon, c’est quand même impressionnant ton jeu de couteau ! Tu retiens vraiment la leçon ! L’élève est en train de dépasser le maître ! »

Fut un temps où la mort que je provoquais avait le droit à un minimum de cérémonie. La première fois que j’ai tué quelqu’un, je n’y avais pas pensé, avant de revoir son visage m’assaillir dans mes cauchemars. Aujourd’hui, j’ai tué tellement de gens que ça n’a plus tellement d’importance. Le mal est fait, hein, qu’est-ce que un ou deux gus de plus représente, pouvez-vous le dire ? Moi pour l’heure, je suis surtout content de voir avec quelle vitesse et souplesse Mala a réussi à faire saigner le gars qui bloquait la route, et quand bien même il n’était pas violent ni un danger pour notre duo, ne voilà pas une magnifique cible d’entraînement ?
Mais le plus impressionnant, c’est que le gamin a réussi à jouer à la bravade. D’habitude c’est mon rôle ; Malachite fait une connerie, des types viennent faire chier, alors il se met bégayer et à criailler des phrases genre « C’est pas moi » ou « Il était déjà mort quand je suis arrivé ! », de piètres arguments de défenses que je suis obligé de soutenir soit par un plaidoyer accéléré, soit par une sortie de crise, si vous voyez ce que je veux dire.
Je ne peux pas m’empêcher d’admirer comment les plusieurs mois passés ensemble lui ont permis de s’armer beaucoup plus qu’auparavant. Ajoutez à cela ses qualités qu’il avait déjà avant que je ne le rencontre ; C’est-à-dire sa précision à l’arbalète, ses capacités à se mouvoir et à s’orienter n’importe où, sa discrétion digne d’une ombre, son absence complète de remords, et il faut maintenant se rendre à l’évidence. Malachite est l’un des hommes les plus dangereux de Marbrume. Est-ce qu’il se rend compte qu’il pourrait faire une fortune en étant un tueur à gages ? Les marchands et les nobles de l’Esplanade le payeraient à grand frais, l’entretiendraient dans le luxe, lui et sa famille, et nul doute que dans toutes les ruelles du bas-quartier, la milice traquerait les rumeurs d’un assassin marqué qui ferait régner la terreur.

Il n’empêche. Nous continuons notre route. Nous remontons les ruelles étrangement silencieuses, rencontrant parfois des femmes qui s’approchent de nous pour mendier des pièces que nous ignorons, ou bien des mutilés sur le bas côté qui agitent la paume de leurs mains. Tout un tas de gens malades, comme moi et Mala nous risquerons peut-être d’être malades si la peste traîne véritablement dans le quartier. Et nous nous dirigeons, tels deux spectres à la recherche d’une âme à capturer, jusqu’à l’endroit où Gilles et ses flagellants sont partis ; Nous allons jusqu’à la place du Saint-Sauveur.

Nous nous retrouvons à nouveau dans une rue boueuse que nous remontons. Dans le ciel, de gros nuages s’accumulent, et menacent de pleuvoir. C’est une clameur qui nous attire ; Elle grossit alors que nous grimpons le long du chemin non-pavé. On aperçoit très vite un homme qui rigole et qui arrive vers nous en titubant. Moi et Mala portons une main à l’intérieur de notre manteau, pour attraper notre épée, prêts à nous battre ; Mais l’ignore se contente de continuer son chemin, en bas. On avance, toujours plus haut, avant de découvrir un étrange spectacle. En pleine quarantaine, les gens boivent. Des hurlements rigolards se font entendre, avec un écho provoqué par les pâtés de maisons vide. Des douzaines de personnes entrent ou sorte d’une auberge de laquelle on aperçoit les lueurs de bougies, et certains titubent et s’écrasent dans la boue, une femme embrasse une autre femme sur la bouche en la collant contre le mur, un vieux sort un couteau pour menacer un enfant qui s’échappe dans une ruelle avant de le courser. Abandonnés à eux-mêmes, ils se plongent dans la décadence, et ils ont la fête, et se tapent des murges effroyables jusqu’à vomir et mourir, pendant que leurs proches sont confinés dans leurs maisons barricadées et marquées d’une croix blanche, mourant à petit feu de la Maladie.
Mais le plus proprement terrifiant, c’est qu’à même pas une lieue d’ici, au bout de l’avenue au dénivelé moins élevé, tient une vieille église. Une église sale et boueuse, étroite, de vieille pierre. On est très, très loin des magnifiques cathédrales qui jettent leur manteau blanc sur le monde ; En fait, on est même loin des chapelles de châteaux ou des commanderies fortifiées. L’édifice est étriqué, voûté, comme une fille grande mais anorexique. Et sur toute la place qui s’échelonne devant, rien que du vide. Pas d’étals de marchands, pas de foire, pas d’enfants qui jouent à la soule ; Aucune circulation, mais quatre ou cinq cadavres enfoncés dans la boue, désarticulés comme des poupées qu’on aurait jetés, un la bouche ouverte, l’autre la tête dans le sol, en train d’être bouffés par les corbeaux. La cloche de l’église sonne, et mon sang se glace de peur ; Sur le perron de l’église, une dizaine de personnes attend. De jeunes hommes et de jeunes femmes, qui portent près d’eux de gros bâtons ou des verges, vêtus de longs haillons rapiécés, du sang séché à leurs pieds et indiquant leur chemin.

Moi et Malachite nous approchons. Étonnamment, aucun ne nous arrête ; Au contraire même. Ils s’écartent sur notre chemin, et nous ouvrent la porte. Je les observe chacun, un à un, alors que les deux bannis que nous sommes montons les quatre marches qui nous séparent de l’entrée. J’observe leurs yeux caves, leurs faces boursouflées par des pustules ou creusées par la faim, voire les deux, et leurs lèvres qui se retroussent, même si je n’arrive pas à interpréter cette grimace comme menaçante ou juste un tic étrange.
Nos pas frappent le dallage dans un écho qui se réverbère à l’intérieur. Une atmosphère pesante et lugubre me fait trembler le cœur et le corps. Une forte odeur de bougies et de cierges arrive dans mes narines alors que je marche le long de la nef qui donne à l’intérieur d’un édifice noir, rempli de ténèbres, où les murs sont couverts de statues montrant des saints et des moines qui nous regardent avec leurs yeux de pierre, glaçant mon sang tant j’ai l’impression qu’ils sont vivants. Tous les bancs sont occupés, sans pour autant être remplis. Et au milieu, près de l’autel, Gilles a revêtu son habit blanc de prêtre et ses ornements de sacerdoce. Je m’arrête en plein milieu, bouche bée, avant que Mala ne me tire la manche pour m’obliger à venir m’asseoir. On se retrouve à côté d’une femme enceinte, qui tient un chapelet entre les doigts et qui murmure des prières, tête baissée vers le sol. Je ne prête pas attention à elle, alors que je regarde le père Gilles qui lève les mains en l’air alors que les bancs clament une courte prière.

Douce Anür, qui juge les Cieux,
Protégez nos enfants.
Grand Serus, qui sème la Terre,
Gardez-nous de la famine.
Sainte Rikni, qui rampe dans les limbes,
Tenez-nous loin des vices.


La prière est courte, mais ils la répètent en boucle ; À chaque fois, ils demandent une nouvelle prière aux Trois, mais en changeant leur titre et leur demande, tel « Grand Serus, qui prodigue », ou « Bénissez les lames de nos protecteurs ». Je mélange tout à dire vrai, et n’y prend pas grande attention. Un sentiment d’anxiété m’a attrapé, et je ne peux plus que me concentrer sur ce qui se passe près de l’autel.
Gilles est proprement terrifiant. J’ai déjà vu des guerriers dans le passé, mais aucun à la face autant ruinée que celle du prédicateur excommunié. La moitié de sa face semble écrasée, noire, cicatrisée depuis longtemps. Il a un œil en moins, et c’est heureux, car je me mets à imaginer comment une telle destruction a pu lui arriver. On a dû le frapper avec une morgenstern, une de ces masses à ailettes de fer ; Peut-être que plusieurs coups l’ont assailli, assez pour faire des os de sa joue une soupe, assez pour crever son œil et le faire sortir de son orbite, encore pendant par un fil musculaire. Est-ce qu’il a hurlé ? Est-ce que son cerveau a été gratté ? Que Gilles soit en vie relève du miracle, et c’est peut-être pour ça que ce fanatique s’est mis au service des Trois.
Autour de Gilles, quatre personnes, dont une femme, sont nus, agenouillés, et lui montrent le dos. Alors que l’on continue de prier, Gilles leur lance de l’eau bénite, et trafique ce qui semble être un fouet qu’un enfant lui donne. Il murmure des prières, non pas en langue du morguestanc, mais dans la langue liturgique et ancienne. Il la recouvre d’eau, puis la tend au premier homme nu, tout en continuant de psalmodier, comme s’il voulait faire entrer quelqu’un en transe.

Anima Anür, sanctifica me. Corpus Serus, salve me. Sanguis Rikni, inebria me. Aqua lateris Anür, lava me. Passio Serus, conforta me. O bona Rikni, exaudi me. Intra tua vulnera absconde me.

Sa prière est vite couverte par les cris de l’homme, qui lève la verge et se fouette. Son cri perçant m’oblige à lever mes mains pour me couvrir les oreilles, une seconde, par instinct, parce qu’il fait écho à travers la chapelle. Mais je les baisse vite pour les remettre sur les genoux. Il se frappe à nouveau. Et encore. Et du sang semble dégouliner sur le sol autour de lui, et la robe de Gilles est tacheté de sang âcre.
Le spectacle continue alors qu’il arme le second. Puis le troisième, et la quatrième. Et les gens sur les bancs continuent de prier, et je les imite afin de ne pas attirer l’attention. Au bout d’un moment, tout le spectacle n’est plus que souffrance, et le cœur est entrecoupé des claquements de fouets sur le dos et les pleurs de ceux qui se fouettent eux-mêmes. Puis, Gilles met fin à la saignée, lève les mains en l’air, et hurle un mot :

« SILENTIUM ! »

Les pénitents lâchent leurs fouets. Ils pleurent. Ils se lèvent tremblant un peu. Et alors, un par un, Gilles les prend dans ses bras, tout comme ses assistants font de même. Les flagellants pleurent de tout leur corps, embrassent le prêtre et les diacres. Leurs larmes sont des larmes de joie. On amène des éponges pour laver leur dos, et on leur tend des haillons pour qu’ils se recouvrent et reprennent leur pudeur.
Les gens sur les bancs les applaudissent. Je fais de même après un instant de battement. La femme enceinte à côté de Malachite, elle aussi, se met à rire nerveusement et à pleurer de joie.
Gilles a un grand sourire, un sourire de moitié vu la destruction de son visage, et lorsqu’il lève les mains en l’air, tous se calment. Tous cessent leur clameur.

« Péché. Péché. Ce mot est si familier ; Ce qui est interdit, vous le savez. Et pourtant, voilà bien une idée complexe qu’il faut envisager.
Le péché n’est pas un interdit simplement parce que c’est la volonté des Dieux ; C’est interdit, car le péché est destruction, pour vous et pour les autres. Le péché doit être évité pour votre bien, car les Dieux nous ont tant donné, et nous ne pouvons en abuser.
La Fange est une punition divine. Mais mes enfants, entendez-moi bien ; Je vous ramènerai dans la lumière des Trois. Sinon dans cette vie, dans la suivante.
Je vous ai réunis ici pour cette messe et bien plus encore. Abandonnés à eux-mêmes, vos proches, vos familles, vos amis, ils se répandent dans le péché. Ils oublient les conventions. Ils se détruisent, au lieu de prendre en main leur destin, de s’unir pour se protéger.
Mes enfants. Notre quartier est prisonnier du prince. Mais je vais vous en sauver. Je vous sauverai tous, à condition que vous me fassiez confiance...
Dans quelques instants, les chiens du prince vont venir dans le but de se saisir de ma personne et de me punir pour avoir dénoncé leur corruption et leur oppression du vrai peuple de Marbrume, de ses indigents, de ses pauvres gens, de ses réfugiés qu’ils étaient censés guider et protéger. Ils vont venir avec des armes, prêts à se battre, prêts à faire baigner le sang. Ils sont une armée de vauriens et de tueurs, ils sont prêts à violer en imaginant qu’ils sont l’approbation des Trois pour commettre les pires péchés, les péchés que vous mêmes avez pieusement expié dans la douleur et dans l’amour. Je n’ai pas peur de mourir. Mais je ne souhaite pas donner ma vie inutilement.
Pendant qu’ils me poursuivent, je vais partir d’ici ; Mais certainement pas pour fuir, car la lâcheté est un péché dénoncé par la déesse Rikni. Bien au contraire. Je fuis en avant. Pendant qu’ils me poursuivent, je les punirai. D’ici à ce soir, Marbrume tremblera. »


La porte de l’église s’ouvrit. Un gamin arriva en courant, haletant, à bout de souffle, et se mit à hurler :

« Père Gilles ! Père Gilles ! Des médecins de la peste avec des épées arrivent ! Ce sont des chevaliers du Saint-Cippe ! »


Le prêtre se mit à sourire de plus belle, faisant apparaître ses dents pour moitié écrasées et pilonnées. Quelques personnes se mirent à se lever des bancs, et il y eut des rumeurs terrifiées.

« Du calme mes enfants ! Du calme ! N’ayez crainte, car je vous interdis d’avoir peur ! Vous devez être un roc !
Mes enfants, je sais que le Saint-Cippe vient avec ses chiens. Ils espèrent me tuer et vous écraser. Eh bien, voilà ce que je vous demande. Ne quittez pas cette église. Même sous la menace de leurs épées, les Trois vous protégerons ! »


Gilles se tourna et s’éloigna, vite accompagné par des flagellants, et pas des gamins ou des femmes enceintes ; Les flagellants qui suivirent le prêtre étaient des hommes costauds, grands, et bien armés. Moi je m’étais levé, comme d’autres gens se levèrent pour aller s’approcher du perron de la chapelle. J’attrapais Mala par le col afin de lui chuchoter quelque chose.

« Mais il fout ce gros con ? Qu’est-ce qu’il mijote ? Me dis pas que ce fou furieux va faire une connerie !
Tu veux qu’on le sèche ?! On peut le poursuivre et s’en occuper ! »
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MessageSujet: Re: En toute miséricorde.   En toute miséricorde. - Page 2 EmptyLun 7 Aoû 2017 - 17:54
Je... je sais pas, mais on devrait le suivre.

Je voudrais très fort m'en foutre mais j'y arrive pas. Je poursuis le diacre, déchiré entre deux raisons. Récupérer la thune de son meurtre ou laisser tranquille un des rares qui a été sympa avec moi. Les gens sont confus et effrayés autour de nous. La dame enceinte qui était à coté de moi, elle sentait mauvais très fort, elle avait l'air malade et elle arrêtait pas de me marmonner "le parasite est mort en moi". Là elle reste assise et elle regarde dans le vague, le museau en sueur. J'aime pas ce que je vois ici.

Gilles m'accueille avec un sourire et une espèce d'avidité dans le regard. Pour un mec tout bousillé du visage il a des expressions faciales vraiment intense, comme on en voit que chez les fous. Pourtant il roucoule mon nom et il m'ébouriffe les cheveux du plat de la main. Il a vraiment l'air de bien m'aimer, il me ferait pas de mal hein ? L'ambiance est assez anxiogène quand même.

Je sais que tu es trop loin de moi pour que je te sauve facilement, mais j'ai de quoi t'aider à Voir. Regarde ça de plus près, c'est joli non ?

Sa main a glissé sur l'arrière de mon crâne pour m'empêcher de reculer. Mais ce qu'il me présente a l'air inoffensif. C'es une jolie boule en argent très terni, creuse, finement ciselée pour former des arabesques dans un motif arachnéen. Je sais à quoi sert cet objet, j'en ai déjà vu. Les prêtres se baladent avec ça accroché au poignet pour répandre de l'encens pendant les parades. Pas tous. C'est pour donner de l'ambiance quoi. Rien à flipper avec l'encens non ?
Il est chargé d'ailleurs, il répand une fumée qui semble très épaisse et dense, elle ne s'envole pas au plafond mais reste près de l'encensoir comme un petit nuage d'orage. Gilles me fait pencher la tête pour que j'en renifle l'odeur ? J'en aspire une bonne bouffée.

L'odeur est forte, à un point insoutenable. J'en ai instantanément les yeux et le nez qui coule. Mes sinus brûlent, mes yeux brûlent, tout mon visage prend feu. Et mes poumons avec. Je tousse comme un cancéreux parce que ce que j'ai avalé ne contenait rien qui se rapporte à de l'air standard. Même en me faisant étrangler j'ai pas eu autant l'impression de foutre le zbeul dans mon oxygénation.
Mon premier réflexe c'est de gargouiller le nom de Lucain pour l'appeler à l'aide. Mais j'ai foncé droit devant pour pas perdre Gilles de vu et je sais pas si il est resté à deux pas derrière moi...

L'ex-diacre me chope par le coude pour me tirer derrière lui, sans que je lui oppose de résistance vu que je me noie dans mes glaires. Il évacue les lieux par la porte de service du personnel religieux - ça a probablement un nom mais je ne le connais pas. Au début, tout ce qui me préoccupe c'est de reprendre mon souffle, mais environs dix secondes après l'inhalation je comprends ma douleur.

Mes pupilles se mettent en mydriase aussi bien que dans un film, me donnant l'air d'une petite chouette très abîmée. Et ça monte en moi. J'ai envie de vomir, alors j'le fais en titubant derrière Gilles. C'est très fort comme sensation. Je sue, j'ai le coeur qui bat fort et vite, je tremble comme jamais un être humain devrait trembler dans le cadre de sa physiologie. Et tout mon champ visuel explose en milliards de couleurs et de dimension. Ce n'est pas agréable, en aucune façon. Je suis terrifié de me sentir empoisonné et fou. L'expérience est terriblement intense, la peau mutilée de Gilles est comme une Vallée des Horreurs qui s'étendrait à l'infini, la saleté alentours est une mer de décomposition et, globalement, tout ce qui existe sur terre est le superlatif de quelque chose d'abominable. Pour dire les choses en une comme en cent, je fais un énorme bad trip.

L'ex-diacre a des grandes jambes et pas moi, je le supplie de m'aider. Il continue de me tracter pour fuir les lieux, mais il m'assure qu'on va me purifier très vite et que ça ira mieux. J'ai qu'à réfléchir à mes crimes et comment les expier. Une excellente idée quand on est défoncé comme une volkswagen remplie de hippies. Je réclame Lucain avec une voix d'enfant.
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Lucain d'Agrance



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MessageSujet: Re: En toute miséricorde.   En toute miséricorde. - Page 2 EmptyMar 8 Aoû 2017 - 1:29
« Malachite ? »

Je suis séparé du gamin dans la foule. Il y a des petits chefs, des flagellants qui se mettent à hurler les gens pour qu’on appelle à la milice. D’autres personnes, plus intelligentes, cherchent à s’enfuir en hurlant pour se cacher chez eux. Ils ont raison. Je connais les chevaliers du Saint-Cippe, j’ai combattu à leurs côtés en Terre-Sainte. Je n’ai pas envie d’être face à eux. Vous savez pourquoi ? Parce qu’un homme qui vous torture et vous massacre, il reste un homme, un homme avec un cerveau, peu importe sa petitesse et sa primalité. Un homme méchant est souvent idiot. Un homme intelligent a souvent des remords, des moments de doute, pour ça qu’il hésite à enfoncer sa lame ou à attaquer des femmes qui lèvent les mains en l’air.
Les chevaliers du Saint-Cippe sont des hommes intelligents. Extrêmement intelligents, même. Une bonne part savent lire et écrire, ils sont éduqués, ils sont hommes de culture et de science, ils ont même des médecins et des artistes dans leurs rangs, une chose incroyable ; Ceux de ce calibre sont donc censés, en théorie, être capables de reconnaître le pauvre type en face comme un être humain, capable d’émotions et de douleurs, et donc réprouver l’idée de faire saigner. Mais les hommes du Saint-Cippe ont réussi à faire abandonner tout ça grâce à la désinhibition la plus puissante qui soit : Le fanatisme. C’est une arme incroyable, le fanatisme. Nous les soldats, on a tous besoin de se désinhiber, c’est pour ça qu’on file de l’eau-de-vie et qu’on saoule les miliciens avant les batailles. Mais eux, ils ont pas besoin de boire. Ils ont pas besoin de boire, car ils vivent apaisés et tranquillisés par l’idée que les massacres qu’ils commettent sont soufflés et ordonnés par l’autorité la plus puissante qui soit, l’autorité des étoiles et des planètes, l’autorité du cosmos et de tout ce qui nous dépasse, l’autorité DIVINE.
S’ils entrent dans cette église, ils massacreront tout. Je veux pas en faire partie.

« Malachite ! »

C’est surtout Malachite putain. Il a une tête de maure. Il s’exprime mal. Il fait souvent des choses folles quand il a peur. Qu’est-ce qu’il va lui arriver s’il tombe entre les mains des templiers du Saint-Cippe ? Le pire c’est qu’il est déjà entre les mains de fanatiques ; Il est loin de l’autel, là-bas, et je le vois partir avec des flagellants, quittant l’église, hagard, suivant père Gilles. Je trotte pour le rattraper, avant de rentrer dans quelqu’un que je pousse. Ma vue est bouchée. Qu’est-ce qui lui est arrivé. J’arrive jusqu’à la porte qu’un gars costaud et grand, en haillons et agitant un fouet couvert de sang est en train de boucler. Il tend la paume de sa main, et je le calme directement.

« Hé hé ! Je suis avec le père Gilles ! J’étais là à l’entrepôt ! Je dois le suivre !
– Mh mh ?
Il grogne en me considérant de la tête aux pieds.
– J’étais avec Malachite ! Il faut que je le suive !
– Oui, oui. Malachite doit suivre le père Gilles. Mais vous, vous devez rester ici. Nous devons défendre cette église face aux chiens hargneux et cruels des décadents.
– Au diable les putains de décadents ! Il est hors de question que je crève ici pour vos conneries !
– Malheureusement ce n’est pas aussi simple que cela. Vois-tu, mon frère, nous sommes tous des pécheurs. Et comme tous les martyrs, qui ont été brûlés, noyés, crucifiés, empalés, écorchés, écrasés, empoisonnés et asphyxiés, il n’y a que dans la douleur qu’on expie nos péchés. »


Je pivote la tête comme un hibou pour considérer la nef de l’église. Les grandes portes sont fermées, et voilà qu’on tambourine dessus. Voilà que de petits trous apparaissent à cause de haches qui creusent le bois. Voilà qu’il y a des cris, des cris de femmes apeurés, et des ordres aboyés de soldats prompts à se mobiliser. Mes yeux s’écarquillent alors que je regarde à nouveau l’enfoiré qui bouche la sortie.

« Commence donc par faire ce que tu prêches, frère ! »

Et là-dessus, voilà que j’élance mon bras droit vers sa gorge. Le petit couteau caché dans ma manche, tranchant comme un rasoir, glisse le long de sa gorge. Un jet de sang gicle vers moi alors que je me dépêche de me saisir de son bras pour le balancer en arrière sur l’un de ses collègues près de l’autel. Profitant de ce minuscule laps de temps, je mets ma main à l’intérieur de mon mantel et tire ma dague pour venir parer la massue que jette sur moi un troisième gus, baissant l’arme le plus bas possible, avant de lui foutre un coup de boule.
Je m’élance dans la voie maintenant libre, sans prendre gare aux gens qui rugissent et qui me pointe du doigt. Je descends à fond, pousse la porte de sortie, et me retrouve dehors. Là-bas, loin, loin au bout de la rue, j’aperçois un tas de gens qui jettent leurs manteaux blancs de prêtres auto-proclamés et de diacres sans sacrements pour ne garder plus que des vêtements civils. En un instant, les flagellants se transforment en honnêtes marbrumois ordinaires, et ils se séparent en diverses ruelles, ils s’échappent et se fondent dans la masse apeurée qui crie et qui s’enfuit, à mesure que la rumeur de ravage sonne au bruit de la cloche de l’église retentissante. Malachite est parmi eux. Et voilà que je m’élance à la poursuite de l’un de ces petits groupements. Je prends une grande inspiration, je penche mon corps en avant, et voilà que mon manteau vole derrière moi lorsque je commence ma course poursuite.

Je remonte la rue en plusieurs grandes enjambées. J’ai dans ma ligne de mire deux personnes. Ils entendent mes pas qui écrasent le chemin mouillé de flaques de pisses provoquées par les pots-de-chambres vidés par les balcons des maisons, ils peuvent, lorsqu’ils tournent leurs têtes, voir mon spectre qui s’élance vers eux. Pour n’importe quelle raison, ils décident de s’enfuir. Sûrement qu’ils me prennent pour un mercenaire, un templier, un milicien, ou un quelconque danger qui vient les menacer. En tous les cas, voilà qu’ils cherchent à m’échapper, en partant le plus loin possible et à toute allure.
Ils paniquent, devant. Je devine que je n’ai pas affaire à de grands truands. J’entends un crier à son copain. Ils descendent à toute vitesse le long de marches qui conduisent vers une minuscule ruelle étroite. Ils sautillent de partout, ils poussent un pauvre bougre qui marchait par là, m’obligeant à l’enjamber en sautant à pieds joints pare-dessus sa masse sans arrêter ma course. Je leur hurle de s’arrêter, mais mon ordre ne doit que les faire encore plus paniquer, car ils redoublent dans leurs forces pour tenter de s’enfuir. Mais comment ils peuvent me résister ? Ce sont des gamins, avec de petites jambes, qui doivent déjà être essoufflés et avoir mal aux mollets. Moi je passe ma vie à courir, avec une armure sur le dos, pour échapper à des fangeux.

À un moment, j’arrive au niveau de l’un d’entre eux. Je lui fais une prise de soule ; Ma tête baissant comme un bélier qui va charger, j’arrive jusqu’à pouvoir mettre mes mains sur ses hanches et les glisser autour de sa taille. Je fonce et je l’attrape pour le faire s’écraser par terre. Il écorche ses mains sur le gravier et la terre, tandis que son camarade continue de s’enfuir sans regarder derrière lui pour séparer son collègue. Qu’importe. Je suis bien assez occupé avec lui. Je le retourne pour voir sa face, j’écrase sa gorge d’une main et ferme le poing de l’autre pour le menacer. Et je lui aboie dessus, assez fort pour postillonner sur sa gueule, sa gueule d’adolescent qui a trois poils de moustache et des petits yeux apeurés et injectés de larmes.

« Gilles ! Où il est ?! »

Pas de réponse de sa part. Gamin a décidé d’être brave.

« Putain j’ai vraiment pas de temps à perdre avec ça. »

Je lui colle un pain dans le nez, assez pour le casser, assez aussi pour sentir mes doigts qui me font mal. Mais moi je ne laisse pas paraître ma douleur, contrairement à Gamin qui lui se met à crier et à tenter de lever ses mains pour repousser mon visage ; Voilà que je suis obligé d’attraper ses doigts qui s’approchent de mes yeux, pour essayer de les tendre. Et je répète ma question :

« Gilles ! Où va Gilles ?! Dis-moi où va Gilles ou je te détruis ! Enculé ! »

Normalement, l’interrogation est un exercice censé prendre du temps. La torture est tout un art, qui mélange actes physiques et actes psychologiques. Il faut souvent l’étendre sur des heures, voire des jours, ou même des semaines, selon la difficulté de la cible ; Cela dépend de ses espoirs et de ses principes, de ses possibilités de survie, de son endurance face à la douleur, d’à quel point il tient à sa famille ou à certaines de ses capacités motrices. Chez un fanatique, cette endurance est d’autant plus forte que je suis dans une situation compliquée. Il va donc falloir que je fasse l’exercice de la question extraordinaire en version ultra accélérée.
Je lui ouvre la chemise en sortant ma dague. Je lui enfonce le long du téton, que je commence à lentement sectionner. Oh bien sûr, je vous raconte pas ses cris plaintifs, ses atroces cris plaintifs, et comment il se débat sous moi, m’obligeant à devoir le sécher à coup de poing dans les côtes, jusqu’à en casser une. Il tousse très fort, panique, pleure. Et le pire c’est qu’il parle pas ! Le pire c’est que je suis obligé de m’occuper du second téton, de déchirer dans la surface de l’épiderme et des chairs n’importe comment, le genre sanglant des maltraitances que les brutes infligent dans les cours de récré.
Bizarrement, chez un garçon qui a le corps d’un enfant de quatorze ans et le niveau intellectuel d’un de huit, ça marche plutôt bien. Il se met à hurler.

« ARRÊTEZ ! GILLES IL EST PLUS ICI !
– Où il est ?!
– Il est parti ! Il... Il va faire son plan !
– C’est quoi son plan ?! »

Il répond pas alors je reprends la découpe. Mais cette fois-ci il se met vite à hurler derechef.

« Il... On... C’est... Depuis quelques semaines maintenant ! On... On récupère des cadavres pestiférés... Dans les égouts, où ils ont des miasmes... Dans l’entrepôt on... On les gardait... On... On les a embarqués sur une charrette...
Gilles a envie de les jeter dans l’aqueduc de l’avenue Saint-Laurent. »


C’est l’aqueduc qui file de l’eau aux nobles. Putain. S’il arrive à faire ça, il va foutre toute la peste sur l’Esplanade. Pas étonnant que le Saint-Cippe débarque en massacrant partout. En tout cas si Degrelle veut reprendre son entrepôt, il faudra qu’il le désinfecte tout entier, ça va prendre du temps. Et voilà que Malachite se retrouve avec ces tarés. Dans un certains sens, je me contrefous totalement de ce qui arrive à Gilles, qu’importe qu’il crève ou que son plan réussisse, ou même qu’il échoue et qu’il doive s’enfuir et se cacher en ville, traqué par les autorités. Moi ce que je veux c'est récupérer mon Mala... Et retourner vers Degrelle en sachant qu'on a fait ce qu'il a demandé.
En tout cas j’en ai fini avec le type. Je lève ma dague et la lève en l’air. Gamin hurle en levant les bras.

« NON ATTENDEZ JE VOUS AI TOUT DIT ! »

Il veut quoi ? De la pitié parce qu’il m’a parlé ? La pitié c’est que je l’écorche pas vivant oui. Je lui enfonce le couteau dans l’œil et voilà qu’il serre ses dents, que l’autre pupille se dilate, qu’il mord sa langue et que du sang lui sort comme de la bave. Je retire le couteau et me retourne, pour voir, à dix pas devant moi, un homme-oiseau. Un gars habillé en médecin de la peste, tout couvert de cuir et de maille, hermétique, aucun bout de peau qui paraît, avec un tabar sur son tronc qui représente une magnifique épée rouge sur un fond blanc. Un chevalier du Saint-Cippe. Il lève son épée et me hurle dessus.

« Non nobis Domina ! »

Faut que je retrouve Malachite avant que ça ne devienne le bordel ; Mais d’abord...
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MessageSujet: Re: En toute miséricorde.   En toute miséricorde. - Page 2 EmptyMar 8 Aoû 2017 - 10:28
Le cadavre de Philippe de Tourres vient se coller tendrement à moi. Une hallucination c'est pas un joli film en haute définition qui se déroule devant tes yeux, c'est une suite de tâches floues et de couleurs qui sautent et ça se met à ressembler à des personnes et à des choses. Une seconde je vois Gilles qui me papouille, celle d'après c'est un cadavre à moitié nu qui veut me torturer. Ma victime m'en veut. Je chouine un peu.

Mais l'ex-diacre est très gentil. Il me dit que je n'ai qu'à me confesser à lui pendant le voyage, et ma tâche en sera plus facile par la suite. On est assis à l'avant d'une charrette tirée par les flagellants, avec des cadavres à l'arrière. Je l'ai vu direct, celui du prêtre, mais Gilles a insisté pour me faire monter à coté de lui. J'ose pas m'enfuir de toute façon. J'ai trop peur, comme un enfant perdu et très malade. J'ai vaguement conscience qu'on m'a fait respirer quelque chose et que ça a foutu le zbeul dans ma tête, mais je peux pas arrêter les montagnes russes en cours de route.
L'ex-diacre me réconforte, m'asticote et insiste pour que j'avoue tout ce que j'ai sur le coeur. Philippe aussi me chuchote des choses, des choses horribles, mais je l'entends pas bien et c'est pas clair. Je sais qu'il m'en veut à mort en tout cas. Je raconte son trépas, mais pas par une suite de faits. J'insiste beaucoup pour dire que c'est de ma faute, aussi sûrement que si je lui avait tranché la gorge moi même et je hulule ma culpabilité en le voyant à nouveau allongé, mort, à moitié nu. Je vois jusqu'aux poils blancs de son torse, comme des fils d'araignées. Une sensation terrible de gâchis immense. Il est mort parce que j'étais trop con. Je le pleure comme jamais je l'ai pleuré.

Le cadavre de ma victime n'est pas très sympa. Elle me met ses doigts dans la bouche pour que je suce du jus de cadavre et ça me gène pour parler. Mais Gilles comprend. Il est gentil. Il me fait asseoir sur ses genoux. Il dit que je suis trop jeune pour voir des trucs pareils et que ça me rend fou, mais que ça va aller mieux. J'ose pas lui rappeler que j'ai vingt ans quand même et qu'il doit avoir l'air un peu con avec un barbu tout sec sur les cuisses.
Je déroule la liste de mes crimes. Le cannibalisme. Le vol. Le mensonge. L'adultère.La profanation de cadavres. La pédérastie. D'ailleurs il est très intéressé par ce dernier crime et il me demande beaucoup de détails que je lui vomis sans broncher. J'en arrive assez vite à la seule conclusion possible : je dois me suicider pour subir le jugement divin au plus vite. L'ex-diacre m'assure que ce n'est pas nécessaire, si je reste avec lui tout ira bien. Dans le monde cruel et sans nuance des hallucinogènes, ça me paraît une évidence. Mais on a pas le temps de faire toute ma confession bien, on arrive à destination avant.

Dans la foule au loin je vois Lucain. Pas une tâche de couleur qui se déguise en connaissance, le vrai chevalier. Je saute de la charrette, Gilles ne s'y attendait pas et ne parvient pas à m'en empêcher. Je me retrouve immédiatement perdu au milieu du chaos. L'arrivée d'un convoi de cadavres de la peste a provoqué un mouvement de foule, que je suis incapable de gérer. Je suis emporté et j'échoue le long d'un bâtiment entre deux tas d'ordures. Je me roule en boule en espérant que Lucain me retrouve avant Philippe de Tourres. J'ai trop peur je vais crever. J'ai peur des ours aussi. J'en ai jamais vu un en vrai, du coup j'imagine un gros animal poilu qui sent mauvais, un espèce de démon. On a tous des trucs qui viennent boxer dans l'angle mort de notre santé mentale, et moi c'est les plantigrades, voilà.

Quand le chevalier me retrouve, j'ai le pantalon sur les chevilles et je me suis fait une belle entaille à un millimètre du testicule droit. Il me sert le poignet presque à me le briser pour que je lâche l'arme. Je le regarde, bavant et délirant.

J'ai perdu Gilles. Faut que je me coupe la bite, Lucain, ça va me purifier ! Laisse moi ! Il faut tout purifier !
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Lucain d'Agrance



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MessageSujet: Re: En toute miséricorde.   En toute miséricorde. - Page 2 EmptyMar 8 Aoû 2017 - 22:55
Une femme se retourne. Elle pose ses mains devant sa bouche et se met à hurler de terreur. Immédiatement, l’homme à côté d’elle, peut-être son frère, peut-être son mari, peut-être un simple voisin ou passant, tend sa main pour la pousser et l’écarter de mon chemin, contre le mur d’une maison. Je ne les ai pas regardés. Tout juste les ai-je observés du coin de l’œil, dans ma vision périphérique. La même scène se répète alors que je marche tout droit, les semelles couinant et le barda métallique accroché à mon corps qui cliquette. Les badauds sont tournés en avant. En m’entendant, ils se retournent, me regardent, et se mettent alors à s’éloigner et à partir. J’aimerais bien être plus discret, mais c’est extrêmement difficile.
C’est extrêmement difficile pour un certain nombre de raisons qui fait que vous devez m’imaginer ; Je suis ensanglanté. Partout, partout j’ai du sang. J’ai du sang sur mon manteau, sur mon visage, j’en ai qui coule le long du bras. Ces liquides sont ou à moi, ou à d’autres malheureux. Il est poisseux, collant, chaud. Il me rend fou, surtout à cause de son odeur et de son goût métallique insupportable, car j’en ai jusque dans la bouche. Je suis armé ; Je tiens une épée par la lame, une longue épée qui ne m’appartient pas, et dont la pointe est dégoulinante d’hémoglobine qui commence à peine à sécher. Dessus est inscrite une inscription en langue liturgique, tout le long de la garde et du pommeau doré, en lettres gravées dans le métal précieux.

Gladio peribunt.

Oh l’ironie. Oh la douce ironie. J’en ris. J’en ai un sourire mauvais qui se dessine sur mon visage, avec les gouttes de sang qui tombent d’entre mes lèvres pour tacher mes dents. Ou peut-être est-ce juste les nerfs qui lâchent ; Il m’arrive souvent de me mettre à rire quand je suis au milieu du danger, avouez que c’est mieux que de se retrouver paralysé par de chaudes larmes qui dégoulinent de mon visage.
C’est l’histoire de ma vie en fait. Partout où je vais je laisse une longue traînée de cadavres. Le pire c’est que même la mort leur empêchent pas de me suivre.

La charrette a brisé le cordon de quarantaine de la milice. En fait, pour retrouver la trace de Malachite, ce n’est pas compliqué ; Je dus suivre le fil rouge de sang. Les flagellants ont blessé des miliciens, tué un ou deux. Ça a l’air d’être un début de panique dans la ville. D’après ma propre théorie, ils ont dû se séparer pour faire plusieurs coups de main et diviser les renforts de la milice. Les sergents du guet sont un peu comme des chasseurs ; Au départ il n’y a qu’un chien, puis tout le convoi de cavaliers qui vous sautent dessus. Il est idiot de commencer une guérilla urbaine face à des types nombreux, entraînés, et bien armés. Je crois qu’il s’agit plutôt de foutre le souk afin d’atteindre l’objectif final de leur avancée ; L’aqueduc Saint-Laurent.

J’ai rattrapé la charrette. Tout naturellement. Et voilà que je me suis retrouvé au milieu d’une foule qui s’écartait sur mon passage, comme l’huile qui n’arrête pas de se séparer de l’eau. Ils courent, ils tracent, ils s’écartent devant moi. Vers qui je dois me tourner dans ce conflit ? Qui est allié et qui est ennemi ? En réalité je viens déjà de tuer des membres des deux camps, templiers et flagellants. Est-ce que ça a encore un sens de rester ici et de voir comment le drame va se terminer ?
La charrette de Gilles est remplie de cadavres. Des corps morts et immondes, si bien qu’on dirait des fangeux. C’est ça, ce sont des fangeux ? Ou des pestiférés ? Ou je ne sais quoi encore ? Je n’ai pas envie de m’en approcher. Cela pue de miasmes infectés à plusieurs centaines de pas. Et la senteur attire, ironiquement, ceux qui portent un masque pour ne pas avoir à subir les germes qui volent.
La charrette est arrêtée par une bande de Saint-Cippiens qui se mettent à hurler au ravage. Ils arrivent de devant et de derrière. Gilles se lève avec un bâton et hurle à ses flagellants d’ouvrir un passage. Ils soulèvent leurs lances par les hampes, en face on tire les épées par le pommeau. Et voilà qu’ils se jettent tous deux dessus pour se meurtrir et remplir leur appétit d’acier.
Intelligemment je suis parti. J’ai fui, à la recherche du gamin que j’ai cru apercevoir de loin. Je le découvre dans une ruelle, le pantalon aux chevilles et un couteau dans la main. Le garçon a un air pitoyable et terrifiant. J’en ai écarté les yeux en le voyant. Et pourtant même moi je dois pas être tout beau, avec ma fripouille barbouillée de sang. Je décide donc de faire la seule chose qui me paraît logique.

Je lui donne un gros coup de poing dans la mâchoire. Malachite tombe en arrière, assommé et semi conscient. M’agenouillant devant lui, je l’attrape par le col, par les cuisses, et je le fais basculer sur mes épaules. Alors je m’enfonce dans la ruelle et m’enfuis, le plus loin possible, loin des cris de guerre, des hurlements des gens qui meurent, et des sifflets de miliciens qui commencent à se rassembler. Je fuis dans les petites ruelles sombres, priant à voix haute pour que les Dieux m’accordent leur protection.

Ironiquement, il semblerait que ni Anür, ni Serus, ni Rikni ne souhaitent me punir pour avoir tué quelques-uns de leurs fidèles les plus dévoués. D’impasse en jardin, de jardin en petite cour, je ne trouve aucun milicien. Me cachant contre un mur, j’attends qu’une armée d’assaillants, dont j’entends les bruits de bottes battant le pavé, termine de passer, avant de partir et de m’enfoncer au loin.
Je force la porte d’un petit cagibi et jette Malachite par terre. Je me retourne, ferme la porte et la bloque avec un pan de bois qui sied sur le sol, puis me colle contre l’autre côté du mur, l’épée proche de moi, paré à décapiter quiconque arriverait patrouiller par là.
Gamin grogne et bouge.

« Malachite, ferme ta putain de gueule ! Ne bouge pas ! »
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MalachiteMiséreux
Malachite



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MessageSujet: Re: En toute miséricorde.   En toute miséricorde. - Page 2 EmptyMar 15 Aoû 2017 - 12:10
Je comprends qu'il faut que je ferme ma gueule, mais pas pourquoi. Je m'en souviens plus. Ce qui me préoccupe actuellement c'est les ours, le cadavre de Philippe et la sensation d'être en train de mourir. Le produit qui se balade dans mon organisme me fait trembler et suer de façon surnaturelle. Les pupilles dilatées et le teint gris, je fixe Lucain du regard au milieu de cette mer de chaos. Tout se déforme, j'ai l'impression de voir les veines de l'ex-chevalier à travers sa peau. Même les veines de ses yeux. Il me fait un peu peur, d'autant qu'il me donne des petits coups de pied de la pointe de sa botte pour que je la boucle.

J'essaye vraiment de lui obéir. Je lui fais confiance. Mais au bout de deux minutes j'ai trop voyagé dans ma tête pour me rappeler d'où je suis. Et je me mets à parler dans ma langue d'origine. Des plaintes et des supplications, principalement. Je ne le fais jamais parce que ça a tendance à beaucoup inquiéter les marbrumois, et que de toute façon c'est pas marrant de parler si personne vous comprend. Mais là, je sais pas pourquoi ça m'est revenu et je marmonne tel un sinistre métèque. A l'oreille d'un mec du cru, je fais des bruits de possession. La langue que je parle comporte pas mal de h aspiré, de grognements et de sifflements.

Lucain se rend compte que je suis trop perdu pour le monde pour lui obéir. En même temps y a plein de mecs violents dehors et je fais du bruit. Il me bâillonne du plat de la main dans un moment de désespoir alors que des membres de son ancien ordre passent tout près. A travers les trous dans le mur, je vois clairement un bout de croupe de cheval qui frôle le mur. Je roule des yeux en chouinant ma morve dans la main de mon copain banni. Il doit quand même avoir très peur d'être seul pour subir des conneries pareilles.
Lucain enlève sa main de ma bouche, parce que vu que j'ai le nez bouché je commence à perdre doucement connaissance par manque d'oxygène. Mon coeur bat toujours comme celui d'un colibri sous cocaïne et je fais des trucs bizarres avec mes yeux. Les révulser, entre autre. Mon copain banni essaye de me faire dire ce qui m'est arrivé pour me retrouver dans un état pareil, comment j'ai pu me foutre dans la merde à ce point là alors qu'il m'a quitté des yeux seulement deux minutes. Mais j'arrive pas à lui répondre. Je marmonne à propos des ours et de Philippe, en entrecoupant ça de déclarations telles que "au secours des asticots sont en train de me dévorer la langue" dans un sabir mi-marbrumois mi-métèquien.
Mais personne ne vient nous tuer.

Lucain me remet sur son épaule pendant que je délire. Je vomis un peu de bile sur son dos, je la vois lentement couler dans la ceinture de son pantalon et lui imprégner les fesses. Il râle mais il m'abandonne pas. Si j'étais pas complètement inconscient de la réalité, je lui en serais reconnaissant. Même ma mère aurait pas supporté que je lui vomisse dessus.

En parlant de mère, une femme d'un certain âge se précipite sur nous comme un boulet de canon. Lucain lui pète pas la bouche parce qu'elle a l'air assez inoffensive. A peu près la moitié de mon poids, la petite cinquantaine, tellement courbée qu'elle a le menton dans ses seins et il doit lui rester à peu près trois dents. Elle me tire les cheveux pour m'examiner le visage en m'appelant "Dominique". Mais c'est pas moi. Un homme - son mari - arrive derrière elle en disant "c'est pas lui c'est pas lui".
La rue est devenue assez calme une fois que les Saint-Cippiens sont passés tout sabots dehors pour massacrer ce qui ne fuyait pas assez vite. On entend bien le bordel dans les rues à coté, mais pour l'instant, ici c'est calme. J'entends les hurlements d'agonie d'un cheval en train de se faire tailler en pièce vivant par une foule affamée. Du moins c'est ce que j'interprète.

L'autre sale enculé il a enfumé votre copain aussi ?

Demande le mari de la dame qui cherche Dominique à Lucain. Une fois qu'il a demandé des explications - pendant que je marmonne à propos des ours, la joue appuyée contre le rein droit du banni -, le monsieur lui explique que Gilles a drogué un tas de gamins dans le coin pour faire les Dieux-savent-quoi. Dont leur fils. Les enfants les plus jeunes n'ont pas survécu à la mystérieuse fumée, et visiblement je la supporte très mal aussi. Mais il dit que d'ici une demi-heure ça devrait commencer à aller mieux. Cette drogue donne une légère tendance à la culpabilité sans borne, à la transe mystique et à l'envie de s'auto-mutiler, tous les cinglés qui se frappent tout seul en respirent deux fois par jour. Lucain les remercie pour ces précisions. Moi je m'en fous parce que je suis beaucoup plus préoccuper par l'ours qui essaye de me violer ou je sais pas quoi.
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