Espiègle rencontre [Alix]

Assise par terre, contre un mur, la petite fille regardait les gens passer.

Elle avait mendié au temple un bon repas de midi, et, son petit ventre bien rempli, s'amusait à dessiner par terre des vagues dessins sortis de son imagination. Elle tenta aussi de tracer les lettres de son prénom, mais les formes commençaient vaguement à se déliter dans son esprit. Les apprentissages du gentil prêtre lui étaient chères ; mais c'était sans véritable succès qu'elle essayait, encore et encore. Dans sa petite tête blonde, elle imaginait ce qu'elle aurait pu écrire à sa maman, peut-être la fierté se peignant sur ses traits de noble. Et l'enfant imaginait alors, dans des brumes où elle prêtait les traits de maman-nourrice à sa génitrice, cette dernière la prendre dans ses bras, lui faire des excuses et lui expliquant de quel manière sa chère fille s'était faites enlever par des malandrins.

Recroquevillée sur elle-même, elle sourit à un passant qui lui donna une piécette, avant de se redresser. Alix se sentait de très bonne humeur : elle avait mangé avec Pyo et Leanne qui rayonnaient de santé, s'épanouissant au Temple comme de jolis fleurs dans un jardin aimé. Elle les aimait si fort ! Et malgré ce qu'avait ordonné l'ancien serviteur de maman, la fillette avait réfléchi à une solution concernant sa propre survie. Elle ne pouvait pas continuer à espérer trouver un travail facilement. Les jours raccourcissaient, devenaient plus froids de jour en jour, avec l'arrivée du gros temps d'hiver, sa vie devenait de plus en plus difficile.
Mais les bordels recherchaient tous les jours de nouvelles filles ! D'abord, elle pourrait certainement se placer aux cuisines, ou pour laver les sols, et ensuite, elle aurait de jolies robes comme toutes ces belles filles qui sentaient bon et qui dormaient dans des bons lits.
Il fallait dire que la fillette les enviaient férocement - mais elle les savaient occupées le soir. Elle se présenterait le lendemain matin, après avoir trouvé quelque part de quoi se coiffer.

Nul doute que l'esprit des bois serait tout content de savoir qu'elle affronterait l'hiver bien au chaud ! Et ce fut avec un sourire que l'enfant se recroquevilla un peu plus contre le mur pour se protéger des bourrasques soudaines de vent, en se drapant comme elle le pouvait dans sa petite cape, qu'elle bénissait au-delà de tout.

Elle allait fermer les yeux, lorsqu'une brusque altercation, à quelques pas d'elle, lui fit lever les yeux.
Un espèce de géant immense semblait en difficulté avec deux personnes de la garde. Elle se rappela vaguement son envie d'en faire partie, il y avait quelques semaines à peine - mais leur refus d'embaucher une fillette avait instiller de la rancœur dans son petit esprit enfantin.
Alix les observa, petite ombre invisible dans la pénombre, avant d'écarquiller les yeux. C'était peut-être un banni ! L'angoisse gonfla son âme encore tendre. Les souvenirs affluèrent, ceux où le pauvre banni, qu'ils avaient sauvé d'un fangeux, avait été envoyé droit sur les pièges qui "protégeaient" le village abandonné. Les cris qu'il avait poussé, les pleurs qui avaient inondés son visage, si peu de temps plus tôt.

Il fallait qu'elle l'aide !

Sous sa main, un os qu'elle avait rongé jusqu'à risquer de se casser les dents - ce n'était pas une arme qu'elle cherchait véritablement. L'enfant n'était pas sotte au point d'agresser la milice pour un inconnu, mais son geste n'aurait que peu de conséquences si elle pouvait peut-être sauver la vie d'un homme. Qu'est-ce qu'une bastonnade et quelques paires de gifles, si elle avait pu sauver ce gentil banni quand ils avaient pu s'aventurer au-dehors ?

La fillette aux cheveux infestés de poux se redressa en silence. Vite, elle ôta ses sabots pour se préparer à fuir ; et lança l'os, BIM, en plein sur l'épaule du jeunot de la garde.

- "Il a rien fait, laissez-le, c'est mon papa !"

Sa voix fluette sonna dans le silence comme une clochette. Tous les regards se tournèrent vers elle.
Elle leur tira la langue, éructa une grosse insulte bien vulgaire, et s'enfuit de toute la vitesse que lui permettait ses petites jambes. Brièvement, la gosse espéra que le banni avait pu s'enfuir aussi - mais elle ne pouvait guère y songer plus longtemps. Les pas précipités de l'adulte l'encouragea à se hâter et elle finit par se jeter dans un soupirail de cave, qu'elle savait cassé et dissimulé derrière des tonneaux.

Le pas du milicien s'éloignait, tandis que les battements de son cœur s'apaisait doucement.

Ouf. Ouf, par les Dieux !

Bien au chaud dans la cave de la maisonnette de ville, elle avait si peur de faire du bruit et d'alerter le monde qu'elle resta comme figée, de longues heures. Alix s'endormit, ou peut-être pas, elle n'en savait rien. C'était si confus ; mais enfin, elle sortit de sa torpeur. L'aube semblait approcher (déjà ?) et la terreur commença à naitre dans ses entrailles. Vite, elle sortit de sa cave, remis rapidement la grille, et repartit à son lieu de mendicité habituel. La garde était partie, tout était désert, et ce fut en se frottant les yeux qu'elle se recroquevilla à nouveau contre son mur.

Bientôt elle pourrait demander sa place !