Marbrume


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 [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare]

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MessageSujet: [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare]   [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare] EmptyVen 18 Jan 2019 - 19:46

Le Grand Temple de Marbrume, ses voûtes sombres et les immenses statues des Dieux dans le corps principal de l'édifice, ses dentelles de pierre, ses longs couloirs et ses murmures spectraux. En dehors des heures de prêche, lorsque la journée s'étirait sur ses dernières heures et que les croyants rentraient chez eux pour préparer le bouillon du soir, les lieux évoquaient plus un tombeau gigantesque où erraient quelques fantômes en robe de prêtrise qu'un lieu de culte. Du moins aux oreilles d'Ombeline.
Toujours impressionnée malgré elle par l'écho dans le bâtiment et la taille démesurée des Trois, elle qui croyait sans jamais chercher l'aval des représentants de l'église se sentait ici écrasée par la présence et le regard de ses Dieux. Le jour tombant n'éclairait déjà plus l'intérieur du temple aussi torchères et candélabres avaient été sortis pour la nuit. La lumière tremblotante des flammes jetait des ombres inquiétantes sur les murs, brouillant plus encore la perception défaillante de la jeune femme et lui causant même quelques frayeurs lorsqu'elle percevait un mouvement du coin de l'œil. Elle préférait pourtant s'aventurer dans ce lieu lorsque la grande majorité des croyants n'y était plus, évitant les bousculades involontaires et les chuchotements désagréables sur elle et son accompagnateur.

Marchant bien au pas à ses côtés, ses griffes cliquetant sur les dalles usées du temple, Kornog n'en était déjà plus à sa première visite des lieux. Comme l'avait prédit Clovis, le chien avait grandis et grossis rapidement, approchant de sa taille adulte un peu plus chaque jour. Sa gueule épaisse et ses longues oreilles droites en faisaient un magnifique spécimen de marbrumien que son éleveur avait veillé à dresser correctement. Après plusieurs semaines en compagnie d'Ombeline, l'animal avait pris ses marques et dévoilé une intelligence vive qui faisait le bonheur de sa maîtresse. Prompt à la suivre et à lui obéir, Kornog avait peu à peu adopté une attitude bien plus sage et sérieuse lorsqu'ils allaient se promener en ville, comme s'il était conscient de son rôle auprès de la jeune femme. Cela ne l'empêchait pourtant pas d'aller humer les bonnes odeurs sur le chemin ou de laisser sa curiosité de jeune chien l'entraîner à la découverte de tout élément nouveau qui l'intriguerait.
La fleur de trottoir tenant particulièrement à ce que son guide à quatre pattes soit familier de tous les lieux étranges où les humains pouvaient aller, elle n'avait pas hésité longtemps avant de l'emmener avec elle lors de ses visites au temple. Qu'il s'agisse de prier ou d'aller voir son désormais bon ami Aaron, toujours Kornog l'accompagnait. Il ne craignait à présent plus rien du silence pesant des chapelles ni l'odeur froide des pierres. En revanche, sa présence avait tendance à faire grommeler toutes ces bonnes gens venues prier, ce qui irritait la jeune femme. Aaron lui avait donné la permission de faire entrer le chien puisque celui-ci était propre et si d'autres religieux avaient abordé l'étrange duo pour s'enquérir de la raison de cette présence velue, aucun ne les avait jamais chassés.

Ce soir, Ombeline était venue pour passer un peu de temps avec le prêtre de sa connaissance et lui demander s'il aurait la gentillesse d'apporter quelques touches de couleurs à ses idoles de bois. En effet, elle possédait trois petites figurines représentant respectivement un cerf, un serpent et un poisson qu'elle avait acheté une à une à un marchand dans la Grande Rue des Hytres et malgré l'abondance de détails dans la sculpture, le bois avait été laissé brut ce qui chagrinait la jeune femme. Chargée d'une bourse un peu plus grande que celle qu'elle utilisait normalement pour ses économies et où reposaient les figurines sacrées, elle venait réclamer l'aide des bons yeux et des mains fort habiles du prêtre.
N'ayant croisé personne à son entrée dans le temple ni dans le corps principal où venaient prier les habitants de la ville, la jeune femme avait décidé de se rendre d'elle-même dans les quartiers des prêtres pour y rencontrer ou y attendre celui qu'elle cherchait. Dans le pire des cas, elle finirait bien pas rencontrer quelqu'un qui saurait la guider. Tenant fermement son petit chargement contre son ventre comme s'il s'agissait d'un bouclier, elle étirait les doigts de l'autre main vers la fourrure sombre de son chien pour ne pas le perdre dans la pénombre inquiétante des couloirs. De temps à autre elle percevait l'écho d'un pas lointain ou la rumeur étouffée d'une conversation, mais elle ne croisa personne malgré les nombreux tournants qu'elle prit. Lorsque le couloir qu'elle avait emprunté s'acheva sur un petit escalier descendant sous terre, elle marqua un temps d'hésitation. Il ne pouvait s'agir des catacombes, des dernières se trouvant bien plus en profondeur et étant bien mieux gardées, cependant elle ne gardait pas le souvenir d'avoir un jour foulé les étages inférieurs lors de ses pérégrinations en compagnie d'Aaron. Elle ignorait de qui pouvait se trouver plus bas.

Alors mon grand, tout droit dans les entrailles du temple ou demi-tour ? interrogea-t-elle à voix basse son compagnon.

Le chien tourna sa grosse tête vers elle et quémanda une caresse d'un coup de museau dans le creux de sa main avant de l'encourager à avancer. Peut-être ignorait-il où l'escalier allait les mener, mais il ne craignait pas de le descendre. Enhardie par la confiance de son guide, Ombeline noua solidement les cordons de sa bourse à la ceinture de sa robe et réajusta le capuchon de son long manteau pour couvrir sa tête. Le courant d'air qui remontait vers elle lui donnait des frissons. Une main posée contre le mur, elle descendit avec beaucoup de prudence les degrés de pierre, devancée par Kornog qui s'arrêtait régulièrement pour attendre qu'elle le rejoigne.
Après plusieurs minutes qui semblèrent une éternité pour la demoiselle, cette dernière arriva enfin au bout de ses peines. Le boyau mal éclairé qui filait droit devant elle ne lui inspira rien de bon, cependant son chien ne semblait pas sur ses gardes et elle aimait croire qu'il pouvait sentir le danger mieux qu'elle. Décidée à ne pas céder à sa méfiance futile, Ombeline longea le couloir toujours en effleurant l'une de ses parois du bout des doigts. Il faisait plus humide ici et les torchères désormais accrochées au mur étaient bien plus espacées les unes des autres, ce qui rendait la lumière encore plus chiche. Devinant la présence de portes lorsque sa main passait sur du bois, la belle-de-nuit était certaine de percevoir des bruits prisonniers de la pierre sans pour autant réussir à en déterminer l'origine. Ce qui ne l'empêcha pas de sursauter en entendant grincer une porte juste derrière elle.


Dernière édition par Ombeline le Jeu 7 Fév 2019 - 17:41, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare]   [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare] EmptyVen 18 Jan 2019 - 22:34
« Femmes et hommes, soldats et badauds, nobles et mourants. Tous trouveront leur chemin vers la lumière divine. »

~~~~

Doucement, soigneusement, l’homme reposa le bol de terre cuite sur la table basse qui trônait au cœur de la petite cellule qui lui servait de chambre. Une fine couche d’herbe broyée en pâte verdâtre formait le contenu du récipient, délivrant un fort parfum végétal qui harassait les narines de ceux qui n’étaient point habitués à la médecine traditionnelle des herboristes. Cesare n’était pas un connaisseur en matière de plantes et autres végétaux et ne pouvait se targuer de rivaliser avec les apothicaires et les herboristes de la cité, mais il avait apprit à préparer quelques basiques cataplasmes pour soulager les maux du corps. Si les prières étaient un puissant anesthésiant contre les souffrances spirituelles, il fallait parfois recourir à des méthodes plus terrestres pour venir à bout du fardeau de la chaire.

Avec une lenteur presque solennelle, le prêtre trempa deux doigts dans la douteuse mêlasse, extrayant une petite quantité qu’il contempla l’espace d’un moment à la manière d’un orfèvre détaillant les moindres détails de sa toute dernière création. Satisfait du résultat, il arqua légèrement le dos avant d’y appliquer son cataplasme. Les fines zébrures, encore rouges éclatantes, ripostèrent par un millier de piqures brûlantes le long des nerfs de Cesare, le suppliant d’arrêter ce supplice. Mais le jeune clerc poursuivit inlassablement, recouvrant ses blessures petit à petit, lentement et minutieusement, supportant la douleur avec la ferveur qu’il utilisait pour purger son corps de ses mortelles entraves. La limaille immaculée de ses dents brilla légèrement sous le reflet d’une chandelle unique à ses cotés, se mordant légèrement la lèvre inférieure tandis que le traitement touchait à sa fin. Puis le calvaire prit fin et c’est un long soupir qui s’échappa de la commissure de ses lèvres couleur de corail. Ses prunelles d’ambre se levèrent cérémonieusement pour contempler la tablette de pierre qui ornait le mur sur lequel reposait sa modeste couche, représentant les Trois dans toute leur Gloire. La gardienne, le père et la guerrière. La protectrice, le nourricier et la juge. Une fois de plus la douleur lui avait permit d’entrer en communion avec Eux, de se débarrasser l’espace d’un instant de ses hasardeuses pensées et ses rêves fiévreux. Le froid environnant des murs de pierre lui arracha un puissant frisson qui eut l’effet d’une gifle bienvenue, délivrant l’esprit embrumé de Cesare de ses songes interminables. Libéré de son état de rêve éveillé, le serviteur de la Trinité noua rapidement ses longues mèches derrière sa nuque avec une simple ficelle avant de s’emparer de sa robe tricolore qu’il enfila le long de son pâle corps. L’heure était idéale pour faire ses ablutions en paix dans les thermes réservés aux membres du clergé. Se purifier dans les eaux thermales en solitaire est un des rares plaisirs que pouvait se permettre Cesare, toujours obsédé par sa quête de rapprochement spirituel et de guidance.

« Ô douce Anür, accordez-moi à nouveau l’opportunité de baigner dans l’élément de votre sagesse. Puisse vos eaux éclairer mon esprit et dissiper doutes et remords. »

La représentation de pierre de la grande déesse resta de marbre, se murant dans un silence d’outre-tombe. La déesse était si belle et si inquisitrice à la fois, une figure d’autorité et de leadership, un phare dans l’obscurité et un feu de camp dans la tourmente. La fascination du prêtre devant les traits presque parfaits de la sculpture allaient parfois de l’admiration d’un adorateur à l’amour d’un amant frustré, imbibant ses pensées de désirs indécents qu’il chassa rapidement en massant l’arrête de son nez entre son pouce et son index. Les ablutions auront tôt fait de nettoyer toutes ces provocantes inspirations pour cette nuit.

Soufflant délicatement sur sa bougie, il alla pousser la porte de sa spartiate demeure, rejoignant le couloir faiblement éclairé par quelques torches éparses afin de ne pas irriter les clercs avec la fumée des flammes. Ces temps terribles obligeaient le clergé à garder les meilleures sources de lumière pour de plus rares occasions, se contentant de torches de qualité somme toute bien médiocre. Mais tant que la lumière était là, personne ne se plaignait réellement.

C’est alors qu’il surprit la chose. Une bête tout droit sortie des ténèbres. Une malveillante créature au pelage plus sombre que la nuit, aux longues oreilles de loup et au regard menaçant. Voilà ce qui traversa l’esprit de Cesare l’espace d’un instant, la surprise lui arrachant un sursaut tandis qu’il saisissait instinctivement la fleur d’iris métallique qui pendait à son cou pour se protéger contre cette malfaisante apparition.

« Par les Trois ! »

Reculant d’un pas, il s’apprêtait à psalmodier quelques versets pour exorciser l’abomination nocturne hors de ces lieux consacrés, puis la raison et la réalité reprirent leur place et c’est après quelques clignements d’yeux que le prêtre finit par comprendre à quoi il avait affaire. Un chien d’une taille particulièrement impressionnante mais rien de surnaturel. Durant un court moment, il aurait put sourire, rire de sa propre bêtise et même flatter la tête de cet animal. Mais c’était sans compter sur un facteur très important : ce chien se baladait dans les ailes privées du temple. Un animal errait dans le lieu le plus sacré de Marbrume ! C’est alors qu’il porta le regard vers une autre silhouette qui se découpait des ombres environnantes, légèrement éclairée par la décente lumière des flammes. Elle était de dos et couverte par un capuchon qui empêchait de déterminer son identité et encore moins son sexe, mais il remarqua que le canidé semblait la suivre au pas. Un frère ou une sœur aurait eu l’audace de briser la quiétude des lieux en amenant une bête ici ? Même les patients atteints des maux les plus virulents n’avaient pas le droit de pénétrer ces chambres de quiétude et de recueil. S’il s’agissait d’un des novices de culte, il allait être soigneusement sermonné par le brun.

« Un animal entre les murs de notre vénérable temple ? Vous feriez mieux de vous justifier, mon enfant. Quels esprits vous ont poussé à bafouer ces lieux consacrés ? J’espère pour vous que vous avez un solide argument. »

Son ton était sévère, mais pas menaçant. Un professeur grondant un élève indiscipliné, voici la parfaite représentation de ce premier acte. Bras croisés sous sa ceinture, il gardait une position droite et rigide telle une de ces statues de mausolée, son regard brillant d’une intensité accentuée par les torches environnantes. La vue du chien l’insupportait, mais en ce moment précis il désirait surtout savoir quel tête-brûlée venait d’enfreindre une des règles les plus basiques du Temple.
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MessageSujet: Re: [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare]   [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare] EmptyVen 18 Jan 2019 - 23:19
Si le bruit de la porte lui avait fait manquer un battement de cœur, le ton tout d'abord surprit de celui qui avait vraisemblablement ouvert ladite porte la rassura immédiatement. Il ne s'agissait que de l'un des résidents du temple qui s'était fait surprendre par la présence de Kornog, et par extension la sienne. Cette atmosphère étouffante la rendait bien plus nerveuse qu'elle n'avait voulu l'admettre jusqu'à présent et voilà qu'elle s'imaginait que des spectres hantaient les couloirs. Peut-être le prêtre accepterait-il de lui indiquer le chemin ?
Ombeline se tourna à demi vers la source de la voix et s'apprêtait à poser sa question lorsque les réprimandes se mirent à pleuvoir. Excellent, elle était tombée sur le seul prêtre pète-sec du temple. Voilà qui lui faisait ravaler ses bonnes manières et sa bonne volonté.

Tsss.

L'onomatopée agacée lui échappa avant qu'elle ne puisse la retenir et son chien la prit pour une invitation à revenir aux pieds de sa maîtresse. Au contact de la fourrure contre sa main, la jeune femme trouva un peu de la sérénité qu'il lui fallait pour répondre sans trop hausser le ton.

Effectivement, j'en ai un : ce chien est mon guide. Je n'y vois goutte dans ces couloirs à peine éclairés, sans lui je passerais mon temps à trébucher et heurter des murs, asséna-t-elle avec une certaine humeur. De plus, c'est le père Aaron qui m'a donné l'autorisation de le faire entrer.

Apaisant son irritation par quelques caresses derrière les oreilles et sous le museau de l'animal, la jeune femme tâcha de se rappeler qu'elle devait se montrer un tantinet plus courtoise et respectueuse de l'autorité religieuse. À plus forte raison si elle espérait que son interlocuteur ronchon lui montre le chemin sans la mettre à la porte. Peut-être était-il simplement agacé d'avoir eu peur du chien en premier lieu ? Ou un peu trop zélé en ce qui concernait le règlement ? Considérant qu'il était dans son intérêt de ne pas envenimer la situation, Ombeline repoussa d'une main son capuchon en signe de bonne volonté bien que cela ne change pas grand-chose pour elle : elle demeurait bien incapable de voir à qui elle s'adressait.
Ses longs cheveux noirs avaient été noués sans beaucoup de soin en une natte d'où s'échappaient de longues mèches folles et ses lèvres étaient maquillées d'un rouge écarlate éclatant. Même dans la lueur faiblarde du couloir on pouvait deviner le voile sur ses yeux clairs.

Je suis navrée d'avoir pénétré si loin dans le temple, je suis à la recherche du père Aaron justement. Et les lieux sont si déserts que je n'ai croisé personne avant vous malgré mes pérégrinations.

Kornog s'approcha pour renifler avec curiosité, quoi qu'à un pas de distance, les pieds et les jambes du prêtre.

Peut-être pourriez-vous m'indiquer l'endroit où je pourrais le trouver ? S'il vous plaît, se souvint-elle d'ajouter.

Une puissante odeur de plante lui chatouilla les narines, charriée par un mouvement de l'air. La belle-de-nuit n'était pas capable de différencier les composants de ce mélange, cependant il lui rappelait l'odeur des herboristeries de la Hanse. Se trouvait-elle dans le dispensaire des prêtres ? Il lui semblait que la partie réservée au public était à l'étage, peut-être les portes qu'elle avait senties étaient-elles celles des cellules pour les malades et blessés plus graves ? De quoi ajouter à son malaise présent.
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MessageSujet: Re: [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare]   [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare] EmptySam 19 Jan 2019 - 16:57
L’irritation du prêtre semblait être accentuée par le manque de « remords » exprimé par son interlocutrice. On lui avait bien apprit par le passé qu’il fallait respecter ses aînés, pencher la tête avec soumission quand ces derniers vous grondaient pour corriger vos fautes. L’habitude de devoir se soumettre à cette règle d’hiérarchie basique devint partie intégrante de la vie du prêtre qui portait un grand respect pour ses mentors et ses supérieurs tout en voyant les autres disciples et acolytes comme ses enfants, jeunes âmes attendant d’être modelées entre ses mains bienfaitrices afin de créer les parfaits serviteurs de la Trinité. Mais la femme qui lui faisait face se montrait peu encline au regret ou aux excuses, lançant une justification immédiate avec confiance sans trop titiller la patience délicate de l’ecclésiastique.

Le fait qu’un autre collègue ait encouragé cette jeune fille à s’aventurer en compagnie d’un animal capable de souiller les lieux saints à tout moment était une idée des plus épouvantables. Certains « frères » affichaient un laxisme bien trop négligeant pour leur propre bien et en voici le résultat. Cesare sentait déjà son sang bouillir comme le fer en fusion dans une forge de guerre. Puis tout bascula lorsque la demoiselle dévoila son visage. Non, ce n’était pas ses traits juvéniles ni son charme naturel et époustouflant qui frappèrent l’homme de foi, mais bel et bien ses yeux. Un regard où il ne pouvait lire ni émotion ni sentiment, où son propre reflet était pâle et fade. Un bref frémissement parcourut son échine, et ce n’était point le fruit du froid ambiant ou du cataplasme sur sa peau nue. La colère céda la place à une certaine condescendance, une compassion naturelle.

Sa position rigide se détendit et ses traits reprirent leur masque de calme et de quiétude. Souriant légèrement, il avisa le chien qui s’approchait lentement pour flairer sa robe avec curiosité. Le prêtre n’était pas spécialement un de ces individus qui répugnaient toute présence d’animaux dans sa résidence, seul ses préceptes dogmatiques s’exprimaient par la crainte de trouver, sur le chemin de retour, quelques traces déplaisantes du passage du chien, ou pire, qu’il prenne un livre ou un parchemin comme jouet. Le brun se permit même de caresser légèrement le museau de la noire créature avant de déclarer sur un ton plus serein et amical.

« Vous êtes toute excusée, mon enfant. Je comprends maintenant pourquoi vous ne vous êtes pas rendu compte qu’il s’agit des ailes privées des clercs. La faute revient au manque de vigilance de mes collègues et sans doute votre présence nous permettra de les remettre à l’ordre. Les voies de nos dieux sont vraiment fascinantes. »

Cependant, une question persistait dans sa tête, qui prenait de l’ampleur à mesure qu’il détaillait la jeune femme.

« Je ne me souviens pas vous avoir vu au sein du Temple, j’ose donc conclure que vous ne faîtes pas partie de notre clergé. Je m’excuse au nom de mes collègues pour vous avoir laissé rôder sans guide en ces lieux, je tâcherais de vous aider dans votre quête. Vu l’interdit de s’aventurer plus loin, je vais tâcher de vous aider dans votre requête. Que cherchez-vous donc ? Avez-vous besoin d’une bénédiction ? Peut-être souhaitez-vous confesser ? »

Dans ses mots teintés de bon sens, l’attentif devinera que l’intention première du clerc était d’empêcher l’intruse de s’éloigner d’avantage dans les entrailles de l’édifice, à cheval qu’il était sur les règles. Puis la logique voulait que tous les prêtres soient aptes à répondre aux demandes des fidèles. Il ne fallait pas développer chez eux un sentiment d’attachement à un individu précis, le collectivisme de leur union était sacré et ils représentaient tous la foi. Mais il arrivait des fois que Cesare désire chèrement briller entre ses pairs, être ce phare dans l’obscurité, l’idole du peuple. Peut-être même qu’un jour, il pourrait accéder au rang tant convoité de Haut Prêtre. Doux rêve, douce convoitise, tentatrice et terrible.

« J’en oublie les bonnes manières. Je suis père Cesare. »

Il aurait put sourire et tendre la main d’un geste accueillant, mais la condition de son interlocutrice rendait toute forme de communication physique … inefficace. Mais à quoi bon se servir du corps quand on avait le don de la voix ?
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MessageSujet: Re: [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare]   [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare] EmptySam 19 Jan 2019 - 18:03
Le ton plus compatissant du prêtre encouragea Ombeline à poursuivre ses efforts pour dominer sa mauvaise humeur. Elle ne se ferait pas mettre à la porte, ce qui était une bonne nouvelle, et n'aurait pas à subir de réprimande supplémentaire. Peut-être était-ce dû à son éducation pour le moins particulière à la Balsamine ou simplement à une préférence de son caractère, mais elle supportait très mal qu'on la gronde comme une enfant. C'était humiliant et insultant pour son intelligence. Et si elle ne voyait pas bien en quoi il pouvait être fascinant qu'elle ait réussi à s'aventurer si loin dans le temple, elle s'abstint de tout commentaire.

La voix du prêtre était agréable à l'oreille, juste assez grave pour être parfaitement audible même s'il parlait doucement mais point trop pour être effrayant. Elle ne l'imaginait pas très vieux malgré ses manières de grand-père acariâtre et sévère. Sans doute aurait-elle pu deviner sa taille et la couleur de ses cheveux s'ils avaient été en pleine lumière, cependant elle devrait se contenter pour l'instant de n'avoir qu'une voix à reconnaître ainsi qu'un arôme poivré de plantes mélangées.
Ombeline eut un peu de peine à dissimuler l'hilarité que lui provoquait la remarque quant à son appartenance au clergé. Outre son métier bien trop souvent accusé d'être la cause de tous les maux, elle n'avait ni l'âme d'une fervente ni l'esprit d'une bienveillante bergère. Les seuls fidèles qu'elle connaissait étaient ceux qui fréquentaient la Balsamine et quelque chose lui disait qu'ils étaient loin de ce qu'on attendait du pieu citoyen. Non décidément, cette idée était aussi absurde qu'hilarante mais elle n'en dirait rien à son interlocuteur. Ce dernier se proposait de l'aider, non pas à retrouver le prêtre qu'elle cherchait mais en suggérant implicitement de le remplacer pour la tâche qui devait lui être confiée. Il avait, après tout, de bonnes raisons de penser qu'elle venait pour un service commun tel qu'une confession, comme il le disait si bien lui-même. C'était ce que demandaient les fidèles en venant au temple après tout. Ombeline se mordilla l'intérieur de la joue, bien embêtée par cette proposition car son petit doigt lui soufflait que sa requête ne serait pas aussi bien perçue par ce prêtre que pourrait l'être une demande de bénédiction. L'inconnu se présenta tout à la suite de sa proposition, offrant une porte de sortie à la jeune femme qui s'y engouffra immédiatement pour retarder le moment de sa réponse.

Enchantée Père Cesare. Je m'appelle Ombeline. Et lui c'est Kornog, dit-elle en penchant la tête vers le chien.

À l'évocation de son nom, l'animal leva la truffe vers sa maîtresse qui le gratifia d'une caresse. Il était sage et se comportait bien, elle devait le lui faire savoir. Les leçons de dressage de Clovis étaient solidement ancrées dans sa tête tant il aimait répéter les choses avec sa façon bien à lui de s'exprimer.

Je ne viens pas pour une bénédiction ou une confession, ajouta-t-elle avec un sourire en coin impossible à réprimer. On ne se confesse que lorsqu'un secret coupable pèse trop lourd sur notre cœur, n'est-ce pas ? Je voulais simplement m'entretenir avec le Père Aaron, qui est un ami, et lui demander un petit service. Vous le connaissez sans doute de nom, il est architecte pour le temple.

La donzelle s'interrompit le temps de porter ses mains à sa hanche et défaire le nœud qui retenait sa bourse. Plongeant une main à l'intérieur, elle en retira la petite figurine de bois à l'effigie du cerf. Elle aurait préféré mentir et sans doute l'aurait-elle fait avec n'importe qui d'autre, cependant il lui restait assez de respect envers le clergé pour ne pas oser s'aventurer à ce genre d'exercice avec eux si ce n'était pas nécessaire. Peut-être qu'on lui remonterait encore les bretelles pour sa demande, néanmoins elle aurait la conscience tranquille pour avoir été honnête.

J'ai pu constater l'habileté de ses mains et la minutie de son travail aussi je souhaite lui demander s'il accepterait de peindre mes idoles. Il m'a dit qu'il aimait lire et écrire, manier le pinceau et la plume ne devrait pas lui poser de problème. Je sais qu'il fera des merveilles.

Passant délicatement le pouce sur les aspérités du bois, Ombeline fit tourner la figurine entre ses doigts avant de la remettre avec les deux autres dans sa bourse. Jamais elle ne se serait permis de faire une telle requête à quelqu'un d'autre qu'à l'architecte, consciente du peu de gloire que pouvait apporter une telle besogne. Il devait y avoir en ville assez d'artisans talentueux pour prendre une telle commande, mais elle espérait avoir un résultat plus précis et plus juste dans les couleurs si c'était un prêtre qui s'en chargeait. De plus, l'exercice de patience plairait sans doute au Père Aaron en plus de coûter moins cher à la fleur de trottoir. Tout le monde y était gagnant.

Par réflexe et parce que les ombres étaient un peu trop oppressantes autour d'elle, la jeune femme tendit de nouveau la main vers le mur pour y poser le bout des doigts, rassurée par le contact froid de la pierre. Ainsi elle était certaine de savoir d'où elle venait et où elle allait. La vague lueur orangée qui semblait venir de devant elle provenait sans doute des torches qui la séparaient de l'escalier et peut-être même de quelques bougies à l'intérieur de la pièce qui s'était ouverte juste à côté d'elle. La silhouette du prêtre en revanche se confondait avec la noirceur du mur. Ou bien était-ce la couleur sombre de la porte ? Maudit sous-sol sans fenêtres.
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MessageSujet: Re: [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare]   [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare] EmptySam 19 Jan 2019 - 21:33
La curiosité de l’ascète fut piquée au vif quand la dénommée Ombeline refusa poliment son sacerdoce, le faisant arquer légèrement son sourcil droit tandis qu’il croisait ses bras sur sa poitrine. Mais alors que cherchait-elle en ces lieux ? D’autant que le fait qu’elle se sente libre de tout désir de confession l’intriguait légèrement. Rares étaient les gens en ces temps obscures et incertains qui ne désiraient pas libérer leur cœur du fardeau de leurs doutes et leurs remords. Les saints n’existant pas d’après l’expérience de Cesare, du moins très rarement, il doutait que la jeune femme aux cheveux de jais ait une conscience tranquille et pure. Avait-elle un confident qu’elle jugeait plus apte à porter ses secrets qu’un membre du clergé ? Voilà qui serait compréhensible, mais triste. Une fois de plus le prêtre se rendit compte du long chemin que le temple devait suivre pour regagner son blason doré dans les cœurs des gens.

Une fois de plus, elle mentionna le nom d’Aaron et si la première fois qu’elle prononça ce nom il n’avait guère réagit, l’insistance de la visiteuse commençait à immiscer de douteuses préoccupations en lui. Le clerc en question était le porteur de rumeurs particulièrement bourdonnantes au sein de leurs murs consacrés, entachant grandement la sainte réputation de son rôle et sa crédibilité chez certains pairs, ainsi que les railleries des plus jeunes. Cesare fut toujours surprit qu’on n’ait pas remit cet individu dans le droit chemin de la Trinité mais à en juger par le laxisme latent des hauts dignitaires du culte, beaucoup de disciples s’accordaient nombre de petite entorses concernant leur religion, y compris certaines libertés d’interprétation et quelques petits moments de plaisir personnel. Il était désespérant de voir ces hommes se détourner de leur devoir ancestral et aller se consoler dans des plaisirs faciles et paresseux … mais pouvait-il juger ? N’était-il pas humain lui aussi, être de chaire et de sang, avec ses faiblesses et ses désirs, ses fantasmes et ses pulsions ? S’il commençait à se sentir supérieur aux siens, valait-il mieux qu’eux ? Une fois de plus, la dichotomie entre ses préceptes de modeste religieux et ses ambitions vaniteuses s’affrontaient dans son cœur avec la fureur de deux gladiateurs dans l’arène de ses principes.

Cela ne l’empêcha guère de voir différemment la juvénile demoiselle à mesure qu’elle mentionnait le prêtre à la vertu douteuse. Une amie chère ? Ou peut-être une amante assez audacieuse et confiante pour venir troubler la quiétude des lieux et rejoindre son prince ? Ou … par les Trois, autant de possibilités qui faisaient battre son cœur et serrer ses doigts si fort que ses articulations en blanchirent. Pourvu qu’il se trompe à son égard, les préjugés étaient un néfaste fléau, mais son instinct s’avérait souvent être un limier aguerrit. Si ses doutes coïncidaient avec la réalité, il ne saurait contrôler sa colère, restait à savoir sur qui la diriger.

Ses brûlantes suppositions s’apaisèrent lorsque son regard éclairé fut attiré par le petit trésor dévoilé de sa bourse. Se penchant légèrement, il admira le travail de sculpture qui se voulait fidèle aux représentations communes mais qui n’en demeurait pas moins banale en un sens. Un vrai passionné du culte aurait donné sang et sueur pour exprimer l’amour profond qu’il portait envers leurs créateurs et donner à son adoration forme physique. Cesare avait été, par le passé, témoin de véritables œuvres de génies dédiés à l’art clérical, véritables « magnum opus ». Là, il s’agissait plus de l’œuvre d’un artisan souhaitant vendre à bon profit des sculptures qui sauraient plaire aux petites gens de part leur symbolique. Rusé. Elles n’en restaient pas moins belles et le portrait qu’il se faisait d’Ombeline gagna un peu de couleurs sympathiques. Et puis ces sculptures avaient un certain atavisme qui pouvait plaire.

« Je comprends. Puisque votre requête est plutôt spécifique, je n’insisterais pas. Néanmoins je ne peux vous laisser poursuivre vos pérégrinations par respect envers les codes qui régissent ces lieux. Pas seulement pour votre propre bien mais aussi pour la réputation de votre ami, qui est déjà assez détériorée. J’enverrais un frère lui passer le message et vous pourrez vous rencontrer dans le Grand Hall, sous le regard bienveillant de nos Protecteurs. »

Un léger rire s’échappa de sa gorge déployée, ses paupières s’abaissant légèrement à mesure qu’il secouait lentement la tête.

« Quelle curieuse rencontre, n’est-ce pas ? Moi qui a pour habitude de ne voir que mes frères et sœurs de culte en ces lieux, voilà que les Trois m’envoient un signe. Difficile de l’interpréter, il est vrai. Maître Cuthbert, mon mentor, qu’Änur accueille son âme, me disait souvent que les rencontres les plus inédites avaient toujours un sens caché et un objectif précis. Parfois c’est une personne qui a besoin d’être éclairée et aidée, parfois c’est nous qui apprenons d’un sage déguisé en traits mondains. Peut-être que les Dieux nous ont croisé pour une raison particulière. Dîtes-moi donc, quel est votre rôle au sein de notre communauté survivante ? J’imagine que vous devez être une personne très intéressante pour attirer l’attention de frère Aaron. »

Oui, il s’agissait bien de sa curiosité qui s’exprimait. Son flair le titillait affreusement. Quelque chose en elle l’intriguait et il ne comptait pas lâcher l’affaire. Un peu comme ces requins qui mordaient à ne plus lâcher leurs proies. Jusqu’à ce qu’elles cèdent.
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MessageSujet: Re: [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare]   [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare] EmptySam 19 Jan 2019 - 23:23
Par bonheur il ne lui fit pas la leçon. Il était même tout disposé à l'aider en envoyant quelqu'un s'enquérir d'Aaron pour qu'il retrouve la jeune femme dans le hall, là où elle ne risquait pas de se perdre ! Consciente de la réputation que traînait derrière lui son déluré de prêtre, Ombeline ne rétorqua rien quant à ce que l'on pourrait dire de les voir ensemble. Elle songea un instant à Sydonnie en se demandant si la relation entre son amie et Aaron était connue au temple. Après tout, l'architecte n'était pas marié et la milicienne était encore jeune, peut-être que leur histoire déboucherait sur un aboutissement plus officiel que le temple approuverait ? Mais puisque le Père Cesare n'avait pas insisté sur ce point, elle préférait en déduire que l'idylle légère dont elle avait connaissance était encore un secret.

Alors qu'elle s'apprêtait à remercier le saint homme pour son amabilité, ce dernier reprit la parole. Toujours affable et bienveillant, il ne fit que s'étonner de l'étrangeté de l'existence ainsi que des rencontres que l'on pouvait y faire lorsque l'on s'y attendait le moins. Pourtant quelque chose dans sa voix, ou peut-être dans son immobilité, firent courir un frisson désagréable le long de la nuque d'Ombeline. Par réflexe, la main sous sa cape agrippa le tissu de sa robe et elle serra les dents. Tout ce baratin sur les dieux et le signe qui pourrait être cette rencontre la mettait mal à l'aise. Ne devrait-il pas plutôt ouvrir le chemin pour la guider ailleurs et aller chercher quelqu'un pour jouer les messagers ? Non pas qu'elle remette en doute l'existence de signes divins ou d'une volonté particulière de la part d'Anür, cependant elle n'était pas certaine qu'il faille voir dans son erreur d'aiguillage un présage quelconque. Cette hypothèse lui paraissait un peu trop exagérée, un peu trop grandiloquente, et n'avait rien à faire au milieu de leur conversation somme toute banale.
La jeune femme eut la très désagréable impression que la route vers les escaliers lui était officieusement barrée tant qu'elle n'avait pas passé avec succès toutes les épreuves et questions du prêtre.

Vous m'accordez bien trop de crédit, mon Père. Je ne crois pas que les Dieux m'auraient choisis s'ils avaient souhaité vous envoyer un signe.

Le maigre sourire sur ses lèvres avait totalement fondu et sa voix était descendue d'un ton. Il n'avait fait que poser une question innocente, poussé par une curiosité légitime. Il ne voulait qu'en apprendre plus sur les connaissances qu'entretenait l'un de ses confrères, pourquoi donc se sentait-elle mise à l'épreuve ? Elle imputa sa méfiance exacerbée à l'atmosphère oppressante du couloir, au silence qui les entourait et au ton sévère du prêtre lorsqu'il lui avait demandé ce que faisait là un animal. Voilà, elle n'était que victime d'un concours de facteurs malheureux et devait se défaire de ce frisson qui n'en finissait pas de descendre dans son dos.

Je n'occupe aucune place d'importance, vraiment. Le Père Aaron s'est pris de sympathie pour moi à cause de mes yeux. La communication entre nous demande quelques proximités et aménagements particuliers, je pense que l'expérience l'intriguait beaucoup. Nous en sommes venu à nous apprécier au fil des discussions.

Sans y prendre garde, Ombeline fit un petit pas en arrière. Elle qui n'avait aucun problème à dire où elle travaillait se retrouvait à présent incapable de dire la vérité toute crue. Elle ne voulait pas mentir mais elle ne souhaitait pas non plus dire la vérité. Lorsque ses yeux couverts de brume perçurent un changement dans la lumière, sans doute causé par un mouvement qu'elle imputa au prêtre, elle fit un nouveau pas en arrière. Cette fois elle pouvait le percevoir, devinant la ligne de ses épaules qui se découpait sur la lueur des torches en arrière-plan ainsi que le sommet de sa tête. Sans surprise, il était plus grand qu'elle.
Déterminée à ne pas se laisser plus intimider que ce n'était déjà le cas par la situation et l'attitude de son vis-à-vis, Ombeline releva le menton dans une attitude de défi et asséna avec bien plus d'assurance :

Je travaille sous les lanternes rouges de la Balsamine, mon Père. D'aucun diraient que mon rôle est de purger les passions qui dévorent de trop nombreux habitants. Un peu comme vous, siffla-t-elle avec un sourire en coin plutôt insolent. Alors comment devrait-on interpréter cette rencontre, si elle est bien l'œuvre des Trois ?
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MessageSujet: Re: [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare]   [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare] EmptyDim 20 Jan 2019 - 20:39
Durant les premières secondes qui suivirent l’ultime réponse d’Ombeline, le prêtre resta confus, tentant d’interpréter les dires de la jeune brune. Son ton, néanmoins, avait laissé un goût peu agréable dans sa langue et quelque chose lui disait que ce qu’elle insinuait risquait fort d’être encore moins agréable. Quel métier avait le don de purger des passions ? N’était-ce pas le rôle du clergé, justement, de le faire ? Et ce nom, la Balsamine, ne lui était pas si étranger. Intrigué, il fronça légèrement des sourcils à mesure qu’il fouillait dans l’antichambre de son esprit pour y trouver les réponses à ses questions. L’attitude première de crainte de la visiteuse ajoutait plus de perplexité à Cesare, lui donnant l’impression qu’elle craignait révéler sa profession. Quel terrible secret cachait cette amie d’Aaron ?

Aaron. Balsamine. Passion. Proximité. Plus il mastiquait ses mots entre ses lèvres muettes et plus il ressentait un arrière-goût particulièrement amer. Lentement, le sens de tout ceci commença à faire surface dans l’océan confus de sa tête, changeant peu à peu son expression condescendante en un masque de moins en moins amical. La surprise, d’abord. Puis l’indignation. L’homme aurait put rougir à cet instant, non pas par pudeur mais par la chaleur qui commençait à faire bouillir ses veines. Tentant de ne pas céder à des pulsions haineuses, il essaya de contrôler sa fureur en inspirant profondément l’air frais chargé de la senteur d’encens, retenant sa main tremblante qui n’avait pour seule envie que de fuser telle la foudre de Rikni. Sa mâchoire était crispée et son corps tendu comme un arc tandis qu’un de ses sourcils palpitait dans un soubresaut incontrôlable.

Quand, finalement, il parvint à parler, son ton avait perdu toute sa douce chaleur et sa quiétude. C’était désormais un souffle sorti d’une sombre caverne, un frémissement aussi glacé que les catacombes à leurs pieds. Il semblait mâcher ses mots, preuve qu’il contrôlait à peine un courroux terrible.

« Vous avez beaucoup d’audace de me révéler ceci avec votre sourire enjoué, je dois le reconnaître. Mais est-ce réellement surprenant de la part d’un être qui vend son amour, la grâce de Serus, pour l’or ? »

Se mordant la lèvre inférieure sous une canine blanchâtre, il poursuivit à mesure que son regard n’exprimait plus qu’un dédain singulier.

« Maintenant je comprends mieux. Les pièces du tableau sont enfin clairement ordonnées. D’abord vous traînez un animal dans un lieu dédié au culte, puis vous vous aventurez dans les quartiers privés des clercs et enfin parmi toute l’armée de bienveillants serviteurs des Dieux qui sont à votre disposition, vous choisissez celui dont on ne connait que trop bien sa passion incontrôlée. Tout compte fait, les Trois ont eu raison de vous remettre entre mes mains. Votre simple présence est un blasphème en soit que notre vénéré temple ne devrait souffrir. »

Cesare fit un pas, un seul. Mais le son de son pied contre la dalle, cette façon dont il avançait comme une statue de marbre foudroyée d’une vie nouvelle, l’intensité de ses prunelles éclairées par la lueur des torches et rivalisant avec l’obscurité qui recouvrait le reste de ses traits. Tout en lui transpirait désormais l’intimidation naturelle d’un inquisiteur irrité. On entendrait presque son cœur battre aussi puissamment que mille tambours de guerre … ou la mélodie martiale qu’on jouait avant toute pendaison digne de ce nom. Le prêtre n’était pas un monstre et encore moins un croisé aveuglé par les idées de guerre divine et de massacres de tout ce qui échappait à sa compréhension, mais il pouvait se révéler être un terrible représentant de la justice divine, inflexible et implacable comme l’acier. Sous son gant de velours se cache une main de fer. Il peut caresser avec tendresse tout comme il peut châtier avec rudesse.

« Et on se demande encore pourquoi notre cité est toujours assiégée par les abominations hurlantes qui frappent à nos portes ? Le repentit n’a pas gagné tous les cœurs, il semblerait, puisque certains continuent à exercer les sordides traditions de survie primaire, utilisant la chaire plutôt que l’esprit comme moyen d’échapper à l’horreur de la réalité. Et dire que l’espace d’un instant, j’ai commencé à développer de l’affection pour vous à la vue de ces statuettes … hélas, il ne s’agit que d’un subterfuge, certes ingénieux, pour arriver à des fins si peu honorables. »

Frapperait-il la rose de nuit ? Non, ce n’était pas très honorable pour un homme, surtout un prêtre. La colère l’aveuglait, obstruait sa raison. Et puis le chien qui accompagnait la fille nocturne était assez imposant pour dissuader les moins téméraires à tenter le diable. D’ailleurs, ne porterait-elle pas une quelconque arme entre les plis de sa capuche ? Une femme aussi peu attachée aux règles sacrées peut aisément enfreindre l’interdit du port d’armes. Dissimuler un couteau serait aisé pour celui dont la conscience est aussi peu scrupuleuse qu’un assassin aguerri. Retenant les rênes de sa fougue belliqueuse, Cesare préféra ne pas se précipiter, envisageant même de faire appel aux frères qui devaient sommeiller ou prier dans leurs chambres respectives. L’idée de taper un scandale entre les murs du temple le répugnait, mais si elle lui forçait la main …

« Quelle noire journée qui se termine. Si les murs qui nous entourent avaient des yeux, ils pleureraient tant votre présence même est un sacrilège envers notre vertu. J’espère au moins que vous ressentez une parcelle de honte dans votre cœur de pierre ! »

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MessageSujet: Re: [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare]   [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare] EmptyDim 20 Jan 2019 - 23:38
Bien sûr qu’elle avait échoué à cette épreuve, comment aurait-il pu en être autrement ? Son instinct le lui avait pourtant soufflé, elle ne devait attendre aucune bienveillance de la part de l’homme face à elle. Ses amies de la Balsamine disaient souvent qu’en perdant la vue, Ombeline avait gagné le droit de voir plus nettement l’âme humaine que le monde autour d’elle. Un don utile pour choisir ses clients mais qui ne la prémunissait pas des mauvaises actions. Elle avait lutté, s’était persuadée que son malaise venait d’ailleurs, mais il n’était plus l’heure de se voiler la face, la cause de sa méfiance n’était autre que le prêtre lui-même.
Un odieux, présomptueux et agressif petit prêtre qui, à l’instant où il comprit quel métier elle exerçait, quitta ses faux semblants de gentillesse pour se dévoiler tel qu’il était vraiment. Sans grande surprise il s’empressa de la calomnier, déversant sur elle tout ce qu’il pouvait avoir de mépris et de dégoût. Silencieuse face aux assauts, la jeune femme recula tout de même d’un troisième pas lorsqu’elle l’entendit en faire un dans sa direction. Même avec Kornog à ses côtés, elle était consciente de sa vulnérabilité.

Le jeune chien, sensible au changement de ton et d’attitude des deux humains, se tint bien droit sur ses pattes aux côtés de sa maitresse, les oreilles pointées en avant et laissa échapper un grondement rauque. C’était son rôle de protéger et il ne craignait personne, même pas un humain qui haussait le ton, ce qui rasséréna un peu la demoiselle sans pour autant faire reculer son assaillant.
Non content de la dénigrer, Cesare enfonça un peu plus le clou de la réputation d’Aaron au passage. Quel exemple de compréhension et de pardon ! Et il osait lui faire la morale à propos de repentance et d’honneur. Mieux valait être sourd que d’entendre un tel monceau de bêtises. Évidemment, il ne manqua pas l’occasion de l’accuser implicitement d’être une menteuse et d’avoir tenté de s’infiltrer dans le temple sous un faux prétexte, comme si le but de l’existence d’une prostituée était de ricaner de façon maléfique en méditant sur la meilleure façon de souiller un lieu de culte.

La fleur de trottoir avait l’habitude d’être traitée de la sorte. Ce n’était pas plaisant et elle ne s’y faisait pas, elle ne s’y ferait probablement jamais, mais elle avait appris à se taire en attendant que passe la tempête. Mahaut lui répétait toujours que les hommes les plus vindicatifs étaient souvent ceux aux penchants les moins avouables, cependant ce n’était d’aucune aide lorsqu’il s’agissait d’endurer le courroux d’un prêtre. À un représentant de la foi elle ne pouvait pas répondre comme à la piétaille qui venait se saouler au bordel, tout de même. Elle ne pouvait pas…

J’espère au moins que vous ressentez une parcelle de honte dans votre cœur de pierre !

Oh la ferme !

Ses mots sifflaient avec une rage mal contenue qu’elle se découvrait elle-même à l’instant. Comme si quelque chose enfoui depuis longtemps venait de se soulever au fond d’elle, quelque chose de trop gros pour qu’elle le retienne.

Mais regardez qui parle de cœur de pierre et de honte : un homme qui vient de m’assurer qu’il m’aiderait et qui reprend immédiatement sa parole pour m’interroger encore et encore, jetant des accusations sans aucunes preuves. Les Trois doivent se lamenter chaque jour qui passe d’avoir au sein même de leur temple une âme aussi froide et perverse que la vôtre.

La méchanceté était monnaie courante à Marbrume, quiconque restait en ville plus de quelques heures y était forcément confronté. Les gens devenaient méchants à cause de la faim, à cause de la peur, à cause de la peine, ils pensaient à survivre plutôt qu’à leur prochain et Ombeline la première. Mais on lui avait appris, et elle avait toujours pensé, que les prêtres et prêtresses étaient différents du peuple. Elle pensait qu’ils étaient meilleurs, qu’ils avaient les dieux plus à leurs côtés que quiconque et que cette présence les aidait à se montrer plus compréhensifs, plus patient et plus bienveillants. Voilà pourquoi les croyants pouvaient se fier à leur clergé, voilà pourquoi même en étant une fille de joie contrevenant aux ordonnances divines, Ombeline espérait encore trouver auprès d’un homme ou d’une femme de foi la parole attentive et juste d’une âme éclairée. Cette parole, ils avaient été quelques-uns à la lui accorder, y compris le père Aaron. Pourtant l’homme qui se tenait devant elle n’avait rien à voir avec ce qu’elle attendait d’un prêtre, rien à voir avec la présence apaisante et réparatrice qu’elle recherchait dans un temple.
Pourquoi devrait-elle lui témoigner le moindre respect alors qu’il agissait comme le plus bas des traîne-misère, à rabrouer les catins dans la rue ?

Ce qu’il faut être mesquin pour juger les gens à partir d’une rumeur ou de leur profession. Et bien hypocrite de rejeter toutes les fautes du monde sur quelques personnes. Est-ce ainsi que vous sermonnez tous vos fidèles ou ne dois-je ce traitement de faveur qu’à l’honnêteté dont j’ai fait preuve face à vos questions ? demanda-t-elle avec le plus d’impertinence possible.

Il était trop tard pour s’excuser et il finirait sans doute par la mettre dehors manu militari, alors à quoi bon se restreindre désormais ?
Ombeline serrait fort le pli de sa robe mais ne baissait toujours pas la tête, son regard fouillant la pénombre épaisse devant elle. Le gris de ses yeux semblait plus sombre encore lorsqu’elle fronçait les sourcils et si elle n’était pas bien impressionnante par la taille, elle dégageait néanmoins une impression de volonté farouche bien plus grande. Elle ne cèderait pas sans rendre quelques coups.

Et il faut être bien naïf pour penser que c’est de l’amour que je vends, ajouta-t-elle avec l’air de se moquer, cherchant à piquer au vif l’orgueil de l’homme. Peut-être les dieux ont-ils jugé qu’il serait bon pour vous de passer entre mes mains afin de l’apprendre, puisque vous semblez avoir des lacunes élémentaires ?
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MessageSujet: Re: [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare]   [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare] EmptyLun 21 Jan 2019 - 13:59
« Oreilles bourdonnantes, vision embrumée. La colère résonne comme une centaine de canons. »

~~~~

La rébellion. Le refus d’accepter les leçons de ses aînés, aussi dure soient elles. L’insolence face aux réprimandes, l’aveuglément d’une jeunesse condamnée à répéter les erreurs de leurs ancêtres en un cercle vicieux et corrompu. L’indocile haussait le temps devant une figure d’autorité religieuse, inconsciente du sacrilège qu’elle commettait et nourrissait après chaque mot craché comme le venin d’une nerveuse vipère dont on aurait troublé la quiétude de sa tanière. Elle aboyait bien plus fort que son animal de compagnie, sortant griffes et crocs pour défendre le semblant de fierté et d’amour-propre qu’elle pensait avoir, aussi méprisable soit son gagne-pain.

Oh, maître Cuthbert. Martyr partit trop tôt, emporté par l’affreuse tourmente de ses pronostiques et la folie qui le rongea. Le sage qui l’avait sauvé des griffes de ces malfaisants soldats de fortune, le père dont il avait besoin, un modèle de piété et de servitude divine. Ne lui avait-il pas dit que les femmes de peu de vertu étaient de véritables succubes aux langues plus mordantes qu’un fouet de ronces ? Elles appâtaient les esprits simples de leurs charmes et leurs promesses de réconfort, traînant dans la boue les principes de Serus qui n’encourageaient pareils ébats que durant les mariages fêtés sous la lumière des temples ! Et cette insolente osait lui faire un serment ?

« Silence ! »

L’ordre siffla entre les dents serrées de l’ascète comme le frottement d’une lame d’acier dégainée de son fourreau, tranchante et sec. Les yeux jetaient des éclairs et on pouvait même deviner la palpitation d’un nerf sur son front.

« Qui es-tu donc pour oser parler de dieux et de leur jugement, toi qui chaque jour bafoue leurs noms par ton existence même ? Non contente de n’éprouver ni honte ni regret, tu t’infiltres dans notre domaine et tu défis du regard un des servants du temple. Je me demande encore ce qui me retient de ne pas te châtier pour cette intolérable insolence ! Les frères alentour te corrigeraient adéquatement, sois-en certaine ! »

Dégoût et rage lui montaient jusqu’au cerveau, lui donnant un air de père furieux contre sa fille. Doux euphémisme.

« Je te juge, oui, car tel est notre rôle après tout. Me crois-tu stupide pour ignorer tout ce qu’on raconte sur vous ? Harpies se prétendant être des filles de Serus et des réincarnations d’Anür, offrant une solution temporaire aux malheureux perdus, les plongeant un peu plus dans la dépendance comme la plus infâme des drogues. Impitoyables, vous n’hésitez pas à les caresser au sens du poil, les flattant, les envoûtant, leur promettant mille merveilles au sein de vos demeures maudites. Combien d’hommes ont-ils rompus leurs mariages par votre faute ? Combien de maladies avez-vous propagé par vos fornications malsaines ? Le jour, vous venez embrasser les idoles de la Trinité. La nuit, vous attendez patiemment que des proies aveugles tombent entre vos filets, sirènes féroces. »

L’éducation du père fut sévère et très poussée vers la vision extrême de toute chose. Quand les livres sacrés encourageaient un certain acte, ses aînés la glorifiaient avec zèle et fanatisme, l’endoctrinant à redoubler de fougue et de passion dans ses prières, ses ablutions, ses jeûnes. Quand, au contraire, on parlait d’interdit, les tuteurs du jeune brun devenaient maîtres dans l’art de diaboliser chaque détail de la chose, pouvant peindre les péchés comme de véritables démons à cornes et aux yeux de braises incandescentes. Combien de cauchemars terribles Rikni avaient distillé dans les rêves du fidèle pour appuyer les dires de ses mentors ? Des visions épouvantables d’âmes tordues et mutilées, hurlantes et gémissantes, parfois poussant un rire dément ou des pleurs à en arracher des frissons dans le dos.

« Ton honnêteté ne camoufle en rien la gravité de tes actes, mon pauvre enfant. Tu dis que je suis un être mauvais, mais n’est-ce pas ce que dit la marmaille rebelle à leurs sévères parents quand ces derniers les sermonnent pour leurs bêtises ? Je suis un berger, il est de mon devoir sacré de vous remettre dans le droit chemin avant que vos pratiques néfastes ne vous poussent, vous et les malheureux qui vous suivent, dans la gueule des loups qui hantent nos nuits et nos rêves, que Rikni les foudroient. »

Tremblant sous les pulsions qui l’emportaient, la force de ses émotions était telle qu’il dut s’adosser contre le mur glacé le plus proche, sa main porté vers son cœur battant la chamade. Contrôler sa colère fut une épreuve fatigante et difficile, comme maîtriser une bête sauvage qui ne cherchait qu’à se libérer de sa cage et creuser une tranchée sanglante devant elle. L’exercice psychique éprouvant n’en était que plus épuisant du fait que, tout récemment, le père s’était adonné à son rite personnel d’apaisement par la punition, une couteuse solution contre le stress et le fardeau mental de ses missions quotidiennes. C’est dans la douleur qu’il parvenait à contrôler sa santé mentale, à ne pas succomber à l’atroce réalité de leur monde à mesure que chaque confession qu’il accordait lui révélait les tâches de gangrène qui rongeaient l’âme des gens comme autant de tumeurs purulentes.

« Je vais rien à apprendre de vous, malheureuse ! Vous êtes comme le prédateur inconscient de sa propre vulnérabilité. Qui sait ce que vous réserve le sort si vous poursuivez vos odieuses pratiques ? Un jour ou l’autre, quelqu’un vous fera du mal entre les rideaux de votre chère demeure, ou vous transmettra les Dieux seuls savent quel nouveau maléfice. Mais il n’est pas trop tard. Vous pouvez encore être sauvée. Nous pouvons éclairer votre chemin couvert de ronces et de miasmes. »

Lentement, il tendit une main charitable vers la rose de nuit, son expression se faisant moins menaçante pour miroiter le ton qui s’était atténué pour devenir moins inquisiteur.

« La rédemption est un droit accordé à tous les enfants des Dieux. »

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MessageSujet: Re: [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare]   [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare] EmptyLun 21 Jan 2019 - 21:24
Pour vous défier du regard, encore faudrait-il que je puisse vous voir, avait-elle marmonné entre ses dents sans que le Père ne relève.

Il semblait s'être embarqué dans un discours enflammé contre la prostitution et Ombeline eut l'impression d'être la seule responsable de tous les mots de la terre. Les accusations fusaient dans tous les sens, toutes plus abominables les unes que les autres, mettant toujours en scène les catins comme des créations mauvaises et vicieuses dont le seul but était de corrompre les hommes. Mais qu'en savait-il, ce saint homme qui n'avait jamais passé le seuil d'une maison close ? Que pouvait-il connaître de la vérité qui se cachait sous les jupons des filles ? Il fallait être un menteur patenté ou un ignare pour oser reporter la faute à ce point sur les bordels et Ombeline ne pouvait pas envisager qu'un prêtre soit capable de mentir à ce point. Les dieux l'auraient déjà puni depuis longtemps, quoi que l'ignorance soit aussi un grave défaut de la part de quelqu'un aussi éduqué. Il parlait des mariages qu'elle brisait tandis qu'elle comptait le nombre d'unions qui perduraient grâce à cette soupape qu'étaient les maisons de passe. Il lui imputait d'être à l'origine des maladies alors qu'un mois auparavant elle rendait une énième visite à l'apothicaire pour aller chercher un remède pour Clothide qui avait accordé une passe au mauvais client. Il l'accusait d'être une fausse croyante et d'attirer les hommes dans un piège alors qu'elle était sincère dans ses prières et n'avait jamais fait de racolage pour que les clients entrent à la Balsamine. Le Père Cesare n'y connaissait rien de rien et s'enfonçait un peu plus à chaque phrase dans les profondeurs de sa propre ignorance, souillant au passage l'image que la jeune femme avait des hommes de foi. Que n'aurait-elle pas donné en cet instant pour avoir affaire à une femme, au moins elles auraient pu avoir des mots en sachant ce qu'il en était de vivre dans un monde gouverné par des mâles en rut et bouffi d'arrogance.

Lorsque le prêtre assimila le ton de la catin à une rébellion adolescente, cette dernière détourna le regard avec une expression de dégoût, ramenant contre elle ses deux mains pour croiser les bras. Elle n'était pas son enfant et il n'était pas son père, ça jamais ! Contre son père elle n'aurait pas eu à justifier et défendre son existence.
Quand elle perçu le mouvement puis le bruit que fit son accusateur en s'appuyant contre le mur, elle y répondit à l'inverse en s'écartant du mur. Elle pouvait entendre sa respiration devenue lourde et devinait au frottement de la peau contre la pierre qu'il avait besoin d'un soutient pour rester droit. Peut-être était-il finalement plus âgé qu'elle ne l'avait imaginé ? Ou qu'il souffrait d'un mal qui amenuisait ses forces. Dans tous les cas, il faisait malgré lui aveu de faiblesse et la demoiselle s'en sentie beaucoup moins impressionnée tout à coup. Malgré tout, elle resserra sur elle les pans de son manteau lorsqu'il lui rappela les dangers qu'elle encourait, le risque d'avoir un jour affaire à une brute épaisse qui lui causerait du tort ou de contracter elle aussi un mal après avoir accepté un client. Ce qu'il était mesquin d'enfoncer le couteau dans une plaie déjà ouverte... Comme si elle n'était pas la première au courant de ces risques ! Cette soudaine considération pour sa santé ne tarda pas à révéler la véritable intention du prêtre : la ramener dans le troupeau, lui faire avouer qu'elle était dans l'erreur pour mieux accepter qu'il lui dicte une autre vie. Une vague de colère froide lui passa dessus, balayant les derniers doutes et les derniers remords qu'elle pouvait avoir à s'adresser de la sorte à un prêtre.

Consciente du geste qu'il faisait vers elle, Ombeline hésita un instant. Il fallait parfois accepter de rendre les armes et quitter le champ de bataille, admettre lorsqu'un combat était inutile ou perdu d'avance. Ses bras se desserrèrent un peu, ses épaules se détendirent et elle avança la main avec prudence jusqu'à sentir la paume du prêtre sous ses doigts. Elle se laissa attraper autant qu'elle l'attrapait, semblant s'accrocher à cette main tendue pour remontrer du fond du gouffre.
Une autre, plus sage, aurait abandonné la lutte et serait sagement repartie d'où elle était venue pour oublier cette affaire, donnant sans doute raison au prêtre par son silence. Malheureusement, Ombeline ne savait pas faire preuve d'autant de sang-froid. Elle ne quittait le champ de bataille qu'une fois la défaite établie ou après avoir vaincu. S'approchant d'un pas, puis d'un second, la jeune femme réduisit la distance entre eux à peau de chagrin et si sa main ne lâcha pas celle qu'on lui avait offerte, l'autre en revanche eut tout loisir de papillonner contre le ventre du Père Cesare avant de remonter sur son cœur. Difficile de manquer les battements éperdus de l'organe, sans doute mit à rude épreuve par les sautes d'humeur du prétendu saint homme. La jeune femme se fit plus douce, plus calme, sa voix réduite à un murmure presque craintif.

Les dieux sont bien bons d'accepter que se repentent les égarés et vous de vouloir m'apporter la lumière.

Ses ongles se plantèrent brutalement dans la chair du pectoral, s'enfonçant autant qu'il était possible dans la peau pour la percer, la mettre à vif.

Malheureusement je ne me fis plus à mes yeux depuis longtemps, Père Cesare, et toute votre fausse lumière ne suffirait pas à me faire oublier la noirceur de vos propos. Sa poigne se serra aussi fort qu'elle pouvait, sans doute pas assez pour faire mal puisqu'elle avait de bien petites mains, mais suffisamment pour se faire sentir. Vous êtes une âme rongée par le mépris et la colère, il n'y a rien chez vous qui mérite d'être partagé aux autres et si les Trois peuvent réprouver la façon dont je mène ma vie, ils doivent être plein de déception et de fureur en voyant avec quelle intransigeance et quelle méchanceté vous menez la vôtre en leur nom.

Sans perdre un instant, elle s'arracha à cette proximité, repoussant le bras qu'il avait tendu et griffant la peau pour en emporter autant qu'elle pouvait avec elle. Il voulait une harpie ? Le voilà qui était servit. D'un ordre bref et d'un geste elle poussa son chien à prendre les devants et à se diriger vers l'escalier désormais accessible. Inutile de pourrir ici, elle n'obtiendrait aucune aide de cet homme et aucune bienveillance non plus. Malgré toute la rage qu'elle avait pu mettre dans ses mouvements, elle n'était pas certaine d'avoir fait beaucoup de mal et ne chercherait pas à le savoir. L'offense n'était pas dans la profondeur des plaies mais dans l'audace d'avoir osé être brutale. Ça, elle le savait très bien.
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MessageSujet: Re: [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare]   [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare] EmptyMar 22 Jan 2019 - 20:22
« Le troupeau se rebelle, chassant leur berger pour acquérir leur liberté. Plus loin, les loups exultent. »

~~~~

Il pensait l’avoir convaincue. Il pensait avoir réussit à éclaircir sa raison dans la brume venimeuse de sa rancune. Il pensait qu’elle acceptait sa généreuse offre d’absolution malgré tous ses propos amers et coupants. C’est quand il sentit la main de la brune se poser sur son ventre que ses sens se mirent en alerte, le contact avec une femme déclenchant autant de pensées divergentes qui paralysèrent toute pensée logique en lui, le figeant dans un mimétisme d’anticipation, souris sous l’emprise du regard hypnotisant d’un cobra.

Puis la douleur l’arracha à son état de confusion. Une sensation ténue, faible, mais présente. Suffisamment pour la sentir à travers sa robe tricolore. Les sourcils du prêtre se haussèrent en exprimant un mélange de surprise et d’indignation, foudroyant du regard celle qui, une fois de plus, crachait sur la figure d’autorité divine qu’il était. Autant d’insolence en une si petite créature lui donnait l’impression d’avoir affaire à un de ces diablotins qu’on pensait être la source de nombre de maux durant la nuit. La biche à l’apparence innocente et fragile cachait une langue plus cinglante que le fouet du tortionnaire du Duc.

Furieux, il persifla entre ses dents serrées comme un chien menaçant :

« Prudence. Des insolents ont été sévèrement châtiés pour moins que ça. »

Il n’avait pas besoin de lui décrire la généreuse liste de traitements punitifs que réservait la Loi concernant ceux qui désobéissaient et menaçaient une figure religieuse et ce n’était pas pour rien que les clercs étaient intouchables depuis des siècles et des siècles. Même le pire coupe-jarret réfléchissait à deux fois avant de lever la main sur un prêtre, car la simple idée d’être privé d’accès au royaume des Dieux et condamné à une éternité d’errance entre les deux mondes épouvantait les esprits les plus sceptiques. De plus les nobles et seigneurs, aussi vicieux et arrogants soient-ils, connaissaient la valeur du temple et leurs servants pour leur propre pouvoir et n’hésitaient pas à sanctionner impitoyablement les hérétiques et les irrespectueux. Coups de fouet au centre-ville, travaux forcés, cachots et autres traitements sensés faire réfléchir le supplicié par la douleur. Quant aux crimes plus graves, les châtiments étaient souvent à la hauteur du sacrilège. C’était des événements rares, mais très emblématiques, qui avaient pour avantage de marquer définitivement les esprits. Peut-être que cette femme un peu trop fougueuse aurait droit au Salut des Dieux par ce genre de procédé expéditif ?

« Ma soi-disant méchanceté a aidé bien des fidèles à se remettre debout après avoir perdu tout espoir et toute volonté de vivre et combattre. Si mes procédés vous répugnent, cela ne change rien au fait qu’ils sont efficaces. »

La fixant à mesure qu’elle s’éloignait à petit pas, son handicap ne lui donnant pas la liberté de fuir le père aussi vite qu’elle devait sans doute le désirer, il eut l’occasion de lui lancer quelques mots sur un ton neutre :

« Puisque vous défendez si chèrement vos valeurs, j’aimerais qu’on poursuive notre discussion. Pas ici, pas maintenant. Demain, devant le Grand Hall. Je vous attendrais. »

Sa façon de parler était naturellement autoritaire, même s’il pensait qu’elle était assez habile d’esprit pour deviner que ce n’était qu’une proposition dont elle était libre d’accepter l’offre. Après tout il ne s’agissait que d’une invitation à discuter, comme ces intellectuels qui se rassemblaient dans de vastes pièces vides pour débattre des secrets de la vie et de l’existence même.

Se retournant, il glissa ses mains dans les manches de sa robe d’office, prenant cette position caractéristique du sage impassible, avant de se diriger au sens opposé prit par la belle de nuit, non sans lancer derrière son épaule, avec une voix bien moins acerbe et rancunière :

« Vous m’intriguez, mon enfant. Peut-être trouverons-nous ensembles la raison de notre rencontre, tout compte fait. »

Et c’est sur ces dernières paroles qu’il s’évanouit dans l’obscurité salvatrice du temple, à l’abri des regards et de leurs jugements, enfin plongé dans la quiétude tant désirée. Quelques pas plus loin, il s’arrêta. Lentement, il passa sa main sur son cœur, ressentant encore l’irritation laissée par les griffes de la pie-grièche. La chaire était coutumier de la douleur, mais l’esprit avait encore du mal à accepter pareil irrespect, lui qui était habitué à être aimé et chérit. Cette expérience inédite le laissait pensif.

Cette nuit, il ne dormira que peu, comme à sa coutume. Mais entre deux prières quotidiennes, il prendra le temps d’y réfléchir, de ruminer ses pensées et ses doutes, comparer ses principes à ceux de l’audacieuse.

Un professeur intransigeant pouvait-il être aveugle à ses propres erreurs ?
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MessageSujet: Re: [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare]   [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare] EmptyMer 23 Jan 2019 - 18:54
Elle avait rapidement regagné l'étage et après quelques déambulations, un autre prêtre lui avait indiqué la sortie toute proche pour qu'elle puisse enfin quitter les lieux. La sensation oppressante d'être observée ne la quitta pas avant qu'elle ne regagne le parvis du temple. Laissant Kornog ouvrir la marche, elle rabattit de nouveau sa capuche pour se préserver du froid et prit le chemin du retour le plus vite possible, tentant de fuir les battements anarchiques de son cœur. Elle était toujours furieuse mais elle se sentait également bien bête d'avoir cédé à la colère. C'était non seulement inutile de se dresser de la sorte face à prêtre, mais c'était également dangereux. La chance avait voulu, pour une obscure raison, qu'elle s'en sorte sans la moindre punition et elle avait pleinement conscience que cela ne tenait qu'au bon vouloir du Père Cesare. Il n'avait pas souhaité faire plus que l'insulter alors qu'il avait le pouvoir de la châtier bien plus durement. Patience exacerbée ou tactique subtile pour mieux la faucher plus tard, Ombeline ne savait pas vraiment ce qui pouvait motiver cette immobilité et ce n'était pas pour la rassurer.

Arrivée à la Balsamine, la première chose qu'elle fit fut de se laver les mains à plusieurs reprises avant de nourrir son chien des restes mit de côté à son intention. Ce n'était pas son habitude de faire preuve de violence et le fait qu'elle l'ait laissé s'exprimer sur un membre du clergé la faisait rougir de honte lorsqu'elle y repensait. Si Mahaut ou Clarisse venaient à l'apprendre, elle était bonne pour se faire passer un sacré savon. Les deux femmes étaient pour elle ce qui se rapprochait le plus d'une mère, chacune ayant veillé depuis toujours à ce que la jeune aveugle soit bien élevée et sache se tenir. Ombeline avait sans doute perdu sa mère biologique après son abandon, néanmoins elle avait gagné deux mères adoptives et plusieurs sœurs aînées dans le même temps. Clarisse, surtout, était la plus croyante et la plus attachée aux prières régulières ainsi qu'aux visites du temple. Elle se confiait depuis des années à la même prêtresse, ne manquait aucun événement religieux et encourageait souvent sa cadette à faire quelques offrandes. Jamais oh grand jamais elle ne devait apprendre ce qui venait de se produire dans ce couloir sombre du temple sinon elle se transformerait en dragon pour mieux roussir les fesses de sa protégée.
Lorsque les premiers clients arrivèrent, la fleur de trottoir eut le plaisir de compter Ernold parmi la plus joyeuse tablée. Le coutilier avait le don d'apporter la bonne humeur avec lui lorsqu'il venait dépenser son argent à la Balsamine et Ombeline s'entendait à merveille avec lui, se laissant porter par le rire communicatif du milicien dès qu'elle en avait l'occasion. S'il venait souvent boire quelques verres et jouer aux cartes ou aux dés, il ne disait presque jamais non lorsque la brunette lui proposait de monter quelques instants. Ce soir-là il lui avoua même avoir mis assez de côté pour la garder au chaud toute la nuit, ce qu'elle ne refusa pas. Après quelques ébats ma foi très réussis, l'homme se lova contre sa compagne pour profiter des caresses qu'elle lui accordait toujours et la laissa raconter la rencontre qu'elle avait faite plus tôt. Cette dernière passa bien sûr sous silence les détails les plus honteux de la confrontation.

Tu devrais y aller, ça pourrait être intéressant, conclua-t-il en étirant le cou alors qu'Ombeline lui massait la nuque en détaillant le plafond où dansaient les couleurs lumineuses de son mobile en verre.

Je ne vais quand même pas me jeter moi-même dans l'arène pour me prendre des huées et des insultes, rétorqua-t-elle avec une moue.

Vas-y plus tôt, comme ça il y aura du monde pour t'entendre si tu appelles à l'aide.

Tu n'es pas drôle, Ernold.

Ça tombe bien, j'étais sérieux : s'il y a des gens susceptibles de vous entendre, peut-être qu'il sera moins vindicatif. Et avec ta langue bien acérée, tu serais bien capable d'ébranler ses convictions.

Humf. Je pense plutôt que c'est lui qui va me poignarder avec la sienne. Autant de mépris dans une seule bouche, c'est difficile à croire. Et ça va encore me mettre en colère.

Le milicien consentit à se redresser sur un coude pour adresser un sourire à son amante et lui embrasser le bout du nez. Une étrange amitié commençait à les lier, le bon caractère du coutilier facilitant grandement ce rapprochement. La jeune femme s'efforça de sourire à son tour, cédant aux arguments plutôt censés qu'on venait de lui servir.

Le lendemain, après le départ des quelques clients qui avaient passé la nuit dans l'établissement (y compris Ernold), Ombeline prit la décision d'affronter une nouvelle fois le prêtre, ne serait-ce que pas curiosité. Comme le lui avait conseillé son compagnon de la veille, elle opta pour une visite en milieu d'après-midi, laissant même Kornog faire sa sieste dans son panier plutôt que de le traîner avec elle. C'était, disons, une preuve de bonne foi de sa part.
Habillée d'une robe verte tout ce qu'il y avait de plus correcte et la taille cintrée d'un joli corsage à bretelles en tissu, elle avait même fait l'effort de coiffer ses cheveux en tressant ensemble les mèches encadrant son visage pour les tenir en arrière. Le reste lui cascadait librement dans le dos, loin des savantes coiffures de la noblesse. Elle ne se prétendait jamais d'un autre milieu que le sien. Comme escompté, il y a un peu plus de monde en journée dans le temple qu'à la tombée de la nuit. La haute voûte sous laquelle les trois statues gigantesques accueillaient les fidèles était illuminée par la clarté du jour, même lorsque le ciel était couvert. Évoluant après précaution pour ne heurter personne, la jeune femme adressa une prière commune aux divinités avant de s'approcher de l'autel de Rikni. La protectrice des rêves et du ciel nocturne était souvent remerciée pour la protection qu'elle accordait aux combattants, mais les femmes de la nuit savaient aussi lui rendre grâce.

Sans mettre un genou à terre, l'aveugle se contenta de lever les yeux vers la pénombre dans laquelle baignait le visage sévère de la déesse et lui adressa en silence sa prière. Elle n'aimait pas se prosterner devant les Trois. À quoi bon ? Ils étaient si grands, si puissants, si supérieurs, ils n'avaient pas besoin de courbettes pour se savoir au-dessus des hommes et cela devait être bien pénible de tendre l'oreille pour percevoir la voix d'un croyant lorsque ce dernier regarde le sol.
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MessageSujet: Re: [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare]   [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare] EmptyVen 25 Jan 2019 - 21:33
« Mère Théodora ? »

Cesare repoussa doucement la porte cachant la pièce dédiée aux arts de Serus. La vaste salle frappait de sa beauté qui contrastait avec le décor extrêmement pauvre des sous-sols du Temple. La première chose qu’on pouvait noter était le fort parfum de roses qui enchantait les narines, tirant sa source de mixtures soigneusement préparées par les prêtres de Serus pour célébrer la fertilité et l’amour, souvent utilisées pour donner à la peau des fidèles un somptueux parfum. Ensuite venait la magnifique collection d’œuvres d’art, allant de statuettes représentant chacun des dieux ou leurs plus remarquables et célèbres serviteurs à des toiles décrivant avec passion les terres divines et les dessins nostalgiques d’une ère pacifique où l’homme pouvait traverser forêts et champs sans craindre d’être épié par les abominations qui encerclaient Marbrume.

La vénérable prêtresse reposait sur un petit banc de châtaignier, faisant face à une petite ouverture dans le mur faisant office de fenêtre, laissant la lumière éclairer ses traits parcheminés et ses petits yeux en amande. Théodora était couverte des pieds à la tête d’une longue robe dont les arabesques fleuris témoignaient de son appartenance à la branche du Dieu Cornu. Le capuchon qui recouvrait son crâne laissait à peine deviner quelques cheveux d’un blanc grisâtre, témoin de l’âge respectable de la doyenne. Ses doigts frêles et squelettiques n’avaient guère perdu de leur habileté à en juger par l’aisance avec laquelle elle tricotait une petite effigie de laine.

La prêtresse devina aisément la voix de Cesare, l’invitant d’un signe de la main à approcher. Le jeune prêtre referma doucement la porte derrière lui avant d’être soudain assaillit par un furtif chat au pelage fauve qui se frotta contre ses jambes en miaulant langoureusement. Amusé, l’homme de foi s’accroupit un moment pour flatter les oreilles du fauve qui en ronronna de bonheur avant de s’approcher de sa doyenne.

« Que me vaut l’honneur de votre présence, frère Cesare ? »

« J’ai besoin de vos bons conseils, mère. Je suis dans une impasse quant à comment juger une personne qui semble perdue à mes yeux, mais qui persiste de suivre sa propre voie. »

Hésitant un moment, il s’humecta légèrement les lèvres tout en fixant un des tableaux exposés, représentant une scène de promenade sous le regard bienveillant d’un cerf majestueux. Inspirant profondément, il finit par se lancer et raconter les événements de la soirée. S’il avait choisit Théodora, c’était pour une raison particulière : la doyenne fut autrefois elle-même une femme de joie durant sa jeunesse, la pauvreté de sa famille l’obligeant à donner son corps pour subvenir à leurs besoins. Ce n’était un secret pour personne et tout le monde au Temple la respectait pour avoir supporté ce lourd fardeau jusqu’à pouvoir quitter l’abominable existence qu’elle devait endurer pour se réfugier dans le Temple où elle devint une des plus vénérables des religieuses. Cesare pensait que la seule personne qui pouvait chasser le doute de son esprit et lui conseiller la meilleure façon d’aider l’égarée n’était autre qu’une religieuse ayant eut un passé similaire.

Quand il termina son récit après avoir ponctué ce dernier de nombreuses remarques personnelles, notamment concernant l’insolence de la jeune fille ou son aveuglément démesuré devant la gravité de ses actes, il croisa ses mains sous sa ceinture et attendit patiemment le verdict de la doyenne. Cette dernière continuait à tricoter sans broncher, un sourire éternel gravé sur son visage d’affectueuse grand-mère.

« Mon pauvre Cesare, vos marginales convictions vous empêchent de voir par-delà le voile qui sépare la réalité des images que le peuple crée pour justifier ce qu’ils ne comprennent pas. Dans votre désir d’aider cette pauvre fille vous ne faîtes que la froisser. »

« Mais mère ! Je ne peux fermer les yeux face au péché ! Nous savons très bien que Serus n’approuve que les unions dans le cercle du mariage, tout autre … »

Théodora leva lentement sa main décharnée, intimant un silence immédiat chez le disciple de Cuthbert qui se renfrogna légèrement sans prendre le geste comme une offense.

« Avez-vous pensé à lui demander pourquoi elle exerçait son métier ? En quelles circonstances ? Peu de femmes choisissent cette destinée par leur propre volonté. Vous devriez laisser de coté votre rancœur et tendre l’oreille à son récit. Peut-être, alors, trouverez-vous la force de pardonner, de comprendre et d’aimer … »

~~~


♫♪♪♫

Le Temple était plus fréquenté que jamais ces derniers temps. Un sentiment de peur profonde avait obscurci la autrefois fière cité, la réduisant à l’état d’une arche miteux et délabré où les survivants de l’humanité se bousculaient et tentaient tant bien que mal de survivre en raclant la moisissure des tonneaux vides et en dormant sous des toits en ruines. Inquiets, désespérés, en quête de pardon, le peuple s’agglutinait aux murs du Temple, sollicitant autant le silence pesant des statues que la voix rassurantes des prêtres. Tous cherchaient à fuir les ténèbres qui encerclaient les remparts, à se rassurer, à trouver la force de vivre dans un monde devenu morne et dangereux.

C’est dans le besoin que l’homme devenait le plus pieux.

L’ascète quitta l’autel d’Anür, un brûleur à encens attaché à une chaîne se balançant au rythme de ses pas, lâchant de droite à gauche de longues arabesques de fumée aromatique au parfum apaisant. Rien ne valait les délices de la fumigation pour apaiser les esprits et renforcer la concentration lors des méditations. Après avoir baigné l’autel de la déesse protectrice avec l’encens, il se dirigea vers celui de la gardienne des rêves. C’est là qu’il avisa la présence d’une personne solitaire qui semblait se recueillir devant l’intimidante statue de Rikni, taillée dans l’obsidienne. En s’approchant avec précaution il reconnut celle dont les griffes avaient laissé de rouges entailles sur son sein gauche, encore bien présentes.

Accrochant la chaîne à un crochet dédié à cet effet, il glissa ses mains dans les manches de sa robe et s’annonça à demi-voix, l’écho de l’autel servant d’amplificateur naturel :

« Déesse de la force et de la motivation. Malgré son apparence intimidante et sa puissance crainte dans nos sommeils même, Rikni est celle qui nous donne la force nécessaire pour repousser les Fangeux et survivre aux difficultés qui jonchent le chemin de notre vie. Par le passé, je voyais rarement de fidèles s’agenouiller dans ses autels, préférant murmurer des prières à son égard quand ils étaient figés dans une situation dramatique. Le chasseur prit au piège, le soldat au cœur d’un chant de bataille, l’ouvrier coincé dans une carrière effondrée … Mais ces temps-ci, tout le monde vient quémander ses bénédictions. Chacun a perdu sa force et sa puissance, son désir de lutter et de voir le jour suivant. Tous ont besoin plus que jamais de Rikni, mais aussi d’Anür et de Serus. La foi refleurit de plus belle malgré la morbidité de ces temps. »
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MessageSujet: Re: [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare]   [Terminé] Là où les yeux ne servent à rien [Cesare] EmptyDim 27 Jan 2019 - 23:25
Vous pensez ?

Ombeline pencha de nouveau la tête sur le côté, comme chaque fois qu'elle prêtait particulièrement l'oreille à quelqu'un. Elle avait besoin d'entendre en faisant abstraction des autres conversations et de l'écho qui brouillait les mots.
La présence du prêtre ne l'avait ni surprise ni effrayée, ses pas réguliers s'étaient approchés de loin et elle s'attendait à ce qu'il l'accoste puisqu'ils avaient convenu de se retrouver pour discuter. Lorsqu'elle y repensait, la situation lui semblait complètement surréaliste, cependant la nuit avait apaisé l'irritation de la veille, la mettant dans de meilleures dispositions pour converser. Ernold avait peut-être raison, ce devrait être intéressant. Du moins elle l'espérait.

Et vous croyez que je manque de force et de détermination pour venir ici la prier ? Elle chassa un soupir qui lui pesait sur le cœur avant de continuer en faisant l'effort de mettre un peu d'eau dans son vin. Je ne viens pas demander une faveur, je viens remercier. C'est inutile de compter sur les dieux pour insuffler du courage si l'on est soi-même trop faible pour se tenir face aux difficultés. Ils n'y sont pour rien si les gens sont lâches et pleurnichards et ils n'y peuvent rien non plus. Tout ce qu'ils peuvent faire c'est veiller sur chacun, de plus ou moins loin.

La jeune femme croisa les bras et se détourna de la statue pour regarder en direction du prêtre. Dans la lumière du jour elle pouvait mieux le distinguer. Il avait les cheveux sombres, plus longs qu'elle ne pensait et il n'avait pas de barbe, semblait-il. C'était bien les seuls détails qu'elle pouvait percevoir de son visage. La couleur de sa robe de prêtrise se détachait plus nettement que le reste, presque brillante en comparaison du gris de la pierre qui les entourait. Elle aussi devait paraître différente sans sa capuche et les ténèbres d'un couloir mal éclairé. En pleine journée, inutile d'espérer cacher sa cécité.

Pour être honnête, je me demandais si vous alliez vraiment vous montrer.

La remarque était franche et honnête. Étant donné leur premier entretien, il y avait de quoi douter que l’un ou l’autre veille d’une deuxième rencontre et pourtant ils étaient là, à parler poliment.
Un murmure un peu plus pressant que les autres fit tourner la tête à la jeune femme vers l'entrée du temple, intriguée par le bruit. Il ne s'agissait que d'une mère et sa fille qui parlaient tout bas entre elles mais le ton de la conversation avait attiré l'attention d'Ombeline. Elle perçut quelques mots et devina le reste. Sans surprise, les deux femmes s'approchèrent de l'autel d'Anür. Sans y prêter plus attention, elle revint à la conversation. Tout cet écho lui compliquait un peu la tâche, elle avait l’impression d’entendre certaines bribes de dialogue juste derrière elle alors qu’il n’y avait personne.

C’est vous qui avez demandé à ce que l’on se retrouve ici, sans doute pour dérouler ce qu’il reste de la liste des immondices que vous m’avez servies hier. Je dois accorder trop de crédit à votre personne ou peut-être l'ennui est-il plus à fuir que vous, quoi qu’il en soit je suis prête à vous écouter. Et à vous faire ravaler vos mots, cela va de soi.

Un chant, pourtant discret, s’éleva un peu plus loin devant l’un des autres autels. Il ne perturbait pas le calme de l’endroit, ce n’était qu’un filet de voix, pourtant il rebondissait contre la grande voûte pour retomber sur tout un chacun avec plus de force et Ombeline se passa automatiquement une main sur l’oreille comme pour en chasser une sensation désagréable, sourcils froncés.

Mais je vous serais reconnaissante si nous pouvions le faire ailleurs. L’écho ici me dérange beaucoup. Peu importe où, sur le parvis ou dans les jardins ça n’a pas d’importance tant qu’il n’y a pas autant d’écho qu’ici.
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