[Terminé] Le sang coule pour le bien de tous (PV Othon Zollern et Nathandall)

La journée s'annonçait calme pour le prêtre Aaron Clay. Dès le réveil et après un frugal petit-déjeuner, il a accompli la mission qu'il s'est assignée depuis des années déjà : réapprovisionner les boxs de soin. Il le fait trois fois par jour, pour faciliter le travail des soigneurs du Temple. Et maintenant que ce travail est terminé, il va pouvoir travailler à la restauration d'un ouvrage précieux. Cela lui prendra largement la journée et encore, il doute pouvoir finir le jour même. Celui qui est officieusement l'archiviste a une passion pour les livres et est très sérieux dans son travail à la Bibliothèque et cela, même son prêtre responsable doit le reconnaître. Ces deux-là se détestent cordialement. Son responsable considère Aaron comme non pieu, un gars qui se sert de sa mutité pour éviter de faire les cérémonies et qui en prime a un don inné pour les éviter, tant que faire ce peut. Et Aaron le lui rend bien, considérant son supérieur comme un imbécile fini et le lui faisant sentir quand il ne peut l'éviter.

Et alors qu'il travaille à sa restauration, son prêtre responsable est témoin d'une discussion entre un prêtre et un groupe d'une dizaine de miliciens. Quelques sergents sont présents pour la cérémonie d'intronisation d'une demi-douzaine des leurs, mais le prêtre devant officier la cérémonie a fait une mauvaise chute et ne pourra être présent. Il leur demande d'attendre que l'on trouve un autre Prêtre pour le remplacer. L'occasion est trop belle pour notre prêtre responsable qui voit là l'occasion de jouer un tour pendable à son plus mauvais élève :

- Nobles miliciens, j'ai l'homme qu'il vous faut. Le Prêtre auquel je songe est un fervent admirateur de notre déesse Rikni et ses prières sont d'une ferveur à toute épreuve. Je ne doute pas un seul instant qu'il apportera protection à nos futurs dignes protecteurs et attirera la bénédiction des Trois sur eux ! Ne vous étonnez pas si vous n'entendez pas le son de sa voix, il est muet, mais cela n'enlève rien à sa foi et sa ferveur.

Son frère marque un court instant de surprise. Des prêtres muets, il n'y en a pas des dizaines, et le Père Clay n'est pas connu comme officiant. Mais ça lui ôte une belle épine du pied et après tout, si son responsable l'en croit capable, pourquoi refuser ? Il sourit aux miliciens et les invite à le suivre vers le lieu de la cérémonie, pendant que le responsable va avertir Aaron qu'il va officier.

Le hall d'entrée est immense et majestueux et d'une grande luminosité. Les vitraux représentant les Trois éclairent majestueusement un lieu qui peut accueillir jusqu'à deux mille personnes. D'ordinaire, des étoffes de diverses couleurs représentant les Trois ornent les murs, mais en ce jour d'intronisation, le vert émeraude de Rikni est à l'honneur.

Mais ce qui immanquablement marquera les fidèles, c'est l'immense statue au fond du hall. De dix mètres de haut en en pierres sombres s'élève Anur, sirène majestueuse aux écailles reflétant mille éclats. A sa droite, les bois de Serus s'élèvent et le regard de la divinité semble jeter sur l'assemblée un regard bienveillant. Et à la gauche de la déesse sirène, Rikni, fourbe et fière, dont le regard d'émeraude parait lancer à tous un défi. Le prêtre invite les futurs miliciens et leurs sergents à se recueillir, le temps qu'arrive le prêtre officiant.

C'est au bout de quelques minutes qu'apparaît le père Clay. Si sa stature n'impressionne pas, l'homme étant dans la moyenne, sa chevelure et sa barbe poivre et sel donnent l'illusion de sa sagesse. Son regard gris clair ne dévie pas et peut sembler hypnotique aux plus impressionnables. Il émane de lui une impression non pas de bonté, mais de malice. Et quand il vous regarde, il semble sonder votre âme, puis après vous avoir étudié il vous adresse à chacun un signe de tête bienveillant. Alors qu'il franchit l'autel, là où les prêtres peuvent aller, il se tourne et d'un geste vous invite à vous lever, puis fait demi-tour et joint les mains avant de saluer respectueusement de la tête la déesse Anùr, ensuite Serus après un quart de tour à droite, et pour finir Rikni, après un demi-tour à gauche.

Il écarte les mains et baisse la tête, semblant psalmodier, sans qu'un son ne sorte de sa gorge, mais à ses expressions, son visage qui se ferme, son regard qui devient intense, chacun peut ressentir la ferveur qu'il y met. Il ploie un genou, puis l'autre et fixe le regard de la divinité serpent, appelant sur eux Sa divine protection. La cérémonie a débuté, et si elle est silencieuse, elle n'en est pas pour autant chargée en symbole. Visiblement, le Père la fait avec le plus grand sérieux.

Cela faisait presque un semaine que je travaillais à cet instant. Après les journées d'entrainement avec le vétéran, malgré la fatigue musculaire, il me fallait me concentrer sur la cérémonie qui me permettrait d'être intégré dans la Milice.

On nous avait expliqué à moi et les gars ce qu'il se passerait, comment ça se passerait. Du moins, en partie. L'épreuve symbolique qui scellait l'engagement avait été soigneusement évité lors de la discussion informative.

Il avait fallu répéter, et répéter encore mon serment afin qu'il se face une place dans ma caboche.
Si je comprenais le sens des mots et leur portée, il n'était pas aisé cependant de tout retenir, de tout redire sans rien écorcher.

J'avais conscience que quelqu'un de plus intelligent ou valeureux que moi avait prononcé ces mots en premier. Qu'il les avait dit spontanément et que, ce moment d'exception était entré dans la légende. Légende que je me devais d'honorer en récitant ce foutu texte que je ne parvenais jamais à réciter sans en oublier des bribes!

Mais aujourd'hui, c'était le grand jour. J'avais le trac, ça pour sûr! Il fallait que je réussisse cet évènement. L'entrée dans la Milice, et surtout pour ce rôle de garde des rues que je convoitais, me mettrait définitivement à l’abri des Fangeux. Je resterais bien sagement cloitré dans la ville, avec des remparts pour me protéger, et des types balèzes et courageux pour tenir l'ennemi loin de moi.
Et en plus, l'uniforme m'assurerait charisme, port d'arme, et la solde. Que d'avantages!
Ouaip, ce programme me plaisait.

C'était notre chef, Othon qui nous avait mené en rangs jusqu'au saint Temple de la Trinité.
En évoluant sous ses imposantes colonnades, ses arches, je me sentais comme écrasé. Écrasé par la force divine qui avait poussé les hommes à bâtir ces merveilles. Ici, plus que n'importe où ailleurs, j'avais conscience du regard dAnür sur moi. Et c'était intimidant. Très intimidant.

J'espérais que mes vœux, ma fonction me rapprochaient de Rikni. Et d'ailleurs, là où nous allions, s'était ses couleurs qui dominaient l'espace. Je ne m'étais jamais rendu dans cette partie du Temple, et la puissance qui émanait du lieu me frappa. L'imposante statue d'Anür, la taille magistrale du lieu, la spiritualité qui émanait d'ici, tout se conjuguait pour forcer mon humilité, et me rappeler ma simple condition d'homme, soumit à la volonté des dieux.

Je bénéficiais alors de quelques instants de recueillement, et tombais à genoux, les mains sur les genoux, yeux fermés, la tête basse. Je priais Serus qui m'avait accompagné dans ma jeunesse, d'accepter ma nouvelle dévotion à Rikni. Je priais Anür de me donner force et volonté pour que tout se passe à merveille. Je priais Rikni enfin. Qu'elle accepte mon âme et qu'elle la guide pour moi qui serait éternellement son serviteur.

Puis j'entendis le bruit des hommes qui se figent. J'ouvris les yeux, surpris. J'étais seul agenouillé. Tous regardaient le prêtre qui avait ouvert la cérémonie.


Et moi qui était par terre comme un demeuré!!
Mais on ne m'avait pas dit à moi que le prêtre ferait une prière silencieuse! Normalement, à ce qu'on m'avait dit on devait nous faire signe au début!

A bien y regarder, l'homme de foi, dans la force de l'âge semblait bel et bien avoir débuté les hommages. Mais pourquoi diable ne l'entendais-je donc pas?!

Trop tard pour me relever, ça ferait du bruit, ça pousserait mes voisins, c'était hors de question.
C'est donc en position d'humilité, alors que mes genoux me faisaient mal sur le sol dallé de pierre que je faisais ce qu'il était attendu de moi, tant fasciné par ce prêtre sans un son, que galvanisé par la grandeur de la cérémonie.

Aaron finit par se relever, surpris de constater que les miliciens sont à genou et que quelques prêtres sont venus voir son office, qui d'ordinaire est plus privé. Nul doute que quelques-uns se demandaient comment il allait s'en sortir, et à dire vrai, il se pose la question aussi. Mais en toute logique, les Sergents connaissent le rituel et les mots à prononcer.

De la main, il invite les miliciens à se relever et du doigt, il désigne les Sergents, reconnaissables à leurs insignes et les invite à prendre place du côté gauche. Il prend ensuite un bac derrière l'autel, le positionne devant les sergents et invite d'un geste simple les miliciens à prendre place à droite. Il prend un premier milicien, lui soulève la manche droite pour dénuder son bras et lui indique par geste que Rikni le regarde, puis il l'invite à plonger le bras dans le bac, en se tapant sur le cœur pour lui donner du courage. Et quand le futur milicien plonge sa main dans le bac, il indique aux Sergents que celui qui a ce milicien sous ses ordres peut l'inviter à prêter le serment, celui de servir le Duc et la Cité et de protéger les habitants au péril de sa vie. Dès qu'un serpent a mordu le bras, signe que Rikni l'accepte comme milicien, le Père lui retire le bras du bac et l'invite à reprendre sa place, passant au milicien suivant.

Une fois chaque milicien accepté par la Déesse, il invite le premier milicien à sortir son épée d'un geste clair et sans équivoque, s'en empare et la plante dans le sol, puis indique au milicien qu'il doit en serrer la lame. Aaron, à genoux, fait une prière, forcément silencieuse jusqu'au moment où le sang du milicien finira de glisser de la lame pour toucher le sol, puis se relève, pose son pouce sur le front du milicien et lui rend son épée. Puis il l'invite par geste à rejoindre son sergent, signe qu'il est accepté par la Milice. Ce dernier point n'est pas prévu dans la cérémonie, mais ce geste lui paraît le plus porteur et le plus explicite. Le milicien a prononcé ses vœux, il peut rejoindre les siens. il procédera de même pour les autres miliciens, sans montrer un empressement ou un moindre sérieux dans ses attitudes ou sa prière ou une quelconque volonté d'en finir plus vite. Chaque milicien est important, et le dernier qui rejoindra son Sergent aura sans doute le sentiment d'avoir reçu les mêmes bénédictions que le premier, et cela importe à notre Prêtre.

Il salue les frais miliciens et leurs supérieurs et les invite à reprendre le cours normal de leurs vies avec un sourire empli de bienveillance et il quitte le lieu de la cérémonie, sans un regard pour son prêtre responsable. Il espère que les miliciens ne seront pas marris de cette cérémonie silencieuse et auront ressenti l'importance du moment. Qui sait, peut-être l'originalité de cette cérémonie les touchera. Il le leur souhaite, en tout cas.

Une fois que des choses ont été fait en silence, les gars commencèrent les uns après les autres à aller vers le prêtre. il avait un bac et il fallait plonger le main dedans. Je ne savais pas trop ce qu'il y avait dedans, mais certains tressaillaient et retiraient leur main vivement.

Et de toutes manières, je saurais bien assez tôt ce qu'il y avait dedans. Il faudrait bien que ce soit mon tour à un moment. Et en effet, ça ne traina pas. Sir Othon fini par me taper sur l'épaule.

Je ne pouvais me permettre de me substituer aux yeux de Rikni et je tirais d'un coup sec sur mon écharpe pour la retirer de mon cou, et de mon visage.

C'était sans doute la première et dernière fois qu'en public, je découvrais ma mâchoire.

J'avançais en direction du prêtre et de son bac, secondé de mon chef à la démarche souple.
Je me présentais face à l'homme de foi et m'inclinais respectueusement devant lui. Puis il me dénuda l'avant bras et me fit signe de passer ma main dans le bac.

C'était maintenant que je devais réciter tout le texte que je m'étais enquiquiné à retenir.

-"Moi, Nathandall Mousseray, par l'honneur que me fait Rikni, veux dédier ma vie à la sauvegarde du peuple des Langres. Jamais mon esprit ne s'affaiblira, comme ma lame, il sera de fer contre le mal, et un signe d'espoir pour ceux dans le besoin. Jamais mon coeur ne s'affaiblira, car il trouvera toujours noble cause à défendre. Je jure sous le regard des Trois de servir avec justice, de rester sans reproche jusqu'au jour où Rikni jugera de la valeur de mon âme.
Ma vie appartient au duc de Morguestanc et à ceux qu'il a désigné pour le servir jusqu'à ce que ma mort me relève de mes obligations."

Tout comme les gus avant moi, je passais la main dedans. J'étais soucieux de ne pas passer pour un peureux, à regarder ce qu'il y avait dedans, ou a hésiter avant de me jeter à l'eau.
Et puis les autres n'étaient pas morts, jusqu'à preuve du contraire.

C'est donc tout de go que je fourrais la main dans le bac, essayant de tenir le regard du prêtre. Son infirmité manifeste valait la mienne. Il ne jugerais pas ma balafre. Et je voulais lui prouver que je me soumettais sans réserve au choix des dieux.

Ma main frappa un corps mou. Il était froid, et comme enroulé autour de...
Quelque chose me mordit le poignet et l'auriculaire. Ayouh!!

Je tressaillis à mon tour, comme tous mes prédécesseurs. Un truc m'avais mordu. D'ailleurs j'avais un serpent accroché au bout du doigt! La bestiole, véritable symbole de Rikni était suspendu à mon ongle, se balançant mollement. Qu'est-ce que ça pouvait bien signifier. Mon chef semblait partagé entre deux sentiments dont lui seul avait le secret. Pouvais-je déceler du dédain? Ou de la consternation? Je ne savais pas trop. Le prêtre quand à lui observa la scène puis décrocha avec douceur la bête avant de la retourner au bac.

Puis je retournais dans les rangs. Plus tard, il me faudrait attraper l'épée au sol.
Lorsque ce fut mon tour, un genou au sol, je saisis la lame et serrais le poing. Se blesser volontairement n'est jamais aisé. Mais comme touché par une démence commune, celle qui nous animait tous en ce jour, je serrais la lame jusqu'au sang. Nous étions tous emprunt de la symbolique du jour, de cette excitation qui vous exhorte à faire ce qui doit être fait.

Mon sang coulait le long du tranchant de l'épée alors que je serrais comme un dément.
Et le prêtre m'accorda sa bénédiction d'une pression du pouce sur le front.

C'était fini, Rikni me protégeait à présent. Je faisais parti de la Milice!
C'était fini la charpente, c'était fini les champs. Dorénavant, je serais un homme de guerre.

Je me relevais, comme transformé. Véritable renaissance de mon être et de mon âme. Je cherchais alors quelconque approbation dans le regard de l'homme de foi, puis dans les yeux d'Othon.