[Terminé] Une mission particulière (PV Ombeline)

Être convoqué dans le bureau de la chef, c'est rarement bon signe, surtout quand t'es l'seul. Et Clovis, forcément, cherche ce qu'il a mal fait. Bon, il y a cette mission de mercenariat en extérieur pour l'Ordre de l'astre azur où il a pris une sorte de congé sans solde, mais il a eu son accord. Deux arrestations un peu trop musclée et un monsieur qui ne se réveille toujours pas, c'est qu'il a tapé un peu trop fort, mais le monsieur était très agressif et n'avait pas eu peur de lui, son équipier ou son chien. Et il n'est pas interdit de se défendre ou de faire usage de force. Des coups se perdent, parfois, et pas toujours avec les poings et des gens meurent. Et le gars n'était pas un gentil, ça non, pour sûr. Il a pas blessé un collègue depuis longtemps, il a payé la gardienne, il a pas été dans les bars, il a pas bu, il fait ses corvées. C'est un bon milicien. Pas une flèche, mais du genre sur qui on peut compter et ça, il y tient.

Bref, c'est anxieux que Clovis entre dans le bureau de sa coutilière, avant de frapper à la porte et de la saluer, l'air contrit. C'est que se faire engueuler, c'est pas chouette, mais se faire engueuler quand tu sais pas pourquoi, en prime, ça te fait passer pour un idiot. Elle le regarde, encore surprise par cette intrusion un peu inhabituelle, sauf pour lui. C'est que le gaillard oublie qu'il faut frapper avant d'entrer. Pour interroger, on peut faire l'inverse, frapper puis poser la question. Ca aide les gens à bien mettre les idées en place et à répondre vite. C'est que quand une main, elle fait le tour de ta tête et que tu sens que le mec, il peut t'arracher la tête, ça donne envie de répondre, ça, pour sûr.

Mais la D'Algrange, elle lui parle pas d'interrogatoire, elle lui rappelle pas qu'il faut d'abord frapper puis entrer, non, elle se renseigne sur ses chiens. Et ça, ça fait grimacer le Clovis. C'est que jusqu'ici, personne ne s'est permis de gérer les chiens à sa place et que même s'il aime beaucoup sa coutilière et qu'il obéit à tous les ordres, si ça concerne ses chiens, il va devoir lui dire non, et dire non à son chef, c'est la garantie d'une sanction. Il va falloir négocier, et le Clovis, il est pas doué pour ça. Mais pour l'heure, c'est qu'une question, alors il explique :

- C'est une super portée. Comme que j'l'avais d'viné, Kador, elle a pas choisi le premier père venu pour ses chiots. Le papa, c'est un robuste, comme le Clo', mais plus malin, parce que les ptits, ils comprennent vite. La championne d'la portée, parce qu'ils ont tous une spécificité chez les chiots, ça tout le monde il le sait pas, c'est celle qui m'inquiète l'plus. Elle tient du grand père maternel, qui était un loup. Elle est sauvage, elle a les yeux jaunes. J'lui a trouvé un bon maître et elle l'aime bien, mais faudra voir quand elle grandit si elle va pas prendre sa liberté. Un loup, ça s'dresse pas aussi bien qu'un chien, l'instinct, il reste très fort.

Ça, une fois qu'il est lancé sur un sujet, le Clovis, il est intarissable.

- Le second, c'est toujours c'lui qu'j'garde. Kador, elle était aussi seconde de portée. Sont aussi costauds qu'les premiers, mais juste un peu plus... contrôlable. C'est l'meilleur lien qui peut exister entre un dresseur et son animal, car ils se sentent pas en concurrence. Ici, c'est un mâle, faut que j'lui choisisse un nom. Là, Kador s'occupe de son éducation, le ptit, il apprend plus vite en imitant sa mère qu'en suivant mes ordres. j'préfère. Donner des ordres, ça le fait pas. C'est mieux quand qu'le chien, il sait quoi faire sans que j'aie à dire des mots. Les gens, ils savent pas quoi que le chien il va faire, ça offre un avantage. L'troisième, comme que j'm'y attendais, j'trouve pas d'maître, les gens ils préfèrent les mâles, car les femelles, elles font des ptits. Les mâles aussi, forcément faut être deux, mais ils les portent et ils les élèvent pas. L'quatre, il est à madame Zoé. C'est le chien typique qui aime les enfants et sait défendre une maison. Il a choisi m'dame Zoé comme maître, comme que j'm'y attendais. Pour ça que j'ai d'mandé à m'dame Zoé de le nourrir lui même quand qu'j'étais là. Et il aime jouer avec les enfants qu'elle garde et il attaque pas les chats. M'dame Zoé, elle en est super contente. Pour ça qu'elle garde aussi l'numéro 3 et l'numéro 5.

Il a une mimique soucieuse en parlant du numéro 5

- C'est l'costaud d'la bande, l'plus massif. La championne, elle tient d'la mère, lui, il a tout pris du père. Un marbruméen. Costaud. Il va être costaud dans l'monde des chiens comme que Clovis il l'est dans le monde des humains. C'est rare un chien comme ça. Il est super obéissant, c'est lui qui a l'moins d'instinct. Lui il peut changer de maître sans difficulté. Quand j'suis po là, c'est m'dame Zoé. Quand j'reviens, c'est moi. Il fait la fête tout le temps. Et lui, il gère les enfants. Quand ça chauffe entre eux, lui, il grogne pour les mettre au pas. C'est un chien d'intérieur. Mais faut l'nourrir, ce bestiau, il dépasse déjà ses frères et soeurs. Il aime pas la bagarre mais si tu touches à son maître, il va être méchant. Un chien parfait pour une maison. Mais pour les nouveaux maîtres possibles, soit ils voient pas que le chien il va être énorme, ça s'voit aux pattes, ça, soit ils veulent en faire un chien méchant, mais c'est po dans sa nature. Lui, j'trouve pas et c'est po normal. Heureusement que j'ai gagné des sous lors de la mission. M'dame Zoé a été payée justement, en plus elle a un chien qui vaut dans les 15 écus car des dressés comme ceux que Clovis il dresse, ça court pas les rues, mais ça suffira pas. Il bouffe autant qu'ses frangins à lui tout seul. Il est bon à la chasse, mais c'est pas comme avec Kador, ça suffira pas. Faudrait du riche mais j'en connais po, tu vois ?

Et là, ce qu'il craignait arrive. La chef, elle a peut-être des solutions pour lui. Pour le numéro 3, elle garde l'information, c'est juste un projet. Clovis, les projets, il aime pas ça, c'est des trucs qui s'font ou pas. Lui, il aime les choses carrées. Quand faut nettoyer un box, il le nettoie, point. Y'a pas de oui, mais non, ou non, mais peut-être ou c'genre de truc. Alors il demande pas quel projet, parce que les projets, c'est des trucs de chef. Mais pour Chanel, le numéro 5, elle a sans doute un maître. Le visage de Clovis se ferme, mais il la laisse lui expliquer. Elle a une amie très jolie qui travaille à la Balsamine. Jusque là, ça lui va, au Clovis. Un maître ou une maîtresse, pour Chanel, c'est du pareil au même. Et la Balsamine, il connait aussi. Ils ont fait quelques contrôles là-bas. Puis pas mal de collègues y vont dépenser leurs soldes. De l'argent, il y en a aussi, et il en faut pour nourrir le bestiau. Il avait pas pensé aux bordels pour caser un chien. Faut dire que lui n'y va pas. Mais jusque là, rien qui ne le dérange. La suite le surprend un peu plus. L'amie en question est presqu'aveugle, et ça, ça lui pose problème. C'est que beaucoup passe par le regard et il ignore comment une aveugle saura se faire obéir. Mais il y a un côté défi qui lui plait. Puis un chien pour une aveugle, ça lui semble bien. Peut-être sa prière à Rikni a été entendue. Alors, s'il a pas super envie de laisser sa chef s'occuper des affaires de ses chiens, bah, il sait que la D'Algrange, elle est po contraire. Alors il dit pas non, mais il dit pas oui non plus.

- Faut que j'voie la dame, que j'voie le lieu encore une fois, parce que quand que j'étais en mission, bah j'ai po trop r'gardé l'espace, je surveillais les gens. Normal quoi. Et faut que j'voie comment qu'la dame, sans ses yeux, elle pourra gérer un molosse comme Chanel. Si que j'sens que ça va pas l'faire, ça s'ra non. Parce qu'être jolie, c'est bien, mais ça suffit pas pour s'occuper d'un chien, quoi. Etre gentille non plus. Mais si qu'le chien il a déjà sa bouffe un peu assurée, c'est po rien, alors j'va essayer d'passer voir vot' amie, Ombeline qu'vous m'avez dit qu'elle s'appelle. J'irai dès que j'aurai quartier lib... Ah, c'est ma mission ?

Il ne pose aucune question, un ordre de mission est un ordre de mission, mais ici, c'est un peu particulier. Déjà, il passe par la cuisine pour négocier les restes et les chutes. Sont ravis, depuis que la mère des chiens est revenue et qu'en prime, d'autres chiots sont là et semblent doués, les rats ne pullulent plus. Alors, un os ou deux en échange, ça pose pas de problème. Ensuite, tenue de boulot, épée, bouclier et il part au trot chez m'dame Zoé pour récupérer Kador. Il est en mission, il part avec son chien, qui est ravi. D'ordinaire, il part aussi avec le numéro 2 mais cette fois, il dit à Chanel de le suivre. Le chiot semble ravi et se place au pied de Clovis, puis le suit docilement quand il part en direction de la Hanse. Une longue marche pour un chiot, mais ce dernier est bâti comme un chien de taille moyenne déjà. S'il n'y avait ses pattes impressionnantes, on pourrait imaginer qu'il est déjà adulte. Et il ne ressemble en rien à sa mère. Si Kador a l'allure d'une louve, Chanel tient du Marbruméen pure race. Les hasards de la génétique. Sa championne tient de sa mère, les trois autres ont pris un peu des deux.

La traversée jusqu'à la Hanse se passera sans grand problème. Clovis est pressé et marche d'un pas vif. Kador adore, elle aime se dépenser et Chanel est plus qu'heureux de cette sortie. C'est qu'il n'en a pas souvent l'occasion, du moins seul avec sa mère et le Clo'. Il se laisse parfois distraire mais trotte dès qu'il y a quelques pas de distance. C'est qu'il y a des odeurs, des gens, d'autres animaux, de quoi occuper beaucoup l'esprit. Puis l'odeur de la mer. Le chiot n'est jamais allé aussi loin et adore cette mission "d'exploration". Arrivé à la Balsamine, nul dans le trio n'est épuisé. Le Clo', il a de l'énergie à revendre, tout dans son attitude et son corps l'exprime. Kador a récupéré de la mise à bas, ses chiots gagnent en autonomie et elle est ravie de se dépenser. Et le Chanel, bah, il tient du Clo', une boule d'énergie, mais moins belliqueux que son maître actuel. Et si c'est le matin et que la Balsamine doit être fermée, cela n'inquiète pas le Clovis, qui entre puis frappe à la porte et se présente :

- Bonjour, Clovis, Milice interne de Marbrume attaché à la coutilerie de Sydonnie d'Algrange et mandaté par cette dernière pour une mission importante.

Un sourire radieux accompagne son salut militaire. Il reste en position de salut un moment avant de réaliser qu'il est en présence de civils. Il se détend et Kador commence à visiter la pièce, reniflant à gauche à droite. Chanel lui reste docilement assis au côté du milicien, truffe surélevée. Une attitude fière, c'est qu'il est ravi d'être là. Clovis poursuit :

- La chef m'envoie pour faire un cadeau à Ombeline et voir si elle peut faire une bonne maîtresse. Paraît qu'elle est jolie, mais pour moi toutes les madames le sont. J'peux la voir pour voir si que ça peut s'faire ou pas, s'il vous plait ? 'fin, si ça pose po d'problème, hein ! J'sais pas comment qu'ça fonctionne dans un établissement comme ici.

Elles étaient trois dans la grande salle commune, trois à avoir passé une nuit très tranquille et à s’être levées pour aider à briquer la Balsamine avec Dom et Madame. Fleur passait le balai avant de s’attaquer à la serpillière, Bérangère achevait de ranger les verres propres et Ombeline était en cuisine, à compter le pain et les légumes qu’on leur avait livrés. Pas besoin de ses yeux pour ça, elle avait juste à passer la main sur les aliments pour les énumérer. L’exercice lui rappelait cette époque où, enfant, elle passait tout son temps dans la cuisine avec Dom. Elle avait appris à compter et même à additionner et soustraire en faisant l’inventaire du garde-manger, elle avait appris à allumer un feu, à l’entretenir et à poser une marmite dessus, elle avait appris à éplucher et découper et faire mijoter sans se trancher un doigt ou se brûler. Avec assez de lumière elle y voyait correctement pour ne pas confondre sa main avec une carotte et il lui suffisait de prendre son temps. De plus, avec un nez aussi fin que le sien, elle n’avait qu’à se fier au fumet qui s’échappait d’un plat pour savoir s’il était prêt ou non. L’un dans l’autre, Ombeline était parvenue à maîtriser toutes les bases qu’une bonne ménagère se doit d’avoir et cela malgré son handicap. Cette autonomie faisait sa fierté, aussi ne rechignait-elle jamais à retourner en cuisine pour aider.

Lorsque des coups furent frappés à la porte, Bérangère fut la première à réagir. Elle quitta le comptoir du bar et déverrouilla la porte pour s’enquérir de la raison de cette visite, mais fut prise de court par le milicien et ses chiens qui firent irruption sans demander à l’intérieur de la Balsamine. Fleur s’accrocha à deux mains à son balais et Dom grogna comme un vieil ours en voyant le plus gros des deux chiens commencer à fureter entre les tables.

— Dites donc, faudrait voir à ma non plus trop prendre tes aises mon gars ! vociféra Bérangère en se plantant devant le dénommé Clovis. La Balsamine elle est fermée et nous on bosse, là, alors tu s’ras gentil de nous foutre le camp et de repasser à des heures décentes. Et rappelle ton clébard ! Il fait peur à Fleur.

Effectivement, l’intéressée s’était réfugiée sur une chaise, son balai dans les mains, et semblait en détresse tandis que la chienne tournait autour d’elle pour flairer ses jupes. Dom vola à son secours en bougonnant contre le chien pour qu’il aille voir ailleurs et que la pauvre Fleur puisse descendre de son perchoir. Non mais qu’est-ce que c’était que ces manières ?

Intriguée par le soudain boucan venant de la salle commune, Ombeline délaissa le compte des oignons pour pointer le bout de son nez par la porte derrière le comptoir. Elle nota immédiatement la silhouette intruse devant laquelle se trouvait la tache floue de couleur jaune et pêche correspondant à Bérangère. Voilà donc ce qui perturbait le petit écosystème de la Balsamine… Le bonhomme insistait sur l’importance de sa mission, à savoir rendre visite à Ombeline comme l’avait demandé la coutilière D’Algrange.

— C’est moi Ombeline, répondit la jeune femme, rendue perplexe par l’incongruité de cette visite. On peut causer mais rappelle ton chien.

Quittant à son tour l’arrière du bar, elle s’approcha de ce qui semblait être une sorte de géant tant elle était obligée de pencher la tête en arrière pour distinguer son visage. À ses pieds, une petite chose noire attendait sagement, sans doute un autre chien. Mais lui au moins il n’allait pas mettre ses pattes pleines de gadoue dans toute la salle.
Pas bien impressionnée par les molosses ni par la taille ridiculement haute de leur invité, Ombeline croisa les bras et gratifia le milicien d’un haussement de sourcil dubitatif. Sydonnie ne lui avait pas parlé d’une possible visite de l’un de ses hommes, elle ne comprenait donc pas pourquoi ce grand échalas se permettait d’entrer de si bon matin.

— C’est quoi cette histoire de cadeau et de maîtresse ? J’ai pas le souvenir qu’on ait déjà taillé une bavette, toi et moi. Généralement les gens font des cadeaux à des personnes qu’ils connaissent, pas à des illustres inconnus. Tiens, tu sais quoi ? Tu vas m’expliquer tout ça pendant que je termine de bosser et on va laisser les autres faire ce qu’ils ont à faire.

Et sans attendre la réponse, elle tourna les talons en lui faisant signe de la suivre pour retourner là d’où elle venait, c’est-à-dire la cuisine. Ainsi personne ne perdrait son temps dans le bon déroulement des tâches matinales et le milicien pourrait accomplir sa mission sans entraves. Tout le monde était gagnant. En franchissant le pas de la porte de la cuisine, Ombeline ajouta tout de même que si les chiens approchaient leur truffe des aliments, elle n’aurait aucune hésitation à leur donner la tape sur le museau que méritait tout intrus fouineur et que leur maître y aurait droit aussi. C’était à lui de tenir ses bêtes après tout, leurs bêtises étaient ses bêtises.
De retour devant le grand panier où se trouvait les miches de pain, elle enjoignit Clovis à s’expliquer, lui laissant enfin le loisir de le faire.

Vlà qu'la dame, elle l'engueule, alors qu'il s'est bien présenté, propre et tout et qu'il a bien mentionné qu'il était missionné. Depuis quand qu'une civile se permet de lui donner des ordres et d'lui dire quand qu'il peut v'nir et quand qu'il peut pas ? Il hésite à lui rappeler qu'il est la loi ici et qu'il a po à attendre l'bon vouloir d'une rombière pour savoir s'il peut v'nir ou pas. De la voix ou avec une baffe qu'il lui explique ? Ah, ça s'ra d'la baffe, elle a mal causé d'son chien. Oh, rien d'personnel, il l'assommera juste un peu.

Coup d'pot pour la Bérangère dont il ignore jusqu'au nom, l'attitude de Fleur lui arrache un sourire. Kador repère les lieux, elle la renifle pour faire connaissance et la dame, elle a pris peur et est montée sur une chaise. Pour Kador, une attitude anormale est signe de jeu. Déjà, l'odeur qu'elle sécrète à cause de la peur n'est pas habituelle, c'est une odeur qu'elle sent quand Clovis la fait grogner, or ici elle n'a pas grogné. Un nouvel exercice ? Elle entend l'autre humaine arriver en bougonnant et elle met la chaise entre elle et cette autre humaine, sans quitter Fleur de la truffe. C'est qu'elle est maligne et peu impressionnable, Kador, ce qui fait la fierté de Clovis. Chanel irait bien jouer, lui aussi, mais d'un simple regard, Clovis le maintient assis. Il explique aux deux dames.

- Savez po gérer les chiens, vous ! Faut jamais montrer qu't'as peur, surtout quand qu'le chien il retrousse po ses babines, sinon forcément il va s'intéresser à toi. Pis c'est un chien dressé et les chiens dressés, ils jouent. Il f'ra pas d'mal s'il en r"çoit po l'ordre, tu crains rien, m'dame Fleur. Et vous, m'dame, vous parlez trop au chien. Un bon chien dressé, il obéit aux ordres. Alors même si vous en êtes po l'maître, faut penser à donner des ordres simples.

Et à titre didactique, il montre l'exemple.

- Au pied !

Illico, le chien revient vers Clovis et s'assied, à l'opposé de son fils et relève la truffe. Et Clovis flatte rapidement ses deux chiens avant de se redresser en voyant une troisième nana surgir, se présentant comme étant Ombeline. Il a un doute, car la dame semble y voir quand même un peu.

- T'es sure ? La chef m'a dit qu't'étions aveugle alors que t'y vois juste po grand chose...

Il aime pas les choses pas claires, le Clovis, mais Fleur, rassurée de voir le chien plus loin, lui confirme l'identité de la petite "aveugle". Et visiblement, l'Ombeline ignore pourquoi Sydonnie l'a envoyée ici. Au sourcil haussé de l'aveugle répond un haussement d'épaule.

- T'sais, j'sais pas quoi qui passe dans la tête d'la chef. Elle dit au Clo' de v'nir ici, alors le Clo', il vient. Elle m'a dit qu'tu f'rais une bonne maîtresse mais ça, j'demande à voir parce que bon, ça m'concerne aussi un peu. Puis c'est pas qu'un cadeau pour toi, c'est aussi pour moi. C'est qu'ça m'arrang'rait bien aussi, quoi. Ptêt pas autant qu'to, passque t'vas gagner plein des sous si ça s'fait. Sauf que j'trouve que ça s'fait po avec n'importe qui et qu'c'est qu'moi qui peux dire si ça s'fera ou pas. Même si que l'cadeau, c'est l'idée de la chef, c'est moi que j'décide

Il la suit sans difficulté vers la cuisine et se positionne en face d'elle, pour ne pas la déranger. C'est qu'en plus d'être grand, le Clovis, il est large. Et voyant les trois dames à l'ouvrage et Fleur essuyer les traces des pattes de ses chiens, il prend un tissu déjà sale et essuie les pattes de ses chiens, avant d'autoriser Kador à aller visiter les lieux.

- Pas avoir peur, Kador va renifler un peu puis sans doute se poser non loin d'un feu S'il faut qu'elle bouge, dites-le gentiment. Oh, et si vous avez b'soin d'aide pour des trucs à porter ou j'sais po quoi, n'hésitez pas !!

Maintenant qu'elle a les pattes propres, ça devrait l'faire. Et si pas, c'est le Clo' qui va grogner. C'est qu'un chien, faut lui laisser de l'espace aussi. Et visiblement, si l'Ombeline vit ici, c'est po chez elle. Même si elle y occupe un poste super important. Hey, on confie po une cuisine à n'importe qui ! Bon, par contre, y'a un truc qui lui plait pas, aussi le dit-il à Ombeline

- La main, c'est pour caresser, pas pour frapper !

Si un chien associe une main à une punition, le premier gamin un peu téméraire qui veut lui faire une caresse recevra une morsure, là où un chien qui ne veut pas être dérangé se contenterait de grogner. Et l'pire, c'est qu'on punirait le chien, et pas son maître ou le gamin qui a oublié qu'un chien, c'est pas un jouet. Mais bon... Puisqu'il doit s'expliquer, Clovis va le faire.

- Un chien, c'est beaucoup des responsabilités. Et un chien dressé, ça vaut beaucoup des sous. Un comme Kador ou comme Chanel, il veut 15 écus d'or. Alors, quand que Kador elle a eu ses p'tits et que les gens ils ont vu que je les dressais, ils ont cru que j'allions les vendre. C'est qu'avec 75 écus d'or, j'pouvions avoir une maison, quoi. Ou même me marier et tout. Sauf que l'Clo, il veut pas s'marier, ah ça non ! Puis j'suis bien à la Caserne. Mais c'est po ça, un chien, c'est pas un objet, c'est un être vivant, et ils sont mes amis, et on vend pas ses amis. Alors j'veux leur trouver des bons maîtres. J'a pris l'numéro 2 pour moi, l'est super intelligent, il m'aidera bien en milichien et ça permettra à Kador de moins bosser aussi et faire ses trucs de chien. Ma championne, la numéro 1, j'l'a confiée à un milicien de l'externe. Elle est un peu sauvage, aller dehors elle aim'ra bien. L'numéro 4, comme qu'elle adore les enfants et fait une bonne gardienne, j'l'a confiée à la gardienne, m'dame Zoé. Ça amuse les enfants en plus, elle est super contente. Mais il m'reste la numéro 3 et Chanel, numéro 5. Comment qu'j'peux t'expliquer ?

Il se gratte la tête, essayant d'user de mots simples pour que la cuisinière, elle comprenne bien.

- Chanel, il a tout pris du père. C'est l'plus massif de la portée alors que d'ordinaire, les numéros 5, ce sont des avortons. Mais comme c'est vraiment une super portée que la Kador elle a faite, même l'numéro 5 il est costaud et intelligent. C'est un chien qui d'mande de l'attention, car il a besoin d'un maître, ou d'une maîtresse, homme ou femme, ça change rien pour un chien, il voit qu'un humain. Il va encore beaucoup grandir, l'aura la truffe au-d'ssus d'ton nombril, ça pour sûr. Et faudra l'nourrir. Il sait déjà chasser, si vous avez des rats, ils resteront pas longtemps. Faudra le laisser sortir aussi pour chasser, il r'viendra d'lui-même dès qu'il aura compris que tu es son maître.

Oui, Ombeline ne l'aura sans doute compris que maintenant, mais le cadeau est là : un chien dressé pour l'accompagner. C'est un peu le souci avec Clovis, comme il n'est pas né malin, si lui comprend, il pense que tout le monde comprend, parce qu'il ne comprend vraiment que les choses simples.

- Faudra aussi le promener de temps à autre, lui brosser le poil, jouer avec lui, l'entraîner, lui donner des ordres faciles. C'est po l'plus difficile, faut prendre un ton ferme et lui dire les choses comme Non, Assis, Couché, Pas bouger, Au pied, et d'autres. Et le récompenser quand il obéit bien. Car pour un chien, tout, c'est qu'un jeu. S'il s'amuse bien avec toi, il t'aimera bien. L'avantage avec Chanel, c'est qu'il peut changer de maître facilement.

Chanel, comme on s'intéresse pas trop à lui, s'est rapproché d'Ombeline pour poser son museau contre sa cuisse. C'est que ça sent bon par ici, s'il peut avoir une chute de quoi que ce soit, le Chanel, il sera pas contre. Clovis laisse faire, c'est à Ombeline à gérer ça. Il poursuit :

- Un chien, ça mange de tout, aussi des restes, mais faut un peu de viande. Des gros os aussi, pour les dents. S'il reste de la moelle ou des tendons, tant mieux. C'est un super gardien aussi. Déjà là, ses crocs peuvent faire bobo si tu lui dis d'attaquer, et il sait bien grogner. Puis il te défendra si tu as peur, en redressant ses babines. Et comme qu'il sera plus grand qu'Kador, ça f'ra d'l'effet, ça, pour sûr. Mais c'est un chien très calme, un chien qui aime vivre à l'intérieur et qui doit sortir que pour chasser et pour ses besoins. Il s'ra beaucoup à tes côtés. Alors, s'il t'intéresse, j'pourra t'apprendre deux trois trucs pour qu'il prenne ses marques ici et qu'il t'obéisse bien à toi et si qu'je vois qu'il t'aime bien, alors il s'ra à toi; Mais si t'es po un bon maître, j'le reprendra. Ah, faudra un grand bol avec de l'eau, ça boit beaucoup ces choses là.

Voilà, le deal est proposé, il est simple. Il peut le lui confier mais vérifiera que tout se passe bien pour son chien. Cela fera pas mal de visites et pas mal de cours à donner à Ombeline. Mais l'endroit est très grand et il sait pas pourquoi, mais il la sent bien, cette fausse aveugle. Il aime bien sa voix. Mais avant, il verra si elle sait bien s'en occuper avant de laisser Chanel ici

Alors qu’elle reprenait le compte, rapide dans ses mouvements à mesure qu’elle remplissait le panier avec le pain qu’on leur avait livré, la donzelle écoutait attentivement. C’est qu’il parlait vraiment beaucoup le bougre, à donner des instructions et des directives et des conseils et des informations dans tous les sens. Elle devait s’accrocher pour ne pas trop perdre le fil et surtout pour ne pas lui dire de calmer un peu son char avec ce petit côté autoritaire qu’il se permettait d’avoir. Se faire gronder pour l’éducation d’un chien qu’elle n’avait même pas demandé, c’était tout au mieux désagréable et au pire très irritant. M’enfin le bonhomme n’avait pas l’air bien méchant ni mal intentionné et si Sydonnie avait décidé de l’envoyer ici, c’était sans doute pour une bonne raison.
Il fallut un moment à Ombeline pour comprendre que ce que venait faire le milicien ici, ce n’était pas simplement un exposé bien détaillé de comment s’occuper d’un chien mais bien lui proposer à elle de prendre en charge le fameux chiot géant dont il parlait et qui venait de s’appuyer contre sa jambe. Une idée qui lui parue incongrue en premier lieu avant qu’elle n’imagine le confort que pouvait représenter un compagnon canin prêt à la défendre.

— Mhm, se contenta-t-elle de répondre au long monologue que venait de faire Clovis.

Le compte pour le pain y était, elle s’épousseta donc les mains pour en retirer la farine et s’agenouilla pour se trouver au même niveau que le jeune chien qui espérait que tombe un peu de nourriture dans sa direction.

— Voyons un peu à quoi tu ressembles, toi.

La silhouette assise de l’animal était complètement noire, il avait donc le poil très sombre et elle pouvait l’entendre renifler avec avidité les mains qu’elle lui présentait. Après qu’il eut collé sa truffe humide dans ses paumes, elle lui prit la tête pour enfouir ses doigts dans sa fourrure et lui gratter derrière les oreilles. C’était terriblement doux à toucher, elle pourrait rapidement y prendre goût. Le reniflement s’approcha de son visage et elle se laissa inspecter en retour, étouffant un rire lorsqu’il lui souffla dans les oreilles en lui mouillant la joue, sans doute curieux de l’odeur que pouvait avoir son cou ou ses cheveux. Si c’était encore un bébé, il avait tout à découvrir, c’était bien normal qu’il se monte curieux. Comme elle l’aurait fait avec une personne, Ombeline lui tâta le museau pour en mesurer la taille et la forme, lui caressa le sommet de la tête, évalua la taille des oreilles et lui ébouriffa la fourrure sur les épaules qu’il avait épaisses.
Effectivement, la bête était déjà massive et promettait de grandir encore. Son enthousiasme juvénile avait de quoi faire craquer mais elle n’oubliait pas l’essentiel, à savoir qu’un chien était une bouche de plus à nourrir en cette période de rationnement. Le Labret avait fait de bonnes récoltes l’an dernier et cette année on pouvait s’attendre à de meilleurs résultats encore, mais la situation n’était pas résolue pour autant. Toujours des fangeux dehors, toujours des prix élevés, toujours difficile de gagner sa croute.

— On est sept filles à bosser ici, plus Dom et Madame. Et les clients aussi qui peuvent laisser des restes. Y manquera pas de nourriture, c’est certain. On lui mettra de côté des morceaux et je devrais pouvoir lui offrir un peu de viande fraîche de temps en temps. Ou du poisson, pourquoi pas.

Elle se redressa et se rendit à la table de découpe où des lambeaux de lard traînaient près du couteau, relief du ragoût qui avait été préparé et qui chauffait doucement sur le feu. Elle en rassembla quelques-uns dans son poing fermé et se tourna vers le chiot qui la suivait, truffe levée, dans l’espoir de recevoir une récompense. Avec beaucoup plus de naturel qu’elle ne l’aurait imaginé, elle lui donna un ordre d’une voix claire ferme. Le chien s’assit comme elle le demandait, non sans avoir jeté un coup d’œil à son maître auparavant pour s’assurer de la conduite à tenir, et elle lui présenta alors le lard pour qu’il puisse s’en régaler.

— J’imaginais pas avoir un chien un jour, mais c’est pas une mauvaise idée, admit-elle, charmée malgré elle par le caractère du chiot.

Rassemblant ce qu’il pouvait rester de lard, elle contourna le jeune pour s’approcher de l’âtre devant lequel une autre silhouette canine était allongée. Sans doute la mère dont parlait Clovis. La jeune femme la distinguait assez mal mais elle pouvait encore reconnaître la tête de la queue. S’accroupissant non loin, elle émit un sifflement ténu entre ses dents pour attirer l’attention de la chienne et lui présenta les restes bien à plat dans la main. Pas de raison qu’ils n’aient pas le droit tout les deux à une petite friandise après tout.

— Donc, si je résume un peu tout le baratin que tu viens de me sortir d’un coup, tu es prêt à me confier le piot gratuitement si tu juges qu’il sera bien ici, c’est ça ? Et à me donner quelques leçons d’éducation pour qu’il soit sage.

La jeune femme se redressa, essuyant ses mains sur le petit tablier qu’elle avait noué à sa taille pour protéger sa robe, s’approchant du milicien qu’elle distinguait à peine tant il s’était mit dans un coin d’ombres de la cuisine.

— C’est d’accord, répondit-elle avec un sourire. Mais j’ai moi aussi des conditions. Tout d’abord, je veux renommer le chien. Hors de question qu’il s’appelle Chanel toute sa vie s’il doit la passer avec moi. Ensuite, je veux ta parole que s’il reste définitivement avec moi, je n’aurais plus de comptes à te rendre. Que tu m’apprennes à l’éduquer, c’est d’accord, être sous ta surveillance pendant des mois, c’est même pas la peine d’y penser.

Elle tendit la main pour conclure leur accord. Le milicien avait l’air de tenir beaucoup à ses bêtes et la donzelle n’était pas certaine d’avoir bien cerné le personnage, aussi préférait-elle être bien claire dès le début. S’il se mettait en tête qu’il gardait un droit de regard sur le chien alors même qu’il avait prit une décision, elle était bonne pour le voir débarquer régulièrement s’enquérir de l’état de l’animal et elle n’avait ni le temps ni l’envie de gérer un maitre-chien qui ne pouvait pas couper le cordon.

— Et si notre arrangement se passe bien, j’aurais peut-être un service à te demander, concernant son éducation, ajouta-t-elle en se mordillant le coin de la lèvre, tout à coup bien songeuse.

C’est qu’une idée un peu folle venait de lui traverser l’esprit.

Chanel et Ombeline s'apprivoisent, et Clovis laisse faire, ne semblant même pas les regarder. Le chiot tourne deux trois fois la tête vers lui pour voir s'il peut, et comme son maître ne dit rien, il s'y autorise. Il aime bien son maître, Chanel, il le gronde rarement, le récompense souvent et pardonne vite quand il a fait une bêtise. C'est important pour le chiot, qui a confiance en lui. L'autre humain est plus bizarre, elle se sert beaucoup plus de ses mains, semble assurer ses mouvements, les vérifier. Elle bouge différemment, se déplace différemment de ce qu'il a vu jusqu'ici, aussi chez les petits humains. Cela l'intrigue, comme si l'humaine regardait mieux avec les mains qu'avec les yeux. Lui, il se sert de son nez et de ses yeux pour se déplacer et savoir où il va, l'humaine est plus lente. C'est comme si elle voyait avec les mains. Alors il se tient un peu plus loin, pour pas la déranger si les yeux sont pas les mêmes. Ca, Chanel l'a compris. Et Clovis a remarqué que le chiot l'a compris, ce qui lui arrache un sourire. Information importante et découverte pour notre dresseur, les chiens sont capables de remarquer ce genre de choses et s'y adapte. Il trouve ça super intéressant, le Clo'.

Aussi, Chanel se laisse découvrir des mains, il a compris que ça n'était pas vraiment des caresses, même s'il en reçoit aussi. L'humaine fait ça pour le rassurer et ça lui fait plaisir. Et si son maître la laisse faire, c'est que l'humaine est importante pour son maître. Et si elle est importante, alors il doit la connaître aussi. Il la renifle pour identifier son odeur. Les mains sentent la nourriture, mais ça, c'est parce qu'elle en a touché. Elle a des longs poils, ça sent bizarre. Il a rarement l'occasion de sentir des poils humains, les humains en ont si peu. L'humaine sent bon, elle n'a pas peur. Une amie ? Sans doute. Elle semble le mesurer aussi, il aime moins, si elle lui emprisonne les pattes, il pourra plus courir. Mais non, elle s'arrête. Il aime bien sa voix aussi, elle est douce, ça fait pas mal aux oreilles.

Ah, l'humaine a assez fait connaissance on dirait. Hey, maintenant qu'on s'connait, t'aurais pas de quoi manger ? C'est qu'ça sentait bon, tout ça... Non, elle préfère parler au grand humain. Ah, elle se dirige vers ce qui sent bon, là. Très bon, même. Elle en met dans sa main. Allez, zou, je m'approche pour qu'elle m'oublie pas. Un ptit gémissement pour dire que j'ai faim ? Parce qu'aboyer, le grand humain, il aime pas. Il est fâché quand j'aboie, l'humain, sauf si c'est vraiment important. Manger, c'est pas assez important.

Assis qu'elle a dit. Boum mon popotin s'est posé sur le sol. C'est comme les ordres que le maître il donne. Mais j'peux lui obéir, à elle ? Bon, le maître m'en veut pas, alors peut-être la dame me donnera une récompense ? Une caresse, ça serait bien, mais là, dans sa main... Oh, elle me la tend. Rester assis, attendre que la main approche, prendre sans mordre la main, parce que sinon elle m'en donnera plus jamais. Houlà, c'est bon ! Elle en reprend ? J'ai pas fini, moi. Ah, non, c'est pour maman. On vole pas la nourriture pour un autre. Maman inspecte avant d'accepter, tiens, j'l'ai pas fait. Humpf... Bon, elle mange aussi, c'est que c'est bon. Mais toujours inspecter la nourriture, même quand le maître est là. L'est où le maître ? Ah, là dans un coin. Pourquoi il dit rien ? Ah, la petite humaine revient pour parler au grand. Bon, j'finis mon repas, moi. C'est qu'c'est bon !

Clovis sourit quand Ombeline lui dit qu'elle n'imaginait pas avoir un chien un jour mais que c'était une bonne idée. Pour sûr que ça l'est. D'ailleurs, il lui sourit, plutôt satisfait. Elle lui fait un résumé tout simple, comme quoi elle pourrait avoir le chien si elle est un bon maître.

- C'est bien ça qu'j'a dit, ouep ! T'as les bonnes attitudes. Tu les laisses te repérer, tu n'as pas de mouvements trop brusques, tu les laisses prendre la nourriture que tu présentes. Tout le monde il sait pas faire ça. Y'a des gens, ils aiment bien les chiens mais ils savent pas faire. Toi, tu les aimes et tu sais faire. C'est bien ! C'est très bien !

L'apriori de Clovis est positif, surtout que le chiot semble apprécier la petite humaine. Mais sur ce plan, il ne s'inquiétait pas trop. Les numéros 5 sont naturellement moins méfiants, car ils ont moins d'instincts. Plus un chien est sauvage, plus il se méfie de ce qui ne ressemble pas à un chien. Le numéro 5 est le moins sauvage d'une portée, donc souvent ça se passera bien, sauf si l'humain est hostile. Et encore, dans les moins bonnes portées, même l'hostile, il voudra s'en faire un ami. Ah, elle fixe des conditions. Le premier, c'est de pouvoir renommer Chanel. Clovis hausse les épaules.

- J'donne des ordres sans les nommer, parce que j'sais l'faire. J'ai un don d'puis tout ptit avec les animaux. Ils sentent à qui que j'donne un ordre. Le chien, si tu lui donnes son nom avant de donner l'ordre, il comprendra au bout d'un moment que le nom, c'est lui, puis ce qu'il doit faire. Quand tu lui auras choisi son nom, tu diras son nom puis l'ordre, et ça sera son nom au bout d'un moment. Quand il entendra son nom, il saura que tu l'appelles. Ça va vite, ça. Mais n'en change plus. Une fois qu'il a compris son nom, en changer, ça va le perturber. C'est toi qui l'appelles ainsi, c'est toi qui l'appelles. Comme moi je suis Clovis, lui, ça sera Rex, Chanel ou l'nom que tu veux, mais qu'un seul.

La suite le surprend un peu et il met du temps à comprendre. Il sourit :

- J'suis pas ton maître, j'suis l'maître du chien. Tant que j'suis pas sûr qu'il est bien avec to, le maître du chien, c'est moi. Mais une fois qu'il est à toi, il est à toi. Si j'reviens, ça s'ra pour le voir lui. J'aura plus rien à dire si qu'c'est toi le maître. J'viendra juste voir mon copain. Si t'auras encore des questions, j'y répondra, ça, pour sûr, mais ça s'ra ton problème et plus l'mien. J'suis po contraire, et j'ai plus que des ptits trucs à lui apprendre. Surtout à mordre en fait. Faire très bobo, mais sans attaquer le cou. Et éviter de prendre un mauvais coup. C'est po l'plus drôle à apprendre, mais c'est super important !

Les chiens ont tendance à accrocher un membre et à rester dessus. Forcément, au bout d'un moment, l'autre frappera la tête qui les mord. Mieux vaut des attaques courtes ou hors de portée d'une main ou un pied. Mais c'est plus facile à apprendre que de ne pas mordre, ce qui est une chose plus instinctive. Et il faut que ça reste un jeu. Il viendra surtout pour ça, en fait. Le reste, il le verra facilement à l'attitude de son chien. Il serre donc la main pour sceller l'accord.

- Ce qu'j'va dire est super important, alors faut qu't'écoutes bien. T'es pas l'amie du chien, t'es son maître. C'est lui qui dois s'adapter à toi. Tu fixes les règles. Il peut pas grogner contre toi. Il essaiera. Alors tu peux punir en prenant une attitude fâchée et en faisant le gros doigt. Attitude ferme. Et s'il continue, alors tu peux le frapper, mais jamais avec la main, et jusqu'à ce qu'il réaccepte ton autorité. Tu prends un papier, un torchon, mais jamais la main. La main, c'est pour caresser. Sinon le chien aura peur de la main et mordra la prochaine main qui viendra vers lui. S'il veut pas être caressé, il peut grogner, mais pas mordre. S'il mord, c'est qu'il a peur

Il marque un temps d'arrêt pour être sûr qu'elle a bien compris, puis poursuit :

- Punir un chien, c'est l'éduquer. Dans quelques semaines, il sera plus fort que toi. Kador elle est plus fort que moi. Mais elle m'obéit parce qu'elle sait quand qu'elle agit bien et quand qu'elle agit mal et que moi j'le sais aussi. Alors elle évite de faire mal et est récompensée quand qu'elle fait bien. C'est comme ça que ça marche. Un chien, il est pas fâché sur toi si tu le punis quand qu'il agit mal. Il en a besoin. Parce que c'est un chien. Un chien, il a pas de rancune si que t'es juste avec. Tout est qu'un jeu pour un chien avec un bon maître. C'est pour ça qu'il faut que tu es un bon maître pour le chien. Tu peux être fatiguée. Tu peux ne pas vouloir jouer. Tu peux avoir autre chose à faire. Tu es le maître. Lui, il peut pas.

Il grimace, car il a encore autre chose à dire.

- Mais il y a aussi des choses à pas oublier. S'il doit faire pipi ou popo, il peut pas attendre ou pas longtemps. Faut le laisser sortir. C'est pas dans une heure, c'est vite ! Parce que le chien, quand il réclame, c'est que c'est maintenant. Il sait pas prévoir. Si que tu sais pas parce que tu travailles, tu peux demander à un autre d'ouvrir la porte. Et s'il a faim, il a faim de suite. Les chiens, ils trichent pas. Ah, et oublie pas de lui donner au moins une petite caresse s'il a bien obéi, c'est important. S'il a pas une récompense, il aura moins envie d'obéir. Et une caresse, ça suffit, voire même un "bieeeeeeeeeeen". Il doit sentir que t'es contente.

Il a l'impression d'oublier quelque chose. Ah, ça lui revient.

- Le chien, il change de lieu, il doit s'approprier son univers. Alors il va sentir, il va renifler. Pour se rassurer, il va te coller un peu, les premiers temps, c'est normal. Tu le rassures, tu es son repère. Pareil pour dehors. Il va devoir sortir, repérer sa nouvelle maison. Il sortira pas loin, puis il ira un peu plus loin. Mais il reviendra. Faudra pas hésiter à sortir avec lui. Comme que t'es son repère, il reviendra. Mais au début, il voudra ptet revenir vers moi. Alors faudra lui dire au pied si tu sens qu'il part vers chez moi. Puis dans sa tête, il aura deux maîtres, toi, et moi. Puis plus que toi. Moi, j'serai un bon copain. Comme tes collègues, ce seront ses copains, qu'ils l'aiment ou pas. Alors, parfois, faudra que t'explique que les ordres, c'est toi qui les donnes. Il acceptera les ordres des autres copains, mais obéira vraiment aux tiens.

Il a dit le plus important et compte rester une heure ou deux pour que le chiot ne panique pas en le voyant partir sans qu'il ait maîtrisé son nouvel univers, ce que Kador a déjà fait. Ah, Ombeline a un service à lui demander ? Un chien éduqué, c'est po suffisant ? Il la regarde, un peu circonspect et dit :

- J't'écoute...

C'est pas gagné, il est gentil, mais quand même. Il sait pas à quoi s'attendre et il n'aime pas ça, le Clovis.

Elle aurait pu répondre qu’elle ne faisait pas dans la douceur spécialement pour les chiens mais plutôt pour elle, parce que se cogner en faisant de grands gestes était assez désagréable. Elle aurait pu ajouter qu’elle ne présentait pas la nourriture pour qu’ils la flairent, mais parce qu’elle n’était pas certaine de la distance entre sa main et leur gueule aussi valait-il mieux que ce soient eux qui approchent en premier. Mais si tous ces détails qu’elle n’avait appris nulle part convenaient bien aux animaux alors tant mieux, la cohabitation se ferait sans doute plus facilement qu’elle ne l’imaginait. En revanche, elle hausse un sourcil un peu dubitatif lorsqu’il lui dit de ne choisir qu’un seul nom. D’où est-ce qu’il sortait celui-là pour croire que les gens aimaient multiplier les noms ? La prenait-il pour une demeurée ou s’agissait-il d’une sorte de réflexe préventif dont il n’avait pas conscience ? Une fois de plus, Ombeline passa outre le léger agacement que provoquait chez elle ce genre de petites leçons de morale tout à fait inutile. Le bonhomme avait l’air un peu dans la lune et il était beaucoup trop tôt pour chercher querelle à qui que ce soit. De plus, il accepta sans broncher de pas être sur son dos plus que nécessaire, ce qui la rassura beaucoup. Au moins là-dessus ils étaient clairs. Elle espéra silencieusement qu’il ne se pointerait pas en demandant à voir le chien alors qu’elle était en plein travail mais quelque chose lui disait qu’avec sa chance, la situation pourrait bien finir par se présenter à elle.

La suite, elle prit le temps de l’écouter en penchant légèrement la tête sur le côté comme pour mieux entendre. Certaines informations lui semblaient plutôt évidentes, d’autres étaient complètement nouvelles. Dans les grandes lignes, le fonctionnement du chien lui semblait s’approcher de celui d’un enfant assez jeune. Ou parfois de celui des hommes. Elle ne doutait pas qu’ils parviendraient à s’apprivoiser l’un l’autre et à trouver une entente.

— J’ai des circuits de promenades réguliers, là où j’ai mes repères. Il apprendra vite, avait-elle affirmé à demie-voix tandis que Clovis achevait de lui donner des recommandations.

L’humidité d’une truffe lui effleura la main, sans doute le chiot à la recherche d’un dernier morceau de lard. Sans baisser les yeux, elle tâtonna à la recherche de la fourrure et lui administra quelques gratouilles au sommet de la tête ainsi que derrière les oreilles. Si ce n’était pas ce qu’il avait quémandé en premier lieu, il sembla pourtant trouver le traitement agréable.
Avec toutes les explications que venait de lui donner le milicien, la jeune femme espérait bien trouver dans la compagnie de ce chien un avantage certain au quotidien pour sa sécurité et un guide de confiance lorsqu’elle mettait le nez dehors. Elle s’expliqua donc sur ce fameux service, qui lui semblait être à sa portée puisque la bête était si bien dressée.

— Tu vois, depuis que les fangeux nous font des misères, j’ai pas pu sortir de la ville. Mirote comme je suis, si un fangeux approche je pourrais pas le voir à temps et m’enfuir alors je reste en ville. Sauf que j’aimerais retourner dans les faubourgs et sur les plages qu’on peut voir depuis le port… Je veux savoir si le chien pourrait m’accompagner là-bas, s’il sait aboyer quand quelqu’un approche, fangeux ou pas d’ailleurs. Je veux pouvoir compter sur lui, qu’il reste un peu dans mon giron si je sors des murs et qu’il se perde pas dans les marais pour renifler une grenouille. J’ai pas besoin qu’il attaque, juste qu’il reste avec moi et qu’il me prévienne au cas où. Il saurait faire ça ?

Puisqu’il lui proposait de terminer l’éducation du chien, elle ne risquait rien à lui demander. Jeter l’animal à l’attaque lui serait moins utile de que pouvoir se reposer sur ses yeux lorsqu’ils iraient se promener, mais c’était sans doute quelque chose qu’elle était la seule à envisager. Cela n’avait rien d’étonnant qu’un milicien trouve plus pratique d’avoir un molosse formé à mordre qu’un guide de confiance sur quatre pattes.

Bon, les choses, elles se passent bien. La chef, elle a pas le don pour les chiens, mais pour choisir des bons maîtres, elle a du flair. Enfin, si un chef, ça a du flair, bien sûr. Elle a des circuits réguliers et ça lui semble logique. Quand on y voit pas super bien, on prend des chemins qu'on connait pour pas se perdre.

- Si que tu te perds, lui il connaîtra le chemin. Si tu lui dis "Maison", il saura qu'il doit rentrer, c'est pas trop compliqué pour lui. Un chien, ça retrouve facilement l'endroit où il dort et il mange. Il a ses repères !

Faut juste le temps qu'il les repère, et le chiot, voyant qu'à nouveau les humains discutent, se décide à fureter. Clovis ne dit rien, mais il écoute, pour voir si les autres dames elles diront encore quelque chose. Cela l'inquiète moins, un chiot, ça fait moins peur qu'une louve. Puis il faut qu'il prenne ses marques. Si souci il y a, c'est à Ombeline de le gérer. Vient alors sa demande et là, Clovis est un peu ennuyé.

- J'lui ai po appris ça...

Bon, c'est pas ça le plus gros souci, le plus gros souci est ailleurs.

- J'sais po comment lui apprendre...

Mais vu qu'il est soucieux et que ça s'entend dans la voix, c'est qu'il y réfléchit.

- Un bon chien, ça n'aboie pas. Et aboyer, ça attire, ça fait pas fuir. Les loups, on les entend pas en forêt, ou pas souvent. juste pour l'appel de la chasse ou pour dire bonjour à la lune. Par contre, grogner, ça il pourra le faire et ça tu l'entendras. Ça résoud qu'un problème.

Il réfléchit, le Clovis et se gratte un peu la tête; Pourquoi un chien l'aiderait à voir ? Kador l'aide à voir qui qui est mal à l'aise, parce qu'il sent le mal à l'aise et que Kador, elle sait que le Clo', il peut pas savoir. Alors Chanel, s'il sait que l'Ombeline, elle voit pas, il lui signalerait ? c'est pas impossible, mais c'est pas sûr.

- Faut qu'je vois, j'peux po promettre. C'est malin un chien, il saura que toi tu vois pas, il l'a déjà compris. Faudra juste trouver l'truc qui fait qu'il pourra pas jouer mais devra r'garder pour toi. J'comprends bin c'que tu veux, mais ça m'ennuie. J'ai pas d'souci qu't'ailles dehors, mais déjà, il a jamais senti d'fangeux. Ca l'intriguera. Et d'instinct ça l'inquiétera. Mais il voudra t'protéger, ça pour sûr. Et même adulte, il pourra pas tuer un fangeux. Mais rester près d'toi, ça, pas d'souci, suffit de dire "au pied".

Chanel revient vers Clovis et ombeline et semble quelque peu agité, voire inquiet. Il cherche à attirer l'attention. Clovis feint de l'ignorer.

- Faudra que j'l'entraîne à cela. Mais aussi à mordre. C'est pas que pour qu'il soit un chien d'attaque, mais s'il te défend et qu'il le fait mal. Il aura la mâchoire pour arracher une tête, mieux vaut qu'il morde une jambe ou un bras. Et qu'il sache qu'il doit lâcher pour pas prendre un mauvais coup. Ca, j'ai po l'choix. C'est ptet pas moi qui d'vra enquêter s'il tue quelqu'un, j'suis pas tout l'temps d'service.

Chanel pousse un gémissement. Pourquoi le maître il répond pas ? Il se tourne vers Ombeline, l'autre humaine et galope presque sur place.

- Pipi ! Et c'est ton chien...

A elle d'agir. Il a expliqué, elle doit faire. Si Clovis n'a rien fait, c'est pour voir aussi s'il se tournait vers l'autre humaine. C'est fait ! Il la voit comme un autre maître possible. Cela, ça fonctionne avec les numéro 5. Ils changent facilement de maître.

Elle hocha la tête à plusieurs reprises. Ce n’était pas une demande commune sans doute, mais elle comptait sur ça. Sortir en compagnie de quelqu’un lui assurait d’avoir une paire d’yeux plus perçants que les siens pour voir venir les choses de loin mais ce n’était pas toujours possible de se faire accompagner. Sans compter qu’il lui arrivait de vouloir être seule de temps en temps.

— Bon, on trouvera bien un moyen. Je dirais bien que ça ne coûte rien d’essayer mais ça pourrait me coûter la vie alors on va essayer de ne pas se louper. S’il n’y arrive pas et bien tant pis…

Un couinement sonore les interrompit et le chiot donna un coup de museau dans la main d’Ombeline pour l’inciter à agir. Clovis traduisit le message, ce qui fit sourire la jeune femme.

— Ben voyons, tout à coup c’est devenu mon chien ? T’avais pas dit que tu voulais observer avant ? Aller gros tas de poil, suis-moi.

Passant à côté du milicien, la jeune femme tâtonna rapidement un endroit sur le mur jusqu’à trouver la poignée de la porte et ouvrit pour donner l’accès à une cour intérieure. Une charrette vide et quelques cageots attendaient là qu’on vienne les récupérer. Voyant la silhouette noire du chien se précipiter, Ombeline porta instinctivement les doigts à sa bouche et siffla très fort avant de héler l’animal.

— Non ! Pas ici !

À grandes enjambées elle sortit à son tour pour se diriger vers la porte cochère grande ouverte qui se permettait aux livraisons d’entrer, la pointant du doigt et encourageant le chiot à s’y rendre.

— Viens ici, aller ! Va pisser dehors, hophophop ! Viens !

D’abord incertain, le chiot finit qui tournait en rond finit par venir au trot et la suivre à l’entrée de la rue. Truffe au sol, il longea alors le mur extérieur jusqu’à trouver LE bon endroit pour lever la patte. Restée dans l’encadrement de l’arche de pierre, Ombeline soupira. Il faudrait instaurer des horaires de promenade pour aller se vider la vessie parce que si Dom oubliait d’ouvrir la porte ou l’ouvrait trop tard, ce serait le drame. Tous les êtres vivants fonctionnaient avec la même mécanique : l’eau ressortait toujours après un même délai à avoir circulé dans les tripes, pas avant et pas après. Suffisait de connaître ce délai.
Le grattement des griffes contre le pavé l’informa que la bête était revenue. Sa fourrure noire se détachait bien du sol dans la lumière du jour et lorsqu’il fut assez proche, la demoiselle devina qu’il avait la queue haute. Sans doute était-il bien content d’avoir pu se soulager et cette pensée l’amusée. Se penchant en avant, elle lui gratta énergiquement l’encolure.

— C’est bien gamin, dit-elle à mi-voix.

Le chiot la devança pour retourner vers la cuisine, comme un môme impatient de raconter à son père quel exploit il vient d’accomplir en ayant réussi une tâche somme toute banale.

— J’ai trouvé un nom, dit la jeune femme en refermant la porte derrière elle une fois de retour dans la cuisine. Je vais l’appeler Kornog. C’est le vent d’hiver que mon père préférait. Il partait toujours plus tôt quand le kornog soufflait.

Un vent qui ne soufflait peut-être pas encore aujourd’hui mais qui passait souvent sur Marbrume, gonflant les voiles des bateaux pour les pousser facilement loin de la côte en direction du large. Grâce à lui, les pêcheurs arrivaient très vite sur les zones de pêche à l’est. Parfois Ombeline se disait qu’elle avait plus retenu en huit ans avec son père qu’en douze années à la Balsamine. Ou peut-être s’en souvenait-elle simplement parce que c’était les derniers souvenirs qu’elle avait de lui.

— Tu l'as déjà emmené au port ? Je voudrais pas qu'il ait peur de la mer, je suis souvent sur les quais, demanda-t-elle.

Clovis observe, toujours aussi tranquille. L'adolescent se montre finalement assez respectueux. il donne beaucoup de consignes sur ce qu'il estime important, mais il n'oblige pas Ombeline à agir exactement comme lui. Elle a sa nature, son style et au chiot à s'y faire, après tout. Du moment que le chien il peut comprendre, ça va à Clovis. Il n'aurait pas fait comme elle et aurait accompagné le chien dehors, mais Chanel a fini par comprendre et est revenu plutôt fier, pour réclamer sa récompense pour avoir bien réclamé et ne pas avoir pissé n'importe où. Et elle l'a bien récompensé. Le lien se forme, il a mis ses odeurs, il a repéré les autres et ici il y a de la vie et de l'espace. En prime, si elle est dans une maison, la dame, elle aime bien sortir se promener et ça, c'est important. C'est que le chien a besoin de se dégourdir aussi. Il estime avoir donné assez d'informations et pouvoir prendre le risque de les laisser vivre leur vie à deux. Mais elle lui apprend le nom qu'elle veut lui donner.

- Kornog ? J'aime bien. J'pense qu'il aimera bien aussi. C'est assez noble comme nom. Pense bien à lui dire son nom avant de lui dire un ordre.

Il sait qu'il l'a déjà dit, mais ça fait partie des choses importantes. Comme il s'apprête à partir, il propose à Ombeline.

- J'peux rev'nir dans une semaine, au matin. Y'a pas d'monde ici le matin on dirait, comme ça je vous ennuie pas trop. J'veux po vous déranger dans vot' travail, j'suis pas contraire, mais faut que j'sais pour prendre les arrang'ments avec ma chef.

Vu que c'est le cadeau de Sydonnie surtout, il a pas trop d'doute sur la liberté qu'il aura pour l'aider à éduquer Kornog. Mais faut qu'ça arrange aussi Ombeline, forcément. Bon, pour le port, il la rassure rapidement.

- Oui, j'a essayé de leur faire connaître tout. Pas l'esplanade, mais le marché, les enfants, les chats, les poules, les vaches, les ch'vals, la mer aussi. On est allé jusqu'à la taverne du port et il a vu la mer. Ca l'intrigue, et le sel ça pique. ah, ça m'fait penser

Il tend à Ombeline une brosse dure. Visiblement pour les poils. C'est qu'il les aura long. Ca demande de l'entretien. Il évite de lui parler des bains. Ca, même avec un dresseur, c'est la bagarre. Faudra qu'elle trouve son truc.

- On essaiera de sortir vite, pour que qu'j'vois comment qu'il réagit et ce qu'il faut que j'lui apprends. Puis si t'es ok, j'lui apprendrai à mordre bien dans cette ptite cour une fois après. Faut qu'j'le fais avant qu'il soit trop trop fort. Parce que parfois dans l'jeu, le chien il mord le maître. C'est po méchant, mais j'préfère être pincé que d'avoir le bras arraché, quoi. Maint'nant, j'va t'laisser toute seule. Si qu'il y a un souci, tu fais prév'nir la chef Sydonnie d'Algrange. j'lui expliquerons qu'il faut que j'viens pour t'aider. Et j'ferons aussi vite que possible. Mais c'est un bon chien, donc ça devrait aller. J'suis pas trop inquiet.

Il l'a prévenue que le chiot voudrait le suivre, sans doute. Mais pour éviter tout souci, il ne donne qu'à Kador l'ordre de le suivre. Si le chiot reste ici de lui-même, peut-être en imaginant qu'Ombeline est juste une gardienne, cela se fera plus en douceur. il se déplace dans la salle, allant vers la sortie, et se tourne vers les dames présentes.

- J'le dis parce que le Clo', il aime pas prendre les gens en traître. Kornog, c'est mon ami. On fait pas d'mal à mon ami. Si quelqu'un lui fait du mal, j'le tape, j'lui ouvre le bide, j'lui arrache les tripes, j'lui coupe la tête puis j'le tue. J'suis gentil, mais pas quand qu'on fait du mal à mes amis. Certains ont essayé, ils ont eu des problèmes. Mais si qu't'es gentil avec mes amis, j'suis gentil avec to. Le Clo', il est pas compliqué. Mesdames, c'est super gentil comment qu'vous avez été avec moi et mes chiens, j'suis certain que Kornog il sera heureux avec vous. Et moi, ça m'rend heureux.

Il a un sourire presqu'enfantin, ouvre la porte, laisse Kador sortir puis sort à sa suite et ferme la porte, laissant Ombeline et Kornog démarrer leur aventure.