[Terminé] Les joies d'être noble (PV Adelaide de Rougesoleil)

Le 28 février 1166, fin de matinée

La situation financière de l'héritier des Beauharnais n'est pas brillante, du moins à ses yeux. Oh, son récent mariage avec une riche bourgeoise lui a offert de solides réserves, bien plus importantes que ce qu'il avait économisé en quinze années dans la Milice, d'autant qu'il n'était pas dispendieux, mais son nouveau statut lui coûte des sous. Bon, il a fait une vraie folie avec l'achat de ses deux chevaux, sa nouvelle garde-robe, le palefrenier et la domestique qu'il a engagés pour lui, ça fait des frais, et ce n'est pas avec le produit de sa chasse et sa cueillette qu'il peut nourrir tout ce petit monde.

Sa vraie source de revenus vient de son épouse et principalement de la location et des rentes liées à l'Effeuill'age. Mais si Aymeric ne crache pas sur cet or qui tombe du ciel, il n'approuve pas. Il ne tient pas à être directement lié à une maison close. Et même indirectement, cela le gêne. Alors il sait que si malheur devait arriver à Aalicia, et cette option n'est pas à négliger quand une femme va accoucher, il se débarrassera du lieu. Et si on retire ce revenu-là...

Il a reçu la moitié de la fortune d'Aalicia par le mariage et la moitié de ses revenus, mais maintenant qu'il a aussi une cotisation à payer pour son adhésion à l'Ordre, il perd 1 écu et 8 pistoles par mois. Ce n'est pas énorme, me direz-vous, surtout quand on a 700 écus de côté. Mais Aymeric déteste dépenser plus qu'il ne gagne et il déteste encore plus dépendre de son épouse. Alors il lui faut investir. Sauf que quand on est milicien, les investissements, on ne connait pas trop. Et la seule qui pourrait le conseiller est... son épouse, qui risque de mal prendre le fait qu'il veuille se montrer indépendant d'elle financièrement... et qu'il prévoit le coup pour le cas où elle décéderait.

Et cela devient urgent. Sa fille adoptive va lui coûter une fortune, ne serait-ce que pour l'habiller comme une digne descendante des de Beauharnais. Puis il faudra l'éduquer et lui prévoir une dot. Et Aalicia a un autre polichinelle dans le tiroir... Bref, sa perte réduite pour l'heure pourrait s'avérer abyssale en quelques mois. D'autant qu'Aymeric n'a pas de domaines qui lui rapportent.

Reste, bien sûr, le prochain décès du Comte, qui n'en finit plus de dépérir. Mais le brave homme a investi presque l'ensemble de sa fortune pour soutenir les exploits guerriers de feu Gonzague de Beauharnais, l'aîné d'Aymeric et tout a été perdu avec la mort du fier guerrier. Ses chevaux, ses hommes, ses armes, ses armures. Il ne reste quasi rien, sinon deux commerces, une forge et une menuiserie, qui fonctionnent presqu'à perte, entre le coût de la location des établissements au Duc et le défraiement des hommes mis en place pour faire tourner les commerces, puis les taxes, il ne reste rien ou presque comme bénéfice. Avec les frais liés à ses quatre domestiques et les frais médicaux, le Comte sera ruiné dans deux ans. Autant dire qu'il ne restera rien de l'héritage. Cela, Aymeric le sait puisque c'est lui qui gère désormais les affaires de son paternel.

Et dans le monde de la noblesse, Aymeric n'a pour l'heure qu'un seul ami, Alexandre de Terresang, le seul sans doute en dehors de son épouse à qui il pourra confier ses tourments et recevoir des conseils avisés sans être jugé ou sans que l'autre, flairant la bonne idée, ne la lui pique sous le nez. Car des idées, il en a. C'est sur la mise en application qu'il coince. Mais histoire de ne pas venir que pour ça, Aymeric aimerait aussi traiter d'un sujet qui lui tient à cœur. Les actions charitables de l'Ordre, il y adhère, sans réserve. Mais depuis qu'il a dû chercher sa gamine et qu'il a compris ce qu'était l'existence pour une enfant des rues, il aimerait en faire sa priorité et se servir de l'ordre pour améliorer le quotidien de quelques gamins, et cela à moindre coût.

C'est donc déterminé que notre ex-coutilier de l'externe s'engage vers la résidence des Terresang et frappe à la porte. Mais plutôt qu'Alexandre ou un domestique, il a la surprise de constater que c'est Adelaïde qui lui ouvre. Bon, il l'a déjà croisée lors des réunions de l'Ordre, mais jamais il n'a eu le loisir de s'entretenir de façon plus privée avec elle. Faut dire aussi qu'Aymeric est du genre taciturne, ce qui n'aide pas au contact.

- Baronne ? Je ne m'attendais pas à vous voir ouvrir. Je souhaiterai m'entretenir avec le Vicomte de Terresang de deux sujets assez importants. Pourriez-vous le faire quérir je vous prie ?

L’ambiance était tendue dans la résidence du Vicomte de Terresang. Cela devait faire des semaines que ce dernier et la baronne s’affrontaient au sujet du mariage arrangé. Jamais la jeune femme n’avait autant regretté une de ses décisions. Elle avait donné le feu vert à ce dernier alors qu’il lui avait brisé le cœur, et au plus profond d’elle même, elle avait espéré que ce dernier change d’avis. Mais Alexandre se montrait beaucoup plus entêté qu’elle avait prévu. Adelaïde referma rapidement le livre qu’elle était en train de lire en soupirant. L’envie n’était pas là. Peut-être qu’une marche à l’extérieur lui ferait le plus grand bien? Elle se releva pour aller déposez le livre dans la grande bibliothèque et se dirigea dans le hall pour aller dans ses appartements. Mais un bruit sourd l’arrêta en chemin. Quelqu’un cognait à la porte… Adelaïde regarda autour d’elle et voyant qu’aucun serviteur ne semblait être dans les parages, elle décida d’aller ouvrir elle-même… Quelle ne fut pas sa surprise de découvrir le futur Comte de Beauharnais.

«Messire de Beauharnais» dit-elle en inclinant doucement la tête. «Je vous en prie, entrez» Elle se déplaça doucement sur le côté pour laisser ce dernier entré dans l’imposante résidence de son suzerain. Une fois ce dernier a l’intérieur, elle referma doucement la porte derrière ce dernier. « Malheureusement ce dernier est parti à une quelconque réunion. Il devrait revenir sous peu. Vous devriez l’attendre dans son bureau, je ne peux vous laisser partir dans ce froid sans que vous vous soyez réchauffé. Suivez-moi, je vous en prie.» Elle s’avança doucement dans l’imposant Hall alors que Henry, un des serviteurs entra finalement dans la pièce, l’air surpris que la Baronne ait elle-même ouvert la porte. « Henry, allez chercher une boisson chaude pour moi et notre invité. Nous serons dans le petit-salon. Qui plus est, pourriez-vous diriger le Vicomte dans la pièce une fois qu’il sera de retour.» Le serviteur s’inclina avant de laisser échapper un oui sonore et enthousiaste. Il tourna les talons pour se diriger vers le petit salon. Là, où se trouvait un ensemble de fauteuils assez confortables. Un feu brulait doucement dans la cheminée, réchauffant ainsi la pièce. Adelaïde fit signe à son invité de s’asseoir, et c’est à ce moment que le serviteur revint avec un plateau contenant une théière et deux tasses. Il fit rapidement le service avant de s’éclipser, fermant la porte derrière lui.

Adelaïde quant à elle, se sentait un peu prise au dépourvu. Quelle attitude devrait-elle employer avec l’héritier? Après tout ce dernier était assez proche de son suzerain. Suzerain avec qui elle eut des altercations assez virulentes ces dernières semaines. La Baronne s’installa sur le canapé, avant d’attraper doucement la tasse pour la porter à ses lèvres, puis elle leva le regard vers Aymeric. « Comment vous portez vous? Et Aalicia? Si je ne m’abuse elle devrait donner naissance bientôt. » Une conversation des plus banale après tout, s’informer de l’état de santé de son homologue. Au bout de quelques secondes, la jeune femme déposa la tasse sur la petite table devant elle, puis releva le regard vers Aymeric. Une idée vint doucement germer dans son esprit… Et si..? Non… c’était une mauvaise idée. Quoique d’avoir un allié comme Aymeric contre Alexandre et sa vision stricte des choses pourrait lui être particulièrement utile. Qu’avait-elle à perdre après tout? Une engueulade de plus avec son suzerain? Elle n’était pas à une prise de tête près. « Je ne vous mentirai pas, messire. J’ai besoin de votre aide. » Elle lui lança un regard suppliant avant de baisser légèrement les yeux. Elle replaça doucement sa jupe de taffetas en prenant une grande, mais discrète inspiration. Après tout, ce n’était pas tous les jours qu’elle devait demander de l’aide ainsi et la peur d’essuyer un refus catégorique était là. Elle le sentait léviter autour de sa tête. Après tout, elle et Aymeric étaient loin d’être particulièrement proches… Mais bon, qui ne risque rien n’a rien et à ce moment-ci, elle avait la ferme impression qu’il était sa dernière chance. Elle releva rapidement son regard azuré vers son homologue avant de reprendre la parole; « Le Vicomte cherche à me marier pour gagner quelconques avantages pour l’ordre. Les deux partis qui se sont manifestés sont loin de me plaire. Pourriez-vous lui glisser un mot en ma faveur?»

La baronne invite le futur Comte à rentrer et Aymeric obéit docilement... avant de réaliser que le Vicomte n'est pas là. S'il avait su, il ne serait pas resté, Aymeric déteste perdre son temps en futilité. Mais l'invitation étant faite, l'étiquette exige qu'il y réponde. Ou la politesse ? Bon, il n'est pas encore au point sur ces sujets-là. Il accompagne donc Adélaïde jusqu'au salon, où un thé leur est servi. Une fois le domestique parti, Aymeric se fend d'une politesse d'usage.

- Merci Baronne. Vos gens sont efficaces, les miens feraient bien de prendre quelques leçons ici. Enfin, ceux du Comte, ma récente domestique apprend son travail mais je lui porte une grande affection.

Il l'a engagée pour lui offrir une situation, la mort de son fils qui prenait soin d'elle la laissant dépourvue. Ce choix a été motivé par le fait que le fils en question était sous sa responsabilité, du temps où il était encore coutilier. Les amabilités se poursuivent dans l'autre sens, quand elle l'interroge sur la fin de grossesse d'Aalicia.

- Pas avant le printemps, début avril même. C'est à souhaiter du moins, car je dois m'absenter fin de cette semaine pour quelques nuits. Diverses obligations, dont celles de l'Ordre, m'appellent dans le Labret. Il serait malvenu que je sois absent pour la naissance de mon enfant.

Ce qui l'inquiète un peu plus, c'est de laisser Alix seule avec Aalicia. Il ne connait sa fille que depuis peu et doit déjà l'abandonner quelques jours et le seul lien qui lie Aalicia à Alix, c'est lui, Aymeric. Mais il a des obligations et il ne s'y soustraira pas. Et vu qu'Aalicia risque d'accoucher au printemps, c'est l'une des dernières "longues" sorties qu'il peut se permettre. Par contre, la suite le laisse presque sans voix.

- Mon aide, baronne ? Je vous acoute !

Il ne voit pas trop ce que lui pourrait faire pour aider la Baronne. Après tout, le Vicomte est plus en fonds que lui et plus au courant de la vie mondaine que lui. Puis il a le titre, Aymeric n'est qu'héritier. Mais quand Adélaïde lui expose son problème, Aymeric sourit. Il réalise qu'elle souhaite qu'il intercède en sa faveur. Les deux hommes s'apprécient et cela se sent. Mais Aymeric est aussi au courant des obligations des nobles et du besoin de fonds, aussi avance-t-il avec une extrême prudence.

- Baronne, je sais être connu et partisan du droit des femmes, mais il y a certaines réalités qu'il ne faut pas oublier. Les mariages sont rarement des mariages d'amour mais plus souvent des mariages politiques ou d'affaires, je ne vous apprends rien. Je n'ai pas épousé Aalicia par amour mais pour sa fortune, en échange de mon titre. Ce n'est un secret pour personne et personne ne s'en offusque je pense. Et pourtant, notre mariage fonctionne... Mais bon, je peux comprendre que la perspective vous déplaise. Quels pourraient être les deux prétendants ? Voyons, si j'étais votre suzerain, quels seraient les meilleurs partis ? Le Duc est marié et j'ignore tout de sa descendance. Il faudrait quand même que j'y jette un œil un jour, au moins pour éviter un impair...

La réflexion d'Aymeric est intense, et suivie d'une grimace.

- Un choix politique et commercial intelligent serait de vous unir au Baron de Sombrebois. Cela pourrait éteindre la guerre qui pourrait opposer leurs deux maisons, et Hector est l'un des rares à posséder un domaine et à être célibataire. Cette alliance aiderait forcément l'Ordre et permettrait également d'aider à renforcer les défenses physiques de la ville. Je n'ai pas encore rencontré l'individu, mais sur un plan politique, j'avoue que mon choix se porterait vers lui. Même si je serais surpris qu'Alexandre y ait songé de manière positive, j'imagine que cela serait bien vu du Duc lui-même. Mais j'avoue que pour le second prétendant, je sèche un peu. Quel est l'autre prétendant ? Ou les deux si mon premier choix devait être mauvais ? Et vous, qui souhaiteriez-vous épouser ? Et au pire un second choix, car si vous voulez que j'intercède en votre faveur, il faudrait à tout le moins que je puisse faire une contreproposition...

La jeune femme se décomposa alors qu’Aymeric lui rappelait les – disons – réalités de la Noblesse. Encore un autre discours sur le devoir des Nobles. Pourquoi devrait-il souffrir pour les apparences? Alors que le peuple était libre de faire ce qu’il voulait! Combien de femmes miliciennes occupaient des postes importants? Et pourquoi les Nobles, elles, devraient rester sous le couvert des hommes. La vie semblait bien injuste… Elle observa en silence le Comte qui semblait en pleine réflexion. Elle prit sa tasse de thé chaud et entoura la délicate porcelaine de ses longs doigts effilée en évitant le regard de son invité, qui semblait penser à voix haute.

«Un choix politique et commercial intelligent serait de vous unir au Baron de Sombrebois. Cela pourrait éteindre la guerre qui pourrait opposer leurs deux maisons, et Hector est l'un des rares à posséder un domaine et à être célibataire. Cette alliance aiderait forcément l'Ordre et permettrait également d'aider à renforcer les défenses physiques de la ville. Je n'ai pas encore rencontré l'individu, mais sur un plan politique, j'avoue que mon choix se porterait vers lui. Même si je serais surpris qu'Alexandre y ait songé de manière positive, j'imagine que cela serait bien vu du Duc lui-même. Mais j'avoue que pour le second prétendant, je sèche un peu. Quel est l'autre prétendant ? Ou les deux si mon premier choix devait être mauvais ? Et vous, qui souhaiteriez-vous épouser ? Et au pire un second choix, car si vous voulez que j'intercède en votre faveur, il faudrait à tout le moins que je puisse faire une contreproposition...»

La jeune femme s’étouffa alors qu’elle prenait une gorgée de son thé. Hector de Sombrebois? Mais il était tombé sur la tête ou quoi? N’était-il pas censé être l’ami de son suzerain? Si c’était le cas, il savait probablement la haine qui grugeait l’esprit d’Alexandre. Ce dernier préférerait probablement la laisser se faire dévorer par la Fange plutôt que la donner en mariage au Baron de Sombrebois. L’idée d’Aymeric était bonne en soi. C’était un stratège hors du commun, mais jamais cela n’arriverait, et ce même dans les rêves les plus fous. La jeune femme déposa doucement sa tasse sur la table avant de prendre un mouchoir pour s’éponger doucement les lèvres. Puis, elle releva son regard azuré vers Aymeric et prit finalement la parole; « Vous faites erreur, votre Grandeur. Jamais le Vicomte n’accorderait ma main au Baron de Sombrebois… Surtout après tout ce qui s’est passé avec Kira.» Elle s’arrêta un moment, repensant aux quelques heures passées avec le baron. Hector lui avait semblé charmant, ce qui expliquait assez bien pourquoi Kira avait décidé de s’offrir à ce dernier. Mais bon, le but de la discussion était bien loin des activités extraconjugales de l’ancienne Vicomtesse. La jeune femme releva fièrement la tête et continua; « Quant à un second choix, je n’en ai pas, votre grandeur. Je ne vois pas pourquoi je devrais me marier alors que les femmes se battent aux côtés des hommes contre la Fange. Ses temps sont révolus et doive changer. Mais si vous tenez absolument savoir qui sont les prétendants, il n’y a que deux possibilités que le Vicomte semble convoité. Le premier est le Baron Ulysse de Sombreval. Si, le mercenaire et propriétaire des Griffons. Un homme peu enclin à me marier, dois-je mentionner. Il me l’a clairement mentionné lors de notre dernière rencontre. » Adelaïde reprit doucement sa tasse avant de continuer; «Quant au deuxième, je crois que vous le connaissez particulièrement bien… Il s’agit du Comte de Rougelac.» La jeune femme s’arrêta en regardant Aymeric, bien consciente des sentiments de ce dernier au sujet de ce deuxième prétendant. Qui sait, peut-être venait-elle de le convaincre?

Jusque là, la conversation amuse Aymeric. Il apprécie la Baronne, elle a l'esprit vif et indépendant, deux qualités qu'il apprécie et deux bonnes raisons de vouloir la soutenir, si c'est possible. Mais il ne faut pas pour autant qu'elle perde de vue les réalités du monde. Et ces réalités, Aymeric sait les regarder en face. L'âge des caprices et du "tout m'est dû" lui est passé depuis un moment. Et il se demande si la femme face à lui est juste capricieuse ou trop orgueilleuse. Certes, il peut tenter de discuter avec Alexandre pour infléchir une décision, mais il ne mettra pas le lien qui les noue en danger. Et il ne jouera pas un rôle d'équilibriste dans lequel il n'est pas doué, étant trop franc du collier pour ça, juste pour un caprice féminin. Aussi, quand elle aborde le refus du Vicomte quant à l'éventualité de la marier au Baron de Sombrebois avance-t-il quelques arguments.

- Oh, le Vicomte est têtu et considérera que sa décision est basée sur l'honneur, qui est une valeur que nous partageons. Mais je pense pouvoir lui faire entendre qu'il ne s'agit en fait que d'orgueil, qui peut être un excellent moteur, certes, mais qui est inapproprié aux domaines du commerce, de la diplomatie et du mariage. Kira a rompu ses voeux, faits devant les Trois, et cela n'est pas pardonnable. J'ai longtemps hésité à rejoindre l'Ordre si c'était pour côtoyé cette femme, et j'avoue avoir été heureux d'apprendre que le Vicomte l'avait répudiée. Mais Sombrebois n'a trahi aucun voeu. Tout au plus a-t-il commis une faute morale. En allant plus loin, s'il vous unit à lui et qu'il rompt son serment devant les Trois, l'insulte faite à sa famille vaudra dette de sang et il pourra tuer le Baron sans que personne n'y trouve rien à redire. Et cette perspective pourrait être un meilleur argument encore que les intérêts commerciaux et diplomatiques de votre union. Cela pourrait fonctionner, avec moi...

Il y a d'autres éléments auxquels Aymeric songe mais qu'il ne présentera pas à son ami, par respect pour lui. Car si son ancienne épouse a couru dans les bras d'un autre, Alexandre y a sans doute une part de responsabilité aussi. Après tout, n'était-elle pas délaissée ? Et dans l'absolu, entre lui et Sombrebois, lequel est-il le plus fautif ? Mais c'est un argument qu'il n'aura pas l'indécence de présenter ainsi au Vicomte, et certainement pas pour un caprice. Et sa diatribe sur l'évolution du monde, la place de la femme et le changement de mentalité que cela implique finissent par convaincre le futur Comte qu'il est bien face à un caprice.

- Oui, Baronne, le monde a changé et oui, la femme y tient un rôle différent. Mais les mentalités évoluent bien plus lentement. Le changement que vous espérez, notre génération ne la connaîtra pas, ni même je le crains la suivante, si l'humanité existe encore. Vous espérez une révolution, mais au moins s'agira-t-il d'une évolution. Vous n'ignorez sans doute pas que j'ai fait partie de ceux qui ont accueilli positivement la venue des femmes au sein de la Milice, et pas seulement parce que l'humanité s'était réduite à peau de chagrin. Tout comme j'ai accueillii positivement la nomination d'Yseult dans le domaine de Traquemont ou le rôle que je permets à mon épouse d'avoir au sein de l'Ordre. Mais ce que vous voyez comme une donne venant aliéner le droit des femmes est une donne qui concerne les hommes aussi. Ne pensez-vous pas que j'aurais préféré choisir une épouse pour d'autres aspects que sa seule dot ? Ou que je n'aurais pas préféré rester dans la Milice, où je me sentais bien plus apprécié et respectable en tant que coutilier, d'autant que ma nomination au poste de Sergent allait être imminente ? Un Sergent de la Milice est plus important qu'un nobliau sans terre à mes yeux. Mais les réalités m'ont rattrapé, aussi mâle que je sois. Votre réalité est aussi la nôtre, Baronne !

Il y a un côté "fin de non-recevoir" aux propos d'Aymeric et il en est bien conscient, mais il ne mettra pas en péril son amitié et son début d'influence pour les yeux d'une baronne, aussi azurés soient-ils. Mais il écoute la suite, par respect pour la Baronne mais aussi pour lui faire entendre raison, ce qui pourrait même renforcer le lien qui l'unit déjà au Vicomte de Terresang. Et le premier choix d'Alexandre n'est pas forcément pour lui déplaire. C'est à ses yeux un second choix, mais pas un choix idiot.

- Je ne sais que quelques rumeurs sur le Baron de Sombreval. C'est un homme d'arme et il ne manque pas de courage. Et apparemment, il sait bien diriger ses hommes. C'est une bonne chose, surtout pour les missions de convoyage de l'Ordre. Il pourra solidement me soulager dans mes tâches, mais je me doute que vous vous foutez de ce point. Je pense qu'il peint aussi, il peut donc cacher une certaine sensibilité. Et le fait qu'il hésite à se marier est un bon point. C'est qu'il sait qu'il sera lié à un voeu et que cela le privera d'une certaine liberté. C'est donc qu'il compte respecter ses voeux et que c'est un homme pieu. Rares sont les hommes qui sont doués à la fois avec le glaive et avec les mondanités et lui sera souvent en mission de protection en ville ou à l'extérieur. Cela signifie qu'il vous confiera la gestion de la maison et aussi tout ce qui touche à la diplomatie et à la réputation. Un peu comme pour Aalicia et moi. Vous l'imaginez sans doute rustique, je le suis aussi. Mon épouse est une érudite, un peu comme vous. Cela crée de bonnes alliances quand l'un complète l'autre. Je n'irai pas jusqu'à prétendre que c'est parfait. Je pourrais le rencontrer moi aussi et vous donner mon avis, si le coeur vous en dit. Peut-être avez-vous cerné des défauts dont je n'ai pas conscience.

Mais dans l'absolu, concernant ce premier choix, Aymeric n'y voit rien de choquant. Ce couple pourrait s'entendre et la Baronne pourrait apprécier le côté "rustique" du Baron, tout comme Aalicia a fini par l'apprécier, lui. Et si son mariage n'était pas un mariage d'amour, même si avec sa grossesse elle a ses sautes d'humeur et qu'il ressent le besoin de fuir le foyer, elle ne l'insupporte pas et il y trouve même quelques avantages. Il a une alliée dont il respecte et avis et conseils. Il fait les efforts qu'il faut pour que son épouse soit heureuse, aussi. Et même si officiellement, c'est lui qui prend les décisions, entre les murs de leur chambre, il doit parfois négocier et céder. Mais bon, ça, il ne l'avouera pas ! Il a dit plus tôt que l'orgueil était un défaut souvent, mais il en a aussi. Il savoure son thé en attendant le nom du second prétendant. S'il le connaît, il pourra toujours défendre sa candidature si elle est défendable. Et cela tient du miracle qu'il n'ait pas renversé sa tasse en découvrant qu'il s'agit du Comte de Rougelac. Le regard d'Aymeric s'est profondément assombri et ses traits se sont raidis.

- C'est une blague, n'est-ce pas ?

Apparemment, non, elle est sérieuse. Aymeric ne comprend pas. Ou plutôt si, il comprend la Baronne. Elle n'est qu'une marchandise et cela la choque. Cela le choque aussi. Il a une fille désormais, mais jamais il ne la lierait à un tel personnage, même si sa survie en dépendait.

- C'est un brillant homme d'affaires, je suis prêt à lui reconnaître cette qualité. On n'acquiert pas une fortune sans avoir le sens des affaires. Et il a l'expérience des femmes...

Argumente-t-il en faveur du Comte de Rougelac ? L'argument d'Adélaïde tombe-t-il à l'eau ?

- Il peut s'allier aux pires canailles de ce monde si cela sert ses intérêts et sa connaissance des femmes ne vous sera d'aucune utilité, car il ne les respecte pas, ne serait-ce qu'un minimum. Il doit avoir des bâtards aux quatre coins de la ville. Il est tellement convaincu d'être intouchable qu'il fait même venir des putains chez lui. Le registre d'entrée de l'esplanade doit être rempli du nom de ces dames, qui doivent porter des noms charmants comme la Goulue ou miss Domina... J'imagine qu'il veut se racheter une réputation et si tel est le cas, votre vertu vaut une fortune sur laquelle Alexandre pourrait faire main basse...

Mauvais signe, il a nommé le Vicomte Alexandre. Est-ce parce qu'ils se nomment par leurs prénoms quand ils sont en tête à tête ou bien le Vicomte a-t-il perdu l'estime d'Aymeric suite à cette confidence de la Baronne ?

- Foi, Force et Honneur. Telle est la devise de ma famille, Baronne. Rougelac est tellement éloigné du début de ce qu'est un homme vertueux que je me demande comment les hautes autorités cléricales n'aient pas encore réclamé sa tête. La Force ? il serait incapable de tuer une mouche si cette dernière risquait de le piquer. Quant à l'honneur, le simple fait qu'il pense pouvoir se racheter une virginité et faire oublier ce qu'il est avec son argent indique à quel point il en est dépourvu. J'espère que vous me pardonnerez mon propos, mais il y a des hommes à qui je ne confierais même pas mon peigne. Mais lui, je ne lui confierai même pas mes poux. Il serait fichu de les faire torturer, ce con !

Voilà qui devrait rassurer la Baronne sur les sentiments qui animent Aymeric concernant Rougelac. Et encore, il ne lui a pas tout dit, car même énervé, Aymeric reste stoïque et sait ce qu'il peut se permettre de dire et ce qu'il doit cacher.

- J'ose encore espérer qu'Alexandre s'amuse avec le Rougelac et le fait tourner en bourrique pour deviner ses desseins et les contrer. Mais s'il songe réellement à vous offrir à cet olibrius en échange même de toute sa fortune... Je vais intercéder en votre faveur, n'en doutez pas et j'userai de tous les arguments dont je suis capable. Mais si votre suzerain a perdu la tête, permettez que je vous donne un conseil. Si tel est le cas, renoncez à votre titre et à votre rang et rejoignez le Temple, ou la Milice. Cela sera moins pire que de partager ne serait-ce qu'une journée avec ce type !

Clair, net et précis. Aymeric, quoi. Si la cause féminine concerne réellement la Baronne et qu'il ne peut rien faire pour l'aider, elle devra assumer, comme lui l'a fait quand il était adolescent. Il dépose sa tasse et lui fait une confidence étrange.

- Ce monde des sangs-bleus m'écoeure de plus en plus. Je ne renie pas mes valeurs mais je les aurais eues en tant que roturier aussi. Ici, elles sont perverties. J'étais venu demander conseil à votre suzerain mais j'en viens à douter qu'il puisse m'être d'une quelconque aide. Je m'entretiendrai avec lui, n'en doutez pas. Vous pouvez lui dire qu'il m'a profondément déçu si cela vous chante. Il l'entendra de ma part aussi et bien d'autres choses encore. Baronne, si vous n'avez pas d'autres questions, vous permettrez que je me retire...

Adelaïde écouta avec attention les paroles d’Aymeric sur le baron de Sombrebois. Il n’avait pas tort en tant que tel. Pas qu’elle détestait le Baron, il avait été sympathique lors de sa rencontre dans le bourg, mais elle savait la haine qui grugeait Alexandre à l’encontre du Baron et se doutait bien que jamais il ne lui accorderait sa main. Adelaïde soupira, en supportant le regard de son invité surprise; «Vous avez probablement raison Messire, mais vous savez comme moi que la haine qui consume le Vicomte ne rendra jamais cette option possible. Ainsi j’éviterais de la lui mentionner.» La jeune femme reprit sa tasse avant de la porter à ses lèvres, pendant que le Comte continuait ses réflexions sur le baron de Sombreval. Selon Aymeric, c’était un bon choix, un bon partit. Il lui mentionna certaines informations sur ce dernier qui surprit légèrement la baronne. Ulysse de Sombreval artiste? Certes il avait mentionné durant leur entrevue qu’il voulait aider les artistes, mais elle n’aurait jamais cru que ce dernier en était un à ses heures perdues. Peut-être l’avait-elle mal jugée? Après tout, elle avait été particulièrement dure avec lui. Elle soupira en se disant qu’elle devrait probablement s’excuser à leur prochaine rencontre, ou peut-être à leur mariage qui sait? Puis lorsque Aymeric apprit qui était le second prétendant, il sembla perdre toute contenance. Elle vit la colère s’emparer de lui alors que les mots sortaient de sa bouche. Décidément, elle avait visé juste, car ce dernier semblait détester le Comte de Rougelac autant qu’Alexandre détestait Hector de Sombrebois. Il alla même jusqu’à lui dire de changer de renoncer a tout ses biens plutôt que se marier a cet homme. Ce qui fit sourire intérieurement la baronne. Elle avait visé juste en demandant l’aide d’Aymeric…

«Ce monde des sangs bleus m'écoeure de plus en plus. Je ne renie pas mes valeurs, mais je les aurais eues en tant que roturier aussi. Ici, elles sont perverties. J'étais venu demander conseil à votre suzerain, mais j'en viens à douter qu'il puisse m'être d'une quelconque aide. Je m'entretiendrai avec lui, n'en doutez pas. Vous pouvez lui dire qu'il m'a profondément déçu si cela vous chante. Il l'entendra de ma part aussi et bien d'autres choses encore. Baronne, si vous n'avez pas d'autres questions, vous permettrez que je me retire...»

La jeune femme se leva, en acquiesçant. Elle ne voulait pas le retenir, surtout dans cet état. Il avait mentionné qu’il allait parler à Alexandre, soit. Cela lui permettrait d’acheter du temps pour se sortir du piège qu’il lui avait tendu. Elle avait encore quelques jours pour s’en sortir. «Je vous remercie, Votre Grandeur. Votre aide est fortement appréciée. Laissez-moi vous raccompagnez a la porte. » Cette dernière se dirigea vers la porte, et mit doucement la main sur la poignée pour s’arrêter soudainement. Adelaïde se retourna doucement vers Aymeric en ayant un regard légèrement fuyant, comme si elle était perdue dans ses pensées. « Si vous cherchez à savoir quel parti j’aimerais avoir, Votre Grandeur. Il n’y a qu’un nom qui me vient en tête; Logan de Sylvecastel.» Elle s’arrêta un moment pour sonder la réaction du Comte, puis expliqua son choix; «Ce seigneur est une de mes plus loyales vassales. Un homme intelligent brillant. Une excellente addition pour notre famille. Certes les atouts commerciaux qu’il possède sont moindres. Mais lui au moins sera fidèle et utile pour l’Ordre. » Elle dit cela sans émotion, tentant de cacher la moindre étincelle qui pourrait apparaître dans son regard. Puis elle ouvrit la porte pour laisser sortir Aymeric. Qu’elle le veuille ou non, elle voulait de mettre son avenir en ses mains. Adelaïde savait qu’elle l’avait touché. Ne restait qu’à voir ce que Aymeric ferait.

-FIN DU RP-