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 Quand le sang s'emmêle [Ombeline]

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Adeline DelormeAlchimiste
Adeline Delorme



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MessageSujet: Quand le sang s'emmêle [Ombeline]   Quand le sang s'emmêle [Ombeline] EmptyLun 28 Jan 2019 - 22:18
27 février 1166,

Quelle impuissance… Je ne pus que rester là, les bras ballants ne sachant plus que faire… Pas même le moindre petit geste hésitant, je me contentais de rester immobile dans l'encadrement de la porte de la chambre de mon aînée. Mère pleurait, assise sur une chaise à côté du lit, non loin de mon beau-frère à genou près de sa femme… Et moi… Je restais là, à contempler, bien silencieusement, le corps sans vie de ma sœur tenant dans ses bras le minuscule cadavre difforme qui devait être son fils.

Moi, je ne pleurais pas… Mes larmes s'étaient taries à la mort de Renaud et mon visage n'affichait plus aucune émotion. Mais pourtant, je souffrais intérieurement de ces nouvelles pertes imposée à notre famille par la grâce des Trois capricieux, confortablement installés là-haut. Me voilà donc, petite dernière de cette grande famille décimée, seule héritière d'un nom oublié et d'une fortune amputée…


*****


15 mars 1166,

L'arrivée de la fange en robe de mort avait grandement perturbé notre quotidien. Les affaires de famille se réglaient lentement tant les notaires de la cité se voyaient grandement sollicités. Les nôtres ne faisaient pas exception. La succession de mon père fut à peine actée qu'il fallut rouvrir le dossier Delorme pour que la petite dernière hérite de tout… Comme si je me souciais de tout cela, n'avais-je pas mieux à faire de mon côté ? Seulement, Clémence partit, ne restait que mère et moi dans cette grande demeure désertée et sans âme… Les affres de la vie avaient rendu Yolande fragile, perdue… Ma mère n'était plus que l'ombre d'elle-même à présent, si bien qu'elle était méconnaissable… Tout comme moi, finalement. Cette femme, si joyeuse et gracieuse, auparavant, passait désormais ses journées assise devant la cheminée à regarder les flammes danser au rythme d'une musique qu'elle seule ne pouvait entendre. Je n'avais donc pas le cœur à la laisser ainsi, seule, désemparée, ce qui me poussa à déserter mon laboratoire durant la journée…

Alors, pour m'occuper les mains et l'esprit, je décidais de faire un peu de rangement dans les affaires que père avait laissé. Depuis sa mort, plus personne n'avait osé toucher à son bureau à présent recouvert de parchemins poussiéreux… Il était grand temps de mettre de l'ordre dans cette vie qui ne ressemblait en rien à celle qu'elle fut jadis.

Lentement, je parcourais du bout des doigts les morceaux de papier éparpillés, y laissant mes empreintes dans la poussière épaisse… J'imaginais mon père assis à sa table, observant ses parchemins avec attention. Je nous revoyais, Renaud et moi, en train de courir autour de lui au point de le rendre chèvre et de le pousser à hurler… Cette maison était si vivante à cette époque… La voir ainsi me rendait nostalgique. Je soupirais, lasse de ressasser l'histoire d'une vie aujourd'hui révolue… Je n'avais pas le temps de me laisser aller à la mélancolie, il me restait tant de choses à faire… A commencer par ranger ce bazar depuis bien trop longtemps abandonné. Sur le bureau, traînaient à l'air libre, nombre de bons de commande et autres relevés de transactions faites avec des marchands probablement morts, eux aussi.

Ne voulant pas commettre d'impair, j'ouvris et parcouru chaque rouleau avant d’en jeter certains aux flammes, rangeant soigneusement d'autres, à l'attention de mon beau-frère qui s'occupait de faire tourner l'affaire familiale… A supposer qu'il continue, maintenant que son épouse n'était plus. Qu'en ferions-nous sinon ? Comment vivrons-nous le cas échéant ? Une femme ne pouvait se lancer dans les affaires, en particulier une femme comme moi qui n’y connaissait strictement rien… Mère ne pourrait se charger de cela non plus… Alors que faire si Gontrand nous abandonnait ?

Je réfléchissais tout en poursuivant ma tâche. Père n’était pas un homme organisé et comptait bien trop souvent sur les autres pour se charger de cette corvée. Il pouvait payer cher pour ne pas avoir à plonger dans son propre désordre... Aussi retrouvais-je des factures datées de 1155 au milieu de celles plus récentes… Connaissant mon paternel, je ne trouvais strictement rien d’étonnant à cela, bien que ce fut agaçant de remettre de l’ordre dans ce foutoir. Heureusement, il notait tout… Mais alors, vraiment tout… Néanmoins, je fus surprise de tomber sur un pli scellé par un bouton de cire estampillé du “D” Delorme. Ce qui m’étonna, ce fut le mot noté de l’autre côté de l’enveloppe… Un mot bien étrange et surprenant pour le paternel, mais pourtant bien écrit de sa main: Confessions.

Curieuse, je l’ouvris sans attendre avant de me mettre à lire avec attention. La lettre était en réalité adressée à ma mère et racontait brièvement la vie de mon père depuis leur mariage. Père n’était pas du genre à tourner autour du pot et expliquait, sans aucun détour, la vérité au sujet de certains mensonges racontés à Yolande durant tout ce temps. Je ne trouvais là que des broutilles, plutôt amusantes pour la plupart jusqu’à tomber sur ce passage:

“Il fut un jour où la fièvre et l’alcool m’eurent fait oublier ma vie, ma famille et ma femme. Je n’en suis pas fier, d’autant que je ne suis pas celui qui a dû subir les conséquences de mon acte irréfléchi. Un soir, en rentrant d’un long voyage, le capitaine de l’Hildegarde m’invita à me joindre à son équipage pour fêter la réussite d’une transaction qui s’annonçait compliquée. Je passais donc la soirée dans une taverne, près du port. Je ne saurai t’en expliquer le déroulement, mais je me souviens d’un moment partagé avec une jeune femme au nom inconnu. J’en suis navré, ma douce. Sincèrement navré, tu peux me croire. Mais l’histoire ne s’arrête malheureusement pas là.


Quelques temps après cette fameuse soirée, je recroisais cette femme. Elle se nommait Beatrix et portait ce qu’elle assurait être mon enfant. De ce qu'elle me raconta alors, son mari ne l’avait plus touché depuis des lustres. Je n’ai pas cherché à discuter outre mesure et lui ai donné le contenu de ma bourse, plus par empressement que par bonté d’âme, je dois bien l’avouer.

L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais voyant nos enfants grandir, je voulus savoir qui était celui que j’avais abandonné… A vrai dire, je songeais même à lui acheter l’enfant, du moins, s’il s’agissait d’un garçon. Or, c’est une petite fille que je découvris. Elle ressemblait beaucoup à sa mère, les cheveux aussi noirs, le visage aussi fin, mais bien que ses yeux furent aussi clairs que les siens, leur teinte me rappelait ceux de notre Adeline. Je décidais donc de lui offrir tout de même un peu d’argent et de lui laisser la petite, nous, nous avions bien assez des nôtres, du moins c’est ce que j’ai pensé à ce moment-là.

Pourtant, neuf ou dix ans plus tard, je voulus prendre des nouvelles de cette enfant. Je ne connaissais même pas son prénom et je mourrais de honte face à ma lâcheté et mon égoïsme. Alors, en rentrant d’un autre voyage, je décidais de me rendre chez cette Beatrix. Là, j’appris le nom de l’enfant, Ombeline, mais je ne la trouvais pas puisque la mère l’avait déjà vendu. Quelle ne fut pas ma colère lorsqu’elle refusa de me donner le nom de l’acheteur ou l’endroit où je pouvais la trouver… Je l’ai frappé si fort que je peux encore entendre le bruit de ses côtes se brisant sous mes poings. Cela ne me ressemblait tellement pas, je n'ai jamais été un homme violent, tu le sais. Néanmoins, dès lors, je n'eu plus qu’une obsession : retrouver ma fille. Et crois bien que je l’ai cherché, durant des mois, mais la vie et le travail m’ont poussé à passer plus de temps en dehors de la cité, si bien que, à l’heure où je t’écris ces mots, je ne l’ai toujours pas retrouvée.

Alors, si je devais avoir une seule et unique volonté, sans doute la dernière, ce serait celle-ci : retrouver cette Ombeline et lui donner le nom et l’héritage qu’elle mérite. Pardonne mon égoïsme, ma douce, mais je ne peux pas vivre en sachant que mon sang se ballade quelque part et vit, je ne sais quoi parce que je n’ai pas eut l'intelligence de la récupérer lorsque je le pouvais encore.”

Je ne lus pas le reste de la lettre, parce que j'en fus tout bonnement incapable. Au lieu de quoi, je me relevais lentement, sans pour autant lâcher le pli se trouvant entre mes mains, puis je quittais la maison. J'avais besoin d'air… Il me fallait encaisser cette nouvelle afin de réfléchir de la meilleure des façons. Je me pensais être la dernière des survivantes Delorme, or, je venais d'apprendre que ce n'était probablement pas le cas… Qu'allais-je faire de cette nouvelle ?


*****


Trois jours plus tard, je décidais d'en parler à mère. Après tout, elle avait bien le droit de le savoir elle aussi. Seulement, je fus surprise de découvrir que ma mère était non seulement au courant de toute l'histoire, mais qu'elle savait également où se trouvait cette fameuse sœur. Méfiez-vous d'une femme amoureuse, elles peuvent être redoutablement efficaces lorsqu'il s'agit de percer les mensonges de leurs époux. J'appris donc que Yolande avait mené sa propre enquête. Au cours de celle-ci, elle avait découvert qu'Ombeline était prostituée et exerçait dans un bordel nommé La Balsamine situé non loin de mon laboratoire… Quelle ironie… Ma sœur, vivait juste à côté depuis tout ce temps… Si l'on peut appeler cela “vivre”.

Aussi, ne perdis-je point de temps et me rendis directement sur les lieux. Il faisait nuit noire et les rues grouillaient d'hommes ivres et de femmes aux allures douteuses. Néanmoins, forte de ma détermination chargée de curiosité, je ne me préoccupais pas de ce monde nocturne. Arrivée là-bas, je demandais à rencontrer Ombeline. La femme à qui je m’adressais semblait surprise de me voir en ces lieux, même si je doutais être la première femme à m'y rendre. Néanmoins, celle-ci refusa de la faire appeler, craignant probablement que je vienne causer quelques ennuis pouvant porter atteinte à son établissement… Mais tant pis, je n'abandonnais pas et me détestais de ma bourse afin de payer ce moment “partagé et privilégié” avec ma sœur.

J'attendis un certain temps qu'on ne libère la jeune femme. Celle-ci finit par apparaître… La belle Ombeline, déambulait avec aisance dans la salle. A peine fut-elle entrée que déja plusieurs regards gourmand se posaient sur elle... Ainsi, le mien étant probablement le plus sein et je moins dégoûtant, je n’eu à pas à m'empêcher de la dévisager si impoliment. Bien au contraire, je me laissais totalement aller à mes observations intéressées et recherchais avidement quelques ressemblances avec l'une de mes sœurs ou moi… En vain… Et si cette Beatrix avait menti à mon père pour lui extorquer de l'argent après tout ? C'était tout de même une hypothèse à ne pas écarter trop rapidement… Il me fallait en avoir le cœur net.

Aussi attendis-je, bien patiemment, que l'inconnue ne vienne à ma rencontre. Une fois à ma hauteur, je me relevais pour lui faire face.

-Bonsoir, je me nomme Adeline Delorme. J'ai payé pour la nuit, mais ne vous en faites pas, la seule chose qui m'intéresse, c'est de pouvoir discuter avec vous. M'accorderiez-vous ce temps ?

Mon or suffisait à m'octroyer ce droit, néanmoins, je ne tenais pas à m'imposer ainsi. Je voulais son accord… Je voulais pouvoir déceler dans ses yeux clairs une lueur de curiosité, même petite. Je voulais pouvoir me reconnaître en elle, y reconnaître mon sang, tout simplement.

-Il semblerait que j'ai certaines choses à vous apprendre...
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OmbelineProstituée
Ombeline



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MessageSujet: Re: Quand le sang s'emmêle [Ombeline]   Quand le sang s'emmêle [Ombeline] EmptyJeu 31 Jan 2019 - 16:06
Ombeline, il y a quelqu’un pour toi. Une personne généreuse.

Bérangère n’attendit pas de réponse de la part de sa cadette, s’étant contentée de toquer à sa porte pour lui délivrer le message avant de repartir. Assise devant sa petite coiffeuse à la peinture écaillée, la jeune femme entendit clairement et se contenta de hausser les sourcils. Son premier client de la soirée n’avait souhaité que quelques caresses, sans doute lassé de se les donner lui-même mais pas assez fortuné pour obtenir beaucoup plus. Au moins ç’avait été plutôt rapide et Ombeline n’avait pas besoin de se laver, simplement de brosser correctement ses cheveux et de se rhabiller. Lorsqu’une “personne généreuse” se présentait, il fallait le prendre au sérieux : ce n’était pas tout le monde qui pouvait débourser le prix d’une nuit entière. Bérangère avait sans doute attendu que sa congénère soit seule pour lui annoncer qu’elle devait enchaîner aussi la donzelle se prépara-t-elle un brin plus rapidement pour éviter que l’attente ne fasse fuir ce client si avide de dépenser son argent. Après avoir réajusté les draps et embrassé la truffe du gros chien noir qui somnolait dans un coin de la pièce, derrière un paravent, elle enfila sa robe en veillant à bien serrer son corsage, lissa les plis des jupons d’un geste et quitta la chambre pour descendre dans la grande salle principale.

Comme tous les soirs, l’atmosphère était détendue, riante, on buvait et on jouait aux cartes, on se racontait des anecdotes et on reluquait les filles qui n’étaient pas déjà sur les genoux de quelqu’un. Un milicien hela Ombeline de loin, l’invitant à venir se joindre à sa table et elle lui répondit d’un signe de la main avant de se diriger vers les quelques sièges près du coin à fumer. Il était convenu que les filles fassent attendre les invités de l’aveugle à cet endroit, cela lui évitait de les chercher dans une foule où elle ne distinguait pas les visages. Ça n’arrivait pas si souvent que quelqu’un l’attende en particulier, mais parfois les habitués pointaient le bout de leur nez lorsqu’elle ne s’y attendait pas ou pendant qu’elle était occupée. Il avait bien fallu trouver un système.
Une silhouette attendait là, assise, et se redressa lorsque la fleur de trottoir approcha. C’était une personne plus ou moins de sa taille, les épaules étroite et les cheveux clairs. Tout le reste était trop quelconque ou trop flou pour qu’elle puisse se faire une idée. Ce fut lorsqu’il n’y eut plus qu’un pas entre elles et que s’éleva une voix que l’aveugle comprit qu’elle avait affaire à une femme. Pas commun comme clientèle mais elle ne se plaignait pas, les femmes étaient souvent de plus agréable compagnie.

Avec beaucoup de politesse, son invitée se présenta et demanda si elle pouvait lui prendre de son temps pour parler. Perplexe devant un phrasé et une attitude qui n’avait rien à voir avec ce qu’elle connaissait d’habitude, Ombeline haussa les sourcils et pencha la tête sur le côté, attentive. Généralement, lorsque quelqu’un ne voulait que discuter pour lui apprendre des choses, il s’agissait plutôt de lui souffler dans les bronches à propos d’un mari ou d’un fiancé infidèle. Si celle-là était venue se plaindre, elle savait garder son calme et ses bonnes manières. Peu inquiète sur ce qui pourrait lui arriver en cas de querelle puisqu’il y avait dans sa chambre un imposant gardien canin, la jeune femme hocha simplement la tête pour donner son accord.

Vous avez payé pour mon temps après tout. Suivez-moi.

Slalomant entre les tables et les chaises, elle reprit le chemin de l’escalier qu’elle avait descendu moins d’une minute avant et fit signe à Justin qu’il pouvait laisser passer la demoiselle qui l’accompagnait. Ensemble elles gravirent les marches pour abandonner derrière elles le rez-de-chaussée et ses bruyantes conversations.
La chambre d’Ombeline se trouvait au début du couloir qui desservait une bonne partie des quartiers privés de chaque fille dans l’établissement. Elle poussa la porte pour laisser entrer Adeline et referma doucement pour que leur conversation reste privée. Les autres n’avaient pas à surprendre les accusations qu’on lui ferait même si toutes les filles y avaient droit un jour ou l’autre. Clothilde était évidemment celle qui fâchait le plus les épouses cocues.

La pièce était d’une taille très raisonnable, décorée sobrement mais avec des étoffes de couleurs. Le petit mobile aux morceaux de verre colorés tournait paisiblement au-dessus d’une bougie et jetait des éclats de lumière sur les murs et le plafond. Les rideaux verts fatigués avaient été tirés pour que l’air froid du soir ne passe pas à travers la fenêtre. Intrigué par le retour si rapide de sa maîtresse, Kornog quitta son panier en s’étirant et sortit de derrière le paravent de toile qui le coupait du reste de la chambre pour venir flairer les mains d’Ombeline à la recherche d’une friandise. Patiente avec lui, la jeune femme tentait de lui apprendre à se tenir sage lorsqu’elle allait et venait le soir avec ses clients, mais le jeune chien était encore très curieux, c’était une chose difficile pour lui de tenir en place.
Invitant la blonde à prendre le seul siège présent en dehors du lit, l’aveugle s’assit sur ce dernier pour prendre la parole en premier.

Laisse-moi deviner, dit-elle avec un brin d’amusement, tu as découvert depuis peu que ton cher et tendre venait parfois fureter dans le coin et tu espères me dissuader de le revoir. Tu n’es pas la première à te tromper de cible, il y en a régulièrement qui viennent pleurer ou crier contre nous. C’est contre ton Jules qu’il faut diriger ta colère, je n’y suis pour rien s’il dépense son argent pour quelque chose qu’il a déjà chez lui.

Kornog posa timidement une patte sur le matelas, pour demander la permission, et en réponse la jeune femme tapota la place à côté d’elle. Ce code s’était mit en place très naturellement entre eux, à la surprise de la catin. L’animal hissa sa lourde carcasse sur le lit, la queue battante, et se coucha de façon à pouvoir quémander un peu d’attention. En bon bébé qui refuse de grandir, il aimait avoir l’affection de sa maîtresse lorsqu’elle était clairement occupée à autre chose.
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Adeline DelormeAlchimiste
Adeline Delorme



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MessageSujet: Re: Quand le sang s'emmêle [Ombeline]   Quand le sang s'emmêle [Ombeline] EmptySam 2 Fév 2019 - 18:44
J'ai toujours vu les gens juger les autres sur leur apparence ou simplement leur statut au sein de la société. C'était d'ailleurs un fait commun, tout à fait habituel chez les gens issus de la classe bourgeoise. Nous, nous n'avons pas été élevés ainsi. La famille de ma mère avait certes un peu d'argent, mais rien de semblable avec celle de mon père. Les Delorme roulaient sur l'or depuis des temps si anciens que l’on pourrait croire qu'ils ont toujours vécus aux côtés des nobles, pour toujours mieux satisfaire leur soif de belles choses hors de prix.

Si mon père aimait l'argent et le pouvoir que celui-ci offrait, ce n'était pas le cas de ma mère qui nous a enseigné que la richesse des hommes se trouvaient dans leur âme, leur valeur se jugeant uniquement à leurs actes et non à leur aspect, leurs paroles ou encore leurs intonations. Aussi ne portai-je aucun regard particulier vers cette probable sœur si ce n'est celui cherchant quelques ressemblances avec les membres de ma famille. Il faut dire qu'elle était aussi brune que j’étais blonde. Ni petite, ni grande, pas vraiment épaisse non plus, si ce n'est quelques formes tout à fait absente chez moi. Jolie, sans nul doute. Gracieuse, de bien des manières, probablement plus que moi, même.

Je ne dis guère étonnée de voir la surprise déformer légèrement ses traits fins. Elle ne s’était probablement pas attendue à retrouver une femme et devait se demander ce que je pouvais lui vouloir. Il faut dire que ma grande naïveté n'aurait pas réellement mon imagination à pousser autrement ma réflexion. Et, il était évident que malgré son jeune âge, Ombeline en savait beaucoup plus que moi sur le sujet… Qu'en aurait pensé père en la trouvant ici ? J'imaginais bien son indignation à l'encontre de la femme qui l'avait vendu… Sa répugnance envers lui-même pour ne pas l'avoir acheté quand il en avait eut l'occasion…

Sous son invitation, je lui emboîtais le pas, restant totalement silencieuse jusqu'au moment où nous fûmes seules dans sa chambre, ou presque. Un compagnon poilu l'y attendait, jeune lui aussi, à en juger par son attitude et son regard encore émerveillé de tout. Je n'ai jamais eu de chien, mais j'ai toujours aimé ces créatures. On les dit loyaux et fidèles et, à observer celui-ci, on pourrait aisément ajouter la tendresse à la liste de leurs qualités. Je pouvais très bien me perdre dans la contemplation de l'animal, mais la voix de ma “sœur” me ramena bien vite à la réalité.

Visiblement, la belle faisait fausse route concernant mes intentions, même si, effectivement, sa théorie semblait bien plus plausible que la réalité. Comment pouvait-elle seulement imaginer ce que j'étais venue lui dire.

-Vous vous trompez, répondis-je calmement. Je ne suis pas venue me plaindre, je ne suis ni fiancée, ni mariée. La raison de ma visite est tout à fait différente.

Comment aborder un tel sujet? Venir ici était facile, il m'avait suffi de marcher… Mais maintenant ? Quels mots employer ? Comment formuler une phrase correcte pouvant être comprise sans être trop brutale à encaisser ? Je ne savais rien de ce qu'elle avait pu endurer jusqu’à présent… Alors comment pourrai-je, seulement, anticiper sa réaction ? Mais tant pis… Je n'étais pas venue là pour rien…

-Mon père est mort, voilà plusieurs mois. C'était un homme qui voyageait beaucoup, pour ses affaires commerciales. Pour tout vous dire, on ne le voyait pas beaucoup à la maison… Mais nous étions loin de nous dire qu'il avait des secrets, dont un assez particulier et qui, apparemment, vous concerne également.

Je pris une pause, réfléchissant à la suite. Ma maladresse et mon malaise devaient aisément se faire sentir. Je n'ai jamais été une grande oratrice, même lorsque j'étais plus jeune et plus joyeuse. Je ne savais plus où me mettre… Devais-je m'asseoir ou bien rester debout ? Prendre appuie sur le pied gauche ou bien le droit ? Je me triturais les méninges, passais les doigts dans mes cheveux, propres et coiffés pour l'occasion… Puis, tout naturellement, ma main glissa vers mon sac pour y rencontrer le papier contenant toutes ces révélations. L'idée, alors, me vint, de simplement laisser parler mon père…

-À dire vrai, je n'ai pas les mots, alors peut-être devrais-je emprunter les siens.

Ainsi, me mis-je à lire la lettre, en son intégralité. Je voulais qu'elle sache quel genre d'homme était mon père, même s'il n'avait fait qu'exposer ici ses erreurs et ses regrets. Je les trouvaient tellement plus représentatifs que l'image que j'avais gardé de lui… Je cessais de lire quelques secondes, lorsque j'arrivais enfin au fameux passage évoquant sa naissance. Je lui lançais un regard curieux, avant de prendre une profonde inspiration et de poursuivre…

-Son souhait était de vous retrouver, il n'a pas eut le temps de l'exaucer, alors j'ai décidé de le faire pour lui. Je me doute que la nouvelle doit être assez difficile à encaisser, ce n'est pas rien… Mais je connaissais assez mon père pour affirmer qu'il aurait voulu autre chose pour vous… Une autre vie, celle que vous auriez dû avoir… Avec d'autres possibilités, d'autres choix… Je peux vous offrir cette vie Ombeline, et je ne vous demande rien en contrepartie… Laissez-vous le temps de réfléchir et si cette opportunité vous enchante, je serais ravie de vous recevoir. Le manoir familial se trouve à Bourg-Levant… Vous y serez la bienvenue.
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OmbelineProstituée
Ombeline



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MessageSujet: Re: Quand le sang s'emmêle [Ombeline]   Quand le sang s'emmêle [Ombeline] EmptyJeu 7 Fév 2019 - 17:39
Ombeline fut assez surprise d’entendre qu’il s’agissait d’une affaire en rapport avec un paternel décédé et cela lui remembra cette petite histoire que lui avait conté de Sombrebois. Allait-elle encore découvrir qu’un homme bien trop âgé pour elle l’avait un jour prise en pitié ? À ce rythme elle devrait songer à aller faire du gringue aux pères de familles !
Cette fois-ci cependant, le récit fut bien différent et à mesure qu’Adeline le déroulait en lisant la lettre, la fleur de trottoir en devinait la fin. Cependant elle n’interrompit pas la lecture, attendit d’en savoir plus et d’avoir tous les détails.

Après lui avoir tout expliqué, ou du moins tout ce qu’elle semblait en savoir, sa blonde visiteuse lui assura qu’elle n’était ici que pour exaucer le souhait de feu son père - leur père, à l’entendre ! - et permettre à Ombeline de sortir de la Balsamine définitivement.
Voilà.
Les mains cramponnées à sa robe, la jeune femme avait les yeux rivés au plancher et elle essayait tant bien que mal de ne pas laisser son caractère prendre le dessus. Son père était un marin, il avait disparu en mer des années auparavant, il lui avait apprit à nouer une ligne de pêche et à remonter du poisson, il lui avait le nom de quelques vents et il racontait les meilleures histoires de monstre marins de tous Marbrume. Son père était immense, avec des bras comme larges comme des troncs et des mains géantes dans lesquelles il pouvait la soulever pour projeter vers le ciel, il était bourru et travailleur et il était mort trop tôt. Cet homme-là qui hantait ses souvenirs d’enfance était son père, personne d’autre ne pouvait se réclamer ce droit. Pourquoi devait-elle croire qu’un marchand volage avait un jour engrossé sa mère et que c’était à lui qu’elle devait son sang ? Pourquoi faudrait-il qu’un inconnu qui jamais n’avait trouvé le courage de se pointer pour se présenter soit son père ? Il n’avait jamais rien fait pour elle, jamais dit un mot, elle ne savait même pas de quoi il avait l’air alors pourquoi devrait-elle le considérer comme un père ?

Face à elle, cette inconnue qui pouvait désormais être sa sœur, demeurait calme et dans l’attente d’une réponse. Sans doute avait-elle eu le temps de digérer la nouvelle et de choisir si cette révélation demeurerait enterrée quelque part ou s’il fallait la faire éclater au grand jour. Comme elle devait être déçue d’apprendre que sa sœur cachée était une catin… Voilà bien quelque chose que personne ne souhaitait tant la honte était grande.
D’un geste mécanique, Ombeline balaya une mèche de cheveux derrière son oreille avant de répondre avec douceur et fermeté :

Je n’ai jamais eu d’admiration particulière pour ma mère, même étant enfant. Elle était bonne, mais effacée et quelconque. Je crois me souvenir que nous partagions beaucoup de traits communs mais je ne saurais pas dire si en grandissant je suis restée fidèle à cette ressemblance. Elle laissait les autres décider pour elle, toujours.

Une expression plus dure passa un instant sur son visage avant de s’évanouir, sans doute causée par un souvenir désagréable qui resurgissait.

Par contre j’adorais mon père. Je crois qu’il était ravi d’avoir une fille comme troisième enfant et puisque mes frères ne jouaient presque pas avec moi, il m’emmenait un peu partout. Je l’idéalise sans doute beaucoup, j’étais petite lorsqu’il est mort, mais ça n’a pas d’importance : c’était lui mon père. Il ramenait de quoi manger sur la table et il grondait mes frères lorsqu’ils faisaient trop de bêtises, il veillait sur toute la maison. Je crois qu’il n’était jamais malade ou fatigué, il portait tout à bout de bras sans se plaindre et sans faillir.

De nouveau elle se durcit un peu, les sourcils froncés et cette fois c’était le pli de sa robe qu’elle regardait tout en tordant le tissu entre ses doigts.

Peut-être que c’est pour ça qu’ils se sont débarrassé de moi ? Peut-être que mes frères savaient quelque chose ou devinaient que je n’étais pas comme eux ? Ça leur a rendu la tâche plus facile une fois qu’il n’y avait plus personne pour me protéger. Peut-être que ma mère s’en voulait depuis toutes ces années et qu’elle était soulagée de me voir partir, elle aussi ?

La jeune femme haussa les épaules. Elle n’était pas certaine de savoir ce qu’elle ressentait, finalement. Dans la colère première qui s’était levée en elle, naissait à présent une peine affreuse, une peine qu’elle croyait avoir étouffé pour de bon depuis des années.
Elle trouva cependant le courage de lever le regard vers Adeline, qu’elle pouvait deviner clairement dans la lueur des bougies. Est-ce que leur géniteur était blond comme elle ou devait-elle elle aussi son physique à sa mère ? Un sourire triste lui étira le coin de la lèvre et elle haussa encore une fois les épaules avec une sorte de fatalisme.

Je ne peux pas vous affirmer que je suis bien celle dont parle cette lettre. En vérité, je m’étonne même que vous soyez venue ici : personne ne voudrait m’avoir dans sa famille et je ne risque pas de venir vous réclamer quoi que ce soit après toutes ces années. Vous auriez pu oublier cette histoire, ne jamais me chercher et poursuivre votre vie… Le reste de votre famille sait-elle que j’existe ? Que votre père a eu un autre enfant avec une autre femme ?

Malgré son trouble, sa voix ne tremblait d’aucun sanglot ni d’aucune timidité. Elle ne s’était pas mise à pleurer, n’avait pas même élevé la voix, comme si toute cette tempête qui grondait en elle était étouffée et contenu tout au fond, sous un couvercle qu’elle maintenait fermement.
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Adeline DelormeAlchimiste
Adeline Delorme



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MessageSujet: Re: Quand le sang s'emmêle [Ombeline]   Quand le sang s'emmêle [Ombeline] EmptyJeu 7 Fév 2019 - 19:23
J'avais conscience que la nouvelle ne devait pas être des plus faciles à digérer. J'essayais même de me mettre à sa place, songeant à ma propre réaction si j'apprenais que l'homme qui m'avait élevé n'était pas celui qui avait planté sa graine. Que toute ma vie au sein de ma famille depuis la naissance n'était que pur mensonge. Et qu'un jour, une inconnue se place devant moi avec une lettre et m'explique tout ceci en affirmant qu'elle était ma sœur… Comment réagir à cela ? Honnêtement, je ne savais pas… De plus, je fus totalement incapable de savoir où réellement situer le mensonge, ni même quelle importance donner à la réalité.

Aussi, me contentais-je d’écouter la jeune femme. Elle évoqua brièvement sa mère, la décrivant comme une femme tout ce qu'il y a de plus banale. Une femme qui manquait visiblement autant de volonté que de caractère. Je ne saurais dire quelle fut leur relation à toutes les deux. Si cette jeune femme fut aimée par celle qui l'avait pourtant portée et mise au monde. Je savais néanmoins que cette femme l'avait vendu, juste comme cela, un beau jour. Il devait bien y avoir une raison à cela, même si je n'étais certainement pas capable de la comprendre… Pour moi, on ne peut abandonner ainsi son enfant, surtout de cette bien odieuse manière…

Tandis qu'elle parlait, le visage de la jeune femme n'exprimait que regrets et amertume… Et plus elle avançait dans son récit, plus je me sentais mal sans comprendre l'origine de ce malaise… Certes, nul doute que sa vie fut bien plus difficile que la mienne. Un constat bien regrettable qui ne me fit que me sentir plus honteuse encore, mais ceci n'expliquait qu'en partie le trouble qui semblait vouloir s'emparer de moi…

Père aurait dû insister et la ramener à la maison avant que sa vie ne se transforme en cauchemars… Je sais que malgré tout ce qu'Ombeline pouvait représenter, Yolande l'aurait accepté et accueillie en sa demeure. Mère savait faire la part des choses…

D'après ce qu’elle m'en dit, Ombeline aimait profondément l'homme qui l'avait élevé. Son père… Pour moi, c'était bel et bien le cas. Il s'agissait de l'homme qui l'avait aimé et élevé, sans aucune condition… Et dans ce genre de cas, l'amour vaut bien plus que le sang. Je n'ai, par exemple, jamais eut une telle relation avec mon père. Édouard passait le plus clair de son temps sur les routes de Langres, il partait parfois plusieurs mois avant de rentrer à la maison… Je revois encore son visage souriant lorsqu'il apercevait mère. Son regard fier se posant ensuite sur Renaud qui avait encore grandit… J'entends l'intonation de sa voix lorsqu'il demandait à Martha de lui conter mes dernières bêtises, comme s'il s'agissait d'exploits. Édouard Delorme était un homme assez particulier, il est vrai. Je ne saurais dire s'il fut un bon père ou non, après tout, il avait autorisé sa fille à étudier l'alchimie… Était-ce une bonne chose selon notre société ?

-J'aimais le mien. C'était un homme à l'esprit ouvert et doté d'une intelligence remarquable. Un homme bon, travailleur et généreux. Un homme, parfois un peu lâche, il est vrai, mais qui ne laissait jamais tomber les siens… Jamais… Pas même après sa mort.

Je fronçais les sourcils en l'entendant utiliser le terme “débarrasser”... Nul besoin d’être doté du don d'empathie pour ressentir sa souffrance, sa tristesse. On l'avait abandonné de bien des manières, en la privant d'un père qui n'aurait pas dû l'être… Puis d'un second… On l’avait visiblement ignoré avant de la vendre et… La voilà, devant moi… Étrangement, je n'éprouvais aucune pitié pour elle, au contraire, je l'admirais, en réalité… L'espace d'un instant, je crus reconnaître la détermination de mon frère, dans sa posture. Ainsi donc, si je ne retrouvais aucunement les traits de mes sœurs dans les siens, je pus apercevoir ceux de Renaud… Certains gestes, certaines mimiques et expressions du visage… C'est là que je compris l'origine de mon malaise… Elle lui ressemblait à lui... Un constat étrange qui m'apporta autant de douleur que de soulagement…

- Oui, j'aurai pu oublier et faire comme si de rien n'était, il est vrai… Mais je ne suis pas le genre de femme à ignorer simplement les choses… A quoi bon faire une découverte si c'est pour l’oublier par la suite simplement parce que cela semble plus commode ?

Je soupirais, passant une main molle et épuisée dans mes cheveux… Je n'ai jamais vraiment été douée pour m'exprimer correctement de manière à me faire comprendre facilement par les autres. Renaud disait de moi que j'étais une originale… Peut-être avait-il raison…

-En réalité, je me fiche bien de la manière dont vous gagnez votre vie. On fait tous ce que l'on peut pour pouvoir survivre dans ce monde et je sais que cela est d'autant plus difficile lorsque l'on est une femme… J'ai eu de la chance… Énormément de chance même d'avoir eut mon père. Oh, il n'était pas parfait. Nous étions bien souvent en désaccord lui et moi, mais il a toujours su m’écouter. Il a su oublier ma condition de femme pour me permettre d'apprendre… Il a fait en sorte de me laisser m'épanouir dans mon domaine… Pour vous dire, il a attendu que j'ai 26 ans pour me fiancer… Qui ferait cela de nos jours ? Personne...

Les femmes n'ont toujours représenté qu'une sorte de monnaie d'échange. Un moyen de conclure un marché, une affaire… De fournir des héritiers et rien d'autre. Mes soeurs en sont le parfait exemple et voilà ce que cela leur a apporté… La mort.

-De ma famille… De cette grande et belle famille, ne reste personne mis à part ma mère et moi. Mes sœurs et mon frère sont tous morts. Je suis la dernière des Delorme… Du moins, je croyais l'être avant de découvrir cette lettre.

Quelle importance donner à tout cela ? La réponse ne m'appartenait pas…

-Je suis venue vous faire part ce ceci… La dernière volonté d’un homme admirable qui a, un jour, commis une erreur et qui a vécu en essayant de la réparer… Comprenez bien que mon père a réellement voulu vous offrir une meilleure vie que celle-ci. Mais ce choix-là, n'appartient qu’à vous, Ombeline…


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MessageSujet: Re: Quand le sang s'emmêle [Ombeline]   Quand le sang s'emmêle [Ombeline] EmptyLun 11 Fév 2019 - 18:23
Elle entendait la fatigue, peut-être la lassitude, dans la voix d’Adeline. Elle devinait que la vie n’avait pas été tendre avec cette famille inconnue qui était un peu la sienne par la force des choses. Tous ces inconnus qui s’appelaient sans doute entre eux « frère » « mère » « sœur » « père » « enfant » et « parent »… Voilà qu’à présent elle découvrait qu’elle était reliée à cette toile par un minuscule fil. Cela devait-il signifier que les pertes chez les Delorme étaient aussi des pertes pour elle ? Ombeline ne ressentait pas plus de tristesse d’apprendre que ces gens avec qui elle partageait un peu de sang étaient morts qu’elle n’en ressentait lorsqu’un milicien parlait d’un frère l’arme tombé au combat. C’était triste, mais ce n’était pas sa tristesse à elle, c’était le fardeau d’un autre. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était comprendre que l’on puisse se désespérer de voir un arbre être peu à peu amputé de ses branches.

Je crois que… Je pense que j’aimerais bien, se surprit-elle à dire à haute voix.

Il était tellement plus facile de vivre pour soi, sans attaches et sans avoir à pleurer de pertes, ne se soucier que de sa propre survie et d’un peu de camaraderie, mais sans vrais liens. Elle ne reniait pas l’amitié sincère qui la reliait à toutes les autres filles du la Balsamine, mais dans ce métier il fallait savoir saisir les opportunités sans attendre les autres. Et en fin de compte, peut-être bien qu’elle en avait assez de cela. Elle s’en était contenté tout ce temps, avait composé avec cet isolement sans se plaindre, mais ce n’était pas ce qu’elle désirait au plus profond d’elle-même.

J’aimerais rencontrer ta mère et voir où tu vis. J’aimerais aussi que tu me racontes comment tu vis et comment étaient tes frères et sœurs. Peut-être qu’il nous faudra du temps pour s’apprivoiser ou peut-être qu’on se découvrira plus d’affinités qu’on ne le pense, seuls les Trois le savent, mais je voudrais essayer de le découvrir. Elle souffla un rire un peu défaitiste. La Fange pourrait bien revenir envahir nos rues et réussir cette fois à me faucher, je m’en voudrais de manquer une occasion de changer de vie avant que ça n’arrive.

La jeune femme quitta l’assise de son lit pour s’approcher de son invitée et se pencha vers elle en l’observant attentivement. Elle ne pourrait jamais la distinguer clairement mais à courte distance et avec un peu de lumière, elle pouvait deviner les contours de son visage. Ses yeux dysfonctionnels percevaient un teint pâle et des cernes très sombres sous les yeux, des cheveux blonds autour d’un petit visage qui semblait avoir des angles doux. Adeline n’avait pas l’air très âgée.
Avec un sourire elle s’écarta pour s’agenouiller à même le sol, juste devant son aînée, et pouvoir lui parler en la regardant presque dans les yeux. Elle avait envie de saisir ses expressions et le mouvement de ses lèvres.

J’ai commencé à perdre la vue autour de mes huit ans. Je ne pourrais pas dire si nous avons un air de famille ou non, je ne sais même pas de quelle couleur sont tes yeux. Mais je ne suis pas un poids : je me déplace seule, je sais cuisiner même si ce sont des plats un peu rustres, je connais quelques chansons et je sais garder un secret. Je ne veux pas que tu perçoives la volonté de ton père comme une charge, que tu aies l’impression de devoir recueillir une catin aveugle qui puisse salir ton nom ou ton héritage.

Ombeline haussa les épaules. Elle n’était pas certaine de savoir pourquoi elle se justifiait de la sorte alors que d’ordinaire elle se moquait bien qu’on puisse la prendre pour une incapable. Elle s’était même habituée à ce qu’on la pense bonne à rien, après tout elle était plus maladroite et plus lente qu’une autre à cause de ses mauvais yeux, personne ne pouvait être blâmé pour la penser inutile. Néanmoins elle ne souhaitait pas que la perspective d’une réunion entre elle et les Delorme puisse faire croire qu’il s’agisse de la prise en charge d’une nécessiteuse. Elle était capable et volontaire, elle pouvait se rendre utile et être une nouvelle branche sur l’arbre, une branche saine.

Malheureusement, je ne peux rien faire pour ma réputation, elle est définitivement ternie… J’espère quand même que nous nous entendrons. Si j’ai une chance d’avoir de nouveau une famille, je veux lui être utile.
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MessageSujet: Re: Quand le sang s'emmêle [Ombeline]   Quand le sang s'emmêle [Ombeline] EmptySam 16 Fév 2019 - 9:51
Je ne saurai expliquer ma façon de voir les choses. Cette histoire… Pour le moins inattendu, ne m'avait guère laissé le temps de réfléchir posément. J'avais agi sur un coup de tête, portée par la détermination de mon père quant à retrouver et ramener la fille qu'il avait jadis abandonné. Je le connaissais suffisamment pour savoir que cette erreur avait dû le ronger jusqu'à ses derniers instants, tant il considérait sa famille, qu’elle soit connue, ou non. Je me trouvais donc face à une jeune femme arborant les traits de mon regretté jumeau. Certes, ceux-ci restaient discrets et féminisés pour s'accorder au visage de la demoiselle… Je ne voyais pas l’aveugle. Je ne voyais pas la prostituée… Je ne voyais que le sang de mon père, le mien… Plus je l'observais et plus toutes ces ressemblances, certes minimes, me sautaient aux yeux…

À dire vrai, je ne pensais pas que tout cela l'intéressait réellement. Je croyais même qu'elle m'aurait repoussé, tout bonnement, puisque j’arrivais bien trop tard dans sa vie… Et je n'étais pas la bonne personne pour lui porter cette nouvelle… Mais pourtant… Ombeline se montra bien plus curieuse que je ne l'aurai cru… Je la laissais donc parler, sans rien dire, me contentant de l'observer avec une attention toute particulière, ce qui me permit d'apprendre certaines choses sur elle… Son problème de vue, notamment.

Je la vit s'agenouiller devant moi, geste que je trouvais fortement dérangeant… Aussi m'agenouillais-je à mon tour pour me mettre à sa hauteur. Je ne tenais pas à ce qu'il existe une différence entre nous… Dans cette pièce sombre, point l'alchimiste, point de prostituée, juste deux femmes liées par le destin et le sang.

-Viens donc dîner demain, l’invitai-je en abandonnant volontairement le vouvoiement. Je te présenterai mère, ainsi que la maison. Il ne tiendra ensuite qu’à toi de rester ou non. Je ne suis pas venue t'imposer quoi que ce soit. Quant à ta réputation… Je m'en fiche totalement… La mienne ne vaut guère mieux, même si la raison est totalement différente. Cela, je te l'expliquerai demain, si d'aventure, tu choisis de venir… Ton compagnon à poils est bien entendu le bienvenu, Martha lui trouvera bien quelque chose en cuisine.

Je lui souris, aussi tendrement que possible, même si je doutais qu'elle puisse le voir, l'aidant à se relever avant de me retourner pour me saisir d'une bougie et la placer devant mon visage.

-Nous avons les mêmes yeux, toi et moi. Mais tu ressembles d'avantage à mon frère. Père avait les cheveux blonds, un peu comme la couleur du miel en plus foncé. Je tiens de lui, tout comme Renaud. Le reste, l’imperceptible, prenons simplement le temps de le découvrir...

Je lui donnais ensuite l'adresse de la demeure familiale, avant de quitter la pièce. Je n’oubliais pas de payer suffisamment pour lui garantir une soirée tranquille et reposante sans avoir à subir le poids d'un homme. Ne me restais plus qu'à rentrer chez moi pour me préparer à avoir une conversation avec Yolande…

Encore une fois, je laissais père parler pour moi, me contentant de déposer la lettre sur le guéridon situé à côté de son fauteuil.

-Tu devrais lire ceci… Je serais dans ma chambre si tu veux en parler.

Je ne lui parlais pas de ma rencontre avec cette petite sœur, j'aimais mieux laisser ma mère anticiper la nouvelle à sa manière. Je connaissais déjà sa réaction… Je ne la connaissais que trop bien…

J'étais allongée sur mon lit, parcourant l’un manuscrit de Roland sans réellement m'attarder sur les mots et les formules. Je ne cherchais qu’à m'occuper en attendant que…

-Par les Trois, s'exclama Yolande en entrant précipitamment dans la pièce. Il faut retrouver cette petite… Mais comment ? Elle peut être n'importe où à présent… Édouard… Bon sang, mais quel idiot… Pourquoi ne pas m'en avoir parlé ? J'aurai accepté cette enfant… Je l’aurai élevé comme ma fille…

Comme je le disais… Je connaissais ma mère, son grand cœur et la logique qui n'appartenait qu'à elle. De mon père, elle avait toujours tout accepté, cet instant d'égarement n'aurait pas fait exception, en particulier avec les conséquences que ce moment avait engendré. Elle était comme ça, Yolande… Une mère douce et compréhensive…

-Je pourrai engager quelqu'un… Mais comment aborder cette… femme ? Depuis le temps, ce n'est plus une enfant… Que faire selon toi ? Comment devrais-je m'y prendre.

Je déposais mon livre sur ma table de chevet avant d'inviter ma mère à s’asseoir près de moi. Je lui saisis les mains avant de lui offrir un sourire, certes contrit, mais sincère.

-Demande à Martha de préparer un bon repas pour demain soir… Avec de la viande… Qu’elle garde les os de côté... déclarais-je en serrant ses petites mains tremblantes. J'ai rencontré Ombeline… et je l'ai invité à dîner. Tu n’auras plus qu'à l'accueillir en lui offrant ton plus doux sourire.

Je passais une bonne partie de la nuit à lui raconter notre rencontre, sans omettre aucun détail. Je lui décrivis la jeune femme, sa ressemblance aussi étonnante que troublante avec Renaud qu’elle pensait encore disparu ou mort avec honneur… Je ne pouvais lui dire la vérité à ce sujet… Jamais…

Le lendemain, la demeure familiale retrouva son effervescence d'antant… L'occasion en valait la peine, selon moi. Le soir, une table avait été dressée dans la grande salle, veillant à ne pas trop charger la décoration pour ne pas mettre notre invitée mal à l’aise…


Quand l'on frappa à la porte, Martha alla ouvrir pour accueillir la jeune femme, tandis que mère et moi attendions dans la grande salle. Yolande était nerveuse, impatiente… Quant à moi, je patientais calmement, me contentant de lui tenir la main… Lorsque la jeune femme apparue devant nous, mère lâcha ma main pour faire face à l'inconnue. Elle la détailla un instant, avant de lui sourire, les larmes pleins les yeux…

-Bienvenue Ombeline, je suis Yolande Delorme… J'espère que tu n'as pas eu trop de difficultés à trouver la maison...
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MessageSujet: Re: Quand le sang s'emmêle [Ombeline]   Quand le sang s'emmêle [Ombeline] EmptyMer 20 Fév 2019 - 22:07
Debout devant la porte de cette demeure qui lui semblait tout bonnement immense, Ombeline leva le nez pour observer encore une fois la façade. Il faisait déjà trop sombre pour en percevoir les détails mais elle pouvait voir de la lumière par plusieurs fenêtres à l'étage et la largeur du bâtiment donnait une idée de la taille des pièces. Ou de leur nombre, elle c'était pas certaine. Cela faisait quelques longues minutes qu'elle attendait devant la porte, ne sachant vraiment si elle devait toquer ou non, si on l'attendait et si elle était vraiment la bienvenue.
Après le départ d'Adeline la veille, elle avait mis à profit sa soirée de libre pour réfléchir plus posément à la rencontre. Elle replongea autant qu'elle put dans de vieux souvenirs pour essayer de se rappeler un indice, d'une piste, mais rien ne lui revenait à propos d'un père qui ne serait pas le sien ou d'une mère qui se sentirait coupable sans raison. Elle avait été élevée comme ses frères ainés, rien ne lui semblait avoir été étrange à l'époque. Alors elle s'était demandée ce qu'on pourrait avoir à gagner à lui raconter des fadaises. En dehors d'une bonne marrade lorsqu'elle découvrirait qu'on la menait en bateau, il n'y avait rien à tirer d'elle, ni argent ni gloire ni prestige. Il n'y avait plus qu'à supposer que ce soit la vérité...

La jeune femme n'eut pas à attendre bien longtemps avant qu'on ne lui ouvre et si l'espace d'une seconde elle supposa qu'il s'agissait de la mère d'Adeline, il s'avéra que ce n'était qu'une domestique. La famille avait donc non seulement assez d'argent pour vivre dans une maison assez grande pour trois familles mais également pour embaucher au moins une domestique. Aux yeux d'Ombeline il s'agissait déjà d'un signe de richesse colossale. Ce qu'elle possédait ayant le plus de valeur était une petite boite en bois gravé qu'on lui avait offert pour son anniversaire l'année précédente et sans doute ne valait-elle pas plus de deux pistoles. Elle qui n'avait honte de rien et surtout pas d'elle-même se sentit tout à coup bien misérable dans cette robe fatiguée qu'elle portait, avec des chausses abimées et sans aucune parure. Elle avait fait une tresse de ses longs cheveux noirs et y avait ajouté un ruban, ses lèvres étaient maquillées d'un rouge éclatant et bien sûr elle avait pris un bain, mais cela n'effaçait pas les coutures fatiguées de son vêtement ou son manque de manières.
Suivant de prêt la servante pour ne pas se perdre et prenant bien garde de ne heurter aucun meuble dans cette maison inconnue, la fleur de trottoir se glissa le plus discrètement possible dans l'entrebâillement de la porte que l'on ouvrait pour elle, incertaine quant à ce qui se trouvait derrière. Lorsqu'elle évoluait seule en milieu inconnu, Ombeline se conduisait comme un chat sur le qui-vive, rasant les murs sans faire de bruits et toujours dans l'expectative d'un geste ou d'une parole brusque qu'elle contre laquelle elle devrait se défendre.

Deux silhouettes l'attendaient et elle crut reconnaître les cheveux blonds d'Adeline bien qu'elle n'en aurait pas mis la main à couper. La femme à côté devait donc être sa mère cette fois-ci. Elle s'avança d'ailleurs en premier et se tint un moment face à la prostituée, sans doute en pleine évaluation de cette étrangère qui était le fruit d'un égarement de son mari. Malgré l'assurance d'Adeline la veille, la brunette n'était pas bien sûr qu'on l'accueille vraiment à bras ouverts, ce qu'elle pouvait très bien comprendre. Pourtant la maîtresse de maison lui souhaita la bienvenue avec un sourire dans la voix et beaucoup de douceur. Malgré son appréhension première elle retourna donc le sourire et hocha la tête.

Bonsoir... Oui, les indications étaient assez claires et une amie m'a accompagné jusqu'ici pour être certaine que je prennes les bons repères, assura-t-elle en penchant un peu la tête sur le côté, à l'écoute.

Elle adressa un petit signe de main à Adeline qui se trouvait derrière.

C'est gentil de votre part de m'inviter. Je me suis dit que ça serait mieux si Kornog était pas dans les parages pour le moment... Il est resté à la Balsamine, il peut prendre beaucoup de place quand on n'est pas habitué. Oh, pardon : Kornog c'est mon chien, précisa-t-elle pour Yolande qui n'avait jamais vu l'animal.

En vérité elle avait longtemps hésité avant de finalement renoncer à prendre le molosse avec elle. Bien sûr il était hors de question qu'elle l'abandonne, cependant pour un premier contact il valait mieux que l'énorme bébé poilu qu'était le chiot reste bien sagement dans la chambre de sa maîtresse. Il avait encore moins de manière que cette dernière.

Vous avez une maison vraiment très grande.

Ombeline n'était pas certaine que ce soit perçu comme un compliment mais elle n'était pas non plus certaine que ce qu'il fallait qu'elle dise ou qu'elle fasse. C'était la toute première fois dans sa vie qu'on l'invitait à dîner et qu'elle découvrait la maison de quelqu'un d'autre, son monde se limitant à la Balsamine et aux diverses tavernes qu'elle pouvait fréquenter sur son temps libre. Il y avait bien la maison de Sydonnie, mais c'était un peu particulier. Ou alors ce n'était que parce qu'elle était supposée faire partie de la famille vivant dans cette maison-ci qu'elle se sentait aussi gauche et mal à l'aise ?
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MessageSujet: Re: Quand le sang s'emmêle [Ombeline]   Quand le sang s'emmêle [Ombeline] EmptyJeu 28 Fév 2019 - 19:30
Nul doute qu'à la place de ma mère, certains se seraient attardés sur quelques menus détails, tels que la qualité de la robe de la jeune femme face à elle attestant son statut social bien inférieur au nôtre. Passé cela, une femme jalouse et humiliée aurait probablement cherché à descendre en flèche le fruit du péché de son mari. Qu'il soit vivant ou mort n’y changerait rien… Elle aurait pointé du doigt sa situation, bien souvent jugée honteuse, sa cécité juste histoire de prouver sa supériorité… En particulier à la vue de la beauté de la jeune femme bien supérieur à celle de ses propres filles. Comme si elle avait été piquée dans son orgueil et sa fierté de mère… Mais non, Yolande Delorme n'agirait jamais de la sorte. Qu'Ombeline soit ou non de son sang, elle ne vit en elle qu'un membre de sa famille aujourd'hui décimée.

Connaissant le handicap de ma petite sœur, j'avais fait allumer un grand nombre de chandelles, afin qu'elle puisse voir un maximum de détails autant sur nos visages que sur l'environnement. Je ne tenais pas à ce qu’elle se cogne sur un meuble trop imposant ou qu'elle se prenne les pieds dans un tapis. Je voulais qu'elle se sente, avant tout, à son aise dans cette demeure bien trop grande pour ses derniers habitants. Mère m'avait, bien évidemment, rejointe là-dessus. Qu’importe le gaspillage, nous n’étions plus à ça près…

Tandis qu'Ombeline et mère discutaient, Martha s'affairait de son côté, apportant pain, vin, plats en tous genre… Jadis, tous nos repas ressemblaient à cela, mais ce n’était bien évidemment plus le cas aujourd'hui. La viande se faisait rare à présent et valait son pesant d'or… Heureusement que notre domestique avait eut la merveilleuse idée d'acheter poules et lapins, sans parler du potager, entretenu par ma mère, installé derrière la maison… Sans quoi, nos assiettes auraient été bien ternes… Mais ce jour-là sonnait comme un jour de fête et c'était un jambon braisé qui reposait dans le plat d'argent trônant au milieu de la table. Le boucher ne vendait plus de cochon de lait, ce qui se comprenait aisément… Un porc adulte nourrissait bien plus de monde qu'un pauvre porcelet, aussi délicieux soit-il.

-Et bien… Nous garderons la part de Kor...Kornog de côté pour que vous puissiez la lui rapporter plus tard, déclara Yolande en lui offrant un nouveau sourire… Sourire qui s'étira en entendant la jeune femme souligner la taille de la maison. Elle l'est, en effet… J'ai moi aussi été très surprise en la voyant la première fois… J'ai d'ailleurs mis beaucoup de temps avant de réussir à m'y repérer sans me perdre dans les couloirs. Mais… J'imagine que nous sommes faites pour nous adapter à tout.

Elle se décala alors pour l’inviter à prendre place à table. Le fumé du jambon se diffusait partout dans la pièce nous ouvrant l'appétit… Enfin, le supposais-je, car personnellement, la faim ne me tiraillait plus l'estomac depuis des lustres, mon bien maigre poids l'attestait. Néanmoins, cette fois, Martha m'avait fait promettre de manger copieusement, espérant ainsi me voir me remplumer un peu… L'espoir fait vivre, parait-il...

De mon côté, je tirais la chaise destinée à accueillir ma sœur, l'invitant ainsi à s'asseoir avant de m'installer à son côté, tandis que mère prenait place en face, à droite de Martha qui partageait toujours ses repas avec nous. Il en avait toujours été ainsi, depuis notre naissance à Renaud et moi, notre nourrice faisait pleinement partie de la famille. Ainsi, nous la tenions tous en haute estime, son statut au sein de la société ne changeait rien à cela.

- J'imagine que toutes ces révélations ont dû vous surprendre, mon enfant... Si vous avez des questions sur cette famille, n'hésitez surtout pas à les poser. Si nous avons les réponses, nous vous répondrons avec grand plaisir.

-Je vais déjà te la décrire au mieux. Tous les survivants Delorme se trouvent actuellement dans cette pièce. Jusqu'à la découverte du courrier de père, j'étais la benjamine de la famille, débutais-je en lui servant une coupe de vin. Il y a encore quelques mois, j'avais deux sœurs aînées, Amélia et Clémence. La dernière est décédée, il n'y a que quelques jours à peine… J'avais également un frère Jumeau, Renaud.

-Renaud est porté disparu... me reprit doucement mère en se saisissant de sa coupe nouvelle remplie.

-Non, mère, je sais que tu essaies de te raccrocher à l'ignorance, mais Renaud est mort. Il va falloir t’y faire...

Et qui de mieux placé que moi pour l’affirmer ? Évidemment, Yolande ne savait rien de la fin de mon frère et mettait cette certitude de ma part sur un pseudo-lien existant entre les jumeaux. J'aimais mieux lui laisser croire à cela plutôt que de lui dire la vérité, elle ne l'aurait jamais supporté.

- Cette maison est dans la famille Delorme depuis plusieurs générations. Évidemment, chacune d'entre elle y a apporté leur touche personnelle, si bien qu'elle ne doit plus ressembler à grand-chose de celle qu'avait fait construire notre arrière-grand-père… Que dire de plus... Mère est née Lenoir, si le nom te dit quelque chose, c'est que tu dois connaître l'officine de sa famille. Ce sont des apothicaires. Ils n'ont pas de réelle fortune, voilà pourquoi mère est restée très simple dans sa manière de se comporter. Contrairement à notre père qui aimait jouer de sa condition et de sa fortune pour égaler les sang-bleu, du moins en partie.

De son côté, Martha s'appliquait à découper le jambon, gardant volontairement quelques morceaux de viande accrochés à l'os. La vieille dame aimait les animaux, et possédait autrefois son propre chien qu'elle adorait comme s'il s'agissait de son propre fils… Fils décédé à la naissance ce qui l'a mené à devenir notre seconde mère. Elle n'avait jamais eu de mari, mais ne nous a jamais parlé de sa relation avec le père de son enfant, comme si celui-ci n'avait tout simplement jamais existé.

-Et toi donc, parle nous de ta vie. As-tu des frères, des sœurs ? lui demandais-je au moment où une assiette grassement remplie fut déposée devant elle.
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MessageSujet: Re: Quand le sang s'emmêle [Ombeline]   Quand le sang s'emmêle [Ombeline] EmptyMer 20 Mar 2019 - 19:48
L’abondance de plats et la largeur de la table à laquelle on l’invitait à se joindre était aussi inédit qu’intimidant pour Ombeline qui n’avait jamais connu autre chose que les repas de groupe à la Balsamine ou les plats servis dans les tavernes. Elle ne se sentait pas digne d’autant de considérations et n’était pas certaine de comprendre pourquoi on lui faisait l’honneur d’autant de plats, mais elle n’en dit rien de peur d’avoir l’air impolie. Lorsqu’elle pensait à la somme que lui coûtait un malheureux os à viande pour Kornog, elle préférait ne pas demander combien coûtait cette poule qui lui semblait énorme et qui trônait au milieu des légumes. On avait si bien veillé à ce qu’il y ait de la lumière qu’elle devinait tant aux couleurs qu’à l’odeur ce qui se trouvait devant elle.
Yolande posa encore quelques questions auxquelles Ombeline s’empressa de répondre tant elle souhaitait faire bonne figure face à une femme qui devrait pourtant la détester. L’amabilité et la douceur qu’elle sentait pourtant sincère dans la voix de son hôtesse la désarçonnait beaucoup. Face à la colère, au mépris et aux insultes, la fierté de la jeune femme se cabrait toujours et elle n’avait aucune peine à répliquer soit par la colère soit par quelques railleries dont elle avait le secret. Mais lorsqu’on lui accordait un peu de douceur, elle se sentait immédiatement prise au dépourvu, convaincue qu’elle ne méritait pas qu’on lui témoigne tant de considération, a fortiori s’il s’agissait d’une personne au rang social bien supérieur.

La jeune femme se laissa guider à sa place par Adeline et la remercia d’un sourire en s’asseyant devant l’assiette vide qu’on lui avait réservé. Elle sentait son ventre s’animer, son appétit sans doute aiguisé par le fumet alléchant de ce repas.
Hochant la tête lorsqu’on lui proposa de lui présenter plus en détails les membres de la famille - ou ce qu’il en restait - la fleur de trottoir écouta attentivement les explications ainsi que la confrontation entre la mère et la fille. Visiblement, cette famille avait autant souffert que celle dans laquelle elle était née, ce qui témoignait d’une certaine justice dans la répartition du malheur… L’idée n’était pas réconfortante cela dit. Sans trop se rendre compte, elle posa une main légère sur l’avant-bras d’Adeline en hochant la tête pour lui témoigner son soutien. Cela faisait bien longtemps qu’elle ne se lamentait plus sur la mort et son affection pour tout ce qui avait trait aux liens familiaux avait été mit à mal des années auparavant, néanmoins elle se sentait une sympathie presque instinctive pour cette femme étrange qui se révélait être une sœur aînée. Deviner la douleur dans sa voix ne la laissait pas insensible, quand bien même elle ne comprenait pas pleinement cette douleur.

Vous avez été durement touchées par ces temps de malheurs. J’en suis désolée.

Comme beaucoup de personnes dans le petit peuple, Ombeline préférait économiser les mots plutôt que d’emphaser longuement sans être sincère. C’était peut-être bien ce qui donnait cette impression de rudesse aux péons dans son genre, mais lorsqu’on manque de belles paroles comme les gens bien éduqués au moins il ne reste plus que l’honnêteté dépouillée, avec ce qu’elle peut avoir de maladroit et de vrai.

L’assiette qu’on déposa devant la brunette lui fit hausser les sourcils tant elle lui semblait pleine. Une odeur à se damner s’en échappait et il lui fallut faire un effort supplémentaire pour ne pas plonger directement dedans et goûter au jambon fumant qui l’attendait. Par les Trois, cela faisait si longtemps qu’elle n’avait plus mangé un plat si bien garnit ! Elle concentra plutôt son attention sur la question qui lui avait été posée.

Je suppose que j’ai les deux, en quelque sorte. Je suis née troisième après deux grands frères, mais je garde assez peu de souvenirs d’eux. Nous n’étions pas très proches, sans doute à cause de la différence d’âge. Mais j’ai gagné des soeurs en arrivant à la Balsamine, dit-elle en s’éclairant d’un sourire. Mahaut est la plus âgée de nous toutes et elle a beaucoup pris soin de moi lorsque j’étais enfant. Puis il y a Clothilde, qui est très belle, et Fleur qui a sans doute l’âme la plus tendre de nous toutes. Elle prie beaucoup au temple. Ensuite il y a Clarisse, qui me fait penser à une fée à cause de ses longs cheveux blonds, et Bérangère. Et puis peu de temps nous avons Manon qui est un peu la peste qu’on aime gronder, mais elle n’est pas méchante pour un sou. Elles sont toutes extraordinaires à leur façon et très fortes, j’ai passé plus d’années à leurs côtés qu’à ceux de mes frères ou de ma mère ce qui en fait à mes yeux ma vraie famille.

Les liens du sang n’avaient pas d’importance, ça elle l’avait appris à la dure. On pouvait bien dire ce qu’on voulait sur l’hérédité, la noblesse d’un lignage ou le devoir filial, Ombeline était l’exemple parfait de l’absurdité de ces arguments : la famille où elle était née l’avait abandonnée, celle où elle avait grandie ne partageait pas son sang et voilà qu’elle s’en découvrait une nouvelle qui l’accueillait déjà à bras ouverts malgré la fragilité du lien qui les unissait et les années passées à s’ignorer. Cet imbroglio avait de quoi remettre en question ce qu’était une famille et où devait aller la fidélité d’un fils ou d’une fille.

Je suis contente que tu sois venue me trouver Adeline. J’ai encore du mal à admettre qu’on puisse avoir du sang en commun, c’est vrai, mais je suis contente de savoir que je n’ai pas que deux affreux frangins qui se sont servis de moi comme un chiot qu’on vend pour se faire une belle somme. Je n’ai pas pu rencontrer tes sœurs, ni ton frère, mais je t’ai rencontré toi alors je n’ai pas tout perdu, un peu de mon sang vaut la peine d’être connu en fin de compte ! C’est réconfortant d’une certaine manière.

Piquant un morceau de viande qu’elle se décida enfin à mettre dans sa bouche, la jeune femme marqua une pause pour laisser d’autres questions et aussi d’autres réponses d’arriver.
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MessageSujet: Re: Quand le sang s'emmêle [Ombeline]   Quand le sang s'emmêle [Ombeline] EmptyVen 12 Avr 2019 - 10:24
Parler de ma famille ne fut pas chose aisée. J'essayais pourtant de garder soigneusement à distance mes sentiments désolés afin de ne pas perdre le fil de mon récit. Je veillais à contrôler les trémolos venant perturber le son de ma voix lorsque j'évoquais Renaud, songeant à cette misérable fin, celle qu'il n’avait certainement pas méritée. Je compris néanmoins que mon trouble avait atteint ma sœur, assise à mes côtés, lorsque je sentis sa petite main, frêle mais pourtant chaleureuse, se poser délicatement sur mon avant-bras.


Je ne m'étais pas attendu à cela. La vie d'Ombeline avait eut largement de quoi lui forger un tempérament d'acier afin de rendre son âme totalement hermétique aux sentiments d'autrui… Du moins, c’est ce que j’avais pu croire lors de notre rencontre, lorsque je m'étais trouvé face à une jeune femme sûre d'elle et déterminée… Je ne doutais pas de la force de son caractère, elle avait vécu mille vies, chargées de trahison, d'abandon et de tristesse. Je n'osais m'imaginer à sa place, me trouvant alors totalement incapable de visualiser cette existence si difficile qui l'avait amené à se construire ainsi.

Sa famille l’avait vendue sans jamais se préoccuper de son avenir. Ils l'avaient considérée comme un bien, une chose, misérable et sans valeur autre que marchande… Et pour en faire quoi ? Un instrument de plaisir méprisé par les uns, utilisé par les autres sans jamais voir la jeune femme meurtrie dissimulée derrière ses yeux clairs. Mon admiration pour cette sœur, nouvellement découverte, ne fit que grandir en même temps que ma colère, celle que je destinais à ces gens, qui se devaient pourtant de la protéger. Le sang leur avait donné cette mission et pourtant, ils s’en étaient tous détournés, mon père également.

Néanmoins, comme venait de le souligner Ombeline, le sang ne signifiait pas grand-chose. Je fus d'ailleurs heureuse d'apprendre que les femmes partageant son fardeau étaient comme une sorte de famille pour elle. Au moins, malgré tout, Ombeline n'était pas seule contre les autres et bénéficiait du soutien de son entourage. Entourage composé de ces femmes si souvent mal jugées, critiquées et négligées par ceux s'estimant tellement meilleurs. Quels idiots…

Son histoire me toucha profondément, bien plus que je n'étais capable de l'admettre. Nul doute que mon père serait extrêmement fier de cette fille courageuse et volontaire. Moi, je l'étais en tout cas, sincèrement.

-Je le suis également,lui dis-je en prenant sa main dans la mienne.Il y a peu, je me croyais être la dernière Delorme survivante… Quand j'ai lu la lettre de père… Je ne saurai dire ce que j'ai ressenti exactement tant toute cette histoire semblait sortir de nulle part. Grâce à tout ça, en plus d’avoir la chance de rencontrer une jeune femme extraordinaire, j'ai pu aussi en apprendre un peu plus sur ce père aussi présent qu’absent.

-Je suis d'accord avec ma fille, Ombeline. C'est une chance... renchérit ma mère en essuyant une petite perle bordant le coin de son oeil. Et il serait dommage de la laisser passer...

À mon tour d'être d'accord avec ma mère. Rencontrer Ombeline, écouter son histoire me donnait envie de lui offrir ce qu'elle aurait dû avoir dés sa naissance…

-Comment envisages-tu l'avenir, petite sœur ? lui demandais-je en lui offrant un sourire amical. J'aimerai réellement te rendre ce dont la vie t'a privé… Si tu le souhaites, tu peux venir vivre ici, avec mère et moi. Ton ami poilu et bien évidemment le bienvenu. Tu peux également prendre le nom des Delorme, puisque celui-ci te revient de droit...
-Nous veillerons sur toi, tu seras ma fille…
-Il est vrai, que dis comme ça, tout ceci doit paraître un peu bizarre. Prends donc le temps de réfléchir, car il s'agit tout de même d'une nouvelle vie...

Qu'importe l'existence que nous vivons, celle-ci nous appartient. Nous y sommes habitué, toute situation nous est familière… Alors, il ne peut être que difficile d'imaginer une toute autre vie tout en abandonnant l'ancienne… Ce doit être comme abandonner une part de soi… Voilà pourquoi je tenais à laisser le temps nécessaire à Ombeline pour prendre une décision. Décision qui serait respectée.

-Sache toutefois que quelle que soit ta décision, tu resteras ma sœur et une Delorme à mes yeux. Les Trois nous ont enfin permis de nous rencontrer, après tout ce temps, et il est hors de question pour moi de faire comme si de rien n'était. Tu es ma sœur, mon sang, et ce, jusqu'à mon dernier souffle.
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MessageSujet: Re: Quand le sang s'emmêle [Ombeline]   Quand le sang s'emmêle [Ombeline] EmptySam 4 Mai 2019 - 18:44
La jeune femme se sentit rougir et sourire malgré elle. Il était passé le temps du doute et de la méfiance car à quoi bon lui tendre un piège alors qu’elle n’avait rien qui puisse avoir de la valeur ? On ne lui aurait pas témoigné tant de gentillesse ou de bonté simplement pour la moquer ou lui soutirer quelque chose, ç’aurait été absurde. Elle se laissa envahir par la certitude que toute cette histoire était vraie, qu’elle avait bel et bien une famille qui était prête à l’accueillir et que sa vie pouvait prendre un tournant parfaitement inattendu. Cette évidence qui s’imposait à mesure qu’Adeline parlait était comme une chaleur qui se répandait peu à peu dans ses veines et la soulageait d’une peine à laquelle elle était si habituée qu’elle l’avait oubliée.
Sa main se serra timidement sur celle de sa nouvelle sœur et elle hocha la tête parce qu’elle ne savait pas bien par où commencer. On lui offrait une chance d’avoir tant de choses qu’elle pensait hors de sa portée : une maison bien à elle, un nom, une place dans la société, une chance de suivre d’autres voies et peut-être même l’espoir fou de se construire un jour sa propre vie. Abandonner l’image souillée de la catin.
Sa main tenait toujours la fourchette qu’elle avait posée dans l’assiette lorsqu’elle sentit une larme rouler sur sa joue. Bon sang, elle se sentait si ridicule tout à coup.

Merci, merci à vous toutes, bredouilla-t-elle en s’essuyant la joue. C’est plus que je n’ai jamais osé souhaiter.

Rapidement, elle reprit contenance et se fendit d’un sourire reconnaissant. La prudence lui recommandait de ne pas s’enflammer, cependant elle voulait être honnête avec ces femmes stupéfiantes qui avaient aussi tant perdu.

Il nous faudra sans doute encore un peu de temps à toutes mais je crois que j’aimerais vivre ici. Avec vous. Passer du temps ensemble pour découvrir votre histoire et apprendre à vous considérer comme ma famille. J’aime profondément la Balsamine et les filles pour tout ce qu’elles m’ont apporté, mais elles comprendront.

La jeune femme tourna son attention sur Adeline dont elle pouvait voir l’éclat des yeux grâce aux chandelles sur la table.

Je rembourserai rapidement ce qu’il reste de ma dette puis je viendrais ici. Les choses doivent être bien faites, je suis reconnaissante à Madame de m’avoir accueilli dans son établissement et je ne voudrais pas partir fâchée avec elle. Et je ne me sentirais pas légitime de vivre ici tant que je travaille là-bas. Ça pourrait entacher votre nom et ça je ne le souhaite surtout pas… C’est l’affaire de quelques semaines, pas plus, j’ai déjà presque tout remboursé. Et puis ça me laissera le temps de dire au revoir à tout le monde.

Son regard trouble balaya le reste de la tablée. Il faisait si clair dans cette pièce qu’elle pouvait réellement voir tout le monde et poser ses yeux sur les autres, sans passer au travers. Elle s’attarda sur cette femme qui acceptait la bâtarde de son époux sans colère ni rancœur, puis sur cette domestique dévouée qui avait le cœur assez généreux pour penser même à la part du chien alors qu’elle ne l’avait jamais vu. C’était étrange de réaliser que malgré la différence d’environnement, ici comme à la Balsamine il n’y avait que des femmes qui se tenaient droites malgré le Fléau et les hommes. Ombeline sentit poindre au fond d’elle le devoir de faire front contre ce qui pourrait arriver à l’avenir aux côtés des Delorme comme elle l’avait fait tout ce temps aux côtés des prostituées.

Si vous êtes d’accord, alors j’aimerais affronter les prochaines années avec vous. J’ai donné assez de mon temps à mes sœurs d’adoption, il est temps que j’en donne à ma vraie sœur.

Les choses semblaient entendues, tout s'agençait à merveille. Sur les conseilles de la cuisinière on fêta cette décision en reprenant le dîner avant que la viande ne soit trop froide. Ombeline ne se le fit pas dire deux fois et réitéra ses compliments sur le repas si ce n’était pas déjà fait. De la viande elle n’en mangeait pas si souvent et encore moins aussi savoureuse que celle-là !
La conversation se fit un peu plus légère et la jeune femme s’autorisa à demander si la famille possédait toujours l’apothicairerie dont avait parlé Adeline ou tout autre commerce.

Tu m’as dit que ton père était marchand, c’est ça ? Est-ce que vous tenez toujours une boutique ou des liens commerciaux ? Ça ne me regarde peut-être pas mais j’aimerais vous aider si j’en ai l’occasion. Quel que soit le moyen. Peut-être que tu pourrais m'apprendre ?
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MessageSujet: Re: Quand le sang s'emmêle [Ombeline]   Quand le sang s'emmêle [Ombeline] EmptyLun 6 Mai 2019 - 15:32




Je ne saurai dire pourquoi ma mère se montrait aussi conscilliante et attentionnée envers une inconnue, issue de la tromperie de son défunt mari. J'aurai d'ailleurs compris que ce ne fut le cas, puisque après tout peu se serait montrée aussi aimable et accueillante en pareille situation… Peut-être était-ce dû au fait d'avoir assisté à la décimation de sa belle et grande famille en l'espace de quelques mois. Ou peut-être voyait-elle en Ombeline une certaine ressemblance avec chacun de ses enfants, là où je ne voyais que Renaud. Impossible de le savoir puisqu’elle ne m’en dit rien, mais une chose était certaine, Yolande était une femme hors du commun.

Ses yeux d'azur ne semblaient pas vouloir se détacher de l'image chargée d'émotion que nous offrait Ombeline. Un sourire empli de bienveillance étira ses lèvres lorsque ma sœur nous remercia… Nul doute que ma mère l'aurait pris dans ses bras sans la table qui les séparait ou sans la crainte, pourtant évidente, d'effrayer son enfant d'adoption.

-Prenons tout le temps qu'il nous faudra, nous savons que ce n'est pas une situation des plus évidente. D'autant plus lorsque nous ne nous y attendions pas, lui dis-je en lui rendant son sourire.
-Fais ce que tu as à faire, mon enfant. Nous comprenons tout à fait...

Entacher l'image des Delorme, voilà une pensée fortement amusante. Dans ce monde où la science est apparentée à la sorcellerie, mon “occupation” première était sûrement plus mal vue que la sienne. Mais de cela, Ombeline n’en savait encore rien, cela viendrait, avec le temps. Pour l'heure, nous avions d'autres choses à apprendre les unes sur les autres. Ma mère ne se gênait donc pas pour raconter quelques anecdotes sur notre enfance. Ma nouvelle sœur apprit donc quelques-unes de mes bêtises, de mes déceptions d'enfants. Néanmoins, elles avaient beau faire partie de ma vie, il m'était bien difficile de me reconnaître dans chacune d'elles, comme si cette Adeline là n'était qu'un fantôme…

Martha vint ensuite débarrasser nos assiettes vides, nous avions toute su faire honneur à ce repas de fête. Quelques fruits et pâtisseries prirent alors la place des victuailles tandis que la conversation prit une toute autre tournure.

-Notre père, précisais-je,était plutôt une sorte de négociant. Il voyageait beaucoup et rapportait avec lui étoffes, épices et bijoux qu'il revendait aux plus riches ou à certains artisans de la cité. Depuis l'arrivée de la fange, les affaires ne sont plus ce qu'elles étaient puisque tout est devenu trop rare ou simplement inutile. Thibault essaie tant bien que mal de se tourner vers des denrées utiles au plus grand nombre.

J'avais également songé à vendre certains de mes remèdes ou de mes potions, néanmoins, je craignais de voir le clergé s'attaquer directement à l’entreprise de mon père…

-Nous avons une boutique dans les hauts de Bourg Levant, à l'entrée des portes menant à l'esplanade… Mais elle ne ressemble plus en rien à ce qu’elle était. Je ne pourrais hélas rien t'apprendre de plus, Renaud était celui qui devait reprendre l'affaire familiale, père m'a toujours tenu à l'écart.

-Et puis, avec la mort de Clémence, Thibault se désintéresse totalement de la boutique puisqu'il n'en héritera pas. Par conséquent, nous n'aurons d'autres choix que de la fermer, ajouta ma mère en soupirant.

-Nous avons bien songé à la transformer en officine afin que mère puisse y vendre ses plantes et remèdes. Malheureusement, les travaux coûteraient bien trop cher et les plantes médicinales se font rares. Nous ne pouvons plus sortir de la ville pour aller les cueillir nous-mêmes comme nous le faisions avant....
-L'héritage familial ne repose donc que sur un nom et quelques réserves qui s'épuisent chaque jour. Nous vivons dans un monde d'homme, nous n’avons hélas pas d'autres possibilités...

Les projets de ma mère reposaient uniquement sur mon futur mariage. Malheureusement, mon fiancé avait lui aussi disparu depuis longtemps et il m'était impossible d'envisager d’épouser un autre homme… J'étais probablement trop vieille pour cela… Une autre raison, un autre moyen d'entacher le nom de ma famille en restant une vieille fille solitaire.
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MessageSujet: Re: Quand le sang s'emmêle [Ombeline]   Quand le sang s'emmêle [Ombeline] EmptyDim 16 Juin 2019 - 20:08
La belle de nuit écouta attentivement chaque détail en tentant de se remémorer les noms pour recomposer peu à peu l'arbre familial. Le moins que l'on puisse dire, c'était que les Delorme étaient dans une vilaine situation. Perdre un à un tous les membres de sa famille avait de quoi désespérer, elle pouvait le concevoir. Et comme le disait si justement Yolande, ce monde appartenait aux hommes et ils ne faisaient pas grand chose pour le rendre plus accessibles aux femmes, quand bien même ils étaient perdus sans elles.

Effectivement, la situation est peu enviable. J'imagine qu'en dehors d'un mariage réussi, il n'y a pas vraiment de solutions envisageables... Je n'ai jamais reçu d'éducation de commerçante, cependant si mes quelques talents pour la négociation peuvent vous être utiles... Ça peut sembler un peu sordide dit comme ça, je suis désolée, se reprit-elle avec un sourire contrit.

Être une catin ce n'était pas comme tenir une boutique, cependant elle ne manquait pas de jugeote et pour ce qui était de faire du profit, elle ne manquait pas d'expérience. Bien sûr, c'était la matrone qui fixait les règles, mais elle comptait toujours sur ses filles pour se montrer maligne et les arranger à leur sauce tout en faisant quelques bénéfices. Avec le temps, Ombeline avait appris deux ou trois choses sur le métier.
Les trois femmes discutent un peu plus de sujets légers tandis que s'achevait le dîner. La jeune femme leur raconta quelques anecdotes innocentes de son quotidien, effaçant tout ce que l'on pouvait trouver de lugubre à sa profession pour ne conserver que les moments agréables, joyeux et tout simplement drôles. Elle nota que malgré sa bonne volonté, Adeline avait quelque chose d'éteint et de meurtri en elle. Peut-être la perte des siens ? Il faudrait sans doute plus de temps avant qu'elle ne s'ouvre sur ce sujet et ce n'était pas Ombeline qui la forcerait à parler en premier.

Lorsqu'il commença à se faire tard, la donzelle fut la première à évoquer son départ. On devait l'attendre à la Balsamine et elle avait assez abusé de l'hospitalité des Delorme pour l'instant. Une fois de plus elle remercia Yolande de son accueil et de sa proposition, lui promettant d'y réfléchir et de revenir prendre des nouvelles rapidement. Après une soirée si agréable, elle envisageait plus sérieusement de rester en contact avec ces femmes qui bravaient elles aussi la tempête de cette fin du monde.
Laissant la maîtresse de maison dans le salon, Ombeline accepta d'être raccompagnée à la porte par celle qui était désormais sa sœur. Un silence les accompagna jusqu'au hall d'entrée de la belle demeure, un silence plutôt confortable que l'invitée n'eut aucun mal à briser.

Merci d'être venue me chercher. Tu aurais pu brûler cette lettre et l'ignorer complètement, mais tu m'as retrouvée et rien que pour cette soirée agréable, je t'en remercie vraiment. Elle se tourna un peu plus vers la blonde. Vous avez vécu des mois difficiles et je sens que tu as perdu beaucoup plus que des frères et sœurs. J'en suis désolée. J'espère que, quoi qu'il arrive à l'avenir, nous pourrons au moins nous réjouir d'avoir gagné une amie chacune.

Elle haussa les épaules, un peu gênée mais sincère. Ce n'était pas tous les jours qu'elle pouvait faire la connaissance de quelqu'un en dehors de son train-train à la Balsamine. Encore moins d'une femme. Bizarrement, la gent féminine la toisait d'un plus mauvais œil encore que les hommes, ce qui n'aidait pas à se faire des contacts en dehors de la profession. Pour l'heure, sa seule amie à l'extérieur de la maison close était une milicienne, ce qui en faisait presque une cliente.
La jeune femme tendit une main vers Adeline.

Nous nous reverrons bientôt, n'est-ce pas ? J'aimerais que tu m'en dise un peu plus sur ce qui fait tes journées et sur ton frère, si tu es d'accord.
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