[QG COMPAGNIE] Opportunités Parallèles

Nabkov recula un peu pour contempler son ouvrage. Poings posés sur ses flancs, l'ancien charpentier devenu mercenaire était face à un panneau d'affichage. Tout neuf, tout beau, tout rectangulaire, le panneau avait été fabriqué, assemblé et terminé en une seule journée. De couleur cèdre, il se démarquait du QG de la Compagnie des Lames, attirant le regard sans trop s'imposer à l'oeil du passant.

Lorsqu'il avait proposé au Capitaine d'avoir leur propre panneau d'affichage au lieu de devoir passer par ceux de la ville, l'homme avait haussé un sourcil avant d'hocher la tête de haut en bas d'un air boudeur. On voyait rarement le Capitaine aussi enthousiasmé par un projet dont il n'était pas originaire, aussi Nabkov avait-il fait de son mieux pour se surpasser. Il avait même refusé l'aide de Finn, le second de la compagnie, qui était lui aussi charpentier. C'était une question de fierté. Prouver qu'il serait utile à autre chose qu'être de la chair à canon.

Il n'était pas ici depuis longtemps. Une paire de mois à peine. Depuis la mort de sa femme et de sa fille, le charpentier s'était retrouvé sans famille et ivre de vengeance. Tuer du fangeux, au moins un seul, c'était tout ce qu'il voulait faire désormais. Auprès de cette bande, aux profils de tous les horizons, il arrivait parfois à retrouver le sommeil et la motivation à faire quelque chose la journée.

Le sourire aux lèvres, il y colla le premier message de la Compagnie sur son tableau. Une recherche de nouveau membre. Ecrite en grosses lettres et sans faute par Strakhov, elle annoncait que la Compagnie cherchait un ou une soigneuse pour ses soldats. Salaire et conditions de travail à discuter avec le Capitaine, bien entendu...

Bien qu'ils aient réussis un très beau coup en recrutant Theodren, ce dernier n'était présent que la moitié de la semaine, et Le Capitaine semblait désireux d'avoir toujours quelqu'un sur place pour pouvoir veiller sur la santé de la compagnie. Après plusieurs mois d'"hibernation", comme disait Strakhov, où Le Capitaine avait veillé à renforcer la Compagnie plutôt que de multiplier les contrats, avoir un soigneur à plein temps était la dernière étape afin de pouvoir faire fonctionner à plein régime la petite troupe.

Nabkov remarqua quelqu'un derrière lui et s'écarta avant de lui laisser regarder l'affiche. Avec surprise, il vit que c'était une femme. Une petite jeunette, brune, assez jeune pour être sa fille.

- J'peux vous aider petite ?

Quen a Omagen ♫♪

Cybèle avait ouïe-dire qu'on rechercha un guérisseur au sein de la compagnie de mercenaires qui avaient élus domicile au sein de son quartier. Si au départ elle fut seulement intriguée et curieuse, incapable d'envisager tout-de-go une reconversion, prendre connaissance du nom qu'ils se donnaient la fit changer de point de vue ; La compagnie des Lames. Le sobriquet résonnait particulièrement et réactivait des souvenirs qu'elle eut préférer enterrés à jamais. Pourtant, parce que qu'elle était femme d'instinct et qu'elle ne croyait pas au hasard, elle se laissa le temps d'y réfléchir.

Elle s'était renseignée un peu auprès des crieurs et autres colporteurs ces derniers jours. En se réveillant ce matin, elle était animée d'une intention précise : demander aux cartes de guider sa décision. Alors elle était installée là, sur la petite table jouxtant le comptoir, dans le faible jour naissant. Elle avait préparé son tarot et ses intentions. Tandis qu'elle mélangeait le jeu, elle se concentrait sur sa demande ; elle ne demandait pas si, oui ou non, elle devait tenter sa chance auprès des mercenaires. La divination ne marchait pas ainsi. L'interrogation était plus large : comment devait-elle évoluer maintenant dans sa vie ? Forte de cette introspection, elle coupa le jeu et étala les cartes faces cachées devant elle. Elle se concentra, catalysant sa volonté, et débuta son tirage.

Elle laissa sa main vagabonder, effleurant la surface des cartes, jusqu'à s'arrêter sur celle qui vibrait le plus alors. La première carte était pour elle. Elle s'en saisit, et la retourna : Le Fou. Tant l'errance que le progrès, il était aussi synonyme d'occasion à saisir et d'étape à franchir, d'évolution ou d'involution. Elle ne s'attarda pas, et répéta l'opération, pour tirer sa seconde carte, celle qui concernait les circonstances l'entourant, et ce fut celle-ci : Le pendu. Le sens théorique des cartes ne suffisait pas, il fallait aiguiser son intuition et son ressenti pour en déterminer les indices avec plus de précision et c'est ce qu'elle faisait en découvrant les symboles qu'elle connaissait par cœur. Sa vie ces derniers mois n'avait été qu'une impasse en sursit, une routine sans issue. Le pendu signifiait l'abandon et les facettes de celui-là étaient multiples. Elle vit, sentit, dans la carte les échos de sa situation actuelle et son désir de lâcher prise qui s'exprimait de plus en plus. Elle continua son tirage en piochant la troisième carte, celle qui répondait au questionnement, qui guidait le problème. Et ce fut : Le chariot. Le chariot incarnait la volonté, le vouloir autant que la persévérance. Elle pressentit dans la carte une augure positive, propice au changement. Enfin, elle tira la quatrième et dernière carte : Le hiérophante. La dernière carte d'un tirage avait vocation à apporter une solution au problème ou au questionnement. Elle voyait là dedans l'allusion soit à un personnage de pouvoir, d'expérience, soit à son propre sens du devoir, qui s'il était tout personnel, existait toujours.

Elle inspira tranquillement, laissant les liens et les suppositions s'incorporer d'eux-même à la conscience qu'elle avait des choses. Elle estima au bout d'un moment que les cartes l'exhortaient au changement, quel qu'il soit, et que celui-ci ne serait pas une immense erreur. Elle ne chercha pas plus avant des indices précis car elle savait qu'elle n'en trouverait pas ; elle rangea les petites cartes dans la besace qui ornait ses hanches, à côté d'une petite bourse de cuir. Sa décision était prise : elle irait proposer ses services, et elle verrait bien ce qu'il adviendrait.



Le soleil était déjà haut dans le ciel quand elle sortit de sa boutique. Elle avait prit le temps d'honorer une commande et avait reçu un client entre temps. En haut des petites marches, elle s'enroula du mieux qu'elle put dans le coton éliminé de sa cape avant de se diriger là où on lui avait indiquer qu'elle pourrait trouver la compagnie en question. Elle ignorait comment les choses se passaient dans ces cas-là, mais elle irait au culot tenter sa chance.

Elle arriva en trottinant tranquillement. Elle scruta la bâtisse qui lui semblait répondre à la description qu'on lui en avait faite. Un homme s'affairait devant et elle s'avança avec circonspection vers lui, sans s'annoncer tout de suite, prenant encore un peu le temps de détailler les alentours. Il la remarqua finalement, et elle plissa les yeux à son apostrophe.

"Euh... oui. C'est ici la Compagnie des Lames ?" Elle ne se départait pas d'une mine très sérieuse. "J'ai entendu dire qu'ils cherchaient un guérisseur. Et j'ai besoin d'un travail."

Nabkov regarda la jeune femme de haut en bas. Elle était plutot grande, fine, un beau visage harmonieux. Il émanait d'elle une sensation de tranquillité qui le mit tout de suite à l'aise.

- Haha, c'vrai qu'on cherche quelqu'un ! On a un type qui bosse pour nous, mais il peut pas toujours être là. De l'aide fera du bien !

Il allait lui demander qu'est ce qui lui faisait croire qu'elle serait à la hauteur, mais resta silencieux. Ce n'était pas à lui de la juger, après tout.

- Suivez moi ! Je crois que Le Capitaine est là.

Il remballa son matériel, et poussa la porte du QG. Il fallait quelques instants pour que les yeux de la brune s'habituent à la luminosité plus diffuse, plus tamisée du grand hall d'entrée situé au rez de chaussé. On y trouvait nombre de tables et de chaises, faisant penser à une cantine. Cette dernière était vide, et surprenamment propre. Au beau milieu de la cantine, un escalier montait vers un étage encore inconnu. Les fenêtres étaient fermées, recouvertes par des rideaux orangés qui filtraient la froide lumière extérieure pour donner une ambiance plus chaleureuse à l'endroit.

- Oh, la petite Alix a bien bossé ! commenta Nabkov pour lui-même. Allez, au pas de course jeune fille !

Ils entrèrent dans la cour principale. Elle était grande, suffisament pour abriter une cinquantaines de personnes en ayant de l'espace. Un chapiteau de bois s'y trouvait en son centre. Des cibles étaient accrochées au mur.

Leurs pas se mettent à craquer. En baissant son regard, Cybèle peut remarquer que le sol n'est pas en pierre ni en terre nue. Il est à la fois grisatre et marron, recouvert d'un mélange de ciures et de ce qui fait penser à de la cendre. Une sorte de terre battue servant à garder l'équilibre en aggripant les chausses et amortissants les chocs.

Ils se dirigent vers trois hommes. Deux sont en train de faire des pompes en lâchant des râles d'agonie. Torse nus, en sueur malgré le froid ambiant des dernières semaines, ils sont surveillés par grand un homme au crâne chauve, qui croise les bras et les encourage en beuglant.

- Hola, Bjorn ! Salut Sandath, salut Pierrick. Vous avez vu le Capitaine ?

Leurs trois visages se retournent vers Nabkov et Cybèle. Il leur faut tout au moins une bonne demi-douzaines de secondes pour détourner leur regard de la brune. L'un d'entre eux, un jeune aux cheveux longs, glisse et jure, alors que l'autre se moque de lui.

- J'vois que ton affaire a été rapide Sandath. Tu monte à peine le panneau qu'on a déjà quelqu'un ?

Bjorn reporte son attention sur Cybèle. Ses yeux sont mauvais, son sourire inquiétant. Il émane de lui une aura de prédateur, qu'il est impossible d'ignorer. Cet homme a tué. Beaucoup. Et souvent par plaisir.

- L'est dans l'armurerie, seul. Va lui présenter la donzelle. Au revoir... dit-il d'un air doucereux à Cybèle alors qu'ils s'éloignaient.

Nabkov sentit le trouble de la jeune femme.

- Faites pas attention à lui. Il vous teste. C'tun chien, mais Le Capitaine tient solidement la laisse. J'ai vu ce type tuer un fangeux avec ses propres mains. dit-il sans préciser de qui il parlait. Il a du cran.

Ils entrèrent dans le bâtiment se trouvant de l'autre côté de la cour. Après l'entrée, ils prirent un escalier, qui débouchait sur l'armurerie. Nabkov cogna du poing sur la porte de cette dernière.

- Capitaine, y a une femme qui prétend être guerisseuse, et qui veut nous rejoindre !

Silence. Puis, une voix grave et profonde, dont le ton faisait penser à un murmure, mais qui était pourtant parfaitement audible, se fit entendre de l'autre côté de la porte.

- Fais la entrer.

Ending ♫♪

Cybèle se laissa jauger sans un haussement de sourcil, toute concentrée à sa quête. Ses yeux trop grands et naturellement cernés lui faisait un regard qui semblait éternellement las, mais aussi, bizarrement, assez confiant et surtout très calme. Chose qu'elle n'était pas nécessairement. Mais passons, car déjà il lui intimait l'ordre de le suivre, et elle ne se fit pas prier pour s'exécuter, ni scrupuleuse, ni méfiante. Elle était bien contente d'être tombée du premier coup sur quelqu'un qui pouvait l'aider, et elle voulait croire à cette bonne étoile qu'elle avait lue dans les cartes. "D'accord. Merci."

Quand ils pénètrèrent dans la bâtisse imposante, elle dut cligner des yeux plusieurs fois pour s'acclimater au changement de luminosité. Cela étant, la lumière ainsi tamisée et rare lui rappelait sa boutique, et elle apprécia ce souvenir familier. La jeune femme détaillait encore la pièce quand son guide fit un commentaire qui lui passa complètement au dessus de la tête ; elle ignorait qui était Alix et quel travail elle avait effectué là. Elle se contenta de coller aux basques de son seul interlocuteur, en silence, détaillant ça et là l'endroit, les tables, les chaises, y cherchant une présence qui manquait.

Ils continuèrent leur chemin et rejoignirent à nouveau la lumière du jour. Cybèle était encore occupée à se demander combien de boutique comme la sienne pouvaient tenir dans le réfectoire qu'ils venaient de traverser quand ils atteignirent les trois hommes qui s'entraînaient là, dans la cour. Aucun ne semblait être le dénommé Capitaine. Elle les dévisagea aussi sûrement qu'ils le faisaient avec elle, sans farder - ni sourire. A leur contact, l'herboriste prit la mesure du mot mercenaire et des formes qu'il pouvait revêtir. Ce n'était pas un milieu qu'elle avait eut l'occasion de fréquenter, et elle n'en connaissait que les fables romanesques que lui contait Thomas autrefois : autant dire, pas grand chose.

Un léger soupir lui échappa tandis qu'elle les écoutait distraitement. Puis, son regard accrocha la marque au bras de celui qui supervisait les deux autres et elle fronça les sourcils ; elle n'en avait jamais vue avant de si près. Et personne n'ignorait sa signification à Marbrume. Si le personnage qui la portait dégageait quelque chose de fortement déplaisant, assez pour qu'un frisson lui picote l'échine, l'esprit en mal de sens profond fit un amalgame curieux ; elle aussi elle portait une marque qui lui vaudrait le jugement sans équivoque de ses pairs. A la brute qui voulut la tester, elle n'offrit qu'une indifférence orageuse du regard, se gardant bien d'ouvrir la bouche. Tandis qu'ils s'éloignaient, elle se passa machinalement une main sur le flanc, l'air de rien, en poussant un petit soupir. Le trouble que perçut Nabkov chez elle n'était peut-être pas celui qu'il pensait alors. Elle l'écouta pourtant parler avec un intérêt singulier, à la fois intriguée, effrayée, et sceptique. "Vraiment ?" lâcha-t-elle en lui offrant des yeux arrondis.

Un temps plus tard, leurs pas les menèrent à une envolée de marches en haut desquelles se trouvait visiblement la dite-armurerie. Car, ne venait-il pas de toquer à la porte ? Elle leva furtivement un sourcil à l'accroche de son vis-à-vis, peu surprise mais pas ravie d'être rétrogradée au statut de simple prétendante. Elle patienta comme son interlocuteur de fortune qu'une réponse leur parvienne à travers l'épaisse porte. Quand la voix trop dense pour un murmure perça à travers le bois, elle contracta un peu ses mâchoires en jetant un dernier regard à l'homme qui l'avait menée là. Un geste de tête en reconnaissance et elle se glissa derrière la porte qu'il a entrouverte en invitation. Une fois à l'intérieure, un pas, un deuxième et elle plissa un peu les yeux, car la pièce était sombre, seulement éclairée de faibles faisceaux lumineux qui perçaient les volets. "Euh... Bonjour ?" esquissa-t-elle, incertaine de la marche à suivre. "Du coup c'est vous le.. capitaine c'est ça ?" Elle n'avait jamais eut à chercher de travail auparavant, aussi était-elle un peu plus mal à l'aise que prévu.

Comme un serviteur à qui on ordonne d'améliorer la visibilité, le soleil sembla bouger imperceptiblement, et les rayons baignèrent un peu plus la pièce. Sur les murs étaient accrochées de nombreuses armes. Leurs lames d'acier brillantes reflétaient la lumière environnante. Lances, haches et épées étaient présentes, certaines plus grandes ou mieux entretenues que les autres. Au fond de la longue pièce rectangulaire longue de quelques dizaines de mètres, on pouvait deviner de nombreux établis.

Et au centre, le Capitaine, tournant le dos à l'entrée, et donc à Cybèle. Un grand manteau noir allait de son cou jusqu'au sol. On ne voyait qu'une épaisse chevelure noire, commencant à tirer sur le gris. De lui semblait émaner un grondement, un vibrement subtil, silencieux mais tout à fait perceptible.

Assis en tailleur, il méditait.

Il n'était pas grand. Même plus petit que Cybèle.

Puis, il se leva.

Lentement, comme la herse d'un chateau fort. Il faisait aisément plus d'une tête que la jeune femme, qui lui arrivait au mieux aux épaules. Il gronda et étendit ses bras. On pouvait entendre le craquement des os et des muscles se détendant. Ses bras, larges comme les jambes de la nouvelle venue, étaient si grands qu'il touchait le plafond. Il se retourna, et baissa sa tête vers la brune. Le Vieux Borgne la fixait de son oeil unique avec une curiosité manifeste. L'autre était caché derrière un cache-oeil, qui traversait un visage mûr, ridé par les ans et les soucis. Etait-ce vraiment un homme ? Comment un être si grand et large avait-il pu naître d'une femme ? Ou devenir un simple enfant ? Telle créature ne pouvait pas être née. Construire, à la rigueur, tel un golem, ici un golem de muscles. Des muscles recouverts d'une armure mélangeant cuir et plate.

- Bonjour.

Sa voix semblait venir plus de son ventre que de sa gorge, remontant comme une éruption.

- Je suis Le Capitaine.

Le visage sans cesse sévère ne montrait guère d'émotion, mais on pouvait distinguer dans sa voix sèche, la flamme de la fierté qu'il ressentait en énonçant son titre. Il avança son immense main vers elle pour qu'elle puisse la serrer. Elle était gantée, chaque doigt large comme deux de la brune. A part sur son visage, il n'exposait pas un millimètre carré de peau. De l'autre, il désigna une petite table, près des fenêtres. Une grande carafe et deux verres s'y trouvaient.

- Je vous invite. Votre nom ?

Tandis que ses yeux fatigués s'habituent à la pénombre percée de clarté, elle détaille les choses qu'elle aperçoit. Elle n'avait jamais vu d'armes, ni en si grande quantité, ni de si près. L'impression est un peu vertigineuse, car cela la propulse dans un univers vraiment étranger. Et si le cœur vacille d'un doute léger à cette pensée, s'il interroge l'entreprise un peu folle, la foi la balaye bien vite ; que reste-t-il à son quotidien ? L'inconnu reste inconnu un temps seulement. Il lui fallait rester convaincue, car elle se trouvait où il lui semblait falloir se trouver. A défaut de mieux, à défaut d'autre chose.

Les yeux d'eaux profondes s’attardent sur l'acier des murs qui réfléchit la lumière du jour haut dans le ciel, et les oreilles captent l'étrange borborygme qui emplit l'air lourd autour du Capitaine. Elle patiente encore un peu, sceptique, puis redescend ses yeux sur la silhouette calme qui trône en empereur inébranlable au centre de la pièce ; elle inspire, et il se relève finalement. L’ascension prend un temps certain, car le mont de son corps est dantesque. Quand il atteint son sommet et y culmine, elle ne se sent pas petite mais insignifiante face au colosse tranquille. Elle penche légèrement la tête sur le côté. Il n'impose pas que par son envergure démesurée ; il y a la calme impavidité qui suit les gestes et les mots. L'attention de la brune s'attache à cette flegme étrange, qui lui fait comme une seconde peau. C'est en tout cas l'impression qu'elle en retire, car jamais l'esprit alerte ne suspendait sa course et il s'attelait, comme toujours à chaque interaction, à percer les non-dits de son interlocuteur. C'était un homme grand, qui semblait bâti pour le métier qu'il exerçait. Elle apercevait le poids des années disséminé ça et là sur les traits, dans les cheveux, la stature. Qu'était-il arrivé à son œil ? Les histoires de Thomas ne parlaient-elles pas du borgne qui dirigeait ses hommes ? Maintenant qu'elle y pensait, oui, les histoires de Thomas parlaient du borgne parfois,mais pas de la façon dont il l'était devenu. C'était bizarre de se trouver face au personnage du souvenir des récits d'un mort.

Alors qu'elle fixe le cache œil avec une curiosité non-feinte, il s'adresse finalement à elle, et sa voix est comme un volcan au cœur d'une montagne : profonde. Elle plisse curieusement les yeux en apercevant la satisfaction de son vis-à-vis à se présenter, avant de les descendre sur la main tendue à son encontre. Puis elle tourne la tête quand il désigne la table en invitation ; ce serait certainement plus confortable plus échanger.

Elle acquiesce de la tête en remontant ses yeux sur le seul visible qu'il lui offrait alors. "D'accord." Puis elle serra cette main qu'il tendait, puisque c'était la chose à faire. Et si elle n'avait pas la puissance de l'homme, elle avait le geste sûr malgré tout. "Cybèle. Je m'appelle Cybèle." Enfin, directe, elle ne se fait pas prier et rejoint la table qu'il désignait. Elle s’assoit, et ne paraît pas réellement trop inquiète. Penaude peut-être, maladroite aussi, mais toujours las et quelque part, déterminée. "J'ai jamais cherché de travail avant alors, je sais pas trop ce qu'il faut vous raconter." débute-t-elle de but en blanc, fidèle à la franchise qui l'avait toujours habitée, et pas si troublée que ça par la présence gigantesque face à elle. Elle hausse finalement les épaules. "Vous cherchez un guérisseur et, j'ai des compétences utiles. Je crois." Elle s'éclaircit la voix. "Je suis herboriste, je connais les plantes, et je sais les utiliser." de ça, elle était sûre. "Je fais des onguents, des cataplasmes, des décoctions... J'ai une boutique, un peu de stock encore. Je sais faire tomber la fièvre, faire dormir, soulager les douleurs, ces choses là. Je sais veiller quelqu'un, laver une plaie. Je soigne ce que je sais soigner. Je suis pas médecin." Elle a parlé avec un certain aplomb, de ceux qui connaissent le manque et ses affres. Elle a besoin de ce travail alors elle valorise ce savoir familial qu'elle possède, sans détourner le regard, sans baisser les yeux. Puis elle attend.

- Nous avons déjà un guérisseur. répondit le Capitaine de but en blanc, après qu'elle ait résumé son expérience.

Comme si ces cinq mots demandaient un lourd effort, il se saisit de son verre et but une longue gorgée de bière, afin de se désaltérer. Il reporta son attention sur la jeune Cybèle. Il aimait bien ce nom. Il lui rappelait son enfance. Une de leurs voisines, au village, s'appelait ainsi. Qu'était-elle devenue depuis ces décennies ?

- Il est à mi-temps seulement. Vous pourriez vous relayer avec lui. dit-il dans un souffle. En bas, un cri vibrant se fit entendre, attirant l'attention de l'homme et de la femme. Dans la cour, on pouvait voir deux soldats s'entraîner à quelques passes d'armes, sous les instructions de Bjorn.

- J'ai quinze hommes. Ils se battent, se blessent, tombent malades. Un suivi régulier serait bien. Surtout venant de vous.

Inutile de s'étendre là dessus. Elle comme lui se doutaient bien qu'une présence féminine et bienveillante d'une guérisseuse était, après un bon repas, un bon lit, ce qui illuminait le plus la vie d'un soldat.

- Notre guérisseur s'occupe des blessures graves. Vous le compléterez bien.

Il semblait déjà faire des plans sur la comète, et continua de parler.

- Si vous savez vraiment guérir.

Après tout, tout le monde peut se prétendre guérisseur. Mais le Capitaine, s'il était superstitieux, ne croyait que ce qu'il voyait.

- J'ai besoin de preuves.

Elle l'écoute égrainer les faits sans piper mot. Elle plisse les yeux à son encontre, le jaugeant avec précaution. Ses paroles supposent des questions auxquelles il répond l'instant d'après. Elle enregistre les informations qu'il donne ; quinze hommes ce n'était pas excessif. Les bruits à l'extérieur attirent son attention mais elle ne détourne pas les yeux de son vis-à-vis. Bien que lucide sur son statut de femme dans un univers pareil, elle lève un sourcil suffisant à son sous-entendu. Heureusement qu'elle ne manquait pas de caractère, songea-t-elle. Si ç'avait toujours été un atout dans son commerce, ça le serait probablement aussi ici. Peut-être même plus.

"Mh." approuva-t-elle en joignant la parole à un signe de tête, à l'idée d'épauler quelqu'un de plus pointu et expérimenté qu'elle. Elle baissa un instant les yeux, se perdant en conjectures ; un sentiment étrange la parcourait, celui de vraiment se trouver au bon endroit au bon moment pour une fois. Elle esquissa un petit sourire hors-contexte, peut-être un peu mystérieux : Les cartes n'avaient pas menti, et c'était ce capitaine qui se cachait derrière le hiérophante, elle en était certaine à présent. Et cette certitude-là lui arracha un frisson. Son sourire curieux s'effaça en remontant ses yeux vers lui, au même moment où il émit des doutes quant à ses compétences et en réclama des preuves.

Elle ne s'offusqua pas, trop las et sereine à la fois de la certitude que les cartes avaient eut raison de la pousser ici. Elle se contenta de lui offrir de grands yeux aussi confiants qu'éreintés. "Des preuves, hein ?" Elle se demanda comment elle était censée lui prouver ses dires exactement, un peu naïve et inexpérimentée du monde du travail. "Je sais pas, vous voulez voir ma boutique, ou bien... ? Et vous avez qu'à questionner les marchands du quartier, ou mes clients réguliers." Elle haussa les épaules avec une moue contrite, quoique assurée. "Je peux vous énumérer toutes les plantes que je connais et leurs propriétés en fonction de leur préparation, où les trouver, comment les récolter, les conserver et les préparer, je peux aussi vous expliquer la différence entre un onguent et un cataplasme... mais ça pourrait être un peu long." Cela étant, elle fut prête à le faire. Elle le dévisage toujours, le regard aussi sérieux que défiant ; elle ne comptait pas perdre de son aplomb, en tout cas pas tout de suite.

Il l'écouta attentivement, sirotant sa bière sans la quitter des yeux. Elle ne semblait pas désarmée le moins du monde par ses questions. Une confiance en elle-même qu'il aimait bien, et son instinct lui disait qu'elle était justifiée et pas le fruit d'une bravache estime personnelle.

Il aimait bien l'armurerie. Il y faisait chaud et la lumière filtrée du soleil était apaisante, tamisée. Mais elle endormait aussi facilement le vieil homme. Aussi décida t-il de prendre au mot la proposition de la jeune femme.

- Bonne idée. Montrez moi votre magasin.

Il termina l'intégralité de la bière, avant de reposer le verre sur la table et de se lever.

- Les vieux chiens comme moi ont besoin de marcher. dit-il avec un peu d'humour tout en gardant un visage parfaitement sérieux. Ils redescendirent dans la cour. Devant le visage interrogatif de ses hommes, il lâcha un simple "nous sortons" sans donner plus d'explications, et celà sembla leur suffire.

Mais d'abord...

- Je vais vous montrer notre officine.

Il l'emmena à sa suite dans la petite pièce qui avait été aménagée selon les désirs de Theodren. On y trouvait une table d'examen, ainsi que des alambics, et une quantité honorable de pots avec diverses plantes, poudres, racines, ainsi que d'autres instruments de soin, certains peu rassurants comme une scie. Dans un coin se trouvait un drap plein de sang. Chaque pot était rangé, nettoyé, étiqueté.

- Nous avons déjà un peu de matériel. Il y a de la place pour le votre.

Il lui montra une autre pièce, avec 4 lits relativement spartiates les uns à côté des autres. Sur la porte était écrite infirmerie.

- Vous ne partirez pas de rien.

Ils sortirent ensuite sur QG.

- Ou habitez vous ?