|
|
| Adam de CorveilChevalier
| Sujet: Adam de Corveil - Validé Sam 6 Juil 2019 - 15:30 | | | Adam de Corveil
◈ Identité ◈ Nom : De Corveil
Prénom : Adam
Age : 28 ans
Sexe : Masculin
Situation : Célibataire
Rang : Chevalier
Lieu de vie : l'Esplanade
Carrière envisagée & tableau de départ avec les 4 PCs : Carrière du Chevalier : 1End 1Hab 1Char 1Att
Compétences et objets choisis : - Violence Forcenée - Volonté de fer - Arme de prédilection (Épée) - Coups Puissants
- Épée longue à une main, Gantelet clouté - Camail, Chemise de mailles, Jambières de maille
◈ Apparence ◈ Adam est de taille et de stature moyenne, mesurant près d'1,75m il n'est ni trop grand ni trop petit. Pratiquement perpétuellement vêtu de son armure il ne dévoile que rarement une musculature présente mais sèche. Il possède un physique avenant et un visage doux mais sourit peu, et parle peu également. Une vie en armure lui a confèré un teint clair, il tient ses cheveux courts selon une discipline qu'il apprécie, bien que dernièrement il s'est surpris à les tenir plus courts sur les tempes que sur le haut de son crâne. Il possède une barbe fine qu'il ne laisse jamais pousser plus de quelques jours de peur de paraître négligé.
◈ Personnalité ◈ C'est un sanguin qui se réfugie derrière sa foi en les Trois pour toutes choses, il aime le combat et la voie qu'il a choisi et n'en changerait pour rien au monde. Sa loyauté envers son Roi et les Trois est totale et il s'en prendra à quiconque oserait ne serait-ce que critique l'un ou l'autre en sa présence. Autrefois rieur il est désormais dur et fier, rendu solitaire et maussade par ce drame d'une vie qu'est l'avènement de la fange. Il entraîne désormais les nouvelles recrues de la milice avec froideur et dureté, et s'il venait à en apprécier une, il ferait mine du contraire.
C'est dans le fond quelqu'un de bon et droit, prêt à offrir sa vie pour défendre ses valeurs s'il le fallait, il ne tolérera pas l'injustice mais sait se montrer flexible. Il porte l'immense culpabilité des crimes qu'il a commis mais ne l'avouera jamais, convaincu que c'était l'unique chose à faire bien qu'il sache ce que ça aurait pu lui coûter.
Il n'est pas marié et ne s'intéresse pas à la gente féminine, la seule exception qu'il s'est autorisée lui manque horriblement et malgré les regards mauvais que cela peut lui valoir, il se moque de son statut et préfère se mettre au service de Marbrume plutôt que de chercher à bien paraître.
◈ Histoire ◈ Le temps s’était comme suspendu alors que près d’un mètre d’acier s’enfonçait doucement à travers son sternum, brisant le cartilage et séparant les côtes dans un craquement répugnant que masquait les hoquets de douleur sanguinolents du supplicié dont les mains s’acharnaient à ôter ce corps étranger de sa poitrine. Une juste vengeance. Ser Herbert gisait à même le sol, le visage réduit en bouillie par une avalanche de coups gantés, chaque parcelle de son visage semblable à un amas de pulpe sanguinolente et boursouflée. Il faut battre le fer quand il est chaud avait un jour dit Ser Francis, pour ce qui est du frère, c’est quand il est faux qu’il faut le battre … D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu être Chevalier. ◈ ◈ Acte I : Genèse ◈ 12 Décembre 1165 - Marbrume. Quid du passé? Cela n’a plus d’importance désormais. Si je devais résumer, je dirais que ma vie a débuté, comme elle se terminera, au combat. Au milieu des corps qui s'effondrent et dans la justesse et la droiture d’une lame qui s’abat en une Divine punition. Le reste n’est qu’un amas de détails flous dont je ne m’encombre plus. Et tout le monde est mort à présent, alors à quoi bon s’apitoyer? Nous étions douze. Douze fiers Chevaliers de sa majesté nourris au grain et enhardis à la rigueur d’une vie rude mais ô combien glorieuse. Douze âmes, douze lames. Cette compagnie était la seule famille dont je me souciais, la seule fratrie qui valait la peine que je me batte pour. Et pour se battre… Par les Trois on s’est battus. Contre vents et marrées mais surtout contre gueux et brigands, soldats et chalands. Nul ne pouvait se targuer d’être à l’abri de la justice du Roi et quiconque enfreignait la morale et le droit Divin pouvait craindre notre ire et voir son sang couler à la surface du monde en une ultime absolution. J’étais encore jeune en ce temps-là, pas tout à fait frêle mais pas tout à fait homme non plus. Aujourd’hui mes épaules se sont élargies et mes traits sont marqués, burinés par un nombre incalculable de coups et de blessures que je renierais pour rien au monde. Non, ces marques sont de l’histoire, du vécu, comme de l’acier que l’on martèle pour en forger une arme robuste. Je ne regrette rien. Du morceau d’oreille arraché par une épée un peu trop téméraire - Rikni soit louée, le scélérat me l’a payé de sa vie - jusqu’au nez brisé maintes et maintes fois et désormais aussi plat que large en passant par cette arcade perpétuellement engourdie, Je n’ai aucun regret. Mon port reste droit et ma carrure témoigne de toutes ces années de rigueur et de discipline. Par les Trois mes cheveux sont toujours bien présents, aussi noirs qu’à l’origine et bien alignés, toujours maintenus très courts. Et mon regard ne s’est pas terni non plus, toujours dans cette nuance de brun clair qui fait ma fierté, et toujours aussi vif et acéré. Je ne dirais pas que je sors particulièrement du lot, presque commun en dehors de mes atours de Chevalier, et la compagnie de ces dames ne m’intéresse aucunement. Je ne suis qu’un instrument après tout, un outil, une arme. Mais cela implique une certaine tenue, un maintien et une rigueur qui en disent plus long sur la fonction que sur l’homme. Mais là encore, je suis plus Chevalier qu’homme. Maintenant que j’y repense, tout cela a duré peu ou prou douze ans. Une année pour chacun de ces hommes que j’ai jadis appelé frère et dont j’ai partagé la vie et les souffrances. Une année pour chacun de ces frères que j’ai abattu sans en éprouver le moindre remord. Ils s’étaient détournés de leur but, de leur mission. La mienne était de les ramener dans le droit de chemin, mais il n’existe pour les traîtres d’autre pardon que celui de la mort. Par les Trois si j’avais su ou tout cela nous mènerait… ◈ ◈ Acte II : Ascension ◈ 21 Février 1159 - Quelque part au nord du Royaume. Enfant je m’étais imaginé combattre monstres et dragons et pourfendre autant de démons qu’il y avait d’hommes sur terre. Si je n’ai rencontré ni démons ni dragons, en revanche les monstres sont légion en ce bas monde. Et je les pourfends avec force et passion, par devoir. Par Justice. Notre ordre était, bien que militaire, avant tout religieux. Et nos bras armés ne pouvaient être dissociés de notre foi absolue en la Trinité qui nous guidait et inspirait nos âmes chaque jour. Sur demande d’un Haut-Prêtre et par ordre de notre Seigneur notre compagnie s’était intéressée à un petit Temple de campagne accusé de frayer avec la vermine. Le Prêtre responsable se serait livré à des trafics de denrées alimentaires et détournerait les dons faits aux Trois pour son propre confort. Pire encore, l’on rapportait des orgies impies pratiquées de nuit sur ces terres sanctifiées, des jeunes femmes y seraient sauvagement abusées et laissées pour mortes aux aurores une fois l'appétit sordide de ces félons satisfait. Nul ne peut bafouer ainsi la bonté des Trois et se soustraire aux lois humaines et divines. Un juste châtiment se devait d’être appliqué. Et nous étions ce châtiment, nous l’incarnions, le bras armé de la Sainte Justice du Roi et des Trois. Mettant le pied à terre je frappais d’une main gantée la lourde porte qui gardait l’enceinte du Temple. Solide et épaisse celle-ci se dressait tel un rempart face à l’adversité, pourtant ce qu’elle renfermait était une insulte à la face du monde. Et un tort que nous nous devions de redresser. Le battant s’ouvrit en grinçant faiblement sur ses lourdes charnières et un apprenti à peine sorti de l’enfance y apparut, à la fois perplexe et impressionné devant l’image que nous devions lui renvoyer. Je me replongeais un instant dans mes souvenirs et me rappelais de l’impression que me faisait ces preux Chevaliers, ces fiers combattants sans peurs et sans reproches qui sillonnaient le Royaume et veillaient à ce que soit maintenu l’ordre établi. Malheureusement pour lui, ce n’était pas un jour de parade glorieuse et les nouvelles que nous apportions étaient loin d’être bonnes, mais c’était un fardeau que j’accueillais avec fierté. “Va-donc prestement quérir ton maître jeune homme, nous devons nous entretenir de toute urgence avec lui.” Je lui montrais le parchemin cacheté du sceau de Sa Sainteté et pénétrait à sa suite dans cette enceinte Sacrée à qui, par la grâce des Trois, nous allions rendre justice et honneur. C’est Ser Herbert qui toujours juché sur sa monture déclama cette litanie que nous connaissions tous si bien. “Au nom du Roi, une quête a été diligentée à votre encontre par Sa Sainteté le Haut-Prêtre d’Anür Richefroid. Nous avons ordre de fouiller les lieux afin d’attester ou non des doutes vous concernant.” À cet instant je pus lire une vive inquiétude dans le regard du Clerc qui s’était pratiquement rué dans la cour à la suite de son apprenti, curieux de savoir ce qu’une compagnie entière de Chevaliers en armure de guerre faisait en ces lieux. Et plus que de l’inquiétude je pus y discerner sans l’ombre d’un doute cette vile graine de corruption, cette ombre dans le regard qui trahissait ce que ce scélérat ne voulait confesser. Ce félon se savait piégé et contemplait le feu Divin qui venait l’expugner de ce monde. Certain de ce que je venais de voir, j’aurais volontiers dégainé mon arme et ouvert d’un geste vif la gorge du Prêtre renégat. Il n’y avait guère de place pour une plaidoirie tant son crime pouvait se lire sur son visage, mais je tenais la bride à mes pensées car ces dernières n’étaient pas dignes d’être émises en un tel lieu. Il n’y avait rien de plus à dire, je ne pouvais porter atteinte à un Saint homme dans le domaine et sous le regard d’Anür. Je crus un instant que le Prêtre allait se confondre en vaines justifications. Nenni. Il tomba à genoux et s’abandonna à une prière silencieuse tandis que moi et mes hommes investissions les lieux en silence, la boule au ventre tant cette intrusion nous semblait être un affront au Trois. Mais elle était hélas bien nécessaire. Comme l’avait prédit notre Seigneur, l’on découvrit les dons subtilisés destinés aux plus démunis ainsi que d’anciens cadavres empilés au fond d’un puits désaffecté dans l’arrière cour. Tous seraient méticuleusement interrogés et les coupables amenés en ville pour y être pendus par beau temps, afin que les Trois puissent contempler le juste châtiment infligé à ceux qui avaient bafoué leur nom. Les coupables proprement déchaussés et reliés par une corde à la selle de nos montures nous chevauchâmes vers la ville où ces scélérats seraient jugés et condamnés. Par les Trois nous avions évité de commettre le suprême affront et de faire couler le sang en ce jour, et bien que nous puissions nous targuer d’avoir, une fois de plus, contribué à rétablir le droit et la justice en ce monde, celle-ci avait un goût amer. Nous agissions au prix parfois de notre sommeil et de notre quiétude, mais si c’était là le prix à payer je l’acceptais humblement. ◈ Ce soir là nous nous étions arrêtés dans une petite taverne de campagnes aux allures massives qui me rappelaient fortement notre bonne vieille Ville. De larges poutres de chêne qui s’élevaient en colombages et formaient un ensemble imposant, plus large à son sommet qu’à sa base. Une lourde porte qui peinait à contenir le vacarme qui régnait à l’intérieur et ces vitres fumées qui ne laissaient entrevoir que des ombres furtives. Cet établissement possédait un charme auquel je n’étais pas insensible, et bien que nous ne puissions point jouir de tous les plaisirs auxquels les hommes s’adonnent en général, nous aimions les bonnes choses et faire la fête en faisait partie. Si j’éprouvais un respect infini pour mes confrères, nous n’en restions pas moins liés par des liens avant tout pratiques, nous n’avions pas besoin de nous apprécier pour savoir avec une absolue certitude que n’importe lequel d’entre nous offrirait sa vie sans hésiter si besoin était . Nous avions vu et traversé unis ce que certains nommeraient aisément l’enfer, et nous en étions ressortis victorieux. Néanmoins il n’y avait que de Ser Édouard que j’appréciais la franche camaraderie, oserais-je parler d’amitié. Nous nous trouvions rarement à plus de quelques mètres l’un de l’autre et si sans la moindre hésitation, j’aurais offert ma vie pour n’importe le quel de mes frères, je l’aurais donnée deux fois pour Ser Édouard. Et je savais pouvoir en attendre autant de lui. Brave homme, fier Chevalier. Et inénarrable pitre. L’intérieur de cette taverne nommée “Le Chêne Centenaire” et dont l’enseigne qui se balançait doucement devant la porte reflétait les larges branches de cet arbre vénérable, était à l’image de sa devanture : large et massif. De larges poutres supportaient de tout aussi larges lustres, tout du sol au plafond était fait de bois et on y trouvait cette odeur de vernis qui rappelait celle des navires. Notre arrivée fit grand bruit puisqu’en quelques instants tous les regards s’étaient tournés vers nous, tantôt suspicieux tantôt admiratifs, nous pouvions ressentir de la part de certains une légère défiance à notre égard. Et cette crainte ne nous gênait en rien, c’était au contraire l’assurance pour nous de passer une soirée calme et sans rebondissements. Le choix de cette taverne n’était pas anodin non plus, nous connaissions les lieux pour y avoir séjourné quelques temps plus tôt et avions trouvé l’accueil et le gîte fort convenables. Bien entendu cela ne soutenait aucune comparaison avec les maisons nobles dans lesquelles nous étions parfois invités, ces deux mondes étaient bien différents et nous avions appris à en apprécier toutes les facettes, des plus dignes au moins reluisantes. Je ne garde que peu de souvenirs de cette soirée, tant l’alcool a tendance à couler à flots dans ce genre d’endroit et que la venue de Chevaliers étant rare, il était souvent très difficile de payer pour ce que l’on consommait. Une petite bourse fut néanmoins glissée dans la poche de l’aubergiste au petit matin, c’est que nous ne manquions pas d’or et que nous respections le labeur de ces gens même si les mondes auxquels nous appartenions semblaient parfois ne jamais pouvoir se comprendre. Je me souviens fort bien d’avoir joué aux dés avec quelques gueux sympathiques en compagnie de Ser Édouard. Ce brave Édouard possédait une chance absolument insolente aux dés, ce qui lui valait souvent d’être accusé de tricherie. Chose contre laquelle il se défendait en disant que son code et sa doctrine lui imposaient l’honneur en toutes choses, que tricher était pour lui inconcevable et que pire encore, il inculquerait les bonnes manières au premier qu’il surprendrait à se livrer à un tel acte. Évidemment Ser Édouard trichait énergiquement, mais j’étais le seul à le savoir, peut-être que lui même ignorait que j’avais découvert son subterfuge. J’étais profondément attaché à notre Ordre et ses valeurs mais je ne blâmais pas mon ami tant qu’il ne tentait pas d’en tirer un quelconque profit, mais je savais qu’il n’oserait jamais faire une telle chose. Nous avons naturellement tous perdu les uns après les autres. Et les chopes s’enchaînant nous assistâmes bientôt au départ de Ser Félix et de Ser Francis, partis quérir un repos qu’ils ne trouveraient probablement qu’à moitié tant la taverne était bruyante ce soir-là. Peu de temps après ce fut au tour de nos écuyers de nous quitter. Le jeune Dambert soudainement pris de soubresauts vomit d’une manière particulièrement explosive sur une table voisine heureusement vide, tandis que Landry peinait à garder les yeux ouverts et nous agonisait d’un flot incessant de paroles inintelligibles avant de s’écrouler à son tour. Je me souviens également d’avoir brisé nette la mâchoire d’un gueux particulièrement odieux et repoussant qui s’arrogeait le droit de flatter la croupe de la jeune et jolie serveuse qui s’affairait ce soir-là pour notre bon plaisir. C’était quelque chose que je ne pouvais tolérer et lorsque la main de ce bougre s’approcha à nouveau de la demoiselle je saisissais son bras et le mettais en garde en parlant peut-être plus fort que je ne l’avais escompté. “Cesse ceci immédiatement malotrus, ce n’est pas un comportement digne et sache que je ne tolérerai aucun autre abus de ta part.” Certainement pour mon plus grand bien et grâce à un mélange de patois paysan et de mots mâches par l’alcool, je n’ai pas saisi un seul mot de ce que cet énergumène m’aboya. Je remarquais néanmoins très bien la main qui volait en direction de mon visage. C’est qu’une vie d’entraînement procure des réflexes que l’alcool ne parvient pas totalement à émousser, aussi penchais-je la tête sur le côté avant de reculer et d’armer mon premier coup. Sa mâchoire céda dans un craquement atroce mais semble-t-il, mon assaillant était bien trop saoul pour ressentir la moindre douleur, je la saisissais donc par les épaules tandis qu’il se levait pour me faire face et l’envoyait au tapis d’un formidable coup de tête qui me fit souffrir pendant des jours. Mais l’incident était clos et une fois le calme revenu nous continuâmes de festoyer. La suite de cette soirée reste à tout jamais nimbé de brumes, il me semble avoir chanté et dansé debout sur une table en compagnie de Ser Édouard mais je ne saurais l’affirmer avec certitude, j’espère néanmoins qu’il s’agit du fruit de mon imagination car Ser Édouard est connu pour chanter faux, terriblement faux. Au point qu’il pourrait parvenir à briser du cristal si les gens qui l’écoutaient ne lui jetais pas d’abord leurs verres au visage. Nous nous réveillâmes dans la douleur au petit matin, tant la nuit avait été courte et tant nos têtes nous mettaient au supplice. Ser Félix qui parlait d’ordinaire fort, semblait user de sa voix d’une manière encore plus accentuée qu’à l’accoutumée. Peut-être cherchait-il à nous punir de nos excès ou peut-être s’amusait-il simplement des mines déconfites que nous affichions. Néanmoins pas un seul d’entre nous n’osa rétorquer quoi que ce soit et nous quittâmes Le Chêne Centenaire la tête pleine de souvenirs plus ou moins flous mais surtout le cœur regonflé et prêts à reprendre la route ensemble. ◈ ◈ Acte III : Disgrâce ◈ 2 Juin 1164 - Dans les plaines à l’Ouest du Royaume. Ser Sigfried avait toujours été le plus laconique d’entre nous, d’aucuns diraient le plus secret. Mais qu’importe, son bras était ferme et son coup précis. C’était un fier Chevalier que Ser Sigfried, un brave homme à l’encontre duquel je n’ai jamais nourri de doutes. Il était cette fois-ci question de la pire des félonies, d’une trahison comme on en voyait que rarement. Et les Trois nous en soient témoins, nous avons connu notre lot de traîtres et de renégats. Près de la frontière Est du Royaume la garnison en charge de protéger la population des incursions de quelques baronnies indépendantes et notoirement belliqueuses, était accusée de rançonner les bonnes gens. Pire encore certaines exactions ennemies étaient tout bonnement approuvées par ces derniers qui devaient y trouver leur compte en matière d’or et de femmes. Naturellement il était impossible que ces actes ignobles aillent sans une juste rétribution. Et une fois de plus nous nous tenions prêts à faire appliquer la justice du Roi en ces terres lointaines. Loin de pouvoir prendre d’assaut un Château entier à douze, aussi vaillants que nous fûmes, notre action se concentrait sur la garnison renégate qui semble-t-il, complotait contre ceux-là même qu’elle était chargée de protéger. C’était une zone aride et sèche loin de la moiteur des marécages de l’Est. Ici tout était plat. Et à perte de vue s’étalaient de mornes plaines couvertes d’une végétation basse et éparse, jaunie par le soleil qui semblait ne jamais vouloir faiblir. Il était bien là le fameux Castel qui posait tant de problèmes à sa majesté, découpant sur l’horizon sa silhouette fière et massive. Il était d’ailleurs plus haut que large, probablement bâti sur quelque escarpement rocheux saillant hors de la plaine. De loin je peinais à distinguer ses étendards qui flottaient mollement dans une absence presque totale de vent, il me semblait y voir le symbole d’un faucon fondant sur sa proie mais à cette distance rien n’était moins sûr. Ce qui nous le frappa le plus était l’apathie qui semblait régner sur la populace en ces lieux, tous les badauds que nous croisions semblaient las et désespérés. Même la vue de notre fière compagnie juchée sur de flamboyantes montures semblait être un événement à peine digne d’intérêt. Et cela me peinait fortement, avait-on en ces lieux renoncé jusqu’à l’espoir même de vivre en paix? Toute cette petite bourgade était à l’image de ses habitants, terne et morne. Mais le pire restait à venir. Ser Francis disait souvent que l’on juge la puissance d’un peuple à la prestance de ses armées. Sage homme que Ser Francis, celui qui était au départ notre doyen était devenu au fil du temps notre maître à penser, toujours prompt à dispenser son savoir et sa sagesse avec élégance et éloquence. Je me souviens de ses paroles car c’était la première fois que je l’entendais s’exprimer ainsi, même Ser Gregor l’impassible en leva un sourcil d’étonnement. Et cela aussi était un événement en soi. “Qu’est-ce donc que ce ramassis de chiffes molles?” La caserne était dans un état de délabrement à l’image du reste de la ville et le soldat supposé monter la garde et nous accueillir comme il se doit dormait en ronflant bruyamment, affalé sur une chaise, son arme non pas rangée comme elle aurait dû l’être au fourreau mais à même le sol. Et que dire de son uniforme? Ce qui faisait la fierté et le panache d’une armée était ici sale et mal entretenu, ce dernier n’avait probablement pas été lavé depuis des lustres et - comble de l’injure - le bougre arborait une immonde barbe broussailleuse qui n’avait elle non plus probablement jamais vu la couleur d’un peigne. Le sang me monta aux tempes et avant que quiconque ait pu s’exprimer je mettais pied à terre pour réveiller ce bougre comme il se devait. Avec un formidable coup de poing ganté qui lui fendit la pommette et probablement quelques dents au passage, mais je ne le laissais pas rouler à terre bien que c’était là qu’il méritait de se vautrer, non je le retenais d’une main ferme et le portais à ma hauteur tandis qu’il reprenait conscience dans un effarement total. “Est-ce ainsi que tu honores ton Roi? Tu me fais honte soldat, tu ne mérites pas l’uniforme que tu portes. Va chercher ton Chef de camp immédiatement et fais donner l’ordre de remettre cette caserne en état immédiatement. Cours!” Cette fois-ci je le jetais au sol et sous les rires de mes camarades lui frappait le fondement de mes lourdes bottes de plates et le laissait rouler dans la poussière. La chaleur était écrasante et mon armure fort lourde, mais rien ne pouvait me priver de la fierté et de l’honneur de la porter devant ces misérables troufions. L’honneur des grandes occasions était réservé à notre commandant, Ser Félix. Celui qui restait généralement en retrait et ne faisait usage de sa suprême autorité que lorsque la situation l’exigeait. Et elle l’exigeait. Tous ces soldats qui n’en avaient que le nom ne méritaient pas l’honneur qui leur était fait d’arborer les couleurs et l’uniforme de sa majesté, aussi s’avança-t-il une fois l’ensemble de la caserne réuni dans la cour d’entraînement. Fier et droit sur sa monture, de manière à ce que tous, même les plus hauts gradés doivent lever la tête pour lui faire face. Par les Trois j’ai toujours eu la plus grande admiration pour cet homme, aussi bien pour sa vaillance incontestable au combat que pour sa prestance et l’intelligence dont il faisait preuve à chaque instant. Ser Félix se tenait face à la garnison le soleil dans le dos, et tous plissaient les yeux tant le soleil de ce début d’été était vivace. Le reste d’entre nous se tenait légèrement en retrait, disposés en arc de cercle derrière notre commandant de manière à couper toute retraite à ceux qui auraient eu la - mauvaise - idée de chercher à s’enfuir. Et chacun des mots qu’il déclama de sa voix grave et caverneuse fit l’effet d’un coup de poing dans le cœur de ces soldats de pacotille. Il nous arrivait même à nous de parfois ressentir un certain malaise lorsque Ser Félix s’exprimait, et pourtant nous n’avons jamais eu à subir son ire. Une partie de moi éprouvait presque une certaine empathie pour ces soldats qui se faisaient réprimander comme de vulgaires enfants, mais le châtiment qui leur était infligé était juste et sans cruauté. Nul doute que certains d’entre nous eussent été bien plus sévères, mais il revenait à notre Commandant de décider de la nature des sanctions, et celles-ci n’était jamais - Les Trois nous en gardent - remises en question. “Moi. Félix Martel. Commandant des Chevaliers de sa Majesté. Vous déclare hors-la-loi et vous relève de votre commandement. Vous serez tous consignés ici en attendant d’être relevés et conduit à la Capitale pour y être jugés.” Avant d’ajouter sur un ton moins solennel mais tout aussi ferme et indiscutable. “Ce que nous avons constaté ici est indigne d’un soldat de sa Majesté. Vous avez tous failli à votre mission et votre comportement est inacceptable, subissez-en les conséquences. Capitaine veuillez nous suivre.” Nous incarnions l’autorité ici. Et à ce titre, ce Capitaine de garnison n’avait d’autre choix que de se plier aux ordres qui lui étaient donnés, que cela lui plaise ou non. Une fois réunis dans une salle de commandement plus propices aux discussions et face à une carte - fort précise au demeurant, de la région - je m’avançais pour lui désigner le château ennemi d’une main perpétuellement gantée. “Expliquez-moi comment ces gens peuvent commettre des exactions sur la population avec VOTRE bénédiction Capitaine? Expliquez le moi car la bêtise et la portée de vos actions m’échappe totalement” Une vive inquiétude parcourut les traits du Capitaine déchu, se pourrait-il qu’il ait été vendu? Qu’importe. Ses mains se joignirent en tremblotant et l’homme qui se savait dores et déjà perdu tenta d’argumenter avec fébrilité, tout en sachant que cela ne le mènerait à rien. “C’est que messire… Nous n’avons pas vu un seul d’entre eux depuis presque une demie-lune…” “Vous n’avez pas répondu à ma question Capitaine…” “Oui. Oui messire. Nous sommes débordés voyez-vous. Nous ne sommes qu’une poignée face à tous ces hommes. Parfois collaborer est le meilleur moyen de survivre, ne pensez-vous pas?” Si j’ai omis un détail, c’est que j’ai toujours eu un goût prononcé pour la violence. Par les Trois je ne suis pas une vulgaire brute de taverne, ça non! Mais le combat quel qu’il soit m’a toujours attiré comme le loup vers l’agneau. Et à cet instant précis, alors que ce Capitaine démis me vantait les mérites d’une trahison pacifique, mon sang ne faisait qu’un tour. Oh ce ne fut pas mon premier coup d’éclat, loin s’en fallait, mais celui-ci figure certainement parmi les plus flamboyants. Et j’ai retenu mes coups car je souhaitais ardemment que ce scolopendre soit jugé et condamné par ses pairs, je ne pouvais pas m’improviser juge et bourreau à la fois, aussi fort que je pouvais le souhaiter. Mais je m’en suis néanmoins donné à cœur joie. Avant qu’il n’ait pu esquisser le moindre geste mon pied gauche avait jailli, tordant sa jambe dans le sens inverse de sa rotation en le forçant à se baisser, pour rencontrer mon genou droit qui lui était parfaitement à l’abri derrière mes lourdes jambières de plate. Son visage se fendit pour ainsi dire en deux et l’homme s’écroula dans un hurlement digne d’un porc que l’on égorge - Par les Trois pardonnez-moi cette image, mais c’était la plus appropriée - dans une mare de sang qui semblait provenir de plusieurs personnes à la fois. Je le relevais d’une main gantée pour lui asséner un nouveau coup - de poing cette fois-ci - avant de le pencher au dessus de la carte qui figurait sur la lourde table de la salle de commandement. “Expliquez moi comment une Baronnie entière peut disparaître du jour au lendemain Capitaine? Expliquez le moi car je commence sincèrement à penser que vous nous prenez pour des idiots. Vous n’oseriez pas faire ça n’est-ce pas Capitaine? Vous ne seriez pas assez stupide pour tenter de duper douze Chevaliers de sa Majesté n’est-ce pas?” Je martelais son visage sur la table et retenais mes coups en réalisant que je faisais que souiller la carte et la rendre illisible. Néanmoins le message semblait passer et l’homme après avoir détaillé les onze chevaliers impassibles qui assistaient à sa déconfiture la main sagement posée sur le pommeau de leur arme, accepta finalement de se délier la langue. “Il y a deux mille personnes dans ce Château Capitaine. OU SONT-ILS PASSÉS?!” J’appris plus tard que cet homme se nommait Ulric, bien que cela n’ait pas la moindre importance. Ulric donc, cracha une glaire sanguinolente entre ses deux pieds et éructa d’une manière maladroite et décousue, empreinte de douleur et d’une peur viscérale qu’aucun d’entre nous ne pouvait lui renier. “Nous… Avons… Entendu des rumeurs…” Ser Albard qui était à bien des égards le plus violent d’entre nous s’avança d’un pas, faisant mine de tirer son épée au clair. Je l’arrêtais d’un geste de la main. Ulric méritait clairement son sort, d’une part pour sa trahison et d’autre part pour s’être offert le luxe de nous prendre pour des idiots. Ce que Par les Trois nous n’étions aucunement. Nous ne pouvions néanmoins nous permettre d’écarter la moindre piste, et tous les détails de cette entrevue étaient retranscrits par notre écuyer Landry, en vue de servir de preuve lors d’un procès officiel. “Allons bon. Des rumeurs? Que sont elles donc hormis des fables destinées à nous faire perdre notre temps?” “Demandez au village messire. Il paraîtrait qu’un mal inconnu frappe la région. Un fléau étrange. On parle de démons, de punition divine, certains disent même que les morts se relèvent et pourchassent les vivants…” Un nouveau crachat rougeâtre vint toucher le sol, le visage du Capitaine enflait de minute en minute et ce dernier avait de plus en plus de mal à s’exprimer. Néanmoins la peur l’animait et un simple geste de ma part le poussa à reprendre son discours. “Bien entendu nous n’avons rien vu de tel messire, mais certains soldats ont disparu et nous n’avons aucune nouvelle de la Baronnie. Regardez-donc, le château semble désert.” C’est Ser Sigfried qui rompit son sempiternel mutisme et désigna le lointain château d’un geste de la main. Naturellement mon regard ainsi que celui de mes confrères se porta sur ledit Castel, car tout ce qui semblait suffisamment digne d’intérêt pour que Ser Sigfried prenne la parole méritait notre attention à tous. Et si je n’avais pas remarqué ce détail au premier abord, il me sautait désormais aux yeux comme un barde au milieu d’un champ de bataille. “Vu le nombre de corbeaux qui survolent ce Château. Il doit s’y trouver un grand nombre de charognes. Peut-être que le Capitaine a raison, peut-être qu’ils sont tous morts.” Nous restâmes cois devant ces paroles qui prononcées par le plus laconique d’entre nous revêtaient une signification toute particulière. Nous avions une confiance absolue en Ser Sigfried et s’il daignait ouvrir la bouche pour déclamer quelques sagesses, nous nous joignions à son jugement. Aussi funeste et inquiétant soit-il. ◈ 4 Juin 1164. Nous ne tardâmes pas à obtenir des réponses à nos questions. Un matin brumeux sous un ciel couvert et gris qui présageait d’une pluie tant attendue, le mal nous apparut enfin sous une forme que nous ne lui connaissions pas. Et c’est l’écuyer Dambert qui attira notre attention tandis que nous polissions nos armure et affûtions nos armes selon un rituel sacré auquel aucun de nous n’aurait dérogé pour quelques raison que ce soit. Un intrus traversait la plaine qui nous séparait de ce que nous nommions désormais Mortcastel, car il semblait clair que plus rien ne vivait en ces murs, tant la présence de corbeaux dans les airs était désormais flagrante tant le vent nous charriait parfois un parfum de charogne que nous ne connaissions tous que trop bien. Mortcastel. Alors que nous supposions que toute âme avait cessé d’exister par-delà la plaine, une silhouette s’avançait dans cette immensité désertique. Son pas semblait hésitant et je me plaçais à la lisière de notre campement situé en bordure de plaine pour lui faire signe de rebrousser chemin. “HALTE!” Lui criais-je, l’arme au clair. Mais cela n’eut pas l’effet escompté, bien au contraire. Le vent qui soufflait dans notre direction nous fit parvenir - En plus des remugles infâmes qui tourbillonnaient dans ce lointain Château - un grognement rauque et guttural tandis que ce nouveau venu s’agitait et marchait sur notre position. Sa démarche était des plus erratiques, mais à cette distance c’était tout ce que nous pouvions distinguer, pire encore l’homme accélérait la cadence. Ce n’est que parvenu à une centaine de pas de nous que je levais le poing et donnait l’ordre à Ser Philippe, notre archer, d’embrocher le malotrus. Ser Philippe était l’un des meilleurs archer qu’il m’eut été donné de rencontrer. Et son tir, rigoureusement parfait, vint se loger en plein sous la rotule de celui que nous considérions désormais comme un ennemi. Mais loin de s’arrêter, alors que tout homme même le plus brave se serait effondré de douleur, notre assaillant pressa le pas. Il n’avait même pas prêté attention à la flèche qui traversait sa jambe et boitait dans notre direction. Je levais à nouveau le poing et une seconde flèche venait rejoindre la première, cette fois-ci en plein cœur. Mais celle-ci non plus, n’eut pas l’effet escompté. Le vent nous fit parvenir un cri terrifiant - Par les Trois nous n’en avions rarement entendu de ce type - tandis que ce monstre, car il ne pouvait être un simple homme pour supporter une telle blessure, se ruait sur Ser Philippe. Je m’abandonnais un bref instant à la contemplation de cette créature qui parvenait à tromper la mort elle-même. Et plus elle s’approchait plus je m’interrogeais sur sa véritable nature. Était-ce là l’œuvre d’Anür qui nous punissait d’une nouvelle plaie encore jamais vaincue? J’espérais - Et je savais qu’il en allait de même pour mes confrères - que ça ne fut pas le cas, car face à la colère des Trois nous pauvres mortels ne pouvions guère plus que tenter de nous enfuir. Mais nous n’étions pas des couards, et à bien des niveaux nous nous élevions au-dessus de ce que l’on pouvait attendre d’un simple homme. C’est ainsi que nous perdîmes Ser Philippe, ainsi que nous deux écuyers, Dambert et Landry. Jamais aucun d’entre nous n’avait été confronté à un tel ennemi. Par les Trois nos deux braves écuyers avaient à peine eu le temps de cligner des yeux avant que ceux-ci ne jaillissent hors de leurs orbites. Cette créature bondissait et fendait nos armures à mains nues comme s’il s’agissait de parchemin humide, pire encore, elle usait de ses dents et mordait autant qu’elle griffait. Une bête sans honneur donc, car aucun preux n’aurait accepté de guerroyer de la sorte. Landry eut la tête pratiquement séparée de son cou tandis que le trou béant dans la poitrine de Dambert ne lui laissait aucune chance de salut. Et Anür soit louée, leurs souffrances furent brèves. Nous finîmes par avoir raison de ce terrible assaillant, mais au prix de vies bien trop précieuses et irremplaçables pour que la flamme du combat vaille le prix du sang versé. C’était une tragédie, un véritable drame duquel je le craignais, je ne parviendrais jamais à me remettre. Pour la première fois de ma vie, à genoux devant les monticules de terre qui recelaient les dépouilles de nos frères, je versais une larme solitaire en guise d’épitaphe. C’était tout l’honneur que nous puissions leur faire, chérir leur souvenir et tirer un enseignement de leur tragique perte pour ce qu’elle était véritablement. Un avertissement. Ser Félix prononça naturellement quelques mots mais - que les Trois me pardonnent - j’étais bien trop bouleversé pour y prêter une quelconque attention. Le jour suivant, deux de ces monstres s’aventurèrent jusqu’à nous, certainement attirés par le vent qui soufflait dans la direction de Mortcastel et charriait avec lui les effluves qu’un village entier peut produire. Le monstre de la veille n’ayant daigné succomber qu’après avoir vu sa tête séparée du reste de son corps, nos arcs visèrent ces dernières et Par les Trois, avec succès, bien qu’il fallut pour cela tirer plusieurs fois. Je retournais la dépouille de cette créature d’un coup de botte qui en disait long sur la rage qui m’habitait à cet instant. Si deux flèches magnifiquement tirées traversaient son crâne de part en part, crâne que nous nous empressâmes de détacher de son tronc. Rien n’expliquait comment cet homme, puisqu’il portait encore les restes de la livrée des domestiques de son Seigneur, avait réussi à se tenir debout et franchir les portes de son château avec la poitrine éventrée et le cœur partiellement dévoré. Les détails étaient terrifiants, même pour des hommes rompus aux horreurs de la guerre tels que nous. L’uniforme était déchiré sur la totalité du poitrail de ce pauvre homme et sa peau était parsemée de griffures longues et profondes. En lieu et place de son cœur se trouvait un trou béant dont les contours évoquaient des marques de dents, et si l’organe restait en place il n’était qu’à moitié intact et porteur de ces mêmes marques sinistres. Que quelqu’un ait pu se tenir debout après une telle blessure relevait de l’impossible et un à un nous examinâmes les deux autres dépouilles pour y découvrir des blessures du même type, mortelles sans qu’elles soient aussi atroces que celles qui ornaient feu le domestique. Le chef de camp avait évoqué une punition divine et à voir l’état de ces corps nous doutions qu’il s’agisse de simples hommes. Anür se serait-elle lassée de ses sujets et leur enverrait une ultime épreuve sous la forme de ce terrible fléau? Et était-ce la raison pour laquelle Mortcastel n’avait donné signe de vie depuis des semaines? Et quid de l’odeur que le vent nous portait de temps à autre? Si ces gens étaient tous morts, se releveraient-ils pour venir nous traquer à leur tour? À cette simple pensée je réprimais un frisson tandis que nous traînions les corps pour y mettre le feu, s’il s’agissait d’une maladie seules les flammes pourraient nous en protéger. Et si c’était comme nous le craignions un châtiment divin le feu purifierait les dépouilles de ces créatures et leur offrirait la bénédiction d’Anür. Malheureusement nous étions loin de nous douter ce qui se tramait entre les murs ce sinistre château. Et même si nous l’avions su, nous ne l’aurions pas cru. Que les Trois nous pardonnent, tout cela aurait peut-être pu être évité… ◈ |
| | | Adam de CorveilChevalier
| Sujet: Re: Adam de Corveil - Validé Sam 6 Juil 2019 - 15:30 | | | ◈ Suite ◈ ◈ Acte IV : Vengeance ◈ 6 Juin 1164. Parce que nous pressentions que le drame ne faisait que commencer, nous avions libéré les miliciens renégats en attendant qu’ils soient relevés et conduits en ville pour y être jugés. Et nous campions en leur compagnie en lisière de la plaine qui nous séparait de ce funeste château qui ne cessait de se couvrir de corbeaux, l’odeur que nous charriait désormais le vent quand il soufflait dans notre direction était pestilentielle et nous n’avions aucun doute sur le sort qu’avaient subi les habitants du Château. Ennemis ou non il s’agissait là d’un drame que nous ne pouvions ignorer, néanmoins la prudence nous intimait de conserver notre position, ainsi que le devoir sacré qui nous liait à notre peuple et nous plaçait à son service. Dussions-nous y laisser la vie, ce serait là une fin dont nous n’aurions pas à rougir et cela valait tous les sacrifices. Au petit matin le ciel nous gâtait d’une pluie fine mais persistante, sous un ciel de plomb qui écrasait la plaine comme un linceul et nous laissait las et maussades. Un signe de Ser Grégor attira notre attention sur le drôle de manège qui se jouait aux portes du fameux Château. Nous nous trouvions à quelques lieues de là et à cette distance nous ne pouvions en discerner tous les détails, mais il semblait qu’une foule entière s’agitait. Cent, peut-être deux-cent personnes traversaient la plaine dans notre direction. S’agissait-il de ces créatures? Ou bien de survivants affolés? Dans le doute nous finement d’étouffer les flammes qui mouraient déjà doucement et nous nous tînmes prêts à combattre s’il le fallait. Chevalier ou non, je connais la peur comme tout homme ayant l’honnêteté de le reconnaître, et j’ai appris à la dompter afin de la faire mienne et de l’utiliser au combat. Le bruit que nous porta le vent, en plus de l’odeur de charogne, m’emplit d’une terreur qu’aucun mot ne saurait décrire. Jamais - que Rikni m’en soit témoin - je n’ai entendu un homme, un blessé ou un mourant hurler de cette manière. Et ils étaient des centaines. C’est là véritablement que toute ma vie et mes certitudes s’effondrèrent, au moment où les soldats fuyaient à toutes jambes, j’étais témoin d’une chose que je n’aurais pas cru possible. Et encore moins pu imaginer. Ser Édouard, le plus pieux d’entre nous, était tombé à genoux dans une prière silencieuse, ce qui lui coûta ultimement la vie car il refusa de quitter les lieux, persuadé qu’Anür le protégerait et viendrait à bout de ses ennemis sans qu’aucun mal ne lui soit fait. Pauvre Ser Édouard, lui qui ne jurait que par les Trois périssait d’une manière on ne peut plus atroce tandis que ses suppliques restaient lettre morte. Je craignais désormais qu’il ne s’agisse véritablement d’une châtiment divin tant la puissance de ces abominations était sans égale. C’est notre commandant Ser Félix qui prit la parole tandis que nous battions retraite en direction du village. Par les Trois un seul d’entre eux était venu à bout de trois d’entre nous, que dire de quelques centaines? Je sentais des perles glacées glisser le long de mon échine tant le vacarme et l’odeur produite par ces monstres étaient saisissants. Mais je tenais bon, je le devais, pour mes camarades et frères d’armes. “Nous ne pouvons rien contre ces monstres, nous devons nous retirer au village, préparer une riposte. Nul doute qu’avec notre témoignage les armées du Royaume déferleront sur ces abominations. Nous devons survivre aussi longtemps que nous le pourrons.” Je secouais Ser Édouard comme s’il s’agissait d’un vulgaire prunier et l’implorait de nous retrouver la raison et de nous suivre dans notre retraite, rompant au passage un protocole auquel je m’étais tenu ces douze dernières années. “Édouard! Viens avec nous mon frère, ne meurs pas inutilement ici, tu as vu ce qu’ils ont fait à Ser Philippe. Vis aujourd’hui pour combattre demain Édouard!” Devant son mutisme je murmurais une prière silencieuse et le frappais avec autant de vigueur que j’avais de respect et d’amour pour lui. En vain, il ne parut même pas s’en rendre compte et continua de déclamer une litanie à laquelle je ne comprenais rien. Me retournant pour en appeler à mes confrères et traîner - s’il le fallait par la force - Ser Édouard jusqu’en lieu sûr, je ne trouvais rien ni personne. À cet instant mon monde vacillait, comment pouvait-on ne serait-ce que songer à abandonner l’un des nôtres? Je frappais de nouveau - qu’Anür me pardonne - Ser Édouard pour qu’il daigne réagir mais ce dernier se détourna de moi et se rua vers la masse grouillante de créatures qui fondait sur nous, non sans m’avoir jeté un dernier regard. “Fuis, Corveil, fuis.” Je ne compris que plus tard que Ser Édouard s’était sacrifié non pas pour me sauver la vie, bien qu’il sut pertinemment que sans son acte je ne l’aurais jamais abandonné, mais pour m’ouvrir les yeux quant à la véritable nature de nos pairs. De frères d’armes, pratiquement de sang, ils en devenaient des ennemis. Des traîtres. Comment était-ce seulement possible? Incapable de regarder mon frère tomber sous les mâchoires de ces chimères je me détournais, l’arme au clair et le visage baigné de larmes tandis que ses cris emplissaient la plaine. J’espérais que le vent porte ces sons jusqu’au village afin que mes camarades renégats saisissent la portée de leur trahison. À cet instant je décidais que le lien qui nous unissait depuis toujours n’était plus, et que la justice que j’incarnais s’abattrait sur eux comme le fléau des Dieux venait de déferler sur nous. J’atteignais les portes du village quelques minutes plus tard, la mort aux trousses, essoufflé et incapable de formuler la moindre pensée dans le maelstrom de confusion qui agitait mon esprit, Ser Francis disait que l’on pouvait juger de la valeur d’un homme à l’aune et à la force de ses certitudes. Il serait bientôt confronté à la force de mon ire et les Trois ainsi que mes camarades savent que je n’éprouve ni pitié ni remords lorsque j’estime faire ce qui est juste, c’était tout le credo de mon existence, agir avec justice en tâchant d’éviter toute passion qui pourrait obscurcir mon jugement. J’aimais la violence et la brûlante ardeur de la bataille, mais j’aimais avant tout qu’elle soit juste et serve une noble cause. Et cette cause était la plus noble qui soit. J’abattrais ces chiens jusqu’au dernier, coûte que coûte. Ser Albard montait la garde à l’entrée du village à l’intérieur duquel régnait le chaos le plus total, la nouvelle de l’arrivée de ces choses s’était répandue aussi vite qu’un lièvre détale un loup aux trousses, la panique faisant ressortir ce que l’homme avait de pire en lui. Ce dernier tendit une main dans ma direction en m’enjoignant de trouver refuge derrière les palissades. “Ser Adam! Nous vous croyions perdu, qu’Anür soit louée!” Mais je percevais son inquiétude et en déduisait qu’il aurait préféré me voir mort que de devoir faire face aux conséquences de ce qu’il savait être un parjure. Je tendais à mon tour la main et tandis que je lui saisissais l’épaule mon épée jaillit et rencontra sa peau juste en dessous du menton, presque à la verticale, le tuant dans l’instant. Une giclée de sang chaud aspergea mon visage et je jetais sa dépouille en bordure du chemin en espérant qu’elle serve d'appât et retarde ces monstres. Je pénétrais ensuite dans le village en proie à une folie comme je n’en avais rarement vu. Je réalisais n’avoir prononcé le moindre mot depuis qu’Édouard était tombé, pas même lorsque j’avais tué le premier de mes anciens confrères et me rassérénais en me disant qu’il ne méritait pas l’honneur d’une épitaphe mais seulement la froideur de ma vengeance. Un des miliciens que nous avions condamnés quelques jours plus tôt se jeta sur moi à peine entré dans le village, non pas qu’il m’ait vu occire Ser Albard mais trompé par mon apparence et mon visage couvert de sang ce dernier me prit pour un monstre. Je levais une main pour lui signifier que je ne comptais pas au nombre de ses ennemis, je n’avais rien contre lui et si ses actes passés méritaient un châtiment ce n’était pas à moi d’en juger. Néanmoins toute raison semblait l’avoir quitté et j’esquivais prestement sa taillade pour venir me placer de trois quart derrière lui et lui trancher la tête d’un coup net et précis. Et le massacre commença. D’abord il n’en vint qu’un petit nombre, je ne pouvais rien entendre dans la vacarme de leurs cris mais j’imaginais que la dépouille fraîche qui gisait dehors avait rempli son but et en retenais certains. Des six Chevaliers encore en vie je n’en voyais aucun, les miliciens qui chargèrent eux furent réduits en pièces en quelques instants, mais mon but n’était pas de venir en aide à ces pauvres hères, et quand bien même, qu’aurais-je fait à part mêler mon sang au leur? Je parcourais les allées du village au milieu d’habitants en fuite et de scènes de pillage. Au détour d’une ruelle des cris attirèrent mon attention, et entre deux lattes disjointes qui servaient de façade à une habitation j’assistais au triste sort d’une des villageoises. Acculée contre un mur cette dernière tentait tant bien que mal de repousser les assauts d’un larron dont je devinais aisément les intentions. La pauvre femme reçut d’une main une formidable claque tandis que de l’autre le bougre lui arrachait le haut de sa tunique. Je n’avais que ma vengeance à l’esprit, mais ceci, - Que les Trois me gardent - je ne pouvais l’ignorer. Faisant le tour de la bâtisse j’en trouvais la porte entrouverte et pénétrais dans une pièce commune complètement dévastée, qu’il était triste de se dire qu’au moment où le mal frappait les hommes préféraient se livrer à de sordides meurtres et pillages plutôt que de s’unir et de faire front ensemble. L’homme ne me vit pas venir, je le saisit par les épaules pour le projeter contre la cloison la plus proche et je me livrais à un étalage de violence qui trouvait son écho dans le chaos ambiant. Le premier coup lui brisa la mâchoire, le second le nez, encore vêtu de mon armure je ne prenais pas la peine d’esquiver les coups qu’il me donnait puisque je pouvais à peine les ressentir. Mon genou trouva ensuite le chemin de son entrejambe, plusieurs fois. Plus un son ne franchissait la barrière de ses lèvres fendues et de ses dents brisées. Je me décidais à l’achever une fois qu’il fut roulé en boule au sol, s’étouffant du sang qui lui coulait dans la gorge, je plantais mon épée dans son cœur et le laissait là, où il méritait de demeurer. Recroquevillée dans un coin de la pièce, les bras serrés autour de ses genoux la jeune femme n’avait pas manqué une miette du spectacle, je constatais que sa joue saignait, et les larmes qui coulaient dans la blessure devaient lui faire le plus grand mal, néanmoins je m’approchais sans armes et avec prudence, soucieux de ne pas l’effrayer. Comme je l’imaginais la jeune femme se blottit autant qu’elle le put contre le mur, à la fois soulagée mais craignant le pire. Et si j’étais venu pour m’offrir sa vertu à la place de ce criminel? Je détachais ma cape de mes épaules et m’agenouillais en la plaçant sur elle afin de lui rendre sa pudeur, et elle se détendit légèrement. “Je me nomme Ser Adam de Corveil Madame, Chevalier de sa majesté, je ne vous veux aucun mal.” Je lui montrais les armoiries figurant sur mon armure, bien que je pouvais difficilement être confondu avec autre chose. Cette dernière hocha timidement la tête et avant que je ne puisse poursuivre, un cliquetis familier attira mon attention à l’extérieur de la bâtisse, le bruissement d’armures qui s’entrechoquent. J’assistais impuissant mais satisfait à la démise de Ser Gregor et Ser Francis, qui dos à dos, combattaient la vermine. Leurs assaillants n’étaient qu’une dizaine, mais lorsque j’observais le carnage absolu qu’ils laissaient derrière eux, je savais que mes deux anciens camarades n’avaient pas la moindre chance de s’en sortir. Un cheval affolé traversa le village au galop, superbement ignoré par ces revenants qui semblaient n’en avoir qu’après les hommes, celui-ci attira tout de même l’attention de Ser Gregor qui siffla bruyamment pour l’appeler à lui. La bête ne sembla pas l’entendre et disparut au coin d’une ruelle, mais le sifflement du chevalier ne passa pas inaperçu pour tout le monde. D’une dizaine de créatures ils en affrontaient désormais vingt et quelques instants plus tard leurs cris furent étouffés par ceux des bêtes, Ser Gregor et Ser Francis furent noyés par une marée humaine ou semi-humaine et disparurent. “Plus que quatre.” Murmurais-je pour moi-même. À cet instant une main vint se poser sur mon bras et je me retournais pour faire face à cette jeune et jolie dame qui mourait pratiquement de terreur. J’estimais que mon honneur ne serait pas sauf si j’abandonnais cette pauvre hère à son triste sort pour assouvir ma sordide vengeance, d’ailleurs je ne nourrissais pas grand espoir d’en ressortir vivant et il en allait de même pour mes confrères. Je faisais confiance au destin ainsi qu’aux Trois pour rendre à ces parjures la monnaie de leur pièce, je posais alors ma lourde main gantée sur la sienne et tentait de me rendre moins menaçant que mon apparence sale et sanguinolente pouvait laisser à penser. “Nous devons fuir ce village, restez derrière moi. Et si je tombe…” Je marquais un bref silence. “Qu’Anür vous vienne en aide.” Heureusement le gros du massacre avait lieu sur la grand place du village, d’où nous nous trouvions nous pouvions voir les habitants fuir à travers champs, pourchassés par des hordes de monstres. Ceux qui tombaient disparaissaient sous une avalanche de coups frénétiques et étaient déchiquetés en quelques instants. C’était un spectacle terrible, à ajouter aux horreurs que je craignais de ne jamais pouvoir oublier, mais nous parvînmes à nous déplacer de maison en maison sans attirer l’attention. Nous étions proches de la porte Sud du village, et chaque fois que je m’arrêtais je pouvais sentir ses bras frêles et tremblants venir me serrer par derrière. Le moulin derrière lequel nous nous cachions abritait des sacs de grains qui auraient probablement dus être moulus dans la journée, s’empilant sur une belle hauteur ils formaient un abri de fortune convenable qui nous permettait d’observer les alentours entre leurs interstices. De là j’observais Ser Sigfroi et Ser Godric entrer dans une maison en traînant notre commandant blessé, Ser Félix. Celui-ci avait un bras brisé et il semblait avoir perdu une main, probablement arrachée par l’un de ces monstres. Tous étaient couverts de sang et peinaient à de mouvoir. Et je comptais tirer un bon avantage de leur mauvais-sort. Une fois les trois hommes entrée dans leur refuge je me retournais pour faire face à ma protégée et lui intimait de s’agenouiller entre les sacs. Là je créais un abri autour d’elle qui la dissimulerait totalement aux yeux des monstres, si tant qu’elle qu’elle parvienne à rester silencieuse. “N’ayez crainte Madame, je reviens dans quelques instants, ne bougez surtout pas.” De là je me déplaçais aussi furtivement que possible et une fois parvenu derrière la bâtisse que ces traîtres occupaient je me saisissait d’une lourde pierre et en brisait l’une des fenêtres, je recommençais jusqu’à ce qu’un râle tout proche m’indique la présence de ces monstres et je retournais me cacher derrière le moulin. Ma protégée tremblait comme une feuille morte et nous nous recroquevillâmes derrière nos sacs de grain tandis que des hurlements d’agonie montaient de la masure toute proche. Il ne restait plus qu’un de ces scélérats en vie, du moins que je sache, et j’étais prêt à laisser aux Trois le loisir de le châtier à ma place, tant que je pouvais vivre en sachant que le reste d’entre eux ne vivait plus. Mon instinct de survie m’intimait de m’arrêter là et de fuir ce village maudit aussi vite que je le pouvais, mais la nuit tomberait bien vite et je ne me faisais que peu d’illusions sur nos chances de survie dans les bois en pleine nuit. D’autant que j’ignorais combien de ces créatures arpentaient désormais le village et ses alentours? Une main agita soudainement mon bras et je me retournais pour faire face à celle qui n’avait pas prononcé le moindre mot depuis notre rencontre. Mutique, elle me désignait néanmoins une échelle qui, posée contre le mur du moulin, menait à ce qui semblait être un grenier. Après avoir longuement scruté les alentours nous nous risquâmes à y grimper, je tirais l’échelle vers nous et barrait l’entrée du grenier de quelques sacs de grains qui étaient entreposés là. Nous étions en sécurité, mais par les Trois je jure d’avoir passé la pire nuit de mon existence. Morte de fatigue et de douleur, ma protégée dormait contre un tas de sacs. J’apprendrais plus tard qu’avant de s’en prendre à sa vertu le scélérat que j’avais occis avait tué l’ensemble des occupants de leur maison. Je n’avais rien vu, et je m’en voulais terriblement, mais c’était aussi la raison pour laquelle elle avait accepté de me suivre. J’en faisais désormais ma mission, mes confrères avaient connu un sort à la hauteur de leur crime et je m’en satisfaisais, même si je pleurerais probablement Ser Édouard pour le restant de mes jours. J’avais vu en plongeant mon regard dans celui de cette rescapée une douleur incommensurable qui faisait écho à la mienne propre, et je pense qu’en dépit de mes atours guerriers et du sang qui me recouvrait en tout ou partie, elle y avait lu la même chose. Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, adossé au mur près d’une mince ouverture qui me permettait de surveiller les alentours sans être repéré. Un corps gisait au beau milieu de la rue, immobile et partiellement démembré, je n’avais pas assisté à son trépas mais l’état de sa dépouille étant suffisant pour deviner ce qui l’avait causé. La nuit était tombée et alors que la pluie s’était arrêtée les nuages eux-même avait repris leur chemin, laissant la lune éclairer les décombres d’un village encore bien vivant quelques heures plus tôt. D’abord j’ai cru à un léger soubresaut que les cadavres ont parfois, puis je me suis demandé si je ne rêvais tout simplement pas car c’était le corps entier qui était agité de légers spasmes. Je frottais mon visage et buvais une longue gorgée d’eau de la gourde qui pendait à ma ceinture, et lorsque je reportais mon regard sur la rue, le cadavre était debout et scrutait les alentours avec attention, comme un renard autour d’un nid. Était-ce bien vrai? Ou bien la rudesse de cette journée avait fini par avoir raison de mon esprit? Quelques instants plus tard le marcheur avait disparu, me laissant transi d’effroi et en proie à la perplexité la plus totale. Cette nuit là, je n’ai pas compté les hurlements qui ont soudainement brisé le silence, mais chacun d’eux me glaça l’échine et je priais silencieusement pour que les Trois nous viennent en aide. Si les morts revenaient à la vie, cela ne pouvait être que l’œuvre d’Anür, mais pourquoi la déesse de la vie aurait-elle fait une chose pareille? Mon épée toujours en main je scrutais ce que la petite ouverture me permettait de voir, tressaillant de temps à autre à la vue d’une ombre fugitive qui disparaissait au coin d’une bâtisse. Au petit matin le soleil brillait déjà fortement, et le village était totalement désert. Aucune trace de ces monstres en dehors des stigmates bien visibles des atrocités de la veille, mais le silence était total. Inexplicablement, c’était presque comme si rien ne s’était produit. Pour autant, nous n’étions pas encore tirés d’affaire. ◈ ◈ Acte V : Exil ◈ 7 Juin 1164. “Les morts se relèvent, comme l’avait dit ce voyageur…” Je me tournais vers elle, la pensant toujours endormie. Un regard bref m’apprit que tout comme moi, elle n’avait pas fermé l’oeil de la nuit. Et comment aurais-je pu lui en vouloir? Nous étions tous deux épuisés et les rayons de soleil qui perçaient à travers les maigres ouvertures du grenier où nous nous étions réfugiés ne parvenaient à réchauffer ni nos corps ni nos coeurs. J’admettais pour la première fois, dans ce silence presque irréel, me sentir seul au monde. Mes compagnons d’armes n’étaient plus, ma vie n’était plus. Le seul espoir qui subsistait était de trouver refuge dans un autre village, de là je n’aurais aucun mal à faire valoir mon rang et réquisitionner une monture pour rejoindre au plus vite mon Seigneur et l’informer de la situation. “Je crains fort que vous n’ayez raison Madame, mais par les Trois nous trouverons refuge au prochain village! Tout n’est pas perdu!” C’était je dois l’admettre, une jeune femme fort attrayante, bien que son visage marqué par la mort et le manque de sommeil ne la présentait pas sous son meilleur jour. Je savais y déceler les traces d’une grande beauté, et par-dessus tout je discernais cette lueur d’intelligence dans son regard, celle qui distingue le simple gueux du crève la faim loqueteux qui mendie aux abords des grands chemins. “Le prochain village est à environ une journée de marche, peut-être moins, je n’ai jamais quitté cet endroit, je ne sais même pas ce qu’il y a dehors…” Elle désigna du doigt l’entrée du village dont nous étions le plus proche - qu’Anür soit louée - et enfouit son visage entre ses deux mains. J’imagine que la peur d’être découverts par ces choses l’empêcha de pleurer à chaudes larmes, mais je sentais avec un pincement que son coeur aurait volontiers hurlé de douleur. Et je comprenais sa peine bien que la mienne fut différente. Je la laissais ainsi quelques instants avant qu’elle ne relève la tête pour se frotter les yeux. “Je m’appelle Margaux..” Dit-elle simplement. “Partons s’il vous-plait, je n’ai jamais aimé cet endroit de toutes façons.” Je posais une main compatissante - et en comparaison gigantesque - sur son bras et je penchais la tête à mon tour, non pas pour retenir de quelconques larmes mais pour lui signifier que je comprenais et partageais sa peine à ma manière. “Adam.” Et nous quittâmes d’abord notre refuge, puis après nous être assurés que rien ne rôdait au dehors, nous en franchîmes les portes restées béantes et abandonnâmes derrière nous ce village maudit. ◈ Le bois aux alentours du village étaient calmes, pour ainsi dire déserts et en dehors de quelques cerfs effarouchés nous ne rencontrâmes ni vivants ni morts, ou quoi que puissent être ces créatures. Et peu à peu je sentais la tension qui m’habitait depuis ces derniers jours s’amoindrir, non pas qu’elle eût totalement disparu, j’étais encore sous le choc de la disparition de mon cher Édouard et du trépas de ceux qui jusqu’ici avaient été ma seule famille. Mais je parvenais à relâcher légèrement mes épaules sans me défaire de ma vigilance, ça je ne me le serais pas permis, d’autant que nous ignorions quelle menace planait encore sur nous. Etions-nous seuls? Ou bien l’incident du village était-il isolé? Mais dans ce cas, pourquoi les rumeurs avaient-elles parlé de ce terrible fléau? Je craignais que l’attaque de la veille n’était qu’une parmi tant d’autres et que nous faisions face à quelque chose d’une ampleur encore jamais vue. Jétais secrètement en proie à une angoisse sourde et viscérale qui ne me disait rien qui vaille, mais je n’osais confesser mes doutes à haute-voix. Aussi cheminions nous dans un silence pensant que seuls venaient troubler les bruits de la nature, et par les Trois, chaque brindille qui craquait me faisait l’effet d’un poignard entre les côtes. Malgré cela la forêt était belle en cette saison, verte et épaisse, rendue presque impénétrable par les lourdes pluies de la veille. D’autant que par prudence, nous voyagions loin des chemins habituellement empruntés par les voyageurs. Nous parlions peu, pour ainsi dire pas, je sentais que Margaux ressassait encore les évènements de la veille qui avaient mis un terme à une existence que je devinais paisible, si ce n’est morne. Quant à moi je réalisais petit à petit l’ampleur du désastre qu’était à la fois mon existence et le monde dans lequel nous vivions. Mes actes bien que totalement justifiés - Par les Trois je n’ai jamais regretté un seul instant - me vaudraient la potence si j’étais fait prisonnier, mais à part Ser Herbert, tous mes anciens camarades n’étaient plus. Je contreviendrais à mon honneur ainsi qu’à la morale en passant cet incident sous silence mais j’estimais que vivre serait le meilleur moyen de servir la mémoire de mon ami. Et puis tout le monde était mort n’est-ce pas? N’est-ce pas…? C’est peut-être en voyageant à travers bois que nous ne nous rendîmes compte de rien, mais dès lors que nous franchissions la lisière de la forêt le même spectacle sordide nous frappa. D’abord ce fut un cri, déchirant le silence. Puis je remarquais un panache de fumée qui s’élevait de ce qui semblait être une taverne. Et nous assistâmes impuissants au même ballet morbide que la veille, cette fois-ci depuis bonne distance et à l’abri des regards, mais cela n’en restait pas moins glaçant. Je sentis une main tremblante venir saisir mon bras et je reserrais ma cape autour de ses épaules, pensant lui donner ainsi un sentiment de sécurité. Je me trompais bien-sur, ou bien peut-être étais-je celui que je tentais de rassurer? Nous avons fuit ce village perdu pour avancer jusqu’au suivant, et au suivant, et à chaque fois c’était la mort qui nous accueillait, froide, sale et pestilentielle. Je commençais à croire que le monde était véritablement perdu, qu’il appartenait aux morts et que nous n’y avions plus notre place. Mais je refusais d’abandonner, parce que je n’étais plus seul, que j’avais quelque chose, quelqu’un pour qui me battre. ◈ 12 Août 1164. Durant les mois qui suivirent, nous avions appris à craindre plus les vivants que les morts, car ceux-ci sont fourbes et retors. Cupides et prêts à tout pour tenter de survivre ne serait-ce qu’un jour de plus. Nous voyagions seuls et évitions les réfugiés qui fuyaient par milliers, ces derniers trop nombreux finissaient toujours par attirer l’attention des bêtes. Et nous étions las des carnages que ces monstres laissaient derrière eux. Un mot revenait néanmoins souvent lorsque nous échangions avec ceux qui croisaient notre chemin : l’Est. Ce que j’estimais au départ être un espoir illusoire devint bien vite notre quotidien, notre réalité. L’Ouest était perdu, et pour ce qui était du reste, nous l’ignorions. Mais que pouvions-nous faire d’autre? Ce jour là c’est un homme et son fils qui nous surprirent au détour d’un bosquet. La forêt se faisait plus éparse en cette région, bien qu’immense elle était parsemée de clairières plates et désertes qui n’étaient pour nous qu’une source d’angoisse permanente. L’homme leva les bras devant l’épée que je pointais sur sa gorge tandis que Margaux se réfugiait derrière moi comme nous avions l’habitude de faire. C’est que nous avions connu notre lot de mauvaises rencontres et qu’à bien des moments nous avions cru notre heure arrivée. Je décidais de ne prendre aucun risque et si cet homme esquissait le moindre mouvement, il mourrait dans l’instant, c’était désormais la seule loi qui demeurait en ce monde : vivre ou mourir. Par les Trois étions-nous devenus des animaux? Je ne craignais plus pour mon honneur, j’avais bafoué celui-ci tant de fois que je ne parvenais plus à les compter. Non je craignais que la folie ne me gagne et s’empare des rares parcelles intactes de mon esprit. Nous avions bien piètre allure. Bien que je n’ai jamais perdu l’habitude de toute une vie de nettoyer et polir mon armure du mieux que je le pouvais chaque matin, celle-ci était bien loin de resplendir. J’étais sale, et je devais certainement dégager une odeur peu engageante, mes cheveux désormais longs et gras me collaient par paquets au crâne et j’arborais une barbe hirsute et bouffante qui me démangeait au plus haut point. Margaux n’était pas mieux lotie que moi je le crains. Elle arborait désormais une beauté sauvage car - je le crains - nous nous comportions plus comme des animaux traqués que comme de véritables hommes, sa robe n’avait pas la robustesse de mon armure et était déchirée par endroits, rapiécée avec les moyens du bord à d’autres. Sa chevelure était comme la mienne, grasse, collante. Nous avions le teint terreux et le regard nerveux de ceux qui à chaque instant craignent pour leur vie. L’homme semblait être un paysan, ou du moins un gueux comme il en existait tant autrefois, son fils ne dépassait pas la quinzaine et se tenait derrière lui, frêle et mal à l’aise, comme conscient de déranger et de par ce fait, de risquer sa vie. “Nous n’avons rien à faire avec vous, allez-vous en, partez!” Je tapais du pied par terre en faisant mine d’avancer comme si je tentais de chasser un chien un peu trop belliqueux, mais l’homme ne bougea pas d’un pouce et garda les mains levées, paumes tendues vers moi tandis que son fils semblait vouloir disparaître derrière lui. “Aidez nous…” “Partez!” Je me retenais de crier - aussi fort que j’en avais envie - car à découvert dans cette immense clairière, nos cris les auraient immanquablement attirés et nous n’aurions eu nulle part où nous cacher. C'eût été une mort des plus idiote et regrettable aussi me contins-je, mais je ne m’en montrais pas moins menaçant pour autant. L’homme ne me répondit pas mais je craignais que son fils ne se mette à hurler ou bien encore pleurer, tous deux nous dévisageaient avec un air implorant qui me dégoûtait au plus haut point. Derrière moi Margaux se tenait prête à bondir, une dague à la main. Et je savais qu’elle l’était, la pauvre avait bien changé depuis notre rencontre et la petite paysanne placide d’autrefois avait laissé place à une toute autre femme, sauvage et robuste. “Que voulez-vous?” “Nous voyageons vers Marbrume, nous sommes seuls, sans eau ni nourriture. Aidez-nous messire…” “Marbrume? Qu’est-ce que c’est que ça?” Margaux semblait intriguée, la petite paysanne d’autrefois n’avait jamais quitté son village et ignorait pratiquement tout du vaste Royaume dans lequel nous vivions. Quant à moi Je n’avais jamais visité la cité ducale, mais je connaissais fort bien son nom et j’avais appris autrefois quelques rudiments de son histoire. On lui prêtait d’impénétrables murailles et une position privilégiée en bord de mer, à quelques pas d’immenses marais. Mais je savais surtout une chose à propos de Marbrume et celle-ci m’échappa plus fort que je ne l’aurais souhaité. “Marbrume?! Mais c’est à l’autre bout du Royaume! Pourquoi diable vous rendez-vous là-bas?!” “L’on dit que Marbrume est la seule ville qui a su résister à ces choses…” Un grand cri rauque et parfaitement reconnaissable nous parvint depuis l’orée des bois, je me figeais et sentais ma protégée en faire autant dans mon dos tandis que d’une manière fort peu réfléchie, le fils de l’homme que je tenais en respect détala comme un lapin. Nous reculâmes doucement pour nous dissimuler dans un bosquet proche pour assister à ce qui n’était finalement qu’un massacre de plus, nous avions depuis le temps cessé de compter. Les morts s’entassaient par milliers, peut-être même par millions, et nous traversions ce désastre en tâchant de rester entiers, mais ne nous le cachons pas, c’était un échec. Une fois lancé à la poursuite de son fils l’homme tenta de distancer leur poursuivant mais fut rattrapé en quelques bons seulement - Par les trois! Comment était-ce seulement possible? - et déchiqueté et un battement de paupières. Le jeune garçon ne connut pas de sort plus favorable, au contraire, ses cris d’angoisse ne firent qu’attiser la rage de ce monstre qui une fois sur lui déchaîna cette violence incommensurable, insupportable. Et bientôt le silence retomba sur la clairière, à peine perturbé par le bruit ignoble d’une bête qui se nourrit avec avidité. Je ne comptais pas le temps que nous passâmes accroupis dans les fourrés, à retenir notre souffle en attendant que ce monstre s’en aille. Bientôt les deux victimes commencèrent à s’agiter et se relevèrent pour hanter le monde à leur tour. Fort heureusement et pour en avoir déjà fait l’expérience, nous savions qu’ils ne se souviendraient de rien et que la seule chose qui subsisterait de leur esprit serait une rage et une faim incontrôlables, aussi restions nous tapis, la peur au ventre. Et nous savions qu’un rien nous trahirait, d’un hoquet malencontreux à une quinte de toux, tout chez ces bêtes n’était que traque et prédation. Un jour lors de la mise à sac d’un village par ces choses, nous avions assisté impuissants au massacre d’une famille entière, trahie par un éternuement un peu trop virulent. Celui qui les traquait n’avait pas hésité l’ombre d’un instant et s’était rué sur les bottes de foin qui les dissimulaient, pour tous les réduire à l’état de pulpe sanguinolente. Un bruit que nous ne percevions pas sembla attirer leur attention et les trois marcheurs se ruèrent soudainement vers les bois, dans le doute, car nous savions que ces créatures étaient capable de ruse, nous attentions encore une heure, tous les muscles endoloris à force d’être crispés. Mais nous avions survécu, et c’était assez exceptionnel pour que nous prenions la peine de le savourer. Par les Trois combien étaient donc tombés? Jamais je n’avais vu autant de morts et contemplé une telle désolation, mais tout cela me donnait l’impression de n’être que le début d’un drame d’une ampleur qui nous dépassait au point que nous ne puissions pas la saisir. J’en frissonnais d’effroi, et au bout de ce qui nous sembla être une éternité, nous quittions notre abri pour traverser cette clairière aussi vite que possible et nous enfoncer dans la pénombre rassurante des sous-bois. ◈ 7 Septembre 1164. Bien que nous n’en ayons jamais réellement discuté, voyager vers l’Est semblait être la meilleure solution, à défaut d’autre chose. Les forêts épaisses avaient désormais laissé place à de sordides marais, humides et malodorants. Ici notre angoisse avait franchi un nouveau cap, chaque plan d’eau immobile était susceptible d’abriter l’un de ces monstres, et je ne compte pas le nombre de dépouilles que nous découvrîmes aux abords de ces mares immondes. Tout ici ne semblait être que tristesse et désolation, pourtant l’afflux de réfugiés se faisait grandissant et nous croisions davantage de gens qu’au début de notre périple. Cela accroissait le danger bien-sur et nous les fuyions comme la peste, préférant nous contenter de notre solitude et des quelques rares gibiers que nous parvenions à débusquer à l’aide de pièges. Nous n’avions plus que la peau sur les os, et mon armure me semblait plus lourde que jamais, pourtant nous étions résolus à survivre jusqu’à voir les portes de Marbrume. C’était notre objectif désormais, puisque sans cela nous n’aurions été que deux vagabonds errants sans but. Ce soir là la chance sembla enfin nous sourire, qu’Anür soit louée, il nous arrivait encore de faire bonne fortune. Au détour d’une énième mare immobile couverte de nénuphars nous trébuchâmes presque sur le cadavre d’une laie. Il était impossible de dire de quoi la bête avait succombé mais l’un de ses marcassins errait toujours autour de la dépouille de sa mère. Sans elle il était perdu et nous le savions, néanmoins mon coeur se serra lorsque j’abattais mon épée derrière sa nuque. Je murmurais une prière silencieuse à Sérus en espérant que dans sa mort, cette bête innocente puisse servir nos intérêts. Elle était si bien dissimulée que nous aurions pu passer à côté sans nous en rendre compte. Nichée entre deux arbres et à flanc d’un escarpement rocheux, ce que je pensais être un pavillon de chasse ou bien la demeure d’un ermite quelconque était dissimulé à l’abri de la végétation. Faite de pierres robustes la bâtisse semblait sortir tout droit d’un rêve tant elle était inespérée, néanmoins, je faisais preuve de prudence, rien ne nous disait qu’une de ces choses n’était pas tapis entre ces murs épais, à l'affût d’un voyageur imprudent. L’unique fenêtre semblait barricadée de l’intérieur, et une trace de sang séchée et à demi effacée sur la porte témoignait de ce qui s’était certainement joué ici. Margaux en sécurité derrière moi je poussais la lourde porte de la pointe de mon épée, celle-ci s’ouvrit en grinçant et je grimaçais à l’idée que nous puissions être entendus. Après quelques instants de flottement dans un silence presque total je me décidais à entrer. Un drame s’était clairement joué ici, en témoignaient les stigmates d’affrontements que portaient les meubles et les objets éparpillés à même le sol, mais il ne semblait pas avoir âme qui vive en ces murs. Après avoir longuement inspecté chaque recoin de l’unique pièce que comportait cette maisonnette, je repoussais la porte et la barricadais avec soin. Pour la première fois depuis des mois, je sentais cette tension quitter mes épaules, je me sentais à l’abri, en sécurité. Et j’allumais un feu après avoir posé ma cape sur les épaules de ma compagne d’aventure. J’étais partagé entre l'allégresse de pouvoir jouir d’un toit pour la nuit et de manger chaud sans me soucier de savoir si les flammes attireraient monstres ou brigands, et la réalité qui nous attendait à l’extérieur de ces murs. Mais pour le moment j’ôtais mon armure et plaçait notre marcassin sur une broche au dessus du feu. “Tu dis que Marbrume est proche de la mer, mais je n’ai jamais vu que des champs, comment est-ce que c’est?” Je riais doucement, touché par son innocence et secrètement ravi de pouvoir partager une conversation sans craindre d’être débusqués et pourchassés. D’ordinaire nous ne parlions que très peu, nous contentant de phrases simples et prononcées à demi-voix. Ici nous nous sentions libres, et c’était un soulagement comme je n’en avais rarement connu. “C’est comme un immense lac, à cela près que celui-ci ne connaît pas de limites et que personne ne sait jusqu’où il va. C’est un spectacle grandiose Margaux, et par mauvais temps les vagues peuvent dépasser la hauteur d’une maison. On dit que des monstres s’y cachent, mais je n’en ai jamais vu. Tu verras lorsque nous y serons.” Nous nous étions rapprochés au fil des semaines passées à errer dans les décombres de ce Royaume perdu. Et je reconnais aisément que la rudesse de notre nouvelle vie lui allait fort bien, j’aimais ce côté brut et sauvage, presque félin que cela lui avait conféré. Nous n’étions plus les même personnes que lorsque nous nous étions rencontrés, la vie et surtout la mort omniprésente nous avaient changés au point que parfois, je peinais à me reconnaître . Mais je remerciais les Trois de m’avoir donné une compagne d’infortune, je pense que seul, je serais devenu fou. Mais peut-être l’étais-je sans m’en rendre compte? “Tu penses que nous sommes encore loin?” Elle qui se moquait autrefois de mon parler trop solennel l’avait désormais accepté et intégré, elle ne parlait pas encore comme une noble et je pouvais toujours discerner une trace de l’accent des paysans de sa région, mais à force de m’imiter elle avait fini par s’en imprégner. Et cela lui allait à ravir. “Je l’ignore. Ces marais sont immenses, nous pouvons tout aussi nous trouver à quelques jours de Marbrume qu’à un mois de marche au Sud. Une fois que nous aurons trouvé la mer, nous n’aurons qu’à marcher en direction du Nord. Par les Trois j’espère que la ville aura tenu…” “Et si elle est tombée?” Je frissonnais à cette simple pensée, pouvait-elle avoir chuté? Et si c’était le cas, que restait-il de ce monde? Toutes les villes et villages que nous avions rencontré étaient tombées aux mains de ces créatures, de simples murailles pouvaient-elles contenir un tel fléau? Je murmurais une prière silencieuse et me laissais rasséréner par la chaleur des flammes qui commençaient à prendre dans l’âtre et plaçais le marcassin sur une broche, celui-ci mettrait plusieurs heures à cuir, mais nous contenterait bien mieux que tout ce que nous avions pu ingérer ces derniers mois. “J’espère que non Margaux, j’espère que non…” Ce soir là, nous échangeâmes bien plus que de simples mots. Et je m’abandonnais pour la première fois à quelque chose que je m’étais toujours refusé jusque là. J’en ressortais d’une certaine manière grandi, et de l’autre, ce lien qui nous unissait et ne faisait que se renforcer m’emplissait d’une angoisse perpétuelle. Nous étions désormais plus que de simples vagabonds et cette proximité me comblait autant que je craignais qu’elle ne s’estompe, ou bien qu’un malheur nous arrive. Après nous être abandonnés l’un à l’autre et avoir profité d’un repas qu’un Roi n’aurait dédaigné dans de telles circonstances, nous sombrions dans un sommeil comme nous n’en avions pas connu depuis des mois, peut-être même des années. Et au matin je me réveillais presque déçu, tant cette nuit nous avait fait l’effet d’une pause dans ce drame ininterrompu. ◈ 15 Septembre 1164. Ce n’était pas la première fois que nous faisions face à ces choses, et je possédais un nombre incalculable de marques et cicatrices partout sur le corps. Mon armure me protégeait du gros des coups, mais elle cédait bien trop facilement sous leurs assauts, je m’étais d’ailleurs résolu à me défaire d’une jambière et de ce qui me couvrait l’avant-bras gauche. J’arborais une profonde marque de crocs sur le mollet et une vilaine griffure au dessus du coude, ces monstres fendaient l’acier comme la chair et ne semblaient pas faire le moins effort pour cela. Ils étaient juste, plus que nous. Plus forts, plus agiles et vifs, plus féroces aussi. Ce qui me sauva la vie ce jour là - Que les Trois me pardonnent - c’est que le monstre qui avait jailli d’une mare d’eau croupie et s’était jeté sur moi était un enfant. Je ne faisais pas un pas sans tenir mon épée droit devant moi et tandis que la bête se jetait sur moi et me projetait au sol, je l’embrochais en pleine poitrine. Loin de la tuer, la blessure sembla renfoncer sa colère, mais ses bras étaient trop court pour pouvoir m’atteindre et je tentais tant bien que mal de la tenir à distance en la gardant solidement fichée sur mon arme. Un bref instant de faiblesse et mon heaume roula dans les herbes hautes, je relevais les bras tandis que cette chose de débattait avec une force égale à celle d’un adulte. Margaux lui planta sa dague dans la tempe et la fit tourner dans la plaie tandis que le monstre se figeait, puis tombait raide mort. Je repoussais la bête désormais inerte et me relevais d’un bond, ignorant le sang qui coulait mon visage pour me ruer sur ma compagne. Je n’avais pas vu qu’avant de terrasser mon assaillant celle-ci avait essuyé un revers de la main, et arborait une large et profonde griffure juste au dessus du nombril. Puisant dans ma gourde je nettoyais la plaie du mieux que je le pouvais, Margaux était robuste désormais et supportais la douleur sans broncher, tout juste grimaça-t-elle lorsque le liquide frais vint inonder la blessure. Nous ne parlions pas au grand jour, nous contentant de gestes et de signes de tête. Je l’embrassais sur le front tandis qu’elle m’affirmait aller bien d’un regard résolu. Je recouvrais mon heaume ainsi que mon arme et nous reprîmes notre chemin, vivants mais profondément secoués. Nous venions d’abattre un enfant et bien qu’il eût été déjà mort la symbolique de notre geste restait lourde de sens. J’avais une fois de plus bafoué mon honneur pour survivre et je craignais de n’avoir plus une parcelle d’honneur et de dignité intacte en moi. ◈ 17 Septembre 1164. Le village d’Ars-en-Ré n’était plus. Au soulagement d’approcher enfin de la Capitale du Morguestanc s’ajoutait l’angoisse amère de ne rencontrer que des ruines, et des morts. Nous occupions pour la nuit les ruines d’une vieille bâtisse à quelques pas des portes du village, faite de pierres et munie d’une lourde porte celle-ci nous offrait un abri rare au milieu des marécages. Mais bien que j’aurais dû me sentir soulagé, je ne l’étais aucunement, bien au contraire. Celle que j’appelais désormais ma compagne gisait sur une paillasse à même le sol, couverte de sueur et brûlante de fièvre. Cela avait commencé au matin, à défaut de pouvoir échanger au grand jour je m’étais enquis de son état par de petits gestes, des regards appuyés. Auxquels elle avait répondu par l’affirmative. Ce n’est qu’en fin de journée qu’elle s’était effondrée à quelques pas de notre refuge, je l’avais alors portée et déposée sur une paillasse avec autant de délicatesse que possible avant de refermer et barricader la porte. Soulevant sa robe je constatais avec effroi que la plaie s’était infectée, elle était désormais rouge et gonflée. Je prenais alors une décision qui me fit plus de mal que si je me l’étais infligé à moi-même. J’allumais un feu et y plaçait de petites branches dont j’avais taillé les extrémités en pointe. Une fois les flammes assez vives et le bois assez rouge, je posais une main sur la bouche de ma belle après lui avoir baisé les lèvres. “Pardonne moi très chère…” J’en pleurais d’horreur, mais sa main vint caresser la mienne, m’intimant de faire ce qui devait être fait. Qu’elle était belle et brave. Je la torturais pour mieux la sauver, mais par les Trois, c’était la chose la plus difficile qu’il m’eut été donné de faire. La pauvre s’évanouit en quelques instants tandis qu’une horrible odeur de chair brûlée emplissait la pièce. Soulagé que son esprit ait décidé de lui offrir un répit je m’appliquais à brûler chaque parcelle de la blessure qui lui barrait le ventre et une fois terminé, je nettoyais mon oeuvre en y faisant couler un peu d’eau. Je restaurais la pudeur de ma belle en redescendant sa robe sur ses jambes et la laissais dormir d’un sommeil agité. Je ne parvint pas à fermer l’oeil cette nuit-là. Et au petit matin la fièvre qui aurait dû s’estomper était toujours aussi forte. Margaux délirait et s’agitait dans son sommeil, je lui versais de l’eau sur le front ainsi que sur les lèvres, l’intimant à boire ne serait-ce que quelques gouttes, sans succès. ◈ 19 Septembre 1164. Ma belle n’était plus. Ma très chère Margaux s’était éveillée à l’aube pour me prendre les mains sans parvenir à prononcer le moindre mot, mais son regard parlait pour elle et bien que cela me déchira l’âme, je comprenais sa volonté. Nous restâmes là une bonne partie de la journée, et je lui contais ma vie d’autrefois en regrettant de ne pas l’avoir connue plus tôt, jusqu’à ce qu’elle sombre dans une ivresse fiévreuse dont elle ne sortirait jamais. Et s’éteigne paisiblement. Je n’avais ni le coeur ni le courage de séparer sa tête de son corps, mais je savais que si elle se relevait pour s’en prendre à moi, je n’aurais pas la force de la combattre. Aussi je relevais doucement sa tête et insérais sa dague à l’arrière de son crâne, faisant tourner la lame dans la blessure. J’espérais que cela suffise, mais si ce n’était pas le cas, je décidais de ne pas offrir de résistance à la chose qui prendrait sa place. Après tout, que me restait-il? J’ignore combien de temps j’ai passé à pleurer sur sa dépouille, des heures, peut-être même des jours entiers. Toujours est-il que ma chère Margaux ne se releva point. Et c’était la seule chose qui pouvait m’apporter la paix en ce monde. Profitant d’une journée chaude et lumineuse où je craignais moins de rencontrer l’une de ces choses, j’offrais à ma belle une tombe de fortune à l’arrière de la bâtisse qui l’avait vue mourir. Je récoltais sa dague ainsi qu’une mèche de ses cheveux que je nouais et je reprenais ma route par dépit. Je cheminais en direction du Nord, me tenant éloigné des routes qui abritaient toujours autant de réfugiés fous de terreur qui faisaient des proies faciles. ◈ |
| | | Adam de CorveilChevalier
| Sujet: Re: Adam de Corveil - Validé Sam 6 Juil 2019 - 15:30 | | | ◈ Suite ◈ ◈ Acte VI : Solitude ◈ 21 Septembre 1164. Mon ancienne vie semblait bien loin désormais, et je marchais plus en vagabond fou de douleur qu’en Chevalier fier et arrogant. Je ne reconnaissais plus l’homme que je voyais dans mes souvenirs, mais je ne me reconnaissais plus non plus lorsque je me nettoyais le visage au bord d’une flaque d’eau. J’avais maigri au point d’avoir du mal à porter ma propre armure, à vrai dire je ne l’ôtais plus que très rarement, mais je devinais n’avoir plus que la peau sur les os. Ma barbe me bouffait le visage jusqu’à parfois m’empêcher de respirer, j’avais conscience de ma propre odeur et celle-ci était pestilentielle, indigne de l’homme que j’étais autrefois. Mais je n’étais plus cet homme là. Ce jour là, une vision familière me tira de ma torpeur et vint me secouer avec la force de mille souvenirs. C’était une vie entière qui venait me frapper en plein visage et me hurler de reprendre la lutte. Je clignais des yeux, incrédule, tandis que devant moi se dressait un homme en tout point semblable à ce que j’étais devenu. Sale, malnutri et ployant sous le poids d’une armure brisée et délabrée mais que je ne reconnaissais que trop bien. “Ser Adam?” Éructa-t-il d’une voix éraillée à force de s’être tû. L’espace d’un instant je me demandais si je n’avais pas perdu la raison, mon esprit me hantait avec les images des fantômes du passé et j’étais impuissant face au désespoir auquel ils me renvoyaient. Je clignais de nouveau des yeux, pensant en chasser une image illusoire, mais il n’en fut rien. Et Ser Herbert s’approcha pour poser sa main sur mon épaule, tout aussi incrédule que je l’étais. “Dans chaque ami, il y a la moitié d'un traître.” Je ne pensais pas ces mots, car je savais qu’Edouard m’était resté fidèle jusqu’à son dernier souffle, quant aux autres de nos confrères, ils n’avaient trahi leurs voeux qu’au moment où ceux-ci exigeaient d’eux qu’ils se montrent à la hauteur. “Qu’as tu dit?” “J’ai dit meurs traître!” Je frappais de toutes mes forces le visage ce mon ancien “frère” qui ne vit pas le coup venir, et nous roulâmes ensuite dans la boue comme deux chats de gouttière. Il était loin le temps de la fière Chevalerie qui ne se serait jamais abaissée à de telles extrémités, nous nous battions en ce temps certes, mais toujours avec honneur. D’un geste rageur je croquais et arrachais l’oreille de ce pleutre et profitais de son effroi pour lui marteler le visage de mes deux poings, mon épée gisait à même le sol mais je ne m’en souciais pas, je souhaitais qu’il souffre avant de l’achever. Ser Herbert était bon combattant même désarmé et un solide coup de genou entre les jambes m’envoya rouler sur le dos, la vision troublée de douleur. Là le bougre me rossa, je l’avoue, et bien qu’ayant essuyé quelques bonnes corrections durant mon existence celle-ci était particulièrement solide. Je gisais au sol, battu comme plâtre et le souffle court, mais je refusais de m’avouer vaincu. Jamais je n’aurais accepté de rencontrer ma fin aux mains d’un traître tel qu’Herbert, aussi je me relevais et frappais comme je le pouvais. J’ignore comment notre joute a pu passer inaperçu au milieu de ces marais infestés, les journées de grand soleil avaient tendance à éloigner les monstres mais il s’en trouvait toujours un pour braver la lumière et errer malgré tout. Pas un ne vint. J’avais le nez cassé et herbert en plus d’une oreille, ne voyait plus d’un oeil, trop gonflé pour être d’une quelconque utilité. Je lui décochais un coup de heaume et lui brisais par la même le nez et les dents de devant. Je devais saisir ma chance avant que nous soyions tous deux aveugles et je me ruais sur lui, m’acharnant avec une rage presque animale tandis qu’il perdait pieds et tombait à la renverse, étourdi. À tâtons je cherchais mon épée et lorsque je la trouvais un autre coup vint me faire sonner le casque comme une cloche, mais je ne perdais pas ma prise sur mon arme et lorsqu’Herbert se jeta sur moi je levais le bras et embrochais ce dernier dans la poitrine. Abasourdi par le choc et la froideur de l’acier qui s’enfonçait dans sa chair Herbert ne put prononcer le moindre son, et je le laissais glisser sur l’arme avec une joie non dissimulée. Il se déchira les mains en tentant de ralentir la lame en vain et lorsqu’il perdit connaissance je retirais l’épée de sa dépouille et lui tranchais la tête avant de l’envoyer rouler dans les eaux toutes proches. Je n’avais pas prononcé le moindre mot, je n’en avais pas besoin. La mort du dernier de mes Chevaliers terminait de clore ce chapitre de mon existence et je savais désormais qu’il n’existait personne en ce monde qui puisse me placer face à mes crimes, je me jurais de garder le silence quant au sort de mes confrères et reprenais mon chemin après m’être nettoyé le visage du sang qui y avait coulé. Mon nez me faisait affreusement mal et mon corps entier me mettait au supplice, mais j’étais en vie, et je devais à Edouard et ma chère Margaux de vivre aussi longtemps qu’il me serait permis. ◈ 28 Septembre 1164. Au détour d’un chemin je fus surpris par un groupe de réfugiés, une petite centaine de paysans exténués, maigres au point de ressembler à des cadavres. Inutile de demander où ils allaient, la réponse était évidente tant ils semblaient perdus et démunis. Lorsque l’un d’eux m’aperçut il se raidit tout d’abord et se saisit d’une fourche, il s’apprêtait à crier lorsque je levais une main en signe de paix et sortais des fourrés. “Je me nomme Ser Adam de Corveil, Chevalier de sa Majesté le Roi de Langres.” Et je réalisais soudain à quel point cette habitude ne m’avait finalement jamais quitté, j’étais toujours le même Chevalier bien que terni par la rudesse de ces derniers mois. Mais mon apparition et mes mots n’étaient pas passé inaperçus et je vis les visages s’éclairer à la mention de mon titre, qu’attendaient-ils de moi? Un bref retour en arrière et je me souvenais à quel point enfant, je prêtais des qualités extraordinaires à ces Preux Chevaliers. Pourtant je n’étais qu’un homme, et bien moins qu’un enfant face à ces choses, je relevais ma visière en m’approchant et dévoilait mon visage tuméfié et violacé, signe que j’étais bien des leurs et non pas le salut qu’ils attendaient tant. “Marbrume n’est plus très loin Sire, protégez nous des fangeux je vous en conjure.” J’apprenais là le nom de ces choses, et bien qu’il fut étonnant je devais avouer qu’il correspondait parfaitement à ces monstres qui surgissaient des eaux boueuses des marécages, couverts d’une boue grisâtre et nauséabonde. La fange, voilà qui était bien curieux, mais j’adoptais ce nom et le faisais mien. L’homme qui s’était adressé à moi faisait peine à voir, mais je n’aurais pas hésité à l’abandonner à son triste sort si ce n’était pour les deux petites têtes blondes qui se cachaient derrière lui et me jetaient des regards emprunts de crainte et d’admiration. Je pensais que si près du but, le risque serait moindre et que la compagnie de ces gens était acceptable. Je ne pouvais pas non plus me résoudre à abandonner des familles entières au bord d’un chemin et continuer ma route, non pas que je ne l'eût jamais fait, mais les cris de ceux que j’avais laissé me hantaient encore la nuit. Quelle erreur ne fis-je pas. Alors que nous quittions les marais et apercevions enfin le haut des murailles de Marbrume, le mot se répercuta dans notre convoi et des cris de joie commencèrent à fuser. Je grinçais des dents et me raidissais, conscient que le silence était la clef de la survie et ce genre d’effusions de joie étaient bien trop dangereuses pour qu’elles fussent permises. Et comme je l’avais prédit, après quelques minutes les cris de joies se muèrent en hurlements d’horreur et la mort se déchaîna de nouveau sur ces réfugiés. Je les abandonnais aussitôt et plongeait dans les fourrés proches pour me perdre dans les faubourgs. Là je me retrouvais face à un dédale de ruelles et de bâtisses abandonnées où chaque recoin semblait être un piège mortel dans lequel je n’avais d’autre choix que de me jeter. J’optais finalement pour la prudence et voyant le jour décliner, je trouvais refuge dans les combles d’une petite maison. Là je me blotissais dans un recoin et serrais mes genoux contre ma poitrine tandis que j’entendais les réfugiés se faire massacrer en contrebas. Aucun n’en réchappa j’en étais certain, du moins les cris que j’entendis et la traque qui se déroula ensuite dans les faubourgs me disait que le carnage avait été total. Ces gens avaient fait les frais de leur imprudence et je n’en éprouvais pas de gêne, juste l’étrange colère d’avoir manqué de partager leur sort. Au petit matin une pluie fine mais persistante tombait du ciel, et ne cessa d’innonder les faubourgs toute la journée durant. Le ciel était gris et bas, comme ce jour où nous avions vu le premier d’entre eux franchir les portes de Mortcastel. Aussi restais-je confiné dans mes combles, frissonnant de temps à autres lorsqu’un bruit à l’extérieur m’indiquait que ces choses, ces fangeux, rôdaient. J’observais les alentours par les quelques interstices que ce grenier comportait, du moins ceux dont j’osais m’approcher. Marbrume était toute proche, j'apercevais ses murailles ainsi que ses grandes portes, fermées en cette journée de mauvais temps. Mais les sentinelles sur les remparts étaient bien visibles elles, et les étendards flottant mollement dans cette absence de vent étaient intacts, signe que la cité vivait et survivait à ce fléau. À cet instant précis mes nerfs me lâchèrent et saisi d’angoisse, je passais le restant de la journée à sangloter d’un mélange de joie et de soulagement, mais aussi d’avoir tant vécu et tant souffert pour en arriver là. Je me remémorais ainsi ma vie ainsi que celle de mon cher Edouard, en serrant dans ma main la mèche de cheveux de ma Margaux. J’ignore à quel moment je me suis endormi, certainement d’épuisement et du fait de n’avoir rien mangé depuis des jours. Mais lorsque j’ouvrais les yeux, le jour s’était levé et les nuages avaient laissé place à un soleil radieux, le silence qui régnait sur les faubourgs était total et je m’autorisais à quitter mon refuge pour rejoindre les grandes portes de Marbrume. ◈ 30 Septembre 1164. “Halte! Levez les bras!” J’observais abasourdi les gardes qui pointaient leurs arcs sur moi tandis qu’une escouade s’apprêtait à me réduire au silence si je faisais preuve de la moindre belligérance. Je n’en faisais rien et levais docilement les bras tout en avançant avec prudence vers ces portes tant rêvées. Je sentais mes forces me quitter, depuis quand n’avais-je rien bu ni mangé? J’avançais néanmoins pas à pas vers mon salut, sentant mes jambes faiblir à chaque seconde qui passait. “Je suis…” “Halte j’ai dit!” “Je suis Adam de Corveil, Chevalier de sa Majesté le Roi de Langres. Et je demande l’asile en vos murs.” Je me suis ensuite effondré et je ne me souviens de rien hormis la sensation d’avoir été traîné et porté à l’arrière d’un chariot. Puis ce fut le silence, et les ténèbres. ◈ 12 Octobre 1164. Je me suis éveillé au Temple quelques jours plus tard en compagnie d’une kyrielle d’autres réfugiés, certains bien plus mal en point que moi. L’odeur de la maladie et de la mort était omniprésente et je n’avais de cesse de vouloir quitter cet endroit et reprendre les rênes de mon existence. J’y demeurais néanmoins quelques jours, prenant le temps de récupérer convenablement afin de me présenter devant le maître des lieux, mon maître, comme il se devait. Après avoir longuement prié et présenté mes respects au Prêtre-responsable, je laissais une coquette somme d’or en guise de don au Temple et faisais mes adieux à ceux qui avaient veillé sur moi sans relâche et avec une abnégation que seuls des gens de foi pouvaient posséder. Je découvrais une ville en proie au chaos, bien différente de celle dont on m’avait conté l’histoire, où les survivants s’entassaient dans des bas-quartiers déjà historiquement miteux et qui l’étaient désormais plus que jamais. Dans mon malheur, je savais pouvoir m’estimer heureux, mon sang bleu me plaçait à l’abri des turpitudes des petites gens et je trouvais bientôt un barbier qui, moyennant quelques écus, s’employa à me rendre mon apparence d’origine. Je m’étonnais d’ailleurs de l’absence de cette barbe que j’avais tant maudite et qui aujourd’hui me manquait presque, mais par les Trois, je ne ressentais plus aucune démangeaison et rien que cela était une bénédiction. De retour au Temple, je rencontrais un archiviste qui devait s’occuper d’attester de mon rang et faire ainsi valoir mon titre. Naturellement j’aurais aimé présenter mes respects en personne à ce Duc dont on m’avait vanté les mérites, mais je savais le maître des lieux bien trop occupé en ces temps troublés pour daigner s’occuper d’un simple Chevalier. J’étais étonné de la sollicitude dont faisaient preuve ces gens, et devant cet homme je contais mon histoire dans les moindres détails, en prenant bien soin d'ommettre le sort qu’avaient connu mes anciens confrères. “Je me nomme Adam de Corveil, fils de Sénoc de Corveil. J’appartiens à l’Ordre des Chevaliers de sa Majesté.” Mon armure bien qu’usée portait le blason de mon ordre et je pointais celui-ci du doigt. L’homme fouilla longtemps dans son lourd registre et finit par opiner du chef en pointant une page en particulier. “Mhh de Corveil oui. Je dois d’autres noms que le vôtre, qu’est-il advenu de vos confrères?” Je baissais un instant la tête, autant par gêne que par réelle tristesse, j’étais désormais seul au monde. Et cette réalité me frappait de plein fouet dans cette ville qui m’était étrangère. “Il ne reste que moi mon père… Je suis le seul survivant.” Mon interlocuteur se saisit d’un parchemin vierge et y écrivit mon nom ainsi que mon ascendance et mon titre, avant de le rouler et d’y apposer le cachet du Clergé. “Très bien Sire de Corveil, prenez ceci et rendez-vous à la porte des Anges, une résidence vous sera prêtée ainsi qu’une maigre somme d’or. Prenez garde cependant à vous rendre utile à la cité, en ces temps troublés nous avons besoin de tous les hommes disponibles. Si d’aventure… Vous ne parveniez pas à assumer vos obligations, le soutien de la ville vous serait retiré. N’y voyez aucune cruauté de notre part Sire, mais nous sommes en guerre. Et avec la chute des armées nous sommes aux abois. Néanmoins je ne doute pas qu’un homme tel que vous saura se montrer redevable.” J’apprenais ainsi la mort du Roi et de ses armées, et Par les Trois ce fut comme si l’on m’avait fauché les jambes, je tombais à genoux et priais pour qu’une telle chose ne fut pas possible. Hélas elle l’était, l’archiviste déposa une main compatissante sur mon épaule et referma son lourd volume avant de quitter la pièce, me laissant seul avec mon désespoir. ◈ ◈ Acte VII : Langueur ◈ 23 Décembre 1164 - Quartiers de la Milice Je prenais la mesure de ma nouvelle existence et m’adaptais tant bien que mal, la résidence prêtée par le Duc était superbe à bien des égards mais je dois l’avouer, bien trop vaste pour ma simple personne. J’étais affreusement seul et il ne se passait pas un jour sans que je laisse mon regard se perdre sur l’immensité verte qui entourait la cité et dans laquelle j’avais le sentiment d’avoir vécu une existence entière. Il n’en était rien, je m’étais perdu en ces lieux désormais maudits et je craignais d’y avoir laissé plus qu’une compagne, mais également mon âme. La neige continuait de tomber lentement mais sûrement sur le sol dur et froid de la grande caserne de Marbrume, mais loin d’y voir là une quelconque malédiction, bien que la situation fut en réalité critique, je tentais de tirer un avantage de cet aléa que les Trois nous imposaient. Ce matin-là nous avions banni le cuir ainsi que les gambisons et revêtu maille et plates, banni tout confort pour imposer à nos recrues la dureté de la vie à l’extérieur. Ils étaient quinze ce jour-là, alignés contre un mur et grelottant dans le froid mordant de ce début de matinée. Parmi eux trois femmes, et bien que je voyais d’un oeil circonspect la place de la femme dans le corps combattant je ne pouvais que m’en remettre à la volonté des Trois quant à leurs chances de survie, mon rôle n’était pas de juger mais d’endurcir, de forger. Bien qu’habitué aux rigueurs de la vie en plein air je ressentais le froid et l’humidité jusque dans les moindres recoins de mon armure et je ne rêvais que de la chaleur d’un feu, seul, loin des regards. Je tâchais de ne rien laisser paraître et faisais signe à la première recrue d’avancer, arme à la main. Celui-ci, les doigts et lèvres bleutés s’avança d’un pas tremblant, tenant une arme qu’il peinait à lever. “Toi. Avance. On reprend comme hier, taille et estoc. Allez.” Je dois avouer que cet exode m’avait sinon endurci, surtout renfermé, je m’étais habitué au silence et à la solitude au point d’en craindre mes semblables, aussi étais-je devenu concis et laconique, ce qui convenait d’une certaine manière parfaitement aux ordres que je donnais à ces apprentis soldats. Droit derrière mon égide j’encaissais le premier coup, bien que celui-ci resonnât affreusement à travers l’acier et jusque dans mes os. Son estocade était maladroite, imprécise et hésitante, je l’évitais sans mal d’un pas sur le côté et profitant de l’ouverture je repoussais Edric d’un coup de bouclier avant de lui asséner un coup de poing ganté en plein visage. “Ta garde par Rikni! Comment espères-tu survivre si tu ne penses pas à te protéger? Recommence!” Je le laissais l’espace d’un instant essuyer le sang qui coulait de son arcade meurtrie et nous reprîmes notre lutte jusqu’à ce que toutes les recrues et moi-mêmes ayons puisé dans nos moindre retranchements. J’entraînais avec conviction ces nouveaux soldats qui n’en avaient même pas le nom. Oh nous avions bien quelques vétérans, des guerriers qui comme moi avaient survécu un peu par miracle, mais le gros de ces troupes n’avait jamais tenu une arme de sa vie et je savais en mon for intérieur que tous les entraînements du monde ne pouvaient les préparer à ce qui guettait en dehors de ces murs. Je passais ainsi la majeure partie de mon temps dans les Quartiers de la milice et j’y tissais des liens qui bien que fugaces, me donnaient l’illusion d’avoir une place en ce monde. Je priais au Temple lorsque la Hanse fut attaquée et je n’appris que plus tard que le mal avait réussi à prendre racine en ces murs réputés imprenables. Sur les conseils d’un confrère je m’y rendais quotidiennement et passais de longueurs à prier en silence, à genoux face aux représentations de ces Divinités dont - je dois l’avouer à ma grande honte - j’ai cru qu’elles s’étaient détournées de nous. Je réalisais à l’issue d’un long entretien avec un Prêtre qu’il n’en était rien et que ce qui pouvait s’apparenter à un Divin châtiment n’était peut-être finalement qu’une épreuve de plus sur le chemin de la rédemption. Cette pensée me réconforta et je trouvais en ces murs un réconfort que j’avais pensé perdu à tout jamais. Lorsque j’apprenais la nouvelle de l’attaque j’étais pris d’un frisson qui me rappelais combien ce monde n’était plus le nôtre, et l’illusion que nous nous faisions d’être à l’abri ou que ce fut. Et en lieu et place d’une armée qui était partie sans ciller combattre ce fléau, nous apprenions à d’anciens paysans à tenir une arme. J’étais devenu pessimiste quant à nos chances de subsistance, mais ma doctrine m’imposait de ne jamais relâcher mes efforts et ainsi, je m’efforcais de suivre du mieux que je le pouvais le chemin des Trois. Après tout, n’était-ce pas notre destin à tous? ◈ Depuis lors je n’ai eu de cesse que de travailler et de maintenir occupé cet esprit que je craignais par moments de ne pas pouvoir contrôler, Anür m’en garde, je progresse chaque jour. Margaux me manque terriblement et sa mèche de cheveux ne me quitte jamais, que ce soit au Temple ou à la Caserne. La vie suit son cours et je ne peux que m’estimer chanceux - ou bien choisi - pour participer à la reconquête du monde et à l’anoblissement des coeurs. J’en suis désormais convaincu, il n’y a que dans la foi pure et absolue que nous trouverons notre rédemption, et par les Trois je me battrais jusqu’à mon dernier souffle pour expugner les déviants et les hérétiques du peu de terres qu’il nous reste. ◈ ◈ Derrière l'écran ◈ Certifiez-vous avoir au moins 18 ans ? Je le jure! Comment avez-vous trouvé le forum ? Sur un Topsite. Vos premières impressions ? Excellentes! Des questions ou des suggestions ? Pas pour l'instant! Je m'excuse pour la longueur de cette fiche et le nombre d'erreurs qui s'y sont surement glissées, j'ai volontairement raccourci la fin parce que je sentais que j'allais en ajouter 20 pages de plus. N'hésitez pas à me faire revoir tout ou partie de la fiche qui poserait problème, et merci du temps que vous y accorderez! Souhaitez-vous avoir accès à la zone 18+ ? Non merci. |
| | | Élisabeth BlanchevigneCoutilier
| Sujet: Re: Adam de Corveil - Validé Sam 6 Juil 2019 - 15:32 | | | Officiellement bienvenue donc! o/ Sacré fiche, va falloir que je lise tout ça ^^ |
| | | Sydonnie de RivefièreSergente
| Sujet: Re: Adam de Corveil - Validé Sam 6 Juil 2019 - 17:08 | | | Bienvenue parmi nous, Je prend un petit truc bien frai et je regarde tout ça |
| | | Sydonnie de RivefièreSergente
| Sujet: Re: Adam de Corveil - Validé Sam 6 Juil 2019 - 19:49 | | | Bonsoir Adam, Je vais être la modératrice en charge de ta fiche, cela va aller très très très vite. Je n'ai absolument rien à redire à l'ensemble de ta fiche. Merci à toi pour cette lecture fortement agréable, tu reprends l'intégralité du contexte de notre forum, que ce soit au niveau de la religion de la fange, même au niveau de la map. Tu l'as compris, je suis absolument ravie de ta fiche, la lecture fut un véritable plaisir. Je vais quand même juste -au cas où ahah- te mettre en garde vis à vis de l'état de célibat de ton petit personnage, mais je sais que tu le sais déjà. Je ne doute pas qu'une montagne de prétendante se presse à ta porte cependant. C'est tout bon, félicitations ! De ce fait, je t'ouvre les portes de nos terres et d'un coup de baguette non magique je t'offre une belle couleur bleu foncée. Pour le petit tour de la maison, tu peux commencer par faire une demande de RP en passant cette porte ou aussi répondre à une demande évidemment. En continuant la visite, tu peux si tu le souhaites créer un journal d'aventure à ton personnage, ou consulter celui de tes futurs partenaires. Par la suite, une fois plus à l'aise dans ton nouvel environnement de jeu tu peux faire un tour dans les quêtes et les missions. Enfin, ce qui doit, j'en suis convaincue t’intéresser le plus, tu peux retrouver ta jolie carrière comprenant ta réputation, ton tableau de HF et la répartition de tes compétences et points de compétences. C'est ici que tu pourras faire tes achats avec l'XP durement gagné. (Chaque achat coûte 25XP -que tu gagnes en votant, participant aux concours/animation du forum, ou en participant à des missions/quêtes.N'oublie pas que toutes tes compétences débutent au niveau 1 et peuvent être augmenter jusqu'au niveau 3. (1 étant le niveau d'apprentissage, 3 la maîtrise complète de la compétence) Pense également à mettre tes liens importants dans ton profil (Fiche, journal et carrière) J'ai fais le tour, je te laisse découvrir l'ensemble tranquillement, si tu as des questions il ne faut pas hésiter à passer sur la CB ou à MP Seraphin ou moi même. Bon jeu parmi nous et puisses ton personnage parvenir à se refaire une réputation :colgate: |
| | | Contenu sponsorisé
| Sujet: Re: Adam de Corveil - Validé | | | |
| | | |
| Permission de ce forum: | Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
| |
| |
| |
|