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 L'Ombilic du bain

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Cédric GravèneMilicien
Cédric Gravène



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MessageSujet: L'Ombilic du bain   L'Ombilic du bain EmptyVen 8 Mar 2019 - 21:40

Regardez les petits soldats

Regardez les petits soldats de chair
Qui s'en vont tout tremblants dans la nuit
En gémissant timides quelques prières
Mais le ventre plein d'une énorme envie

Regardez les petits soldats sans armes
Quand ils défilent impeccables sous la pluie
Ils vont un à un succomber sous les charmes
De ces filles qu'on achète après minuit

Regardez les petits soldats gais et transis
Que l'on voit grimper à l'assaut du plaisir
Comme ils montent à l'assaut de l'ennemi
Pour une guerre impossible à finir

Regardez les petits soldats qui crèvent
Agonisant la gueule dans les labours
On dirait qu'ils meurent aux bras d'un rêve
Une vie rompue par le vin et l'amour

Regardez-les bien et ne dites jamais de vous
Qu'il n'y en a point de plus malheureux
Pensez à ces hommes tombés dans la boue
Et dont jamais personne ne fut amoureux


~~~~

L'homme depuis toujours ne connait que deux formes de joie : la joie de vaincre, et la joie d'avoir. Conquérir et posséder, ce sont irréfutablement les principales mamelles de son bonheur. Il est d'ailleurs obligé de s'y suspendre, de mordre dedans pour en tirer la sève, toute la vie, sans quoi il se rabougrit, il périclite, se décompose. Un homme qui n'a prétendument pas faim, ni soif, refusant de téter encore le sein du pouvoir, est un homme pratiquement mort. Celui qui par pudeur rejette sans cesse les injonctions de son corps, et les cris de son cœur animal, se condamne à une existence désolée, ne valant pas mieux que rien.

Et puis, de plus, pour y parvenir, pour acquérir la puissance et la propriété, l'homme ne connaît aussi que deux méthodes : la force, ou le charme. Réduire ou séduire, il n'y a pas d'autres manières d'obtenir sur les autres cet empire qu'ils espèrent tous en réalité, les hommes, même sans le dire, même sans y croire... En chacun d'eux se débat ou sommeille un tyran. Même le plus misérable d'entre tous trouve encore du plaisir à battre son chien, ou à railler les dieux qui ne peuvent pour lui déjà plus rien. Et dans ses brumes alcooliques, il rêve, comme tout le monde, que la Terre lui appartient, toute entière, et que sa gloire n'a plus de bornes.

L'homme qui nous intéresse dans le cas présent, était à cet égard un homme parmi les plus affamés qu'on puisse concevoir. Un homme sans complexes, entièrement porté par et complice de ses appétits les plus grossiers, de ses vices les plus violents. Presque dénué de conscience, et totalement vide de scrupules, toutes ses pensées, même les plus banales, prenaient irrémédiablement, à l'intérieur de sa tête étroite et faisandée, tôt ou tard, quelque tournure diabolique. Néanmoins, il était lâche. Bien sûr, il craignait la douleur et la fatigue, au moins autant qu'un autre, mais surtout, par-dessus tout, il craignait la Loi.

D'une intelligence relative, ramassée mais concrète, il conservait du moins le bon goût de savoir assez bien interpréter et se plier aux attentes de son entourage, afin de dissimuler, avec un succès variable, ses intentions les plus indicibles. Il savait d'ordinaire identifier la frontière entre un comportement acceptable, et une action punissable. Ce qui faisait que malgré la laideur profonde de son être, il était capable de passer au besoin pour un homme raisonnable et respectable. Cela cependant ne se produisait que lorsqu'il était sobre ou dans le giron de sa caserne. Or ce soir, spécialement, il n'était ni l'un, ni l'autre.

Ce soir-là, Cédric Gravène était de sortie, en permission, comme une fois toutes les trois semaines. Il avait donc la nuit devant lui - étalée à ses pieds comme une chose énorme et prometteuse, comme un continent vierge et délicieux - et une envie furieuse d'en profiter, de courir peut-être à poils en criant dans ses sombres jardins, d'en dévorer tous les fruits sauvages. Au reste, sa vision du plaisir demeurait très basique. Le jeu, la boisson, les femmes. Le plus souvent dans cet ordre, mais pas nécessairement. Ainsi, dans ce but précis, depuis environ un an, une fois toutes les trois semaines, revêtant ses plus beaux habits, il se rendait à la Balsamine.

~~~~


Ce soir-là donc, Cédric avait fait le chemin à pied, qui séparait la Balsamine de sa caserne. Il avait quitté son dortoir un peu avant vingt heures, laissant derrière lui les collègues qui s'apprêtaient à patrouiller toute la nuit, déjà armés et tout matelassés de cuir. Ces derniers, en le voyant se débarbouiller méthodiquement avant de s'en aller, avec un morceau de tissu humide, et à le voir hésiter un peu sur l'habit à porter, se moquèrent beaucoup de lui, qui prenait tant soin de paraître avenant pour les beaux yeux futiles de quelques filles de joie. Mais ils le charriaient sans réelle méchanceté, car au fond, ils l'enviaient tout autant. Eux se préparaient pour passer la nuit dehors, à grelotter sans arrêt en s'ennuyant ferme, tandis que lui allait sans doute profiter de sa permission mensuelle pour se vautrer longtemps dans la débauche et même, possiblement, le stupre. Il leur fallait à eux tous, les mal lotis du jour, le rire et le doux mépris pour se protéger un peu contre les assauts de l'amertume et de la jalousie. Cédric ne s'était d'ailleurs pas donné la peine d'entrer bien loin dans leur jeu, ne répondant vaguement qu'aux attaques les plus virulentes, ou lorsqu'il connaissait d'avance le point faible de son interlocuteur, pour le rembarrer rapidement. En fin de compte, il fut le premier à sortir, sous une dernière bordée de quolibets, qu'il ignora en souriant. Provoquer l'envie lui plaisait.

Dehors, cependant, il fut accueilli froidement, par une fine pluie qui durait déjà depuis des heures. Elle avait commencé à tomber en même temps que la nuit, si bien qu'à présent, dans les rues et ruelles de Marbrume, coincées entre la boue et le ciel chargé, on n'y voyait goutte. Seules les fenêtres faiblement illuminées traçaient un chemin repérable à travers l'obscurité, en en délimitant les contours. Heureusement, Cédric aurait pu suivre sa route les yeux clos, tant elle lui était devenue familière, à force d'emprunter incessamment la même. Il ne craignait donc pas de s'égarer, malgré partout autour les ténèbres gelées et poisseuses qui semblaient vouloir l'engloutir. Tout de même, il avançait avec prudence, tentant de discerner les plus grosses flaques, les plus profondes, les plus traîtresses, en comptant sur un reflet propice, pour ne pas s'enfoncer les pieds dans la fange, et complètement saloper le pantalon tout propre qu'il gardait spécialement de côté pour l'occasion. En marchant à ce rythme, précautionneux, effarouché, il lui fallut pratiquement une heure pour atteindre son but, durant laquelle il ne croisa quasiment personne, avant d'atteindre au quartier de la ville qui l'attirait le plus. Là, malgré le froid et l'humidité, les rues étaient bien plus animées. Les passants se faisaient plus nombreux, plus consistants dans la lumière plus intense, et au moins, l'atmosphère s'emplissait de la rumeur joyeuse et irrégulière des tavernes, des rires et des cris alcoolisés, du tintement aigu de la vaisselle, des grincements sourds de portes, de tables et de chaises, le tout enveloppé de quelques airs de musique à danser.

Fourbu, trempé, mais heureux, Cédric trouva sans peine l'établissement de ses désirs, et poussa la porte qui l'intéressait avant toutes les autres. Depuis un an ou presque qu'il le visitait régulièrement, l'endroit perdait pour lui en secrets ce qu'il gagnait en charmes. Après tout, comme la plupart des hommes simples, Cédric était une créature de routines et d'habitudes, que les différences effrayaient, que le changement déroutait. Plus il apprivoisait les lieux, n'importe lesquels, plus ils lui semblaient accueillants, et beaux. Aussi, en pénétrant une fois encore dans le grand salon de la Balsamine, il se sentait bien, à la fois en confiance et en sécurité, et surtout pressé de rendre sa nuit mémorable autant que possible. Entre les clients assemblés, soit debout, soit assis sur les chaises et les bancs, dans la vaste salle peuplée à craquer, lancée d'abord par deux ivrognes esseulés, une chanson populaire s'élevait dans l'espace, bientôt reprise de tables en tables, par la foule fébrile et boissonnante. Quelques-uns entrechoquaient même bocks et cuillères pour former un accompagnement musical primitif. De ce spectacle spontané, le fervent vacarme et la gaieté qui s'en dégageaient auraient rompu net n'importe quel cœur de glace. Même Cédric, entre ses dents, entraîné par l'émotion, joignit discrètement sa voix aux chœurs, tandis qu'il se faufilait en direction du comptoir.

Tous les hommes sont
La mêêême chanson
Quand c'est à voix basse
Et leur cœur secret
Bat tant qu'on dirait
Qu'il maaanque de place !
Chambres d'un moment
Qu'importe comment
On se déshabiii~ille-euh !
Tout est comédie
Hormis ce qu'on dit
Dans les bras des fiii~illes-euh !
(Chambres d'un moment - Louis Aragon)


Alors un tonnerre d'applaudissements et des sifflets enthousiastes ponctuèrent la performance, avant que chacun ne se calme un peu pour retourner à ses palabres et à son bruit personnel. Entre temps, Cédric touchait à son but. Il atterrit sur le bar là où il put, s'y étala à moitié en se penchant pour aviser Dom, très occupé à faire la navette entre les clients. Incapable de se rapprocher plus, il dut crier pour s'annoncer, et il allait s'excuser pour son léger retard, mais l'homme à la gueule cassée ne lui en laissa pas l'occasion. Comme il le reconnut d'un seul coup d'œil, il lui fit simplement signe de monter, en pointant l'étage de sa main, avant de se désintéresser tout de suite de son sort. Et tant pis pour les amabilités d'usage. Mais il n'avait pas besoin de se faire prier. Il retraversa donc la foule qui se pressait toujours pour filer vers les larges escaliers dans le fond. Là, il tomba nez à nez avec Justin, et sa stature intimidante, qui gardait le passage. Celui-ci l'arrêta d'un seul geste d'interdiction, en lui montrant la paume de sa main, surmontée d'un regard sévère, suivit d'un simple "Oh !" qui voulait dire peu ou prou "Que veux-tu, petit homme ?" dans le langage ordinaire des hommes un peu moins bourrus. Cédric s'expliqua.

- J'ai réservé pour un bain...


Mais comme le gardien ne bronchait pas, il ajouta :

- J'ai payé d'avance ! Il y a trois semaines.

Justin, qui regardait en direction du comptoir, dut recevoir de Dom le signal qu'il attendait, car enfin il s'écarta en balançant un "En retard..." des plus sinistres.

- La pluie m'a ralenti.

Et puis, en passant, Cédric demanda, avec une certaine satisfaction dans la voix, un peu dérangeante, puisque chargée de sous-entendus :

- Qui s'occupe de moi ce soir ?


Mais l'homme à la mine patibulaire, visiblement indisposé, se contenta d'hausser sèchement les épaules pour lui signifier que non seulement il n'en savait rien, mais qu'en plus il s'en foutait pas mal. Deux secondes plus tard, alors qu'ils ne s'étaient pas lâché des yeux, il répondit seulement "Allez, grouille-toi", avec un coup de tête sur le côté, sur un ton tout aussi sec que son attitude, et Cédric n'insista pas. Il gravit donc les marches jusqu'au premier étage, et fit encore marcher sa mémoire pour se diriger dans le couloir. Il passa devant plusieurs portes fermées, de chambres qu'il avait déjà presque toutes visité, une nuit ou l'autre, et poussa enfin celle de la salle de bain, tout au bout à droite. Dans la salle qu'il connaissait par cœur, il n'y avait personne d'autre que lui, apparemment, mais une grande cuve de bois emplie d'eau fumante trônait en son centre, et tout semblait en place. Peut-être la fille qui se trouvait de corvée de décrassage ce soir s'était-elle lassée de poireauter sur place, et avait-elle décidé d'aller se dégourdir les jambes en attendant que notre cher héros daigne se pointer. Il appela donc un premier coup, avec un "Hé oh !" mal assuré, mais rien, hormis l'écho de sa propre voix. Et il en ressentit à vrai dire un certain agacement. Il aurait bien voulu qu'on l'aide à se déshabiller, pour commencer. Non pas qu'il en fut incapable, d'autant qu'il ne portait rien de très encombrant, hormis son manteau dégoulinant qu'il jeta d'ailleurs par terre en entrant, mais cela faisait pour lui parti du rituel, en quelque sorte. Enfin, il se débarrassa lui-même de ses vêtements, les entassant sur une chaise, en renâclant un peu. Une fois nu comme un ver, il marcha vers la baignoire en appelant de nouveau :

- Bon, ce serait bien de vous montrer maintenant !

Après quoi, il enjamba le rebord de la baignoire pour plonger une première patte dans liquide trouble, parfumé et brûlant. Le temps de s'habituer un peu à la température, il y plongea ensuite la seconde, puis le corps tout entier. Quand il eut de l'eau jusqu'à la poitrine, un frisson de plaisir lui remonta l'échine en un éclair. Allongé confortablement, il aurait pu pratiquement tendre les jambes, en laissant plus de torse à l'air, mais il ne préférait pas pour le moment, et l'on pouvait voir ses genoux dépasser de la surface, comme deux petite îles pâles et poilues. Et comme il se pensait toujours seul, il se laissa subitement aller, provoquant au fond de la cuve un remous bruyant et des bulles de gaz nauséabond, comme il put rapidement le constater, alors qu'elles éclataient au contact de l'air. Plus dérangé qu’embarrassé, il agita vainement la main devant son nez, pour chasser les odeurs. Une troisième fois, en soupirant d'impatience, il appela :

- C'est quand vous voulez... !


Dernière édition par Cédric Gravène le Dim 7 Avr 2019 - 23:46, édité 3 fois
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MessageSujet: Re: L'Ombilic du bain   L'Ombilic du bain EmptyDim 10 Mar 2019 - 19:22
Allons bon, c'est toi qui vas râler pour un peu de retard ? Répondit une voix près de la porte, dans le dos du milicien.

Ombeline se tenait dans l'encadrement, une épaule appuyée contre le bois, les bras croisés. Elle portait les cheveux attachés et savamment défaits, une robe d'un rouge profond qui lui soulignait la taille et un air un tantinet boudeur sur le visage. C'est qu'elle n'avait pas vraiment demandé à être là...

***

Manon croisa les bras en relevant le menton, signe qu'elle était décidée à camper sur ses positions.

Hors de question, c'est toujours moi qui m'y colle !

Madame Vesseur se pinça l'arrête du nez en lui répondant sèchement :

Parce que tu n'es bonne qu'à ça, petite dinde ! Il ne demande jamais d'autre service que celui-là pendant son bain, ce qui nous arrange bien puisque tu ne sais rien faire de tes dix doigts.

C'est une brute et un mufle ! chouina-t-elle d'une petite voix. J'en ai assez de lui ! Pourquoi on ne tirerait pas à la courte paille pour une fois ?

Après quelques longues minutes d'argumentation d'un côté comme d'un autre, la gérante de la Balsamine fit appeler toutes les filles présentes pour s'adonner à un ridicule tirage au sort. Il n'était question que d'une trempette avec le tristement célèbre Cédric, mais le bougre avait l'art et la manière d'user jusqu'à la corde la patience de ces dames. Même lui récurer les pieds était une sinécure puisqu'il fallait le faire sous ses remarques. Ombeline se félicitait intérieurement de ne jamais avoir eu affaire à lui, tant grâce à la chance qu'à la réticence du bonhomme face à ses yeux pâles. Elle espérait bien pouvoir passer entre les mailles du filet une nouvelle fois ! La chance l'accompagna une nouvelle fois lors du tirage car ce fut Fleur qui fut désignée comme la grande chanceuse. Dans trois jours elle aurait donc l'immense honneur de prendre un bain en bonne compagnie.

Malheureusement, la veille du grand jour, un fidèle client de la belle lui demanda si elle était disponible pour une folle nuit d'amour le lendemain et Madame décida qu'il était bien plus important de soulager le brave homme de son or autant que de sa vigueur plutôt que de jouer les naïades. Elle chargea donc Ombeline de la tâche pour la simple raison que cette dernière se trouvait à sa droite lors de sa décision.
La jeune femme ronchonna, bien sûr, arguant que le client serait mécontent de la voir alors qu'il n'avait témoigné aucun intérêt pour elle, cependant aucune autre fille ne souhaita prendre sa place et la parole de Madame était loi entre ces murs. Ce serait donc sa corvée de la soirée.

Lorsque vint l'heure de se préparer, la donzelle traîna un peu des pieds et se trouva comme occupation de faire le corsage de l'une de ses comparses. S'attendant à se faire interrompre par l'annonce de l'arrivée dudit bonhomme, elle fut surprise de terminer avant et se lança donc dans quelques tresses compliquées. Bavardant tranquillement en s'échangeant des ragots sur les uns et les autres clients qui pouvaient fréquenter le bordel, elles en vinrent à complètement oublier l'heure et ce fut à Justin de venir leur sonner les cloches. Ombeline s'était alors contentée de lever les yeux au ciel avant de se lever.

***

S'avançant d'un pas lascif et peu pressé vers la cuve, elle donna un petit coup de talon dans la porte pour la refermer la moitié derrière elle. L'éclairage était pauvre, tout juste quelques chandelles au milieu de la vapeur qui avait envahi la pièce, cependant c'était bien suffisant pour qu'elle devine l'emplacement de la bassine et son occupant. De ce que l'on disait, le Cédric était plutôt quelconque et si ce n'était pas son apparence qui repoussait, il en allait autrement de ses manières. Il suffisait de voir le maître à l'œuvre depuis qu'il était entré dans son bain... La jeune femme avait également eu l'occasion de l'entendre discourir sur divers sujets au cours de ses soirées à la Balsamine et il ne sortait jamais une parole qui puisse en rattraper une autre. Un désastre.
Ravalant tout le fiel que lui inspirait l'énergumène, la brunette se coula dans son rôle tel le métal dans l'empreinte d'une épée et afficha une ombre de sourire tout en contournant la baignoire avant de s'y appuyer à deux mains, penchée en avant.

C'est qu'on ne t'espérait plus à cette heure-ci. J'espère que l'eau est tout de même à ton goût. Manon ne pourra pas être là ce soir, elle avait une personne importante à accueillir.

C'était un joli mensonge doublé d'une petite pique quant à l'importance toute relative que pouvait donc avoir le milicien. Et il avait le goût du miel dans la bouche de celle qui n'était pas en droit d'en dire plus. Silencieusement elle priait pour qu'il la renvoie et préfère se laver seul.

Il va te falloir te contenter de moi.

À bien y réfléchir, ce serait assez humiliant de ne pas réussir là où même cette pauvre Manon parvenait à s'en sortir. Et Madame serait assez mécontente d'apprendre qu'on avait laissé en plan l'un de ses clients. Sans lui laisser plus le choix, Ombeline entreprit donc de tirer sur le cordon de sa robe pour la libérer et cette dernière tomba à ses pieds sans opposer de résistance, dévoilant chaque centimètre de sa peau. La pudeur était un luxe qu'aucune prostituée ne pouvait s'offrir.
Achevant de faire le tour de la cuve de quelques enjambées supplémentaires, Ombeline revint dans le dos du milicien et s'aventura à lui passer une main sur l'épaule. Elle rêva un instant d'appuyer assez fort pour le faire plonger sous l'eau et le noyer quelque temps, mais il était plus probable que ce soit lui qui la noie aussi mieux valait-il s'abstenir.

Des objections ?
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Cédric GravèneMilicien
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MessageSujet: Re: L'Ombilic du bain   L'Ombilic du bain EmptyMar 12 Mar 2019 - 3:29
Nous l'avons dit et répété, Cédric Gravène était un homme rustre. Un esprit complètement étroit, dans lequel ne rentrait rien de trop complexe, et d'où jamais surtout ne sortait rien d'original. Jamais de sa vie il ne formula une opinion qui ne fut pas mieux qu'une simple variation sur le mode d'un préjugé déjà largement répandu. Élevé à la rustique, dans un milieu sans imagination, entre les cris et les coups, au son des beuglements incessants de ses trop nombreux frères et sœurs, et donc dans une certaine promiscuité, il était habitué depuis tout jeune, à force de privations, à considérer toutes choses d'un œil d'abord utilitaire, sous un angle purement pratique, et somme toute assez mesquin. Ainsi, l'Art, même au sens large, au sens souverain, demeurait pour lui, jusqu'à ce jour, une affaire absolument étrangère. Ni l'architecture, ni la peinture, ni la sculpture, à peine la musique, et la chanson, vaguement, lorsqu'il lui semblait qu'elle parlait de lui... autrement, pratiquement rien ne l'émouvait. De cette émotion indicible reliée à la Beauté, la Beauté pure, à un sentiment de grandiose. Même un ciel de feu, un horizon incendié par le coucher du soleil, spectacle pourtant prodigieux, accessible à tous, ne lui inspirait guère plus qu'une pensée très prosaïque, de l'ordre de : "tiens, bientôt la nuit, va falloir faire ceci ou cela."

En fait, il n'existait qu'une seule chose au monde capable de faire vibrer en Cédric son seul petit dernier vestige de fibre artistique : c'était la vision d'une femme nue. Sa seule manière à lui de se connecter un tant soit peu au Sublime, de sentir en lui remuer quelque émoi qui ne soit pas strictement bestial. Le corps de la femme le troublait d'une manière qu'il ne pourrait jamais s'avouer, bien au-delà de l'expression d'une excitation bêtement viscérale, sexuelle. Il éprouvait pour lui une fascination presque géométrique, due aux formes et aux couleurs, aux courbes et aux chutes, un sentiment d'admiration, de plénitude, rien qu'en le regardant, confinant à la béatitude. Une sensation d'émerveillement, pas vraiment subtile au fond, mais tout de même, bien réelle. Et il est bien qu'un homme soit au moins un peu artiste, aussi pauvrement qu'il peut. Car encore fallait-il que la femme fut jeune, et suffisamment jolie...

Heureusement pour elle, la petite Ombeline cochait ces deux cases. Alors, lorsqu'elle se déshabilla devant lui, d'un geste négligent, en voyant sa robe glisser doucement sur ses épaules, dévoilant bientôt ses seins, avant de buter sur ses hanches, pour finir par tomber tout de même, Cédric se sentit momentanément perdre pied. Toute la frustration de l'attente, et la déception liée à l'absence annoncée de Manon, qui s'occupait ordinairement de lui, s'évanouit l'espace d'un instant, tandis que le trouble indescriptible dont j'ai parlé lui clouait le bec et l'âme, pulvérisant toutes ses pensées. Mais un court instant, seulement. Car rapidement, il se souvint pourquoi la jeune femme le dégoûtait tant qu'il n'avait jamais émis le souhait de coucher avec elle un soir, malgré qu'il eut connu au moins une fois chacune des autres filles de la maison. Il la regarda se diriger vers la bassine où il trempait avec cette petite sorte d'hésitation, de précaution, à peine perceptible, mais si caractéristique. Et dès qu'elle fut assez proche, qu'elle allait le dépasser pour se mettre derrière lui, malgré la vapeur qui saturait l'air, il les vit - ses yeux. Deux billes blanchies, vaguement bleutées, comme un ciel de brouillard, et qui jamais, jamais, ne se fixaient sur rien, perdues dans un flou éternel. Il eut un frisson. Et aussitôt, son début d'érection retomba, mourut.

En plus d'être rustre, Cédric était un homme vaniteux, qui ne se contentait pas dans l'amour, même monnayé, d'un simulacre auditif et gestuel. Il voulait lire dans les yeux de sa partenaire le plaisir et la gratitude qu'elle devait forcément ressentir à partager sa couche, à recevoir son corps et ses attentions. Il voulait se voir admirer, ou bien il voulait être craint, lorsqu'il prenait la fille de force, contre son gré. Mais pour bien lire même la peine, la douleur, et la peur, il faut des yeux, à la fille, des yeux entiers, des pupilles qui fonctionnent. Et cela, elle n'en avait pas, elle. Et cela lui faisait peur. Instinctivement, sans réellement se le formuler, même pas du tout, de façon totalement inconsciente, il était rebuté par ces yeux vides et blancs qui jamais ne pourraient jouer la comédie qu'il attendait, qu'il espérait de toute fille recevant les honneurs de son sexe - qu'il s'imaginait bien sûr d'un gabarit phénoménal, et d'une puissance extraordinaire, alors que, sur ces deux points, il était en réalité parfaitement médiocre, au mieux... Pour cela, il se sentait incapable de s'enthousiasmer pour elle, de la désirer. Car il craignait qu'elle lui fasse trop sentir son odieuse médiocrité. Il ne l'aurait pas supporté.

Alors il se renfrognait à vue d’œil. D'ailleurs, il s'affaissa légèrement dans son bain, tout en tension, comme un espèce de crocodile fâché, tandis qu'elle posait la main sur son épaule. Il se sentait très contrarié, presque vexé même, surtout que la pimbêche l'avait passablement insulté, en insinuant qu'on pouvait avoir facilement mieux à faire qu'à lui récurer les orteils. Une certaine hostilité flottait déjà dans l'air. Et elle avait tiré la première, après tout. Il n'avait aucune raison de ne pas répondre à son attaque. Il tenait à se montrer le plus cinglant possible, histoire de lui montrer qu'on ne pouvait pas se foutre de sa gueule impunément.

- Ça dépend. Est-ce qu'une aveugle comme toi sait faire la différence entre un cul et un dos ? Si oui, dans ce cas ferme ta gueule et frotte.

Et par prévention, il attrapa la brosse posée contre le rebord de la baignoire, avant de la lancer sans vergogne à l'autre bout de la pièce, là où, à travers l'humidité, et dans le brouillard de ses yeux, Ombeline ne pourrait jamais la retrouver toute seule.

- Avec tes mains...

Sur ce, il étouffa un petit rire sadique, en se disant qu'elle l'avait bien mérité. Mais comme il était vraiment tracassé par la petite pique qu'elle lui avait adressé plus tôt, il ajouta, sur un ton de vague menace :

- J'espère que Manon est vraiment occupée à se taper un type avec des couilles en or, ou alors je vais vraiment finir par bouder...

In petto
, il pensait : est-ce que mon argent ne vaut pas autant qu'un autre ? Comme il gardait aussi un petit côté naïf...
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MessageSujet: Re: L'Ombilic du bain   L'Ombilic du bain EmptyJeu 14 Mar 2019 - 18:37
Douceur et bienveillance pouvaient aller se faire foutre joyeusement, elles ne seraient certainement pas de la partie ce soir.
Ombeline faillit lui enfoncer cruellement les ongles dans la peau pour lui faire sentir comme il était imprudent demander à ce qu'elle s'exécute sans une brosse mais elle se retint une fois de plus. Des brutes, des types grossiers et des même des salopards, elle en avait connu plus que de raison et Cédric n'était qu'une petite frappe sans envergure à côté. Elle pouvait parfaitement le gérer... Ce qui ne le rendait pas moins irritant. S'emparant du savon qui, lui au moins, était resté à portée de main, elle entreprit de le faire mousser entre ses doigts en imaginant tous les endroits désagréables où elle pourrait l'enfoncer pour causer de la souffrance à cette raclure de caniveau. Elle en viendrait presque à plaindre Manon pour toutes ces séances de bain forcé mais quelque chose lui disait que la blondinette n'essuyait pas autant de remarques et de mécontentement. La réplique du milicien lui tira un sourire moqueur.

Ooh, tu te mettrais à bouder ? demanda-t-elle en lui savonnant la nuque avant de descendre de nouveau sur ses épaules.

Son ton avait ce petit côté moqueur et attendrit qu'emploient les mères lorsque leur bambin brandit une menace dérisoire avec un grand sérieux. Une façon de dire qu'elle ne le prenait pas au sérieux et qu'elle ne le prendrait jamais au sérieux quand bien même il lui jetterait des insultes au visage. Être catin offrait le douteux privilège d'en savoir beaucoup sur les hommes et pas uniquement sur ce qui pouvait leur plaire au lit. Une des premières choses qu'une femme découvre c'est qu'il n'existe pas de créature plus arrogante qu'un homme et qu'il est alors facile de les flatter ou au contraire de meurtrir leur égo. Et qu'est-ce qui pourrait meurtrir plus un milicien trop fier de lui qu'une petite pincée de dénigrement ?

Et si tu apprends qu'elle n'est pas avec un autre type, tu vas nous faire une grosse colère aussi ? Aller voir Madame et lui faire un caprice en te roulant sur son tapis ?

On ne plaisantait pas avec Madame. Les filles de la Balsamine le savaient mais tous les clients réguliers le savaient aussi. Cette femme était aussi dure et intransigeante qu'une lame damassée et personne, même parmi les coutiliers, ne songerait à la mettre en rogne. Lui faire une scène était totalement exclu, à moins que ça ne soit entièrement justifié ou qu'on ne soit assez riche pour se le permettre. Le dernier en date était le comte de Brumebois qui s'y était essayé avec beaucoup de succès après avoir été malmené par la pauvre Manon. Ombeline en gardait d'ailleurs un souvenir vivifiant et charmant. Alors évidemment ce n'était pas Cédric qui pourrait soutenir la comparaison.

Ou est-ce que c'est juste une belle excuse pour ne pas montrer que tu as peur de moi ? Avoues, ça te file la trouille d'imaginer que tu puisses toi aussi te retrouver avec des yeux comme les miens.

Et tout en disant cela, ses mains s'aventurèrent le long de son torse, glissant dans l'eau pour y dissoudre le savon. Elle était aussi piquante dans ses paroles qu'elle était douce dans ces gestes, un paradoxe étrange mais qu'on pouvait sans doute trouver charmant à sa façon. Malgré le mépris qu'elle avait pour cet homme qui n'avait jamais caché le dégoût que lui inspirait sa cécité, elle ne pouvait se permettre de le maltraiter réellement. Avec un peu de chance, il se raviserait et préfèrerait se laver seul plutôt que de prendre le risque d'être contaminé par ce qui la rendait aveugle.
S'arrêtant juste sous les pectoraux, Ombeline fit demi-tour et remonta ses mains jusqu'à la nuque de son client qu'elle entreprit de masser en priant pour qu'il s'effraye de ce contact prolongé.
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MessageSujet: Re: L'Ombilic du bain   L'Ombilic du bain EmptySam 16 Mar 2019 - 1:25
Une chose, une seule, est certitude.

Aussi sûre que la course du soleil, ou que les cycles de la lune.

C'est l'impossibilité arithmétique de la paix ; aussi nommée, l'insoluble équation de la prolongation du calme. Toutes les solutions réalistes montrent qu'elle tend infiniment vers zéro.

Rien qu'entre deux créatures, même les plus raisonnables qu'on puisse envisager, les opportunités d'oppositions sont innombrables. Les facteurs de frictions, insurmontables. Aucune fluidité dans les rapports de l'or, de la force, du cœur, ou du sexe. Il y a bien sûr la résistance instinctive aux sources d'influences différentes de la sienne, aux invasions spirituelles extérieures, et ce besoin déchirant de prendre les commandes à quiconque les détiens, sans autre projet que la seule protection de sa puissance. Il y a surtout l'incapacité essentielle pour deux êtres d'accorder assez longtemps les vibrations de leurs désirs, d'harmoniser les pulsations de leur âme primitive, pour les situer sur une ligne commune un peu solide.

Nous ne jouons simplement pas la même musique. Nos guitares et nos violons se désespèrent en grinçant dans l'obscurité des caves du cerveau, et sur un air de solitude immortelle. La grande valse de la vie ne sonne que pour soi tout seul, chaotique et stupide. Et puis nos danses, même nos danses à deux, irrémédiablement, elles sont aveugles, sourdes, muettes - assassines. On se frotte sans se toucher, on s'entend sans s'écouter, on se parle sans se comprendre, on se regarde sans se voir. On se prend, sans rien donner. On s'aime, sans rien aimer finalement que des reflets de soi. Et des morceaux de rêves éparpillés...

La mémoire de nos torts nous échappe et les cris se superposent les uns aux autres pour former cet appel strident à la séparation, cette tempête irrationnelle qui nous éloigne un peu plus chaque jour l'un de l'autre et nous détruis méthodiquement, désassemblant peu à peu les derniers restes de tendresse... Jusqu'à nous retrouver à nouveau seul, totalement seul cette fois, sans plus faire semblant, et d'autant plus blessé, au milieu des échos des explosions du passé, à se débattre contre des fantômes fades et fuyants, et des cadavres de mouchoirs mouillés...

Après quoi, tout au bout de la performance, quand la scène est vide et bien finie, quand on en a terminé de réciter nos partitions les plus ordinaires, et les plus tristes, quand les masques trop las ont glissé jusqu'à terre, quand nos visages sont enfin nus, et nos yeux déshabillés, démaquillés de tout espoir, des illusions fondues en larmes, nos déguisements pendus dans la remise, et nos véritables corps exposés, nus aussi, assis sur la banquette défoncée, épuisés dans les coulisses de l'existence, alors il nous reste plus qu'à nous taire et nous tuer - nous entretuer. Pour des bêtises. Pour rien. Puisque c'est tout ce que nous savons faire, au fond. Donner des coups. Alors on le fait. Et c'est comme ça.

C'est comme ça que sonne le glas.

Nos guerres ne sont que le résultat de notre nature discordante, d'une certaine vision de nos intérêts conflictuels. Tous nos morts le sont pour des querelles intestinales, des sursauts d'appétits. Et la vie n'est qu'une bataille de viscères, ventre contre ventre, entrailles ouvertes et qui s'entremêlent suintantes, indissociables et oubliées dans la mêlée interminable de l'Histoire.

Ce n'est donc pas le moins du monde étonnant si deux êtres aussi dissemblables et intéressés que ceux dont nous parlons, ne puissent ressentir l'un pour l'autre que des sentiments mauvais, et des tentations de meurtre. De son côté, Cédric bouillonnait dans son bain brûlant, le corps chauffé, rougi comme celui d'une écrevisse. Et dans sa tête, bouillonnaient aussi quelques pensées tordues, minimalistes, qui toutes concernaient sa vexation, comme un enfant privé de sa récompense, de son image et son bonbon, et qui ne s'en remettrait pas. Comme d'une trahison.

Une seule fois toutes les trois semaines, c'était sa nuit, sa nuit à lui. Échappé de la caserne, il devait vivre comme un homme libre et célèbre, se goinfrer, boire et jouer, recevoir toutes les attentions du monde, avant d'aller se liquéfier la conscience et la zigounette entre les cuisses d'une putain. C'était son mode de survie, ce petit fantasme dérisoire, d'une seule nuit, la célébration, purement imaginaire, de sa puissance personnelle. Il voulait se sentir pousser des ailes. L'alcool aidait bien sûr beaucoup pour ça. L'alcool était pour lui, comme pour tant d'autres, le conservateur du rêve, le formol de ses illusions, cette petite goutte de courage pour s'en retourner encore vers la vie, malgré tout.

Et là, déjà, cela commençait mal. On commençait par lui saboter la procédure, lui bousiller son rituel, d'abord par un retard, et ensuite par une tromperie. Le bain qui devait le faire entrer dans sa nuit comme un roi en son palais, prenait des saveurs de souffre, de farce rance, difficilement supportables. D'autant qu'il se sentait moqué, alors qu'il ne rêvait que d'être mis en valeur. Il rêvait d'enfumer le monde, de le rétrécir entre ses doigts, pas de se faire déplumer par lui. Et Ombeline insistait, retournait avec application le couteau dans la plaie, par la parole, vipère, sans pour autant rompre le geste. Au lieu d'ailes, il se sentait pousser des désirs de massacre.

Il aurait avec plaisir attrapé la petite tête de linotte aveugle derrière la sienne, qui lui piaillait dans le cou ses amabilités, pour la renverser par-dessus son épaule et la noyer doucement, doucement... Ô comme il aurait jouit à la sentir contre lui se débattre, planter ses petites griffes de chatte dans sa chair en espérant le faire lâcher prise. Mais la douleur ne l'aurait que transcendé. Personne n'aurait rien entendu que lui, tous les cris de la jeune fille étouffés en gargouillis dans la bassine. Et lorsque tout au bout d'un ultime spasme, tout son joli corps nu enfin détendu, tous les muscles soudains relâchés, après avoir tant souffert, puisque si terrifiée, si impuissante, alors, oui, qu'est-ce qu'il aurait jouit... De la jouissance du meurtrier, qu'il connaissait d'ailleurs très bien.

Mais c'était impossible, bien sûr. Pas dans ce contexte là. Il aurait pu l’assassiner, ici, maintenant, et s'enfuir une première fois. Mais Madame aurait tôt fait d'ouvrir toutes les cages aux chiens des enfers, de les déchaîner, pour les lancer à ses trousses. En moins d'un jour, il se serait fait cueillir et refroidir, il n'en doutait pas. D'autant qu'il n'était pas bien difficile à trouver, dans son petit baraquement. Ce n'était pas le genre d'assassinat qui valait un suicide, qui le justifiait. Il n'allait pas sacrifier tout son cher avenir simplement pour clouer éternellement le bec à une petite catin trop bête pour apprendre à la fermer et à travailler en silence. Il lui faudrait trouver une autre manière de se venger. Une idée en particulier lui traversait déjà la tête, assez évidente. Pour le reste...

Tu crois que tu me fais peur ? C'est ça ton idée ? Mais tu ne me fais pas peur... Tu me dégoûtes, ça n'a rien à voir. Tu es un monstre, une erreur. Tu es condamnée... Sans yeux... Si tu n'étais pas un peu jolie, tu serais déjà morte... Et quand tu ne seras plus jolie... Tu crois que tu deviendras Madame à la place de Madame ? Tu deviendras plutôt un meuble, au mieux. Pour peu qu'on ait pitié, on te mettra dans un coin, et tu passeras le restant de tes jours à prendre la poussière, ou à la faire, sans plus personne pour t'essuyer, pour te passer dessus... Sans yeux, tu ne sers à rien, rien qu'à écarter les cuisses, tant que d'autres voudront bien y mettre quelque chose, ensuite... (Ici, il fit un petit sifflement qui signifiait "poubelle", et puis conclut : ) Tu es misérable... Et tu me dégoûtes...

Tout cela, Cédric l'avait prononcé avec un fiel innommable dans la voix, en fermant les yeux pour bien savourer les mots cruels qu'il débitait avec plaisir. D'un seul coup, d'avoir lâché toutes ses injures, il se sentait étrangement détendu, serein, à nouveau, et presque sur le point de s'endormir, comme après une éjaculation rageuse... Aussi il ajouta, en souriant cette fois :

Mais tes mains sont douces, et je me sens magnanime ce soir, alors continue...

Sur ce, il se redressa légèrement, avant de se pencher vers l'avant pour permettre à la jeune femme de continuer son œuvre un peu plus bas derrière.

Allez, frotte, frotte...
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MessageSujet: Re: L'Ombilic du bain   L'Ombilic du bain EmptyVen 29 Mar 2019 - 20:04
Il est des qualités que l'on reconnait volontiers et que l'on encense aisément : le courage, la compassion, la vivacité d'esprit... Et il en est d'autres, plus discrètes ou plus ingrates que l'on oublie toujours et qui n'impressionnent personne. Pourtant elles demandent le même effort de volonté pour ressurgir, parfois plus. Ainsi personne ne se soucie de la patience, du professionnalisme, de l'intégrité ou de la maîtrise de soi, sans doute parce que l'on attend d'un adulte qu'il soit capable de mobiliser toutes ces belles qualités de façon naturelle. Pourtant on le sait bien, rien n'est plus pénible que de déployer un effort supplémentaire pour se montrer patient envers quelqu'un qui fait tout son possible pour être insupportable. À cet égard, Ombeline était un véritable modèle de vertus à l'instant présent.
La jeune femme essuya une pluie d'injures et de mépris aussi corrosive que puante et n'en tressailli même pas. Elle n'écouta pas l'envie viscérale qui lui rongeait le ventre de labourer le plus profondément possible la peau du porc qui se prélassait dans l'eau sous son nez. Elle parvint à rester parfaitement de marbre et ne s'interrompit même pas alors qu'il lui expliquait avec force détails qu'elle n'était qu'un rebus de l'humanité qui devait s'estimer heureux d'être en vie. Non, elle ne se permit rien de tout cela car en son for intérieur, elle venait de prendre une décision plus radicale.

Alors que le milicien se penchait pour lui donner accès à plus de peau, elle retira ses mains de la cuve et se redressa avec un soupir las. Ombeline n'était pas connue pour son excédant de patience envers les malappris et se contentait généralement de les éviter, ce qui convenait à tout le monde. Même Madame savait que le caractère piquant de ses employées ne pouvait être tamisé qu'à demi. Une catin donne déjà beaucoup de sa personne, inutile de lui demander d'aller trop à l'encontre de sa nature, cela ne fait qu'attirer des ennuis. Cependant, il avait ce soir été décidé que malgré tout, ce serait à la brunette de jouer de la brosse et du savon. Prête à s'exécuter, elle avait accepté et s'était même appliquée à la tâche. Mais à présent c'était trop.
Portant deux doigts à la bouche, Ombeline siffla à deux reprises avec force pour faire appel à son assistant favori. Rapidement, le grattement caractéristique des griffes sur le plancher se fit entendre à l'entrée de la pièce. Kornog, le colossal berger marbrumien de la jeune femme, avait rappliqué en vitesse comme à son habitude lorsque la maîtresse l'appelait. À présent qu'il avait pris ses marques dans la Balsamine, il y évoluait de jour comme de nuit avec assurance et n'hésitait plus à s'impatroniser dans une pièce lorsque la porte était ouverte.

Vas chercher, lui ordonna la fleur de trottoir en pointant le fond de la pièce.

La bête à la robe sombre s'exécuta avec curiosité, passant juste à côté de la bassine d'une démarche souple. Le régime qu'on lui réservait depuis qu'il était entre les murs de l'établissement lui allait si bien qu'en deux mois il semblait avoir déjà atteint sa taille adulte et tout chez lui respirait la santé. Rapidement devenue la coqueluche des filles, même Dom veillait à lui laisser une part conséquente de viande sur les os qu'il nettoyait. On veillait à ce qu'il soit en forme et qu'il grandisse bien, c'était certain ! L'on pouvait donc comprendre que sa maîtresse soit ravie de l'avoir à ses côtés comme gardien et aide de vie.

Il est beau, pas vrai ? C'est un camarade à toi qui me l'a offert, sur les conseils de la coutilière d'Algrange. Quoi qu'il me semble qu'elle soit passée sergente... Il est drôlement futé et surtout drôlement bien dressé. On peut dire ce qu'on veut sur Clovis, mais avec les bêtes y a pas meilleur que lui. Il peut leur apprendre presque n'importe quoi, c'est fou. Par exemple, Kornog sait comment attaquer un homme sans risquer de se prendre un coup de couteau.

Le chien revint vers le bac d'eau avec entre ses épaisses mâchoires la brosse que Cédric avait lancée un peu plus tôt. Il dévisagea rapidement l'homme sans lui porter de réel intérêt avant s'asseoir aux pieds d'Ombeline pour lui pousser la main d'un coup de truffe et lui signaler qu'il avait quelque chose à lui donner. Une chance pour lui, il n'y avait rien d'autre à ramasser dans ce coin de pièce qu'on lui avait demandé de fouiller, il avait de bonnes chances de donner satisfaction à sa maîtresse. Cette dernière s'accroupit en tendant une main pour qu'il y dépose sa trouvaille, le flattant de quelques caresses de l'autre tout en poursuivant.

Alors voilà ce qu'on va faire mon cher Cédric : je vais récurer tes pieds crasseux et ton cul poilu puisque tu n'es pas capable de le faire toi-même, mais je vais le faire à ma façon. Et tu vas t'en contenter parce que si tu me chauffes encore les oreilles avec tes roucoulades venimeuses, je demande à mon chien de t'arracher le service trois pièces, lui expliqua-t-elle avec une colère contenue en contournant la bassine pour se mettre à son pied, la brosse dans la main. Mais bien sûr, si tu as une objection je peux te laisser te débrouiller comme un grand et retourner dans la salle tenir compagnie à des clients un peu mieux luné et un peu plus éduqués que toi.

Il n'était pas bien difficile de deviner ce qui arrangerait le plus la belle-de-nuit : mieux valait s'en tenir là pour leur bien à tous les deux et prendre des routes différentes. Cependant elle était prête à relever le défi s'il lui imposait de rester, quoi qu'en prenant quelques précautions comme l'usage d'une brosse et la présence du molosse qui attendait sagement les prochains ordres sans rien dire. L'animal n'était pas menaçant à première vue, cependant son gabarit laissait présager du pire s'il venait à entrer en action comme sa maîtresse prétendait qu'il était capable de faire. Le milicien Clovis était un étrange phénomène bâtit aussi haut et solide qu'une forteresse et toujours flanqué de sa chienne, Ombeline n'avait pas de doute sur le fait que tout le monde à la caserne le connaisse et qu'on sache bien ses talents de dresseur canin. S'il avait éduqué un chien à mordre, alors c'était que le chien savait effectivement mordre sur commande.
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Cédric Gravène



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MessageSujet: Re: L'Ombilic du bain   L'Ombilic du bain EmptyMar 9 Avr 2019 - 22:07
Persuadé de sa victoire, et bien trop sûr en général de sa force, l'ignoble milicien se détend. Grâce à son horrible tirade, il croit avoir porté l'estocade finale, percé le cœur de la jeune femme, et rêve déjà de sentir sur sa tête et son dos tomber ses larmes, en grosses gouttes lourdes et abondantes. Il est comme un cobra qui, après avoir craché son venin, comme il vient de cracher son fiel, à longue portée, ne pense plus qu'à digérer sa proie, se reposant le ventre empli de son repas. Le Cédric est bien une sorte de lézard mauvais, de serpent parmi les hommes, l'agent de la discorde, possédé par l'esprit du mal, habité de toute la perversité et la violence imaginable, seulement un peu trop limité en intelligence pour s'en servir de manière absolument précise et dévastatrice. Quoique...

En attendant de devenir le maître tout-puissant de ce monde en flammes, l'eau sur sa peau nue lui fait toujours autant de bien, bien qu'elle commence à se souiller à son contact. Comme toutes choses, d'ailleurs... Tout ce qui traîne autour de Cédric devient rapidement souillure, car la souillure incarnée intoxique son environnement, c'est bien normal. Cédric est un corpuscule de pollution à lui tout seul, un agent venimeux au sein d'une eau claire, une bactérie mortelle se prélassant au fond du puits d'un village. La contamination et la mort sont ses domaines. Ici même, dans ce bain, dans cette pièce, cet établissement, il distille son poison, avec une certaine application, et beaucoup de plaisir. Jusqu'à rencontrer une forme de résistance beaucoup plus déterminée que prévu...

Au lieu de succomber à ses imprécations haineuses, de se laisser écraser par sa méchanceté bête et crasse, Ombeline se rebelle. D'un coup de sifflet, entre ses doigts, elle en appelle à son plus bel ami, le meilleur de tous, la créature la plus dévouée du monde. Cédric voit entrer dans la pièce une énorme bête sombre qui se déplace avec la nonchalance propre aux grands chiens se sachant chez eux, et entourés d'amour. Un calme et une assurance incroyable. L'animal obéit naturellement à sa maîtresse, et rapporte avec joie la brosse que notre salaud trempé avait balancé auparavant, en couvrant la poignée de sa bave épaisse. Ensuite, la petite aveugle démarre son récit, insinuant de même tout un tas de relations plus ou moins vagues, dont celle qu'il devrait redouter entre toutes, la cent fois maudite, la putain d'Algranges, sa propre sergente.

Elle voudrait le voir se dégonfler avec ça, en lui présentant le petit cadeau que soit disant un milicien affilié à sa supérieure lui aurait fait ? Et alors ? Cédric n'aime pas beaucoup les menaces, ordinairement, et bientôt, il est servi, lorsque la jeune femme précise sa pensée. Cette fois, il ne peut réprimer un frisson. Le molosse a l'air paisible, certes, mais son gabarit et sa loyauté le rendent infiniment dangereux. Nu comme il est, désarmé, avec l'introduction de son toutou dans l'équation, la putain a renversé l'équilibre des forces physiques en jeu, mécaniquement. Elle le tient par les roubignolles.

Il devrait donc se soumettre à cette catin et son clébard infernal, dont l'odeur puissante se fait sentir d'ici ? Lui, rentrer la queue entre les jambes puis ramper ou s'enfuir ? Devant elle, à peine une femme, une prostituée, la plus basse de toutes les viles créatures à hanter cette ville ? Lui, qui représente l'autorité du Duc, et la puissance de la Loi, à sa manière, certes discutable ? Impossible, impensable. Il se sent fulminer d'abord, alors qu'une boule de colère brûlante prend naissance dans sa poitrine, remonte jusqu'à son cerveau, éclate dans sa tête comme un feu d'artifice ravageur. S'il pouvait lui faire voir, en cet instant, ce qu'il en coûte de menacer un homme tel que lui, de sa valeur, il l'écrabouillerait sur l'instant, entre ses mains, il lui fracasserait le crâne contre un mur, pour lui passer l'envie de le défier, de le rabaisser comme elle le fait. Il n'est pas un homme avec lequel on peut jouer, dont on peut se moquer sans craindre les conséquences. Du moins c'est ainsi qu'il le souhaite et s'imagine. C'est sa croyance.

Mais la présence du gros chien empêche tout, le force à réprouver sa furie, sous peine de perdre subitement la partie. Il est pourtant tellement rouge, étouffé par la frustration, qu'on pourrait croire qu'il réchaufferait lui-même maintenant l'eau dans la cuve, plutôt que l'inverse, qu'il pourrait la faire bouillir ou fumer, comme une lame blanche qu'on trempe après l'avoir forgée. Il est obligé de se contenir, de calfeutrer sa rage, au lieu de rompre les barrages, comme il en a l'habitude. Ça n'est pas du tout pour lui plaire. Il en est réduit à réfléchir, lui qui préfère en permanence forcer son passage. La subtilité le fatigue, bien qu'il en soit capable. Il va d'ailleurs le démontrer, car enfin lui vient une idée. S'il ne peut punir tout de suite la maîtresse pour son insolence, il lui semble avoir détecté le point faible de son argumentaire. Il s'empresse d'appuyer dessus.

Je suis bien forcé de l'admettre, voilà un superbe animal... J'en ai d'ailleurs rarement vu d'aussi magnifique... Mais toi, peux-tu réellement voir à quel point il est beau depuis ton brouillard, jeune fille ? Ou bien tu le devines seulement ? Tu l'imagines ? Je suppose... On te l'a dit, et puis tu le crois, eh bien c'est vrai. Mais voilà, tu rates quelque chose, vraiment... De toute façon, c'est peut-être mieux ainsi. Tu l'oublieras plus facilement. Enfin peut-être vivras-tu moins longtemps que lui, avec une langue aussi pendue... ! Enfin... Tu l'aimes beaucoup, n'est-ce pas ? On peut voir qu'il est bien traité, ce chien. Il est puissant, bien nourri, et propre. C'est assez rare d'ailleurs, de voir un couple comme le votre. Mais dis-moi... J'ai l'impression que tu te crois à l'abri, peut-être, derrière tes yeux vides, et tes quelques amis, dans cette maison, et ailleurs... Tu oublies à quel point le monde est laid, sûrement, pour oser me menacer comme ça... Et lui, ton clébard, tu le crois à l'abri aussi ? Est-ce que tu le tiendras désormais en cage toute la journée, et l'empêchera de remettre un jour, une seule fois, le nez dehors ? Même pas dans la salle commune ? Je t'assure que tu le devras, dès ce soir, parce que si tu oses encore user de ce ton avec moi, je te préviens que je trouverais forcément des amis à moi pour traîner dans l'coin, un jour ou l'autre, et s'ils ont le malheur de croiser ton foutu cabot, ils vont non seulement te le retourner dans un sale état, mais carrément en pièces détachées et sanglantes, tu verras... Petit morceau par petit morceau, un de ces mystères à remboîter pour enfants, en commençant peut-être par la queue ou bien le museau d'abord, ou bien un bout du cœur, ou des intestins... Il y aura toujours un moyen pour ça, pour s'amuser un peu, pour racheter cet affront. C'est une promesse que je te fais. Tu comprends ? Est-ce que tu m'as compris ?

Là-dessus, Cédric s'arrête un instant, pour reprendre haleine, et comme il attend peut-être un vœux de soumission. Mais comme rien ne vient, il se dit qu'il serait trop bête de se taire maintenant, autant prolonger son avantage. Toujours sans se retourner, en tapotant même dans l'eau du plat de la main, il poursuit.

Si tu as compris, si tu sais ce qui est bon pour lui, et donc pour toi, alors demandes-y de s'casser tout de suite de là. Sors-le d'ici, ton joli gentil toutou, du moment que j'ai encore assez de nerfs pour me contrôler, et te pardonner... Et puis remets-toi au travail sans plus jacter. Et en t'appliquant, s'il-te-plaît. Garde ta foutue brosse si tu veux, mais fais ça bien...

Après quoi, il décide de se lever. Il sent qu'il a assez joué avec elle pour le moment, qu'il faudrait que la pression retombe. Mais il ne sait pas y faire. Il ne peut plus s'empêcher d'être odieux. Il est né comme ça, c'est dans son sang. Alors il se tient debout, en présentant son derrière velu à la demoiselle, qui évoque vaguement celui d'un ours, et la toise maintenant de par-dessus son épaule. Et le voilà qui reprend sa tirade, pour la terminer cette fois, avec un agacement profond dans la voix, et toujours autant de méchanceté contente.

Dépêche-toi de faire reluire tout ça. J'ai quelques camarades de jeu qui m'attendent en bas. Ensuite... Peut-être ensuite, oui, toi et moi, nous aurons une petite entrevue, dans un cadre plus intime, si tu me comprends toujours. Après tout, je te juge peut-être trop mal, qui sait. Tu n'as pas d'yeux, tu ne sais pas te taire et plaire à tes clients, mais peut-être qu'une fois qu'on te remet à ta place, tu peux te montrer douce, au fond ? Je suis sûr qu'il y a une gentille fille en toi quelque part, qui saurait dire oui, sans plus la ramener... pour le bien de son ami, ici présent, et qui devrait déjà être ailleurs, je crois...
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MessageSujet: Re: L'Ombilic du bain   L'Ombilic du bain EmptySam 4 Mai 2019 - 18:46
Elle pensait vraiment lui avoir définitivement rabattu son caquet, à celui-là. Elle pensait qu’il allait enfin la fermer et qu’ils pourraient garder un silence religieux plus que bienvenue jusqu’à ce qu’il soit temps de se séparer. Elle pensait qu’il demanderait à ne plus jamais la revoir, ni elle ni son chien et qu’après ce désagréable épisode, ils n’auraient plus à se côtoyer de toute leur vie. En somme, un scénario qui se finissait bien et leur épargnerait bien des peines à venir.
Mais non.
Non parce qu’il fallait qu’elle soit plus bas que terre pour qu’il se sente bien. Il fallait qu’il l’humilie plus encore, qu’il la fasse trembler de peur et la contraigne à s'exécuter, qu’il puisse lui cracher au visage tout ce qu’il ne pouvait pas dire ou faire lorsqu’il endossait son uniforme et qu’elle se tienne bien tranquille jusqu’à ce qu’il décide qu’il en avait fini avec elle. Cédric Gravène n’était pas seulement malappris et sournois, il était aussi mauvais et cruel. Chacun de ses mots transpirait le fiel et était prononcé pour faire peur ou faire mal. Ombeline pouvait se targuer d’être assez robuste pour ne pas s’effondrer en larme à la première remarque, cependant elle n’était pas assez insensible pour résister aux assauts du milicien. Les lèvres pincées et la main fermement serrée autour de la brosse, elle prit très au sérieux la menace que représentait cette ordure pour son compagnon canin et plus généralement pour la tranquillité de son quotidien. Elle n’avait pas, à cet instant, les armes pour rivaliser ou même le terrasser. Elle avait joué toutes ses cartes et s’était défendue, mais les enjeux venaient de changer.
Peut-être que si elle prenait son mal en patience et se contenter de baisser la tête tout se passerait mieux ? Si sa fierté coûtait la vie à Kornog alors le prix était trop élevé pour qu’elle se permette d’en avoir. De toute façon une catin n’a pas besoin de s’encombrer de fierté, pas vrai ?

Ombeline était prête à rendre les armes lorsqu’il se releva pour lui asséner un dernier coup, un coup d’estoc en plein coeur qui failli lui retourner les tripes. Parce qu’il fallait qu’elle le laisse lui passer dessus maintenant ? Lui qui s’était fendu d’une si belle verve à son encontre pour lui rappeler qu’elle était une créature dégoûtante et bonne à rien ? Par les Trois, qu’elle soit damnée si elle acceptait que le sort (ou plus probablement Cédric) s’acharne sur elle à ce point ! Mais la confrontation directe n’était pas une option, elle avait beaucoup trop à y perdre.

D’un sifflement bref, elle rappela Kornog à ses pieds et le conduisit à l’entrée de la pièce. Il quitterait les lieux, si c’était ce que demandait le client, mais elle n’était pas prête à se retrouver sans la moindre protection face à un type prêt à la menacer de la sorte. Anür seule savait s’il n’était pas capable, sur un coup de tête, d’essayer de la noyer dans le bain. D’un “assis” ferme et volontaire elle posta son gardien dans le couloir avant de revenir en repoussant un peu le battant de la porte dans son dos. Qu’on lui ordonne d’envoyer son chien à l’autre bout de la Balsamine et elle quittait immédiatement les lieux, tant pis pour les ordres de Madame.
À contre-coeur, elle ferma son clapet pour de bon et donna au milicien ce qu’il demandait : une femme douce et silencieuse. Il avait parlé de ses camarades qui l’attendaient en bas et du jeu auquel il comptait s’adonner une bonne partie de la soirée avant de passer à autre chose. Quelques heures durant lesquelles la drôlesse avait intérêt à tout faire pour ne pas passer à la casserole. Aussi tandis qu’elle faisait mousser le savon sous sa brosse tout en passant sur le corps de Cédric, elle réfléchissait au meilleur moyen de ruiner les ambitions de son bourreau sans qu’il se doute du retour de flamme qui l’attendait.

La première partie du plan était d’une simplicité frisant le ridicule : calmer la bête venimeuse en lui offrant la victoire qu’elle espérait tant. Puisqu’il avait lutté pour ce calme, il serait d’autant plus heureux de l’obtenir, n’est-ce pas ? Alors Ombeline s’appliqua à le satisfaire si bien qu’il en oublierait qu’elle l’avait défié. Après avoir frotté la moindre parcelle de sa peau, elle s’employa à le rincer à mains nues en guettant le moindre signe de contentement. Et s’il fallait qu’elle dise oui, elle le faisait en baissant un peu la tête comme honteuse d’avoir tenté de se rebiffer. Et s’il fallait qu’elle se penche, elle posait les genoux à terre. Et s’il fallait qu’elle repasse sur ses cuisses, sur ses épaules ou sur ses pieds, elle le faisait avec application sans paraître se forcer.
Jusqu’à ce qu’il estime être aussi reluisant qu’un sous neuf.

Lorsqu’enfin il fut séché et rhabillé, Ombeline le laissa quitter la pièce en assurant qu’elle descendrait dans un instant. Inutile de se presser car désormais, elle savait ce qui était en son pouvoir pour mettre hors course ce personnage détestable et peut-être même lui faire une petite réputation passagère un peu honteuse. Tout cela sans avoir à se salir les mains.
Après avoir brièvement rangé les affaires de bain et avoir récupéré ses propres vêtements, la sournoise se faufila jusqu’à sa chambre pour y enfiler sa robe, brosser ses cheveux, remettre un peu de carmin sur ses lèvres et s’emparer d’un petit sachet d’herbes très soigneusement dissimulé dans un coffret tout au fond de sa malle.

Avec ça on va voir si tu es toujours aussi vaillant, Gravène. Voilà ce qu’on gagne à chercher querelle à une femme, siffla-t-elle pour elle-même tout en fourrant son précieux trésor dans les plis de sa jupe.

Kornog eut droit à une embrassade et moult caresses pour se faire pardonner le danger auquel il avait été négligemment exposé. Si l’animal n’avait pas conscience de la situation, il appréciait néanmoins cet élan d’affection de la part de sa maîtresse et Ombeline trouva du réconfort dans le joyeux battement de queue de son compagnon. Elle quitta sa chambre en y laissant l’animal qui avait regagné son panier derrière le paravent et rejoignit la salle bondée. L’atmosphère y était joyeuse, égrillarde et animée. On s’esclaffait en se donnant de grandes tapes dans le dos ou sur l’épaule, on sifflait les filles lorsqu’on ne pouvait pas les faire sautiller sur ses genoux pour qu’elles se mettent à glousser comme des jouvencelles, on braillait son désarroi d’avoir perdu sur un lancé de dés avant de commander une nouvelle boisson. L’agitation quotidienne de la Balsamine.
L’aveugle se fraya un chemin jusque derrière le comptoir où Dom servait, toujours avec morgue, les clients qui ne lui laissaient pas une minute de répit. Profitant d’une commande pour la cuisine, elle se proposa de lui prêter main forte et le suivit dans la pièce attenante où mijotait un brouet au fumet plutôt appétissant qui servait de plat de résistance à tous les affamés qui en demandait.

Dom, j’ai un service à te demander. Du genre qui pourrait m’épargner une nuit douloureuse...

La jeune femme s’était lancée de but en blanc tout en disposant trois assiettes vides qui ne tarderaient pas à se remplir. Le vieux bonhomme grogna un encouragement.

Tu vois qui c’est le milicien Gravène ? Oui, celui-là qui est passé tout à l’heure pour le bain. Je voudrais assaisonner un peu ses boissons, avec ça, dit-elle en posant sur la table de cuisine la bourse d’herbes. Une pincée dans chacun de ses verres et couper sa bibine avec ta gnole transparente.

Dom s’arrêta à ses côtés pour prendre le sachet et renifler brièvement. L’hésitation se devinait dans ses gestes.

Et ça va lui faire quoi au maraud ?

Lui donner le tournis et le rendre plus mou qu’un torchon. Je te le jure, Rikni m’en soit témoin, ce n’est pas du poison. Même si l’idée est tentante… S’il te plaît Dom, je t’en prie !

Le maître des cuisines poussa un profond soupir par le nez avant de passer une main derrière la tête de la jeune femme pour lui embrasser le front. Malgré son air peu amène, il était tendre avec les filles de la Balsamine et surtout avec Ombeline qu’il avait vu grandir. Ces années passées ensemble en cuisine, où il lui avait tout appris avant de la voir quitter son giron pour satisfaire les clients, ça ne comptait pas pour du beurre. Des gamins il n’en avait jamais eut alors même s’il avait beaucoup grondé sur elle, impatient et ronchon qu’il était, il la considérait presque comme sa propre petiote.

C’est bon, arrête ton char gamine, t’as gagné. J’vais pas te laisser avec celui-là si tu m’dis que tu le sens pas. Et puis ça vengera aussi Manon, tiens. Aller, grouille-toi d’apporter ça. Et puis y a ton coutilier qui veut te voir aussi, passe lui faire une bise.

La jeune femme aurait bien sauté au cou de son sauveur s’il ne lui avait pas fourré un plateau dans les mains immédiatement avant de la pousser vers la sortie. Si tout se passait bien, elle n’aurait pas à endurer la pénible expérience d’entendre Cédric ahaner entre deux ruades dans son lit. Un sourire de circonstance accroché sur les lèvres, elle regagna la salle pour remettre les commandes entre les mains des marins qui les avaient réclamées avant de se faire orienter par Bérangère vers Ernold, le fameux coutilier dont lui avait parlé Dom. Il ne venait pas nécessairement pour lui demander une nuit mais passait souvent pour faire quelques parties avec ses camarades, si possible avec la compagnie d’Ombeline à ses côtés. Outre leurs échanges plus intimes à l’occasion, la bonne entente qui régnait entre eux était suffisante pour que la jeune femme ne manque jamais une occasion de lui claquer une bise sur la joue.

La chance voulue cependant que ce soir très exactement Ernold soit assis avec deux compères à lui à la même table que Cédric. Manque de place oblige, il fallait se serrer un peu et partager les sièges entre collègues, même lorsqu’on était pas du même groupe de joueur. Et la malvoyante ne s’en rendit compte qu’après avoir enlacé le coutilier, sans marche arrière possible.
Quelle poisse…
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Cédric GravèneMilicien
Cédric Gravène



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MessageSujet: Re: L'Ombilic du bain   L'Ombilic du bain EmptyDim 19 Mai 2019 - 5:04
Enfin, il avait gagné. Dès l'instant où il se tut, il sut. Quelque chose dans l'air avait changé, comme un courant électrique renversé, une tension s'effondrant soudain. La petite prostituée baissa les yeux, du moins ce qu'il lui en restait, ses pâles miroirs presque uniformes, voilés, ses pauvres petites billes atrocement vides, qu'il détestait tant. Et ce fut tout. Tout était joué, la partie remportée. Il en soupira d'aise, sitôt convaincu, encore une fois, de sa victoire. Ensuite il la regarda s'exécuter sans rien dire, diriger son sale cabot puant hors de la pièce, avec une délicatesse triste dans le geste, dans l'attitude, une forme de résolution confinant à la soumission, qui, au contraire de ses pupilles mortes, lui plaisait beaucoup. S'il avait pu dresser le monde entier comme ça, écraser tout l'univers sous sa botte crottée, pour y voir dans ses gestes, pour entendre dans ses cris, le même abandon que chez elle, la même angoisse contraignante, provoquée par lui seul, pour son grand bénéfice, il en aurait jouit de tout son corps, de toute son âme putride. Car Cédric Gravène jouissait par-dessus tout du malheur de tout le monde. Oui, le malheur des autres faisait tout son bonheur à lui...

Et donc, là aussi, il en jouissait. De manière plus modérée, mais tout de même. Il regardait la jeune fille revenir dans la pièce, sans son chien maintenant, sans son défenseur, complètement vulnérable, le visage fermé, la mine assez abattue, et toujours aussi nue, aussi exposée à son regard, à ses fantasmes machiavéliques... Il lui en passait désormais des tonnes à travers la cervelle. D'être parvenu à renvoyer la belle dans les cordes, de l'avoir fichu à terre avec un coup au plexus, en instillant le doute et la peur dans son petit cœur de femme, ça lui foutait la trique, tout simplement, à lui en faire oublier l'obstacle de sa cécité. Alors il aurait bien voulu la prendre tout de suite, ici même, sur le tas, en profiter immédiatement, battre le fer etc... Mais il n'avait pas payé pour ça. Pas encore, pas déjà. Il allait le faire, bientôt, c'était décidé. Il allait l'acheter et lui montrer quelle était sa place, la place de toutes les putains, à quatre pattes, et cuisses ouvertes, au bout d'une laisse en argent, en monnaie sonnante et trébuchante. Et, ce faisant, il allait en jouir, en elle, sans retenue, à s'en faire crever l'engin, à s'en exploser le gland, s'imaginait-il. À la remplir jusqu'à ras bord...

Mais pour le moment, interdiction de toucher. Rien qu'avec les yeux, rien qu'avec la tête, dans l'imaginaire, comme un torrent d'images affreuses. De la boue d'idées, du stupre de sous la terre. D'autant qu'elle avait justement pour mission de le toucher, lui. Il se laissa donc faire avec délectation, cette fois, bien heureux de la voir se démener maintenant en silence, avec application, sans plus se débattre, sans plus la ramener. Il ne lui épargna pas bien sûr non plus son lot de petits commentaires sadiques, en présentant les différentes parties de son corps, jusqu'aux moins salubres. Seulement de quoi l'enfoncer un peu plus encore, en appuyant sur sa patience, pour souligner son impuissance. C'était ce qu'il savait faire de mieux. Une manière à lui de préliminaires, une façon de se chauffer encore plus, en la rabaissant toujours plus près du sol, et bientôt même en-dessous. Toxique jusqu'à la moelle. Et puis, quand tout fut bien fini, quand il était plus reluisant désormais que l'argenterie du duc en personne, il se permit tout de même une claque fugace sur la fesse, puisque cela faisait partie du folklore, après tout, et ne pouvait pas vraiment se monnayer, juste avant qu'elle ne s'empresse de débarrasser le plancher, tandis que lui s'occupait tout seul de se rhabiller.

Seulement, au moment où elle franchissait la porte pour disparaître, il conclu, assez fort pour être sûr d'atteindre sa cible :

On se retrouve très bientôt, ma petite chérie. Je n'aurais même pas le temps de te manquer, tu verras...

Ensuite, elle disparu bel et bien, et lui se trouva momentanément seul, pour finir d'enfiler ses frusques, avant de détaler à son tour. La solitude n'était pas son élément. Pas vraiment du genre, le bonhomme, à aimer se retrouver longtemps en face à face avec lui-même, le doute étant si vite arrivé, et comme il ne vous lâche plus après... On ne s'en méfie jamais assez. Même une ordure comme lui aurait pu peut-être entrapercevoir quelque chose comme l'aube d'une remise en cause, à force de s’appesantir en pensées sur les fondements de sa petite personne, après tout... C'était beaucoup trop risqué. Ça démarre comme ça, avec une petite pensée négative, "je ne suis pas celui ou celle qu'il faut", par exemple, et on tire sur le fil, et puis ça se déroule tout seul, on n'arrête plus la bobine. D'un seul coup, c'est le monde entier qui devient sombre et hostile. On s'emmêle et on étouffe dans le pessimisme, ça devient vite un mode de vie presque, un moule oppressant pour la pensée, un biais unilatéral et fatal. Un piège redoutable et définitif... Il valait mieux fuir tout de suite, il avait bien raison, d'obéir comme ça à son instinct de préservation morale. Alors cours Cédric, cours. Vas-t-en loin de ton reflet. Il n'est vraiment pas beau à voir...

Ainsi, par instinct, il rejoignit au plus vite la grande salle, d'abord, en passant par le comptoir pour annoncer son souhait de réserver Ombeline pour lui et pour plus tard, ce qui fut noté, et puis vers une salle annexe, en re-re-traversant la foule toujours aussi dense, compacte, déchaînée, et surtout ivre et chancelante, à moitié chantonnante de plaisir. Lui-même se sentait déjà pressé maintenant de rejoindre cet état, de s'approcher d'un degré de joie similaire, de fusionner en quelque sorte avec cette atmosphère vibrante, via le truchement artificiel d'une boisson bien fermentée jetée au fond du gosier. Dans cette annexe, donc réservée aux joueurs, assez vaste tout de même, pas vraiment séparée du reste de la salle principale, avec seulement une marche pour les délimiter, il retrouva tout de suite un paquet de visages familiers. Que des habitués, comme lui, ou presque, et beaucoup, beaucoup de miliciens, tous très gais, actuellement, très heureux d'être réunis pour gaspiller tant que possible leur petite solde, et de la manière la plus efficace qui soit, mais pas pour rien non plus. Le frisson du jeu n'a qu'un égal, c'est celui du danger, car c'est celui qu'il simule. Et comme le philosophe disait, l'homme véritable n'aime que deux choses, le danger et le jeu. Et c'est aussi pourquoi il désire tant la femme, car elle est le plus dangereux des jouets. Mais le philosophe racontait pas mal de bêtises également, disons-le tout de suite...

Finalement, au milieu de la cohue des joueurs attablés, ou revenant s'asseoir avec leur consommation en main, serrés comme des faisceaux de poireaux, Cédric retrouva assez vite ses propres amis, ses gentils partenaires du dimanche soir. Ils étaient trois, tous miliciens comme lui, tous assez salopards sur les bords, et partageaient leur table avec un autre groupe de trois autres miliciens, qu'il n'avait jamais fréquenté que de loin, du bout des yeux, et sans pousser la discussion vraiment au-delà des quelques banalités polies qui suivent ordinairement un salut. Petit manège nécessaire à la coexistence pacifique en société, mais vite usant à force de le multiplier. Mais, fatigué ou pas, encore une fois, il remit le couvert, avec quelques courbettes rapides, des amabilités normales, cette horreur de sourire forcé, serrant les mains de tout le monde. L'un d'entre eux était d'ailleurs coutilier, à sa connaissance, et devait se nommer quelque chose comme Arnold, ou Ornold, il ne savait plus bien... Et s'en fichait comme de sa première pucelle, au fond, mais le grade du gredin l'obligeait à une certaine déférence, néanmoins. Bref, il passa vite à côté, et se concentra sur son affaire. Qui, très vite, ne s'engagea pas mal, d'ailleurs. Décidément, jusqu'ici, la soirée était toute bonne pour lui. Après avoir écrasé une donzelle, à présent, il écrasait ses camarades aux cartes, en leur piquant pas mal de blé dans l'opération...

Les choses recommencèrent à se corser après un petit quart d'heure, quand il eut la surprise étrange de voir débarquer la donzelle en question, passablement ragaillardie, filer entre les tables pour venir droit dans leur direction, mais finalement atterrir dans le giron de ce cher Anrold machin. Arrivée là, elle passa les bras autour de son cou et sembla parée à démarrer un genre de numéro à base de minauderies stupides, d'après Cédric. Sans doute un de ces tours classiques d'entraîneuse, et ça lui foutait un peu le bourdon de voir que la petite c'était vite remise de leur entrevue, au point de reprendre aussi rapiment, et l'air de rien, son manège ordinaire de prostituée. Pour ce qui était du reste, pour cette sorte de tendresse qu'elle affectait à l'égard du coutilier, ça lui en touchait une sans faire bouger l'autre. Il n'allait pas s'imaginer qu'elle lui appartenait juste parce qu'il l'avait rabroué tout à l'heure, et puis acheté pour plus tard. Il savait encore faire la part des choses, et surtout traiter les putains en putains, comme les femmes de tout le monde, et donc les femmes à personne. Elles n'étaient pour lui capables que de comédie, de simulacres d'existence, que des cœurs en plastique, de pâles imitations d'êtres humains, pas des créatures dont il fallait se soucier, en somme. Les femmes en général, de toute façon, ne volaient pas bien haut dans son estime, alors les putains...

Comme Cédric se trouvait pratiquement en face du petit couple, à peine de biais, il pouvait sans mal accrocher le regard, bien entier celui-ci, du coutilier trucmuche, et ce fut donc ce qu'il fit, histoire tout de même de marquer un peu son territoire, comme un chien qui s'évertue par principe à pisser partout où d'autres chiens sont déjà passés, tout en sachant la démarche foncièrement dérisoire. Et donc il commenta, en s'adressant directement au type, à un moment où leurs yeux se croisaient presque :

Elle a vraiment des doigts de fée, la petite Ombeline, n'est-ce pas ? Si les bains sont votre plaisir, comme moi, je vous la recommande pour une séance de décrassage à mains nues, partout, partout... Un vrai régal. J'en sors tout juste ! Je me sens presque neuf ! Et vous l'avez essayé, autrement ? Je veux dire, dans un lit, est-ce qu'elle s'en tire ? Dans tous les cas, je le saurais bientôt, l'affaire est arrangée, c'est même vu avec la patronne, c'est pour cette nuit, alors...

Tout ça pour bien faire entendre à la brunette qu'elle était fichue, pour lui rappeler directement qu'elle allait passer à la casserole, quoiqu'elle en pense, et qu'il ne lui ferait aucun cadeau, ce faisant, en lui passant dessus, il comptait bien l'aplatir de tout son poids, de toutes ses forces, heureusement relatives... Mais d'abord, il avait soif, et c'était une bonne excuse pour finir de saboter son moment de grâce, en compagnie de son coutilier chéri.

Au fait, il me semblait avoir commandé de la bière, pour moi et mes camarades infortunés. Est-ce qu'il n'y aurait pas une fille d'assez désœuvrée dans le coin, de suffisamment disponible et dégourdie pour vouloir satisfaire la soif d'un client régulier et bon payeur ? Non ?

L'allusion était largement assez claire à son avis. Et il s'attendait à ce qu'Ombeline déguerpisse illico presto pour revenir en vitesse avec sa commande, et plutôt deux fois qu'une.

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