Marbrume


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 Le froid est pour moi... [Morion] [Terminé]

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Yseult de Traquemont



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MessageSujet: Le froid est pour moi... [Morion] [Terminé]   Le froid est pour moi... [Morion] [Terminé] EmptySam 19 Déc 2015 - 21:19

Musique d'ambiance


Le froid est pour moi... [Morion] [Terminé] Sans_t10


« Alors il marcha sans peur au-devant des armées iniques. Il ne craignait ni le cruel ni le faux et son cœur brûlait du feu des justes ; il se savait aimé des Dieux et les aimait en retour, si bien que nul ne pouvait se tenir devant lui sans encourir le courroux de la Trinité... »

Je refermais l'ouvrage enluminé avec un discret soupir. Le claquement sec d'une masse de pages heurtant l'autre résonna entre les alcôves, marquant la déception frustrée qui m'envahissait. Des histoires et des contes, voilà tout ce que j'arrive à trouver dans ces tomes poussiéreux... Je posai un coude sur la surface de roche froide et appuyai le front contre ma paume, gagnée par un sentiment de futilité.
Cela faisait plusieurs jours que je venais à Marbrume, délaissant Traquemont dès l'aurore pour n'y revenir qu'au crépuscule, mettant à profit les heures de la journée à chercher des réponses au lieu de combattre la Fange. Des réponses... il ne semblait y en avoir aucune.

D'où venaient ces abominations ? Que voulaient-elles ? Si elles étaient le résultat d'un châtiment de l'homme par les Dieux, alors il devait bien exister, quelque part, une mention à leur sujet ou à celui de quelque semblable menace dont l'humanité avait par le passé été affligée !

Mais je ne trouve rien... rien du tout... Rien que des fables pour gamins, bonnes à faire rêver ! Il y a longtemps que mes songes ont viré au cauchemar, et ce n'est pas une poignée de morales qui va y changer grand-chose. Ni à ça, ni au destin des miens.
Je n'aime pas la Cité Franche. Je n'aime pas son Duc, Sigfroi de Sylvrur. En fait, il n'y a pas grand-chose que j'aime encore en ce bas-monde ; mais je me battrai pour eux. Pour ses habitants, ses citoyens. C'est mon devoir sous bien des aspects...

Châtelaine de mon rang, je préserve ceux qui servent ma maison et les seigneurs auxquels je fais allégeance. Femme de la noblesse, je prends sur moi d'épargner au peuple le sort que la Fange lui réserve. Et humaine avant tout, j'ai juré qu'il reviendrait, le temps où l'on pouvait parcourir le royaume sans craindre ni le cruel, ni le faux...

« Je ne vous demande pas un signe car j'ai la foi » murmurai-je en fermant les yeux, mes doigts glissés entre mes mèches d'or pâle. « Tout ce que je souhaite, c'est... une arme pour me battre... »

Des mois que nous luttions. Des mois à écumer les marais, à traquer les morts-vivants. Nous, les austères guerriers de Traquemont, faisions davantage figure d'ombres que d'êtres humains tant notre tâche finissait par déteindre sur nous. Je le voyais bien au fil des jours... Les traits de mes hommes se creusaient, ils s'émaciaient bien que nous ne manquions pas de gibier ; leurs prunelles se faisaient ternes et leur sourire ressemblait au mien... sans joie aucune. Nous payions le prix de cette résistance davantage que n'importe qui d'autre - personne n'aurait pu me contredire sans être naïf ou malhonnête. Mais ce n'était pas ce que je regrettais. Non...

Mes regrets venaient plutôt du fait que nous n'étions pas assez forts.

Pas assez nombreux, pas assez informés. A ma façon j'avais pallié à notre première faiblesse en faisant instamment appel au secours du Duc et de tout volontaire de Marbrume, ainsi qu'aux résidents des alentours de la cité ; certains répondaient parfois, et c'était suffisant pour que nous ne courrions pas à notre perte. Quant à la seconde...
J'échouais encore.

Aucun érudit, aucun prêtre n'avait pu me renseigner sur les Fangeux. J'en avais alors été réduite à m'abîmer dans les textes saints, puis dans les apocryphes et jusqu'aux moindres élucubrations mystiques enregistrées par le Temple, au point que mon regard se trouble et que je ne parvienne même plus à déchiffrer une ligne ; et toujours rien... Rien qui n'indique d'où ils venaient, ce qu'ils voulaient réellement sinon notre extinction, et comment en venir finalement à bout.

Mes paupières se relevèrent avec douceur tandis que je refermais mes doigts sur mon baudrier, en équilibre contre l'autel dont le pied me servait de pupitre. Avec une rare délicatesse, j'en dénudais le fil clair et acéré. L'acier me renvoya le reflet de mes yeux, aussi glacés et limpides que le ciel des montagnes où j'étais née, au cœur de l'hiver. J'aurais souhaité voir la mer au moins une fois dans ma vie, vous savez ? Elle avait toujours eu pour moi un attrait... si mystérieux, si attirant. Néanmoins, avec ce combat qui est le mien, je n'ai pas une seule journée à perdre en vains caprices.

Et je sais que je ne gagnerai pas la guerre que je mène : je ne verrai jamais l'océan. Un sourire résigné étira mes lèvres, avant que je n'embrasse le métal de mon arme estampillée d'un sinistre corbeau.
Au-dessus de moi, une Rikni malicieuse me couvait de son regard de pierre.


Dernière édition par Yseult de Traquemont le Ven 8 Jan 2016 - 15:28, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Le froid est pour moi... [Morion] [Terminé]   Le froid est pour moi... [Morion] [Terminé] EmptyDim 20 Déc 2015 - 15:17
Trois jours infernaux. Il n’était vraiment pas du genre de Morion de se montrer pessimiste, mais là, tout devenait difficile. Tout. Et rien n’indiquait que cela s’améliorerait dans un futur proche. Trois jours d’assauts continus au domaine. Normalement ils n’étaient pas aussi hardis. Il y avait encore eu des victimes, évidemment. Nombreuses, dont il avait fallu profaner les corps pour les empêcher de devenir comme leurs bourreaux. Et souvent, très souvent même, le seigneur du domaine, Morion de Ventfroid, prenait sur lui de risquer sa vie pour rentrer à Marbrume fouiller la bibliothèque familiale. Il espérait, bien que sa conviction s’étiolât de jour en jour, qu’il trouverait quelque chose, un indice, un simple mot, pouvant l’aider à définir concrètement ce fléau et ses origines. Mais les ouvrages étaient si nombreux. Certains, les plus vieux surtout, rédigés dans des patois que Morion peinait à déchiffrer. D’autres avaient si mal vécu que l’encre était devenu illisible. Et certains, trop volumineux. Si le jeune Comte admirait le travail d’archivage de sa famille, il le désespérait aujourd’hui, à l’aube de l’apocalypse.

Il retournait alors au domaine, risquant une nouvelle fois de ne pas y arriver. Bredouille. Et se concentrant sur la défense des réfugiés logés à son enseigne. Sur le nettoyage des bois et marais environnants. L’approvisionnement en ressources, alimentaires ou non. Tout ceci le frustrait terriblement. A côté de ça, tout stagnait intra-muros. On se réfugiait derrière d’épais murs, et surtout, on fermait les yeux. On ne voulait pas voir les ombres grouillant sous le couvert des arbres, sortant, affamées, à la nuit tombée. On se bouchait les oreilles pour ne pas entendre les cris des pauvres âmes surprises à l’extérieur de l’enceinte protectrice. On tournait le dos au monde, à la réalité, et on priait chaque dieu, chaque jour, de les soulager de ce fardeau. Pour Morion, ce comportement suffisait largement à provoquer la colère des dieux, et donc à les pousser à alourdir la sentence. Mais le bon sens semblait s’être envolé en même temps que beaucoup d’autres choses, quand les fangeux étaient apparus.

Je vous jure que j’aurai votre peau, stupides engeances.


Il était rentré depuis à peine quelques minutes quand il ressortit. Pas changé, pas coiffé, il s’en fichait. Aucune réception de prévue, de toute façon. Il avait simplement lâché quelques ordres secs. Cela faisait quelques temps qu’il n’avait pas prié. Pour de vrai, pas simplement dans un coin de sa chambre ou de son bureau. Le temps avait certes manqué, il fallait le reconnaître, mais il estimait que c’était devenu nécessaire. Sa lignée avait toujours revendiqué fièrement son affiliation à Rikni, et si une déesse pouvait l’éclairer en ce moment sur ces temps troublés et ces êtres abominables et cauchemardesques, c’était bien celle qui commandait à l’obscurité et aux cauchemars.

Il avait encore des blessures fraîches, sous son armure toute cabossée, qu’il n’avait dissimulée que d’un simple manteau de laine épaisse, sombre. De bonne facture, mais d’une grande simplicité. Il n’avait jamais été dans son esprit de parader enrubanné dans des étoffes criardes et hors de prix. Le fonctionnel avant tout.

Et c’est ainsi, en donnant l’impression de rentrer de la guerre - ce qui n’était pas totalement faux - qu’il entra dans le temple. Il n’était pas venu les mains vides. L’épée d’un de ses chevaliers, encore ensanglantée, et un petit morceau d’ivoire courbe, crochu, servaient d’offrandes. La première était facilement identifiable, mais le second… Il s’agissait de ces étranges dents que possédaient certaines de ces engeances, semblables à celles d’un serpent, mais bien plus longues, bien plus meurtrières. Il l’avait extrait de la gorge d’une des victimes des derniers assauts. La victime était également celle qui lui avait fourni l’épée qu’il cédait aujourd’hui.

Plongé dans ses pensées, il ne vit l’autre personne présente, près de l’autel, que lorsqu’elle fut sous son nez, à quelques pas seulement. de lui. Le visage figé, légèrement surpris, il resta bloqué quelques secondes ainsi, avant de reprendre ses esprits.

«Mes excuses, je ne vous avais pas vu. Magnifique épée.»

Il eut l’esquisse d’un sourire, pâle et dénué de conviction, et la contourna après un signe de la tête respectueux pour venir déposer ses offrandes aux pieds de la statue. Sa prière ne fut qu’un murmure, un souffle doux et froid.

«Accepte le bras d’acier de celui qui se bat en ton nom. Accepte l’arme de son assassin, preuve d’une victoire payée au prix du sang. Je nourris ton coeur Rikni, je le nourris du sang félon, mais ta soif est insatiable, et nous sommes trop peu nombreux. Marbrume sera sûrement le tombeau des Ventfroid, mais donne moi simplement la force de me battre en ton nom jusqu’à la toute fin.»

Morion se signa, puis se releva. Il n’avait pas ressenti un tel tourment en lui depuis des années, de très nombreuses années. Froid, calculateur et méthodique, ça n’était pas supposé être son genre. Et pourtant… Ces trois jours avaient été rudes, c’est tout. C’est ce qu’il fallait se dire. Il posa la main sur le pommeau de son épée attachée à la ceinture, pour se rassurer.

«Chercher à se placer sous l’égide de celle qui commande aux cauchemars. Alors que celui qui nous décime nous échappe totalement. Typiquement humain, j’imagine.»

Son ton n’avait rien perdu de sa douceur, mais il en émergeait tout de même des notes amères, cinglantes. D’un côté un manque de ressources humaines, de l’autre un manque de connaissances. Louvoyer entre tant d’inconnues et de contraintes pouvaient rendre fous ceux qui n’avaient pas des nerfs d’acier.

«Excusez-moi, je manque à tout principe. Comte Morion de Ventfroid. Aurai-je l’insigne honneur de savoir qui vous êtes ?»
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MessageSujet: Re: Le froid est pour moi... [Morion] [Terminé]   Le froid est pour moi... [Morion] [Terminé] EmptyMer 23 Déc 2015 - 9:18
Spoiler:

Un sobre « Merci » fit écho au commentaire de l'homme au sujet de ma lame. C'est vrai qu'on pouvait la trouver belle, pour qui aimait les choses nées afin de donner la mort ; un peu plus longue qu'elle n'aurait dû l'être, parfaitement acérée et façonnée dans un acier pâle dont je prenais soin qu'il ne soit pas terni. Un coup d’œil vers l'auteur de ces mots me fit découvrir la silhouette efflanquée de quelque rescapé de retour des sentiers familiers de la guerre - or je savais qu'il ne restait guère que les Fangeux à combattre aujourd'hui.

« ...nous sommes trop peu nombreux. Marbrume sera sûrement le tombeau des Ventfroid, mais donne moi simplement la force de me battre en ton nom jusqu’à la toute fin. »

C'était une belle prière. Je l'entendis sans avoir cherché à l'espionner, car sa justesse dépouillée de la fausse piété qu'on peut parfois surprendre chez ceux venant implorer en ces murs saints trouva un écho sincère en mon cœur - il s'y trouvait une semblable ferveur. Dans les tréfonds de mon être, il ne me fallut qu'une seconde pour remarquer avec calme que l'homme et moi demandions la même chose à la déesse : non pas qu'elle nous apporte la victoire... mais qu'elle nous donne une chance de l'obtenir de notre propre poigne ensanglantée.

Je reconnu le croc qu'il céda comme offrande pour en avoir déjà vus de tels dans la mâchoire de Fangeux qui semblaient déchus parmi tous les autres ; et l'épée qui l'accompagna paraissait avoir été obtenue de la même engeance. Il m'était déjà arrivé d'avoir à abattre une de ces abominations portant les armoiries de mes gens ; je pouvais comprendre l'amertume dans sa voix.

« Comte Morion de Ventfroid. »

Peut-être que la hiérarchie de la noblesse n'avait plus guère cours à Marbrume, mais j'y attachais encore un respect formel. Ventfroid... je connais ce nom. Les cours d'héraldique dispensés par mes parents n'étaient pas tombés dans l'oreille d'une sourde et je le détaillai des pieds à la tête.

« Je suis la châtelaine Yseult de Traquemont, mon seigneur. »

De sa lignée, j'avais retenu qu'on les soupçonnait d'avoir porté plus souvent qu'à leur tour la dague que l'épée, et qu'ils se posaient parfois en juges et bourreaux de leurs pairs. Si mon paternel ne s'était guère épanché à leur sujet, je me rappelais qu'en certaines leçons ma mère avait tantôt froncé les sourcils, tantôt mordu sa lèvre à leur évocation. Pour qui ne la connaissait pas, de tels détails étaient insignifiants ; moi, j'y avais lu la marque d'une profonde appréhension et d'une méfiance toute aussi prononcée.
Me présenter ainsi n'était guère exact, me surpris-je à songer. Ma lignée était celle de Corbeval et par mariage, des Noirsjardins ; Traquemont n'était jamais que la façon dont mon repaire avait été baptisé par les citoyens du Duché.

C'est avec la douceur soyeuse d'une lame de rasoir que je rhabillais mon épée, en ceignant le baudrier à ma taille. L'idole massive nous toisait de toute sa hauteur, son faciès figé sur une expression de rouerie.

« Je vois une belle logique dans la recherche des faveurs de Rikni, comte. Pour une fois, je souhaiterais que ce soit mon ennemi qui fasse de mauvais rêves ; et je voudrais en être le visage, le dernier qu'il verra jamais. » Il y avait, dans ma voix, une sombre conviction. « Anür m'accueillera comme elle a accueilli ceux qui m'ont précédée, alors que Serus veille sur ceux des nôtres qui, sûrement avec sagesse, se tiennent à l'écart des champs de bataille que sont devenus les marais. Mais il n'y a que ma dame pour réellement avoir mes faveurs » confiai-je en désignant la sculpture d'un geste de la main, « car ce sont les siennes qui me tiennent le plus à cœur. »

Je me tournai tout à fait vers mon interlocuteur, posant les doigts sur la reliure fatiguée de l'ouvrage dont j'avais abandonné la lecture.

« Certains disent que nous sommes mis à l'épreuve par la Fange. J'étais venue ici en quête de réponses, mais il semble que je n'en trouverait aucune dans les livres du Temple. » Un sourire étira mes lèvres ; il aurait pu les éclairer s'il avait été porteur d'une once de joie, ce qui n'était pas le cas. « Je suis en train de songer que, peut-être, j'aurais dû venir ici avant afin de rendre hommage aux morts ainsi que vous l'avez fait. Je crois qu'ils le méritent bien. »

Oh que oui. Je me retins d'ajouter à haute voix ce que je pensais avec fermeté : que nous, les nobles qui menions nos gens au combat, étions les meurtriers de ceux-là mêmes pour qui nous pleurions. Tous ceux qui avaient été fauchés sous mon commandement, voyaient-ils d'un bon œil que je sois celle qui confie leur âme à la Trinité ? Après tout, ils seraient en droit de m'accuser de leur trépas.
Un éclair de dérision mélancolique passa au travers de mes yeux, lesquels s'égarèrent un moment sur le parvis glacé de l'endroit. Je sentais déjà venir les doutes et questionnements qu'il m'arrivait de plus en plus souvent d'éprouver, et me fis la fugace réflexion qu'il était injuste d'en être assaillie dans le dernier sanctuaire de ma foi.
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MessageSujet: Re: Le froid est pour moi... [Morion] [Terminé]   Le froid est pour moi... [Morion] [Terminé] EmptyMer 23 Déc 2015 - 14:19
Trop étourdi par les récents événements et peu enclin à respecter scrupuleusement l’étiquette pour le moment, il n’accueillit la présentation de la châtelaine que d’un sec hochement de tête. Rares étaient les occasions de voir Morion aussi tourmenté. Tout du moins, il réfléchissait et planifiait en permanence quelque sombre action ou projet, mais le voile de glace qui figeait ses expressions était toujours intact. Aujourd’hui cependant, la fatigue l’avait fendillé, et une colère sourde creusait des brèches au travers de son masque. Ce que l’on pouvait voir derrière, c’était un homme fatigué, et surtout, profondément contrarié, voire en colère.

Le nom de Traquemont ne tomba cependant pas dans l’oreille d’un sourd, malgré son esprit distrait. L’une des rarissimes places fortes en dehors de la ville, qui abritait encore une poche de résistance à l’avancée de la Fange. Par voie de conséquence, Yseult s’était placée d’elle-même dans la catégorie des quelques personnes que Morion respectait. Ceux qui ne se cachaient pas derrière les murs en feignant de ne rien voir à l’extérieur de ceux-ci. Ceux qui risquaient leur vie chaque jour pour que les murs de Marbrume ne soit que peu atteints par les horreurs qui rôdaient dehors.

Un sourire dur étira ses lèvres minces, mais ces pensées restèrent enfermées dans un creux de sa tête. Les compliments ou flatteries étaient totalement superflus.

«De Rikni le coeur, du sang félon nourriras. Troisième et dernière loi de la lignée Ventfroid. Bien qu’elle fut avec justesse invoquée de nombreuses fois, il n’y eut jamais de situation plus appropriée pour me montrer fidèle à ce serment, je crois. Les yeux braqués sur la statue, son regard se fit dur, ses sourcils se rapprochèrent, creusant une fosse dure entre ses deux prunelles. Les cauchemars sont un don, ou une malédiction diront certains, façonnés de la main de Rikni, et envoyés à ceux qui le méritent. Par sanction, par divination, peu importe. Aussi terrifiant que puisse être un cauchemar, il est d’origine divine selon les écrits. Et je souhaite que ces Fangeux n’aient jamais aucune espèce de lien avec le divin. Qu’ils ne rêvent pas. Rêver c’est une marque de l’âme. Ils n’en ont plus aucune, depuis longtemps.»

Un rictus de dégoût, léger mais visible, vint durcir ces traits. Il ne pourrait tolérer aucune association entre des Fangeux et des humains. Même les pires engeances humaines avaient tout de même eu le droit d’exister grâce à la faveur de la Trinité. Cependant, il était absolument inconcevable pour Morion que ces sales bêtes rôdant dehors puissent avoir la même origine.

Il était amer, oui.

«Les morts méritent mon respect, pas des hommages. Ils sont morts en connaissance de cause. Et pour beaucoup d’entre eux, il n’y eut de plus grand hommage que de les empêcher de se relever. Mes offrandes sont là pour rappeler à Rikni que je la sers toujours, peu importe mes victoires, il désigna le croc sale posé aux pieds de l’idole, ou mes échecs, dit-il en pointant cette fois l’épée d’un signe de tête. La colère gronde à chaque fois qu’un des miens tombe, mais jamais la compassion. Je refuse qu’elle devienne un frein la prochaine fois que j’aurai à pourfendre un fangeux portant mes armoiries. Je me trahirais, et trahirais ceux qui sont tombés.»

La dureté d’un blizzard. D’ordinaire et malgré les ragots, Morion était un homme à la voix d’une douceur improbable, profonde, caressante. Là elle sifflait, en écho à la statue reptilienne.

Une lueur laconique réussit à percer l’adamant furieux de ses yeux quand il se retourna vers la châtelaine.

«L’improbabilité d’une origine divine aurait du vous pousser à chercher ailleurs, châtelaine. S’ils sont enrichissants et plein de détails méconnus sur l’histoire de notre monde, ils ne sont pas objectifs. Vous avez du le constater en les lisant, j’imagine. Tenez, venez avec moi. Je vais vous donner quelques preuves.»


Ce n’était pas un ordre, juste une invitation. Nombre d’ouvrages stockés ici étaient… comment dire. Beaux, possédant l’aura mystique des interventions divines sur terre et non par simple vision, contant des récits épiques où le héros de guerre avait été touché par la grâce des dieux. Pour un certain nombre d’entre eux, l’histoire était belle, mais les faits beaucoup moins glorieux.

«Puisque nous ne pouvons voyager, les ouvrages sont tout ce qu’il nous reste. Alors, si cela vous dit, je pourrai vous aider. Le Royaume de Langres est vaste, et les livres rédigés par les prêtres ou historiens mettent en lumière l’histoire de ce monde. Je pourrai vous montrer ce qu’il en est pour l’ombre du royaume, si vous le voulez.»

En effet, pour bien des gens, et la famille concernée acceptant totalement cette comparaison, les Ventfroid avaient toujours été l’ombre du royaume. On les voyait peu, ils étaient silencieux, et pourtant, leur menace pesait toujours. Mais point de malveillance ou de velléités maléfiques dans leurs actes. Bien au contraire, leur seul objectif a été et sera toujours de préserver les valeurs royales, et nécessairement, les valeurs divines. A leur manière.

Ce que Morion tut en emmenant Yseult vers la bibliothèque du temple, c’est qu’il avait éventuellement un ou deux autres sujets dont il voulait l’entretenir. Beaucoup critiquaient sous cape et à mots couverts la désorganisation des forces, qu’elles soient intra ou extra muros. Chanceux de rencontrer ici une lutteuse réputée dans cette guerre sans issue, le Comte sentait qu’une alliance militaire serait un début très positif pour une centralisation éventuelle des ressources, et surtout, une voie d’accès vers une lutte un iota plus équitable contre ces monstres.
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MessageSujet: Re: Le froid est pour moi... [Morion] [Terminé]   Le froid est pour moi... [Morion] [Terminé] EmptySam 26 Déc 2015 - 14:34
Il refuse l'humanité passée des Fangeux.

Il la refusait, avec ce que je ressentais confusément comme un mélange de colère et de désespoir. Ses mots étaient aussi sincères qu'ils pouvaient être justes : ils étaient même la vérité... sa vérité. Je me surpris à songer que c'était l'absence de compassion qui, pour moi, serait ressentie comme de la traîtrise envers ceux qui jadis furent humains.
Oh, n'allez pas croire que parce que j'avais, dans les tréfonds de mon être, quelque élan de commisération je me laissais aller à les écouter ; ce n'était pas le cas. Cependant, ne plus les éprouver... serait oublier que la Fange est le destin qui nous attend tous si nous n'y prenons pas garde.

Si nul ne brûle votre corps froid, comte, vous serez un Fangeux vous aussi...

Ces paroles, toutefois, je ne pouvais les lui énoncer.

« Tenez, venez avec moi. Je vais vous donner quelques preuves. »

Une offre, une proposition tendue ainsi qu'une main pourrait l'être. Je ne répondis pas immédiatement, percevant qu'il n'en avait pas fini ; et tandis qu'il concluait, j'observais cette paume abstraite du Ventfroid, attendant que la mienne vienne s'y adjoindre.

« Le Royaume de Langres est vaste, et les livres rédigés par les prêtres ou historiens mettent en lumière l’histoire de ce monde. Je pourrai vous montrer ce qu’il en est pour l’ombre du royaume, si vous le voulez. »

Evidemment.

Regardez au fond de l'abysse, et l'abysse vous regardera en retour ; j'ignore d'où je tenais ces mots mais ils décrivaient avec une rare justesse cette sensation dont j'étais alors la proie. La sensation de me tenir au bord de quelque abîme dans les ténèbres duquel Morion se proposait de m'emmener... et j'en percevais, sous son invitation, toute l'improbable profondeur.
J'avais toujours marché dans la lumière du royaume. Je m'étais toujours conformée aux principes nobles de la hiérarchie, donnant sans hésiter mon zèle froid aux sphères supérieures à la mienne et accomplissant mon devoir avec la régularité mécanique d'une horloge bien réglée. Je m'étais faite exemplaire car c'était par l'exemple que je menais...

Ce n'était pas le cas des Ventfroid.

Le silence qui était tombé suite à ses paroles s'épaissit tandis que je me refusais encore à le rompre. Que dissimulait ce qu'il venait d'avancer ? Cette main tendue n'était-elle pas le reflet déformé d'une autre qu'il conservait dans son dos ?
C'était de l'aide qu'il me présentait. Et qu'attendait-il en retour ? Une aide semblable, franche et équitable ? Ou un ascendant sur moi afin de m'utiliser à des desseins futurs ? Ma méfiance n'était pas exagérée en ce que je savais de quelle maison il était le maître. Nous venions de deux antipodes et dire que nous nous rencontrions aujourd'hui à la frontière floue du clair-obscur entre le jour et la nuit n'aurait pas été une vaine image.

Mais j'allais accepter, bien sûr. C'était le seul choix qui s'imposait, celui pour lequel opterait un chef de guerre.
Soit le comte se voulait être un allié sincère et repousser son offre aurait été un irresponsable gâchis ; soit il avait quelque arrière-pensée malhonnête et serait mon adversaire dans les temps à venir, et dans ce cas... Connais ton ennemi. M'aventurer dans la nuit où il avait toujours vécu serait source d'essentielles informations à son sujet.

C'est avec un imperceptible acquiescement que je lui emboîtai le pas, relevant qu'il prenait derechef la direction de la bibliothèque du Temple. Je m'en étonnai d'abord ; ne venait-il pas de dire que le clergé n'avait pas les réponses à mes questions ? Mais l'aristocrate savait ce qu'il faisait, et je remisai dans un coin de ma tête cette interrogation.
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MessageSujet: Re: Le froid est pour moi... [Morion] [Terminé]   Le froid est pour moi... [Morion] [Terminé] EmptyMer 30 Déc 2015 - 16:56
Le secret. Il s’agit d’une arme parmi les plus redoutables. Le savoir, en fait, est une arme. En garder les tenants et aboutissants, cela vous place dans une position de force que vos adversaires ne découvrent qu’une fois le voile levé. Ainsi, stratégiquement, vous disposez non seulement de quelques coups d’avance sur vos ennemis, mais en plus de ça, l’effet de surprise est garanti. Cette arme est en revanche à double tranchant. Car en manoeuvrant avec habileté, une ou plusieurs personnes peuvent découvrir les secrets que vous gardez. Stratégiquement, toujours, cela signifie que finalement, vous disposez non seulement d’informations partagées, voire erronées, mais qu’en plus de cela, l’effet de surprise est annulé. Pire, l’ennemi sait ce quel coup vous allez jouer. Tout l’art du secret réside donc dans le dosage que vous pratiquez dans la distillation des informations et du savoir que vous possédez, et des cibles légataires des connaissances ainsi transmises. Au sein de la Maison Ventfroid, c’est au delà de l’art que cette pratique a été élevée. Il s’agit chez eux d’une seconde nature, pratiquement un réflexe moteur aussi inconscient et automatique que les battements du coeur ou la respiration.

A cette époque, ou les querelles ne sont plus aussi capitales et dangereuses qu’auparavant, quand la royauté avait encore les pleins pouvoir et la main mise sur tout le royaume, les secrets pouvaient parfois être révélés sans craindre de conséquences dramatiques. Notamment quand elles concernaient l’Histoire, et des époques depuis bien longtemps révolues.

Morion en avait parfaitement conscience. Le danger que représentait l’immense journal de sa généalogie, précieusement gardé au Manoir de l’Esplanade, n’était plus aussi effrayant qu’il put l’être quelques années auparavant. Bien évidemment, entre de mauvaises mains, mettons, au hasard, des mains ducales, ces épais et antiques volumes pouvaient représenter par bien des aspects un moyen certain de forcer l’extinction de sa lignée, et la destruction systématique de toutes les générations portant en soi la moindre goutte de sang Ventfroid.

Aujourd’hui, c’était différent. Il connaissait, de réputation - il ne rencontrait leur représentant qu’aujourd’hui, sans se souvenir de l’avoir aperçu ou que ce soit - les Traquemont, et la ferveur qu’ils montraient à la défense de leur domaine, et de ce fait des populations des faubourgs et de l’intérieur des murs de la cité franche. Ce qu’il allait lui montrer pourrait, au pire, provoquer un intense dégoût et un mépris profond de sa personne et de sa famille. Il s’en moquait. C’était l’héritage que le Roi et les Dieux leur avaient confié, eux les habitants du nord, garants des valeurs profondes du royaumes. Ils avaient accepté depuis bien longtemps d’être la cible de la haine, des diffamations colportées à tort et à travers, des superstitions les plus étranges… La trinité leur avait fait ce présent, et depuis plus d’un millénaire ils l’entretenaient et le chérissaient. Dans le secret.

Beaucoup d’ouvrages, sans l’avouer ouvertement, contaient d’historiques faits d’armes où les Ventfroid avaient été partie prenante. Ce qu’il voulait montrer et prouver à Yseult, c’était que ces chers prêtres, ces adorables copistes, prêchant la bonne parole, les bons préceptes, et mettant l’intervention divine à tous les chapitres afin d’enjoliver les récits étaient bien souvent dans le déni, et disposaient la plupart du temps d’informations complètement déformées. La réalité avait cette tendance, assez connue et pourtant que les gens refusaient d’admettre, d’être bien plus cruelle, sanglante, froide et terne que les récits dans lesquels on la dépeignait, comme une idylle ou un conte, un mythe, bien rodé et rappelant aux générations actuelles à quel point dans le passé (et donc pourquoi pas maintenant), les Dieux étaient proches et bienveillants.

La bibliothèque contenait essentiellement des ouvrages qui avaient pu être sauvés par d’autres prêtres, et quelques nobles qui en avaient fait don aux temples. Morion appréciait tout particulièrement cet acte. Que les prêtres, déjà dénués de possessions, pensent en fuyant le Mal à sauver de simple feuillets enrobés de cuir, au péril de leur vie… Connaissant parfaitement le peu d’éducation martiale qui leur était inculqué, c’était à son sens une manifestation certaine de bravoure.

Il entraîna donc la châtelaine dans un rayonnage où la plupart des livres, bien que réécrits par des copistes pieux à en mourir, parlaient d’histoires et de faits bien connus du peuple en général, pour peu que celui-ci aille régulièrement au temple écouter les porte parole des dieux.

Il lui fallut peu de temps, pour trouver le livre qu’il recherchait. Un volume visiblement “réédité”, bien que le terme soit tout à fait anachronique, parlant des premiers temps du Royaume.

«Voyons voir… Cela fait du bien de l’avoir sous les yeux en langue actuelle, le patois de l’époque, surtout celui des habitants du Nord, est parfaitement incompréhensible. Il me faut plusieurs heures pour déchiffrer une seule page.»

Ce fait n’avait absolument aucune valeur en soi. Il farfouilla quelques secondes dans les pages, et finit par retrouver le passage qu’il cherchait.

«Ecoutez ça. La date n’est pas précisée dans l’ouvrage puisqu’il s’agit d’un conte, mais les faits relatés sont, si on omet la patte du narrateur, daté de l’an 130.»

Il prit une brève inspiration et entama la lecture. Il aurait sûrement fait un très bon conteur, sa voix portait bien les mots, avec une douceur et une aisance qui, quand on connaissait l’homme, se voyaient teintés d’une certaine ironie.

«[...] Ainsi fut scellé son destin, et la prophétie réalisée. Car le jour prédit, le jour honni, vint aux portes du palais l’Ombre, dense et furieuse. La malice de Rikni s’insinua partout où la lumière pouvait également pénétrer. Horrible et terrifiante brume sombre, la Malice empoisonna l’air, les murs, et personnes. Il avait souhaité le rêve, et le Cauchemar lui répondit. Les esprits furent mis en pièces par les douloureuses visions profanes envoyées par la Déesse, les corps broyés par sa fureur. Et du haut de son trône, le Tyran, invoquant les Deux autres, impuissant. Car par Trois ils fonctionnent. Indissociables. Nul ne se tourne jamais contre son frère. Et lui, tourné contre ses fils, vit son âme volée par la Malice, son corps mangé par le Cerf, son esprit rejeté par la Grande. [...] La Brume sombre et gorgée du sang des traîtres fut alors rassasiée, et retourna aux sombres confins des royaumes oniriques, d’où l’oeil de la vipère avait assisté, amusé et cruel, à la réalisation de la prophétie.[...]»

Un petit sourire ironique lui étirait les lèvres pendant qu’il lisait. Ces événements, il les connaissait parfaitement. Pour les avoir lus de nombreuses fois en étant enfant, il savait pertinemment de qui le livre parlait. Alors il referma le livre, et observa la châtelaine d’un oeil malicieux.

«Ce genre de passage n’est pas rare, voyez-vous. Dans beaucoup d’ouvrages, c’est même assez courant. Vous vous doutez bien de la suite. Un preux chevalier, gorgé de la force des dieux, aura probablement été envoyé chassé l’ombre. Et ainsi investi, il aura apporté la paix au Royaume, et calmé la colère de Rikni.»

Il se retint à grand peine de lever les yeux au ciel.

«En l’an 130, le Tyran Sanglant faisait massacrer des dizaines et des dizaines de personnes pour la valeur monétaire insuffisante de leurs offrandes. Il les pendait haut et court, la nuit était éclairée d’incessants bûchers, et l’air était irrespirable à cause des odeurs de chair calcinée. Son règne avait duré dix ans, frappé du sceau de la tyrannie et de la violence. En Novembre 130, Constant de Ventfroid, le Seigneur de notre maison à ce moment, invoqua les droits sacrés de notre famille et à l’aide de quelques hommes, quitta sa forteresse du Nord pour venir mettre fin au règne du traître. Il n’y eut rien d’aussi terrifiant ni épique. Chaque personne de la cour fut promptement égorgée pendant la nuit. Persuadé de sa toute puissance, et conscient de la terreur qu’il inspirait, le Roi n’avait pas assez protégé son antre. Sans compter que nombreux furent ceux qui voulaient le voir mort. Au petit matin, le palais baignait dans le sang. En revanche, il n’y eut aucun preux chevalier pour chasser l’ombre. Elle vint, frappa, repartit. Tout ce que Constant laissa, ce fut une dague, d’une facture propre aux forgerons nordiques.»

Quelques secondes de silence suivirent sa tirade. Il confessait, effectivement, un régicide. Mais qu’importe aujourd’hui, le fait datait de mille ans environ. Plus personne n’était en droit ni en mesure de le châtier aujourd’hui.

«Ce que je tiens à vous dire par là, c’est que ce que disent les livres, c’est souvent formaté pour conforter la foi des sujets du Royaume. Mais quel intérêt ont-ils aujourd’hui que la Malice frappe pour de bon à notre porte, et que le Royaume se limite à quelques lieues, une armée, et des murs qui n’ont de protecteur que le qualificatif ?»


Il rangea le livre, les sourcils froncés.

«Notre situation actuelle est un vrai désastre. Nous tenons bon, mais je soupçonne la Chance de nous aider à survivre. Viendra un jour où elle se lassera, et passera la main au Fléau. Si ce sont des informations que vous cherchez, je vous invite à venir chez moi, au Manoir. Notre bibliothèque comporte deux salles. La première comporte essentiellement des ouvrages de science et de littérature, comme toutes les autres. La seconde contient l’historique complet, ou autant qu’il est possible de l’être, de la Maison de Ventfroid. Vous y lirez nombre d’atrocités, et nombre de faits bien peu glorieux. Mais je suis persuadé que ce n’est pas ce qui vous arrêtera, n’est-ce pas ? A l’heure actuelle, qu’est-ce qu’un régicide comparé à ce qui nous attend là dehors ?»
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Yseult de Traquemont



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MessageSujet: Re: Le froid est pour moi... [Morion] [Terminé]   Le froid est pour moi... [Morion] [Terminé] EmptyJeu 31 Déc 2015 - 16:02

« A l’heure actuelle, qu’est-ce qu’un régicide comparé à ce qui nous attend là dehors ? »

C'était une bonne question. Une question qui, pour quelqu'un comme moi, sonnait comme un coup de tonnerre en plein dans mon esprit.
Un régicide vieux d'un millénaire. Je n'osais imaginer avec quelle froide exactitude les Ventfroid avaient consigné, dans leurs archives séculaires, chacun de leurs méfaits et de leurs coups de poignard dans le ventre de l'Histoire. Je reculais de quelques pas, m'adossant à un rayonnage et croisant les bras sur ma poitrine. Mon expression était fermée, voire sinistre.

L'aristocratie existait pour une bonne raison. La hiérarchie en était son principe essentiel, sa quintessence. Si les vassaux s'en prenaient aux suzerains alors la noblesse n'avait plus de raison d'être. Alors le peuple pouvait nous mettre à bas et se défendre par lui-même.
Mais que faire face à un souverain cruel ? N'était-ce pas du devoir du banneret que de contraindre son seigneur à demeurer juste, et s'il venait à échouer, à prendre sa vie afin de protéger les petites gens ?

Un pli sévère ourla mes lèvres tandis que je posais sur le comte un regard lourd de jugement. Non pas pour les actes accomplis il y avait dix siècles, mais pour ceux qu'un individu tel que lui, à la lumière de ce qu'il me dévoilait lentement sur sa maison, pouvait se sentir en droit de commettre.

J'étais une guerrière. Je l'avais toujours été car c'était au plus fort des combats que je trouvais ma paix intérieure, mon équilibre. Celui où j'étais en harmonie avec moi-même... De cette passion pour la violence mon père avait fait une volonté de défendre, de préserver. Cet instinct pour le meurtre avait été façonné toute ma vie durant en faveur d'une fidélité aveugle envers mes pairs et mes devoirs.
Cette fidélité, des hommes comme Morion la mettaient en danger. Parce qu'ils re-créaient l'ordre établi, semaient le chaos afin de rétablir la loi. Celle des dieux et des rois.

La façon dont je le fixais ne laissait aucun doute quant au fait qu'un dilemme était en train de me déchirer.

« Est-ce que la fin justifie les moyens, châtelaine ? »
Bien sûr. Elle les a toujours justifiés. Au nom de mes idéaux, au nom de mes valeurs et de mes serments, je n'aurais aucune hésitation à faire couler le sang. A détruire la liberté des uns ou des autres. Le seul chemin qui mène à la paix est celui de la guerre.
« Alors pourquoi refuser de lui faire confiance ? »
Parce que... parce qu'il s'arroge trop de prérogatives. Cet homme se fait à la fois juge et bourreau. Il se veut le maître de la vie de tout un chacun, il décide par lui-même de qui peut vivre et qui doit mourir ! Et un seigneur solitaire peut aisément se fourvoyer. Je ne le sais que trop bien...
« En ce cas, aide-le à toujours faire le bon choix. »

Je battis des cils, surprise par le tour incongru que prenaient mes pensées. Je suivis des yeux les mèches automnales de la chevelure de mon interlocuteur, la courbe ciselée au couteau de sa mâchoire. Efflanqué, mince, il m'évoquait un loup surveillant le royaume depuis la sombre orée de quelque bois touffu. Si ma bienveillance pour les sujets de Langres s'exprimait jadis dans la cavalcade d'un destrier fouettant la boue d'un champ de bataille, la sienne se présentait dans l'éclat discret d'une dague touchée par la grâce d'un clair de lune. Nous pourrions être les facettes dissemblables d'une même pièce, à jamais incapables de se rejoindre et pourtant si complémentaires.

La monnaie qui achète la paix. Dans la violence et la mort.

« Je pourrais être le preux chevalier se lançant aux trousses de la Malice, vous savez. » Je le dis d'un ton amusé, mais ma voix était aussi dure et nette que le fil d'une épée. « Je n'aurais besoin que d'un mot de mes seigneurs, et mon devoir serait de la pourchasser et la mettre à bas où qu'elle se trouve. »

La Malice, la fausse. Celle des histoires telles que celle qu'il venait de raconter. Celle derrière laquelle se cachait un visage humain, maquillé en la fatalité par les scribes des générations passées.

« Vous pourriez dire que ce serait faire preuve d'un zèle niais et naïf. Mais j'ai foi en ceux que je sers, comte. J'ai foi en eux car je mène par l'exemple, et si je ne crois en mes suzerains, pour quelle raison mes vassaux croiraient-ils en moi ? J'ai choisi de servir mon duc comme autrefois je servais mon roi. »

Je marquai une pause, laissant l'écho serein de mes paroles s'éloigner. Il pouvait déduire maintes choses de cette déclaration. Une inspiration avant de reprendre :

« Malgré tout je souhaiterais voir la bibliothèque de votre manoir, mon seigneur. J'ai le sentiment que nous venons de deux abords fermement opposés, mais quand bien même, j'ai également le sentiment que nous pouvons... peut-être... nous équilibrer. »

Il fallait de tout pour faire un monde. La chose était sans doute encore plus vraie lorsqu'il s'agissait de le sauver.

« Ce que vous avez dit à mon sujet est très vrai. » Je me décollai de la bibliothèque, rejetant une mèche rebelle s'étant aventurée sur ma pommette. Un éclat inflexible se devinait au fond de mes prunelles tandis que, le menton volontaire, je lui décernai le fond de ma pensée dans la plus dépouillée des sincérités : « Dans la guerre qui nous oppose à la Fange, il n'est rien qui m'arrêtera. »
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MessageSujet: Re: Le froid est pour moi... [Morion] [Terminé]   Le froid est pour moi... [Morion] [Terminé] EmptyMer 6 Jan 2016 - 15:21
A l’écouter, Morion se dit que la seule chose qui manquait à Yseult pour en faire une digne héritière de la Maison Ventfroid, pour peu qu’elle fut née dans leur famille, c’était ce froid discernement qui avait toujours suivi chacune de leurs réflexions. Pouvoir, et assumer de se placer à une limite ténue entre la loyauté et la traîtrise. Pourtant, peu de Ventfroid étaient réellement coupables d’une telle infamie, bien au contraire. Ils avaient, dans des temps anciens, tenu leur rôle et leur sombre tâche d’un Roi, du premier d’entre eux, et depuis lors, n’avaient eu de cesse d’honorer leur serment. Ce que la jeune femme qu’il avait sous les yeux aurait du mal à comprendre, c’est qu’honorer cette promesse pouvait parfois conduire à commettre des atrocités, et à se faire passer pour parjure et moins que rien. L’objectif final étant, lui, assez noble finalement.

Mais tout ça, c’était déjà difficile à l’intégrer dans l’éducation d’un véritable Ventfroid, alors le faire comprendre à une femme qui ne connaissait d’eux que très peu de choses, autant dire que ça confinait à l’impossible.

Cependant, ce qu’il voyait en elle lui plaisait beaucoup, car c’était en grande partie comme elle que lui et sa famille avait fonctionné, et fonctionneraient sûrement encore. Leur capacité à se mettre en marge de toute autorité pour analyser les choses était bien sûr à mettre à part. Tous n’étaient pas capables de le faire. En revanche, le zèle dont elle faisait preuve, d’autant plus en ces temps où la signification des idéaux perdait énormément en sens et en substance, était tout à fait admirable. Rien que pour ça, elle méritait son respect. Sa foi aveugle en revanche nettement moins, mais il ne pouvait reprocher à quelqu’un comme elle d’être aussi fidèle à ce qui faisait sa raison d’être et d’exister.

S’il avait l’air moins perturbée que ne semblait l’être Yseult, son cerveau n’en était pas moins actif. Il savait pertinemment que ce qu’il venait de lui révéler pouvait avoir l’effet d’une vraie bombe. Ce qui avait eu l’air d’être le cas par ailleurs. Mais d’un autre côté, il ne pouvait espérer ni aide ni même alliance s’il ne se montrait pas un minimum honnête. Au moins pour cette fois. Car si effectivement, le Duc prenait les Ventfroid en grippe, il se pouvait fort que cela finisse par une lutte entre elle et lui. Il redoutait un peu ce moment, mais d’un autre côté, il l’attendait, aussi. Toute expérience était bonne à prendre, et leur collaboration comme leur opposition pouvaient être très fructueuses à de nombreux points de vue.

S’il avait pu être dans la tête d’Yseult, l’image qu’elle avait pu se faire d’eux, celle d’une médaille aux deux facettes totalement dissemblables, il aurait très certainement approuvé. Il s’en faisait la même idée.

«Il est du destin de la Malice que d’être poursuivie, chassée, détruite. Elle n’est là que pour rappeler aux hommes à quel point ils sont fragiles, et doit être détruite pour renforcer leur courage et leur bravoure. Elle le sait. Et cependant, point de lumière sans ombre.»


Un petit sourire narquois, teinté d’une once de défi, vint dissiper la dureté de son expression pour y laisser enfin passer un peu de douceur, et surtout d’amusement. Ce qu’Yseult lui disait, il ne cherchait pas à le minimiser par l’humour. Et ses mots, bien que couverts, tout autant que les siens d’ailleurs, étaient parfaitement sérieux. Il savait que la gloire, les honneurs, n’étaient pas pour lui. Quand bien même demain il prendrait la tête du Duc, jamais il ne songerait un seul instant à prendre sa place. Il n’en avait ni l’envie, ni le droit. Les Ventfroid faisaient des meneurs hors pair, mais il était absolument hors de question qu’ils dirigent autre chose que leur propre maison et leurs troupes.

«Des personnes comme vous sont nécessaires à ce Royaume. A ce qu’il en reste aujourd’hui également. Peu sont ceux qui sont capable de montrer une telle ferveur et une telle détermination en ces jours. Malheureusement pour nous tous, des personnes comme moi sont parfois nécessaires également.»


Son regard devint plus sombre. Peu importe qu’elle décide un jour ou non de l’empêcher de nuire. Si c’est une chose nécessaire au royaume, il accepterait même le châtiment avec une certaine dose d’ironie et d’humour. En revanche, pour le moment, ils devaient tous deux penser à autre chose. Ils ne s’en sortiraient pas, autrement.

S’équilibrer ? Voilà qui était… Intéressant. Ses yeux s’éclaircirent, et il hocha la tête, lentement.

«Je vous le concède. C’est de bonne grâce que je vous ouvre les portes de ma demeure, en ce cas. Nous y travaillerons plus vite à deux.»

Il jeta un coup d’oeil rapide au reste des ouvrages. Au delà de l’équilibre, Morion pensait qu’il avait peut-être des choses à apprendre, et d’autres à lui enseigner. Malgré sa dureté d’esprit, sa droiture et son inflexibilité, il sentait en elle comme une forme de pureté ou d’innocence, lui-même ne réussissant pas à mettre le mot juste dessus. C’était tentant de chambouler tout ça, se disait-il. Et par bien des aspects, ils avaient beaucoup à gagner, chacun de leur côté, à apprendre de l’autre. Qu’elle finisse par devenir sa nemesis ne serait qu’une conséquence plus ou moins logique de ce que leur alliance, leur fréquentation, produirait. Lui qui n’allait presque jamais aux temples, le voilà satisfait d’avoir fait l’effort d’y aller ce jour là.

«Si rien ne vous retient ici, je vous invite à me suivre, dans ce cas.»


Il lui indiqua poliment la sortie. Comme on disait dans un monde bien différent du leur, alea jacta est. Beaucoup de choses se bousculaient dans son esprit à ce moment. Il voyait venir les discussions militaires, stratégiques, d’éventuelles promesses d’alliance, mais il voyait aussi plus loin, plus profondément en fait. Ils étaient chacun deux entités qui poursuivaient un but semblable, mais dont l’existence même était totalement opposée à l’autre. Et ça, Morion le vivait pour la première fois. Avouons également que la plupart des gens qui pouvaient prétendre à la ressemblance avec Yseult de Traquemont avaient toujours été des cibles, finissant systématiquement passées au fil de sa lame.

Un sourire mystérieux et amusé ornait ses lèvres tandis qu’il l’invitait à sortir la première. Fin du monde ou pas, cette terre avait encore beaucoup à offrir.
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