Marbrume


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 Se griser sous la grisaille [Madelyne LaFemelle]

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Louise OchaisonErudite
Louise Ochaison



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MessageSujet: Se griser sous la grisaille [Madelyne LaFemelle]   Se griser sous la grisaille [Madelyne LaFemelle] EmptyVen 19 Avr 2019 - 19:36
Se griser sous la grisaille

Avec Madelyne LaFemelle

Ses pieds la menèrent là parce que c’était là qu’échouaient les âmes en peine. Sans même y avoir songé, elle se trouva là, assise au comptoir, le nez dans son verre. Dans la robe rouge de son gobelet infusait toute la douleur qu’elle portait dans le cœur. Depuis que le petit était tenu en otage loin d’elle, elle changeait d’heure en heure d’avis sur ce qui pouvait alléger le poids du monde.

Boire, à l’habitude, ce n’était pas pour elle. Pour cela il fallait de l’argent, un brin de déraison et un foie fiable. Rien que l’érudite ait possédé un jour.

Ce qu’elle avait, c’était un cœur qui saignait d’une absence terrible, d’une honte sans nom et d’une culpabilité dévorante. Elle avait déjà pleuré toute les larmes que son maigre corps pouvait convenir et recherchait à se perdre ; à oublier les monstres de terreur qui se lovait dans sa ventraille creuse qui reprenaient le refrain de son malheur jusqu’à l’emmener à la folie. Oublier la cervelle, le ventre et le corps, aussi. Après la nuit où toutes les ombres l’avaient broyée, un bout des ténèbres s’étaient enfoncer dans ses chairs, sur toute la viande collée aux os. Les hématomes avaient enflé sur ses jambes, ses bras, partout où des grandes mains l’avaient entravées pour mieux se faufiler partout. Toutes ses blessures à elle n’avaient pourtant pas d’importance : elle prenait sur elle parce qu’elle savait que l’enfant vivait un enfer. Elle n’avait pas envie de se plaindre pour sa féminité décharnée et brisée. Ce n’était pas son genre. La seule espérance qu’elle plaçait dans la gnôle qu’elle avalait était qu’elle puisse lui brouiller les idées jusqu’à soulager son indignité.

Dans le reflet de la boisson foncée, elle revoyait ce moment, ces visages, ces bouches fendues d’expression torves, cruelles. Dès qu’elle fermait les yeux, les terribles souvenirs revenaient se glisser sous ses paupières. Le souvenir du parfum de se jardin sentait de plus en plus la charogne. Et ses doigts tremblotaient, secoués par les restes des émotions récentes, vive et dévorantes.

A peine était-elle rentrée qu’elle avait déjà oublié le nom de la taverne. Celui là n’avait pas d’importance. Ici ou ailleurs on servait de ce tord boyaux âpre qui monte vite à la tête. Vu son gabarit, elle ne tarderait pas à s’enivrer sévèrement. Quelques charognards tournaient déjà autours de cette proie insouciante. Mais même dans l’ivresse, l’érudite savait faire preuve d’une maîtrise froide. Autour d’elle devait rôdaient le désastre, et finalement, les quelques bougres qui l’approchèrent fuirent pour esquiver le mal qu’elle portait dans son visage de statue anguleuse.

Pourtant, la taverne commençait à enfler, à déborder dans la rue, à vomir son bruit et la joie de vivre dont la mère éplorée ne s’encombrait plus. C’était l’heure de la débauche des miliciens : ils affluaient en masse pour dilapider leur salaire en beuverie.

Quelqu’un vint s’assoir à côté d’elle au comptoir. Si elle avait été accompagnée, elle avait laissé ses camarades de boisson ailleurs. La maigrelette posa un œil hasardeux sur son uniforme. Le même que portait les hommes qui avaient renversé son monde, l’avait piétiné jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un morceau de son existence éclatée. Un haut-le-cœur la pris et elle voulut se redresser pour partir. Mais sa tête tournait et les meubles dansaient une valse lente, laconique et tristement malheureuse. Dehors, une pluie fine humectait les pelisses. Alors l’érudite se rassit, la mine fermée et le museau cassée d’une grimace de dégoût qui ne pouvait plus tenir enfouie.

Elle ne dit rien parce qu’il n’y avait rien à dire mais elle recommanda quelque chose pour étancher le vide éventré qui la tenaillait :

Remettez en moi un autre. Quelque chose de plus fort, elle souffla sous le regard exaspérer du tenancier.

Encore une qui allait finir grise et en danger avant la fin de la soirée.


Dernière édition par Louise Ochaison le Mer 1 Mai 2019 - 16:00, édité 1 fois
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Madelyne LaFemelleMilicienne
Madelyne LaFemelle



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MessageSujet: Re: Se griser sous la grisaille [Madelyne LaFemelle]   Se griser sous la grisaille [Madelyne LaFemelle] EmptySam 20 Avr 2019 - 2:29


Se griser sous la grisaille
Madelyne feat Louise


Quelques jours encore. Combien ? Je ne saurais même pas le dire. La date approche inexorablement. Bientôt le couronnement du Duc. Et après ? Il me semble que le couronnement de ma tourmente ne tardera pas à suivre. Insérez-moi une couronne d’épines sur la tête pour l’éternité et qu’on en parle plus ! Le coucher du soleil, la mélancolie, la fin du service, la pluie.

Voilà un coucher de soleil bien pâle, bien sombre, bien triste, voilé par ces nuages arachnéens et brumeux. Les couchers de soleil qui m'évoquaient pourtant autrefois une rencontre irréelle et l'attente de retrouvailles le cœur léger et enivré. La lumière de l'espérance du bonheur. La lumière s'infiltrant pour chasser les ténèbres qui m'assaillaient. Aujourd'hui, ils ne m'évoquent plus que l'absence, l'abandon et la mort. Le désespoir. Plus le temps passe et moins j’y crois. Il n’y aura plus personne pour me sauver dorénavant et même les nues compatissantes versent leur larme.

Regardant de tous côtés, je vérifie que personne ne me suive, prenant le temps avant de quitter une venelle pour une autre. Oui, avec le temps qui passe, j’apprends à développer des subterfuges pour m’échapper et passer entre les mailles du filet. Pour faire en sorte de semer les éventuels enfoirés qui me poursuivent ou l’autre monstre lui même. Qu’importe qu’il décide de me le faire payer, ça m’est bien égal.

Les journées sont de plus en plus longues et de plus en plus difficiles avec les préparatifs de l’événement à venir. La cité est nettoyée de fond en comble et sera bientôt décorée mais quelle importance tout cela peut-il avoir ? Je suis épuisée. Je n’arrive plus rien à avaler, je n’arrive plus à dormir. Seule l’affliction m’accompagne encore jour après jour pour m’évider de toute force. Alors que je continue de marcher sous la pluie, me prend l’envie d’aller faire un tour en dehors de l’enceinte de la cité. C’est vrai, à quoi bon s’acharner à vivre quand plus rien ne va et que tout nous ramène à la souffrance ?

Ma vie est un véritable cauchemar. Oui, pourquoi pas, je n’ai qu’à sortir faire un dernière ballade et après tout sera fini. Je me relèverai bien vite pour devenir autre chose qu’une petite écervelée inutile. Je deviendrai une créature bien plus inquiétante, bien plus dangereuse. J’inspirerai la peur, la malédiction et les ténèbres. J’ai envie d’avoir mal. J’ai envie de voir le sang couler. Alors j’avance pas à pas jusqu’à la sortie de Marbrume. Là où j’irai, enfin, je serai libre. Plus jamais personne ne me fera souffrir. Plus jamais personne ne se moquera de moi.

Ne restera plus rien d’autre que la vengeance que mon enveloppe charnelle qui me survivra infligera ; et ce sera là ma revanche. Alors que je m’y dirige d’un pas qui se voudrait décidé, je sens la peur monter un peu plus à chaque foulée. Cette peur que je ressens à la nuit tombée et lors des jours de pluie depuis le Fléau, cette peur que l’instinct de survie représente face à la menace de la fange. Cette voix que j’ai envie de faire taire afin d’en finir une bonne fois pour toute. Une peur ancrée à force de nombreuses nuits de terreur au moindre bruit autour de la maison juchée à l’autre bout des Faubourgs. Cette peur que je veux définitivement affronter pour en finir.

Et si… Je stoppe ma marche arrivée à hauteur d’une taverne.

Et si… je me torchais salement la gueule ? Je n’aurais certainement plus peur. Je réaliserai à peine ce que je ferai, pour peu que je me souvienne de quitter la ville. Bon, certes, les portes seront fermées, mais ce n’est pas grave. Je passerai par les égouts. Je trouverai un moyen de rejoindre la fange. Ou même s’il le faut, je tuerai les gardes et j’ouvrirai grand les portes jusqu’à ce que toute la fange se ramène exterminer la ville définitivement. Et c’est sur cette pensée aberrante, irréalisable et complètement démente que je me décide à entrer dans la taverne et à m’asseoir au comptoir, un sourire probablement déphasé étiré sur mon visage.
Je vais occire tous les citoyens de Marbrume. Je vais aider Rikni à nettoyer le monde. J’incague Anür. J’incague Serus. J’incague la vie, j’incague l’humanité toute entière. Je l’exècre, je l’abhorre, je la conchie du plus profond de ma tripaille et je la vomis.
Qu’elle sombre avec moi.
Oui, je vais emporter tout le monde dans ma chute.
Tout le monde dans mon sillage.
Tout le monde à ma suite.

Je n’arrivais plus à sourire avant de le rencontrer. Tous les essaies se soldaient par des moues pincées. Maintenant, j’ai retrouvé le sourire. Un sourire dénué de toute raison.

A côté de moi, une femme titubante grimace à ma vue et s’agite mollement comme si j’avais la lèpre mais qu’elle n’avait pas la force de me fuir. Ben quoi ? C’est nouveau ça… d’habitude, je fais un tout autre effet. Je ne suis pas habituée à un tel mépris écœuré. Je fais peur à ce point ? Non, je ne fais que sourire, pas de quoi attiser un tel dégoût.

La femme commande de l’alcool et le tavernier lève les yeux au ciel. De toute évidence, elle n’est pas à sa première pinte et ce dernier n’est pas réellement motivé à l’idée de la resservir. J’observe rapidement ma voisine ; elle fait peur à voir et je peux deviner aisément la détresse qui l’habite. Une femme esseulée au comptoir qui boit a déjà forcément un problème quelque part. Son expression dotée d’un effarement inquiétant et son visage émacié rongé par l’angoisse où s’ajoute une répulsion inexplicable ne risquent pas de me contredirent.

Je décroche ma bourse que je balance nonchalamment sur le comptoir en direction du tavernier.

« Prenez-tout. C’est ma solde du jour, je dois bien pouvoir payer tout ce que je consommerai ce soir et celle de cette dame aussi, alors donnez-lui donc ce qu’elle demande. Je prendrai la même chose. »
L’homme laisse tomber les pièces et fait le compte étonné.
« En quel honneur qu’c’est ? 
- Votre escarcelle ou une autre… de toute façon, ça ne restera pas longtemps dans la mienne. En outre, je me marie bientôt, alors il faut bien fêter ça, enfin, j’imagine, je lance au tavernier de façon froide et désinvolte. Si vous n’êtes pas convaincu, vous pouvez toujours me rendre la monnaie. »

Il hausse les épaule et s’en va nous chercher nos pintes après m’avoir rendu ma bourse vide.

Moi, je reste à présent le regard perdu dans le vague.




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Louise OchaisonErudite
Louise Ochaison



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MessageSujet: Re: Se griser sous la grisaille [Madelyne LaFemelle]   Se griser sous la grisaille [Madelyne LaFemelle] EmptyMer 1 Mai 2019 - 17:35
Une bourse atterri sous le nez du tavernier. Le choc des pièces sur le comptoir fit sursauter l’érudite. Voilà longtemps qu’elle avait oublié le tintement de l’or.

C’était sa solde que la milicienne jetait là, négligemment. Et la bourse était plus remplit que tout ce qu’elle avait plus gagné la semaine passée. Celle qui portait cet uniforme odieux, le même que celui qui l’avait heurté, marqué, déchiré l’âme et la chair, elle lui offrait son verre et tous les autres de cette nuit. La réfugiée ne la regarda même pas et se contenta de saisir le gobelet qu’on lui tendait. La seule reconnaissance qu’elle tirait était de voir que l’expression mauvaise de l’aubergiste s’était quelque peu atténuée.

La raison, elle la bava sans trop de retenu. Ça devait déborder. Elle devait le dire. Parce qu’elle semblait porter une bonne nouvelle aux allures chtoniennes.

Elle allait se marier et rien dans cette annonce n’avait quelque chose d’heureux.

L’érudite n’avait rien de plus joyeux à conter et le comportement sombre de la milicienne l’étonna. Toute deux, l’une à côté de l’autre, sans se voir, elles avaient le nez dans leur verre. Sans se connaître, elles se comprenait peut-être un peu. Au moins, elle partageait la même folie douce qui mènent les gens respectable à s’accouder à un comptoir pour consommer leur peine.

Un mariage, vous dites, hein ? finit par souffler la réfugier, crachant presque les mots.

Au départ, elle n’était pas venu pour tenir palabre à quiconque. Le chagrin qu’elle portait au fond de sa poitrine l’avait persuadée qu’il était trop dense et trop sombre pour être exprimé avec des phrases savamment construite, tournées et pensées. Il n’y avait pas de mots à mettre sur son malheur mais peut-être que d’autres y parvenait encore.

L’érudite n’était pas une idiote et elle savait qu’il n’y avait que les gens blessés qui agissaient avec une once de déraison. Elle se demandait quelle était la plaie de cette dame-ci. Entendre le mal des autres apaiserait peut-être un rien le sien.

A l’arrière de la taverne, un petit orchestres improvisé s’accordait doucement en fond. La flûte traversière joyeuse et fluette clouait un peu le bec de tous les ivrognes. Certains se mirent à chanter en cœur des chanson d’un temps heureux qui rappelaient qu’il y avait eu plein de belles choses avant la Fange et que le monde avait cessé de tourner pour d’étranges raisons. La taverne était secouée de toutes ses voix qui résonnaient en chœur, chargée de toutes les grivoiseries qui amenaient le rire. Tout cela tranchait avec les deux femmes, l’une aux airs robustes et l’autre à la maigreur affolante, qui s’accoudaient au comptoir avec la sensation d’avoir vécu le pire. Mais le pire se cache parfois dans ce qu’il y a à venir.
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MessageSujet: Re: Se griser sous la grisaille [Madelyne LaFemelle]   Se griser sous la grisaille [Madelyne LaFemelle] EmptyMer 1 Mai 2019 - 18:42


Se griser sous la grisaille
Madelyne feat Louise


«Un mariage, vous dites, hein ? »

S’il n’y avait pas eu le mot mariage pour me tirer de ma torpeur, je n’aurais même pas remarqué que la jeune femme s’adressait à moi. Son intonation fut tellement amère que je me demande si elle n’est pas jalouse. Aurait-elle perdu son fiancé ?

Peut-être en cherche-t-elle un ? Grands Dieux ! Mais je lui donne le mien, si elle le veut ! Oh oui, je lui le donne avec un immense plaisir. Je lui donnerais même une lunaison de soldes avec, pour fêter ça, si tant est que lui veuille bien accepter l’échange.

La jeune aigrie ne prend même pas la peine de me remercier pour la tournée, mais qu’importe. Ce n’est pas comme si j’avais fait ça dans le but d’obtenir des remerciements, même si la reconnaissance, parfois, peut adoucir quelque peu les tourments. Concernant les nôtres, j’ai bien l’impression que rien ne pourra les apaiser, ce soir tout du moins. Le tavernier vient poser nos godets sur le comptoir et je me saisie du mien pour le boire d’un trait.

« Un autre, je balance nonchalamment au tavernier. Et un truc à bouffer qui traîne, pour ne pas se brûler notre tripaille. N’importe quoi, du pain rassi, du porridge de la veille... qu’importe, tant que c’est pas cher. On est pas là pour grailler. »

Ouais, un autre godet, puis encore un autre, et comme ça jusqu’à tant que le bonhomme estime pouvoir me servir. Avec un peu de chance, je m’écroulerai pour ne plus jamais me réveiller.

« Ouais, un mariage, je réponds à la femme comme derrière-nous, des ménestrels préparent leurs instruments puis se mettent à jouer. Le genre de chose qui aurait pu rendre ma vie merveilleuse, si j’avais seulement pu choisir l’époux. »

Le tavernier vient poser mon second godet avec une grosse miche de pain et je bois plusieurs gorgée d’affilée alors que la joyeuse musique apporte une ambiance festive où beaucoup chantent et rient. Moi, j’ai juste envie qu’ils la ferme et que la musique cesse.

J’arrache un morceau de pain et je commence à manger avant de pousser la miche entamée à ma compagne d’infortune qui, maintenant que je l’observe, n’a pas l’air bien grosse. Moi même pour ne pas manger des masses de base et encore moins ces derniers temps où je n’arrive plus à manger, malgré les joues un peu creuses, je ne suis pas dans un tel état. Est-ce comme ça que je vais finir si je ne me reprends pas rapidement ? C’est effrayant.

« Vas-y, mange, je crois que t’en a besoin. »



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MessageSujet: Re: Se griser sous la grisaille [Madelyne LaFemelle]   Se griser sous la grisaille [Madelyne LaFemelle] EmptyMar 18 Juin 2019 - 18:15
Les deux femmes se tenaient accoudées l’une contre l’autre, penchées sur le comptoir sous le poids de leurs malheurs respectifs. Aussi divergents qu’universel. Toutes deux confrontés à une perte qui laissait un creux énorme dans leur gosier qu’elles venaient maintenant étancher par la gnôle.

L’érudite avait toujours été une femme d’esprit et ‘est précisément pour cette raison qu’elle n’avait plus beaucoup de jugement pour tout ce qui pouvait alléger les souffrances de l’âme. Dans cette science, les méthodes étaient aussi nombreuses qu’unanimement insignifiantes et sottes face à tout ce qui pouvait tirer un esprit troublé à soigner les mauvaises pensées avec les mauvaises bouteilles.

Alors, la milicienne ordonna un autre verre. Celui-ci est servi rapidement. Il atterrit devant ses mains presque par magie. La jeune mère avait la vue trop trouble pour suivre tous les gestes du tavernier qui ne faisait que gigoter derrière son bar.

La femme en uniforme commanda à manger aussi. Peut-être parce qu’elle avait peur de la brûlure de l’alcool au fond de son gosier. Cela ne la regardait pas : la réfugiée avait connu des douleurs bien plus avilissantes ces derniers mois. Son corps en était encore marqué durablement. Parce qu’elle portait dans sa chair les stigmates des coups et sa carrure osseuse témoignait de sa faim. Et, sans rien avoir avalé, la jeune femme levait le coude en même temps que sa complice de buverie. La gnôle commençait à être forte et lui arrachait quelques grimaces.

Et l’histoire vint ensuite. Parce qu’au bout de quelques verres, notre vérité déborde toujours un peu.

Cette femme qui paraissait de roc devait se marier. Et son désespoir venait du fait qu’elle n’avait guère pu avoir son mot à dire sur l’homme qui partagerait sa vie. Le lot commun de beaucoup de gens de leur catégorie : dans sa jeunesse aussi, l’ancienne bourgeoise s’était vu imposé des choix d’époux. Une condition dont elle s’était extirpé en apportant beaucoup de honte aux siens. Parce que, quand son ventre s’était arrondi pour la venue du petit démon, nul n’avait plus jamais voulu de cette fille bien née mais sans la moindre vertu.

La savante était à deux doigts de lui donner ce secret mais elle ravala cela pour le moment. Elle ne pouvait pas parler d’enfançon. Pas encore. La douleur était trop vive et l’issue du procès trop incertain pour le moment.

Derrière elles, les ivrognes chantent et rient. L’ambiance n’est pas en adéquation avec leur trouble.

Enfin, le tavernier vint les servir et la dame en uniforme finit par lui tendre un morceau de pain. Elle lui intima de manger, lui faisant comprendre rudement qu’elle faisait peine à voir. Alors la jeune mère rompit le pain sans un mot pour le porter à sa bouche et le mâcher lentement. Cette fois encore, elle ne trouva pas utile d’articuler un merci ni quelconque forme de reconnaissance. Parce que, oui, elle avait faim. Parce que, oui, elle était affamée et qu’elle avait besoin d’avoir quelque chose dans la panse pour ne pas mourir. Parce que, oui, elle se sentait à demi-morte et qu’elle n’avait pas envie de subsister aux dépends de la générosité inopinée des autres miséreux.

Mais ce n’est pas parce qu’elle n’avait pas su le dire qu’elle n’en pensait pas moins.

Les hommes sont de mauvaises inventions des Dieux, parjura l’érudite en leva le museau de son verre. Choisissez-le, et il se débrouillera pour disparaitre. Ne le choisissez pas et il trouvera le moyen d’être détestable toute votre chienne de vie.

Elle prit une autre gorgée et se mit à tousser, avant d’ajouter :

Mais je ne peux pas vous parler de mariage. Je n’ai jamais été mariée alors bon…

Fiancée, seulement. Plusieurs fois, en plus. Mais cela appartenait à un autre temps à une autre époque. Quand les gens se préoccupaient encore de ce qu’il y avait de l’autre côté des remparts de cette ville de damnés et que les gens sacraient des unions pour le plaisir d’unir des maisons dans ce ballet pinaillant des familles bien nées. Déjà, à l’époque, la réfugiée d’aujourd’hui ne comprenait guère toutes les manigances qui visaient à trouver l’association la plus malheureuse.

Cependant, les mœurs lui avaient appris que les mariés se faisaient toujours à leur sort. Un mariage, ça sonnait même comme une bonne nouvelle au milieu de la misère marbrumienne. Alors la jeune mère eu besoin de poser la question :

Que craignez-vous le plus ? Vous êtes costaud. Il en faudra, un sacré gaillard pour vous briser en deux.

Un gaillard au moins aussi impressionnant que celui qui lui avait enlevé son fils, si fait. Mais ça, elle ne le savait point.
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MessageSujet: Re: Se griser sous la grisaille [Madelyne LaFemelle]   Se griser sous la grisaille [Madelyne LaFemelle] EmptyMar 18 Juin 2019 - 21:33


Se griser sous la grisaille
Madelyne feat Louise


Le tavernier ne tarde pas à venir poser un autre godet sur le comptoir sans mot dire. Je m’en saisie pour commencer à boire. Voilà que la jeune femme résume en deux phrases tous les tourments de ma pauvre existence :

« Choisissez-le, et il se débrouillera pour disparaître. Ne le choisissez pas et il trouvera le moyen d’être détestable toute votre chienne de vie. 
- Chierie ! Je m’exclame en faisant une pause. J’aurais pas dit mieux moi même... »

Ouais, tout le problème est exactement là. A cet instant précis, j’aimerais vomir une longue plainte désespérée tellement que j’ai mal.

« Ouais, c’est exactement ça, poursuis-je dans une exclamation dépitée. Ce malappris de chevalier, hein ! Pourquoi il m’a laissée tombée cet enfoiré ? J’ai besoin de lui… mais ça fait une lunaison que je n’ai plus vu. Il est apparu un soir en février alors que je m’entraînais dans une cour de la caserne… C’était tellement… ah, comment dire. J’ai plus les mots… »

Je finis mon verre expressément.

« féerique. Ouais, c’est ça. C’était juste un conte de fée cette histoire… un rêve merveilleux. En fait, je crois que c’est la meilleure rencontre que je n’ai jamais faite de ma vie. »

Voyant passer le bonhomme à portée, je le hèle pour demander un troisième godet. Ma gorge me brûle malgré le pain que j’engouffre machinalement – pour ne pas dire grossièrement en mâchant bouche grande ouverte - fi de la bienséance après tout, au point où j’en suis - et je commence à avoir envie de dégueuler, moi, qui ne suis pas du tout habituée à boire et qui hait l’alcool de base. Ça rend tellement pitoyable… je peux le constater chaque jour que je passe dans cette maudite caserne infernale. Et puis qu’il est fort ce tord-boyaux !

« C’était réellement singulier, reprends-je. J’avais passée une journée épouvantable, enfin, une journée plutôt classique pour une milicienne qui subit les moqueries et le mépris de ses compains mâles m’est avis… Et le soir donc, ce chevalier m’a abordée. Je ne savais pas trop ce qu’il faisait là et je me trouvais bien embêtée ; je ne savais pas vraiment si je ne devais pas aller chercher les sentinelles car il a pris la liberté de s’inviter sur le terrain… ah ! Il fallait le voir sauter par dessus le muret ! Je me suis demandé comment il a pu faire – et je me le demande encore ! Ca pèse combien un harnois, tu sais toi ? Bah, on s’en fou. Il est venu et s’est mis en tête de me donner une leçon d’escrime, car j’étais pas très douée… »

Je m’arrête un instant pour sourire en me remémorant ces nostalgiques souvenirs. C’était le bon temps…

« Il était beau… beau comme le jour et blond comme le blé. Ouais, je me plaît à le comparer au doux soleil qui brille sur l’eau de son regard azur… Puis il avait ce je ne sais quoi qui le rendait si attirant. Je n’ai jamais vu de sourire aussi charmeur. Un vrai sourire de canaille ! Il avait cette assurance… Il se payait ma pomme, mais c’était… c’était tellement agréable. Il avait beau me railler et se montrer goguenard, j’sais pas… il m’a attirée depuis le premier regard qu’il a posé sur moi. Et son rire… C’était comme une pluie d’étoile scintillante dans un ciel d’été, de même que les ‘bling bling bling bling’ de son armure à chaque pas qu’il faisait. C'est vite devenu une mélodie apaisante. »

Le godet suivant ne tarde pas à arriver et je m’en empare avidement pour le boire, mais ma gorge se serre sous la douleur du passé – et de celle de l’érosion de l’alcool dans mon gosier. J’ai envie de hurler. J’ai envie que les mots sortent. J’ai envie que tout le monde écoute mon histoire et que quelqu’un m’aide, bordel ! Que quelqu’un…

« Que quelqu’un aille le chercher... », je marmonne en posant ma tête dans mes bras. L’alcool commence à monter et je me mords les lèvres fort pour me calme, mais je me mets à trembler. J’ai du mal à respirer ça recommence, je me sens dans un étau… c’est comme si j’allais mourir. Il faut qu'il vienne me chercher, merde !

« ce salopard… »

Je me relève un peu pour continuer à boire et je finis mon morceau de pain.

« Je ne sais pas pourquoi il ne vient plus me voir. »

Je soupire. J’ai tellement besoin de lui… Je n’ai plus les pensées claires et l’alcool n’aide en rien.

« Oui, j’étais attirée comme un ridicule insecte par la flamme d’une bougie. Il disait me trouver jolie. Qu’il voulait m’inviter à grailler de la poularde. Ce qu’il parlait mal, par Rikni… On aurait dit un vrai gredin. Je me suis même demandé si ce n’était pas un malfrat qui s’est dégotée une armure et une longue épée quelque part… il avait des manières de goujat et de gredin que la noblesse n’est pas censée avoir. Mais peu m’en chalut… »

Je finis mon godet, mais je crois que je ne vais pas tarder à gerber. J’ai bu trop d’un coup… trop vite.

« Et… j’ai résisté à sa poularde même si ça me donnait envie. Puis il m’a avoué qu’il n’avait pas un sou, mais qu’il pouvait au moins me payer un repas à la chienne galeuse. Ah, ce chattemite… »

Je ris un peu et… merde. Voilà que je pleure. Mazette…

« je lui ai tenu tête, je n’étais pas dupe. Il a fait mine de partir comme je lui l’avais demandé, puis je l’ai finalement retenu en lui posant une question. Juste pour qu’il reste encore... il est resté pour dire un peu plus tard envier ceux qui allaient passer la nuit avec moi dans les dortoirs. Ah, c’était pas très chevaleresque, hein… envier des ordures qui… enfin, passons. J’ai donc voulu partir mais cette fois c’est lui qui m’a arrêtée. »

J’essuie mon visage d’un geste preste et je me cogne durement la joue. Ourg… je ne suis plus très précise dans mes gestes.

« Et puis je l’ai provoqué et… il m’a embrassée. »

Je ris doucement et les larmes continuent de dévaler le long de mes joues.

« Ca n’avait vraiment rien de très galant… il m’a volé un baiser de force, alors je l’ai giflé. Suite à quoi il a recommencé. Il me tenait fermement et je ne pouvais plus me soustraire à son étreinte… j’ai bien cru qu’il allait m’esforcer en plein milieu du baraquement. Qu’importait, au fond, j’étais bien et je lui ai rendu ses baisers. Quand ses lèvres se sont posées sur les miennes, je crois que j’ai senti mon cœur s’envoler. Les gardes sont arrivés, alors il est finalement parti lorsque j’ai rusé en disant le suivre. Je pensais ne jamais le revoir et j’étais chagrine malgré tout, mais les Dieux… ils sont facétieux, ces putains de Dieux. J’ai été affiliée à l’escorte d’un convoi jusqu’au Labret avec ma coutillerie le lendemain même et… il était là. J’ai passé trois jours avec lui, on a vécu tellement de choses... au début c’était tendu évidemment, et puis peu à peu on s’est rapproché. Il s'est excusé pour la veille, puis il a pris soin de moi comme personne ne l’a jamais fait. Il était là quand j’avais besoin pendant ces trois jours. Il m’a aidée quand j’en avais besoin, il s’est montré protecteur lorsque l’on a croisé des brigands. Il m’a fait réagir quand je me laissais allée après en avoir tué un. Il s’est inquiété pour moi et il m’a aidé à me panser quand j’étais blessée après une attaque sur la route… Quand pas un seul milicien ne s’est soucié un seul instant de moi. Il restait avec moi tout le temps et il me racontait des histoires de ses batailles, il répondait à mes questions. Il m’a tellement appris. A faire face au danger, à faire face aux moqueries. J’étais tellement émerveillée… C’était mon chevalier et à chaque fois qu’il m’adressait ce sourire de coquin je sentais battre mon cœur toujours plus fort. Je l’aurais suivi jusqu’au bout de l’enfer. Jusqu’au delà du Morguestanc s’il le fallait. Il n’y a que dans ses bras que je veux être. Je me sens tellement seule sans lui... »

Je marque une pause. La tête me tourne et la sensation de déjà vu lorsque l’autre ordure de milicien m’a assommée m’angoisse.

« Il est revenu me voir après. J’étais tellement heureuse de chaque instant passé avec lui. Je l’aime comme je n’ai jamais aimé personne, mais c’est un chevalier, et moi, je ne suis rien qu’une gueuse. Ouais. Personne. Qu’une pauvre fille des champs et qui ne peut même pas épouser l’homme qu’elle aime. J’aurais au moins pu choisir mon époux, mais non, condition de merde et déveine jusqu’au bout ! Rikni me hait, voilà tout. Je voudrais que la fange décime cette foutrerie de cité… ‘fin… Voilà la triste histoire. J'aimerais lui ouvrir mon cœur, mais à quoi sert-il d'espérer ? Il a dû se lasser de moi et m’oublier pour courir vers d’autres filles probablement… c’est ce que l’un de ses crétins d’amis m’a dit, une fois… et moi… j’attends désespérément qu’il revienne me voir et qu’il me sauve de cet enfer. Je suis perdue sans lui. C’est le seul qui m’aidera, c’est le seul qui se soucie de moi. Je ne sais pas pourquoi il m’a oubliée… je ne veux pas croire qu’il lui soit arrivé malheur. C’est ça, mon destin. Souffrir. Je ne mérite pas le bonheur… Si les Trois le veulent, il viendra me sauver. Sinon, je ferai face aux épreuves tant qu’ils estiment que je dois expier mes pêchés. Ah, que j’aimerais que ce soit lui qui ait voulu m’épouser… je donnerais tout ce que j’ai pour ça. Si seulement il n’y avait pas cette connerie de classe sociale ! J’aurais au moins une chance… Il faudrait juste que je l’apprivoise un peu… que je lui apprenne la douceur comme il m’a appris à être plus forte. Je suis sûre que c’est quelqu’un de bien même si toute son éducation est à refaire. Il faudrait juste qu’il s’ouvre un peu pour oublier que c’est un guerrier… et qu’il prenne conscience qu’une jeune fille mérite le respect et un peu de tendresse. Mais on ne peut pas lui en vouloir d’être fier comme un coq, c’est la vie et ses épreuves qui fait de nous ce que nous sommes. Chaque être à une histoire et un passé qui lui ait propre. Il a dû vivre des choses difficiles qui endurcissent. La mort déjà… tuer, c’est pas marrant. Moi j’dis que ça marque jusqu’à la fin de nos jours. Cette violence... c’est horrible. Ça change à vie. On est plus pareil après… On a dû lui apprendre des conneries dés le plus jeune âge. Qu’être un homme s’était tuer et d’être ‘fort’. qu’il faut écraser les autres. Mais non, c’est faux… »

Je renifle avant de répondre à la question qu’elle m’a posée :

« Ce que je crains le plus… c’est de ne jamais le revoir... mais je suis sûre qu’il reviendra. j’espère qu’il pense un peu à moi, des fois. Il a l’air d’un galapiat, mais il ne peut pas être pourri, au fond. Il ne sait même pas mentir… quelqu’un qui ne sait pas mentir ne peut pas être mauvais, hein ? Je suis sûre que sa suffisance et son arrogance ne sont qu’une façade. Je l’ai vu… dans le merdier, il devient sombre et mal assuré. Ce n’est plus le même. Il aime pas ça, lui… il faudra que je l’aide. Que je le fasse parler… quand il reviendra. Il reviendra me voir. Je le sais. Quand je serais absoue par la trinité… Ce n’est que justice, j’ai mérité ce qui m’arrive. Je ne peux pas me plaindre, ce n’est que le juste retour des choses. Certes, je pourrais tuer cette ordure qui me tourmente… et après ? M’attirer la colère des Dieux pour avoir refuser cette punition ? Ce serait pire... Non, j’accepte mon destin et je m’en remets à leur jugement. Pourvu qu’ils veuillent bien m’accorder le pardon et me laisser retrouver Bérard… je quitterai la milice pour le suivre, si tant est qu’il veuille bien de moi… Je prie chaque jour que la Trinité fait pour que ce jour arrive et avoir son pardon. »

Je pourrais continuer toute la nuit à baver mes tourments dans un délire enivré, comme ça. Mais il faut bien que je laisse la pauvre femme parler un peu elle aussi.

« Je parle, je parle, je parle… Tout ça pour dire… ouais, ne pas attendre ceux que l’on choisis... les pourritures en revanche, elles viennent vous saigner comme la pire des sangsues… »

Et je recommande cette fois deux godets de gnôle.Pour la femme et pour moi, ainsi que deux repas, parce que le pain m’a laissé sur ma faim.

« Je ne pensais jamais avoir à me marier. Enfin je ne le voulais plus. Je devais être promise à quelqu’un il y a longtemps à vrai dire, mais… mais... m’étranglé-je, incapable de finir ma phrase. Et donc, tu n’as jamais voulu te marier, toi ? »



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Louise OchaisonErudite
Louise Ochaison



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MessageSujet: Re: Se griser sous la grisaille [Madelyne LaFemelle]   Se griser sous la grisaille [Madelyne LaFemelle] EmptyMer 19 Juin 2019 - 18:20
La gnôle délie les langues. Elle amène sur leur bout toutes les choses qui flottent au fond de l’âme, dans cette tambouille odieuse composée des troubles que nous n’avons jamais su correctement évacuer. Et dans ce siphon précaire, les histoires d’amour baignent et engluent toute la mécanique des songes.

L’érudite écouta alors cette milicienne dont elle ne savait même pas le nom avec la même bienveillance qu’elle aurait aimé recevoir. Tous les gens de ce monde mènent des combats que tous ignorent. Des luttes silencieuses, universelles et terriblement singulières à la fois. Pour toutes ces raisons, les emportements et les mauvaises paroles n’avait pas de place dans sa petite personne. Elle n’avait pas de haine et, à la manière des prêtres, elle accueillit cette complainte avec la compassion d’une sœur. Sauf qu’avec une impie comme elle, l’inconnue pouvait parjurer à tout va sans retenue : il n’y avait pas d’offenses là-dessus.

Son histoire était celle de beaucoup d’amoureuses confronté au désir des hommes qui sont souvent sans lendemain. Dans ses tripes, elle avait fiché un amour incandescent pour un chevalier et se trouvait désormais à devoir en épouser un autre. En vidant son sac dans ce flot de mot, la milicienne gesticule, se tortille, grimace et des larmes déborde de ses yeux. Alors, doucement, l’érudite l’empêche d’avaler un nouveau verre. Elle prend ses mains et, pour la première fois, elle se regardent enfin. L’histoire a touché plus que ce qu’elle peut imaginer la réfugiée. Son visage était dur mais ses yeux mouillaient d’émoi pour cette destinée toute entortillée autours de sentiments nobles, de peurs aussi raisonnables qu’existentielles et d’une tendresse perceptible et gaspillée. Tout cela la rendait particulièrement touchante et l’érudite, qui n’était certes pas une grande bavarde, essaya d’articuler quelques mots

Il n’y a pas de destinée faite pour être un enfer. Souffrir n’est jamais une fin, madame. Les dieux ne vous en veulent pas : c’est le monde qui est devenu fou, souffla-t-elle pour répondre à cette longue complainte fataliste.

La lettrée avait une certaine admiration, si fait, pour les gens qui trouvaient encore de l’énergie pour croire en ces valeurs de l’humanité auxquelles plus personne n’était attachée. Comme l’amour, le partage et l’envie d’écrire encore de belles histoires alors que la mort personnifiée en la Fange fondait sur le dernier rempart de l’humanité aussi certainement qu’un rapace sur une musaraigne étourdie. Dans cette dérive, il fallait un certain courage pour trouver encore l’envie de vivre comme avant : en ce temps où on concluait des mariages, avait des enfants et se rendait au Temple uniquement pour réclamer le meilleur et non pas pour implorer une protection contre le pire.

Vos craintes sont universelles et louables. Ce soir, elles vous rendent vraie et touchante. Il y a des épreuves qui ne se surmonte ni avec force, ni dans la gloire. Des formes de bravoures découlent de dilemmes bien plus personnels, dont l’importance est trop souvent dévaluée parce que nous avons tous à en traverser des semblables. Mais chaque histoire blesse différemment parce que, si nous sommes faits des mêmes os et de la même chair, nous avons des failles qui nous sont propres. Je vois les vôtres ce soir. Je sens vos craintes. Et, malheureusement, vous ne trouverez pas dans mon histoire les mots qui rassurent ni l’assurance d’une fin heureuse.

En se mordant la lèvre inférieure, l’érudite réalisait maintenant qu’elle aurait à livrer un morceau de son histoire par pur soucis d’équité. Elle savait qu’elle n’avait pas besoin d’échanger, de dire autant de choses et surtout celles qui ne se disaient pas. Cependant, pour qu’une forme de confiance propice aux témoignages entiers s’établissent, elle se trouvait au pied d’un obstacle qu’elle n’avait jamais franchi : jamais elle n’avait encore parlé de l’homme qui était le père de l’enfant maudit.

Je ne me suis jamais mariée parce que j’ai préféré sceller une union de chair qu’une union de papier.

C’était une façon élégante de dire qu’elle avait fauté avant le mariage. Et même en le disant avec ces mots, elle avait l'impression de passer pour une putain.

Dans son cas, il s’agissait même plus qu’une faute : il avait s’agit d’un acte calculé précisément pour éviter un mariage arrangé entre deux maisons bourgeoises. Elle descendait d’une maison d’armateurs, des constructeurs de bateaux robustes, et elle avait été promise au fils d’un dirigeant de tisserands. C’était le frère de la jeune lettrée qui avait conclu cette accord afin d’abaisser le prix de voiles. Pourtant, la sœur n’avait pas le cœur à devenir une dame vidée de sa substance par un mari timide et ignorant.

Le pêché qu’elle avait commis ne venait pas d’une envie soudaine déclenchée par une passion intense. Il s’agissait d’une décision faite de sincérité pour éviter une destinée qu’elle n’aurait pas pu aborder avec toute la profondeur de son esprit et la grandeur de sa science. Les gens d’esprit sont parfois confrontés à ces choix gordiens : ou ils se soumettent aux choix que l’on a pris pour eux, ou ils inversent le sens de l’équation pour que le résultat leur convienne mieux.

L’amour que j’avais pour cet homme était certes bien différent du tien pour ton chevalier. Ce n’était pas une question d’amour mais, un peu à ta façon, une histoire d’admiration réciproque. Vois-tu, d’où je viens, j’ai eu la chance de recevoir une des meilleures éducations. Et c’était mon précepteur. Juste un serviteur. L’homme qui m’a appris à penser, à raisonner et qui, le premier, a mis le doigt sur toutes ces choses du monde qu’il vaudrait mieux expliquer par les lois des sciences que par les lois des dieux.

L’érudite serra un peu plus les mains de la jolie milicienne entre ses doigts anguleux. Peut-être pouvait-elle les imaginer avec plus de chair, dans un autre temps où ce cadavre en devenir avait été une jolie jeune fille aisée et belle.

Il a été condamné pour avoir voulu parler trop fort de choses que les oreilles des clercs n’étaient pas encore prêtes à entendre.

La bouche avait articulé les mots sans vouloir y placer la moindre haine. Pourtant, c’était l’alcool qui déformait ses propos : elle en parlant des religieux, une violence sourde avait fait tinter ses palabres. Alors l’érudite s’essuya le coin des lèvres avec le revers de sa manche. Un moyen de cacher son visage alors qu’elle mordait fort l’intérieur de sa joue pour que la douleur refreine l’émotion qu’elle ne voulait pas voir gagner. Elle ravala toute la rage qui montait de ses tripes. Cela ne lui ressemblait pas et, après la semaine qu’elle venait de traverser, elle n’avait plus d’énergie et de force pour haïr.

J’ai assisté à son exécution. Il est mort sur un bûcher devant une foule en liesse. Et mon ventre était déjà rond.

D’un coup, d’un seul, les images qu’elle chassait tous les soirs revinrent derrière ses yeux et son ivresse rendait leur assaut plus difficile à contenir. Il fallait qu’elle s’en dépêtre en parlant et elle parla vite.

J’ai grandi avec l’idée que les Trois n’étaient qu’amour. Alors je ne veux pas croire que tout ce qui arrive dans cette fin du monde est là leur envie de jouer avec les pauvres mortels que nous sommes. Tu te dis maudite mais je crois que tu ne sais rien de la véritable malédiction. Ce n’est pas mauvais sortilège que d’aimer. Le mauvais augure débute là où commence la haine des autres. Et l’enfant que j’ai mis au monde a été détesté par tous. Tant et si bien que, maintenant, le clergé me l’a repris : il devrait être jugé dans le un même procès aux sorcières que son père avant lui.

Le visage plein d'angles de la jeune femme se retint de se plier dans une grimace qui aurait refléter tout le dégoût qu'elle avait à la simple idée de perdre le fruit de ses entrailles de la même manière qu'elle avait vu mourir le seul homme auquel elle s'était offerte.

Nous avons été toutes deux promises à des monstres. Ce sont ces mêmes monstres qui m’ont enlevé cet enfant. J’en veux autant à ceux qui nous imposent des unions que ceux qui les célèbrent. Car ce sont les mêmes qui s’apprête à brûler un enfant. Mon enfant.

Elle ne savait pas, en prononçant ces mots, combien elle était proche de la vérité la plus crue : c’était le promis de la milicienne, cette boursouflure dont la race humaine aurait mieux fait de s’amputer, qui avait vendu l’enfant au clergé quelques semaines plus tôt.

L’érudite lâcha les mains de la milicienne et bu un autre verre. Avec une descente moins impressionnante que la militaire, certes, mais au vu de son gabarit, il ferait très probablement plus de ravage. A bien les regarder, il était impossible de trouver de la force dans ces deux silhouettes accoudées, penchées, ployée sur des malheurs qu’elles finissaient par reconnaitre après avoir été trop longtemps trop seule et courageuse dans leur isolement forcé.

Les femmes ont ainsi une dignité silencieuse qui déborde lorsqu’elles flanchent sous le poids de leurs fardeaux insoupçonnés. Alors, là où les hommes se servent de cette faiblesse pour écraser leur prochain, la gente féminine, déjà tacitement moulu par la domination des hommes et des dieux, savent trouver la vertu de se soutenir mutuellement pour atténuer cette chute vertigineuse et hasardeuse.
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Madelyne LaFemelle



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MessageSujet: Re: Se griser sous la grisaille [Madelyne LaFemelle]   Se griser sous la grisaille [Madelyne LaFemelle] EmptyJeu 20 Juin 2019 - 10:42


Se griser sous la grisaille
Madelyne feat Louise


Je vais pour boire le godet suivant, mais à ma grande surprise, la jeune femme attrape mes mains avant que je n’ai pu refermer ma dextre dessus. Ce qui n’est certainement pas plus mal car je suis probablement proche de dégueuler avec la vitesse d’absorption que je me suis infligée.

Nos regards lourds de détresse se croisent et à présent que je la regarde franchement, je suis prise d’un sentiment indicible entre l’inquiétude et le malaise. Elle est encore bien plus décharnée que ce que j’aurais pu penser de prime abord et je crois bien qu’il faudra plus qu’une miche de pain et d’un repas pour la remplumer. A l’avoir su avant, je lui aurais donné mon argent à elle, au lieu de le balancer sottement au tavernier...

A son tour, la jeune femme se met alors à parler. Et je me rends bien vite compte que son histoire est loin d’être plus joyeuse que la mienne, bien au contraire. Un mariage prévu mais qu’elle a fait annulé sciemment pour la simple raison qu’elle n’en voulait pas.

Moi, je pense qu’elle a eu raison. Après tout, nous devrions être libre de faire nos choix et de mener la vie que nous souhaitons. Pourquoi devoir se forcer ou se condamner à une vie que nous ne voulons pas ? Ces lois et préjugés sont tellement stupides !

Mais si seulement ça aurait pu s’arrêter là. Non, la suite est tellement pire et l’horreur me laisse sans voix. L’homme qu’elle aimait – enfin, celui pour qui elle dit vouer de l’admiration, au moins – a fini brûlé sur un bûcher, sous ses yeux, au milieu d’une foule enjaillée. Cet homme qui s’est révélé être le père de son enfant. Comment peut-on se réjouir de la mort ?! Ca non plus, je ne le comprendrai jamais. Les gens sont si mauvais.

Mais non, ce n’est toujours pas fini, car cet enfant a été lui aussi, je ne sais pour qu’elle obscure raison, promis au bûcher par le clergé. Je ne suis plus sûre de comprendre. Je suis abasourdie. Brûler un enfant innocent ? Quel enfant peut seulement mériter un tel sort ? Et moi tout de suite, je me sens bien conne, à pleurer pour un idiot qui ne vient même plus me voir.

Enfin, je suis peut-être un peu dure en le traitant d’idiot ; il lui est peut-être tout simplement arrivé malheur. Et après dans tous les cas ? J’attends lâchement qu’il vienne me sauver. Combien de fois encore vais-je me dire que je ne dois compter que sur moi même si je veux m’en sortir ? Combien de fois me suis-je dit qu’il ne serait pas toujours là pour me protéger ?

Depuis que j’ai quitté les champs des faubourgs, je suis allée d’ennuis en ennuis. La milice ne m’aura pas réussi le moins du monde. Lui, beau chevalier en armure trousseur de jupons, n’a pas tardé à apparaître après mon arrivée à Marbrume et ça a été le seul vrai repère que j’ai trouvé.

Le seul soutien, le seul à m'avoir porté un intérêt réel. Oh bien sûr, il y avait aussi Meikan, je ne pourrais jamais le nier, mais je ne l'ai plus revu depuis sa crise de folie - où j'ai bien cru qu'il allait me tuer - et c'est mieux comme ça pour nous deux.

Non, Bérard était le seul vrai pilier et j'avais tellement d'espoirs à ses côtés. Il rendait mon monde meilleur... La seule personne qui m’a relevée et qui m’a donnée la force de me battre pour lutter. Il serait temps que je me reprenne en main, si seulement j’en avais le courage. Non, je suis bien trop résignée. Ma compagne d’infortune quant à elle, semble totalement dédouaner les Dieux.

J’ignore bien pourquoi. Certes l’homme est mauvais - et la fange n’est pas là pour rien m’est avis – mais je pense que les Trois sont justes – du moins à leur manière – et qu’il n’est pas très judicieux de penser qu’ils ne daignent pas se pencher sur nos vies. Après tout, il est bien dit « qui aime bien châtie bien ». C’est bien qu’ils doivent nous aimer, nous, leur progéniture gangrenée par le vice… J'ai beau les maudire lorsque ça me prend, au fond de moi, j'ai envie de croire au fait qu'ils soient justes.

La femme lâche mes mains pour boire son godet, alors je l’imite en prenant le mien aussi. Peu après, le tavernier finit par ramener deux assiettes de porridge et je devine à son air las qu’il en a marre de mes commandes intempestives.

Moi, je suis restée figée, la bouche ouverte, devant la dernière phrase de la jeune femme à la maigreur affolante. Qu’ils s’apprêtent à brûler son enfant. L’ombre d’un instant, je me dis que l’alcool est montée trop vite et que j’ai mal compris, que son enfant est mort, et qu’ils vont brûler son corps inerte.

Mais non, cela n’a aucun sens. Personne n’attendrait pour brûler un cadavre, ce serait insensé.

« Je ne suis pas sûre de tout comprendre... lui avoué-je hagard. »

Je ne sais pas comment elle a pu regarder le père de son enfant brûler. Je ne sais pas comment elle a pu laisser quelqu’un lui enlever son enfant. A sa place, je serais déjà morte. Je n’aurais pas supporté de voir ceux que j’aime brûler devant moi. Je n’aurais pas l’audace de penser qu’elle n’a pas assez d’amour dans son cœur, mais je ne comprends pas comment elle a pu endurer ça sans flancher irrémédiablement.

De même que je suis probablement une pauvre folle dingo incapable de supporter ce monde terrifiant qui m’a détruite pour arriver à encaisser une chose pareille, si cela m'arrivait. Mais… comment a-t-elle pu garder assez de calme pour laisser se produire tout ça sans réagir ? Non, je ne comprends toujours pas.

« J’ignore… comment tu as su faire face à ces épreuves. A ta place, je me serais jetée dans les flammes aussi pour suivre celui que j’aime… enfin je crois… je me serais débattue au moins pour empêcher ça… je crois que je serais devenue folle. »

Je secoue la tête pour me sortir de la torpeur, et je me rattrape de justesse au comptoir pour ne pas tomber avant de finir d’un trait mon godet.

« Je ne crois plus à la justice depuis bien longtemps. Je n’y crois plus depuis mon arrivée à la milice… plus depuis que j’ai subie toutes ces humiliations incessantes. Je voulais aider les autres. J’ai eu tort, on a fait que me rabaisser et me mépriser comme si je n’étais rien. Malgré toute ma bonne volonté. La fange n’est pas là pour rien et moi, je suis sûre qu’ils savent ce qu’ils font, là-haut. »

J’ai la tête qui tourne atrocement et je sens que je vais vomir de façon de plus en plus certaine. Chaque mot devient plus difficile à articuler. Je me réfugie dans mon assiette en espérant que la nourriture va m’aider à apaiser la descente de l’alcool.

« Je… reprends-je, mais je perds le fil de ce que j’étais en train dire. Je n’y crois plus à la justice. Je ne peux plus y croire. Comment le pourrais-je alors que j’ai reçu le fouet pour m’être seulement défendue alors qu’on essayait de m’agresser dans les dortoirs ? Parce que je suis une femme ? C’était un crime, ça ?! Je dormais. Depuis ce jour, je ne crois plus en la justice. Je devrais partir loin. »

Je suis indignée par tant d’horreur.

« Non, personne ne mérite ça. Ton enfant… je ne sais pas ce qu’il a bien pu se passer pour qu’il se retrouve dans une situation aussi insensée… »

Je me sens hallucinée. Je ne comprends plus rien… J’ai l’impression de perdre la raison et je ne sais plus que dire. J'ai seulement envie de pleurer encore devant ce cœur qui saigne en face de moi. A quoi bon chercher encore à retenir mes larmes ? Parce qu'un soldat ne pleure pas ? Je n'ai jamais été considéré en tant que tel. Sans doute que je ne porte que l'habit.

« Comment la vie peut-elle être aussi cruelle ? »

J’aimerais tellement l’aider, si seulement je le pouvais. Comment peut-on arracher un enfant à sa mère, nom d’un chien ?! Quelle crime a-t-elle pu commettre de si grave pour un tel châtiment Divin ? J’ai beau réfléchir, je n’arrive pas à trouver. Et cet enfant, lui, qu’a t-il bien pu faire ?

C’est pas possible. Mais que pourrait bien faire cette malheureuse de toute façon ? Il n’y a rien à faire. Lui dire de s’interposer serait tellement stupide, ce serait l’envoyer à la mort elle aussi, ce qui ne résoudrait absolument rien. Non, c’est sans espoir. Il va falloir qu’elle vive avec cette incision de son âme que rien ne pourra jamais panser.

« C’est Marbrume toute entière qu’il faut brûler ! » craché-je amèrement.

Derrière nous parmi le bruit de fond j’entends siffler rire et chahuter. J’ai l’impression de sentir les regards peser sur moi. Une jeune femme blonde s’active de temps à autre dans la salle, toujours le sourire aux lèvres. J’ignore pourquoi cette impression qui me laisse mésaise lorsque je la vois se dandiner régulièrement d’un point à l’autre de la salle, ni pourquoi elle me paraît si malsaine. Ce sourire… il me fait presque penser à celui de l’autre pourriture.

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MessageSujet: Re: Se griser sous la grisaille [Madelyne LaFemelle]   Se griser sous la grisaille [Madelyne LaFemelle] EmptyJeu 20 Juin 2019 - 12:35
Pendant un moment, la camarade de beuverie de l’érudite répéta plusieurs fois qu’elle ne comprenait pas. Elle ne savait pas comment il était possible d’endurer ces choses et dans son cœur et dans sa chair. En vérité, la concernée ne savait pas non plus : certaines épreuves se dressent sur la route sans qu’on puisse s’y soustraire par audace ou ruse. Ce qu’avait traversé la réfugiée était le lot d’autres. Et elle se tenait encore contre vent et marrées, faite de cette part de miracle qui maintient ceux qui auraient dû mourir en vie.

Si elle n’avait pas flanché, c’était parce qu’elle avait l’enfant. Pour son fils, elle avait voulu les douceurs et les sourires. Une protection contre ce monde en dérive. Pendant toutes ces années, pendant la longue marche vers Marbrume pour semer la Fange, elle avait été un bouclier. Son corps en avait souffert mais, maintenant, c’était son âme qui partait en lambeaux depuis que la perspective de devoir se supporter elle seule. Pour sustenter le poids d’un choix pris il y a longtemps par décision d’une bravoure étonnante, ça en valait la peine. Pour se suffire à ce qu’il restait de sa piètre, elle n’en avait pas la force.

Il n’y a pas de secret pour survivre au monde : il suffit de se tenir là et d’essayer de rester vivant pendant que les autres meurent. En ce sens, la jeune mère n’avait pas de mérite. Elle n’avait fait qu’éviter la mort qui rôde partout en silence.

Alors, oui, elle aurait pu se jeter dans les flammes et mourir avec l’homme qu’elle avait aimé mais ç’aurait été abandonné leur combat commun et les promesses qu’elle lui avait faite. Il y a bien des raisons et des façons d’être amoureux et, fort heureusement, elle n’avait rien vécu d’aussi passionnel et profond que ce qui était arrivé à la jolie milicienne. Comme on aurait pu le deviner, elle était de ceux qui aiment avec la cervelle et non avec le cœur et la tripaille.

Pour les mêmes raisons, elle ne pleurait pas. Elle avait déjà trop versé de larme pour comprendre que ça n’arrangeraient pas son destin, si fait. Aucune divinité n’interviendrait sinon pour apporter une parole accablante, dictée par des gens de foi sans grande compassion. Parce qu’il n’y a pas de bienveillance là où règne la peur. Et la ville des damnés était plus que jamais emprise à l’effroi.

Et parfois il n’y a rien à faire, il n’y a rien à penser et il n’y a personne à qui adresser des prières pour arranger les choses. Dans ces moments, il reste le vin et les complaintes de comptoirs. Des chansons émanant des gosiers qui se grisent pour échapper à leur propre grisaille.

L’érudite ne trouva rien à dire parce qu’elle avait déjà tout dit. Elle était assez d’accord avec l’idée de la jolie milicienne : Marbrume devait brûler. Un instant, elle apprécia l’idée silencieusement. Elle imagina les flammes se répandre du goulot à la Hanse. Quand elle fermait les yeux, elle pouvait voir les gens grouiller autours des brasiers, les visages fermés, pleins de désespoir devant la catastrophe. Une face terrifiée qui avait été la sienne lorsqu’elle avait vu son précepteur dans ses derniers moments. Lorsque le feu avait fait fondre ses chairs sur ses os et qu’il ne resta rien de reconnaissable sur ce corps qu’elle avait chéri. Et elle aurait été la seule à profiter du spectacle parce qu’elle n’aurait plus rien à perdre, au fond.

En pensant tout cela, elle ne savait pas combien elle se jetait vers la même folie que celle de sa maîtresse, la comtesse au fleurs : le sort de l’humanité ne devait pas être l’œuvre d’une justice aveuglée par le dégoût pour les erreurs des hommes. L’érudite trouvait trop de raisons pour ne pas tomber dans la déraison : son esprit était trop bien fait pour ne pas trouver la balance des crimes et des splendeurs équilibrée. Dans son oreille tombait la musique et les rires et les grosses voix des hommes en train de raconter leur journée et les roucoulements des putains tâchées qui se mêlaient à cette vie brulante qui, même sous la pire envie d’un horrible dieu irritable et irrité, ne méritaient pas une fin terrible.

Il n’y a pas de justice, pour nous, les femmes, madame, souffla l’érudite, soudain songeuse.

Elles ne venaient pas avec les même chances et les mêmes droits. Alors il fallait être deux fois meilleure pour être écoutée au moins à leur hauteur.

Elle avait mal au crâne et peinait à organiser les idées qui déraillaient dans sa caboche exténuée, triste et désespérée.

Je… Je veux juste qu’on me rende mon bébé, cracha-t-elle cruement. Et vous voulez savoir le pire ? C’est que ce sont des gens de veux espèce, ceux qui porte le bouclier et l’uniforme, qui me l’ont enlevé. Ce sont eux qui…

Non, ça, elle n’avait pas le courage de le dire. Elle s’étrangla. Elle ne pouvait toujours pas mettre des mots sur ce qui était arrivé ce soir-là. La manière dont les soldats avaient profité d’elle à ce moment de vulnérabilité à en écorcher le cœur.

Et, pour la première fois, la grimace qu’elle retenait chiffonna son visage et elle se sentit si laide qu’elle se cacha dans ses mains. Accoudée au comptoir, elle ne voulait pas qu’on la voit ainsi parce qu’elle était de ses gens qui sont d’une dignité irréprochable même dans l’épreuve.

Si elle avait encore des larmes, elle les aurait pleurées à ce moment.

Autours la taverne continuait de ronronner le chant de la vie alors que la réfugiée se repliait soudainement sur elle-même pour mieux sentir le parfum de mort qui émanait du fond de sa ventraille. Sa colonne vertébrale d’habitude tendue comme la flèche d’une cathédrale s’affaissa pour qu’elle puisse disparaitre son minois détruit dans ses coudes croisés sur le comptoir.

Comment pouvait-elle accorder encore un morceau de confiance à un de ces gardiens de la cité qui n’avait pas jugé bon de protéger ce qu’il existait de plus fragile dans cette cité ?

Elle ne toucha pas à l’écuelle de blanc manger parce qu’elle ne pouvait déjà plus rien avaler. Ne restait que l’option de boire jusqu’à ce que la gnôle efface jusque l’envie d’assister à un procès couru d’avance.
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Madelyne LaFemelleMilicienne
Madelyne LaFemelle



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MessageSujet: Re: Se griser sous la grisaille [Madelyne LaFemelle]   Se griser sous la grisaille [Madelyne LaFemelle] EmptyJeu 20 Juin 2019 - 14:16


Se griser sous la grisaille
Madelyne feat Louise


Pas de justice pour les femmes. Ca, je ne pourrais oncque le nier. La moitié des maux de ce monde doivent venir de là. La pauvrette déchante quelque peu, ponctuant une nouvelle phrase par un ‘ma dame’ avant de réclamer son petit qui lui aurait été arraché par des pourritures de miliciens.

« Arrête de m’appeler ma dame, m’exaspéré-je. Je ne suis pas encore mariée. Et je suis personne. »

J’ignore s’il peut exister des mots assez fort pour réconforter la mère qui a perdue son enfant. Non, il ne doit pas en exister. Ou alors, ils sont bien gardés des hommes. Ah, je me demande ce que Bérard ferait à ma place.

Pour sûr, il lui lancerait sa gnôle au visage en lui disant qu’elle ne reverra jamais son gamin et qu’elle ferait mieux de se reprendre en main et de passer à autre chose. C’est ça, le Bérard… Il pourrait même lui dire d’aller en pondre un autre. Ca ne m’étonnerait pas de cet idiot...

L’homme haïssable au premier regard. Mais il faut le connaître pour apprendre à l’apprécier. Apportez de l’affection à quelqu’un en détresse, il se ramollira comme une grosse bouse et se mettra à chialer.

Cognez-le durement, et il sera plus déterminé que jamais à en découdre avec le monde entier. Qu’il en est conscience ou non, en tout cas, il est de bonne compagnie dans le désarroi le plus total.

Mais je ne suis pas Bérard… Je n’ai pas une once de sa force ni de sa hargne. Les leçons de vie, je ne sais pas les donner. Mais je sais les suivre. Dans ce monde, il faut apprendre vite.

« Ton enfant, tu ne le récupéreras pas, je lui assène sans la moindre pincette. Mais ce que tu peux faire, c’est aller faire brûler le temple. Ce que tu peux faire, c’est d’aller occire celui ou ceux qui l’ont mené là-bas. Non, ça ne le ramènera pas. Mais ça te donnera une raison de vivre et de ne pas sombrer dans la folie. »

J’ai du mal à me reconnaître par moment. J’ai tellement changé… Je n’ai jamais supporté la violence, et voilà que j’ai envie de raser la citée toute entière et que j’incite les autres à en faire autant.

Les Trois me pardonneront sûrement le blasphème que je viens de proférer. Ils comprendrons. Le temple n’est pas à l’abri de la folie et de la corruption lui aussi, tout comme la milice hélas.

Les endroits où la justice devrait régner à main de maître, mais où ne règne que l’horreur. L’homme pervertie tout. Les Trois mériteraient mieux que des fidèles pareils.

Je regarde distraitement l'espèce de gourgandine blonde qui me rebute de plus en plus poursuivre ses allers et venues entre les clients, jusqu'au moment où j'accroche son regard outrecuidant.

Je ne pense pas avoir le visage le plus amical de cette salle, et encore moins lui avoir lancé un regard bienveillant. Je crois que tout le dédain de ce monde peut s'y lire en ce moment.

Pourtant, elle se contente de me sourire avant de disparaître en cuisine. Sale vipère. Comment peut-elle me sourire alors que je la regarde de travers ?!

Mais elle se fout de ma gueule c'est pas possible. Je vais lui enfoncer mon épée dans le cœur à cette catin...

Je soupire avant de réaccorder mon attention à la jeune mère au fond de gouffre.

« La milice, je la côtoie jour après jour et ça ne m’étonne pas. La plupart des miliciens ne sont que des ordures qui abusent de leur autorité. »

Ah, les miliciens… Premier choix sur ma liste de la gente à éradiquer.

« Si je le pouvais, je les tuerais tous. Sans l’ombre d’un remord. A commencer par celui qui a décidé de m’épouser contre ma volonté, après m’avoir torturée dans sa putain de cave. »

Si seulement il n’était pas si bien entouré, j’aurais peut-être pu trouver le courage de l’affronter. Mais non, je ne m’en sens pas capable. Les Trois ont bien tout penser jusque dans les moindre détails, il faut le reconnaître.




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Louise Ochaison



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MessageSujet: Re: Se griser sous la grisaille [Madelyne LaFemelle]   Se griser sous la grisaille [Madelyne LaFemelle] EmptyJeu 4 Juil 2019 - 18:04
La milicienne assura ce que l’érudite savait déjà : son enfant, elle ne le reverrait jamais. Chacun de ces mots tombèrent comme des pierres. Droit dans le cœur de la mère qui s’écroula devant autant de dureté.

Le feu, la violence qu’on lui suggérait, la réfugiée le rejeta en bloc. Parce que ça ne faisait pas de son éducation. Parce que cela ne lui ressemblait pas. Parce ce qu’elle ne voulait pas de cette haine qui faisait que le monde avait cessé de tourner.

Et puis il y avait la folie. En vérité, l’érudite la voyait partout. Dans les yeux des gens qui jugeait sa présence dans ce bar. Dans les yeux de l’aubergiste à chaque fois qu’elle glissait une pièce dans sa grande main alors qu’elle n’avait plus que la peau sur les os. Et au fond du verre qu’elle buvait, dans son reflet, elle avait peur de se trouver folle aussi.

Et tout ça, c’était la faute des miliciens ; des sales gars en uniformes avec des gueules de loups, une poigne d’ours et des mots de serpents. Dans sa chair et dans son âme, l’érudite haïssait les couleurs de Marbrume et ses représentants. Par extension, elle la détestait aussi car avec son métier et la connaissance des pêchés de sa profession, elle n’avait pas encore levé le petit doigt. Même si elle n’oublia pas de préciser que l’envie la démangeait.

Au fond, l’érudite avait donc du mal à s’apitoyer sur son sort et ce qui lui arrivait, malgré toute l’humanité qu’elle trouvait dans ce bout de femme supplicié à sa façon, elle ne pouvait pas lui donner un morceau de cœur qu’elle n’avait plus.

Elle termina de boire ce qu’elle avait à boire et essaya de se mettre sur ses jambes qui tremblaient sous elle. D’une main tremblante, elle vida le contenu de sa bourse sur le comptoir. Il s’agissait là de ses économies toutes entières que l’aubergiste saisit aussitôt sans le moindre scrupule.

L’érudite lâcha un long soupire en sachant sa survie maintenant menacée par le manque de ressources. Mais ça ne l’importait plus vraiment. La conversion valait le détour. Et les mots qu’elles avaient échangés lui avait allégé l’âme.

Alors tuez-les tous, souffla la maigrelette.

Elle lui sourit, de ce sourire franc qui venait de l’idée que les hommes qui avaient fait rompre son corps et plié son cœur mourraient un jour.

Et les pas de la jeune femme la menèrent dehors où une fine bruine tombait. L’eau roulait sur son visage creusé de tous ses tourments. Ses paupières se fermèrent pour profiter de ce moment. Elle se sentait si sale et c’était comme si le contact avec la pluie la rendait plus pure.

Avant même qu’elle n’en ait eu l’idée, toute emmêlée dans ses pensées trempées dans l’éther, elle se retrouva devant chez elle. Mouillée jusqu’aux os et l’ivresse conférait un peu de légèreté à ses mouvements confus.

Pour la première fois depuis la disparition de l’enfant, elle allait dormir d’un sommeil de plomb. Elle devrait doucement enterrer l’espoir de retrouver sa vie passée et revoir encore le sourire du petit autour duquel elle avait construit une existence qui s’avèrerait trop morne sans lui pour être vécu.

Ce n’est pas dans la nature qu’une mère ait à enterrer son enfant. Alors c’est pour cela que les hommes ont inventé le vin : pour alléger drastiquement le poids du monde. Mieux se réfugier dans le rêve et l’ivresse que de supporter et la violence et la perte et la désillusion liée à la sagesse des hommes.

Ce monde était fou. Il était alors temps d’agir comme ce monde.
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