Entre conseil et entraînement [PV Aeryn]

Cela faisait une bonne semaine maintenant qu'ils étaient revenus de mission et que Finn réfléchissait à la meilleure façon d'amener la discussion qu'il voulait avoir avec Aeryn. Depuis son arrivée au sein de la Compagnie des Lames avec ses frères, la jeune femme n'avait eu de cesse de faire ses preuves de différentes manières, pour différentes raisons. Si certains avaient douté d'elle, ils s'étaient tous rendus à l'évidence que la rousse savait aussi bien manier les armes qu'un homme et qu'elle était toute aussi talentueuse que les autres mercenaires, quand bien même elle n'avait pas forcément l'expérience de Strakhov ou la haute taille du Second. Ce dernier n'était pas le plus doué qui soit concernant les femmes d'armes, la preuve en avait été sa relation passée avec une chasseuse devenue milicienne qui avait fini par le quitter, ne supportant pas qu'il s'inquiète sans cesse de la voir revenir avec des marques de coups au visage ou de fouet dans le dos. Trop protecteur envers la gente féminine -son père avait toujours été si respectueux envers sa mère qui avait si bien couvé son fils unique- Finn avait tenté plusieurs fois de faire comprendre subtilement à Aeryn qu'il était de son côté, mais celle-ci persistait à voir chacune des interventions en sa faveur comme un moyen de lui rappeler qu'elle avait besoin d'être protégée, affirmant alors qu'elle n'avait pas besoin de lui, bien que toujours avec un minimum de respect, sans doute parce qu'il était Second. Ah, il aurait presque préféré qu'elle s'emporte une bonne fois à son encontre plutôt que de ruminer, mais du coup une idée avait fini par germer durant leur dernière mission vers le Labret et il avait décidé de la mettre en application sans plus attendre. Une semaine c'était déjà plus qu'il ne pouvait en supporter.

- Aeryn, viens avec moi, j'ai à te parler. Seule.

Il était allé la trouver dans l'arrière-cour qui servait de zone d'entraînement et il avait jeté un regard chargé d'avertissement aux frères de la rousse qui déjà amorçaient un premier mouvement pour la suivre. Un bref signe de tête à leur égard et le Second tourna les talons, en apparence autoritaire et laissant à murmurer quelques-uns des membres de la Compagnie qui se demandait bien ce que la jeune femme avait pu faire pour que le bras droit du Capitaine soit si sérieux. Délaissant tout ce monde, Finn pénétra à l'intérieur du quartier général et, s'assurant d'être suivi, se dirigea non pas vers le bureau à l'étage, mais vers la salle d'arme qui se trouvait calme et déserte à ce moment de la journée. Les hommes reviendraient y déposer leurs affaires plus tard une fois l'entraînement terminé, en attendant ils avaient quelques moments de tranquillité pour eux.

- Ferme la porte derrière toi et approche.

Laissant le temps à Aeryn d'obtempérer, le Second patienta tranquillement, bras croisés au milieu de la pièce et l'air faussement sévère, avant de finalement soupirer une fois qu'il fut certain qu'ils étaient seuls.

- Je voudrais savoir comment tu te sens vis-à-vis des autres membres de la Compagnie, tes frères exceptés. J'attends de toi une réponse sincère et pas besoin de chercher à minimiser quoi que ce soit dans un sens ou dans un autre.

C'était probablement un peu trop direct comparé à leurs échanges passés durant lesquels il avait toujours fait preuve de retenue, mais il lui semblait évident à présent qu'il n'avait pas prit les choses de la bonne façon et que tout était à recommencer. En cela l'exemple du Capitaine avait été très parlant durant la mission.

Par quoi pouvons-nous juger la durée du temps qui passe ? Par un simple calcul imposé par les astronomes antiques ou par l'ennui subit durant cette période ? Un esprit logique et cartésien, affirmerait probablement que le temps passe toujours de la même manière… Moi, en bonne chieuse, j’affirmerai le contraire. Une semaine d'ennui et d'inactivité. Une semaine passée à l'auberge à servir boissons et repas aux pochtrons du coin. Une semaine à tuer le temps sans le voir s'écrouler dans une marre de sang… Mais heureusement pour moi, même sans mission, il restait l'entraînement pour me défouler et évacuer le trop-plein d'énergie accumulé.

-Allez, viens là, fillette, je t'attends, me provoquait Ivaad en affichant un sourire carnassier.

Autant dire que je ne comptais pas y aller de main morte. L'entraînement est certes quelque chose de sérieux, je ne peux pourtant pas m'empêcher de m'amuser. Après tout, nous n'avions pas d'autres jeux durant notre enfance. Nous n'avions tout simplement pas le droit d'être des enfants, Rodrick ne le tolérait pas. Ainsi, tout naturellement, nous voyons cela comme une sorte de moment convivial nous apportant, chaque fois, une nouvelle leçon. Coup d'estoc. Parade. Riposte. Assaut. Arrêt. Sans rire, puisqu'il me fallait rester sérieuse, il m'était impossible de m'empêcher de sourire, tout comme mes frères. Certaines choses restent, malgré le temps qui passe…

J'étais dans mon élément, prise dans une danse rythmée par le choc de l'acier de nos lames émoussées. Chacun de mes assauts était empli de ma hargne. Chacune de mes visées était soigneusement calculée pour frapper là où j'étais certaine de blesser. De mes frères, Ivaad est probablement le plus fort, mais certainement pas le plus rapide. Ses coups s'avéraient faciles à esquiver, pour peu que l'on sache montrer un peu de souplesse et d'agilité. Deux qualités que je possédais, fort heureusement pour moi…

En réalité, il suffisait d'attendre le bon moment et surtout de pouvoir rester sur ses jambes en attendant. Ivaad frappait de plus en plus fort, souvent au même endroit comme pour casser la défense de son adversaire… Seulement, en faisant cela, il m'était à mal ses propres appuis, ne restait plus qu'à guetter le moment où tout son poids tenait sur une seule jambe et là… Je me saisis de son bras armé, avant pivoter afin d'attirer tout son poids sur une seule jambe mettant ainsi à mal son équilibre. Il ne me restait plus qu'à placer la mienne au bon endroit pour le faire basculer en avant et le faire ainsi chuter sur ses genoux tandis que je ramenais son bras dans son dos. Ainsi placée, l'arme ne pouvait être tenue et celle-ci chuta dans un bruit de ferraille au moment même où ma lame rencontra sa gorge.

-J'ai gagné,murmurai-je à son oreille avant de le lâcher pour ramasser son épée et la lui rendre.

-Héhé, bien joué gamine. Celui-là, je ne l’ai pas vu venir, s'esclaffa le frangin en se relevant.
-Tu n'es qu'une brute sans cervelle, combien de fois t'ai-je dit de faire attention à tes appuis ?

Ivaad éclata de rire face à mon aplomb, mais n'en guère le temps de me répondre, puisqu’une voix m'interpela : Le second. Que me voulait-il au juste ? Je lançais un regard étonné vers mes frères tout aussi surpris que moi. Kaël et Elwin en abandonnèrent même leur propre combat, l'aîné affichant un air assez inquiet. Ne pouvant désobéir à mon supérieur, je ne pus que le suivre, abandonnant mon arme à Elwin qui s'était approché.

-Qu'as-tu fait ?
-Aucune idée.

Curieuse, mais aussi méfiante, je suivis Finn à l’intérieur, fixant son dos, comme si celui-ci pouvait m'apporter les réponses… Le second m'entraîna jusqu’à la salle d'armes… Choix plutôt singulier pour une banale discussion… peut-être ne serait-elle pas si banale après tout, je ne comprenais toujours pas ce qu'il pouvait bien me vouloir. Je fermais la porte, comme il me l'avait demandé avant de m'adosser à celle-ci. Il se tenait là, les bras croisé, maintenant une attitude sérieuse et relativement fermée… Du moins jusqu'à ce qu'il n'ouvre la bouche pour me poser une question qui me laissa bouche bée.

- Qu'est-ce que… ?

Que voulait-il dire par là ? Pourquoi me demander comment je me sentais au sein de la compagnie… Non pas pour le travail en lui-même, non, mais vis-à-vis de mes compagnons d'armes… Je ne comprenais pas… À moins qu'il ne s'agisse, une fois encore, d'un moyen de me “couver"... Doutait-il de moi ? De ma capacité à m’intégrer ou simplement à me défendre en cas d'attaque ou de simple brimade… Bon sang… Pourvu que ce ne soit pas ça…

J'abandonnais la porte pour le rejoindre, plongeant mes yeux dans les siens afin d’avoir une meilleure idée de ses intentions. Je me plaçais face à lui, les bras ballants sans pour autant détacher mon regard du siens.

-Posez-vous cette question à chacune de vos recrues, ou me la réservez-vous ?

Il avait beau affirmer que je faisais partie de cette compagnie au même titre que les autres, je voyais bien qu'il me traitait différemment. Je n'aimais pas cela… Je n'aimais pas que l'on pointe du doigt ma féminité, que l'on me juge faible simplement parce que je n'avais pas de paquet entre les jambes.

-Vous n'avez pas à vous inquiéter pour moi, je pensais que vous l’aviez compris… Mais je me suis trompée, visiblement...

A peine Aeryn avait-elle posé sa question que le Second comprenait qu'elle était sur la défensive au sujet de ce tête-à-tête imposé. Ah, évidemment, il aurait dû s'en douter, pourtant au lieu de lui répondre, voilà qu'elle faisait preuve d'une bravade qui n'avait pas lieu d'être à son égard et qui ne manqua pas de l'irriter passablement.

- Ce n'est pas ce que je t'ai demandé.

Lâcha-t-il d'un ton implacable, avant de soupirer légèrement, se retenant de secouer la tête et décroisant les bras.

- Écoute, je ne remet pas en doute tes compétences, aucune d'entre elles, mais je veux savoir comment tu perçois ta place au sein de la Compagnie. Pas en tant que femme, mais en tant que mercenaire.

Était-ce si étonnant ? Probablement un peu, mais il songea aussi qu'une telle approche était peut-être un peu trop directe et il préféra reprendre sur un ton moins sévère.

- Nous avons déjà eu des femmes parmi nous, toutes aussi douées que tu l'es, malheureusement elles ne sont pas restées et l'une d'elle m'a confié avant de partir qu'il s'agissait d'une question de... disons de jugement provenant des autres.

Finn eut une brève grimace et s'écarta de la rousse pour faire quelques pas dans la salle, réfléchissant à la question autant qu'il se remémorait cette époque où Cywel combattait à ses côtés alors qu'il n'était encore qu'un élément parmi les autres, bien avant qu'il ne soit nommé bras droit du Capitaine.

- Je voudrais éviter de devoir arbitrer des duels tous les quatre matins, pourtant je n'hésiterais pas si cela peut te rassurer.

Dit-il avec un sourire amusé au coin des lèvres, se retournant vers elle avec un air plus détendu.

- Plaisanterie à part, j'ai à cœur en tant que Second de savoir comment se porte tous nos éléments, que tu sois une femme ne change rien à l'affaire.

Même s'il ne pouvait nier que c'était justement parce que certains la déconsidérait dans son dos qu'il agissait de la sorte. Il ne voulait pourtant pas la vexer ni la rabaisser, mais c'était décidément toujours bien difficile de porter de l'attention à une femme d'arme sans que celle-ci ne se s'offusque.

Je le laissais parler, m’expliquer qu'il ne faisait aucune différence entre les autres et moi. Me raconter qu'il se contentait d'être un bon second en veillant sur ses hommes en me fournissant quelques exemples d'anciennes recrues féminines ayant préféré partir… Mais même si je ne doutais pas de ses bonnes intentions, je ne le croyais pas tout à fait pour autant. Seulement, il m'apparut bien vite que je ne pourrai rien contre cela. En revanche, je notais que son expression changeait en suivant ses paroles, tantôt ferme, tantôt plus enjouée, comme lorsqu’il fit référence à un fameux duel et de son arbitrage… Il me parut donc évident qu’il essayait de me mettre à l'aise sans me braquer…

-Il est si difficile de me parler ? Vous semblez marcher sur des oeufs, lui dis-je, souriant légèrement tout en me tournant vers le mur où plusieurs dagues étaient accrochées.

Je me saisis de l'une d’elles, la tournant dans tous les sens pour en admirer la lame, son tranchant, sa pointe. Certains attachent énormément d'importance à la décoration du manche, mais pas moi. Une lame digne de ce nom se doit d'être utilisée et non d'être seulement exposée, un ornement trop important jouerait sur la maniabilité… Oh, évidemment, je me fichais bien de la dague, je voulais seulement lui tourner le dos pour ne pas avoir à affronter son regard. Je n'éprouvais ni gêné, ni honte… Mais j'avais bien conscience que mes propres expressions avaient tendance à poser des barrières inutiles et ne pouvant les contrôler, il m’était plus facile de simplement regarder ailleurs.

- Je vais bien, même si je n'évolue pas dans une ambiance idéale et parfaite. Ce ne sera jamais parfait. On ne change pas si facilement les mentalités, mais je peux vous assurer que je n'ai pas à me plaindre. La plupart d'entre eux se comportent plutôt bien. Ils se tiennent à distance, certes, mais ils ne me cherchent pas querelle.

Tout en parlant, j’effleurais doucement le tranchant de la lame sans pour autant entamer ma chair. Elle aurait besoin d'être affûté…

- Cela peut être difficile à croire, mais j'ai pourtant vécu bien pire auparavant. D'ailleurs, il y a encore quelques mois, je n'avais même pas le droit d'ouvrir la bouche pour que l'on ne découvre pas ma nature. J'étais le fils muet de mon père, vous l'avez peut-être connu, je ne sais pas. Il m’a élevé dans la violence perpétuelle… Mais ironiquement, c'est aussi grâce à sa manie de me battre que je suis encore en vie aujourd'hui.

Loin de moi l’idée de développer plus que nécessaire, il ne pouvait que comprendre après tout. Lasse d'observer l'arme, je la reposais à sa place avant de me retourner.

-Laissez-les donc m'insulter si ça leur chante. Laissez-les me frapper, mais sachez qu’aucun d'eux ne pourra seulement égaler les coups de Rodrick ou de mes frères. J'ai survécu jusque-là et je ne compte pas baisser les armes pour le moment. Personne ne pourra me protéger, ni vous, ni mes frères, ni même le Capitaine. Mais n'ayez crainte, j'ai peut-être mauvais caractère, mais je ne suis pas du genre à provoquer une bagarre pour autant. Faites seulement ce que vous affirmez faire, traitez-moi comme les autres et seulement là, ils vous imiteront.

Finn aurait bien voulu lui dire qu'en effet, il lui était difficile de lui parler sans la vexer, que les femmes avaient le don de prendre ombrage de la protection des hommes lorsqu'elles évoluaient dans un milieu masculin, ou même tout simplement qu'il était profondément maladroit pour exprimer ce genre d'inquiétude, mais tout cela n'aurait rien arrangé à l'affaire et il se contenta donc d'un sourire gêné, laissant Aeryn se détourner pour aller s'emparer d'une dague et jouer avec. Elle lui répondit pourtant et ses paroles furent assez rassurantes pour le Mercenaire qui acquiesça légèrement, soulagé il fallait bien le reconnaître, encore que la suite de ses propos ne manqua pas de le faire frémir intérieurement. Le Second savait la chance qu'il avait eu dans sa famille, d'autant plus en étant né garçon, mais il imaginait difficilement combien cela avait pu être éprouvant pour une petite fille de devoir se comporter comme ses frères et d'endurer les Trois savaient quels sévices... Pour autant elle ne se plaignait pas, mais sans doute était-ce parce qu'elle avait été forgée ainsi, elle était devenue qui elle était parce qu'elle avait vécue ainsi.

- Les épreuves nous endurcissent, c'est vrai.

Et la vie de Aeryn avait dû être une épreuve permanente, assurément, tandis que la sienne n'avait vraiment basculé qu'à l'arrivée de la Fange, l'obligeant alors en tant que seul survivant de sa famille à prendre les armes pour demeurer vivant dans ce monde devenu chaotique. N'eut été le Capitaine et la Compagnie des Lames, les Trois seuls savaient comment il aurait pu finir... Ce fut alors qu'il songeait à cela que la rousse reposa la lame et pivota pour l'observer de nouveau, l'arrachant à ses propres souvenirs pour lui déclamer une vérité qui, si elle fut dure à entendre, n'en demeurait pas moins la plus juste qui soit.

- Je le ferais, tu peux compter sur moi. Et si parfois j'oublie de le faire, parce que je me connais tu sais, j'ai parfois envie de veiller sur autrui tu vois... et bien tu n'auras qu'à me le rappeler.

Un sourire coupable apparu sur ses lèvres, teinté d'amusement face à sa propre faiblesse. Comment qualifier autrement le fait qu'il ne soit pas encore capable de faire totalement la part des choses comme son mentor ou Strakhov ? Bien sûr on lui avait déjà dit que c'était par manque d'expérience et d'ancienneté, que cela viendrait avec le temps et les épreuves, mais Srakhov lui avait déjà soufflé par le passé que c'était parce qu'il avait le cœur trop tendre dans le fond. Comble ou chance, seul l'avenir le dirait.

- En attendant, je ne t'ai pas fait venir ici juste pour parler.

L'expression de Finn changea soudain, son sourire se faisant plus intéressé, plus sérieux aussi, alors qu'il dégainait lentement la Claymore dans son dos, dévoilant la lame que Aeryn avait déjà pu voir durant les missions. Le Second et le Capitaine ne s'entraînaient plus ensemble devant les autres, plus depuis qu'avant l'arrivée de Aeryn et ses frères, ils avaient eu un duel pour tester les compétences du jeune homme et que celui-ci avait gagné, fut-ce de justesse. Une des histoires qu'on avait pu raconter à la fratrie à leur arrivée.

- Je voudrais que nous nous entraînions ensemble, j'aimerais voir comment tu t'en sors face à ce genre d'arme et si moi j'arrive à suivre un adversaire aussi vif que toi.

Un peu comme Cywel à l'époque qui maniait une épée plus fine et légère que les autres, qui n'avait jamais eu la force de frappe de Finn, mais qui savait porter des coups mortels avec la pointe de sa lame, perçant les points vitaux de ses adversaires jusqu'au travers des armures. L'homme de haute taille était certain que Aeryn était encore plus redoutable, il l'avait vu faire en entraînement comme en mission et cela le démangeait depuis trop longtemps.

Je n'ai jamais aimé parler de moi, je préfère garder certaines choses secrètes simplement parce que cela ne regarde personne. Et puis, on ne m'a pas habitué à parler, en particulier de ce qui pouvait me toucher plus ou moins profondément. Pour mon père, tout devait être enfouis, oublié afin de ne pas resurgir au plus mauvais moment. Je me suis souvent demandé s'il avait agi ainsi après la mort de ma mère. Avait-il vraiment réussi à passer outre le chagrin engendré par la perte de la femme pour qui il avait tout abandonné ? Possible, après tout, il n'a jamais évoqué son souvenir, personne ne l'avait fait, si bien que je ne savais strictement rien de la femme qui m'a mise au monde. Ce n'est pas grave, cela ne m'a jamais empêché de vivre et de grandir, de devenir la femme que je suis aujourd'hui.

Il y a également une autre raison pour laquelle je n'évoque pour ainsi dire jamais mon passé. Si certains comprennent et savent laisser les choses à leur place, d'autres ne peuvent s'empêcher de s'apitoyer sur le sort d'une pauvre gamine… Sauf que moi, je ne vois pas les choses ainsi. C'est seulement ma vie, mon passé, un enchaînement d'évènements s'étant déjà déroulés et sur lesquels je ne peux plus avoir d'influence. Quelle importance y accorder donc ? Aucune selon moi, je ne m’intéresse qu'au présent, rien de plus.

Les réponses du second me rassurent donc. Il ne me pose pas de question supplémentaire et se contente finalement d'acquiescer. Je ne peux retenir un sourire satisfait lorsqu’il me demande de le rappeler à l'ordre à chaque moment d’égarement.

-Oh, mais vous pouvez compter sur moi.

J'hausse toutefois un sourcil en le voyant dégainer son immense épée. Une Claymore, le genre que mon père affectionnait entre toute. Il faut dire qu’elle collait parfaitement avec la gigantesque carrure qui fut à l'origine de son surnom. Rodrick le géant.

-Jolie lame, affirmé-je en pouffant de rire. Va pour un entraînement, mais êtes vous certain de vouloir faire cela… ici ?

J'écarte les bras comme pour épouser l’ensemble de la pièce. La salle d'armes n'est peut-être pas minuscule, mais reste néanmoins de taille plutôt restreinte et surtout encombrée. En soit, cela ne me gêne pas particulièrement, mes lames sont bien plus petites et maniable que la sienne, mais c'est justement à lui que je pense en faisant allusion à l’endroit.

-Arme réelle ? lui demandé-je tandis que mon sourire s'étire en signe d'amusement.Cela m'ennuierai de vous… couper , voyez-vous?

Un peu de provocation n'a jamais fait de mal à personne après tout. Lui-même semble s'amuser de la situation, alors pourquoi pas lui montrer ouvertement le mien. Avec un peu de chance, mon aplomb ne ferait que prouver mes affirmations d'un peu plus tôt. Qui sait ?

-Très bien, va pour un entraînement. Cela fait longtemps que je ne me suis pas retrouvée face à une arme telle que celle-ci.

Puisque son but est de me tester, je ne peux me permettre de me montrer aussi sereine qu'avec mes frères ou certains de mes compagnons. Eux, j'ai largement eu l'occasion de les voir s'entraîner, il suffisait de les observer avec suffisamment d'attention pour connaître leur manière de combattre. Or là, je me trouvais en territoire inconnu. Le second ne s'entraîne jamais avec nous et ce n'est certainement pas en mission que je peux me faire une idée de sa technique. Alors je souris, certes, c'est plus fort que moi, mais je n'en suis pas moins inquiète et concentrée.

Finn ne pu réprimer un sourire quand Aeryn affirma qu'il pouvait compter sur elle, l'imaginant sans mal lui montrer sa désapprobation avec une moue glaciale qui l'obligerait à demeurer constant et sérieux. Lorsqu'il dégaina son épée, il sourit au compliment de la jeune femme et hocha la tête à sa question, jetant un regard autour d'eux avant de reporter son attention sur elle.

- Oui, cela m'entraînera.

Il avait l'habitude de manier sa Claymore en extérieur durant les missions ou lorsqu'il partait s'entraîner seul, mais les endroits plus exigus n'étaient pas idéaux pour ce type d'arme et malgré tout il savait risquer d'y être confronté tôt ou tard. Sans qu'il ne sache pourquoi, son instinct le lui soufflait avec véhémence et il ne pouvait l'ignorer, il ne devait surtout pas l'ignorer.

- Si nous pouvons éviter de nous blesser, ce sera parfait, mais sache que je ne retiendrais pas ma force pour autant. Il s'agira surtout de comparer nos techniques qui sont très différentes.

Ils avaient autant à apprendre l'un de l'autre, mais le Second ne pouvait pas retenir lui non plus l'irrépressible sourire qui étirait ses lèvres, trahissant un amusement qu'il partageait avec la Mercenaire. Il lui laissa le temps de sortir sa propre épée et de se mettre en position, serrant à deux mains le manche de la sienne en se mettant en place.

- Prête ?

Son sourire s'étira plus encore et il attendit qu'elle lui réponde d'une façon ou d'une autre avant de foncer soudain vers elle avec rapidité, armant un coup évident qu'elle pourrait parer si elle ne voulait pas encaisser la blessure faite par la lame. Un coup direct, partiellement incliné et qui permettait à deux lames de se bloquer et de riper sans déraper trop dangereusement. Si la première attaque fut simple, la force qu'il mit dans le mouvement provoqua un son aiguë alors qu'une petite onde de choc se répercutait dans leurs bras en une vibration dérangeante. Le Second sembla ravi et recula d'un bond souple en arrière, se mettant en garde à son tour, laissant Aeryn venir à lui pour la prochaine passe. Il s'agissait d'un entraînement amical, pas d'un défi destiné à mettre l'autre à terre, malgré tout rien n'interdisait qu'ils y mettent de l'énergie et de la force.

Il ne se retiendrait pas, en voilà une bonne nouvelle. Je dois bien avouer qu'avec tout cela, je craignais de le voir essayer de me ménager. Après tout, inutile d'être génie tacticien pour réaliser que la force du second surpassait la mienne, et de loin. Seulement, le choix de l'environnement m'offrait néanmoins un avantage. Ma lame ne demandait que peu d'espace pour être maniée avec aisance, tout comme ma petite carrure qui me permettait de me faufiler partout. Je ne serais pas gênée par les caisses trônant ci et là, bien au contraire, chacune d'entre elles m'offrait un tremplin pour me permettre d'amplifier ma force au besoin.
Enfant, je ne pouvais comprendre l'affirmation de mon père, mais pourtant, je ne pouvais que reconnaître sa logique. Quand on possède une force bien inférieure à celle de son adversaire, mieux vaut apprendre à se montrer plus agile, plus rapide et surtout plus déloyal que lui. J'avais donc l'habitude de me servira avant tout de mon environnement avant d'utiliser la propre force de mon adversaire. Il suffisait de savoir observer pour anticiper et donc… cela voulait aussi dire se mettre en danger en laissant volontairement l'autre attaquer en premier.

Autant dire que je ne pouvais être que curieuse dans ce cas précis. Je ne le connaissais pas et son arme, si particulière, ne laissait aucune place à l'erreur.

-À la bonne heure, lui dis-je en dégainant ma lame.

Je plongeais mon regard dans le sien, l'affrontant ainsi d'une manière silencieuse avant que le vrai combat ne commence. Un autre sourire étira mes lèvres chargé d'autant d'amusement que de défiance. La confiance aussi est une arme, lorsqu’elle est bien employée… Seulement, mieux vaut éviter d'en abuser, aussi, je retrouvais rapidement un air plus sérieux et concentré. Ma mine s'assombrit, mon regard se fit plus froid… Plus calculateur aussi.

-Prête, déclarais-je sobrement en me mettant en position, plaçant volontairement mes appuis sur ma jambe gauche placée à l'arrière.

Prête à encaisser sa première attaque qui ne tarda pas. Celle-ci me permit de mesurer sa force et bon sang… Il n'en manquait pas. Je ployais légèrement pour laisser sa lame glisser le long de la mienne en suivant le mouvement qu'il avait lui-même imposé. Mince, le choc résonnait dans mes bras comme pour y graver la force qu'ils venaient de subir.

D'accord…

J'observais ses mouvements, sa posture, son regard. J'analysais, comme je le pouvais, mais il serait bien stupide de ma part de croire que tout se résumait à une seule et unique attaque. Visiblement satisfait de lui, le second recula d'un bon avant de se mettre en position de défense pour m'inviter à attaquer à mon tour.

D'accord…

Je me souvins alors des leçons de mon père. Rodrick affirmait que l'ennemi le plus redoutable de la Claymore ,n'était pas une vulgaire épée, mais deux dagues affûtées. Cela peut paraître ridicule, en particulier lorsque l'on place les lames à côté comme pour les comparer, mais c'était pourtant loin d'être stupide. Seulement, pour l'heure, je n'avais que mon épée… Mais il semblait bien évident que ma force misérable ne servirait à rien ici. Tant pis…

J'attaquais à mon tour, ajoutant de la vitesse à mon mouvement. Ma lame rencontra la résistance de la sienne, mais je ne lui en imposais pas davantage. Au contraire, je relâchais légèrement la mienne en retirant une main, l'autre se resserrant fermement sur le pommeau pour ne pas me faire bêtement désarmer. Privée de résistance physique, sa lame ne put que glisser rapidement, geste amplifié par un pivot qui me permit de me placer juste au niveau de son flanc délaissé. Là, je plaçais deux doigts, simulant ainsi une lame bien plus petite.

-Touchée, lui dis-je en souriant avant de tourner sur moi-même pour me remettre en garde.

Elle avait résisté et pas qu'un peu, faisant naître un sourire ravi sur les lèvres de Finn qui, honteusement, avait menti quant au fait d'y aller à fond. Non, il ne pouvait décemment pas y aller à fond, pas avec sa Claymore qui avait déjà été malmenée par trop de fois, pas comme lorsqu'il avait croisé le fer avec le Capitaine en utilisant des épées d'entraînement justement faites pour éprouver la force de l'autre... Mais il ne se retenait pas tant que cela, assez pour ne pas esquinter leurs lames, mais pas suffisamment pour que Aeryn n'éprouve pas le choc et ne ressente pas sa force. Après l'attaque, les Mercenaires reprirent leurs positions et le Second se plaça de sorte à recevoir la prochaine attaque, savourant de voir la jeune femme lui foncer dessus sans hésiter une seule seconde, percevant son mouvement, son bras qui bouge, sa main qui vint se placer à son flanc et qu'il suivit du regard, un large sourire étirant ses lèvres, d'amusement et de fierté aussi. Elle était vraiment douée.

- Une chance que ce ne soit qu'un entraînement.

Dit-il en se redressant, observant la garde de la rousse, sa posture, la façon dont elle tenait son arme et le dévisageait... oui, elle était parfaitement capable d'encaisser un style de combat agressif, elle bougeait aussi vite qu'un autre, était sans doute aussi agile qu'une acrobate ou peu s'en fallait... un vrai assassin, le style de combat idéal pour une femme de son gabarit.

- Bien, je crois qu'on peut faire mieux l'un comme l'autre.

Délaissant sa Claymore qu'il alla poser avec précautions sur un porte-épée, il alla prendre deux lames d'entraînement dont l'état ne laissait aucun doute quant à l'usage qui en avait été fait tant elles étaient déjà bien abîmées. Le Second revint vers la Mercenaire en lui en tendant une, la laissant la prendre avant de soulever légèrement un pan de son armure de cuir, révélant un manche de couteau qui dépassait, un large sourire galvanisé d'adrénaline et d'impatience sur les lèvres.

- Je te propose un vrai combat amical. Pas de coup mortel, pas de coup incapacitant de manière définitive, pour le reste...

Il haussa les épaules et rit un peu, terriblement amusé malgré lui à l'idée d'un combat.

- Évitons juste de ne pas nous blesser ou nous entretuer, d'accord ? Le Capitaine n'apprécierait pas qu'on ne soit pas opérationnels pour une mission.

Il fit mouliner un peu son poignet, soupirant d'aise au poids bien plus léger de l'épée d'entraînement, avant de dégainer l'un des deux couteaux qu'il portait, celui qu'il avait montré, l'autre se trouvant dissimulé à un endroit à portée de main pour un homme immobilisé à terre. Finn roula des épaules, de la nuque, puis se mit en position de combat et non plus d'entraînement pour l'attaque ou la défense. Il laissera Aeryn venir cette fois et commença à enchainer avec elle des passes quelque peu classiques, se réhabituant d'abord à une arme plus légère avant de commencer à accélérer le rythme. Coup d'estoc, parade, lames qui ripent l'une sur l'autre, déplacements rapides sur leurs flancs qu'ils couvraient en se repositionnant à chaque fois, aucun des deux ne voulait laisser la plus petite ouverture. Finn avait un irrépressible sourire et il était évident qu'au-delà du côté instructif de ce combat, il y prenait un réel plaisir, qu'il s'agissait là de ce qui le faisait se sentir le plus vivant, le plus alerte aussi. Débarrassé du poids et de la taille encombrante de se Claymore, il pouvait bouger plus librement, plus rapidement et sa force n'en demeurait pas moins présente, bien qu'il n'y aille pas tout à fait à fond au début. Plus les secondes s'égrenaient, plus elles devenaient minutes, et plus sa force allait en grandissant. Il se retenait de moins en moins, n'usant de son couteau que pour parler celui de Aeryn qui tentait habilement de le placer en position de défaite par une attaque plus pernicieuse qu'il déjouait, parfois de justesse tant la rousse était vive et agile. Face à un adversaire ordinaire, elle aurait été maintes fois victorieuse, assurément. Passé donc plusieurs minutes, alors qu'ils montraient tous deux un début de souffle plus rapide, plus lourd, Finn recula de quelques pas, l'avisant avec bonheur.

- Tu es tellement douée ! En mission on a jamais l'occasion de s'amuser autant ni d'avoir l'occasion de voir l'autre combattre, il y a trop d'ennemis pour ça, mais là... !

Et il souriait comme un imbécile, trop heureux de ce combat amical, de ce que la jeune femme paraît chaque attaque pour mieux fondre sur lui en retour, l'obligeant également à parer et, il fallait bien le reconnaître, dans une pièce plus petite que l'arrière-cour d'entraînement, elle pouvait lui tenir tête dans ce type de combat sans trop de difficultés, tout du moins était-ce l'impression qui en ressortait.

- Tu veux qu'on y aille... vraiment à fond ? Je veux dire...

Aïe, la boulette. Il lui avait dit ne pas se retenir et voilà qu'il lui demandait si elle voulait y aller à fond. Non, une minute, il lui avait dit qu'il prendrait garde à ne pas la blesser et vice versa, mais s'ils décidaient de chercher à se blesser... Il se frotta l'arrière du crâne, l'air clairement embêté.

- Quoique si on se blesse, le Capitaine ne va pas apprécier. Mais je suis sûr que tu arriverais à parer la plupart de mes attaques, par contre si à un moment on se loupe...

Il était tiraillé entre l'envie d'aller plus loin, plus franchement dans ce combat, et celle de ne pas blesser l'un des membres de la Compagnie, ce qui pourrait être très mal reçu autant par son mentor que par les autres Mercenaires, sans parler des frères de la rousse qui ne manqueraient pas d'être furieux. Ils étaient encore plus protecteurs que lui, ce qui n'était pas peu dire.

Les premières passes effectuées, je compris à sa manière de se tenir et de me regarder que je venais tout simplement de passer un test. Il avait voulu me jauger, voir si j'étais effectivement capable de lui tenir tête lors d'échanges plus sérieux que les précédents. C'était le cas, je le lui avais prouvé. Et c'est avec un grand sourire et une légère révérence que j'accueillais ce qui ressemblait fort à un compliment déguisé.

Il souhaitait laisser nos armes affûtées de côté, un choix que je trouvais des plus judicieux. Le but n'était pas de nous blesser ou d'user inutilement nos lames après tout. Je l'imitais donc, accrochant ma propre épée sur un emplacement laissé vide derrière moi. Ceci fait, je me saisis de l'arme d'entraînement qu'il me tendait. Je la fis tournoyer dans ma main pour en mesurer le poids, la stabilité et surtout pour m'habituer aux changements ainsi apportés. Le second, visiblement très amusé, me montra ensuite le couteau qu'il dissimulait sous son plastron. J'haussais un sourcil à sa vue, avant de sourire lorsqu'il proposa un “vrai” combat amical. Néanmoins, je me gardais bien de lui montrer mes propres lames et si la dague dans mon dos était parfaitement visible, celle reposant dans ma botte restait préservée de sa vue.

- Ça me va, répondis-je simplement en lui rendant son sourire avant d'attaquer la première.

[center]“Certains ne s'épanouissent qu'au coeur de la bataille, je suis de ceux-là et vous serez ainsi, vous aussi.”[center]

Voilà comment mon père nous a élevé, mes frères et moi. Pour lui, nous ne pouvions n'être rien d'autre que des guerriers, avides de fers croisés et de sang. Le paternel avait peut-être raison, car en cet instant, je me sentais réellement vivante, galvanisée par ces échanges soigneusement portés. Je m'amusais des réactions de mon adversaire, le provoquant volontairement parfois. Moi aussi, je le testais. J'avais beau m'amuser, je ne me faisais guère d'illusion, malgré ses promesses, le second se retenait tout de même… Mais il n'était pas le seul. Mes pieds ne quittaient pas le sol, je n'usais pas de mes techniques habituelles, bien plus vicieuses, me contentant avant tout de l'observer.

-Les enjeux sont bien trop importants en mission pour que l'on puisse se permettre de se montrer aussi… libre ?

Et puis… Dans une proposition bien maladroite, le second confirma ce que je pensais depuis un moment : il se retenait. J'en comprenais la raison, cela dit. Aucun de nous n'avait l'intention de blesser l'autre par mégarde. Il était si facile de se laisser aller en suivant l'appel des armes. Il proposait, puis hésitait… Je trouvais son indécision tellement drôle que je ne pus m'empêcher de rire franchement.

-Je vois, dans ce cas, je n'ai qu'à faire en sorte que tu ne puisses pas me toucher, dis-je avant de me reprendre.Vous. ..pardon.

Je plaçais l'épée dans ma main droite avant de m'emparer de la dague dans mon dos. S'il voulait un vrai combat, je comptais bien lui offrir et cette fois, je ne me retiendrai pas. Parée de mes lames, je l'invitais à attaquer en premier. J'esquivais de justesse, jouant cette fois de pirouettes travaillées et calculées, frappant tantôt sa cuisse, tantôt son dos. Je ne me montrerai pas hypocrite en affirmant que ma manière de combattre était basée sur l'honneur, à la manière des chevaliers, puisque rien ne serait plus faux. Non, j'attaquais en visant toutes les zones permettant soit de le désarmer, soit de le mettre à terre, même s’il ne se laissait évidemment pas faire. De bien des manières, le second se montrait bien plus fort et malin que mes frères. Je lui reconnaissais ainsi quelques points communs avec chacun d'entre eux. La force d'Ivaad, brutale et toujours bien placée. L'aisance d'Elwin, bien plus fluide que ce que sa carrure laisserait croire de prime abord. L'intelligence de Kaël, sa précision et j'en passe. J'étais donc à l'aise sans l'être tout à fait, un paradoxe que je trouvais particulièrement intéressant.

Attaque, parade, le balai se poursuivit ainsi durant plusieurs minutes. Je fatiguais néanmoins, Finn ne me laissait guère le temps de souffler ou de reprendre mes positions et il était rare que mes combats durent aussi longtemps que celui-ci. Je ne pouvais le permettre, car je n'avais pas son endurance, ce serait impossible. Il me fallait être partout à la fois, tout observer, analyser sans cesse, car je ne pouvais me permettre de m'appuyer sur ma propre force uniquement. Tout entrait en ligne de compte, absolument tout, mais cela me tendait forcément vulnérable au bout d'un certain temps… Et ce qui devait arriver, arriva. Finn donna un coup que je ne pus parer, sa lame ripa sur la mienne, passant par-delà la garde, elle vint cogner mon poignet, m'arrachant une grimace de douleur. Incapable de tenir mon épée, celle-ci tomba sur le sol en un bruit fort, attestant la puissance du coup qu’elle venait de subir. Mais, je n'abandonnais pas pour autant, ainsi désarmée, c'est mon instinct qui prit le relais. Je pivotais brusquement, tout en levant la jambe droite pour venir frapper sa propre lame de mon talon tandis que ma dague effleura joue… Là, seulement, je m'arrêtais, consciente que cet entraînement avait prit une drôle de tournure et était allé bien trop loin.

Je réalisais alors que je me tenais contre lui, ma lame contre sa joue d'où parlait une fine goutte de sang.

-Merde, baffouillai-je en m'écartant honteusement.Désolée...Je… Merde...

J’observais négligemment mon poignet qui me rappelait à lui. Le membre pulsait sous la douleur, un hématome commençait déjà à se former à l'endroit où le coup fut encaissé. J'éclatais de nouveau de rire en constatant qu'en réalité, malgré toutes les apparences, j'étais bel et bien la grande perdante de ce bien étrange duel.

-Et bien, heureusement qu'il s'agissait de lames émoussées, sans quoi j’en aurais perdu une main... déclarais-je en lui montrant mon poignet tout en grimaçant. Je comprends mieux pourquoi vous êtes son second malgré votre jeune âge. Vous êtes fort, assurément.

- Tu peux me dire "tu", ça ne me dérange pas.

Lâcha Finn avec un sourire alors qu'ils se mettaient en gare, le combat s'engageant peu de temps après dans un ballet de corps et d'acier qui ne laissa rapidement plus aucune place à l'hésitation ou à la mesure. En mission ils devaient garder la tête froide et ne pas se mettre en danger, privilégier le groupe plutôt que l'individu, protéger du danger et non juste foncer dans la bataille tête la première. Les coups s'enchainèrent avec une vitesse et une force de plus en plus grandes, aucun ne laissant le moindre répit à son adversaire bien qu'ils s'amusaient visiblement beaucoup dans ces échanges où la moindre erreur, la moindre parade manquée pourrait bien leur coûter plus qu'un bleu à leur fierté. Les minutes s'égrenèrent dangereusement, rapprochant l'issue incertaine des deux mercenaires vers une fatalité qui ne manqua pas de s'abattre sur eux tel un coup de marteau assommant. Les lames ripèrent une fois de trop, sans doute Finn oublia-t-il l'espace d'une seconde le danger de ce combat amical, et sa lame vint frapper violemment le poignet de Aeryn dont la grimace de douleur fut comme une douche froide, le faisant soudain se figer alors que l'arme tombait au sol, suspendant la fin de son attaque pour éviter toute blessure plus tranchante. Ce bref moment suspendu dans le temps, ces quelques fractions de secondes de retenue, suffirent pour que les réflexes de la rousse prennent le dessus. Bien sûr une part de lui vit très clairement le coup de pied arriver, mais une autre part retenait à présent son bras et il ne pu l'éviter, sa propre épée se retrouvant balayée de côté, brisant sa garde pour mieux laisser la Mercenaire fondre sur lui, dague au clair, la lame pressant sur sa joue alors que le Second écarquillait les yeux sous la surprise. Il la savait capable de tuer, il l'avait vu faire, mais il n'aurait pas cru que son instinct de survie soit si puissant qu'elle ne le tue par accident, par "réflexe" durant leur combat. Et alors même qu'il aurait dû s'inquiéter de la menace bien réelle, le temps sembla se suspendre alors que leurs regards se croisaient, qu'il réalisait la proximité qui était la leur, leurs souffles suspendus entre eux, le métal menaçant de faire plus de dégâts encore.

-Merde

Clignant des paupières, Finn se rappela la dernière fois qu'une femme avait failli le tuer ainsi et un sourire commença à étirer ses lèvres, chassant ses pensées guerrières autant que d'autres plus inavouables, alors que la rousse s'écartait de lui, visiblement perturbée par la tournure des évènements. L'homme pour sa part recommença à respirer et passa ses doigts sur l'entaille à sa joue, l'appréhendant prudemment pour vérifier sa profondeur... minime. Par chance, il n'en garderait aucune trace passé quelques semaines.

- Désolée...Je… Merde...

- C'est bon, tout va bien Aeryn.

Il eut un bref rire et secoua la tête avant de porter son attention sur son propre poignet qui tenait encore l'épée, sentant la douleur irradier de sa main à son coude... Il s'en était fallu de peu, quel coup de pied ! Le rire de la jeune femme lui fit reporter son attention sur elle, un sourire heureux et satisfait naissant sur ses propres lèvres. Bien, il préférait cela à la culpabilité.

-Et bien, heureusement qu'il s'agissait de lames émoussées, sans quoi j’en aurais perdu une main...

Il fronça les sourcils et s'avança d'un pas rapide, grimaçant en voyant le poignet qui changeait de couleur.

- Merde, je suis désolé.

Un poignet endommagé n'était pas une mince affaire, cela risquait fort de l'handicaper durant plusieurs jours... Ne restait plus qu'à espérer qu'aucune mission ne leur soit attribuée durant ce laps de temps. Il posa son épée au sol et entreprit de prendre le poignet entre ses mains, délicatement, après s'être assuré d'un regard qu'elle le laisserait faire. Il l'examina avec attention, le faisant pivoter lentement, sans forcer, évaluant les dégâts bien que seul le Soigneur pourrait leur dire si c'était grave ou non mais, rien qu'à la couleur, cela ne lui plaisait guère.

- Je comprends mieux pourquoi vous êtes son second malgré votre jeune âge. Vous êtes fort, assurément.

Finn releva ses yeux clairs sur Aeryn et sourit, gêné et flatté à la fois, fier aussi malgré tout qu'elle lui reconnaisse cela, elle qui semblait parfois si détachée.

- Je te remercie, j'ai travaillé dur pour en arriver là et pourtant crois-moi je suis encore loin d'être à son niveau.

Le Capitaine, évidemment. Ce mentor, ce leader, cet homme d'exception qui paraissait chaque jour un peu plus éternel tout en se rapprochant de manière inquiétante de la mortalité, un étrange paradoxe auquel son Second préférait essayer de ne pas penser. Il relâcha finalement le poignet avec douceur et ramassa leurs épées, allant les ranger sagement sur leurs emplacements respectifs.

- Et je t'ai dit que tu pouvais me tutoyer, ça me met mal à l'aise le vouvoiement, j'ai l'impression d'être un autre.

Il alla récupérer sa Claymore qu'il accrocha avec précautions dans son dos, lâchant un soupir sous son poids avant de revenir vers la rousse, souriant gentiment, passablement fatigué mais heureux.

- C'était un beau combat, tu peux être fière de toi. Tu es vraiment très douée et nous avons de la chance de t'avoir parmi nous.

Finn vint poser sa main sur l'épaule de Aeryn, lui souriant avec sincérité avant de lever son propre poignet à hauteur de yeux qui, à défaut d'être violacé, n'en demeurait pas moins rougi par la dernière attaque encaissée.

- Tu as bien failli me désarmer tu sais ? Il faudra m'apprendre ce coup-là, c'était très efficace.

Et il rit de bon cœur, heureux d'avoir eu une adversaire de cette trempe, d'avoir pu croiser le fer avec elle et d'avoir une véritable idée de son niveau. Lâchant son épaule, il se dirigea vers la porte en lui adressant un signe de tête pour qu'elle le suivre.

- Bon, en ce qui me concerne je dirais que je me suis blessé bêtement en jouant avec mon couteau. Pour ton poignet j'ignore ce que tu comptes leur dire, mais je te couvrirais si besoin, à toi de voir.

Une chose est sûre, cet homme-là méritait grandement le respect que les autres lui vouait. Non pas que j'en eus un jour douté, ce n'était nullement le cas, mais il venait de m'offrir une preuve irréfutable… Même un idiot comme Ivaad ne pourrait que le reconnaître, c'est dire. Je me surpris d'ailleurs à m’interroger sur son devenir, me demandant quel genre d'homme il deviendrait au fil des années. Je l'avais probablement mal jugé, estimant que son évidente bonté ne pouvait être qu'une faiblesse.

Je ne fus guère étonnée de le voir s'inquiéter pour mon poignet endoloris. Pour moi, il ne s'agissait là que d'une blessure mineure, si minime que l’on ne pourrait même pas la comparer à celles que mon corps avait déjà encaissé auparavant.

-Merde, je suis désolé, lança-t-il en grimaçant avant de se saisir de mon poignet.

Tandis qu'il examinait ma bien ridicule blessure, moi, je l'observais, lui. Il semblait vraiment soucieux de l'état de mon bras, si bien que je le laissais faire...

-Ce n'est rien, je vous assure, le rassurais-je en souriant.Ne vous fiez pas à la couleur, j'ai une peau de rousse… Elle marque facilement, c'est tout. D'ici quelques jours, il n'y paraîtra plus, vous verrez.

Je retirais doucement ma main, quelque peu gênée par une proximité à laquelle je n'étais pas habituée. Je n'ai toujours connu que la violence de mon père ou la brutalité de mes frères, personne ne s'était jamais comporté ainsi avec moi. Je veillais moi-même à exclure soigneusement toutes possibilité de rapprochement autre que professionnel, puisque ma vie ne se résumait qu'à cela. Au fond, je n'étais qu'une lame affûtée parmi d'autres, élevée pour seulement combattre lorsque l'on me le demandait, jusqu'à ce que je sois incapable de tenir une épée… Ni plus, ni moins.

Je changeais donc de sujet, veillant à ne rien laisser paraître de mon trouble, préférant évoquer sa force qu'il me serait impossible de ne pas reconnaître.

- Et je t'ai dit que tu pouvais me tutoyer, ça me met mal à l'aise le vouvoiement, j'ai l'impression d'être un autre.

- D'accord, d'accord, pouffais-je légèrement tout en levant les mains en signe de reddition.J'en prends bonne note, promis. Loin de moi l'idée de vouloir te vexer.

- C'était un beau combat, tu peux être fière de toi. Tu es vraiment très douée et nous avons de la chance de t'avoir parmi nous.

À l'inverse de moi, la proximité ne semblait pas déranger le second. Sa main vint se poser sur mon épaule, un geste purement amical qui ne servait, finalement, qu'à accompagner ses paroles, mais qui me fit pourtant sursauter légèrement. Rapprochement… Contact physique… Non, vraiment, tout cela en devenait ...perturbant.

-Merci, répondis-je simplement tandis que mon expression se fermait lentement.

En étais-je réellement fière ? Pour être franche, je ne saurai le dire… Pour mon père, nous pouvions seulement faire mieux pour éviter le pire. Aucun de nous n'était ni doué, ni même seulement compétent à ses yeux. Nous agissons d'ailleurs plus ou moins de la même manière entre nous, jugeant d'abord ce qui doit être amélioré avant de songer à nous féliciter. Et encore, aucun de nous ne se montrait particulièrement généreux en compliment, un simple “bien joué” suffisait.

- Tu as bien failli me désarmer tu sais ? Il faudra m'apprendre ce coup-là, c'était très efficace.

J'éclatais de rire, songeant que même si le coup était certes efficace, dans ce cas précis et surtout dans un combat réel, celui-ci n'aurait strictement servi à rien…

-Avec plaisir.

À supposé, évidemment que nous décidions de retenter l'expérience après la tournure qu'avaient pris les événements… On ne pouvait comparer cela à un entraînement, cela allait bien au-delà de simples passes échangées entre compagnons…

- Bon, en ce qui me concerne je dirais que je me suis blessé bêtement en jouant avec mon couteau. Pour ton poignet j'ignore ce que tu comptes leur dire, mais je te couvrirais si besoin, à toi de voir.

-Je dirai à Ivaad qu'il en est responsable, déclarais-je en riant.Et il en sera fier, tu peux me croire. Merci encore… Ce fut tout aussi amusant qu'enrichissant.

Et surprenant aussi, même si je gardais cette remarque pour moi seule. Je le saluais poliment avant de lui tourner le dos pour rejoindre les autres dans l'arrière-cour… Même si question entraînement, j'avais eu ma dose pour la journée.