[Terminé] Une tempête bien tangible, (Finn)

-Qu'a-t'elle dit ? demanda l'aîné de la fratrie à son benjamin, à peine fut-il arrivé à sa hauteur.
-Elle n'est toujours pas rentrée.
-Mais bon sang, où est-elle passée ?
-Si tu veux mon avis, tu t'inquiètes pour rien frangin. Moi aussi j'aurai déménagé à sa place.
-En abandonnant toutes tes affaires… Bien-sûr, toujours aussi malin toi...
-Répète un peu, sale nabot ! Je vais t'apprendre à respecter tes aînés, visiblement tu n'as pas prit assez du coup pour comprendre.
-Tu penses sérieusement me faire peur ?
-Vous pensez vraiment que c'est le moment de vous battre tous les deux? gronda Kaël en donnant un grand coup sur la table.Votre soeur disparaît brutalement et vous ne trouvez rien de mieux à faire que de vous disputer comme des chiffonniers.
-Je suis d'accord avec toi Kaël, mais je ne sais pas quoi faire… Je l'ai cherché, mais la ville est tellement grande… Elle peut être n'importe où.
-Elle n'est peut-être même plus en ville. Et si elle avait rejoint Log’, chez les miliciens.
-Impossible, elle les déteste… Des troufions d'arriviste, qu'elle les appelle...
-Vous oubliez un truc… C'est de Ryn dont on parle là, c'est une grande fille. Elle sait se débrouiller seule. Et puis, elle a choisit de partir, personne ne l'a enlevé. Elle reviendra quand elle le voudra. Moi, je me casse...
Le géant vida alors sa chope contenant une bière de piètre qualité avant de quitter la salle.


-Mais quel crétin… J'te jure, je vais le tuer.

-Laisse le, il fait le fier, mais lui aussi il s'inquiète.

-D'accord, mais on fait quoi en attendant, hein ?

L’ainé avait beau réfléchir, aucune idée sensée ne lui venait en tête. Aucun d'eux ne connaissait assez bien la ville, en ayant grandi à l'extérieur, ils ne s'y répéraient toujours pas… Tout comme leur sœur qui pouvait vraiment être n'importe où à présent… Alors que faire ? Attendre et voir où bien ? C'est à ce moment-là que choisi le bras droit du Capitaine pour faire son apparition. Kaël les avaient vu, sa sœur et lui, entrer seuls dans la salle d'armes avant dans ressortir de longues minutes plus tard… Aeryn n'avait rien dit, mais lui savait qu'il s'y était passé quelque chose, autre qu'une simple conversation… Alors peut-être… Peut-être savait-il quelque chose lui ?

-Retourne à l'auberge et attends, elle finira peut-être par rentrer. Préviens-nous si c'est le cas, moi, je vais essayer autre chose.

Sans ajouter un mot de plus, Kaël abandonna son jeune frère pour se rendre auprès du second.

-Excuse-moi Finn, mais je voudrai te parler. Peux-tu m'accorder quelques minutes ? C'est à propos de ma sœur.

Les deux s'éloignèrent assez pour ne pas être entendu par quelques oreilles indiscrètes. Il n'avait pas l'intention de mêler la Compagnie à ce qui ressemblait à une histoire de famille, mais il n'avait plus vraiment le choix. Il précisa toutefois.

-Je viens quérir l'homme et non au bras droit du Capitaine, même si je me doutes que les deux sont sûrement indissociables. Il y a quelques jours, ma sœur a eu une… Altercation musclée avec un poivrot. Celui-ci est revenu à l’auberge deux jours plus tard, probablement dans l'espoir d'en découdre avec elle. Mais, ne la trouvant pas… Il a préféré s'en prendre à la vieille aubergiste qui héberge Ryn… Lui et ses amis l'ont passé à tabac… Ma sœur l’a retrouvé encore sur le sol quand elle est rentrée ce jour-là. Elle l'a soigné, l'a aidé à tout remettre en place avant de partir et de ne plus revenir. Personne ne l'a vu depuis… Je me disais que, peut-être, toi… tu l'avais croisé...

Ne sachant strictement rien de leur relation, le mercenaire ne prit pas le risque de faire des hypothèses. Et puis, cela n'avait aucune importance pour le moment, seule sa sœur le préoccupait...

Dernièrement Finn apparaissait comme quelqu'un de plus tempéré par bien des aspects, notamment pour ceux qui le connaissait de longue date. Il avait fallu plusieurs épreuves imposées par le Capitaine pour aider l'homme à canaliser les sursauts de son manque de contrôle et, bien qu'il demeura encore des zones d'incertitude quant aux ténèbres qui l'habitaient, le fait demeurait qu'il était plus serein depuis deux bons mois. Il avait le respect des uns et des autres, pas seulement parce qu'il était le Second de la Compagnie des Lames, mais parce qu'il agissait avec justesse et une certaine droiture, bien qu'il n'hésita jamais à se salir les mains lorsque les missions l'exigeaient. Quoi qu'il en soit, la fratrie Monclar avait déjà eu l'occasion de constater qu'il les considéraient depuis le début comme des membres à part entière de leur troupe de mercenaires et c'est ainsi qu'il avait l'habitude d'échanger occasionnellement avec eux, même si les frères n'étaient pas tous les trois aussi causants de la même façon, chacun ayant son propre tempérament pas toujours facile à aborder. Ce fut donc sans étonnement ce matin de printemps que Finn, alors qu'il venait de saluer ses compagnons d'arme, reçu une demande d'entretien individuel de la part de Kaël qui était, à son sens, le plus posé des frères Monclar. Il acquiesça et s'éloigna avec lui sans attendre, notant son inquiétude et le ton bas employé afin d'éviter les oreilles indiscrètes. La façon qu'il eut de s'adresser à lui ne manqua pas de l'interpeller et lorsqu'il entendit le résumé d'une situation dont il n'avait pas encore eu connaissance... autant dire que son expression s'assombrit immédiatement, laissant place à une inquiétude partagée et, surtout, une colère naissante qui demeurait pour l'instant en sourdine.

- Non je ne l'ai pas vu, je m'étonnais d'ailleurs de ne pas l'avoir vu hier pour... notre discussion habituelle.

En vérité il s'agissait surtout d'entraînements devenus réguliers depuis le jour où il avait choisi de tester Aeryn afin de connaître l'étendue réelle de ses capacités. Ce jour-là ils avaient bien failli s'écharper, mais ils avaient également bien ri et une complicité était née, qui s'était renforcée au fil du temps et des échanges, du partage de leurs connaissances et des moments qu'ils passaient ensemble, en tout bien tout honneur. Et même s'ils n'étaient pas intimement proches, l'idée qu'elle puisse avoir des ennuis le révoltait et lui donnait envie de passer ses nerfs sur l'ennemi, quel qu'il soit.

- Cette taverne, dans quel quartier est-elle située ? Quand l'avez-vous vu pour la dernière fois ? Est-ce qu'elle était blessée ?

L'inquiétude perçait malgré lui, l'impatience aussi bien que le Second se borna à demeurer immobile, de ce faux calme qui précède les pires tempêtes et les orages déversant leur grêle sur les cultures, ravageant tout sur leur chemin sans aucune pitié. L'ancien artisan connaissait bien la Cité, il avait certes le don de se perdre dès que la foule était omniprésente dans les rues durant les évènements annuels, mais en-dehors de ces moments d'errance, il savait fort bien retrouver son chemin et demander de l'aide à quelques connaissances. L'idée que son amie puisse être en danger, isolée et à la merci d'un ennemi qu'eux-mêmes n'avaient pas encore vu, voilà bien quelque chose qui l'inquiétait profondément.

- Tu as bien fait de m'en parler Kaël. Vous faites partie de la Compagnie, s'en prendre à l'un d'entre vous, c'est s'en prendre à nous tous et cela le Capitaine ne le tolèrera pas... En attendant il faut retrouver ta sœur avant son agresseur. Tu veux venir avec moi ou tu veux aller chercher de ton côté ?

S'ils se séparaient, ils pourraient couvrir plus de terrain, d'un autre côté son aide pourrait ne pas être de trop si jamais Finn se retrouvait nez à nez avec le responsable de tout ce foutoir et qu'il avait ses amis avec lui. Le Second était un bon combattant, mais il y avait des limites à ce qu'un homme seul pouvait faire, fut-il armé, quand l'ennemi avant l'avantage du nombre.

- Non je ne l'ai pas vu, je m'étonnais d'ailleurs de ne pas l'avoir vu hier pour... notre discussion habituelle.

“Discussion, hein”, songea l'aîné de la fratrie, tout en se souvenant de l'état dans lequel ressortait sa sœur de la salle d'armes. Il la connaissait suffisamment pour savoir qu'Aeryn n'était pas une femme à se laisser si facilement séduire. Enfin, il avait beau le penser, il ne pouvait pas non plus en être certain. Dans tous les cas, ceci ne le regardait nullement. Tant que sa sœur se portait bien, il n'interviendrait pas… Sauf que celle-ci restait introuvable et cette ombre obscurcissait le reste de façon indéniable.

- Cette taverne, dans quel quartier est-elle située ? Quand l'avez-vous vu pour la dernière fois ? Est-ce qu'elle était blessée ?

-L'Ours blanc se trouve à deux pas d’ici, nous y allons souvent mes frères et moi… Aeryn y travaille certains soirs pour couvrir ses frais de logement. Nous sommes comme toi, nous ne l’avons pas revu depuis votre dernière “conversation”. Mais nous étions présent ce fameux soir et Ryn allait bien… Bien mieux que le lâche qui cherche à s'en prendre à elle.

Il ne pouvait le nier, Kaël était fier de sa sœur. Elle l'avait entraîné dans une ruelle pour lui donner la raclée du siècle… Et évidemment, quel homme apprécierait de se faire ainsi rosser par une femme ? Aucun… Mais peu d'entre eux se montrent assez lâche pour revenir plus tard afin de se venger… À plusieurs de surcroît.

- Tu as bien fait de m'en parler Kaël. Vous faites partie de la Compagnie, s'en prendre à l'un d'entre vous, c'est s'en prendre à nous tous et cela le Capitaine ne le tolèrera pas... En attendant il faut retrouver ta sœur avant son agresseur. Tu veux venir avec moi ou tu veux aller chercher de ton côté ?

Impossible pour lui de juger s'il avait eu raison ou non d’en discuter avec le second. Toutefois, il comprit rapidement que l'homme face à lui était également inquiet de la disparition de sa jeune sœur. Il pouvait bien essayer de le cacher en veillant à garder le contrôle sur son regard ou encore sur ses gestes, certaines choses ne peuvent être si aisément dissimulées.

-Je ne sais rien de cette ville, mais je connais ma sœur. Je ne l'imagine pas se comporter comme une vulgaire proie, au contraire. Elle ne se cache pas… Elle chasse. Sauf que je suis incapable de dire où elle est, ni même dans quel état elle se trouve… Et encore moins de prédire ce dont elle peut être capable… C'est ce qui m'inquiète le plus en réalité...

Il n'avait aucun mal à imaginer Aeryn déambuler dans les rues, passant d'auberge en tavernes simplement dans l'espoir de “tomber” sur le blond trop téméraire pour un pleutre.

-Ivaad est parti la chercher de son coté, Elwin attend à l'auberge, au cas où… Je sais que Ryn doit penser que l'agresseur de l'aubergiste est du genre à traîner dans les tavernes… Ou même les bordels, elle n'hésitera pas à fouiller chacun des établissements de la ville pour le dénicher… Comme je te le disais un peu plus tôt, je ne sais pas dans quel état elle se trouve… Mais j'ai eu l'occasion de la voir en colère, elle peut être très … impulsive. Je pense donc qu'il vaudrait mieux que je t'accompagne...

Lâche, n'y avait-il pas mot plus parfait pour désigner un homme capable de s'en prendre à une femme en faisant appel à des renforts ? Seuls contre une, à croire que le lâche en question n'avait ni honneur ni fierté, sans parler de ce que tout homme dignement constitué avait entre les jambes et qui devait faire défaut à celui-là. L'esprit de Finn bouillonnait déjà d'une rage dangereuse, mais l'heure n'était pas à la vengeance puisque l'agression n'avait pas encore eu lieu. Non, l'heure était venue de retrouver Aeryn et de s'assurer qu'elle soit en sécurité, à savoir au QG de la Compagnie où le Capitaine saurait exactement quoi faire. Lorsque Kaël décrivit sa sœur comme une chasseuse, un sourire amusé et satisfait monta à l'assaut des lèvres du Second qui hocha la tête d'un air approbateur. Oui, il n'imaginait pas la rousse se cacher en tremblant de peur qu'on la trouve, mais bien à aller au-devant de son ennemi, fut-ce au mépris du danger. Tête de linotte !

- Mieux vaut que nous la trouvions avant qu'elle ne retrouve ce type, qui sait ce qui pourrait arriver.

Surtout si l'homme en question avait prit soin de s'entourer d'alliés tout aussi peu regardant que lui, les pires images défilant alors dans l'esprit du jeune homme qui préféra les chasser en inspirant profondément, acquiesçant de nouveau en entendant Kaël affirmer qu'il irait avec lui. Il ne doutait pas un seul instant que la cadette de la fratrie soit du genre impulsive, il suffisait de voir comment elle combattait, comment elle savait toujours retourner la situation et tenter de surprendre son adversaire. Pas étonnant qu'ils s'amusent tant aux entraînements.

- Bien mettons-nous en route alors.

Les deux Mercenaires partirent d'un pas rapide et Finn délaissa les premières rues pour aller droit devant vers l'autre bout du quartier de Bourg-Levant, à la frontière de la Hanse où il y avait bien du passage, mais également pas mal de tavernes et d'auberges à portée de vue.

- Si tu la voit, ne l'appelle pas, nous devons l'intercepter et ensuite nous essaierons de la convaincre. Si elle nous voit la première, elle pourrait chercher à s'enfuir.

Il sourit malgré lui, amusé par cette traque qui n'en était pas totalement une... quoique.

- Dis-moi, qu'est-ce que tu sais de ce type qu'elle a rossé ? Et pourquoi en sont-ils venus aux mains ?

Même si s'agissant d'un poivrot le Second n'avait aucun mal à imaginer d'éventuelles provocations, voir des insultes, à moins qu'il ne s'agisse de mains baladeuses et d'un refus de s'excuser, peut-être même avec des propos dégradants en sus. C'était dans ce genre de moment que le jeune homme ne regrettait pas d'avoir été un "fils à sa maman" qui avait appris d'elle à respecter les femmes, quand bien même son côté très -trop- protecteur avait fini par prendre le dessus dans son comportement. Comment ne pas vouloir veiller sur elles, ces femmes si courageuses et pourtant si vulnérables, quand on voyait combien eux les hommes pouvaient être des rustres ? Même si Finn ne doutait pas une seconde qu'une femme d'arme puisse se défendre seule en un contre un, dès que la donne changeait, la force brute d'un homme devenait le seul véritable atout dans une bagarre générale et cela, même si certaines avaient du mal à l'accepter, était une vérité avec laquelle il fallait faire avec.

- Bon, tu préfères commencer par quoi ? Bordel ou taverne ?

Fit-il en s'arrêtant à un croisement menant vers deux rues pleines de monde et d'où l'on pouvait voir les enseignes trônant en devanture des bâtisses. D'un côté les plaisirs charnels, de l'autre les plaisirs de la boisson. Kaël avait l'embarras du choix.

Rodrick Monclar était un homme fier et sévère. S’il s’était montré dur envers sa fille, il n’avait pas pour autant préservé ses fils. Chez les Monclar, hommes et femme se voyaient logés à la même enseigne. Et puisque l'existence d’Aeryn devait rester secrète, ce qui poussa la famille à s’isoler du reste du monde en dehors de leurs missions. En grandissant ainsi, aucun d’eux n’a donc apprit à vivre avec les autres et la moins à accorder leur confiance à ceux ne faisant pas partie de cette famille… Aeryn plus particulièrement. Souvent seule, l’unique femme de la famille avait appris à se débrouiller seule sans jamais compter sur les autres, pas même sur ses propres frères.

Kaël s’en voulait donc, énormément. Il regrettait d’avoir pris cette histoire à la légère. Il aurait dû prévoir la réaction de l’ivrogne et veiller à ce que jamais une telle chose puisse se produire.Il aurait dû s’occuper lui-même du blond lorsqu’il eut l’audace de la gifler. Il s’était montré naïf, trop confiant et pas assez réaliste.

- Mieux vaut que nous la trouvions avant qu'elle ne retrouve ce type, qui sait ce qui pourrait arriver.

Silencieux et pensif, l'aîné des Monclar acquiesça. Ses propres pensées se gorgeant d’images inquiétantes mettant en scène son idiote de sœur et ses agresseurs. On la disait prudente et maligne pourtant, alors pourquoi avait-elle décidé d’agir seule quand elle savait que l’homme ne serait probablement pas seul ? Pourquoi ne pas être venue trouver des alliés ? Il ne s’agissait en aucun cas de courage ici, mais d’une dangereuse témérité.

- Bien mettons-nous en route alors.

Pressé, l’homme suivit son supérieur à travers les rues de la cité. Tout en marchant, le brun scrutait les alentours, cherchant à travers la foule la chevelure rousse de sa sœur, nettement reconnaissable en comparaison des autres… Chose qu’elle ne pouvait d’ailleurs que prévoir… Il y avait donc fort à parier que la mercenaire ne laisserait rien paraître de son apparence afin de ne pas être repérée ou reconnus.

- Si tu la vois, ne l'appelle pas, nous devons l'intercepter et ensuite nous essaierons de la convaincre. Si elle nous voit la première, elle pourrait chercher à s'enfuir.

-Bien. Tachons de nous montrer discrets dans ce cas, car elle ne manquera certainement pas de l’être, déclara le mercenaire en remontant sa capuche sur sa tête.Aeryn a un grand avantage sur nous… Sa taille, elle peut nous repérer facilement parmi la foule.

Loin de mériter le statut de montagne comme le Capitaine, ou de géant comme Rodrick, les deux mercenaires n’en demeuraient pas moins grand en comparaisons des badauds. En bonne observatrice, la rouquine ne manquerait pas de les remarquer, leur tête dépassant grandement de la foule… Même si une capuche ne les rendrait certainement pas invisibles, au contraire. En les voyant, Aeryn se méfiera forcément et se montrera particulièrement prudente, sans fuir pour autant. Il fallait donc réussir à anticiper ses réactions, ce qui ne serait pas une mince affaire.

- Dis-moi, qu'est-ce que tu sais de ce type qu'elle a rossé ? Et pourquoi en sont-ils venus aux mains ?
-On ne sait pas grand-chose, il n'a pas dit son nom, mais il semblait très intéressé par le contrat dont Ryn nous parlait. Un mercenaire peut-être. Vu sa carrure, sa manière de se tenir et l’état de ses mains et de son visage, l'homme doit être habitué à manier les armes.


Kaël prit une pause, le temps de se remémorer la scène.

-C'est stupide. Le blond avait trop bu, en sortant pour soulager sa vessie, il a bousculé Ivaad qui se tenait déjà près à en venir aux mains… L'idiot… Ryn est intervenue pour calmer le jeu, les prévenant tous deux qu'elle ne voulait pas voir de bagarre dans l'auberge. L'homme est revenu plus tard, pour se mêler de notre conversation, ma sœur l’a remis en place, ce qu’il n’a pas dû apprécier… Bref, Ryn s'est sentie insultée autant par les mots du gars que par ses manières… Je m'inquiétais qu'Ivaad intervienne et je ne pensais pas qu'elle irait jusqu’à humilier le blond en vidant sans commande sur sa tête… Un prêté pour un rendu, selon elle… Il l'avait humilié, elle lui rendait la pareille… Sauf que le blond a eu la merveilleuse idée de la gifler… Ivaad devenait fou, Elwin et moi essayions de le calmer et aucun de nous n'a vu Ryn entraîner l'homme à l'extérieur… Ce qu’on sait de la suite ne tient qu'a ce qu'elle nous à raconté. Elle nous a dit l'avoir conduit à l'arrière pour lui donner une leçon “courtoise” et connaissant ma sœur, la fameuse leçon ne devait avoir de courtoise que le nom. L'homme n'est pas réapparu par la suite… Du moins pas avant deux jours…

Quelle histoire… Kaël n'en revenait toujours pas. Sa sœur savait garder la tête froide et se montrait impassible la plupart du temps… Sauf lorsqu'un homme agissait justement de la même manière que cet homme. Elle ne supportait pas ce genre de gars, persuadé que la femme n'existait que pour être utilisée ou humiliée par les hommes… Voilà pourquoi il aurait dû prévoir la suite, toute la suite...

- Bon, tu préfères commencer par quoi ? Bordel ou taverne ?

-Commençons par les tavernes, il y est bien moins facile de s'y cacher. Du moins, je suppose que c'est ce que ma sœur a dû se dire...

Une taverne, puis une autre, les deux hommes en visitèrent plusieurs. Chaque fois Kaël interrogeait le tenancier, lui demandant s'il avait vu une jeune femme rousse, mais chaque fois, ils ne reçurent aucune réponse positive… Loin de se laisser abattre, ils continuèrent à passer de taverne en auberge, puis d'auberge en bordel, pour en sortir toujours bredouille.

-Merde… Ne me dites pas qu'Ivaad a eut raison de croire que Ryn ai pu rejoindre la milice… Cela ne lui ressemb

Une personne dans la foule attira son attention. Une femme d'après sa carrure, bien qu’elle leur tournait le dos pour marcher quelques pieds devant eux.

-Là, regardez, lança le mercenaire en désignant d’un bref mouvement de tête,la fine masse noire tout aussi encapuchonnée qu'eux.

Prudemment, Kaël s'avança, la suivant sans rien changer à sa vitesse. La silhouette marchait d’un pas rapide, avec une aisance peu commune et se faufilait dans la foule sans jamais bousculer personne. Inutile de voir son visage pour reconnaître sa sœur. Le mercenaire observa son environnement, remarquant que la rue se séparait à plusieurs endroits.

-Loin de moi l'intention de vous donner des ordres, mais vous connaissez la ville bien mieux que moi, je vais la suivre, essayer de lui barrer la route en prenant l'une de ses rues.

Finn avait remonté la petite capuche de toile qu'il gardait toujours rabattue en temps normal, songeant qu'effectivement en voyant deux hommes ainsi dissimulés Aeryn allait forcément se méfier, mais au moins ne s'enfuirait-elle pas forcément que si elle réalisait de qui il s'agissait vraiment. Marchant à un rythme soutenu, les deux hommes échangèrent au sujet de cette histoire, le Second hochant la tête en approuvant silencieusement la vérité énoncée par Kaël : c'était stupide, tout cela était stupide pour la simple et bonne raison qu'il aurait suffit que la rousse se fasse assister de ses frères, que ceux-ci mettent en garde l'ivrogne de ne surtout rien tenter s'il ne voulait pas endurer de lourdes représailles... au lieu de cela, la Mercenaire avait voulu régler ça par elle-même et, bien que cela soit tout à son honneur, le fait demeurait qu'un homme humilié par une femme en restait rarement là. De tous temps il en avait été ainsi et le jeune homme songeait amèrement qu'il en serait toujours ainsi malgré la preuve que certaines femmes étaient toutes aussi capables d'eux de bien faire les choses. Chassant de telles pensées, l'ancien menuisier se concentra sur leur mission improvisée et entreprit d'écumer avec le frère de son amie les différents établissements du quartier et des alentours, d'abord les tavernes, puis les auberges, et même les bordels où on tenta de les retenir en usant de charme et de promesses toutes plus sulfureuses les unes que les autres. Ah, il faut dire que ces professionnelles avaient le don pour se faire désirer, mais aucun des deux hommes n'avait l'esprit à cela et ils finirent par se retrouver bredouilles au milieu d'une rue bardée de monde. Finn s'apprêtait à répondre à Kaël qu'il n'imaginait pas Aeryn rallier la Milice, mais il nota l'arrêt de son comparse et suivit son regard ainsi que la direction qu'il lui indiqua, sentant son cœur manquer un battement. Là ! Elle était là ! Ils l'avaient retrouvé !

- C'est elle.

Souffla-t-il pour son vis-à-vis seulement, sentant ses muscles se crisper tandis qu'il se retenait d'obéir à son instinct et de fendre la foule pour aller la saisir par le bras pour mieux la ramener au quartier général de la Compagnie. C'était tout sauf la bonne chose à faire et il le savait. prenant leur cible en filature, les deux hommes tentèrent de se rapprocher progressivement sans que cela paraisse suspect, avant que le frère de la concernée ne l'interpelle de nouveau.

-Loin de moi l'intention de vous donner des ordres, mais vous connaissez la ville bien mieux que moi, je vais la suivre, essayer de lui barrer la route en prenant l'une de ses rues.

Le Second acquiesça, un léger sourire au coin des lèvres.

- J'allais justement te le proposer. Il est facile de s'éclipser par ici, mieux vaut la prendre en tenailles. Essaye de la rabattre par ici, je m'occupe de la coincer.

Joignant le geste à la parole, il s'éloigna immédiatement de son côté, bifurquant dans la petite rue où la foule n'allait pas et qui lui permit de se mettre à courir malgré son équipement, des foulées amples et régulières lui permettant de prendre plusieurs mètres d'avance en parallèle du chemin emprunté par Kaël et sa sœur dans la rue principale. Profitant d'une nouvelle intersection, Finn s'y engouffra de nouveau, à contresens cette fois, apercevant plus loin et venant vers lui les deux Mercenaires. Ce fut dans ce bref moment d'observation qu'il vit la rousse repérer son frère, commençant alors à chercher à s'éloigner rapidement et, profitant qu'elle ne l'avait pas encore vu, se baissa légèrement tout en observant attentivement les mouvements de la foule. Il failli manquer de peu Aeryn tant celle-ci se faufilait avec une aisance surprenante, digne d'une pickpocket, mais fort heureusement sa chevelure rousse n'était pas si courante que cela et se remarquait aisément. La main du Second vint saisir au vol le poignet de la Mercenaire, la stoppant nette dans sa progression avant de l'attirer à lui avec force et autorité, quitte à ce qu'elle se fasse mal si jamais elle tentait de se débattre, bien qu'il lui adressa immédiatement un sourire qui se voulait sympathique et complice, comme lors de leurs entraînements.

- Alors, on voulait s'amuser sans moi ?

Une plaisanterie qui sous-entendait pourtant avec une certaine gravité ce qu'il pouvait bien penser de la situation, même s'il préféra n'en rien dire, la retenant jusqu'à-ce que Kaël ne les rejoigne. Sans la lâcher pour autant, Finn reporta son attention sur la jeune femme, l'observant avec un mélange d'embêtement et d'inquiétude.

- As-tu oublié ce que l'on vous a dit à tous les quatre quand vous nous avez rejoint ? Il n'y a pas de vendetta personnelle au sein de la Compagnie. Si l'on s'en prend à l'un d'entre nous, c'est nous tous qui répliquons, et c'est valable aussi pour ceux auxquels on tient.

Il faisait bien entendu allusion à la tenancière qui avait été agressée, sans parler de l'établissement qui avait été vandalisé, mais là de suite le jeune homme avait davantage l'air du Second que de l'ami, quand bien même l'ami trouvait parfaitement son compte dans cette intervention.

- Rentre avec nous, ce type ne perd rien pour attendre crois-moi, mais y aller seule serait du suicide.

Comme je pouvais détester cette ville… Trop grande, trop peuplée, trop étouffante. Ici, les gens pouvaient se croiser sans jamais se rencontrer, ni même simplement se voir. C'est une chose que je n'ai réalisée qu'en fouillant tous ces lieux misérables. Certains tenanciers les avaient effectivement reçus, quelques catins également… Mais personne ne trouva rien à me dire, ni son nom, ni même l'endroit où je pouvais le trouver… Comme si ce foutu blond n'avait aucune identité ou alors, peut-être avait-il assez d'amis pour le couvrir, allez savoir… En tout cas, je ne le trouvais nulle part, le lâche s'était tout bonnement volatilisé, mais cela n'allait pas suffire à m'arrêter pour autant. Je continuais, sans relâche, cherchant ce visage écoeurant et familier parmi les badauds déambulant dans les rues, ou au milieu de ces cloaques bourrés de vermines comme lui.

Je me montrais donc particulièrement attentive, à mon environnement… Et chaque fois que je croisais un homme lui ressemblant un tant soit peu, ma main trouvait immédiatement ma lame tandis que mes pensées l'imaginaient pénétrer ses chairs sans se préoccuper des témoins.

J'étais suivie, je le savais… Il suffisait d'observer le mouvement de la foule autour de moi pour le deviner. Leur démarche s'était modifiée depuis quelques minutes… Quelqu’un essayait de se faufiler parmi eux, quelqu'un d'apparemment plus imposant que moi… Mais qui ? Impossible pour moi de me retourner ou d'accélérer le pas sans éveiller les soupçons de cet éventuel poursuivant. Je décidais donc de continuer ma route en rasant les murs jusqu'au bon moment, celui qui m'offrirait une cachette une quelconque échappatoire afin de pouvoir m'assurer de son identité… Ou de simplement me prouver que j'avais tort.

L'occasion se présenta à peine un peu plus loin, la rue se séparait par deux fois. Le premier passage était une ruelle à peine plus petite que celle-ci. Une sorte de passage réservé pour l'approvisionnement des différentes boutiques bordant les allées… L'autre, celui qui m'intéressait, était une ruelle particulièrement étroite ne pouvant laisser passer qu'un petit gabarit comme le mien. Je pouvais m'y dissimuler avant de regagner une autre rue… C'était tout du moins mon intention… Mais la fatigue depuis trop longtemps accumulée ainsi que mon esprit surchargé par une obsession morbide, me rendaient beaucoup moins alerte qu'à l’accoutumée.

Un étau se referma sur mon poignet, m'entraînant brusquement hors de la rue bondée pour m'entraîner dans la ruelle adjacente. Ma main libre alla trouver la dague dissimulée dans mon dos et nul doute que la lame aurait rapidement trouvé la gorge de l'opportun si je ne l'avais pas reconnu.

-Finn ?

Je me figeais lorsque mon regard croisa le sien. Mon cœur manqua bien un battement ou deux avant d'accélérer sa cadence une fois l'effet de surprise passé. Il ne semblait pas en colère, plutôt soulagé au contraire… Son sourire m'apaisa un instant, jusqu'à ce qu'il ouvre la bouche.

- Alors, on voulait s'amuser sans moi ?


Merde… Comment pouvait-il seulement être au courant ?

-Hein?Non…Non...Je...

Je devais avoir l'air d'une gamine prise sur le fait… Ou presque, puisque, officiellement, je n'avais strictement rien fait, pour l'heure.


-As-tu oublié ce que l'on vous a dit à tous les quatre quand vous nous avez rejoint ? Il n'y a pas de vendetta personnelle au sein de la Compagnie. Si l'on s'en prend à l'un d'entre nous, c'est nous tous qui répliquons, et c'est valable aussi pour ceux auxquels on tient.

Je déglutis, péniblement… Je n'appréciais ni les réprimandes, ni l'idée de devoir impliquer la compagnie entière dans une histoire personnelle. J'aimais cet esprit de groupe, mais seulement lorsqu’il m'arrangeait. Après tout, si j’avais eu besoin de quelqu'un pour régler le problème, il m'aurait suffi d'en parler à mes frères. Or, je n’en avais aucunement l’intention…

-Je n'ai pas oublié… C'est juste que… Peu importe ce que tu peux me dire, Finn… Cela ne concerne que moi.

Tout était de ma faute, la mienne… Point. Pourquoi donc devrais-je y mêler d'autres personnes au risque de les voir blesser ou bien pire, à cause de ma propre connerie ?

-Rentre avec nous, ce type ne perd rien pour attendre crois-moi, mais y aller seule serait du suicide.

-Et alors ? grognais-je en retirant brusquement mon bras. Au moins je serai la seule à être touchée. Personne d'autre ne sera blessé puisque je suis celle entièrement concernée par cette histoire. Ni toi, ni mes frères, ni les lames n'ont à se préoccuper de cette affaire…


Non… Certainement pas, la seule pensée de voir une autre personne payer les pots cassés à ma place me rendait malade. Hors de question.


-Je fais peut-être partie de la compagnie, Finn… Mais je reste un individu à part entière. Rentre donc… Tu n'as pas à te préoccuper de moi.

Je lui tournais le dos, prête à partir, mais une autre silhouette, plus imposant encore me barra la route… L'homme retira sa capuche, révélant ainsi le visage contrarié de mon aîné…

-Écoute ce qu'il te dit, Ryn...


Je le dévisageais, poings et mâchoires serrés tant ma colère se fit grandissante. Si la présence de Finn m'apaisait, ce ne fut certainement pas le cas de celle de mon frère. Mon corps tremblait de nervosité jusque-là contenue, malgré la douleur… Mais en cet instant, lorsque je compris que Kaël m'avait trahi, il me devint bien plus difficile de rester calme.

-C'était donc toi... grondais-je entre mes dents.Crois-tu que cela était réellement nécessaire ? Tu ne me fais donc pas confiance ?
- C'est toi qui ne nous as pas fait confiance ! s'exclama-t-il en me lançant un regard aussi noir que celui de mon père. Tu as agi comme une idiote. Quand vas-tu te rendre compte que peu importe ce que tu fais, tu n'es jamais la seule concernée ? Tu ne nous as pas laissé le choix en disparaissant comme tu l'as fait ! Que voulais-tu que je fasse d'autre au juste ?
-Attendre...
-Attendre quoi ? De retrouver ton cadavre ? Attendre pour réaliser qu'on a perdu un autre membre de notre famille ? Navré, Ryn, tu m’en demande trop là.

Au fond, je savais qu'il avait raison en tous points… Je réalisais parfaitement la réalité des choses. Je savais que seule, je n'avais que peu de chances, même armée. Je savais que ma disparition pouvait les inquiéter, puisque si la situation avait été inversée, j'aurai probablement réagi de la même manière. Je le savais, certes, mais je ne le tolérais pas pour autant.

-Je vous la laisse, apparemment, je n'arriverais pas à faire entendre raison à cette tête de mule puisqu’elle refuse de m'écouter, déclara-t-il avant de disparaître dans la foule sans même me lancer un regard.

-Je ne supporterai pas de voir encore une personne être blessée à cause de moi… murmurais-je avant de me tourner vers Finn. C'est si difficile à comprendre ?

Ce sentiment d'impuissance, lorsque l’on arrive que trop tard. Cette culpabilité, qui nous ronge quand l'on sait que la cible visée n'était pas la personne touchée, mais bien vous… Cette souffrance physique et morale lu dans le regard d'une personne innocente et à laquelle on doit tout jusqu'à la vie… Je ne voulais plus jamais ni le voir, ni le ressentir… J'étais la responsable, à moi de régler cela en évitant que mes proches ne subissent les représailles à ma place. Il me cherchait ce jour-là… Autant me présenter directement à lui… Cela me paraissait pourtant logique et raisonnable...

Elle bafouilla et il su qu'il l'avait réellement prise de court, mais au moins n'était-elle pas déjà en train de répliquer en essayant de s'arracher à sa prise. Il continua sur le même ton, entre sermon et soulagement, teinté de cette inquiétude qu'il avait eu à l'idée qu'il aurait pu lui arriver quelque chose. Finn ne retint pas le bras de Aeryn lorsqu'elle finit par se dégager, non sans lancer plus avec bravade que sérieux un "et alors ?" qui lui arracha un bref soupir. Elle devait forcément se douter qu'ils s'inquiéteraient tous pour elle, et même s'il comprenait qu'elle ne veuille pas impliquer autrui -lui-même avait agit ainsi par le passé- il ne pouvait décemment pas la laisser faire. Lorsque la rousse fit volte-face, il fit un pas pour la suivre, fort heureusement Kaël les avaient rejoint et le Second lui adressa un signe de tête, notant la tension qui monta immédiatement entre le frère et la sœur, sans doute à cause d'une vieille rivalité instauré par ce père trop exigeant. La seule fille de la fratrie avait passé sa vie à prouver aux autres qu'elle pouvait s'en sortir seule, mais elle oubliait que l'ennemi, lui, ne l'était pas, et l'idée que l'on aurait pu retrouver un cadavre suffisait à faire naître une rage sourde en lui. Pour autant le Mercenaire ne chercha pas à se mêler de l'échange, écoutant le tout avec gravité avant de faire un signe à Kaël qui choisissait de battre en retraite, ne doutant pas un seul instant qu'il allait veiller depuis le couvert de la foule. A sa place c'est ce qu'il aurait fait.

- Je ne supporterai pas de voir encore une personne être blessée à cause de moi…

Il la vit se tourner vers lui et rien qu'à sa mine abattue il comprit qu'il avait vu juste.

- C'est si difficile à comprendre ?

- Non, pas du tout.

Finn franchit la distance qui les séparaient et, après une seconde d'attente, vint poser ses mains sur les épaules de la jeune femme, attendant qu'elle relève les yeux sur lui pour lui offrir un sourire teinté de gentillesse et de bienveillance.

- Mais imagine si c'était nous qui t'avions retrouvée blessée ou pire encore... aucun de nous ne se le serait pardonné, quand bien même tout cela n'a commencé qu'entre vous deux. Nous tenons à toi Aeryn, alors ne nous laisse pas derrière quand il t'arrive ce genre de choses.

Il sourit un peu plus et leva l'une de ses mains pour la poser sur le dessus de la tête de la Mercenaire, son pouce venant caresser doucement le haut de son front, repoussant une mèche rousse en arrière. Sa voix s'était faite moins dure, plus douce, délaissant le sermon pour chercher à lui faire comprendre la situation.

- Nous autres devrons être là quand le moment sera venu, parce que ce gars n'a pas la moitié de l'honneur que tu as. Il n'hésite pas à s'en prendre à des innocents pour se venger, c'est fourbe et mesquin, c'est d'une lâcheté impardonnable... mais ça veut dire aussi que si tu y vas, tu seras seule contre une bonne dizaine d'hommes qui n'auront aucune pitié, aucun scrupule à...

Le Second s'arrêta là, grimaçant à l'idée des atrocités que des hommes pourraient faire subir à une femme. Il ôta ses mains et se força à sourire, observant la Mercenaire avec attention.

- Tu as confiance en moi ?

Il attendit qu'elle réponde, puis lui sourit avec plus d'entrain, et aussi une certaine impatience à l'idée de l'aider à se venger.

- Tu auras ta vengeance, mais on fera en sorte qu'il n'y ai pas d'entourloupe et pour ça, il ne faut pas foncer tête baissée.

Évidemment qu'il comprenait, jamais je n'en aurai douté… “C'est un homme bien, Gallagher”. Cette phrase... Combien de fois l'ai-je entendue au juste ? Probablement trop souvent pour seulement espérer essayer de compter. Moi-même, je ne pouvais que me rendre compte de sa bienveillance naturelle, même si j'avais du mal à accepter d'en bénéficier également. Il ne s'agissait pas là de fierté mal placée, bien au contraire, voyez plutôt cela comme un manque d'habitude… La bienveillance gratuite, chez les Monclar, cela n'existait tout bonnement pas. J'avais appris à vivre tout autrement, souvent pour moi-même hormis lorsque nous nous trouvions en mission. Comment pouvais-je simplement trouver cette gentillesse, si naturelle chez lui, normale ?

Le mercenaire s'approcha pour venir placer ses mains sur mes bien frêles épaules en comparaison. Un geste amical auquel je ne m'habituais qu'à peine, tout comme ses sourires un peu trop communicatif à mon goût.

- Mais imagine si c'était nous qui t'avions retrouvée blessée ou pire encore... aucun de nous ne se le serait pardonné, quand bien même tout cela n'a commencé qu'entre vous deux. Nous tenons à toi Aeryn, alors ne nous laisse pas derrière quand il t'arrive ce genre de choses.

Il est vrai qu'en inversant les rôles, j'aurai forcément agi de la même manière, je l'ai déjà dit. Aussi, ses paroles ne m'étonnèrent nullement, hormis une expression que je n'entendais que rarement… Voir jamais… “Nous tenons à toi Aeryn.” Pourquoi focalisais-je là-dessus, au juste ? Ce n'était là rien d'autre que des mots sans réelle valeur et pourtant, ils me firent l'effet d'un coup de poignard insidieusement porté à… À quoi ? Le geste qu’il esquissa ensuite ne fit finalement que m'achever en me clouant sur place. Je n'osais pas bouger d'un millimètre, mais mes yeux refusaient de se détacher des siens, malgré la gêne étrange que j'éprouvais.

- Nous autres devrons être là quand le moment sera venu, parce que ce gars n'a pas la moitié de l'honneur que tu as. Il n'hésite pas à s'en prendre à des innocents pour se venger, c'est fourbe et mesquin, c'est d'une lâcheté impardonnable... mais ça veut dire aussi que si tu y vas, tu seras seule contre une bonne dizaine d'hommes qui n'auront aucune pitié, aucun scrupule à...

Je l'écoutais avec attention, ne trouvais strictement rien à lui répondre, puisqu’il avait entièrement raison. J'avais évidemment songé à tout cela, sans m'en préoccuper outre mesure, puisque je n'avais pas cherché à me mettre à leur place. Je connaissais les risques, absolument tous. En ayant grandi au milieu d’hommes et en continuant d'évoluer parmi eux, je savais pertinemment de quoi ils étaient capables… Même si j'évitais de penser à la partie la plus sale et humiliante… Celle à laquelle il venait juste de penser, à l'évidence, sa grimace ne passa pas inaperçue, malgré le sourire forcé qu'il esquissa pour masquer son trouble. Peine perdue, je pouvais aisément faire la différence à présent.

- Tu as confiance en moi ?

Confiance… Là encore, le mot me fit tiquer. Ce n'était pas une chose que l'on pouvait accorder aisément. Pour moi, cela revenait à placer aveuglément sa vie entre les mains d'une personne… Et pour moi, un tel acte s'avérait impossible, je m'en rendais bien compte en mission, au cœur même de la bataille, je ne pouvais compter que sur mes frères ou moi-même… Enfin, disons plutôt qu'il m'était difficile d'imaginer une personne s'ajouter à l'équation… Néanmoins, Finn veillait sur moi depuis mon intégration, quand bien même je le repoussais. Quand bien même il me promettait de ne pas me faire de traitement de faveur simplement parce que j'étais la seule femme mercenaire de la compagnie à ce moment-là… Il continuait malgré tout de me protéger, de loin et de manière plus ou moins discrète, je le savais et ne faisait qu'ignorer volontairement ce fait…
-Oui, murmurais-je bien malgré moi, comprenant que ce n'était pas un mensonge, mais bien la réalité. J'ai confiance en toi...

- Tu auras ta vengeance, mais on fera en sorte qu'il n'y ai pas d'entourloupe et pour ça, il ne faut pas foncer tête baissée.

-Tu m'énerves, pouffais-je sans aucune conviction.

Je n'aimais pas sa manière de m'atteindre, si facilement… Tellement facilement. Il visait juste, toujours et je détestais cela… Il me troublait avec ses sourires, des gestes doux, l’intonation de sa voix lorsqu’il s'adressait à moi…

-Très bien Gallagher… soupirais-je, vaincue. Ramène-moi à la maison.

Il avait fallu du temps avant que Aeryn n'adresse une parole dénuée de cette sensation distante et glaciale qui la caractérisait et qu'on retrouvait toujours chez elle durant les missions. Long fut le temps également qu'il fallu à Finn pour parvenir à la dérider à son sujet et plus encore à réussir à discuter sans qu'elle ne tente de fuir ou qu'un de ses frères ne viennent se mêler de la conversation. Leurs entraînements et le temps qu'ils passaient davantage ensemble les avaient rapprochés et, même durant les missions désormais, ils se jetaient fréquemment des regards pour s'assurer que tout allait bien d'un point à un autre du convoi. Bien sûr il restait le Second de la Compagnie des Lames, mais les plus anciens avaient remarqués qu'il y avait quelque chose, sans savoir s'il s'agissait uniquement du côté protecteur du jeune homme vis-à-vis de la gente féminine, s'il la percevait comme une sœur également, ou bien s'il s'agissait de tout autre chose. Quoi qu'il en soit, la rousse venait de confirmer au blond qu'elle avait confiance en lui et cela suffit à rendre heureux le concerné qui hocha la tête, promettant à la Mercenaire qu'elle aurait sa vengeance. Sa réaction ne manqua pas d'arracher un nouveau sourire à l'ancien menuisier qui se garda bien de rire malgré tout, conscient que sinon Aeryn risquait fort de mal le prendre, fière comme elle l'était.

- Par les Trois, si j'avais su que pour gagner nos combats il me fallait être ainsi, je t'aurais prise dans mes bras depuis longtemps.

Cette fois il partit d'un rire amusé, reculant cependant vivement alors qu'il redoutait qu'elle ne tente de le frapper, se décalant ensuite avant de jeter un regard en direction de l'intersection donnant sur la rue principale.

- Hey Kaël ! C'est bon tu peux venir !

Car il n'était pas dupe, le frère aîné ne devait pas être bien loin, guettant certainement le moindre problème qui pourrait survenir pour une raison ou une autre. Le Second de son côté reporta son attention sur la jeune femme, lui souriant légèrement et reprenant à voix plus basse avant que le frère ne revienne vers eux.

- Tu sais que c'est la première fois que je t'entends appeler le QG "la maison" ? Je crois que je peux dire "bienvenue dans la famille" maintenant.

Et il était temps, depuis plusieurs mois maintenant que la fratrie Monclar avait rejoint la Compagnie, mais cela faisait chaud au cœur de Finn de constater ces changements qui s'étaient fait petit à petit, l'un après l'autre, sans forcer. C'était souvent ainsi que l'on évoluait, tous autant que l'on était.

- Par les Trois, si j'avais su que pour gagner nos combats il me fallait être ainsi, je t'aurais prise dans mes bras depuis longtemps.

- Pourquoi ferais-tu une chose pareille? lui demandais-je un peux perplexe… Un peu perdue aussi, puisque l’idée de me retrouver entre ses bras ne fut pas des plus désagréable.

Que voulait-il dire par “être ainsi” ? Décidément, Finn avait beau avoir le tempérament inné d'un meneur, il n'en était pas moins difficile à comprendre par moment. M'enfin, je décidais de ne pas y prêter attention et d'arrêter de le regarder avec une expression de poisson frit, pour mieux lui rendre son sourire… Même si je ne savais paz pourquoi je souriais… J'aimais mieux mettre ça sur le compte de son talent naturel. Il était sociable, apprécié de tous, respecté par tous… À croire qu'il arrivait aussi à percer les défenses des êtres le plus renfermés, tel que moi.

- Hey Kaël ! C'est bon tu peux venir !

Je portais mon attention vers la rue, suivant le regard du second pour y chercher mon frère. Il devait forcément être là, quelque part, attendant que nous ayons terminé notre conversation, mais il ne se montra pas pour autant. Était-il vexé pour ne pas avoir réussi à me faire entendre raison ? Connaissant mon frère, je ne pus qu’en douter. Peut-être aurions-nous une conversation plus tard, une fois rentrés au QG… Que les Trois m’en préserve, par pitié.

- Tu sais que c'est la première fois que je t'entends appeler le QG "la maison" ? Je crois que je peux dire "bienvenue dans la famille" maintenant.

Je me retournais vers lui, toujours plus surprises par ses paroles. Il semblait content, presque fier de m'entendre utiliser ce terme pourtant ridicule… Je ne voulais pas qu'il se méprenne sur mes sentiments les concernant tous.

Je ne pourrais pas dire que je ne m'étais pas intégrée parmi eux, c'était même plutôt l'inverse. Mais je ne m'y sentais pas “chez moi” pour autant, je ne pouvais y voir un foyer, même si je ne m'y sentais pas particulièrement, mal. Je faisais des efforts, beaucoup, pour ne pas prendre leurs blagues de travers, consciente à présent qu'il n'y avait rien de bien méchant dans leurs mots. Je prenais de plus en plus de repas avec ces gens que je pouvais considérer comme des camarades, mais certainement pas comme des amis ou une famille pour autant. J'émettais encore quelques réserves, je restais distante bien que beaucoup moins qu'avant. Je n'étais proche de personne en dehors de mes frères, même si je ne pouvais nier apprécier de plus en plus la compagnie de Finn. Enfin, si… Je le niais, justement… Mais même si je ne disais rien aux autres, j'évitais de me mentir à moi-même. Bonne ou mauvaise, le second avait une certaine influence sur moi… Que je le veuille ou non.

-Ne t’emballe pas pour quelques mots, Gallagher, ce n'est qu'une expression... raillais-je gentiment avant de prendre une expression plus sérieuse. Ce n'est pas ma maison, mais la tienne.

J'avais intégré la compagnie pour suivre mes frères, consciente que mes chances de survie dans ce monde seraient réduites à néant en étant seule. Ils étaient ma famille, mon monde… Tout ce que j'avais pu connaître jusqu’ici. Néanmoins, avec le temps, mon petit cercle, représentant mon univers, s'était agrandi… Un peu. Je reconnaissais les lames, certes, mais sans même m'en rendre compte, je lui avais fait une place, à lui…

Je l'observais un moment, assez longtemps pour me sentir quelque peu gênée. Aussi décidais-je de tout balayer d'un rire franc même si teinté d'une touche de honte.

-On y va ou tu veux me prendre dans tes bras, plaisantais-je en lui lançant un regard taquin avant de prendre la route du QG.