Marbrume


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 Dans ce sabbat des couleurs [William]

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Yseult de Traquemont



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MessageSujet: Dans ce sabbat des couleurs [William]   Dans ce sabbat des couleurs [William] EmptyLun 23 Nov 2015 - 16:50

Des ténèbres. Des ténèbres partout. Elles flottent autour de moi, ont remplacé le monde au profit de quelque noirceur accueillante dans les bras de laquelle je me réfugie. Soyeuses. Douces sur ma peau. Est-ce un songe ? Peut-être. Peut-on seulement le savoir lorsque l'on est en train de rêver ? Un frisson dans l'obscurité. Il est rare que mes nuits ne soient pas peuplées de cris ou de remords. Je me sens étrangement... bien. Au chaud et en sécurité. Le bruis d'une main sur les draps. Jadis les miens étaient de soie noire et je me vêtais de jolies robes de satin ; aujourd'hui, je dors sur du lin grossier et porte la tenue de mes hommes d'armes. La caresse d'une paume sur la peau pâle de mon bas-ventre révélé au clair de lune. Sa lumière se déverse par la lucarne de mes appartements. Si vastes, si spacieux... si vides.

Je suis la seule personne qui se soucie encore de moi, et c'est là bien peu de choses lorsqu'on connaît l'étroitesse de l'estime que je me porte.

Une respiration étouffée s'échappe de ma gorge lorsque je porte le majeur de ma dextre un peu plus bas. Je me rappelle qu'adolescente, je me demandais si le désir brûlant qui incendiait parfois jusqu'à la lie de mes pensées finirait par s'estomper adulte ; il n'en avait rien été, et aujourd'hui encore alors que j'étais non vierge mais veuve martiale, il me fallait répondre de la passion qui m'embrasait aux temps passés.

Cette même passion qui m'habitait... me dévorait... Derrière le masque impénétrable du visage que je présentais à tout un chacun chaque jour que la Trinité faisait, une immense violence cognait avec la démesure d'un forcené. Elle se heurtait aux chaînes de ma résolution, aux chaînes de ma tempérance, aux chaînes de ma discipline. Cette flamme s'échappait de moi à la guerre comme en amour mais ne se libérait qu'à leurs moments les plus forts ; heureusement pour moi, je n'arpentais plus aujourd'hui que les sentiers de la première.

Heureusement, hein...?

Mon souffle se fit plus sifflant tandis que je rivais les yeux au plafond, mes doigts entreprenant une sarabande de plus en plus endiablée. Qui ignore la fièvre qui parfois nous saisit aux tripes et à la gorge, à la poitrine et à l'aine... elle monte, infuse, bouillonne et éclate pour disperser chaque pensée aux quatre vents. Vous n'êtes plus alors qu'un tourbillon de feuilles s'en allant s'écraser en maints endroits que la simple pensée ne peut atteindre, et où seul le sentiment de jouissance peut vous transporter...

Je me figeais avec un soupir solitaire qui s'en alla se perdre dans les recoins ténébreux de ma chambre. Ce sentiment... il ne me venait plus. Je n'arrivais plus à le susciter.
Ma main retomba sur le côté, entre deux plis de mes draps froissés. Ma joue s'en alla mornement épouser le creux de mon oreiller tandis que je portais mon regard en direction de la fenêtre en ogive ; par cette nuit sans nuages, j'avais l'impression qu'il s'en déversait des cendres de mercure.

Mais surtout, à travers la pénombre flottant au-dessus des marais, je voyais les mille chandelles de Marbrume s'agiter comme autant de papillons enjôleurs.

Des chandelles au fond des ténèbres. Tavernes, tripots et gargotes... Là, j'y pourrais trouver la compagnie dont je manquais tant. A force de vivre parmi eux, oserais-je acquérir la pensée d'un homme de troupe ? Non, bien sûr... je crois.
Je m'assis au bord du lit en effaçant, d'un revers de poignet, la larme insolente s'étant piquée de couler le long de ma joue - j'étais devenue si froide que je ne parvenais plus à me réchauffer moi-même. J'ignorais si je devais en éprouver plus de pitié que de honte ; les deux m'assaillaient à parts égales.

La nuit s'étira avec langueur, sans un bruit, car j'avais appris à pleurer en silence... et le jour qui suivit fut l'un des rares où je ne partis pas chasser les Fangeux.

***

Froid l'air du soir et froide comme je marche le long de ces couloirs, de ces venelles bordées de boutiques fermées et de portes closes. Les honnêtes gens dorment au fond de leurs lits, et moi j'arpente les artères dégagées de la Hanse. J'ai pris la décision de gagner Marbrume dans l'après-midi, à cette heure où l'on ne sait si le soleil va encore s'élever ou s'il va lentement délaisser les cieux ; et depuis ce moment j'erre au fil de ses trop larges avenues ou trop étroites ruelles, étrangère à cette cité dont je prétends défendre la frontière, intimidée par sa taille et son agitation. Effrayée, presque, par sa candeur. Son inconscience du péril qui rôde à sa porte... Où est l'armée prête à reprendre notre royaume ?!

Je porte la main à mes yeux, secouant légèrement la tête pour en chasser ces pensées. Tu te tournes trop vers ton devoir, châtelaine ; c'est là ta plus grande force et ta pire faiblesse.

Mon bras retombe le long de ma hanche alors que je rouvre les paupières ; et quelque chose me frappe aussitôt. La vision d'une silhouette singulière qui se découpe à quelques toises de là, dans la chiche lumière des étoiles et des torches vacillantes.

Jeune homme élancé à la peau d'opale, dans un ton peut-être trompeur de nacre fragile plutôt que de pâleur maladive. Une épaisse tignasse aux couleurs fort à propos de l'automne descend sur sa nuque ; j'ignore pourquoi, mais ces mèches auburn me donnent l'envie irrésistible d'y fourrer les doigts comme pour en éprouver la vigueur. Même à cette distance je peux discerner l'éclat océan qui habite ses yeux et pour moi qui suis née entre deux montagnes, dans la brume et la neige, la couleur de la mer garde un charme dont j'envie les mystères.
Il est vêtu d'une tunique émaillée du bleu des rois et cela lui va bien. Néanmoins une chose me dérange... et il me faut plusieurs secondes pour mettre le doigt dessus.

Il porte également le jaune des filles de joie et garçons de passe.

Je suis allée à son encontre avant de me rendre compte de ce que je faisais. De moi l'on ne pouvait encore deviner qu'un visage ceint d'une courte capuche me protégeant du vent, ce qui ne l'avait pas empêché d'embrasser mes pommettes en y laissant l'empreinte rouge du froid ; ma lourde pèlerine bordée d'une fourrure sombre n'étouffait pas totalement les craquements discrets de la tenue de cuir noir qu'elle recouvrait.

« Je... »

Souffle peu audible. L'hésitation qui nous saisit lorsqu'on pose le pied en un domaine inconnu. Comment m'y prendre ? Ce garçon est-il seulement... au travail ?

« Je voudrais... »

Inspiration. Je ne suis plus une adolescente effarouchée...

« J'ai besoin de vos services. Pour la nuit entière. »

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MessageSujet: Re: Dans ce sabbat des couleurs [William]   Dans ce sabbat des couleurs [William] EmptyMer 25 Nov 2015 - 21:21
« Il a beau vouloir me faire croire le contraire, je sais qu’il couche avec la femme du bout de la rue ! Sinon pourquoi sortirait-il aussi souvent la nuit, aussi tard ?! »
      Appuyé sur un bras, dans des draps froissés qui avaient été propres avant que nous ne nous y jetions, je la regardai pleurer sans l’arrêter. Elle voulait parler, elle voulait être consolée. Je savais écouter et je savais redonner le sourire à n’importe qui… Une larme roula sur sa joue de femme trompée et je l’essuyai tout doucement. Elle se tourna vers moi, les draps cachant à peine son opulente poitrine. Elle me fit un pauvre sourire et voulu se blottir dans mes bras. Je l’y accueillis sans rien dire. Elle commença à embrasser mon coup tout en passant ses bras autour de mes épaules.
     « Toi, toi tu me comprends, hein ? Toi, tu me comprends William… » répétait-elle comme une idiote entre deux sanglots.
     Je caressai son dos et ses reins pour dire « oui », bien que je ne pensais que le contraire. Je savais de source sûre que son mari ne voyait pas la femme du bout de la rue tard la nuit… plutôt le frère de cette dernière…
       Ces deux là s’étaient mariés dès que Marbrume s’était trouvée mise en quarantaine forcée. La panique et la peur de mourir ; ils s’étaient dit que le peu de temps qu’il leur restait ne pourrait pas les amener à avoir de regrets… Il n’avait pas fallu plus de deux semaines pour qu’ils se rendent compte qu’ils n’étaient pas faits l’un pour l’autre et que Marbrume allait un jour tomber, mais pas avant quelques années encore. Le mari avait commencé à voir ailleurs et elle avait fait appel à mes services, histoire classique, banale d’un adultère comme on en n’a déjà vu plein. Ce genre d’histoire classique et banale qui pouvait me rapporter gros au fil des nuits…
      Elle griffa mon dos alors que je l’embrassai en passant mes mains dans ses cheveux. Elle poussa un gémissement quand je fis courir mes mains sur elle.
     « Encore une fois, William ! » dit-elle en s’offrant à moi « Encore une fois ! »
Les désirs des clients sont des ordres… C’est la loi du métier.

     La taverne de Marthe était pleine à craquer. Ce devait bien être un des seuls endroits de Marbrume encore fréquenté à cette heure où l'après midi laisse place à la nuit. L’odeur de fumée me prit à la gorge immédiatement. Comme je ne la supportais pas ! Elle me rappelait trop mes premières nuits ici, à passer entre les bras de tous les soulards du coin. Heureusement que j’étais sorti de ça maintenant ! Ho, bien sûr, à l’occasion, il m’arrivait de devoir passer la nuit avec un des gardes de la milice qui rôdait dans la taverne en quête d’innocents à accuser. Il était de nature connue que la moitié des possessions de la milice venait des gens qu’elle avait arrêté injustement. Des pauvres types à qui on prenait tout et qu’on jetait dehors. Je n’allais pas forcément m’en plaindre, certaine de mes affaires personnelles s’étaient retrouvé entre mes mains comme ça. Le plus souvent grâce à Marthe, d’autre fois grâce à mes yeux et une chambre payée d’avance. Et puis, les miliciens ne sentaient pas tant la fumée que ça…
      Je me frayais un chemin jusqu’au comptoir et Marthe me tendit immédiatement une bière avec du pain. Je la pris et but une gorgée en la remerciant d’un signe de tête. Le regard d’un marchant d’herbes s’attarda sur moi, mais je ne lui prêtais aucune attention. Vu l’expression sur son visage quand il détailla mon corps, il ne me rapporterait rien sinon des cicatrices supplémentaires. Marthe le chassa d’un regard aussi noir qu’un ciel d’orage en été. Le pauvre type ne préféra pas insister et partit sans demander son reste. J’enfournai une grande tranche de pain dans ma bouche en poussant un soupir de satisfaction.
     « Le travail a été payant ? » me demanda Marthe en essuyant un verre avant d’en prendre un autre. « Tu rentres plus tard que prévu, non ? »
Je pris le temps de bien déglutir avant de lui répondre. Je détestais parler la bouche pleine, ça éloignait les clients potentiels.
    « Le mari de ma régulière rentrait plus tôt, lui… » dis-je simplement en faisant passer le tout avec une gorgée de bière.
    « Tu ne l’as pas croisé j’espère ?! » s’écria Marthe en manquant de faire tomber un verre.
Quelques clients se tournèrent vers elle suite à cet éclat de voix, puis reprirent leurs conversations respectives.
    « Si ! » répondis-je avec un grand sourire. « Il m’a même proposé des pièces en plus si je le suivais dans sa buanderie… Il m’a dit qu’il avait un vin de son propre cru à me montrer… »
     « Tu n’as jamais aimé le vin… » ronchonna Marthe, voyant très bien où je voulais en venir.
    « Parce que personne n’a jamais été en mesure de m’en faire goûter un bon ! » fis-je dans un éclat de rire.
      La jeune cuisinière passa à côté de moi à ce moment-là avec une immense marmite à l’odeur appétissante et m’adressa un faible sourire que je lui rendis, en plus éclatant bien sûr… Elle rougit et baissa la tête, laissant couler quelques gouttes de soupe sur le plancher. Dans sa maladresse, elle faillit se prendre les pieds dans une chaise mais se rattrapa à temps. Elle me jeta un rapide coup d’œil pour voir si ce moment m’avait échappé et je fis semblant de ne pas l’avoir vu. Marthe bougonna :
    « Vas-tu cesser de la déconcentrer, par la Sainte Trinité ! Cette gamine vendrait son âme pour avoir plus qu’un sourire de ta part ! Et après, c’est à moi de nettoyer le plancher ! »
Je posais des pièces sur le comptoir en me levant de ma chaise tout en déclarant :
   « Désolé Marthe ! Tu sais bien que je ne le fais pas exprès ! Déformation professionnelle ! »
Je la saluai d’un geste de la main alors qu’elle me lançait un juron sans pouvoir cacher le grand sourire qui lui tendait les lèvres. Il fallait que je sorte prendre l’air, la fumée commençait à me donner mal à la tête.

      Les rues de Marbrume avaient eu l’habitude d’être plus animées que ça la nuit auparavant… avant le Fléau et les fangeux. Les gens sortaient et riaient. On voyait souvent des estrades de danses populaires s’improviser. Les gigues que mon père m’avait apprises me permettaient toujours d’en retirer quelque chose d’intéressant. Mais depuis les derniers mois, les gens se terraient chez eux, ne restant dehors que le temps nécessaire à leur vie de tous les jours avant de repartir se cacher dans les taudis qui leur servaient de maison. Finalement, ils n’en devenaient pas très différents des fangeux en un certain sens : vivants et pourtant morts à l’intérieur, remués uniquement par leurs instincts les plus primaires…
     Alors que j’avançais là où voulaient me mener mes pas, j’entendis une personne se précipiter derrière moi. Pensant qu’il s’agissait d’un quelconque tiers, je me déportais légèrement sur le bord de la rue. Mais l’agitation ne se calma pas. Je sentis une main me retenir par le bras. Je pris un air faussement surpris et me retournais. J’avais travaillé cette expression afin de ne pas avoir l’air trop sûr de moi dans la rue. Etre doué et savoir qu’on l’ait, fait une très bonne publicité, mais l’excès de confiance en soi mène bien souvent à la perte. Combien de filles de joie avaient mal finies, écartelées dans une ruelle, alors que leurs jambes leur promettaient un certain avenir dans le métier ?...

                                                     « Capuche... »

   Ce fut le premier mot qui me vint à l’esprit quand je vis la personne qui m’avait arrêté. Elle portait une lourde cape à fourrure qui devait bien la protéger du froid. Que n’aurais-je donner pour en avoir une comme ça l’hiver… Sous l’épais manteau, mes yeux distinguèrent une silhouette féminine. Elle avait l’air frêle et pourtant la poigne qu’elle avait eue en me retenant plus tôt me dissuada de la croire faiblarde.
Elle ouvrit la bouche une première fois, sans parvenir à me dire ce qu’elle désirait, quand bien même je pensais l’avoir compris depuis l’instant où sa main s’était accroché à mon bras. Je me fendis d’un sourire encourageant pour l’amener à continuer.
Elle trouva finalement la force de déclarer :

   « J'ai besoin de vos services. Pour la nuit entière. »

     Elle releva la tête et me regarda droit dans les yeux, mût d’une affirmation nouvelle. Sous sa capuche, je vis que son visage était fin et bien dessiné. L’expression de fierté et d’honneur qui rayonnait dans ses yeux m’indiqua son rang social. Je n’avais jamais vu que les nobles abordant ce genre de regard. Je me demandais ce qu’une dame de la noblesse pouvait faire dans les rues populaires de Marbrume à la tombée de la nuit, surtout dans cette tenue… A moins qu’elle ne soit pas de la ville. J’avais entendu parlé de certains riches qui prenaient des forteresses autour de la ville afin de la défendre contre les fangeux… bien que nous n’en ayons pas vu des résultats flagrants jusqu’à présent…
     Je lui souris, comme il est d’usage avec les clients. Mes yeux se mirent à briller alors que je calculais comment j’allais organiser ma nuit. Je ne travaillais que le lendemain soir, et encore, pouvait-on appeler ce que je faisais avec Louen de Derval un travail ?... J’avais cette nuit de libre, j’aurais pu en profiter pour dormir… mais à Marbrume, on n’était jamais à l’abris d’un mauvais jeu du destin. Un peu d’argent en plus, un peu de sécurité en plus !
     Mon sourire s’agrandit et je fis une légère révérence. Posant ma main droite sur mon cœur, je demandai :
      « Avez-vous une chambre où loger en ville, ma Dame ? »
Ma voix était polie. Elle l’était toujours, les gens appréciaient. D’un signe de tête, elle me fit comprendre que « non ». Je lui servis mon plus beau sourire de séducteur et lui tendis mon bras dans un geste élégant :
      « Me permettriez-vous de vous conduire chez moi dans ce cas ?... »
Elle sembla hésiter un peu. Je la comprenais en un sens, ce n’était pas évident d’accorder sa confiance à un inconnu dans ces jours malheureux… quand bien même sa profession était aussi reconnaissable que la mienne. J’adoucis mon sourire, alors que le froid me rougissait légèrement les joues. J’avais de la chance de ce point de vue-là : le sang de ma mère me protégeait du soleil d’été, mais celui de mon père me permettait de tenir quand le vent du nord se mettait à souffler en ville. N’importe quel autre homme serait mort de froid, quand je me contentais d’un léger frisson. Mais je n’étais pas surhumain pour autant, aussi voulais-je tout de même qu’elle se décida rapidement, pour retourner au chaud, dans une chambre de la taverne. Je me retenais toutefois de le montrer, ç’aurait été une grave faute professionnelle de ma part.
      Elle me tendit finalement son bras et le passa sous le mien. Toujours avec mon sourire doux sur le visage, je déclarai :
     « Je m’appelle William, ma Dame, je serai à votre service pour toute la nuit. »
C’était plus une formule de politesse qu’autre chose. C’était le genre de phrase que les clients aimaient entendre : ça les rassurait de m’entendre dire que j’étais sous leurs ordres… Que je connaîssais ma place, que je l’acceptais, que je me soumettais.
     Elle hocha la tête doucement et se laissa guider dans les rues de la ville. Je me rapprochai légèrement d’elle afin de profiter de la chaleur de sa cape en fourrure. Elle trembla un peu et je lui fis un sourire d’excuse. Je n’aurais pas aimé me fâcher avec un membre de la noblesse. J’aurai été bon pour finir torturé par la milice avant d’être jeté dehors.
     Nous arrivâmes rapidement à la taverne. Je lâchai son bras et me mis sur le côté pour lui ouvrir la porte. Je fis la révérence en lui présentant l’entrée d’où s’échappait un peu de chaleur ainsi que l’odeur de la soupe de Marthe :

« Si vous voulez bien, ma Dame »
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MessageSujet: Re: Dans ce sabbat des couleurs [William]   Dans ce sabbat des couleurs [William] EmptyMar 1 Déc 2015 - 21:35
Je n'avais mis les pieds en ce genre d'endroits qu'en de si rares occasions qu'on pouvait les compter sur les doigts d'une main ; et à peine franchis-je le seuil de ce que je qualifiais de tripot qu'aussitôt, j'en conçus quelques inavoués remords.
Quelle idiotie m'avait menée jusqu'ici ?

Ce n'était pas de la crainte. Je crois. Il ne restait guère de choses en ce monde dont j'avais la frayeur ; c'est plutôt que tant j'aimais le peuple, et tant j'aimais les miens au point de consacrer les restes fantoches de mon existence à les défendre, tant j'étais lassée de la compagnie de ceux-là même que je prétendais préserver. Peut-on aimer une chose et être lassée de sa présence tout à la fois, au point même de la fuir ? Il semblerait car c'était bien mon cas. L'être humain était d'un ennui...

Je rabattis la capuche sur mes épaules, cette chape d'étoffe ayant permis à ma chevelure au naturel indiscipliné de revenir à ses mauvaises habitudes : je m'en retrouvais avec les mèches en bataille, désordonnées. J'avais la souvenance qu'au temps où l'on pouvait encore hésiter à me croire adolescente ou jeune femme, j'avais émis le vœu de les couper afin de me rendre le port du heaume plus supportable. Quand bien même mon père m'avait élevée pour la bonne compagnie comme pour la guerre, il avait très nettement refusé l'idée - de même que ma mère et c'était bien là l'une des rares choses à mon sujet pour laquelle ils eussent jamais été d'accord.

Si je me rappelais bien des mots de mon galant d'une nuit, il avait parlé d'un « chez lui ». Pourtant, nous étions ici davantage dans une taverne que dans une demeure, sinon celle du tenancier - qui s'avérait être une tenancière. Petite matrone dont quelque chose dans le regard qu'elle lança en notre direction me laissa deviner qu'elle connaissait William. Il m'avait donné son prénom sans que, par ailleurs, je n'en fasse autant. Comment faisait-on dans ces cas-là ?
Un rapide regard me permit d'embrasser l'intérieur de l'édifice ; il était vivant sans être agité, avec ses habitués et leurs rires sonores, un grand-père au coin du feu pour péniblement avaler son épaisse soupe et une serveuse, louvoyant entre les tablées, déployant des trésors de retenue pour ne pas dévisager mon voisin - et le faisant quand même, probablement sans même s'en rendre compte.

Je pivotais sur mes talons, faisant face à ce marchand d'amour aux yeux couleur de mer du Sud.

« En vérité, j'ignore comment... »

Mauvais départ. Ces mots pouvaient prêter à confusion. Légère rougeur qui monte aux pommettes, feu haïssable de ridicule et de gêne mal placée.

« J'ignore ce que... »

Toutes aussi peu appropriées, ces vaines paroles s'échappaient de ma bouche comme si elles venaient d'une autre. J'étais plus à ma place dans la boue, une épée à la main, que debout et gauche sur le plancher jonché de roseaux de cet établissement.

« ... »

Le silence également avait ses vertus, n'est-ce pas ?

Je lui pris la main. Fallait-il s'étonner que la mienne porte davantage de cals que la sienne ? J'en éprouvais un certain malaise, ce qui était assez stupide en soi. Et de me diriger à grands pas ainsi qu'en pays conquis, vers les escaliers qui invariablement menaient à l'étage et à ses chambres ; j'espérais vivement qu'elles fussent propres. Au fond de mon être bouillonnait une question que j'avais tue jusqu'à présent, mais qui se faisait de plus en plus pressante. De plus en plus précise.

La repoussant encore à plus tard, je lâchais les doigts de mon cavalier d'un soir pour poser le pied sur la première des marches. D'inconnus papillons venaient d'investir mon ventre et d'y voleter, du moins était-ce l'impression que j'avais ; je fis de mon mieux pour ignorer leur sarabande tout en montant les degrés. Chaque grincement me donnait l'impression d'être incroyablement bruyante, comme si le moindre des clients de la grand'salle allait se retourner dans ma direction d'un moment à l'autre.

Je fus soulagée de constater qu'il n'en fut rien. Arrivée au premier niveau, un long couloir sans décoration pour ouvrir sur pléthore de portes.
Maudits papillons.

« Vous en avez une ici ? Je gage que vous n'avez pas choisi ce lieu par hasard... » lançai-je à mi-voix par-dessus mon épaule, risquant un coup d’œil en arrière vers William qui arrivait.
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MessageSujet: Re: Dans ce sabbat des couleurs [William]   Dans ce sabbat des couleurs [William] EmptyMer 9 Déc 2015 - 22:04
« Tu n’as pas l’air habitué à ce genre d’endroit, je me trompe ? »

       Voilà certainement ce que j’aurais dit à ma compagne du soir s’il n’y avait pas eu d’argent à la clé. Au premier coup d’œil, il était facile de voir qu’elle ne devait pas fréquenter beaucoup de tripots et de tavernes. Je restais donc sur l’idée d’une noble. Mais, je ne comprenais pas, pour autant, pourquoi elle avait choisi de venir trainer ici…
        Elle embrassa la taverne du regard pendant que la tenancière la jaugeait rapidement du coin de l’œil. Marthe faisait toujours ça avec les clients que je ramenais chez elle. Peut-être que les chambres étaient aujourd’hui plus réservées aux travailleurs de la nuit qu’aux voyageurs, mais ça restait un établissement convenable tout de même ici ! Fallait pas voir à ramener n’importe qui non plus ! Voilà ce qu’elle nous avait déclaré une fois dans sa cuisine, à moi et aux filles, quand elle avait pu nous attraper tous ensembles, après un soir de fête particulièrement rentable en ville. Et loin de nous l’idée d’aller contre cet avis ! Les mauvais clients font les mauvaises réputations. Plus l’image de l’établissement restait impeccable, plus nous gagnions de l’argent. Et puis, nous devions bien ça à Marthe….
         D’un signe de tête, je vis la tenancière approuver la jeune femme que je venais de faire entrer ici. Je reportai mon attention sur cet être sorti de nulle part dans la nuit. Sa capuche sur les épaules, ses cheveux avaient pris une certaine liberté, donnant un spectacle assez impressionnant autour de sa tête. Ce n’était pas la plus gracieuse des clientes que j’avais pu avoir, mais je devais tout de même lui reconnaître une sorte de beauté sauvage. Celle que possède les combattantes, cette démarche à la fois lourde du soldat et légère du bretteur. Le mélange n’était pas disgracieux, il fallait bien l’admettre. Passer la nuit avec elle ne serait pas une épreuve…
               La jeune cuisinière eu l’air déçue quand nous passâmes devant elle. La pauvre ! Pourquoi cette idiote s’entêtait-elle avec moi quand elle me voyait monter avec autant d’hommes et de femmes ? Son visage m’aurait presque donné pitié. Une telle expression de tristesse misérable… Marthe allait certainement devoir la consoler ce soir encore…
               Ce fut ce moment-là que choisit ma dame du soir pour se retourner et planter ses yeux dans les miens d’un coup.
      « …En vérité, j'ignore comment... » dit-elle maladroitement.
Comment procéder avec les travailleurs de nuit ? Elle n’était pas la première à vouloir me dire cela tout en retenant ces mots avec une gêne certaine. Je lui souris d’un sourire tendre, pour l’encourager dans sa démarche. J’allais l’enjoindre d’une parole quand elle me prit subitement la main et m’entraina d’elle-même vers les escaliers. Heureusement qu’elle ne me regardait pas, car je ne pus cacher la surprise qui m’envahit alors. A la fois timide comme une enfant et forte comme un roc, cette femme se révélait changeante, surprenante à certains moments. Les femmes dans son genre m’entrainaient rarement comme elle le faisait. Peut-être m’étais-je fourvoyé en pensant que la nuit serait simple…
               Dans son dos, je la regardai monter les marches. Elle voulait se donner de l’assurance, mais je voyais bien qu’elle ne savait absolument pas où elle mettait les pieds. J’eu alors la vision fugace d’un jeune garçon naïf entrainé par un homme plus âgé dans ces mêmes escaliers quelques années plus tôt. J’eu un sourire quand je m’aperçus que les rôles s’étaient inversés désormais, comme une sorte de revanche malsaine et sulfureuse.
     « Vous en avez une ici ? Je gage que vous n'avez pas choisi ce lieu par hasard... » entendis-je devant moi presque à mi-voix.
Elle me regardait par-dessus son épaule de ses yeux clairs. Je sourie immédiatement et fis un signe de tête affirmatif.
      « Oui, c’est juste au bout du couloir » répondis-je d’une voix douce en passant près d’elle et en lui indiquant le chemin d’un geste de la main.
Les filles habituées de la maison et moi avions décidés de nos chambres respectives. Afin de ne pas déranger d’éventuels et rares clients de Marthe, des dormeurs donc, nous nous étions isolés. Certaines personnes aiment faire part de leur joie lors d’une passe, mais ce n’est pas toujours au goût de tout le monde. On m’avait proposé de garder la chambre dans laquelle j’avais tenu ma première nuit, mais j’avais refusé. Elle était petite et sentait le bois mouillé quand il pleuvait. Plus, j’y entretenais quelques mauvais souvenirs que n’étaient pas idéals pour les affaires. Etant le seul garçon de passe du coin, la rareté faisait ma valeur et ma valeur mes petits privilèges dans la maison. J’avais donc pris la dernière chambre, la plus grande. Celle avec un vrai lit deux places et où le soleil levant donnait une lumière douce sur la ville le matin.
 
Alors que je guidais ma compagne, une porte sur la droite s’ouvrit dans un grand fracas et des éclats de rire retentirent. Un client plutôt âgé mis le pied dehors, l’air hagard, mais joyeux, le pantalon toujours délacé.
       « Encore une agréable soirées, mesdames ! » lança-t-il en soulevant un chapeau qu’il n’avait pas avant de partir d’un pas titubant vers les escaliers.
Les éclats de rire redoublèrent et deux filles apparurent sur le pas de porte. Haydée et Méridj, les deux sœurs. Deux beauté (surtout Haydée) aux seins débordants de leur corsage et aux cheveux roux flamboyants venues de l’est. Elles travaillaient toujours par deux. « C’est plus pratique pour partager les pièces ! » disaient-elle quand les autres filles interrogeaient leur façon de faire. Bien qu’elles n’aient aucun accent particulier, elles aimaient rouler les « r » devant les clients. L’exotisme était tellement plus rentable. Il m’était déjà arrivé de passer une nuit ou deux avec elles quand le métier nous accordait des jours de repos. Je les aimais bien.
      « William, tu es seul ce soirrrrr ? » me dit Haydée alors qu'elle m’apercevait, reprenant vite un accent qu’elle avait mis au placard avec moi quand elle vit ma cliente.
      « Non, navré Haydée, ce sera pour une autre fois. » fis-je dans un sourire poli mais ferme.
Je n’aimais pas qu’on me dérange dans mon travail, surtout devant les clients. Je trouvais cela impoli.
     « Bonsoirrrr madame ! Passer oune bonne nuit ! Avec Will, vous n’avez aucun rrrisque de vous louper ! » lança Méridj à ma compagne avant que sa sœur ne lui flanque une gifle pour lui apprendre la politesse.
     « Merci Méridj, nous prenons note de ton avis » cinglais-je d’un ton aussi rude que la gifle précédente, mais sans me départir de mon sourire.
Haydée me fit un signe de la main et entraina sa sœur, qui se massait la joue, dans leur chambre en claquant la porte. J’avais l’habitude de ce genre de scène. Les filles n’étaient pas tendres entre elles, même au sein de la famille. Méridj avait eu de la chance que sa sœur ne lui colle pas des coups dans le ventre en plus. Pour autant, je n’appréciais guère que les clients assistent à ce genre de chose. Certes, ça en excitait beaucoup, mais je trouvais cela tellement dégradant pour nous…
               Toujours avec un large sourire collé sur mon visage, je me tournais vers la jeune femme dont j’ignorais toujours le nom :
      « Navré pour cette scène, ma Dame, ce ne sont pas de méchantes filles, mais il leur manque la politesse des plus réglementaires. »
Et d’un geste souple, j’ouvris la porte de ma chambre et l’invitais à entrer.
 
               Ce n’était pas une chambre somptueuse, mais elle était plus que suffisante pour le peu que j’y dormais entre deux passes. Ma cliente entra et je refermais la porte derrière elle. La laissant « admirer » les lieux, j’ôtais ma chemise d’un geste vif et la posais sur la chaise prévue à cet effet. Je délaçais mon pantalon sans pour autant l’enlever.
Alors que je m’approchais d’elle, la demoiselle se retourna et je la laissais me regarder. Je préférais prendre cette précaution au cas où, finalement, je ne serais pas au goût du client passager. Ce qui n’était encore jamais arrivé. Je m’agenouillais devant elle et pris sa main délicatement. Je la regardai un instant dans les yeux avant d’y poser un baiser. J’attendais quelques secondes avant d’en déposer un second. Je relevais les yeux vers les siens et pris une voix plus suave pour demander :
 

« Ma Dame a-t-elle une envie particulière ce soir ? »
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MessageSujet: Re: Dans ce sabbat des couleurs [William]   Dans ce sabbat des couleurs [William] EmptyJeu 17 Déc 2015 - 22:30

« Ma Dame a-t-elle une envie particulière ce soir ? »

Ma Dame. Je n'ai jamais aimé qu'on m'appelle ainsi, d'aussi longtemps que je m'en rappelle. La noblesse de mon lignage me définit peut-être ainsi, mais je crois ne rien avoir d'une dame de la cour. Plus maintenant.
Ces baisers courtois sur ma main se voulaient sûrement charmeurs. On pouvait les retrouver dans les histoires de chevaliers que ma mère me racontait lorsque, petite, je n'imaginais pas encore qu'une guerre doive nécessairement avoir ses vaincus. A cette époque, je ne concevais pas non plus qu'on puisse avoir des enfants avec une personne pour laquelle on n'avait guère d'amour ; la vie m'avait montré combien j'avais tort.

J'ai retiré mes doigts des siens, mes yeux glacés posés sur lui. Il n'est pas vilain garçon. Non, il ne l'était pas, et même loin de là.

Je prends brutalement conscience de sa promiscuité. De sa présence bien concrète. Je n'ai jamais connu qu'un seul homme dans toute mon existence et la Trinité m'en est témoin, je connais davantage les sentiers de la guerre que ceux de l'amour. Et puis l'amour, qu'est-ce vraiment ? Je ne l'ai jamais connu sinon pour mon enfant, et tous deux sont morts.
C'est ce que je lui dis, à ma manière. Si discrète, si nuancée, si incompréhensible :

« J'ai envie de retrouver l'amour. »

Voilà bien une envie que personne en ce bas-monde ne saurait combler, songeai-je avec cynisme. Comment m'apporter quelque chose qui n'existe pas ?
Je le détaille sans rien ajouter, le dos de ma main effleurant sa joue chaude. Pourquoi s'est-il agenouillé ? Est-ce ce que nous sommes supposés faire ? Sans m'interroger plus avant, je l'imite en portant mon visage à sa hauteur. Quelque chose... quelque chose d'étrange est en train de se passer.

Que m'arrive-t-il ?

En moi. C'est comme au début d'une bataille, lorsque mes veines se mettent à charrier un sang nouveau. Plus lourd, plus épais, plus énergique ; je le sens battre à mes tempes avec une hasardeuse insistance. Mon souffle s'alourdit, se fait plus pesant qu'il n'était rien qu'une seconde encore auparavant : en franchissant ma gorge puis mes lèvres, je devine sèches l'une comme les autres. Des fourmillements dont j'ignore la provenance se font sentir au bout de mes doigts, aussi les refermé-je derrière sa nuque.
C'était une sorte d'ivresse, une ivresse inconnue n'étant ni celle du vin ni celle du sang.

Que m'arrive-t-il ?

Je me rends compte que je suis en train de l'embrasser, sans vraiment être certaine de l'instant où je l'ai décidé. Ce n'est pas un baiser doux, pas plus qu'il n'est timide ou hésitant. Non, c'est un baiser qui ressemble à celle que je suis au fond de moi et que je ne montre à personne. Un baiser sauvage, un baiser rude qui écrase les lèvres jusqu'à les meurtrir et qui fait s'entrechoquer nos dents ; un baiser agressif, mordant. Un baiser qui se veut aller jusqu'au sang... mais s'en retient encore.

Que m'arrive-t-il ?

Une chaleur dont j'ignore la provenance investit mon ventre. Traîtresse, insidieuse, elle se répand plus bas et plus haut. J'ai le sentiment que cette marée tiède veut s'échapper de moi ; mon premier réflexe est de lui maintenir la bride haute, de la réprimer. Peut-être est-ce ce qu'on appelle la naturel qui revient au galop, car à peine je refoule cette ardeur qu'elle m'envahit, déferle jusque dans la moindre fibre de mon être. Je me sens brûler... d'une faim que je n'aurais jamais soupçonnée.

Mais que m'arrive-t-il...

Une de mes mains se porte à sa carotide sans que je ne puisse clairement déterminer si j'ai davantage envie de caresser que d'étrangler. L'autre se glisse dans le dos dénudé du jeune homme, et mes ongles ripent délicatement sur sa peau ; c'est un geste provocant, entre l'effleurement et la griffure, du genre à provoquer un frisson involontaire.
Un grondement sourd monte de ma gorge alors que je me presse contre lui, sur les genoux, et il faudrait m'opposer une certaine force pour m'empêcher de le renverser - ou il heurterait le sol non sans violence.

Ma froideur a toujours été un masque. Un masque que j'ai porté avec tant d'insistance, avec tant de fermeté, qu'il a fini par devenir comme une seconde peau ; mais ce soir je souhaite que l'on m'écorche, qu'on m'arrache ce déguisement.
Et je ne suis pas sûre de laisser le choix de le faire ou non à ce garçon de passe.

Tu vas le faire.
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MessageSujet: Re: Dans ce sabbat des couleurs [William]   Dans ce sabbat des couleurs [William] EmptyVen 25 Déc 2015 - 22:40
« Mais qu’est-ce c’est que cette furie ?! »

      Voilà la phrase qui tournait en boucle dans ma tête, alors que la femme que j’avais ramené ici collait ses lèvres sur les miennes sans se soucier de risquer de me donner un superbe coup de boule au passage. Le baiser n’avait rien de doux, je crus même qu’elle allait me mordre.
      Déjà en la voyant s’agenouiller devant moi, j’avais commencé à me méfier. C’était bien la première fois qu’une dame de la noblesse se permettait ce genre de chose devant moi. Je devais bien admettre que j’étais tout de même gêné qu’une femme de haute naissance se rabaisse à une condition aussi basse que la mienne. Jamais auparavant quelqu’un comme elle avait voulu se mettre à mon niveau. Je ne connaissais que les nobles de Marbrume, peut-être était-ce différent à l’extérieur de ses murs ? J’en doutais cependant…
     « Je veux retrouver l’amour… » ?... C’était bien ce qu’elle avait dit, non ? Était-elle au courant que ce n’était pas le centième de mon métier ? Contrairement à ce que les gens pensent, la prostitution n’a jamais été et ne sera jamais une affaire d’amour. Nous ne sommes qu’une simple illusion passagère dans la vie des clients qui ont l’impression d’avoir mieux avec nous qu’avec leur femme ou leur mari. Rien de plus… Je m’interrogeais cependant. Quelle était la raison de cette déclaration ? Chaque client avait sa propre histoire, chaque nuit m’en comptait une nouvelle. Quelque chose me disait que celle-ci ne serait pas des plus joyeuses.
       Sans relâcher la pression sur mes lèvres, elle passa une main dans mon dos et commença à faire courir ses ongles sur ma peau. Je poussais un grognement. Ce n’était pas la première fois qu’une cliente me griffait. Mon dos se couvrait souvent de longue estafilades rouges et enflées, cela ne me faisait pas peur. Je craignais cependant qu’elle ne sente les cicatrices plus marquées, plus profondes que m’avaient laissé certains clients dérangés. Je n’aimais pas qu’on me pose des questions sur elles. Elles étaient ce côté sombre de moi-même que je ne pouvais pas effacer, même avec un sourire.
Je passai mes mains dans son dos à mon tour. Pour le jeu, pour reprendre l’avantage que j’avais perdu dès qu’elle m’avait embrassé. Celle dont j’ignorais toujours le nom se colla sur mes genoux, sa main libre sur mon coup. L’espace d’un instant, j’eus peur de finir étranglé. Ce n’était pas une caresse cette pression sur ma peau. J’allais finir comme toutes celles qui s’éteignaient dans la nuit et qu’on retrouvait sans vie au matin. Une courte seconde, la peur me fit monter un frisson le long du dos. Je resserrai mon étreinte sur elle, autour de ses hanches.
        Si elle continuait à vouloir se coller ainsi à moi, j’allais tomber en arrière.  Moi qui espérais une nuit calme et facile, voilà que je me retrouvais avec une furie dominatrice ! Je pensais bien que cette femme n’était pas la silhouette maladroite que j’avais vu entrer dans la taverne d’un pas mal assuré, mais j’étais à cent lieues de me douter qu’elle pouvait être aussi entreprenante. Elle ne me laissait plus aucun choix, j’étais à elle pour toute la nuit et il allait falloir que je fasse avec. Peut-être aurais-je dû être plus prudent avant de le formuler comme cela quand je l’avais rencontré et qui j’ignorais encore qu’elle pouvait être ?... D’un autre côté, cette nouvelle facette n’était pas non plus pour me déplaire… Cette nuit allait être très éloignée de celle que je pensais avoir quelques minutes plus tôt…
Je me redressai d’un coup et mis fin à ce baiser. Il fallait tout de même que je reprenne mon souffle. Pour ne rien laisser paraître, j’enfouis mon visage dans son coup. Mes lèvres me faisaient mal. L’intensité du baiser les avaient rendues rouges et gonflées.

      « Voilà bien, ma Dame, longtemps que je n’avais croisé la route d’une femme comme vous… » murmurais-je sur sa peau.

      Je posais un baiser dans le creux que formait la ligne entre sa nuque et ses épaules alors que mes mains défaisaient un à un les boutons de son uniforme. Doucement, je la fis basculer pour la coucher par terre, et l’embrassai à nouveau. De manière beaucoup plus douce cette fois, non sans peur que la furie ne reprenne d’assaut mes lèvres meurtries. Je fis tomber sa cape en fourrure, celle qu’on réserve d’avantage aux soldats qu’aux femmes de sa condition. J’avais toujours une légère crainte quand je passais une nuit avec un membre des forces armées. Ils n’étaient pas les pires clients qu’on pouvait croiser, mais ils pouvaient se révéler souvent assez… imprévisibles. J’aurai dû me méfier avant de la faire monter ici. J’ôtais sa veste en cuir en la faisant glisser de ses épaules. Une veste sur laquelle trônait un insigne militaire. J’aurai dû me méfier. Sa chemise en chanvre ne tarda pas à la rejoindre. Elle ne portait pas les élégants dessous de dentelle que je connais d’habitude aux femmes de condition, mais cela ne m’étonnait pas, le reste de sa tenue m’ayant déjà donné un aperçu de tout cela. Je passais mes mains dans son dos pour les délacer. Quand ils furent à terre, eux aussi, je posais mes lèvres sur sa peau, descendant doucement.
         Quand ce fut fait, je me redressais lentement, assis à cheval par-dessus elle. Je pris délicatement sa main et l’embrassai encore une fois, de manière bien plus appuyée, bien moins charmeuse que les fois précédentes. Ma langue courut sur sa paume et remonta le long de son majeur. De ma main libre, je finissais de délacer mon pantalon, écartant bien le tissu de ma peau, laissant apparaître un caleçon qui commençait à être trop juste pour un jeune homme de mon âge. Les clients appréciaient en général. Surtout parce qu’ils terminaient le travail eux-mêmes. J’amenai doucement sa main vers ma poitrine, de sorte qu’elle puisse décider de la suite des évènements. Au fil de mes nuits et de mes expériences, j’avais appris que ce genre de chose était variable d’une femme à une autre. Certaines aiment avoir le dessus sur les garçons de passe comme moi, d’autres préfèrent se laisser porter. Il s’agissait bien souvent de trouver un juste milieu entre les deux. Je posais sa main au centre de mon buste, lui laissant le choix du reste. J’eus un sourire enfantin et un éclat de rire cristallin alors que je lui demandai :

    « Ma Dame, que voulez-vous faire ensuite ? »
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MessageSujet: Re: Dans ce sabbat des couleurs [William]   Dans ce sabbat des couleurs [William] EmptyMer 30 Déc 2015 - 0:43
« Voilà bien, ma Dame, longtemps que je n’avais croisé la route d’une femme comme vous… »

J'ignore si ces mots font partie de son numéro de charme. Ils glissent à l'orée de ma conscience comme la caresse fugace d'une brise matinale, que chasse aussi vite qu'elle est venue toute la fureur d'une aurore estivale. Cette aube empressée, c'est le désir ô combien réprimé qui s'échappe des tessons de ma discipline brisée. Comme une bête qu'on aurait par trop longtemps enchaînée, ma passion se dégage de son carcan et bondit à la gorge du garçon.

J'en fais autant, me rebiffant sous ses baisers trop doux et suaves afin d'embrasser fougueusement son cou hâlé.
Je finis cependant par m'apaiser un instant ; lorsqu'il m'invite à m'allonger, je referme mes doigts fébriles sur son avant-bras. C'est un regard intense et glacé que je lève vers lui, les lèvres entrouvertes sur un souffle saccadé. Il y a, dans la façon dont il m'ôte ma chemise, une douceur à laquelle je ne suis pas habituée.

La vérité c'est qu'en amour, je ne suis habituée à rien.

La brassière que je porte sous l'habit se voit délicatement délacée et rejoint ma veste. L'exercice et la bonne chère ont endurci mon corps, tout en courbes pleines et fermes ; la poitrine que j'ai épanouie se soulève sur une respiration un rien sifflante tandis que je me retiens, à grand'peine il faut l'avouer, de me jeter contre l'homme.
Un étrange instinct court mes veines, mon sang. Je le perçois dans mes membres, fourmiller dans mon ventre, infuser tout du long de mes mains... C'est un instinct qui me pousse à résister à William, à vouloir me dresser contre lui. Ce n'est pas un instinct de domination, non... ce n'est pas la victoire de cette lutte se dessinant entre nous deux que je convoite. Non, ce à quoi cet instinct me pousse, c'est... à me battre.

J'essaie de tempérer les ardeurs hargneuses qui grondent en moi tandis qu'il passe sa langue contre mon majeur. Un hoquet surpris m'échappe, et je suis la première déstabilisée du désir intense que ce geste suscite en moi ; j'ai envie de refermer mes doigts, de me saisir de sa mâchoire. Un besoin impérieux, terrible, m'agite et me secoue dans les tréfonds de mon âme... Le comparer à une meute de chiens jappant ne serait pas une vaine image.
Il se saisit de ma paume - les siennes sont-elles toujours si chaudes ? - afin de l'amener contre sa poitrine. La ligne nette de son torse, descendant jusqu'à son bas-ventre, trouve un charme ravageur à mes yeux ; je le lui signale en la suivant de mes ongles, lesquels marquent sa peau d'une série de lignes pâles.

« Ma Dame, que voulez-vous faire ensuite ? »
« Appelle-moi... »

C'est une voix rauque qui s'élève de ma bouche. Lourde car chargée d'un bouillonnement impatient ; j'ai assez attendu...
J'ai assez attendu ! Jamais je n'ai pu donner libre cours à ma passion, à cette rage de vivre et d'aimer qui rugit en moi ! Elle est là, grondante dans ma poitrine... on peut l'entendre dans la chamade déchaînée de mon cœur, la percevoir dans le tambourinement débridé de ce qui circule dans mes artères.

Je referme les doigts dans sa chevelure, plie le bras et soulève le haut de mon corps pour venir unir nos lippes avec la même rudesse sauvage qu'auparavant. Je laisse entendre un gémissement sourd - celui que pourrait émettre un fauve lorsqu'il tire au maximum de ses entraves sans qu'elles ne cèdent encore.

« Yseult... »

J'en ai assez d'être traitée en dame. J'en ai toujours eu assez. Mon mariage était un mariage d'arrangement et si mon mari m'aimait, l'inverse ne fut jamais vrai : je n'aimais pas William davantage que Tristan mais toutes ces années vécues en solitaire, toutes ces nuits dans une couche froide, déserte... Oh bien sûr elle ne l'était pas vraiment, mais dans mon cœur les choses étaient tout comme.

Et aujourd'hui je ressens ce besoin féroce, ce besoin qui me hante et me déchire, me réduit en pièces... ce besoin délirant de posséder un homme, de lui faire payer ma claustration, mon isolement sentimental. De montrer à la face d'au moins une personne combien je peux aimer. Avec déraison, avec désespoir.

Mes dents se referment sur le lobe de son oreille alors même que je griffe ses hanches. Avec une brutalité aveugle, je tire sur le pantalon qu'il a délacé sans l'enlever, provocation suprême m'ayant piquée au vif. Il me faut un peu de son aide pour parvenir à mes fins ; je ramène un mollet vers moi et m'attaque à ma botte tout en le dévisageant.

Regard fiévreux jeté dans le sien. Mèches en bataille, souffle court et bruyant. Tout en délaçant frénétiquement mes guêtres, je le défie de derrière mes prunelles à l'azur impétueux. C'est ce bas de toile solide, commode, que je porte presque en toutes occasions en lieu et place des robes et jupes de la noblesse que j'envoie à l'autre bout de la pièce sans autre forme de procès. Mes cuisses découplées se referment sur sa taille et j'imprime à nos bassins épousés une secousse qui m'arrache un ahanement.

Dans un murmure saturé de l'ivresse capiteuse me saisissant, je lui répète ces quelques paroles éperdues :

« Je veux retrouver... l'amour... »
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MessageSujet: Re: Dans ce sabbat des couleurs [William]   Dans ce sabbat des couleurs [William] EmptyDim 3 Jan 2016 - 21:50
« Appelle-moi Yseult… »


     Alors que la charmante demoiselle, dont je connaissais désormais l’identité, mordait à nouveau mes lèvres sans retenue, je repassais son nom dans mon esprit. « Yseult ». Cela me disait quelque chose. J’avais déjà entendu parler d’une Yseult auparavant.
      Peut-être cela n’avait-il rien à voir, mais ma mère était une conteuse hors-pair. C’était grâce à ce petit talent que la famille arrondissait les fins de mois difficiles. Elle avait le pouvoir de subjuguer n’importe quel public. Gamin, vieillard, femmes ou hommes, quand elle parlait tout le monde l’écoutait. J’étais toujours aux premières loges pour écouter ses histoires, sur le tapis râpeux devant la cheminé ou sous mes couvertures, au fond de mon lit d’enfant durant les nuits d’orage. Au début, il s’agissait surtout d’histoires de son pays, sur des dieux nombreux et étranges, des héros braves mais non dépourvus de faiblesses. Puis, petit à petit, ma mère a appris les histoires qui trainaient la patte près de Marbrume et dans notre campagne. Sans en avoir l’air, elle les a enregistrés, répété, arrangé, amélioré avant de nous les livrer dans toute leur splendeur. Je ne m’en vante pas souvent, mais la plupart des détails des contes qui circulent à Marbrume viennent des rajouts de ma mère et du bouche à oreille de son public.
       Un soir alors que j’étais caché sous ma couette, fuyant le froid de l’hiver, ma mère est venue me raconter une nouvelle histoire qu’elle tenait des régions où avait grandi mon père. « Une belle princesse, aussi juste que loyale, était promise à un roi. Mais elle tomba amoureuse du chevalier préféré de ce dernier à cause d’un filtre d’amour et tous deux devaient s’enfuir vivre leur amour dans les bois. Le roi leur donna chasse avant de les pardonner et les choses finirent par s’arranger pour les deux amants et le roi. » La princesse s’appelait Yseult, elle était la plus belle de tous les royaumes aux alentours. Douce et attentive, tous les hommes s’en trouvaient charmés. Elle était la femme que tous les enfants trouvent parfaite du haut de leur jeune âge et de leur méconnaissance du monde.
        La Yseult que j’avais devant moi, bien que charmante et bien faîte de sa personne, il fallait le reconnaître, était assez éloignée de cette princesse que tant d’hommes avaient fantasmé dans leur vie. Plus forte, plus indépendante aussi certainement, elle était très loin de mon idéal enfantin qui s’était quelque peu effacé au fil des années, mais qui restait blottit dans un coin de mon esprit. Cet implacable et insupportable besoin enfantin d’espoir et de bonheur. La Yseult que j’avais devant moi n’était pas une princesse innocente qu’il fallait sauver. La Yseult que j’avais devant moi venait, sans le savoir, de donner un coup de canif supplémentaire à l’enfant qui refusait de partir en moi.
     Pour autant, je n’étais pas mécontent de passer la nuit avec la princesse Yseult, quand bien même elle n’était pas celle attendue.

       La morsure nette qui brûla mon lobe d’oreille me ramena bien vite à la réalité. La princesse Yseult était en train de tirer mon pantalon, griffant mes hanches sans compassion, délaçant ses guêtres, les envoyant valser à l’autre bout de la pièce. Ses gestes étaient vifs, décidés et il n’y avait plus aucune hésitation dans ses yeux qui me jugeaient silencieusement. Je sentis ses jambes se refermer autour de ma taille, me ramenant toujours plus vers elle, sans aucune échappatoire, et un violent coup de bassin secoua mes hanches, m’arrachant un cri de surprise réjouie. Je l’entendis une nouvelle fois me dire fiévreusement :

« Je veux retrouver l’amour… »

Non, décidément, cette princesse Yseult n’avait rien à voir avec une héroïne de contes et de légendes. Mais, de plus en plus, au fond de moi, cela n’était pas pour me déplaire. Voilà qui changeait des femmes éplorées de Marbrume !...
Dans un éclat de rire, je lançais :
« Vous êtes surprenante Yseult ! »
Et, me penchant doucement vers elle, j’ajoutais les mots que ma mère m’avait appris à prononcer dans sa langue chantante pour faire plaisir aux femmes :

« ἐστέ καλλίστη…»

     Je passai mes bras autour d’elle alors que j’embrassai sa clavicule. Doucement, je caressai ses flancs avant d’atteindre ses hanches fermes et rondes. Quand mon père appréciait quelque apparat de son épouse, il lançait souvent un « álainn ! » sonore, ce qui dans sa langue natale devait être un compliment. Il ne m’a jamais traduit ces mots qu’il employait rarement, mais j’avais fini par comprendre qu’ils étaient des plus appréciateurs envers ma mère, ainsi que la gente féminine dans son ensemble. En voyant les jolies formes de la princesse Yseult devant moi, je ne pouvais m’empêcher de penser que bien des hommes auraient lancé ses mots à la volée. D’une main leste, je l’aidais à finir d’ôter ses dessous de toile, si rugueux, si loin des jupons féminins. Puis, je lui servis mon plus beau sourire alors que mes yeux se mettaient à briller. Toujours d’une voix enfantine, je lançais :

« C’est mon tour maintenant, madame Yseult ! »

Me redressant, je pris ses mains dans les miennes à nouveau et lui fit caresser mon torse jusqu’à mes hanches qui ondulaient comme des serpents pris de démence. Quand elles atteignirent la toile usée de mon pantalon, je fis glisser le tout lentement le long de mes jambes, dévoilant un dessous qui ne tarderait pas à rejoindre le reste de nos habits. Je n’étais pas très musclé, mais gagner de l’argent régulièrement m’avait permis de redonner quelques formes à mes hanches et mes cuisses. Ces dernières étaient même plus rondes que celles de certaines filles de la maison.
        Je laissais les mains de la princesse sur mes jambes pour mieux faire courir mes lèvres sur sa peau. J’embrassais l’intérieur de ses cuisses alors que mes mains remontaient vers le haut de son corps. C’était le métier qui parlait. L’habitude qui prenait le dessus et guidait mes gestes, comme un automatisme. Je me collais à elle, mes hanches ondulant sur les siennes, mes mains courant sur son corps, mes jambes se resserrant contre son bassin. Ma langue remonta le long de son ventre, jusqu’à son coup où je posai un nouveau baiser, la mordillant légèrement au passage, comme une petite vengeance mesquine de ma part. Je regardai à nouveau ses yeux bleus pâles qui semblaient vouloir tout étudier de ma personne. Aucun de mes gestes ne pouvait lui échapper, j’en étais sûr.
       Alors que je posai une main sur un de ses seins, je dénouai mes cheveux de l’autre. Ils tombèrent en cascade sur mes épaules, entourant mon visage, tranchant avec le bleu marin de mes yeux. Ils allèrent caresser la peau de cette si étrange princesse quand je me penchais vers elle pour embrasser son coup et sa nuque, une main sur sa poitrine, l’autre ses cuisses. Je fis un bruit de gorge qui ressemblait davantage à un ronronnement et murmurait son nom plusieurs fois à son oreille entre deux soupirs que j’avais appris à rendre vrais.
       Je me redressais légèrement et caressait son visage doucement. Je fixais ses yeux bleus fin et vifs et pourtant qui avaient l’air d’être aussi fatigués que les miens. Fatigués par une vie usante et les expériences traumatisantes, las des hommes et de leurs travers. Je lui souris tendrement, comme un amant sourirait à sa maîtresse, comme j’avais finis par sourire à toutes les femmes que je croisais et dis :

« Vous n’avez pas l’air d’être comme les autres Yseult… ».
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MessageSujet: Re: Dans ce sabbat des couleurs [William]   Dans ce sabbat des couleurs [William] EmptyVen 8 Jan 2016 - 13:55

Il me parle dans une langue étrangère qui néanmoins me donne toutes les raisons du monde que je la comprends ; ce sont des mots d'amour, des mots de désir qui font chavirer quelque chose dans mon cœur en émoi. Une intonation suave, une caresse doucereuse, une langue qui s'aventure sur ma peau. Le jeune homme joue avec des règles dont j'ignorais jusque là l'existence : mon mari et moi n'avons jamais usé des artifices qu'il déploie. Ce discours qu'il a, du verbe, du regard et du geste semble clamer que je suis la seule qui lui importe. Oh, je ne suis pas dupe... c'est ce qu'il exprime auprès de toute un chacune.

Mais ça me fait du bien et j'y veux accroire.

Un frisson électrique m'arrache un hoquet lorsqu'il se presse contre moi en susurrant mon prénom. La main qu'il a posée sur ma poitrine diffuse une sourde chaleur et j'ai le sentiment d'étouffer, sans que cela ne soit pénible ; bien au contraire.

« Vous n’avez pas l’air d’être comme les autres Yseult… »

Menteur et flagorneur. Je suis sûre que ces mots, tu les énonces avec la même sincérité auprès de chaque femme qui vient te voir ! Je glisse mes doigts dans sa chevelure libérée, juste au-dessus de sa nuque, afin de lui délivrer un baiser brutal en guise de châtiment. Mes lèvres se retroussent sur un sourire sauvage, un sourire qui n'a rien de bienveillant ou de tendre - à l'inverse du sien. C'est un rictus débridé exprimant que je veux prendre ce que je désire, sans concession et sans commisération.

De ma senestre, j'entoure ses épaules ; je pousse avec les pieds, avec mes hanches, voulant qu'il bascule sur le côté. Une roulade de nos corps plaqués l'un à l'autre, un souffle rauque d'effort comme de triomphe... et je le couve d'un regard brûlant, intense, désormais au-dessus de lui.

« Ces mots que je ne connais pas... » Je chuchote, d'un ton lourd et chargé de l'ivresse capiteuse qui me fait tourner la tête. Mon bas-ventre infuse, bouillonne de quelque ardeur que feu mon époux n'était jamais parvenu à m'inspirer. Le désir n'est pourtant pas lié à l'amour, car je n'aimais pas Tristan davantage que je n'aime William. « Fais-les moi découvrir plus avant. »

Je me redresse, juchée à califourchon sur cet amant au visage du Sud. Mes ongles esquissent de nouvelles zébrures sur son torse ; lentes et peu profondes, elles s'aventurent où ma fantaisie les pousse, dessinant un motif aléatoire tout en coquines arabesques. Je baisse les yeux sur lui, le défiant par-dessous mes cils. Je me mords la lèvre inférieure, avec force, lorsque mon bassin vient amorcer une série d'indolents effleurements contre le sien et sa virilité ; ma main libre se referme sur son cou. Pas à l'en étrangler, non... mais présente, se voulant peut-être un rien menaçante dans le jeu auquel nous participons tous les deux.

« Comment as-tu réussi cela...? »

Je murmure, la voix âpre et le timbre vibrant.

« Il n'y a plus de tendresse dans mon cœur depuis longtemps. Je me bats pour des gens que je n'aime pas. Je me bats pour vous, les habitants de Marbrume, risquant une vie qui m'est froide et solitaire. Je ne pensais pas qu'on pouvait encore me donner cette... chaleur... »

Un grondement de gorge m'échappe, sans ambiguïté aucune. Je ferme les paupières, interrompant les frôlements de mon aine contre la sienne. Quelque chose cogne dans ma poitrine avec une rage passionnée. Presque à m'en faire mal.

« Je... »

Je ne devais pas finir cette phrase. Une mystérieuse boule bloqua mes paroles au fond de ma bouche tandis que, frémissante, je me tenais au-dessus de lui sans plus oser bouger. Il s'écoula quelques secondes d'une impossible tension, l'atmosphère autour de moi me paraissant plus pesante qu'une chape de plomb dévorée par le regard d'un avide soleil d'été.
Alors, lentement, peut-être un rien crispée, je fis s'unir ma féminité à sa virilité.

J'eus une longue expiration maîtrisée, accueillant le flot de sensations qui me submergea. Je n'étais pas ce qu'on pouvait appeler une femme expérimentée dans le domaine de l'amour et du désir : voici, pèle-mêle, tout ce que je ressentis.

Pression palpitante, chaleur liquide. Un rouge doré, un rouge couleur d'orange de feu de forêt. La naissance d'un mouvement grisant, qui remonte de mon entrecuisse à ma poitrine. Rouge ravissant, rouge qui court et mord dans chaque goutte de sang. Rouge séduisant. De petits : « Aah...! » d'abandon franchissent mes lèvres ; je veux les retenir mais il est des choses que même une volonté de fer ne peut accomplir. Peau frissonnante, luisante. Un rouge embrasé, épris ; un rouge qui rugit et projette, dans chaque recoin de mon âme glacée, les flammes d'une fièvre passionnée que je pensais éteinte.
C'est là, dans ce sabbat des couleurs, que m'est revenu ce que je pensais à jamais perdu...
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MessageSujet: Re: Dans ce sabbat des couleurs [William]   Dans ce sabbat des couleurs [William] EmptyDim 14 Fév 2016 - 22:27
    Je sentis qu’elle poussait sur ses jambes pour me renverser. Elle désirait être au-dessus. Elle le serait.
    Je me laissai basculer sous son poids et nous nous retrouvions tous les deux à pivoter sur le sol de ma chambre. Je manquai de lâcher un « ouf ! » de douleur quand mes omoplates heurtèrent le bois si dur du plancher. A la place, j’affichai un sourire de connivence, comme il convient de faire pour dissimuler le moindre mal. Yseult, qui n’avait décidément plus rien d’une douce princesse, était assise à la califourchon sur mes hanches, comme je l’étais sur elle, avant qu’elle ne décide d’inverser nos places. Je n’étais pas en position de force ici. Peut-être souhaitait-elle me le rappeler ? Je regardai ses yeux bleus pâles qui me jugeaient de toute leur hauteur. Sans savoir pourquoi, je me sentis soudainement misérable. Ce que j’étais, en somme. J’étais le garçon des plus basses couches sociales de la ville. Il n’y avait bien que les bannis pour être pires que moi. La seule prestance, le seul pouvoir auquel je pouvais prétendre, je le gagnais sur mes hanches. D’aucuns diraient qu’il n’y a pas de quoi être fier et qu’on ne les verrait jamais s’abaisser à ce genre d’avilies. Et tous ceux-là étaient morts de faim quelques mois ensuite…
     Je refoulais cette soudaine humilité qui n’arrangerait pas mon travail. Mes états d’âme étaient toujours venus et repartis aussi sec ! Il n’était pas question que je les laisse s’installer. Sinon quoi ? Je me recroquevillerais dans un coin et pleurerais sur mon sort ? A quoi bon ?! Marthe est une bonne âme, mais les filles n’accepteraient jamais qu’elle me loue une chambre gratuitement. Je finirai à la rue qui n’accorde aucune pitié. Je ne faisais pas ce travail pour le sexe, contrairement à ce que pensait la majorité des clients que je recevais. Mais il fallait reconnaître qu’il me rapportait beaucoup d’argent, assez pour survivre correctement, au nez et à la barbe de tous les nantis qui riaient des plus démunis, sans se rendre compte qu’ils étaient autant risibles que moi.
      Le contact des doigts d’Yseult sur mon buste acheva de faire disparaître ces sombres pensées. Les bras en croix, je la laissais faire. J’étais à elle cette nuit et elle avait tous les droits sur moi. Je sentis ses ongles s’enfoncer légèrement dans ma peau, laissant apparaître une ligne rouge derrière eux. Un frisson remonta le long de mon dos et je poussais un gémissement. Je laissais ma respiration s’accélérer. Il fallait que les petits soubresauts qui agitait mon corps paraissent vrais. Quand bien même ils n’étaient pas naturels. J’avais mis quelques temps avant de savoir parfaitement gérer les mouvements que je devais faire. Dans un sourire, je mordis ma lèvre inférieur en poussant un gémissement de plus, alors qu’elle ondulait au-dessus de moi, laissant nos hanches se toucher. Doucement je fis remonter mes mains sur ses cuisses, bien moins souples que celles des femmes nobles de la ville. Plus fermes, plus musclées. C’était son entrainement militaire qui parlait, et cela m’impressionnait, il fallait l’avouer.
     Je sentis à nouveau sa main dessiner un trajet vers ma gorge. Toujours le même petit frisson de panique qui monte… Mais, il ne s’agissait pas de me faire du mal. La pression était légère, cette fois. Juste assez appuyée pour me faire comprendre que je n’avais plus d’autres préoccupation qu’elle désormais. Mes lèvres s’étiraient toujours sur un sourire torve. D’une main, je traçais à mon tour de petites arabesques sur son ventre. Je l’entendis alors murmurer :
« Comment as-tu réussi cela...? »
    Je levais les yeux vers elle doucement. Mon étonnement dû se lire pendant quelques secondes sur mon visage, mes lèvres entrouvertes, ne sachant quoi répondre. Qu’est-ce que j’avais réussi ? A la rendre plus ouverte ? Moins froide ? Je n’avais fait que mon travail. Je n’étais pas un magicien, il n’y avait aucune formule magique, juste des gestes et des mots. C’était la seule chose que je maîtrisais un tant soit peu dans cette ville. En y regardant bien, je n’étais pas très éloigné d’un chanteur de geste. Je terminais seulement ce que, eux, commençaient avec leurs chansons d’amour.
    J’allais ouvrir la bouche pour tenter une réponse dont j’avais le secret, mais elle me devança encore.
 
« Il n'y a plus de tendresse dans mon cœur depuis longtemps. Je me bats pour des gens que je n'aime pas. Je me bats pour vous, les habitants de Marbrume, risquant une vie qui m'est froide et solitaire. Je ne pensais pas qu'on pouvait encore me donner cette... chaleur... »
 
     Le grondement sourd du désir s’échappa de sa poitrine. Je restais idiot devant cette soudaine déclaration. Il me semblait bien que cette princesse n’avait jamais autant parlé que maintenant. Elle aurait tout aussi pu me donner un coup de poing que prononcer ces mots, cela aurait eu le même effet. Je me sentis stupide. Stupide d’être enfermé dans cette ville, à offrir mes hanches et mes fesses aux plus fortunés. J’avais tellement peur de l’extérieur. J’avais peur des taudis des bannis. J’avais peur des marécages puants et des fangeux qui les peuplent. J’avais peur des terres qui m’ont vu grandir et qui, petit à petit, se sont asséchées et ont laissé mourir tous ceux qui y vivaient. J’avais peur des terres à l’extérieur qui m’ont rendu pauvre et orphelin. Je préférais encore vivre enfermé ici, en attendant la fin des temps, qui ne semblait pas si éloignée que cela.
     Au-dessus de moi, j’eus soudain l’impression que ma princesse du soir allait se mettre à pleurer. Sa gorge se serra. J’aurais aimé qu’elle se mette à pleurer. Je savais très bien consoler les femmes en larmes. Rien de plus facile pour moi. Mais je la vis se retenir. Doucement, je glissais ma main sur la sienne, pressant mes doigts contre les siens. Je voulais qu’elle se sente rassuré auprès de moi. Je n’étais pas altruiste, je pensais avant tout à mes affaires. Pour autant, je connaissais la tristesse, la vraie, celle qui vous ronge de l’intérieur. Il n’y a rien de pire qu’elle pour vous tenir compagnie. J’avais beau penser à mes affaires, je n’aimais pas laisser quelqu’un triste trop longtemps.
     Encore une fois, l’habitude et le métier étirèrent mes lèvres sur un sourire heureux et de ma voix enfantine, je dis :
« Je serais bien triste si vous ne m’aimiez pas Yseult. »
    Elle ne répondit pas et bougea subitement. Elle voulait passer à l’acte. Je me redressais légèrement pour l’aider. Mes bras se resserrèrent autour de ses hanches quand nos sexes s’unirent. Elle poussa un soupir et un gémissement échappa de mes lèvres. C’était une passe comme j’en avais fait tant d’autres. J’entendais Yseult qui gémissait au-dessus de moi. Mes hanches bougeaient de plus en plus vite, reprenaient un rythme saccadé, donnaient de grands coups lentement, avant de reprendre une danse endiablée. Les bras entourant ses cuisses, la princesse à califourchon sur les miennes, je collais mon visage contre sa peau. Là, entre ses deux seins, je pouvais entendre le battement de son cœur s’accélérer. J’embrassais sa peau, remontant vers ses lèvres. Je lui donnais autant de baisers que pouvait donner un amant. Mes mains caressaient son dos, alors que les siennes s’agrippaient au mien.
   Cette passe n’était pas décevante. Il était des nuits où les clients avaient beau s’estimer très satisfaits, je trouvais leur performance bien au-dessous de la mienne. Je ne faisais pas ce métier pour le plaisir du sexe, mais je devais bien avouer que cela rentrait aussi légèrement en ligne de compte. Quand on donne du plaisir, on aime en recevoir quelque peu en retour. Et cette nuit me satisfaisait. Elle ressemblait à tant d’autres, mais j’en appréciais les détails. J’aimais bien la voix d’Yseult à cet instant précis, ainsi que son parfum qui se diffusait dans la pièce. Alors doucement très bas, dans son coup, je lâchais ces quelques mots :
« Vous n’êtes pas aussi froide que vous en avez l’air Yseult, vous êtes une femme de vie. »
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Yseult de TraquemontChâtelaine
Yseult de Traquemont



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MessageSujet: Re: Dans ce sabbat des couleurs [William]   Dans ce sabbat des couleurs [William] EmptyLun 21 Mar 2016 - 19:37
C'est à peu près à partir de cet instant que la châtelaine lâcha prise aux dernières bribes de sa discipline, cette retenue dont elle se drapait au quotidien en tant que femme d'armes - parce qu'elle ne voulait pas être vue comme une femme autant que comme une commandante en guerre.

Une gorge qui avait davantage fonction de prononcer des mises à mort et d'appeler aux armes se vit franchir par des murmures d'amour ; un amour purement charnel, physique, ô combien terrestre. Ces doigts minces que le port de l'épée avait si vilainement estampillés de cals troquèrent leurs rudes habitudes pour le jeu des caresses, parfois de la griffure, parce que les jeux d'Yseult se passaient difficilement d'un semblant de violence. Une bouche qui était familière des moues soucieuses ou de rares mots de colère s'attachait désormais à embrasser brutalement à la manière d'un fauve s'efforçant de lécher au lieu de mordre.

Et la nuit s'étira sans répit sous le signe de la passion.


***

Le soleil filtrait au travers des stores de bois fatigué ; de la fenêtre à notre lit, on aurait juré que des cendres de lumière demeuraient en suspension dans l'air réchauffé du petit matin. Je levais mes iris limpides vers ces lointains bouts de ciel, un éclat de simple joie de vivre au coin des yeux et une mèche de lin par-dessus mon nez.

Allongée sur le flanc, je remontai le rebord rêche de la couverture par-dessus mon épaule tout en fermant les paupières. C'était une nouvelle journée. Une journée qui démarrait à Marbrume et non à Traquemont. Une petite voix au fond de mon être me soufflait que je trahissais les miens en prenant du temps pour moi et non pour eux ; une autre me murmurait que les miens étaient bien assez grands comme cela et que leur monde ne cesserait pas de tourner même si je venais à disparaître.

Avais-je envie de me lever ?

Je pouffais d'un rire clair en roulant sur le dos, jetant un coup d’œil à mon voisin. Ma voix avait perdu son intonation glacée, désincarnée, que je lui prêtais à l'ordinaire. Le masque était tombé, et il révélait une jeune femme qui pour une fois, souhaitait être vue pour ce qu'elle était.

Était-ce pour cette raison que maints des soldats que j'avais pu côtoyer, en temps de guerre, convoitaient à ce point le lit des filles de joie ? Pour renouer avec ce sentiment, même faux, même illusoire, d'être choyé et désiré ?

« Merci. »

Ce simple signe de reconnaissance, accompagné d'un regard franc et d'un sourire presque taquin. Je me rappelais qu'enfant, j'avais ce caractère un peu farceur qui m'avait rigoureusement abandonnée lorsque j'étais devenue l'âme damnée de mon père. Peut-être, en d'autres temps et d'autres lieues, aurais-je pu devenir une personne pleine de vie et d'engouement - cette personne que je me sentais être en cette heure.

Je plantais un baiser affectueux sur la joue du jeune homme, avant de m'asseoir sans guère de pudeur au bord du lit. L'aurore achevait d'embraser l'azur et, avec une pleine inspiration, je rejetais ma chevelure sur mes épaules. Je ne voulais pas me battre aujourd'hui ; je n'avais aucune envie de retourner écumer les marais, comme je le faisais presque chaque jour que la sainte Trinité faisait. Ne pouvais-je m'accorder ce répit supplémentaire ?

Je tendis la main pour ramasser la chemise lâche que je portais en-dessous de ma cuirasse en cuir, l'enfilant sans cérémonie. Rapidement, je me rhabillais dos au garçon de passe.

« Euh... »

Un regard jeté derrière mon épaule.

« Il me manque... tu sais... »

De l'index, je tapotais mes hanches. Impossible d'être plus explicite envers un membre du peuple.

« Et n'essaie même pas d'en rire » conclu-je d'un ton faussement féroce.

Bon, où est passé ce maudit sous-vêtement...

***

Assise sur le bord même de la minuscule table meublant la chambre, je grignotais du bout des doigts le pain de maïs que j'avais demandé à ce qu'on monte ; un pichet de lait l'avait accompagné, et je me restaurais en prenant mon temps. Je me fis la réflexion que c'était la première fois depuis bien longtemps que je ne buvais pas de vin au réveil.

« 'u es 'ien... »

J'interrompis ma tentative de communication la bouche pleine, m'efforçant de mastiquer avant d'avaler.

« Je disais... tu es bien ici ? » C'était une véritable question, certes maladroite, mais sincère. « Marbrume... elle sent le désespoir à chaque fois que je traverse ses rues. »

C'était dit sur un ton presque songeur. Les yeux posés sur une tranche de pain que je faisais tourner devant mes lèvres, je repris :

« Les gens d'ici, et peut-être toi également, n'ont plus guère foi en l'avenir. Je le vois bien. Et lorsqu'on n'a plus foi, on a tendance à oublier les lois - celles de nos dieux comme celles de nos rois. Je me suis suffisamment battue pour avoir vu beaucoup de membres de ta profession suivre les guerriers, et lorsque l'autorité s'élime, ce sont souvent eux qui en paient le plus fort prix. »

Je mordis dans la mie, mâchant un moment.

« Si un jour ta place n'est plus ici, sache qu'il ne reste pas que cette ville. À quelques lieues au Sud-Ouest d'ici se dresse un château dans les marais, et je ne pense pas que ses habitants y vivent plus difficilement que le peuple derrière ces remparts. Si tu souhaites t'y installer, tu y seras accueilli. »

Malgré l'affection que je ne cachais pas à William, ni dans mon ton ni dans mes regards, l'offre ne s'encombrait d'aucune tendresse ou réelle faveur. C'était une possibilité qui lui était donnée parce que l'idée qu'il souffrît de la situation de la Cité Franche me répugnait ; d'un autre côté, je n'étais en rien une sauveuse.

Certains diraient même que j'étais davantage du genre à mener mes semblables à la mort qu'à leur salut.

« Enfin... je vais repartir. » Le petit-déjeuner restait sur la table alors que je me levais, ainsi qu'une petite bourse contenant l'argent que je lui devais. Je m'offris le luxe d'un clin d’œil, en souvenir de cette femme espiègle que j'aurais pu devenir si le sort en avait décidé autrement : « Un dernier baiser pour la route avant que je ne reparte à la guerre ? »
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